(Moniteur belge n°217, du 5 août 1833 et Moniteur belge n°218, du 6 août 1833)
(Moniteur belge n°217, du 5 août 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen, à l’occasion de la lecture du procès-verbal, signale une omission dans le compte-rendu de la séance d’hier. Relativement à la dernière requête adressée par les huissiers à la chambre, on a oublié de mentionner qu’elle a été renvoyée à M. le ministre de la justice avec demande d’explications.
M. le président. - Une proposition déposée sur le bureau est ainsi conçue : « Nous avons l’honneur de proposer que la chambre se rende en corps à la cérémonie du baptême du Prince royal. »
Elle est signée par MM. Pollénus, C. Rodenbach, Dellafaille, de Theux, Dewitte, Brixhe, Vuylsteke, Legrelle, Dubus, de Terbecq, Vanderbelen, H. Dellafaille, de Stembier, Domis, Eloy de Burdinne, de Meer, Cols, d’Hane, Milcamps, Dubois, Simons, Zoude, Doignon, Poschet, Schaetzen, Bekaert, Thienpont, Olislagers, Boucqueau de Villeraie, Wallaert, Coppieters, de Nef, Vanderheylen, etc., etc. »
- La proposition mise aux voix est adoptée sans opposition.
Aucun membre ne s’est levé contre.
M. le président. - En conséquence, la chambre décide qu’elle se rendra en corps à la cérémonie du baptême du Prince royal. Il en sera donné communication au gouvernement.
M. le président.- M. le ministre de la justice se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le point important pour le gouvernement est l’admission du principe sur lequel repose le projet de loi, c’est-à-dire la reconnaissance que les frais d’entretien des dépôts de mendicité est une charge communale ; or, ce principe est admis par la section centrale. Quant aux autres points, ils sont susceptibles d’être plus ou moins admis, puisqu’ils ne sont que des moyens d’exécution. Je ne vous aucun inconvénient à me rallier à présent au projet de la section centrale et à consentir qu’on lui accorde la priorité dans la discussion.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Ernst.
M. Ernst. - La nécessité de réviser la législation en matière de secours public pour les indigents est généralement sentie ; on reconnaît aussi qu’il faut améliorer les dépôts de mendicité, mais à charge de qui sera la dépense ? C’est là la question fondamentale qui domine toutes les autres.
Deux points importants sont organisés et dans le projet de loi du gouvernement et dans le projet de loi de la section centrale : à l’avenir imposera-t-on aux communes l’obligation de fournir aux besoins des indigents ? Leur imposera-t-on l’obligation de payer l’arriéré ?
Quant la première proposition, je ne trouve aucune difficulté à admettre le principe du projet de loi. Il est juste que les frais qu’occasionne l’entretien des indigents soient à la charge des communes de leur domicile, sauf à appeler le concours des provinces et même celui du gouvernement, dans le cas où les communes ne pourraient subvenir à toutes les dépenses. Mais une question sur laquelle je me suis déjà expliqué dans la section centrale, où j’ai fait valoir l’opinion de la cinquième section, est celle de savoir si la législature peut poser la règle énoncée par l’article 5 du projet de loi, « que les communes sont tenues au paiement des pensions arriérées. »
Cette disposition, messieurs, contient deux vices législatifs fort remarquables, et si elle ne subit pas des modifications, elle ne me permettra pas de donner un vote approbatif à la loi dont il s’agit.
Déclarer que les communes seront obligées de payer une dette antérieure, est-ce porter une loi ? non, c’est juger entre une commune et l’Etat. C’est non seulement porter un jugement, c’est la condamner sans l’entendre. Les droits des communes sont-ils différents, par leur nature, des droits des particuliers ? Un être collectif, réunissant les intérêts de plusieurs personnes, a-t-il des droits moins sacrés que ceux d’un individu ? Ce serait porter atteinte au pouvoir judiciaire que de porter une décision qui est dans ses attributions.
La limite entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif est une de celles qu’on ne saurait franchir sans exposer l’édifice constitutionnel aux plus graves lésions. La chambre a toujours montré le respect le plus grand pour les attributions judiciaires. Récemment, dans cette enceinte, quand on a prétendu que les routes construites aux frais des provinces ou des communes n’appartenaient pas à l’Etat, la chambre a décidé qu’il s’agissait d’une question de propriété qui n’était pas de sa compétence.
Eh bien ! il s’agit ici d’une question analogue ; si vous ne pouvez pas juger quels sont les droits des communes à l’égard de l’Etat, il ne doit pas en être autrement de leurs obligations respectives. Pour vous engager dans une voie dangereuse, on vous parlera de l’utilité qu’il y aura à déclarer que les communes doivent payer ; on dira qu’il y aura des retards, des frais considérables par suite des procès qui seront suscités, si on ne fait pas une loi expresse ; j’admets tous ces inconvénients ; mais ils se présentent dans toutes les affaires judiciaires.
Pour couvrir l’inconstitutionnalité que je vois dans cet empiétement sur le pouvoir judiciaire, on dira encore que la matière est administrative, et qu’alors la législature peut toujours intervenir.
Certainement, messieurs, lorsqu’il s’agit d’organiser les communes, de régler leurs attributions, de déterminer leurs rapports avec l’Etat, ce sont des points d’administration qui entrent dans le domaine de la législation ; mais il s’agit d’un patrimoine d’une commune ; or ce patrimoine est-il d’une nature différente que celui d’un particulier ? Est-ce que ses créanciers, ses dettes sont administratives ? C’est une question qu’il suffit de poser pour qu’elle soit résolue. On tend donc évidemment à usurper le pouvoir judiciaire ; vous ne le permettrez pas, messieurs ; ou bien on veut faire une loi rétroactive, attentat non moins grave que l’envahissement du pouvoir judiciaire.
On prétendra peut-être que la loi est interprétative ; qu’une telle loi peut agir sur le passé ; qu’elle se reporte au droit antérieur qu’elle explique ; que le pouvoir d’interpréter les lois appartient à la législature. Oui, messieurs, ce pouvoir appartient à la législature ; l’article 26 de la constitution ne laisse aucun doute à cet égard. Il a posé un principe proclamé pendant la révolution française c’est que le droit d’interpréter les lois appartient aux assemblées législatives. La première loi qui a violé ce principe, c’est celle du 26 septembre 1807. Mais dans toutes les lois qui statuent sur l’interprétation authentique, on a déterminé les cas où il y aurait lieu à cette interprétation.
Si le pouvoir législatif abusait de ce droit, il y aurait confusion et contradiction dans l’ordre constitutionnel. En effet, lorsque les tribunaux voudraient interpréter une loi, la législature s’emparerait de la question : pour éviter qu’une loi soit attaquée comme rétroactive, on dirait qu’elle est explicative ; sous le prétexte d’interpréter les lois, on entrerait dans le domaine du passé qui échappe à la législature.
Quel est le but de l’interprétation des lois par voie d’autorité législative ? Est-ce de prévenir l’interprétation judiciaire. Non, c’est d’y suppléer.
Quand il existe une grande contrariété dans les arrêts des cours ; quand les débats judiciaires paraissent devoir être interminables, alors le pouvoir législatif intervient. C’est ainsi que la chose a lieu en France ; c’est dans cet esprit que notre constitution a été faite. Je me demande si, dans le cas actuel, il y a nécessité que vous interveniez dans le débat. A-t-on, en effet, épuisé les moyens judiciaires ordinaires ? On ne les a même pas tentés. On a menacé la ville de Mons de la poursuivre, mais aucune poursuite n’a eu lieu. Si des poursuites sont dirigées, si des arrêts contradictoires sont rendus par les cours d’appel, alors on pourra avoir recours à la législature.
Messieurs, quand nous arriverons à la discussion de l’article 5, je proposerai un amendement dont le but sera de donner un moyen de contrainte contre les communes récalcitrantes, tout en laissant à celles-ci le droit de faire valoir leurs prétentions en justice ; si cet amendement n’est pas admis, je serai forcé de voter contre la loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je reconnais que dans tout ce qui concerne l’interprétation des lois, dans tout ce qui concerne la connaissance des principes du droit et de la rétroactivité des lois, l’autorité du préopinant est fort imposante. J’ai écouté ses paroles avec recueillement ; mais je dois l’avouer, il ne m’a pas convaincu.
Il me semble que l’honorable préopinant s’est écarté de la question en ne tenant aucun compte d’un fait qui est placé par lui-même hors de controverse. En effet, il vous a dit que, selon la législation en vigueur, il n’y avait aucun droit que la charge de l’entretien des dépôts de mendicité ne fût principalement imposée aux communes. Je puis lui dire que les lois qui se sont succédé depuis l’assemblée constituante jusqu’au dernier gouvernement, n’ont fait que consacrer implicitement ce principe.
A cet égard, messieurs, il suffit de jeter les yeux sur la loi du 13 juin 1790, sur la loi du 27 vendémiaire an II, sur la loi du 11 frimaire an VII, sur le décret du 5 juillet 1808 et sur la loi du 28 novembre 1818, pour reconnaître que le principe est devenu peu contestable.
S’il en est ainsi, il ne s’agit pas de créer aujourd’hui une législation nouvelle et de l’appliquer tout à la fois à l’avenir et au passé ; il ne s’agit pas de constituer un droit pour le gouvernement ; il ne s’agit pas de lui reconnaître ce droit par le projet de loi. Le préopinant s’est trompé sur le but principal du projet.
Le gouvernement n’a pas pensé qu’on pût mettre en doute qu’aux communes appartient la charge principale des dépôts de mendicité. Mais lorsque le gouvernement a voulu commencer des poursuites pour l’exécution de ces lois, il lui a été signalé une lacune dans les moyens de contrainte, de coercition. En présence des réclamations des états provinciaux que le ministère avait chargés de prescrire des poursuites, et qui n’ont pas cru pouvoir le faire, nous avons cité la loi du 18 vendémiaire an XII, pour faire voir que les voies de coercition avaient été déterminées par la législation ; on nous a répondu que cette loi pouvait tout au plus offrir quelques analogies, mais que le droit de poursuivre contre les communes relativement aux dépôts de mendicité n’y était pas clairement établi.
C’est sur les moyens de coercition que le gouvernement a senti la nécessité de vous présenter un projet de loi où ces moyens soient nettement et précisément établis. C’est, messieurs, de cette manière qu’ont procédé par la loi du 11 frimaire an VII, le conseil des anciens et le conseil des cinq cents lorsque, par cette loi, on a imposé les communes par application d’une législation préexistante ; on a déclaré que les communes étaient tenues de fournir aux dépenses antérieures à l’an VII. La législature alors n’a pas créé la charge incombant aux communes ; elle a reconnu l’existence du droit, et c’est ce que nous faisons. L’administration, éprouvant de difficultés semblables à celles que nous éprouvons aujourd’hui, s’est adressée à la législature qui a déclaré qu’il serait pourvu au remboursement des frais de l’année courante et des années antérieures.
Nous avons voulu lever l’obstacle qui dérive de la diversité des opinions sur les moyens de coercition que la loi présentait ; voila le but principal du projet de loi.
Quand le principe de la débition est reconnu par le préopinant, je crois que c’est mal à propos qu’il invoque les principes de non-rétroactivité et les principes relatif à l’interprétation des lois : il ne s’agit pas de cela ici, quand il n’y a pas collision entre les tribunaux et les cours d’appel et la cour de cassation. Ce serait alors seulement qu’il y aurait lieu à interprétation ; mais ici la législation n’est pas obscure ; elle est, selon nous, formelle et il s’agit de son exécution.
M. Legrelle. - Je demande la parole pour rectifier un fait qui a été avancé. M. Ernst a dit que dans une circonstance, dans la discussion relative à la revendication de propriété des routes par les communes, les provinces ou même les particuliers, la chambre avait décidé que la solution de cette question appartenait aux tribunaux. Je ferai observer que rien n’a été décidé à cet égard. Un membre seul a émis l’opinion citée par M. Ernst ; mais la chambre n’a rien entendu statuer. La question est restée intacte.
M. Ernst. - C’est à l’occasion d’une proposition faite par l’honorable député de Namur que la question a été soulevée dans la chambre ; alors on a demandé s’il était convenable que les communes fussent propriétaires des routes faites à leurs frais. M. Julien et d’autres orateurs ont pris la parole, et la proposition de MM. Fallon et de M. Boucqueau de Villeraie a été écartée.
