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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 juin 1833

(Moniteur belge n°175, du 24 juin 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.


M. Olislagers demande un congé ; le congé est accordé.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet d'adresse en réponse au discours du trône

Discussion générale

M. le président. - M. Pirson a la parole pour un fait personnel.

M. Fleussu. - M. le ministre de la justice avait la parole ; il n’a pas terminé.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je me ferai toujours un devoir de la céder quand il s’agira d’un fait personnel.

M. Pirson. - Messieurs, il est des éloges plus injurieux que l’injure même, et c’est pour repousser une injure de ce genre que j’ai demandé la parole après le dernier discours de M. le ministre de la justice.

Dans une précédente séance, M. le ministre de l’intérieur, après avoir développé longuement et fort maladroitement une doctrine de servilisme pour tous les agents du pouvoir, m’a fait l’honneur perfide de me citer pour lui donner du poids ; il ajoutait « que je l’avais parfaitement comprise et très énergiquement résumé sa doctrine, » dans une circulaire que j’ai adressée à mes commettants après la dissolution de la chambre.

J’ai eu tort, messieurs, de ne point demander la parole sur-le-champ ; j’aurais évité à MM. Nothomb et Lebeau, de répéter la même injure. Je ne l’ai point fait, parce que j’étais bien décidé à ne prendre aucune part à la discussion de l’adresse, autrement que par mon vote. Je voulais m’en tenir à mon petit discours d’ouverture, ainsi qualifié par l’Indépendant. Mais se taire quand on a été cité trois fois, ce serait reconnaître la justesse des citations ; je m’y oppose.

Oui, j’ai donné ma démission de commissaire de district, parce qu’il me répugnait d’être obligé, pour remplir mon mandat de député, de combattre un gouvernement qui, selon moi, trompait l’espoir du pays et de rester en même temps l’agent de ce gouvernement.

C’était là, messieurs, une répugnance toute particulière, et qui ne s’étendait point jusqu’à l’idée que tous mes collègues députés, et en même temps fonctionnaires, dussent m’imiter ou être destitués, il en est encore ici que les ministres ne pervertiront point par des menaces de destitution.

M’associer, moi, à la doctrine des Van Maanen aîné et des Van Maanen cadet ! qui oserait répéter encore cette injure ? Ma doctrine, messieurs, c’est celle que vous a développée si nettement l’honorable M. Dubus.

MM. Lebeau et de Muelenaere vous ont fait de très beaux discours sur les prérogatives royales et sur la liberté d’action nécessaire à l’administration. Mais personne ne conteste ces principes. C’est l’abus de ces principes que nous reprochons au ministère. Et ils n’ont rien dit pour se justifier de ce reproche.

Oui, le Roi peut dissoudre la chambre des représentants ; il a usé de sa prérogative. Mais quand il saura que cet acte a eu pour effet d’arrêter la conclusion de tous les travaux législatifs déjà longuement et péniblement élaborés, de paralyser momentanément le commerce des céréales, et de tarir aussi momentanément une des sources des revenus de l’Etat, par l’absence d’une loi sur les distilleries ; quand il saura que cet acte a soulevé de nouveau toutes les passions révolutionnaires et contre-révolutionnaires ; quand il saura que, par une coïncidence peut-être fortuite, mais malheureuse, des troubles sérieux, dont les partis se renvoient réciproquement la cause, ont failli allumer la guerre civile ; quand il saura qu’un grand nombre d’agents du pouvoir, les ministres eux-mêmes, ont compromis le pouvoir au point de faire penser que l’absolutisme avait rêvé l’anéantissement de toutes nos libertés naissantes ; quand il remarquera que le pays a renvoyé à peu près tous les mêmes hommes à la chambre ; quand il se souviendra que ces hommes avaient souscrit à tous les sacrifices possibles pour défendre la Belgique ct consolider son trône, il éprouvera des regrets, il sera affligé. N’importe, il faut lui dire la vérité, si nous voulons le sauver. C’est l’adulation et le mensonge qui perdent les rois.

Vraiment les rôles sont bien changés ? Ne voilà-t-il pas qu’un républicain par principes se met franchement et loyalement à l’œuvre pour soutenir un trône qu’il n’a point contribué à élever, mais autour duquel il s’est rangé par amour pour l’ordre et pour l’affermissement prompt de l’indépendance nationale, tandis que des ministres sans tact ni jugement pourraient être assimilés à des républicains démolisseurs de trônes ?

(Erratum au Moniteur belge n°176, du 25 juin 1833) Vous vous plaignez des abus de la presse, MM. les ministres : hé ! que sont ces abus à côté des abus de la prérogative royale.

Les abbé Rioust, les Libri et autres de même espèce s’avilissent ; qu’importe à la société ? ils sont méprisés et voilà tout. En est-il de même lorsque, par de mauvais conseils ou de fausses mesures, pour ne rien dire de plus, des ministres perdent l’estime et la confiance de la nation ? Le contrecoup n’arrive-t-il pas jusqu’au trône ? Et si les contrecoups se renouvellent, s’ils deviennent de plus en plus violents, révolution ; et puis vous parlez de difficultés que l’on éprouve pour rasseoir la société après une révolution ! Eh ! Croyez-vous y parvenir en reproduisant les causes qui l’ont amenée ?