M. Boucqueau de Villeraie. - Mais la chambre n’a pas dit que c’était aux tribunaux à prononcer, elle n’a rien déclaré ; la question est restée indécise, elle est restée intacte.
M. Fallon a la parole sur la suite de la discussion générale. - Messieurs, dit-il, plusieurs communes se sont refusées à l’exécution ultérieure de règlements du gouvernement précèdent, qui ont mis à leur charge l’entretien des indigents dans les dépôts de mendicité.
Pour faire cesser les difficultés qui résultent de ces oppositions, le gouvernement nous a proposé un projet de loi.
Je lis dans le rapport de la section centrale que ces difficultés ont paru assez sérieuses pour faire généralement sentir le besoin de la révision du régime des dépôts de mendicité, mais j’y cherche en vain une solution satisfaisante sur les questions importantes que les communes opposantes ont soulevées.
Pouvons-nous, sans violer la constitution, ordonner l’exécution des règlements du gouvernement précédents sur le régime des dépôts de mendicité ?
En cas affirmatif, la mesure est-elle juste dans son principe et dans son application ?
Voila des questions qui méritent un sérieux examen avant de rejeter soit définitivement soit transitoirement, l’opposition des communes.
Je vois bien que la section centrale a pensé ne pas devoir s’y arrêter pour le moment, et je ne fais pas de doute que ce n’est pas sans motifs qu’elle a pris cette détermination.
Mais le rapport me laisse ignorer ces motifs ; et c’est parce que je désire d’être éclairé avant de former mon opinion sur la constitutionnalité, la légalité et l’opportunité du projet, que je me détermine à vous soumettre mes doutes sur des difficultés qui, pour moi, sont graves et sérieuses.
L’entretien non seulement des reclus par jugement, mais en outre des reclus sans jugement, et généralement des indigents dans les dépôts de mendicité, constitue-t-il bien une charge municipale ?
Je ne le pense pas, et, sur ce point, je ne suis pas d’accord avec la section centrale, ni par suite avec le régime de arrêtés du gouvernement hollandais ; je crois l’être avec les lois constitutives des dépôts de mendicité, et je crois également que je suis d’accord avec les principes administratifs.
Une charge suppose nécessairement une obligation, et, à moins que l’obligation ne soit formellement imposée par la loi, elle ne peut résulter que d’un consentement.
J’examinerai à l’instant l’obligation de l’entretien des reclus par jugement, et surtout des reclus sans jugement dans les dépôts de mendicité a été imposée par la loi, exclusivement aux communes.
Il faut d’abord discuter le principe.
Où puise-t-on le principe de cette obligation ?
Est-ce parce que le mendiant fait partie d’une fraction de l’Etat que nous qualifions du nom de communes ?
Non sans doute, car un mendiant n’est pas plus l’habitant de la fraction de l’Etat que nous appelons commune, qu’il n’est l’habitant de la plus grande fraction que nous appelons province, qu’il n’est enfin l’habitant de l’Etat pris collectivement.
Par conséquent, s’il y a obligation pour la commune d’entretenir le mendiant, parce que le mendiant est un de ses habitants, il y a obligation pour la province d’entretenir les mendiants de la province, comme il y a obligation pour l’Etat d’entretenir les mendiants de l’Etat.
Les communes, pas plus que les provinces, ne forment des Etats séparés dans l’Etat.
Sans doute, en ce qui regarde les intérêts domestiques de la commune, ce sont là des besoins de localité auxquels il est de son devoir de satisfaire. Mais en ce qui touche les besoins d’intérêts généraux, l’obligation d’y satisfaire est l’obligation de la généralité, et la charge que produit cette obligation n’est pas la charge de telle ou telle fraction du pays, c’est la charge de tout le pays pris collectivement.
C’est dans l’intérêt général, et non dans l’intérêt de telle ou telle localité, que l’on a voulu réprimer la mendicité, et qu’on en a fait l’objet d’un délit ; c’est pour satisfaire à cet intérêt général, et non à l’intérêt spécial des communes, que les dépôts de mendicité ont été établis.
C’est donc sur les fonds généraux et non sur les fonds spéciaux des communes que ces établissements doivent être alimentés.
Tels sont, messieurs, les principes qui ont servi de base à l’institution des dépôts de mendicité. Ce n’est qu’au despotisme exercé sur les communes dans les derniers temps de l’empire, et surtout sous le gouvernement hollandais, que nous devons les relâchements qui se sont opérés dans l’application de ces principes.
C’est sur le budget de l’Etat, et exclusivement sur le budget de l’Etat, que la loi du 18-25 février 1791 avait pourvu à la dépense des dépôts de mendicité.
Une première modification fut apportée au principe par le décret organique du 5 juillet 1808, mais elle ne fut pas portée toutefois jusqu’au point de considérer la charge d’entretien des reclus plutôt comme charge de la commune que comme charge de la province et de l’Etat.
Par l’article 7 de ce décret, il fut ordonné que ces dépenses seraient faites concurremment par le trésor, les départements et les communes.
Et voyez, messieurs, à quelles inconséquences on se livre lorsque l’on commence à se relâcher du principe.
Ce décret organique du 5 juillet 1807 fut suivi d’un arrêté d’exécution du 27 octobre suivant, et voici comment les communes étaient appelées à contribuer à la dépense.
L’article 150 de cet arrêté déclara que la dépense serait acquittée sur les revenus patrimoniaux de l’établissement et sur les fonds de supplément qui seraient accordés.
Et l’article 152 déclara que ces fonds de supplément seraient fournis, tant par la caisse du département que par les communes dont les revenus excéderaient les besoins, et que sur la désignation qui en serait faite de ces communes par les préfets.
Voilà un premier acte de despotisme bien conditionné ; mais comme vous voyez, il n’était pas exercé comme conséquence du principe que la charge d’entretien serait une charge communale, puisqu’on ne l’imposait qu’aux communes qui avaient un excédant de revenus sur leurs dépenses ; et que les autres communes en étaient exemptes.
En fait d’arbitraire et de despotisme le gouvernement hollandais ne voulut pas de demi-mesure, et sans qu’il existât aucune loi qui l’y autorisât, il généralisa la mesure et il alla beaucoup plus loin.
Sous prétexte qu’une loi du 28 novembre 1818 avait déterminé, mais sans relation aucune avec le régime des dépôts de mendicité, quel serait le domicile de secours de l’indigent, il déclara d’abord, par arrêté du 12 octobre 1819, qu’à partir du 1er janvier 1820, les individus entretenus dans les dépôts de mendicité y seraient à la charge des communes où ils avaient leur domicile de secours, et par un autre arrêté du 12 octobre 1825, il dénatura complètement l’institution. Il transforma les dépôts de mendicité, qui ne devaient servir qu’à la répression de la mendicité et où l’on ne pouvait être reclus que sur jugement, en véritables hôtelleries où chaque mendiant, qui trouvait bon de se présenter, était hébergé aux frais des communes.
Cette manière d’attirer ainsi les mendiants dans les dépôts de mendicité ne constituait pas seulement une charge arbitrairement imposée aux communes, elle était en outre une violation flagrante des lois d’ordre public.
Une fois entré, le mendiant n’en sortait plus à sa volonté et sans jugement ; il y était arbitrairement séquestré.
Voilà, messieurs, dans quelles ornières on nous propose de marcher transitoirement.
Dans tout cela, je vois bien des arrêtés qui ont érigés en principe que la charge d’entretien dans les dépôts est une charge communale, et qui ont en outre abusé de ce principe ; mais je ne trouve ce principe établi par aucune loi, ni sur aucun raisonnement que ma conviction puisse adopter.
Voyons toutefois comment ce principe est justifié dans le rapport de la section centrale :
« Aux lois citées dans l’exposé des motifs, y est-il dit, on peut ajouter l’article 9 de la loi du 11 frimaire an VII sur la classification des dépenses. »
Je ferai remarquer d’abord que cette loi ne dit pas un mot de l’entretien des mendiants dans les dépôts de mendicité ; elle ne s’occupe que des secours à domicile et aux hospices, et encore elle n’en fait pas la charge de la commune, mais la charge du canton.
Du reste il ne s’agit pas ici de savoir si les subsides aux bureaux de bienfaisance et aux hospices sont des charges communales, il s’agit ici d’établissements tout autres que des établissements municipaux ; il s’agit des dépôts de mendicité établis dans les intérêts généraux et non dans des intérêts de localité.
La mendicité, dit-on, est défendue par les lois ; c’est un délit.
Soit : cela ne regarde d’abord que ceux qui ont été condamné pour fait de mendicité et non les vagabonds, les gens sans aveu, ni ceux qui trouvent bon d’aller s’installer dans les dépôts sans jugement préalable.
Et puis, si c’est un délit, la commune n’en doit pas être plus responsable que de tout autre délit, et, jusqu’à présent, on n’a pas encore pensé de constituer les communes responsables des dépenses qu’occasionnent à la généralité les crimes et les délits commis par leurs habitants.
Le décret du 5 juillet 1808, en établissant les dépôts, a mis, dit le rapport, les dépenses d’entretien annuel de la maison et les moyens d’y pourvoir aux frais du département et des communes.
Cette assertion n’est pas tout à fait exacte.
L’article 7 du décret dit, en termes, que ces dépenses seront faites concurremment par le trésor public, les départements et les communes ; et, comme je l’ai déjà fait remarquer, l’arrêté d’exécution du 27 octobre même année dit positivement que cela ne concerne que les communes qui ont un excédant de revenus sur leurs besoins.
C’est donc, comme l’avoue d’ailleurs la section centrale, non pas dans la loi, mais dans l’arrêté du 12 octobre 1819, qu’il faut puiser la sanction du principe qui fait de l’entretien des mendiants et des indigents dans les dépôts une charge exclusivement communale.
Cet arrêté, dont j’ai déjà signalé l’arbitraire, est, dit-on, conforme à la législation et à l’équité, par la raison, ajoute-t-on, que les indigents sont une charge des communes et des établissements communaux.
Mais, encore toujours, cet argument ne prouve rien, parce qu’il ne s’agit pas ici d’établissements communaux, mais bien d’établissements d’intérêt général.
Faute de moyen de droit, on en vient au chapitre des considérations.
« La mendicité, dit-on, n’aurait point de frein, si les communes n’étaient intéressées à la prévenir, soit en occupant les indigents, soit en les secourant à domicile. La charge de l’entretien sera ainsi un puissant stimulant pour engager les communes à employer tous leurs efforts pour extirper la mendicité. »
Fort bien, pour les communes qui, à raison des ressources de la localité, se trouvent en position de pouvoir utiliser des bras à l’industrie et de procurer du travail aux indigents, ce qui n’est nullement applicable au plus grand nombre des communes et surtout aux communes pauvres.
Fort bien encore, pour ce qui regarde les indigents valides et qui ne préfèrent pas, au travail, la facilité d’aller chercher une subsistance au dépôt en restant à rien faire.
Mais, pour ce qui concerne ceux qui préfèrent se livrer au vagabondage ou à la mendicité, cette considération ira précisément en sens inverse du but que la section centrale veut atteindre.
L’expérience est là, elle doit servir de leçon.
Lorsque les communes se sont senties trop oppressées par les frais d’entretien des reclus, elles se sont bien gardées de mettre en mouvement la police municipale pour faire arrêter leurs mendiants, puisqu’en agissant ainsi elles aggravaient leurs charges ; et, comme cela se voit encore, on a fini par laisser mendier librement.
Un autre abus non moins révoltant du régime hollandais, et que l’expérience encore n’a que trop signalé, c’est que, sous prétexte qu’ils se trouvaient astreints à une police trop sévère ou à un travail trop incommode, des indigents ont déserté par compagnies des hospices municipaux où ils étaient entretenus aux frais de ces établissements, pour aller se livrer à la fainéantise des dépôts de mendicité et surcharger ainsi la commune de frais auxquels pourvoyaient à sa décharge les maisons de charité établies dans son sein.
La faculté accordée aux indigents de se rendre volontairement dans les dépôts de mendicité est un des plus grands vices du système hollandais, puisque d’un côté cela n’a pas empêché qu’on ne soit resté assailli de mendiants qui profèrent mendier que de s’y rendre, et que d’un autre côté on a placé les administrations municipales à la discrétion de fainéants qui, tandis qu’avec leur travail et les secours qu’ils reçoivent de la commune ils pourraient fort bien subsister, menacent d’aller au dépôt si l’on n’augmente pas ces secours.
Eh bien, messieurs, ce grave inconvénient que le gouvernement faisait tout au moins cesser par son projet, la section centrale le reproduit tout entier dans le sien, et cela par quel motif ?... Le voici : c’est que, sans cette faculté, c’est rendre inapplicable l’article 274 du code pénal ; c’est qu’il y aurait souveraine injustice de punir de la prison le mendiant, sous prétexte qu’il aurait pu éviter la mendicité en profitant d’un établissement public dont cependant l’entrée ne lui serait pas librement ouverte.
Ce sont bien là des sentiments philanthropiques auxquels je m’empresse de rendre hommage. Mais si, dans la mise en pratique de ces sentiments qui coûtent de l’argent, car c’est bien d’une question d’argent qu’il s’agit, l’article 274 du cade pénal devient d’une application difficile ou injuste, à qui appartient-il d’y pourvoir ?
C’est là la question, et la réponse me paraît tout autre que celle que je lis dans le rapport de la section centrale.
Ce n’est pas dans l’intérêt spécial des communes, mais dans l’intérêt de l’ordre public, mais dans les intérêts généraux que la disposition de l’article 274 se trouve insérée dans le code pénal. Or, si, pour rendre cette disposition d’une exécution plus facile ou plus juste, des dépenses doivent être faites, il doit en être sans doute de ce délit qualifié comme de tout autre délit. C’est dès lors une raison pour que les dépenses soient faites aux frais de la généralité, et ce n’en est certainement pas une, quels que soient d’ailleurs les sentiments philanthropiques qui provoquent ces dépenses, pour en faire l’objet d’une charge communale.
Je crois avoir suffisamment démontré, messieurs, que tout le travail de la section centrale repose sur une question de principe qu’elle a tranchée, mais qu’elle n’a pas résolue.
Le principe qui fait une charge communale de l’obligation de fournir l’entretien aux reclus et aux indigents admis dans les dépôts de mendicité, n’est établi par aucune loi, mais seulement par les arrêtés qui ont faussé ce principe et qui en ont fait une application tout à fait injuste et arbitraire.
Et ce qui prouve encore combien peu ce principe doit faire impression lorsqu’on le soumet à l’examen, c’est qu’alors que le gouvernement s’occupait de rassembler tout ce qui devait être considéré comme charges communales, l’idée d’y comprendre les frais d’entretien des reclus et des indigents dans les dépôts de mendicité ne lui est pas venue.
Ouvrez le projet de loi communale : l’article 129 donne la nomenclature de tout ce que l’on doit considérer comme charges communales, et vous n’y trouverez pas les frais d’entretien de ces établissements.
Sauf éclaircissements ultérieurs, je devrai donc repousser comme illégal, faux et injuste, le principe que l’on veut ériger en loi, de convertir en charge communale ce qui est évidemment une charge de l’Etat.
J’aborde maintenant la question constitutionnelle, et ici ma tâche est plus facile à remplir.
Je n’ai pas à réfuter, sur ce point, ni l’exposé des motifs du projet du gouvernement, ni le rapport de la section centrale, puisqu’ils n’ont pas touché cette question.
Je n’ai pas, non plus, à entrer dans beaucoup de développements, puisque la régence de Mons vous a déjà exposé, d’une manière claire et logique, tous les moyens de solution.
Je me bornerai donc à un simple résumé.
Pour la discussion de cette question, messieurs, il n’est pas besoin d’examiner si la charge que l’on veut imposer aux communes est légale, ou si elle n’est que le résultat du régime arbitraire des arrêtés du gouvernement précédent ; si elle repose sur un principe juste, ou bien si elle n’a pour base qu’une fausse application des règles administratives.
S’agit-il de constituer ou de légaliser une charge communale ? Voila tout ce qui suffit à la question constitutionnelle.
Or, c’est bien une charge communale que l’exposé des motifs et le rapport de la section centrale s’attachent à nous faire reconnaître.
C’est bien une charge communale qu’on nous propose de mettre à exécution par une loi.
Eh bien s’il s’agit d’imposer une charge communale, la constitution exige un préalable que nous ne pouvons franchir sans la violer.
« Aucune charge communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. » Telle est la disposition formelle de l’article 110.
Mais, dit-on, l’exception suit immédiatement la règle, et le même article réserve à la loi le pouvoir d’y déroger.
C’est là, messieurs, une grave erreur qu’une lecture attentive de cet article met en évidence.
La règle embrasse les charges et les impositions, et l’exception se borne aux impositions.
Si charges et impositions étaient choses de même nature, on pourrait peut-être admettre qu’en adaptant l’exception à l’une de ces choses, elles doivent être censées comprises toutes deux dans l’exception.
Mais ce sont là des choses tout à fait différentes qu’il n’est pas possible de confondre, et que la constitution a d’ailleurs pris soin de distinguer.
Etablir une charge, c’est constituer une obligation.
Etablir une imposition, c’est se procurer le moyen de se libérer de la charge.
Ce sont là des choses essentiellement différentes, que le langage administratif a toujours soin de distinguer.
Ouvrez, messieurs, le projet de loi communale, et vous verrez que les charges et les impositions communales forment l’objet de deux chapitres séparés.
Impossible donc de contester qu’en exigeant le consentement préalable du conseil communal pour l’établissement des charges et des impositions, la règle constitutionnelle embrasse deux ordres de choses essentiellement différentes.
Voyons maintenant si l’exception absorbe la règle dans toutes ses parties.
Il suffit de lire pour se convaincre que le pouvoir de déroger à la règle, qui est réservé à la loi, ne peut s’exercer qu’en ce qui regarde les impositions et non en ce qui concerne les charges.
Dans le doute, et lorsque les termes n’y répugnent pas, on peut quelquefois sacrifier l’esprit à la lettre ; mais ici les termes ne permettent pas de discuter sur le sens ; ils sont tellement clairs qu’ils ne peuvent se prêter à aucune interprétation.
Et, en effet, pour interpréter le dernier paragraphe de l’article 110 de manière à ce qu’il puisse atteindre autant bien les charges que les impositions, ce ne sont pas des mots qu’il faudrait interpréter, c’est la moitié du paragraphe qu’il faudrait supprimer, ce sont ces expressions : « relativement aux impositions provinciales et communales », qu’il faudrait retrancher ; et un semblable mode d’interprétation n’est sans doute pas admissible.
Ce n’est pas d’ailleurs sans raison que l’exception a été limitée aux impositions seulement.
Sous la législation de l’empire et sous celle du gouvernement précédent, mainte fois, pour réserver à d’autres dépenses une partie des ressources du trésor, on avait arbitrairement reporté sur les communes des charges qui n’avaient pour objet que de satisfaire à des besoins d’intérêt général ; et comme vous voyez, messieurs, cet exemple est pernicieux, puisque c’est encore précisément ce que l’on vous propose de faire dans cette circonstance.
On a voulu, une bonne foi, soustraire les communes à ce genre de despotisme, et le seul moyen efficace était celui que l’article 110 a adopté. C’était de ne permettre l’établissement d’aucune charge communale sans le consentement du conseil de la commune, et c’était d’empêcher que ce moyen pût être modifié par aucun pouvoir.
Ce même moyen ne pouvait être adopté d’une manière aussi absolue en ce qui concernait les impositions.
Et en effet, lorsque de l’avis du conseil municipal une charge avait été établie, le conseil municipal ne pouvait plus rester maître absolu, de ne pas employer les moyens nécessaires pour y satisfaire, et si, pour libérer la commune d’une charge légalement constituée, une imposition communale était nécessaire, il fallait bien que, sur le refus du conseil, la loi pût prendre sa place.
Voilà, messieurs, ce qui explique la distinction que l’article 110 de la constitution a pris soin de faire entre les charges et les impositions communales, et ce qui explique en même temps la limitation du pouvoir de la loi aux impositions seulement.
Forcé de reconnaître que telle est bien la prévoyance et la volonté constitutionnelle, on objectera peut-être que le projet de loi qui est proposé reste dans les termes de la constitution, en ce qu’il ne s’agit pas d’établir une charge nouvelle, mais de reconnaître une charge préexistante, et de régler seulement l’imposition communale nécessaire pour y satisfaire.
Mais, pour que l’argument put faire impression, il faudrait commencer par rapporter un texte formel de loi qui ait déclaré explicitement que la charge de l’entretien des reclus dans les dépôts de mendicité et des indigents qui trouveraient bon de s’y placer, est une charge exclusivement communale ; et non seulement j’ai dénié l’existence de semblable loi, mais j’ai été au-devant de la preuve, en citant la loi du 18-25 février 1791, qui fait de cette charge une charge de l’Etat, et le décret organique du 5 juillet 1808, qui appelle concurremment à la dépense le trésor public, les départements et les communes et encore, comme le dit l’arrêté du 27 octobre suivant, les communes seulement dont les revenus excèdent les besoins.
Je sais bien qu’a défaut d’un texte formel de loi qui peut servir de passeport au projet, on argumente des lois qui ont déclaré que les secours à domicile et les subventions aux hospices étaient des charges communales, pour en conclure qu’il y a identité de motifs et de raison pour faire application de ces lois aux dépôts de mendicité.
Mais ce n’est là qu’un raisonnement et non un texte formel de loi, et ce n’est pas par de maximes plus ou moins séduisantes que l’on peut s’autoriser à appliquer une loi d’un cas à l’autre, surtout lorsque les cas sont tout à fait dissemblables.
Les bureaux de bienfaisance et les hospices étant établis dans des intérêts locaux, la loi était conséquente en déclarant qu’ils étaient à la charge des communes.
Les dépôts de mendicité ont été établis pour la répression de la mendicité, dans l’intérêt de l’ordre public, dans l’intérêt général, et il est évident que, sans une loi spéciale, ce qui s’applique aux bureaux de bienfaisance et aux hospices ne peut s’appliquer sans inconséquence aux dépôts de mendicité.
A défaut de texte formel de loi, à défaut de pouvoir argumenter logiquement des lois qui concernent les bureaux de bienfaisance et les hospices, que reste-t-il pour justifier la charge communale que l’on nous propose de sanctionner ?
Les arrêtés d’un gouvernement que nous avons répudié, et l’article 138 de la constitution qui nous défend de nous en aider en tout ce qui est contraire à notre nouveau régime constitutionnel.
Et d’ailleurs il ne vous a pas échappé de remarquer, messieurs, que c’est précisément parce qu’il n’est plus possible d’imprimer une force légale à ces arrêtés, qu’on vous propose de les convertir indirectement et transitoirement en loi ; sans cela le projet de loi serait parfaitement inutile.
Or, je le demande, pouvons-nous faire transitoirement et par voie indirecte ce qui, définitivement fait, serait une violation de la constitution ?
Sous ces diverses considérations, et si la discussion ne me donne pas la conviction que je suis dans l’erreur, je voterai contre le projet, tant sur la question constitutionnelle que sur le fond.
M. Liedts. - Messieurs, je voterai pour le projet de loi amendé par la section centrale, tout en émettant le vœu que la législation sur la mendicité soit améliorée ; cette législation, quoiqu’elle vaille infiniment mieux que celle qui existe en Angleterre, et même que celle qui régit la France, n’en est pas moins très vicieuse.
Plusieurs personnes, frappées de l’inutilité des moyens employés jusqu’à ce jour pour l’extirpation de la mendicité, désespèrent des essais qu’on pourrait faire à l’avenir et se persuadent que l’extinction de ce fléau est une idée très philanthropique sans doute, mais que l’homme d’Etat doit abandonner.
Il y aura, j’en conviens, dans tous les temps, des hommes qui n’auront d’autre existence que celle que leur assure la charité publique, et il n’est pas plus donné au législateur de l’empêcher que de mettre tous les citoyens à l’abri de l’indigence ; mais c’est méconnaître les leçons de l’expérience que de vouloir en conclure qu’il est absolument impossible d’éteindre cette classe d’hommes qui se font un état de la fainéantise et du vagabondage.