Je n’en dirai point davantage sur la dissolution.

Disons un mot sur le traité du 21 mai.

Plusieurs orateurs distingués ont mis sous vos yeux, messieurs la balance des avantages matériels qui résultent et pour nous et pour la Hollande de ce traité. L’essentiel pour le roi de Hollande, c’est qu’on ne lui demande plus la reconnaissance de notre indépendance. Les grands événements politiques survenus en Orient ont décidé toutes les puissances à ajourner les affaires hollando-belges. On a formulé un statu quo qui convenait à tout le monde, hors nous. En effet, messieurs, ce sont les cinq grandes puissances qui, on ne sait quand, on ne sait où, prononceront, pour la seconde fois, définitivement sur notre sort. Trois de ces puissances sont décidément pour le roi de Hollande. Oserez-vous dire que les chances de l’avenir sont égales ? Tout notre espoir se fonderait donc maintenant sur de nouvelles révolutions ?

Hé ! quelle situation pour un peuple brave, généreux et loyal ! Nous avons fait nos preuves en révolution et en légalité. Notre révolution n’a été qu’un divorce entre parties violemment conjointes. Nous sommes rentrés au plus tôt dans la légalité. N’avons-nous pas de bonne foi appelé notre roi ? N’est-il pas aussi venu de bonne foi avec l’assentiment des hautes puissances pour terminer l’un et fonder l’autre, la révolution et la légalité ? Si les rois ne soutiennent pas l’honneur du trône belge, qu’ils tremblent pour eux-mêmes. Mais, vaine exclamation prononcée en désespoir de cause ? Il n’est plus temps, messieurs ; on nous a mis en réserve pour figurer plus tard dans un grand partage dont les dots ne sont pas encore fixées. Désarmons, oui, désarmons. Lorsque nous voulions la guerre, elle pouvait amener un résultat favorable ; toutes les chances étaient pour nous à cette époque. Aujourd’hui les dépenses d’un armement hors de proportion seraient de la duperie.

Messieurs, j’avais renoncé pour ma part à toute récrimination au sujet des élections dernières. Mais puisqu’on m’a forcé à prendre la parole, j’en dirai un mot, je serai court. Le gouvernement avait décidé qu’à tout prix, il fallait m’écarter de la représentation nationale. C’est un colporteur d’intrigues du sieur Stassart qui tenait ce langage.

On menaçait non de destituer, mais de ne point porter sur la liste des candidats pour les places de bourgmestre et échevins, tous ceux qui voteraient pour M. Pirson ; d’ailleurs on disait à tous les pères de famille : Ne votez point pour M. Pirson, vous avez des fils et il veut la guerre. Ce n’était pas assez d’un colporteur, il en fallait au moins un second ; le ministre des finances par interim l’a accordé audit sieur Stasssrt en nommant pour vérificateur des poids et mesures un homme sans antécédents administratifs, à moins que quelques mois de travail au bureau du commissaire de district, nommé aussi sans antécédents, valussent des services qu’offraient plusieurs candidats.

A cette nomination se rattachent d’autres circonstances graves, un déni de justice de la part de ce ministre par intérim. Je reviendrai là-dessus lorsqu’il sera question de son budget ou du crédit qu’il a demandé pour la caisse de retraite à laquelle il a, lui, je crois, des droits incontestables.

Comment se fait-il, MM. les ministres du jour, qu’après avoir mystifié l’ex-ministre de Theux, qui, dites-vous, n’a pu parvenir à composer un ministère pour vous remplacer, comment se fait-il, dis-je, que vous n’ayez encore pu trouver à vous associer définitivement un ministre des finances ? Je crois à la vérité que l’intérimaire vous convient beaucoup par sa nullité et sa faiblesse, je ne crains pas d’être démenti. Toutefois je déclare, en terminant, qu’aujourd’hui pas plus qu’à l’occasion du budget de la guerre, je n’ai l’intention de renverser le ministère actuel. Peu m’importe qui soit là, à la dissolution générale, qui ramassera les débris de la nationalité ; j’ai perdu la foi et je me condamne non à l’enfer, mais à la nullité politique. Cependant travaillons à nos affaires intérieures pendant un provisoire qui peut être long.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, hier, en cherchant à caractériser certains faits qui se rattachent aux élections du district de Tournay, il m’est échappé, dans le cours de l’improvisation, une qualification qui n’était pas dans ma pensée bien que je persiste à croire à l’exactitude des faits qui nous ont été signalés, je pense que dans les circonstances où je me suis exprimé, et vu la position actuelle de l’honorable M. Doignon, le mot qui m’est échappé est antiparlementaire, et je me hâte de le désavouer.