Pour connaître les moyens les plus propres à atteindre ce but, voyons quels sont ceux qui ont été employés jusqu’à ce jour. Il est d’abord prouvé par l’histoire que les peines sévères ne peuvent rien pour l’extinction de ce vice.
Les législateurs anglais ont été jusqu’à établir la peine de mort contre les mendiants et plusieurs rois de France crurent mettre un terme à la mendicité en les punissant des galères ; mais les uns et les autres furent bientôt forcés de revenir sur leurs pas, et de reconnaître qu’ils avaient suivi une fausse route en cherchant un moyen préventif dans des peines disproportionnées au délit.
L’histoire, et ce qui se passe de nos jours en Angleterre, nous démontrent encore qu’en voulant nourrir les pauvres aux frais du trésor on ne fait qu’alimenter la paresse et augmenter la mendicité.
Le vertueux saint Louis en fit l’essai ; mais il ne tarda pas à se convaincre que son inépuisable charité ne faisait qu’augmenter le mal au lieu d’y porter remède. L’Angleterre, avec sa taxe des pauvres, paie aujourd’hui près de sept millions de livres sterling par an, et le nombre de ses pauvres, qui est doublé depuis un siècle, embrasse déjà plus de la moitié de la population entière de ce royaume.
Depuis la révolution française, on a tâché d’éviter les deux écueils que l’expérience avait signalés. On a senti qu’afin que la loi, qui punit la mendicité, soit juste et efficace, il fallait placer à côté de la loi pénale des asiles où l’indigent pût trouver sa subsistance en travaillant.
En effet, messieurs, le premier droit de l’homme, en entrant dans la société, est de chercher à pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille ; s’il manque de travail, et que, pressé par la faim, il implore la pitié de ceux qui sont favorisés de la fortune, la loi qui le punirait de cet acte serait tyrannique et inhumaine. Mais si la loi lui offre dans sa détresse des ateliers, des maisons de secours où il puisse en tout temps obtenir le salaire de son travail, alors, mais alors seulement, l’oisiveté est sans excuse et la mendicité sans prétexte. Voilà le but louable que nous législateurs se sont proposé.
Mais quels moyens ont-ils employés pour l’atteindre ? Une centralisation, qui semble détruire les heureux résultats de presque toutes les institutions qu’elle atteint, fut encore mise en usage par le gouvernement de l’empire. Au lieu d’encourager les institutions locales pour l’extirpation de la mendicité, le décret du 5 juillet 1808 ordonne l’organisation d’un établissement ou dépôt de mendicité par département. Encore ce décret ne reçût-il jamais une exécution complète, et jusqu’à ce jour, il n’existe pour les deux Flandres qu’un seul dépôt, établi à Bruges. Qu’arrive-t-il de là ? C’est que ces établissements se trouvent à une grande distance des communes où les indigents ont leurs demeures ; ceux-ci, ne pouvant faire un voyage coûteux pour y chercher du travail, restent dans la misère et ne jouissent pas plus du bienfait de l’institution que si elle n’existait pas.
Un autre vice de nos dépôts de mendicité, c’est qu’au lieu d’y inspirer aux pauvres le goût de l’ordre et du travail, on les y entretient dans la plus affreuse fainéantise. J’ai eu occasion de visiter quelques-uns de ces établissements et notamment celui de Namur, et je ne crains pas d’être démenti par les honorables députés de cette ville, en disant que c’est un lieu où l’on permet aux mendiants de s’abandonner à la plus scandaleuse oisiveté. D’ailleurs, les tableaux statistiques le prouvent, et l’on est effrayé de voir que plus de 1,500 mendiants passent leur vie à ne rien faire dans des maisons destinées à leur inspirer l’amour du travail.
Faut-il s’étonner après cela que des communes qui voient le mal sous leurs yeux, s’obstinent à ne pas sacrifier les deniers de leurs administrés au soutien d’établissements où l’on semble avoir pris à tâche d’encourager la paresse et le vice ?
Un troisième défaut de ces établissements centraux, c’est que tous les pauvres y sont confondus, l’honnête homme que le pressant besoin a poussé à demander l’aumône s’y trouve mêlé avec ceux qui, dès l’enfance, ont fait leur profession du vagabondage et de l’imposture ; les infirmes y sont confondus avec les fainéants, les aveugles et les vieillards avec les pauvres valides. Quel est, je vous le demande, l’honnête père de famille, privé momentanément de travail, qui pourra se résoudre à se retirer volontairement dans ces refuges de dépravation ou qui voudra y envoyer ses enfants pour les prémunir contre l’oisiveté ?
Avouons-le, messieurs, le but de l’institution est totalement manqué, et depuis l’établissement de dépôts de mendicité, le nombre des mendiants n’est pas allé en diminuant dans notre royaume. Il faut donc modifier la législation sur ce point.
Mais quels moyens, dira-t-on, voulez-vous substituer à ceux qui ont été si infructueusement employés jusqu’ici ? Ces moyens, messieurs, les voici : l’instruction gratuite donnée à la classe indigente, et des ateliers de travail ouverts aux pauvres et multipliés autant qu’il est possible dans tout le royaume. Ces deux choses doivent essentiellement marcher de front si l’on veut arriver à un heureux résultat ; éclairer l’homme pauvre, faites-lui connaître sa dignité d’homme, ses devoirs de citoyen et l’abjection où le plonge la fainéantise, et bientôt vous verrez succéder au vice et à l’oisiveté des sentiments de vertu, d’ordre et de prévoyance. Que la législation et le gouvernement encouragent l’institution dans les villes et communes d’ateliers de travail, et vous verrez la charité publique d’autant plus active, d’autant plus zélée à s’associer à ces fondations philanthropiques, que les bienfaiteurs verront sous leurs yeux mêmes les résultats de l’institution qu'ils encouragent.
Et qu’on ne me dise pas que ce sont là des utopies qu’on ne verra jamais se réaliser, car c’est par des faits que je répondrai à cette objection.
Dans une récente discussion, où, soit dit en passant, mes intentions ont été singulièrement dénaturées par les journaux, je vous ai dit, messieurs, que la ville de Renaix, sur une population de 13,000 âmes, compte au-delà de 6,000 pauvres.
Eh bien, messieurs, depuis qu’il est permis à tout Belge d’établir des associations sans autorisation préalable, un homme vertueux, et dont la philanthropie ne connaît pas de bornes, a entrepris d’extirper la mendicité dans cette ville ; il a donc établi à Renaix un atelier de charité où tous les mendiants et ouvriers sans travail reçoivent conjointement avec l’instruction, un salaire proportionné à leur travail. Il n’a pas borné à cela ses bienfaits, et sentant le besoin de ne pas confondre comme dans nos dépôts de mendicité, ceux qui par leur âge ou leurs infirmités exigent des soins particuliers, il a ouvert un refuge aux vieillards, aux aveugles, et un autre aux orphelins. Enfin, convaincu de la nécessité d’atteindre le mal dans sa source, il a joint à son institution une école gratuite où tous les enfants des pauvres reçoivent l’instruction.
Et qu’on ne s’imagine pas, messieurs, que l’auteur de tant de bonnes œuvres soit lui-même possesseur d’une grande fortune : son seul soutien, il le trouve dans des souscriptions volontaires de ses compatriotes aisés qui tous rivalisent de zèle et de charité pour encourager ce bienfaiteur de l’humanité.
Voila, messieurs, des établissements comme j’en voudrais dans toutes les villes et dans toutes les grandes communes, des établissements dont les lois et le gouvernement devraient faciliter l’érection, et que je présenterai toujours comme des modèles à suivre aux hommes d’Etat et aux philanthropes qui s’occupent du bonheur de la classe indigente.
Je passe à la question constitutionnelle que le préopinant vient de soulever. L’honorable M. Fallon pense que l’article 110 de la constitution s’oppose à l’adoption du principe de la loi qui est en discussion. Les deux derniers paragraphes de cet article portent : « Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. La loi détermine les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité, relativement aux impositions provinciales et communales. »
De ce que ce dernier alinéa ne répète point l’expression « charge », le préopinant en conclut qu’une loi ne peut point imposer des charges aux communes sans le consentement du conseil communal. Tout dépend donc du sens qu’il faut attacher, dans le dernier paragraphe, aux mots : « impositions provinciales et communales. »
Tous ceux qui ont été membres du congrès se rappelleront que l’article 110 ne contenait primitivement que trois paragraphes, et que le dernier fut ajouté à la demande de l’honorable M. Legrelle. Tous les journaux n’ont pas rendu de la même manière la discussion à laquelle cette addition donna lieu ; mais puisqu’à cette époque l’Union belge était le journal qui rendait le plus exactement les séances du congrès, recourons-y pour connaître le but dans lequel l’addition présentée par M. Legrelle a été adoptée.
On y lira que l’honorable M. Legrelle fit observer à l’assemblée que si l’article était adopté tel qu’il était présenté, il ne serait pas permis à la législature de mettre à la charge des communes qui s’y refuseraient, par exemple, l’entretien des enfants trouvés. C’est pour ce motif qu’il présenta l’exception formant l’objet du dernier paragraphe de l’article, et c’est pour ce motif aussi que le congrès l’adopta. L’on voit par là que, dans l’esprit de l’auteur de l’addition et même de tout le congrès, le mot imposition qui s’y trouve employé est synonyme de charge, puisqu’il avait pour but de permettre à la législature de mettre une charge sur les communes, l’entretien des enfants trouvés étant bien, de l’aveu de tous, une véritable charge.
Je ne pense donc pas que l’esprit ou la lettre de l’article 110 de la constitution s’opposent à l’adoption du principe de la loi.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l’opinion que je me proposais d’émettre sur le projet en discussion est contenue entièrement dans quelques-uns des passages de la pétition de la régence de Mons, qui vous a été lue hier, et qui est imprimée dans le Moniteur d’aujourd’hui. La tâche que je me suis imposée pour motiver mon vote est donc devenue facile, voulant vous éviter des répétitions qui ne serviraient qu’à faire perdre du temps à la chambre, et je me bornerai à vous entretenir brièvement relativement à un point qui est, selon moi, le plus important du projet, après la question de constitutionnalité qui vient d’être si bien traitée par notre honorable collègue M. Fallon.
Je veux parler des mendiants, qui ne peuvent être considérés comme vagabonds et dont l’entretien continuerait à être à charge des communes, parce que ces malheureux, dont le plus grand crime est d’être dénués de ressources, seraient encore sous l’empire de la constitution la plus libérale de l’Europe, privés de leur liberté en vertu de quelques articles aussi iniques que barbares du code pénal, que nous pouvons nous dispenser d’exécuter.
Comment ! messieurs, nous autoriserions, nous engagerions même le gouvernement, en votant cette loi telle qu’elle nous est présentée, faire encore arbitrairement traîner à une réclusion perpétuelle par des gendarmes, et sans jugement, la classe de nos semblables la plus malheureuse ?
Serait-ce parce qu’elle importune l’opulent en le suppliant à genoux de la secourir dans sa misère ? Non ; C’est, d’après M. le rapporteur de la section centrale, pour un autre motif : il faut, selon lui, empêcher le pauvre de mendier son pain par un puissant stimulant (dit-il, dans l’avant-dernier paragraphe de son rapport), « en lui faisant craindre l’éloignement de son domicile par la privation de sa liberté ? »
Je vous abandonne, messieurs, le soin d’apprécier ce beau principe. Quant à moi, il me révolte, et vous le concevrez facilement si vous voulez me permettre de vous rapporter en quelques mots un fait dont j’ai été témoin. Le voici :
Un vieillard, père de quatre fils, dont deux étaient morts en combattant pour la patrie, se rendait péniblement tous les jours dans les deux ou trois communes les plus rapprochées de sa triste cabane pour recevoir l’aumône que lui faisaient volontiers les habitants bienfaisants qui connaissaient son extrême misère et sa moralité, lorsqu’il fut enlevé à sa malheureuse famille, qu’il nourrissait des aumônes qu’il recevait, par des maréchaussées qui l’ont traîné impitoyablement de brigade et brigade comme un malfaiteur dans un dépôt de mendicité où il a été reclus pour le reste de ses jours.
Je n’essaierai pas, messieurs, de vous décrire la pénible sensation que cette barbare exécution a causé généralement ; l’indignation des habitants de la commune de ce vieillard a surtout été portée à son comble ; cependant cette commune, qui est une des plus pauvres que je connaisse, a été forcée de payer pour l’entretien du malheureux que chacun regrettait.
Sans doute, messieurs, vous ne voudriez pas voir renouveler des injustices aussi révoltantes, qui ne peuvent se concilier, d’ailleurs, avec l’article 7 de notre constitution, qui doit être la sauvegarde du pauvre comme du riche ; elles pourraient cependant résulter de l’adoption du projet qui vous est présenté. Les mendiants étant confondus dans l’article premier avec les vagabonds et avec les indigents qui se rendent volontairement aux dépôts de mendicité ; quant à moi, je fais une telle distinction entre ces trois catégories, que si elles restent confondues, je voterai contre le projet tandis que si les mendiants n’y sont pas compris, je voterai pour, s’il m’est démontré toutefois que nous pouvons, sans inconstitutionnalité, imposer des charges aux communes de ce chef.
J’aurai l’honneur de vous proposer un amendement à l’article premier, et alors j’entrerai dans de nouveaux développements, s’ils ne surgissent pas de la discussion qui nous occupe.
M. Soudan de Niederwerth, commissaire du Roi. - Il me semble que M. Fallon s’est mépris sur l’origine des dépôts de mendicité ; il faut remonter à l’époque de leur institution ; ils portaient anciennement le nom de maison de répression, conformément à la loi du 15 octobre 1793. Avant les dépôts de mendicité, il existait des bureaux de bienfaisance et des hospices. Le gouvernement, semble-t-il, s’apercevant que certaines municipalités négligeaient de secourir les indigents, comme la loi leur en faisait une obligation, on a établi des dépôts où les agents de la force publique conduisent ceux qui sont trouvés à mendier sur les chemins. Voilà l’origine des dépôts de mendicité, qui ne sont que de véritables succursales des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Qu’arriverait-il maintenant si l’on venait à les supprimer ? Des indigents qui s’y trouvent, les uns retourneraient dans les hospices, les autres retourneraient dans leurs foyers, et tomberaient ainsi à la charge des bureaux de bienfaisance. Vous le voyez donc, c’est aux communes qu’il appartient de secourir les indigents. Si l’on n’a pas établi dans chaque localité un dépôt pour les mendiants de la commune, ç’a été pour éviter les frais d’un personnel d’employés disséminés dans un grand nombre d’établissements.
M. Fallon vous a dit que l’Etat devait coopérer à l’entretien des établissements dont il s’agit. Cette doctrine n’est pas clairement établie, comme il le prétend, par le décret de 1808. Ce décret ne parle que des frais de premier établissement, mais il ne crée pas une charge continue pour l’Etat. D’ailleurs, un de ses articles stipule formellement que la dépense sera à la charge des communes.
J’ai à répondre maintenant au reproche qui a été adressé par M. Liedts relativement au déplorable état de fainéantise dans lequel croupissent les détenus. L’honorable membre, pour remédier à ce vice des choses, voudrait que le gouvernement intervînt pour une partie des frais des maisons de mendicité : le but de cette proposition c’est de créer les moyens d’établir des ateliers, afin d’alimenter le travail des détenus ; c’est précisément là le moyen proposé dans le projet du gouvernement. Il désire pouvoir coopérer à cette alimentation, soit par une subvention une fois donnée, soit par une somme annuelle. C’est ainsi qu’il fait déjà donner l’instruction aux jeunes détenus, en payant les instituteurs sur les fonds destinés à l’encouragement de l’instruction publique.
Quant à l’inconvénient signalé par M. d’Hoffschmidt relativement à l’admission des mendiants valides, c’est là une difficulté qu’il sera possible au gouvernement de résoudre par des règlements d’exécution.
Je dois ajouter quelques mots en réponse aux reproches qui ont été faits par la régence de Mons. Voici ce que dit la régence de cette ville : « Le gouvernement a reculé devant les poursuites judiciaires. »
Si vous adoptiez ce principe, les procédures se multiplieraient à l’infini, les refus des communes n’auraient plus de bornes, et bientôt nous verrions se réaliser l’hypothèse présentée par M. de Barante, lorsqu’il s’agissait de l’organisation municipale en France. Voici comment il s’exprimait :
« D’ailleurs, quel désordre dans l’administration locale si, tout en se renfermant dans ses attributions, elle marchait dans un sens inverse de l’administration générale ! Quelle que doive être l’indépendance locale, par combien de points le gouvernement de l’Etat est en contact nécessaire avec les autorités locales ! Conçoit-on par exemple ce qui arriverait, si les communes et les départements, se mettant en opposition avec la législature et le ministère, cessaient de voter des fonds pour l’instruction publique ou quelque autre branche de l’administration générale ? Nous avons été fort préoccupés par la nécessité de ne pas établir une lutte semblable, de ne point faire des conseils locaux une sorte de tribunal d’appel, où pourraient recourir les opinions vaincues dans la sphère législative. »
Et, messieurs c’est ce qui arriverait, c’est ce qui est même arrivé. La ville de Namur refuse de faire les fonds pour les insensés, pour les enfants trouvés. Le croiriez-vous ? C’est uniquement au moyen des taxes sur les chiens que l’on pourvoir dans la province de Namur à la dépense des enfants trouvés. N’est-ce pas là une parcimonie révoltante ?
M. de Robaulx. - Eh ! mais, dans mon pays, ce sont les vaches qui nourrissent les paysans. (On rit.)
M. Brabant. - Ce que vient de dire le préopinant ne regarde pas la ville de Namur. Il n’y a pas là de taxe sur les chiens.
M. Doignon. - Messieurs, le ministre nous a annoncé, dans son exposé des motifs du projet de loi en discussion, que le refus de plusieurs communes, et nommément des villes de Mons et de Namur, rendait nécessaires les dispositions législatives par lui proposées. Nous regrettons que M. le ministre, dans son exposé, n’ait point particulièrement rencontré le principal argument sur lequel ces administrations fondent leur refus, argument tiré de l’article 110 de la constitution, qui déclare « qu’aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal, » et de l’article 138 statuant qu’ « à compter du jour où la constitution sera exécutoire, toutes les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés. » Le même article 110 ajoute : « La loi détermine les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité relativement aux impositions communales. » Mais, disent les communes, ces exceptions ne peuvent concerner que l’imposition, c’est-à-dire l’impôt ou la contribution qu’il s’agit d’élever sur la commune pour acquitter une charge de la communauté ; et dès qu’il est question de créer une charge ou une dépense, le vote du conseil est indispensable. En tout cas, disent ces administrations, cette loi exceptionnelle ne pourrait avoir d’effet rétroactif.
Notre constitution, messieurs, en décrétant que toute charge, toute imposition communale doit être votée par les conseils municipaux, a accordé aux communes une nouvelle franchise dont ces corps doivent naturellement se montrer jaloux, et que notre devoir est de mettre à l’abri de toute atteinte de la part du pouvoir.
Mais nous croyons que c’est à tort que ces administrations invoquent ici l’article 110 de la constitution pour se refuser au remboursement des frais de nourriture et d’entretien des indigents, mendiants et vagabonds, reclus aux dépôts de mendicité. En effet, ces frais d’entretien sont bien moins une charge telle que le prévoit cet article 110, que l’une de ces dettes qui, par leur nature, se contractent sans consentement formel et naissent de certains faits, quelquefois même involontaires.
La communauté des habitants considérée comme personne civile, est soumise comme toute autre aux règles du droit commun, relatives à la formation des contrats et des engagements ; or, il est une espèce d’engagements qui se forment sans qu’il intervienne aucun consentement exprès de la part de celui qui se trouve obligé, article 1370 du code civil. Ils résultent encore des quasi-contrats, des délits ou quasi-délits. Eh bien ! le vote du conseil municipal n’est évidemment pas nécessaire pour obliger la communauté en pareil cas.
Par exemple, il arrive que par un fait quelconque elle porte préjudice à un particulier, elle se refuse à le réparer, et celui-ci la fait condamner définitivement au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts ; personne ne contestera qu’elle y est tenue, bien que tout le conseil ait refusé ou refuse encore de payer cette créance. Cette dette, qui est la suite du contrat judiciaire formé contre le gré même de l’administration, n’en est pas moins une charge législativement due par la commune, et devra figurer dans son budget.
Une loi met à la charge des communes les dommages-intérêts résultant des pillages commis à égard de leurs habitants ou même d’un étranger. Cette obligation dérive également d’un fait que le législateur présume avoir pu être empêché par l’administration locale ou la communauté, et il n’est venu dans l’esprit de personne de prétendre que le conseil municipal devait donner son assentiment à une semblable dette ou charge. C’eût été placer les communes hors du droit commun et créer en leur faveur un nouveau code pour leurs contrats et obligations.
Or, l’engagement des administrations communales envers les dépôts de mendicité est de la nature de ceux dont nous venons de parler.Toutes les communes savent que la mendicité et le vagabondage sont des délits prévus par le code pénal, et toutes connaissent qu’ils ont pour conséquence le placement de ces individus aux dépôts de mendicité. Leur obligation dans l’espèce a donc pour cause le fait de la mendicité qu’elles ont toléré dans leur commune, et leur devoir était de chercher à éviter par les secours à domicile auxquels elles sont tenues envers les indigents, ou au moyen de leurs hospices et autres établissements de charité. Il est d’autant plus juste que la commune répare le dommage résultant de ces délits pour la province ou l’Etat, que c’est à son acquit que ceux-ci fournissent des aliments à ses habitants, et que la communauté s’enrichirait à leurs dépens si elle n’était pas tenue de les indemniser.
Ainsi l’engagement de la commune provient véritablement d’un fait dommageable qu’aux yeux des législateurs une administration sage et prévoyante aurait pu prévenir, et qui certainement est étranger à la province et à l’Etat comme à la volonté du législateur. On ne peut donc pas dire dans l’espèce que ceux-ci établissent de leur chef une charge sans le consentement du conseil municipal ; que ce conseil veuille ou non, le fait qui en droit comme en équité donne naissance à son engagement n’en subsiste pas moins.
Par conséquent, aussi longtemps qu’il ne sera apporté aucun changement à la législation actuelle, qui considère comme délit la mendicité et met à la disposition du gouvernement les individus qui s’en rendent coupables, les administrations sont et demeurent véritablement obligées au paiement des frais d’entretien de leurs mendiants ou vagabonds.
Si la dépense qu’elles sont tenues de rembourser excède quelquefois celle qu’elles auraient dû faire en donnant chez elles aux mêmes individus des secours à domicile, elles ne doivent attribuer ce surcroît de charge qu’aux délits commis dans la commune et dont elles ne pouvaient ignorer toutes les suites.
A l’égard des indigents qui sont reçus aux dépôts de mendicité sur leur demande, on peut dire qu’il y a toujours acquiescement de la part des administrations ; car on ne les admet qu’après avoir consulté, sur leur position nécessiteuse, l’autorité à qui il est et doit être libre d’arrêter les effets de cette demande, en leur procurant des secours à domicile. Si une administration refusait l’entrée du dépôt à un habitant sous prétexte qu’il n’est pas indigent, et lui refusait en même temps des secours à domicile, ce malheureux se trouvera forcé de mendier, et, envoyé au dépôt de mendicité, il tombera de même à la charge de la commune.
L’article 110 de la constitution étant donc sans aucune application au cas actuel, puisqu’il ne peut y être question de charges ou dettes résultant de faits dommageables à l’égard des tiers, il devient superflu d’examiner aujourd’hui l’interprétation donnée par ces administrations au dernier paragraphe de cet article, relatif aux exceptions que la loi peut porter à la règle générale qu’aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil.
Si l’on ne consulte que le texte de ce paragraphe, ces exceptions devraient être restreintes aux impositions proprement dites ; les impositions qui le précèdent font en effet une distinction entre ce qu’on appelle charge et ce qu’on appelle imposition. Ces deux choses sont tout à fait différentes : l’une est la dépense, l’autre est la voie ou le moyen de l’acquitter. Or, le législateur du congrès a formellement limité ces exceptions aux cas d’imposition. L’expression « imposition » est employée dans le même sens aux articles 133, 135 et 137 du projet de loi sur l’organisation communale ; l’article 157 de l’ancienne loi fondamentale portait la même distinction, et en en rapprochant les diverses dispositions de ce paragraphe de l’article 110 de notre constitution, on remarque qu’effectivement notre législation a pu y trouver des raisons très plausibles pour autoriser des exceptions relativement aux impositions de la commune.
Mais ce n’est point le moment de débattre cette question ; cette discussion trouvera sa place lors de l’examen du projet de loi communale. Les communes peuvent compter sur la sollicitude de la chambre pour le maintien de leurs droits constitutionnels.
S’il était vrai néanmoins, comme plusieurs le disent, que des communes refuseraient le paiement des pensions de leurs mendiants, par ce motif qu’il y aurait dans quelques dépôts de mendicité la plus mauvaise administration ; que ces malheureux, au lieu d’y trouver la vie, n’y trouveraient au contraire qu’une plus grande misère, la corruption, et la mort peut-être ; dans ce cas, on ne peut disconvenir que leur refus est légitime. L’établissement ne remplissant point ses engagements, la commune n’est pas tenue d’exécuter les siens à son égard.
La destination des dépôts de mendicité n’est pas seulement de pourvoir aux besoins physiques, mais principalement d’améliorer le moral des indigents. Si donc l’administration y était telle que les mœurs y seraient empoisonnées ; si la religion, qui fait la consolation et la force de l’homme, était oubliée, et qu’on ne lui offrît dans ces maisons qu’une existence semblable à celle de la brute, le but de leur institution serait absolument manqué ; elles ne seraient plus, dans ce cas, des asiles pour le malheureux, mais des maisons à fuir ; et dès lors les administrations seraient dans leur droit, lorsqu’elles s’opposent au paiement des pensions. S’il en était ainsi, il appartiendrait à l’administration provinciale et au gouvernement d’interposer leur autorité entre ces établissements et les communes, à l’effet de prendre aussitôt toutes les mesures convenables pour faire cesser les justes plaintes de ces administrations.
Les administrations seraient pareillement fondées dans leur refus, quant aux indigents qui seraient détenus dans ces dépôts sans aucun jugement préalable ; on aurait même commis à leur égard un attentat à la liberté individuelle.
Nous reconnaissons au surplus qu’une réforme est indispensable à la législation actuelle sur la mendicité, et nous l’appelons aussi de tous nos vœux.
M. Brabant. - Si M. l’administrateur des bureaux de bienfaisance connaît aussi bien les dépôts de mendicité que les taxes de la ville de Namur, je suis persuadé qu’il ne tardera pas à porter remède aux abus de ces établissements.
Mon honorable collègue, M. Liedts, vous a déjà appris dans quel état il avait trouvé ces dépôts ; il vous les a dépeints comme des cloaques impurs où se rendent tous les vices. L’administration y laisse croupir dans l’oisiveté un grand nombre de fainéants qui avaient des ressources ailleurs. J’ai sous les yeux un arrêté de 1829, rendu à la sollicitation de l’ancien conseil de régence de Namur. Voici les faits qu’il me révèle : Quatre individus, jouissant d’une pension de 200 florins chacun, ont aliéné cette pension pour se livrer à leurs ignobles penchants, à l’ivrognerie, à la débauche ; après avoir anéanti la ressource qu’ils s’étaient procurée par la vente, ils se sont rendus au dépôt de mendicité ; là ils ont été couchés, nourris, hébergés, et jamais l’administration n’a pu rentrer dans les frais que lui avait imposés la mauvaise conduite de ces hommes, au moyen des ressources qu’ils avaient acquises à une époque où ils avaient plus de conduite et d’honneur (ils avaient été soldats).
Mais il y a ici une question : qu’a voulu par son article 110, cette constitution dont toutes les dispositions ont été prises en présence des abus qui avaient rendu la révolution nécessaire ? Elle a voulu que les provinces ni les communes, sur lesquelles on disséminait autrefois les charges toujours croissantes pour en dissimuler le fardeau, ne fussent plus à l’avenir arbitrairement imposées. Aussi un de ses articles stipulait-il d’abord qu’aucune charge ne pourra plus être établie que par le conseil communal ou provincial. Ce n’est que dans la séance publique où cette partie de la constitution fut discutée que M. Legrelle proposa la modification qui a été faite au dernier paragraphe de cet article, et dont on vous a déjà parlé.
J’ai cherché dans les journaux les motifs qui l’ont fait adopter ; je ne les y ai pas trouvés ; mais je crois me rappeler que la chambre l’a admise dans la prévision du cas où un jugement viendrait à être prononcé contre une commune, et à ne pas pouvoir être exécuté, parce que les communes n’ont aucun bien saisissable ; alors l’imposition établie par la loi constitue le gage saisissable sur lequel peut s’exécuter le jugement rendu.
On a dit que le conseil communal, pouvant empêcher le délit de mendicité, dès lors c’était sur lui que devait en retomber la conséquence. Si le conseil municipal pouvait prendre des arrêtés pour forcer tous les individus valides au travail, je dirais comme vous qu’il est responsable des mauvais effets de sa négligence en ne prenant une pareille mesure ; mais il n’en est pas ainsi, et des lors il ne répond de rien.
Enfin, messieurs, si vous approuvez l’arrête qui a été pris par une commune, et par lequel il est fait défense à tout individu ne jouissant pas d’un revenu de 300 florins de venir s’y établir ; si vous autorisez les communes à prendre des arrêtés pareils,, et si vous les convertissez en loi, alors je consentirai facilement à leur faire supporter les charges des dépôts de mendicité.
Mais jusque-là, et comme je soutiens qu’il ne dépend en aucune manière des communes de faire cesser la mendicité, tous les raisonnements qu’on a faits à cet égard portent à faux.
Puisque la commune dont je préside le conseil a partagé avec la ville de Mons l’honneur d’être citée, il est de mon devoir de présenter, en terminant, quelques mots de justification. Nous avons continué à payer jusqu’au 1er avril les fonds nécessaires ; plusieurs fois nous avons averti le gouvernement que nous cesserions de satisfaire à ce qu’il appelle nos obligations, s’il ne prenait pas des mesures dans le but de mettre les dépôts en meilleur état.
Il nous répugnait en effet, messieurs, d’allouer annuellement 24 mille francs pour 250 fainéants, lorsque la ville n’en pouvait allouer plus de 4 mille pour les bureaux de bienfaisance, et plus de 5 mille pour des vieillards et des enfants abandonnés. Il nous était pénible enfin de payer chèrement l’administration et la bureaucratie pour voir les dépôts de mendicité en un si pitoyable état que l’était celui de Namur.
(Moniteur belge n°218, du 6 août 1833) M. Jullien. - Il est à regretter que le projet de loi qui soulève dans cette enceinte tant de questions graves de fait et de droit, n’ait pas été livré depuis quelques semaines au public. Par ce moyen nous aurions pu recueillir les observations de l’administration des provinces et des communes, et celles de la presse qui éclaire toujours ; au lieu de cela il a été imprimé seulement hier au Moniteur, et ce n’est qu’aujourd’hui que nous avons pu lire les observations judicieuses de la régence de Mons sur lesquelles on doit appeler l’attention de tous ceux qui sont pénétrés de l’importance du projet qui nous est soumis. Quoi qu’il en soit, puisque la discussion est commencée, je soumettrai quelques observations à la chambre.
Lorsqu’une association se forme, surtout une association de communes, son premier intérêt est le bien de tous ses membres, non seulement sous le rapport de la charité chrétienne, mais encore sous le rapport de la police et de l’ordre public. En effet, lorsque les membres sont exposés à périr de misère, ils cherchent une ressource dans le désordre et dans les crimes, et toute l’association en souffre. C’est cette pensée qui a donné naissance aux dépôts de mendicité, aux établissements de secours enfin, quel que soit le nom qu’ils portent. Mais faut-il conclure de ce qui précède que la charité des habitants doive suivre l’indigent partout où il lui plaît de porter son vagabondage ?
Non, messieurs, je ne le crois pas ; dès que l’indigent quitte la commune, la commune ne lui doit plus rien ; lorsqu’il reste au milieu d’eux, ils doivent surveiller sa situation, suivre les progrès de sa misère et le secourir : voilà comment on a entendu les lois de la bienfaisance. Il faut en restreindre l’action dans la sphère de la commune. Mais lorsqu’un indigent a commis un délit, il prend un autre caractère ; ce n’est plus alors qu’un coupable, et c’est à l’Etat qui le condamne à le nourrir. Je vous le demande, en effet, quelle différence y a t-il entre un homme condamné pour vagabondage et un homme condamné pour vol ? Tous les deux ils ont enfreint les lois de la société ; ils sont enfermés dans une prison publique, et l’Etat doit la nourriture à celui qui a été condamné pour vagabondage comme à tous les autres prisonniers.
L’Etat lui doit l’entretien dans le lieu où le jugement de répression l’a jeté.
Pour me résumer, messieurs, la commune doit nourrir l’indigent lorsqu’il reste au milieu de l’association ; dès qu’il l’abandonne, elle ne lui doit plus rien. C’est là une distinction que la chambre approuve sans doute, parce qu’elle est dans la nature des choses ; aussi voyons-nous que ce n’est pas le principe qui est contesté, mais son application.
Il s’est présente une autre difficulté, c’est la rétroactivité de la loi ; car si je ne suis pas d’accord avec M. Ernst sur les charges des communes, je professe avec lui le principe que jamais la rétroactivité d’une loi n’est admissible ; on ne peut ouvrir le code sans y lire cette maxime. Maintenant, le projet vous dit que les communes seront forcées à payer l’arriéré. Mais le rédacteur n’a pas fait attention qu’il lui serait impossible d’arriver à ce but ; et en effet, on dira bien aux communes de payer l’arriéré, mais elles nieront qu’elles doivent, et de cette manière, la question se renouvellera sous une face nouvelle.
Il me semble que les prétentions du ministre ont été victorieusement repoussées par l’article 110 de la constitution, qui ne permet pas de faire une loi pour faite payer un arriéré. Ainsi donc, en votant une disposition qui consacre la rétroactivité d’une loi, vous tomberiez dans une illégalité, et de plus, vous inséreriez une disposition parfaitement inutile, puisqu’elle laisserait subsister la question.
Une autre imperfection notable que renferme la loi, c’est celle que la section centrale y a introduite, lorsqu’elle a à faire de la générosité et de la philanthropie en appelant tous les mendiants à se présenter de bonne volonté, et en forçant les dépôts à les recevoir. Sous ce rapport, je préfère le projet dans sa pureté native au projet amendé. On a dit : Nous faisons un appel aux mendiants de se rendre dans les dépôts, et ce n’est qu’après cette déclaration et sur leur refus qu’on pourra les poursuivre devant les tribunaux. Et, partant de ce principe philanthropique, on prétend qu’il est juste de leur ouvrir les dépôts puisqu’on les condamne s’ils n’y vont pas.
C’était juste, en effet, lorsqu’il s’est agi de la première population de ces dépôts. Alors il y avait équité à dire aux mendiants : Vous prétextez que vous ne pouvez pas vivre ; eh bien, voici des dépôts qui vous sont ouverts. Là, vous aurez du travail et du pain. C’était justice alors. Mais aujourd’hui qu’adviendra-t-il si vous adoptez la loi ? Les dépôts deviendront les hôtelleries de la mendicité et du vagabondage. C’est là que viendront se rendre tous les indigents, des extrémités du royaume. Les pères de famille y conduiront leur femme et leurs enfants, en disant : Recevez-les, ce sont les indigents. Les vagabonds, de leur côté, s’y donneront rendez-vous, et s’y feront héberger aussi longtemps qu’il leur plaira. Puis, lorsqu’il faudra faire payer la dépense par la commune et reconnaître le domicile des indigents, alors naîtront les difficultés. Car c’est toujours là qu’elles surgissent.
Tous ces inconvénients doivent engager le ministère à mûrir son projet, et puisqu’il ne s’agit que de recouvrer un arriéré, c’est à lui à s’arranger de manière à persuader aux communes qu’elles doivent payer ; et dans l’intervalle il pourra méditer quelque chose de passable et nous le proposer, car le projet tel qu’il est conçu actuellement est archi-mauvais. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je voterai contre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, on reproche au ministère d’avoir mis de la précipitation dans la préparation et dans la présentation du projet de loi sur lequel vous êtes appelés à statuer. Ce projet n’est pourtant pas sorti des cartons ministériels tel qu’il avait été primitivement établi ; il a été soumis pendant plusieurs mois à l’examen des députations des provinces, dont l’un des préopinants invoquait tantôt les renseignements ; elles en ont fait l’objet d’un examen long et approfondi ; il y a eu ensuite un remaniement du projet, qui s’est ainsi trouvé modifié dans le sens de la majorité des opinions émises par ces corps.
Le ministère était d’ailleurs pressé par les circonstances, Plusieurs localités importantes avaient résisté aux demandes de l’administration provinciale et entravaient le gouvernement dans le recouvrement des frais d’entretien des dépôts de mendicité. En face d’une nécessité immédiate, il fallait bien, en attendant la loi communale, qui est le siège naturel de cette question, pourvoir à la lacune qui se manifestait dans le service des dépôts, par la résistance des localités dont il s’agit.
Malgré l’urgence, nous avons voulu nous environner des lumières de l’expérience, et nous avons consulté les députations des provinces qui ont en cette matière une compétence fondée sur la connaissance et une longue pratique des faits.
Un des honorables préopinants a signalé le projet comme portant atteinte à la liberté individuelle. Mais au contraire, il tend à faire disparaître certaines dispositions restrictives de cette liberté, adoptées sous ancien gouvernement. Nous n’avons pas cru que les dispositions du décret de 1808 et les arrêtés de l’ancien gouvernement pussent, sous ce rapport, être encore tolérés en présence du code pénal de 1810 ; et à cet égard le projet ne renferme rien d’analogue.
Il fait disparaître, au contraire, les atteintes portées à la liberté individuelle par le décret impérial et par les arrêtes du roi Guillaume. Mais nous avions porté les scrupules plus loin. Nous avions stipulé que les dépôts ne seraient ouverts aux mendiants déclarés tels par jugement, que lorsque ces mendiants seraient invalides ou infirmes. Par là, nous prévenions la possibilité des abus signalés par l’honorable membre. Nous avions pensé aussi qu’en laissant à tous un trop libre accès dans ces dépôts, ce serait accorder une sorte de prime au vagabondage et à la fainéantise.
Mais la section centrale n’a pas cru devoir s’arrêter devant ces scrupules, et nous avons fini par penser comme elle, en reconnaissant qu’il serait toujours facile au gouvernement de prévenir tout abus, par des mesures d’exécution ; il nous a semblé possible, par exemple, d’atteindre le but de notre projet en consultant, préalablement à l’admission, les communes où les mendiants qui se présenteraient ont leur domicile de secours.
On se fonde, pour légitimer la résistance de certaines localités, sur l’état déplorable où se trouvent les dépôts. Le gouvernement ne conteste pas ce fait ; il reconnaît qu’il y a beaucoup à faire pour l’amélioration des dépôts de mendicité ; mais il ne peut rien si les fonds nécessaires ne sont pas assurés. Il n’a sur ce point qu’un même vœu à former avec la législature, les provinces et les communes.
Il désire faite pour les dépôts ce qu’il a déjà heureusement fait pour les prisons ; il n’est personne qui ne sache combien le régime des prisons a été heureusement modifié. Il tenterait les mêmes améliorations si un subside annuel lui était assuré à la charge de rendre un compte périodique détaillé de ses travaux.
Déjà, autant qu’il l’a pu, il a nommé, à l’instar de ce qui se fait pour les prisons, des aumôniers et des instituteurs dans les dépôts.
Mais, comment voudrait-on qu’il réalisât la moindre amélioration, en présence de deux opinions absolues comme celles qu’on lui oppose ? En effet, d’après la section centrale, l’Etat ne doit rien payer pour l’entretien des dépôts et, si l’on écoute le préopinant, on n’a pas le droit de mettre ces dépenses à la charge soit des communes, soit des provinces. Eh bien ! si ces opinions triomphent, il en résultera que personne ne doit payer ; qu’alors les mendiants reflueront des dépôts dans les différentes localités auxquelles ils appartiennent ; car, certes, le gouvernement aura bien le droit de veiller à ce que chaque commune reçoive les mendiants qui lui appartiennent.
Je ne pense pas que l’on puisse tirer de l’article 110 la conséquence qui en a été déduite. Déjà, vous avez entendu à ce sujet l’argument de MM. Liedts et Doignon ; ils ont laissé peu de chose à dire sur ce point. Il est impossible, en effet, de donner à cet article le sens que semble lui prêter le dernier paragraphe. M. Fallon a prétendu que pour que cet article signifiât ce que nous voulons lui faire dire, l’article aurait dû s’arrêter à ces mots : « démontrera la nécessité ».
Mais l’honorable membre n’a pas fait attention qu’alors l’exception eût eu une tout autre portée. En effet, messieurs, elle eût été applicable aux trois premiers paragraphes, et il en résulterait aujourd’hui cette conséquence que la législature aurait eu le droit d’autoriser, dans des cas exceptionnels, le pouvoir exécutif à créer, à lui seul, des impôts au profit de l’Etat. Voila pourquoi le paragraphe ne s’est pas arrêté à ces mots. Maintenant, si vous admettez que parce que les mots impositions et charges n’ont pas été répétés dans le dernier paragraphe, les impositions seules peuvent être créées d’office, vous arrivez à cette conséquence absurde qu’aucune loi ne pourra désormais imposer aux communes les dépenses nécessaires pour l’instruction publique, pour la garde civique et les conseils de discipline de cette garde, pour les prisons, etc.
Chaque fois qu’une commune contestera la légalité d’une charge, comment fera-t-on cesser le conflit ? Avec le droit d’imposition ? Mais la commune pourra dire : Vous n’avez aucune raison de m’imposer, car si je voulais payer, mes voies et moyens suffiraient à acquitter ma dette ; ce ne sont pas les ressources qui me manquent, c’est la dépense que je refuse d’allouer au budget. Je dis qu’une pareille interprétation de l’article 110 de la constitution mène à l’anarchie, et détruit de fond en comble le système des charges communales, tel qu’il existe depuis 40 ans. On ferait ainsi retomber presque toutes les charges des communes et des provinces (car l’argument est aussi bon pour les provinces que pour les communes) sur la caisse de l’Etat.
Remarquez d’ailleurs qu’il s’est établi un quasi-contrat entre la province, la commune et l’Etat, par le vote périodique et législatif des centimes additionnels. Ce vote leur est acquis à condition qu’elles satisferont aux dépenses qui leur sont imposées par la loi. On autorise les provinces à demander aussi des centimes additionnels qui sont vote législativement et dont le recouvrement y a lieu, avec le principal, par les agents du fisc, parce qu’à côté de cet avantage existe pour elles l’obligation de payer les charges légalement établies.
On a mal interprété le code pénal lorsqu’on a dit qu’il était irrationnel d’établir ici une exception et de faire supporter aux communes la répression d’un délit, quand la répression générale des délits incombait à l’Etat. Il faut distinguer ici : la mendicité est, il est vrai, un délit puni par une détention correctionnelle. Les frais de la poursuite et de la détention tombent à charge de l’Etat. Mais une fois la détention terminée et la pénalité accomplie, tout n’est pas fini : il y a des mesures à prendre qui tendent, non pas à la répression du fait particulier, mais à la prévention de l’abus en général. On enferme le mendiant à peu près comme on enferme l’insensé.
Ce sont là, non des peines proprement dites, mais des mesures administratives. Comment la mendicité sera-t-elle extirpée ? Le gouvernement exigera-t-il la création d’un hospice dans chaque localité, ou bien, pour éviter les frais nécessités par la multiplicité de ces établissements, veillera-t il à ce qu’on ouvre un établissement central, un dépôt de mendicité provincial, enfin, pour n’avoir que les frais d’une administration unique, dans une localité unique, avec un personnel unique ? C’est là une question tout administrative, indépendante de la question de pénalité.
Quant au point de savoir si, en bonne administration, ces dépôts doivent être entretenus, au moins en partie, par les communes, il a été décidé par l’expérience ; dès longtemps cette question a été agitée et résolue dans ce sens. C’est l’esprit de toutes les législations que nous avons passées en revue dans cette séance
M. Fleussu. - Vous vous étonnerez sans doute, messieurs, après tous les vices qui ont été reprochés au projet de loi soumis en ce moment à votre examen, que ce projet soit le résultat de consultations et d’avis délibérés des députations permanentes des conseils provinciaux ; vous vous étonnerez sans doute encore qu’après s’être entouré de tant de renseignements, le ministère se borne à ne vous présenter qu’une loi tout à fait transitoire, qu’un lambeau de législation sur ce point. Il est à regretter qu’il ne sente pas davantage ses forces, qu’il ne marche point d’un pas plus certain, et enfin qu’il n’atteigne pas plus franchement le but qu’il se propose.
Ce projet transitoire n’obtiendra pas non plus mon assentiment. Trop de raisons s’y opposent. D’abord je repousse le principe de la loi et je ne puis en admettre les détails.
Je cherche vainement quel peut être le fondement des dispositions du projet. Depuis que la discussion est ouverte, et voilà bientôt trois heures, on nous a parlé d’un principe comme reconnu et moi je demande encore à le voir. On nous a entretenus de beaucoup de lois, ou plutôt d’arriérés faits dans la supposition d’un principe ; mais le principe lui-même, produisez la loi qui le consacre. Voilà ce que je réclame avant tout. Eh bien ce principe, qu’on a dit déposé dans toutes les dispositions législatives, à partir de la constituante, je ne le trouve nulle part ; et pourtant, avant de faire une loi fondée sur un principe, il faudrait que ce principe existât réellement. J’aurai peut-être tantôt l’occasion de vous démontrer ce qui vous a induits en erreur à cet égard.
J’ai bien vu des dispositions qui ont fait supposer que les indigents avaient un domicile de secours. Partant de ce principe, on peut arriver à la conséquence, mais par voie d’induction, que des secours leur sont assurés. Mais ce principe n’est établi nulle part dans la loi. D’un autre côté, parce que les pauvres ont un domicile de secours, s’ensuit-il que quand ils l’ont quitté, ils peuvent dépouiller ceux qui ont le même droit qu’eux pour se faire nourrir dans un dépôt de mendicité ? N’étendez-vous pas beaucoup trop loin le système que vous cherchez à établir ?
On trouve partout des dispositions qui disent que les communes doivent venir au secours des hospices et des bureaux de bienfaisance. Mais de ce que les communes doivent assister les bureaux de bienfaisance et les hospices, résulte-t-il qu’elles doivent subvenir aux frais des dépôts de mendicité ? je ne le pense pas, et la raison en est sensible, car la différence est grande. En assistant les bureaux de bienfaisance et les hospices, elles viennent au secours des indigents qui leur appartiennent, tandis qu’en assistant les dépôts de mendicité, ils secourent des pauvres qui leur sont en quelque sorte devenus étrangers.
Et pourquoi voulez-vous obliger la commune à faire face aux frais des dépôts de mendicité ? Parce qu’un de ses habitants aura contrevenu aux lois répressives de la mendicité ; mais comme on l’a fort bien dit, une commune ne peut être responsable d’un délit commis par un de ses habitants. Si elle est responsable de ce délit, alors vous ne poussez pas assez loin votre système, car vous devez lui faire supporter également les frais de poursuite. Non, dites-vous, il faut faire une distinction. Il y a d’abord le temps de l’emprisonnement et cela regarde l’Etat, mais après ce n’est plus qu’une mesure d’administration. Eh quoi ! en vertu d’une mesure d’administration vous pourrez retenir un individu dans un dépôt de mendicité ? N’attentez-vous pas à sa liberté ?
Qu’importe que la loi inflige deux peines, l’une très sévère et l’autre un peu plus relâchée. Ce n’en est pas moins à cause de la peine prononcée à la suite d’un délit que vous retenez cet individu. C’est donc pour avoir contrevenu aux lois sur la mendicité qu’il reste sous le poids d’une mesure préventive, et vous voulez en rendre la commune responsable. Voilà le fondement de votre système, dont le principe, vous le voyez, est combattu par les conséquences.
Mais j’admettrai même votre système, et je vous dirai dans ce cas que les dépôts de mendicité sont organisés dans l’intérêt général. C’est une mesure tout à la fois répressive et préventive, qui a pour but d’empêcher que des hommes oisifs ne se livrent de nouveau à la mendicité et ne troublent ainsi le repos de la société.
C’est dans ce sens que M. le commissaire du Roi a fait observer qu’il n’y avait pas longtemps que ces établissements portaient ce nom. Autrefois on les appelait maisons de répression. Or, il est bien évident que c’est pour avoir violé la loi qu’on se trouve dans une maison de répression.
On a ajouté que les dépôts de mendicité sont des succursales qui viennent au secours des bureaux de bienfaisance et des hospices d’où il résultait une économie. Eh bien, moi je dis que de pareilles succursales seraient leur ruine, car les hospices et les bureaux de bienfaisance peuvent assister six familles indigentes avec les frais que nécessitera un seul individu dans un dépôt de mendicité.
Il ne faut pas, dit-on, laisser propager la mendicité. C’est vrai, mais il ne faut pas non plus commettre d’injustice. Nous ne prétendons pas, comme le prétend M. le ministre de la justice, abandonner les dépôts de mendicité ; mais nous pensons que c’est au gouvernement, à lui seul à en faire les frais. Autrefois cette charge lui incombait, et c’est pour dégrever les budgets qu’on l’a fait peser sur les provinces et les communes. Organisez bien vos dépôts de mendicité, faites-y travailler, et quand les indigents verront que ce n’est pas l’asile de l’oisiveté et de la paresse, et qu’il faut y gagner le pain qu’on y reçoit, ils préféreront le gagner chez eux.
Vous dites que les communes doivent faire en sorte d’arrêter la mendicité, qu’il faut les y intéresser en mettant à leur charge les fonds d’entretien de leurs indigents au dépôt de mendicité. Eh bien, si c’est là votre but, vous ne l’atteignez pas, vous faites tout le contraire. En effet, les autorités communales, pour ne pas obérer leurs communes, laisseront circuler les mendiants. Voila le résultat infaillible de la loi que vous proposez.
Autrefois, je le répète, les dépôts de mendicité étaient aux frais de l’Etat, et lorsque plus tard sous l’empire, on s’est occupé de cet objet, les frais en ont été répartis, sur l’Etat d’abord, puis sur les provinces et sur les communes. Nous faisons nous tout le contraire. Nous suivons le système du gouvernement précédent qui, pour diminuer le chiffre du budget, faisait supporter aux provinces et aux communes le plus de dépenses possible. Voyez comme on va vite et comme on s’écarte ; aujourd’hui ce sont les communes qui sont chargées de ces dépenses. Les provinces n’y figurent qu’accessoirement, et l’Etat finira par en disparaître entièrement. Ce ne sont pourtant pas là des dépenses véritablement communales.
(Ici, l’orateur argumente de l’article 33 du règlement du plat pays, qui, dit-il, est encore en vigueur. Il continue en ces termes :)
Jusqu’à présent je n’ai parlé que du principe de la loi. Je laisse de côté la question constitutionnelle parce que je n’étais pas préparé à la discussion et que mon opinion n’est pas encore formée sur ce point. Mais j’en viens à quelques reproches de détail.
L’honorable représentant qui siège à mon côté a attaqué la disposition de l’article 5, où il a trouve le vice de la rétroactivité. Répondant aux arguments présentés par cet orateur, M. le ministre de la justice a dit : Vous n’avez pas compris la loi. Nous ne demandons pas une loi qui consacre un principe ; ce principe existe. Mais s’il existe, vous n’avez pas besoin de loi nouvelle et s’il n’existe pas, vous ne pouvez faire rétroagir la loi que vous sollicitez. Vous demandez une loi d’exécution en quelque sorte. Mais comme l’a fait observer l’honorable M. Jullien, cette loi est une arme absolument inutile dans vos mains. Vous voudrez exécuter une commune qui fera résistance, et alors s’élèvera une question de débition qui devra être soumise aux tribunaux.
En effet, vous viendrez réclamer des avances que vous aurez faites dans l’intérêt de la commune. Celle-ci vous répondra : Je n’étais pas tenue à cette charge. Alors qui décidera cette question de droit si ce ne sont les tribunaux ?
On nous a dit qu’on avait été d’abord tenté d’agir contre les communes, mais qu’on s’était arrêté par la crainte du scandale d’une action des états députés contre les communes. Eh bien ce scandale existera encore aujourd’hui. Je ne vois dans le projet qu’une disposition qui soit de nature à le faire disparaître.
Il est un autre vice que j’ai cru remarquer dans la loi. Lorsqu’une commune refuse de faire les frais des dépôts de mendicité, on s’adresse aux états provinciaux, et si ces états refusent aussi, c’est le ministre qui par un seul arrêté dit : Vous avez tort et il faut que vous vous exécutiez. C’est là, messieurs, un principe beaucoup trop large et fort dangereux.
Je suppose que l’on réclame contre une commune au sujet d’un individu. La commune répondra : Cet individu n’a jamais eu de domicile chez moi. Les états provinciaux fonderont probablement leur refus sur le même motif. Eh bien ! le ministre, dédaignant les raisons de la commune et de la représentation provinciale, pourra les forcer au paiement. Je ne sais, messieurs, si après toutes les garanties stipulées dans la constitution en faveur des communes, vous voulez accorder de telles prérogatives à un ministre ; mais quant à moi je n’y consentirai pas. Aussi par cette considération et en raison des autres défectuosités dont il a été question, je voterai contre le projet.
M. de Theux. - On ne peut pas laisser les dépôts de mendicité dans l’état où ils sont : ou il faut les supprimer, et rapporter les dispositions du code pénal ; ou en attendant la révision des lois sur la mendicité, vous devez conserver ces dépôts et laisser subsister les articles du code. Dans ce cas, vous devez assurer l’existence des indigents dans les dépôts, sous peine d’une suprême inconséquence.
Qui paiera les frais ? Sera-ce l’Etat ? sera-ce la commune ou la province ? Déclarer que c’est l’Etat, vous ne le pouvez que par une loi ; et alors attendez-vous à voir votre budget grossir d’un quart ou d’un tiers ; car si tous les frais de l’entretien des mendiants sont à la charge de l’Etat, vous verrez les communes laissez languir les établissements qu’elles possèdent, et négliger les secours à domicile. Dès lors, la plaie de la mendicité sera telle que l’Etat sera chargé d’une immensité de mendiants, et se trouvera dans l’impossibilité de faire face à la dépense.
Pourquoi, a dit M. Fallon, le mendiant est-il à la charge de la commune ? Messieurs, toute dépense qui ne peut pas être faite par la généralité, doit se résumer dans la localité ; de là l’existence de la commune. S’il ne doit pas y avoir de dépenses communales, supprimez la commune. Si vous maintenez la commune et les provinces, vous devez reconnaître à ces subdivisions de l’Etat des dépenses et des recettes. Quoi de plus naturel que de laisser à la charge de l’association la plus proche de la famille, c’est-à-dire la commune, les dépenses qu’occasionne un membre malheureux de la famille ?
Mais, dit-on, il n’existe pas de dispositions expresses de loi qui mette l’entretien des mendiants à la charge de la commune : je conviens qu’il n’y a pas un texte précis sur cette matière ; aussi ce n’est que par induction que la section centrale s’est vue portée à adopter le projet du gouvernement.
Elle y a été portée d’autant plus volontiers, que c’est dans ce sens que les choses se sont passées depuis 1819. Pourquoi se sont-elles passées ainsi ? C’est parce que, depuis la législation existante, les secours donnés aux familles malaisées ont toujours été à la charge des communes ; de là on en a conclu que la charge des dépôts de mendicité devait peser aussi sur la commune.
Sans doute que la législature a partagé cette opinion ; car, sans cela, on eut porté au budget de l’Etat des surcharges pour faire face à la dépense des mendiants. Depuis 1808, les dépôts de mendicité sont organisés en Belgique, et jamais ces établissements n’ont été entretenus aux frais de l’Etat.
Le décret du 5 juillet 1808 parle bien de la coopération du gouvernement pour les frais de premier établissement, mais le même décret statue que l’entretien annuel sera à la charge des communes.
Je tiens donc que c’est la force des choses qui nous ramène vers le principe que les communes, profitant des dépôts de mendicité, doivent en supporter les frais à proportion des mendiants qui y sont recueillis.
La plus forte objection que l’on ait alléguée contre le système, c’est la mauvaise organisation de plusieurs dépôts ; mais cette objection tend plutôt à amener la réforme des établissements qu’à détruire le principe de leur existence et du mode de leur entretien par les communes.
S’il était possible d’amener les dépôts de mendicité au point où les devait amener le décret organique, les charges des communes seraient certainement allégées de beaucoup ; car d’après ce décret, les dépôts de mendicité ne devaient pas être des asiles pour la fainéantise, mais des lieux de travail. Les bénéfices faits pas les reclus dégrevaient d’autant les communes. Alors il n’y avait aucune espèce d’inconvénient pour l’admission libre des mendiants dans cet établissement. Si le mendiant était valide, il devait gagner les frais de son entretien ; s’il n’était pas entièrement valide, il devait au moins gagner une partie de son entretien.
Ceci me ramène à l’amendement proposé par la section centrale, c’est-à-dire à l’admission dans les établissements des indigents qui se présentent volontairement. Cette disposition n’est pas une innovation, c’est au contraire le maintien de ce qui existe. Le décret de 1808 est formel ; tous les arrêtés pris depuis sont dans le même sens ; l’arrêté du 12 octobre 1825, l’arrêté du régent du mois de mars 1831, autorisent cette admission ; comment pourrait-on faire un reproche à l’indigent de ce qu’il a mendié si des hospices publics ne lui sont pas ouverts ?
Mais les mendiants pourront grever les communes. Il est vrai qu’en leur refusant l’entrée des dépôts vous éviterez cet inconvénient ; mais le mendiant se fera condamner correctionnellement afin d’arriver au dépôt ; vaut autant éviter la condamnation qui flétrir encore le malheureux. Les communes d’ailleurs ont toujours la liberté de réclamer l’élargissement d’un indigent.
On a parlé de la rétroactivité de la loi ; on a dit qu’il était inouï en législation de donner un effet rétroactif à la loi ; mais d’abord il s’agit bien moins de donner un effet rétroactif à la législation que de lever des doutes existants ; que d’assurer l’exécution de ce que l’on a regardé comme dispositions légales en vigueur.
Nous avons l’exemple d’une mesure semblable prise par la loi du 11 frimaire an VII. Il s’agissait alors de régulariser des dépenses arriérées ; le conseil des cinq cents porta la loi en des termes formels, et déclara que les communes paieraient la dépense de l’année courante et les dépenses de l’an VI et antérieures.
M. le commissaire du Roi a regretté que la section centrale n’ait pas admis une disposition tendant à faire accorder des crédits annuels ou de secours aux dépôts de mendicité ; mais je ferai observer à l’assemblée que, d’après les explications données, il s’agit bien moins de secours annuels que d’obtenir un fonds de premier établissement ; dès lors la résolution de la section centrale ne contrarie en aucune manière les vues du gouvernement. Si le gouvernement peut justifier aux yeux des législateurs la nécessité d’une allocation pour l’organisation fondamentale des dépôts de mendicité, laissant toutefois à la charge des communes l’entretien annuel de ces dépôts, je crois que la législature ne refusera pas le secours.
J’attendrai la discussion des articles pour répondre à d’autres objections de détail qui sans doute seront reproduites. (La clôture ! la clôture ! la clôture !)
M. de Brouckere. - Il y a des questions constitutionnelles à traiter ; je crois que le projet de la section centrale ne blesse pas la constitution ; quoi qu’il en soit, les considérations constitutionnelles sont importantes, et rien n’oblige l’assemblée à clore la discussion.
M. Dubus. - Les questions constitutionnelles viendront sur l’article premier : la discussion des articles amènera la discussion une à une des questions que présente le projet ; alors la chambre pourra les résoudre.
- La chambre ferme la discussion générale.
La discussion des articles est renvoyée à lundi, en séance publique.
La séance est levée à 4 heures.