Je suis bien aise, avant d’entrer en matière, de dire à l’honorable député de Tournay qui siège à côté de celui que je viens de nommer, qu’en parlant d’influence administrative dans les élections, je n’ai pas voulu en tirer la conséquence que cet honorable collègue eût besoin d’autre chose que du suffrage libre et spontané des électeurs, suffrage auquel il a droit par l’intégrité de son caractère et par ses talents distingués. Il n’y a donc eu dans les faits sur lesquels j’ai cru pouvoir appeler l’attention de la chambre rien de personnel à l’honorable M. Dubus, rien qui puisse porter atteinte à son caractère.

J’ai dit, messieurs, que je trouvais étrange l’interprétation donnée par l’honorable député de Tournay à l’article 44 de la constitution : on a prétendu qu’au moyen des révocations que le ministère a cru de son droit et de son devoir de provoquer, la constitution avait été violée. Immédiatement après on s’est efforcée d’établir une exception à cette violation, et on a dit : « Nous supposons qu’un secrétaire-général du ministère des affaires étrangères, membre de la chambre, soit en opposition de système politique avec son supérieur immédiat ; oh ! pour lui, la doctrine est évidente, nous n’avons rien à répondre. » Mais si l’article 44 a été violé dans la personne des honorables députés d’Alost et de Tournay, faites-moi donc la grâce de me montrer comment il restera intact en en faisant une application différente à un cas exceptionnel ? Si votre doctrine est vraie, il faut publier une autre édition de la constitution et dans laquelle on lira à la fin de l’article 44 : « La présente disposition ne s’applique pas aux secrétaires généraux des affaires étrangères. » De quel droit en effet distinguez-vous, la où la constitution ne distingue pas ?

L’honorable député de Tournay a donc proposé une exception qui violerait l’article 44 de la constitution, tel qu’il l’avait d’abord interprété. Mais, quelque resserré que soit le cercle des exceptions qu’il propose, ce cercle peut s’étendre ; chaque membre de l’opposition ou de la majorité, si l’on peut en ce moment parler ici de majorité, peut admettre comme lui une exception, et, par exemple, seriez-vous étonné qu’un autre député vînt réclamer cette exception pour le secrétaire-général du ministère de la guerre ?

Comme celui du ministère des affaires étrangères, le secrétaire-général du ministère de la guerre est de toute nécessité initié à des confidences, à des secrets dont la divulgation pourrait compromettre tout au moins autant la sûreté de l’Etat que la divulgation des confidences que reçoit le secrétaire-général des affaires étrangères.

Comment jugeriez-vous la conduite d’un secrétaire-général de la guerre qui, siégeant dans cette assemblée, alors que son chef immédiat viendrait demander à la chambre des fonds et des hommes, dans la prévision d’une guerre qu’il regarderait comme imminente, se lèverait pour faire un beau discours, dans lequel il s’efforcerait de prouver qu’il ne faut pas donner les fonds et les hommes, parce que le ministre n’est pas capable, parce que la guerre n’est pas imminente, parce que la manière dont ce ministre compose le personnel est antinational, parce que tel officier mis à la retraite n’a subi cette mesure que par une tendance contre-révolutionnaire, parce que telle dépense est une prodigalité sans excuse ? Je vous le demande ? A moins de condamner le ministre de la guerre à un sort pire que celui du dernier de ses commis, une telle doctrine peut-elle être admise par un homme d’honneur qui tiendrait de la confiance du Roi, avec l’assentiment des chambres, le portefeuille de la guerre ?

On pourrait en dire autant du secrétaire-général des finances, du secrétaire-général de la justice, du secrétaire-général de l’intérieur. Et, par exemple, je suppose que le ministre de l’intérieur vienne présenter son budget. Il contient des allocations pour le culte et pour l’instruction publique. Son secrétaire-général, membre de l’une ou de l’autre chambre, viendra dire : « Gardez-vous d’accorder ces allocations à l’égard des cultes ; le ministre montre l’intolérance la plus scandaleuse, ou bien la partialité la plus révoltante. Quant à l’instruction publique, ses principes me sont tellement connus que, si elle reste sous sa surveillance, il empoisonnera les sources de l’enseignement ! Refusez toute espèce de budget au ministre de l’intérieur ; il n’est pas digne de votre confiance. »

Il ajoutera : « Le ministre ne mérite pas votre confiance, car il provoque à la dilapidation des fortunes particulières en autorisant trop aisément l’acceptation de legs faits à des corporations, qui convertissent les propriétés privées en mainmorte ; » ou bien : « Gardez-vous de lui accorder votre confiance, parce qu’il montre à l’égard des légataires qui reçoivent des legs de personnes pieuses décédées sans héritiers, la plus grande malveillance, et qu’il met des entraves à l’exécution de ces donations. »

Le ministre de l’intérieur pourrait-il être condamné à subir cette outrageante censure de ses actes par celui qui, dans son cabinet, a pris l’engagement d’obéir aux ordres qui lui seront donnés par son chef immédiat ?

Et puis, messieurs, a-t-on bien réfléchi à l’autorité de la parole de tels hommes dans les chambres et hors des chambres ?

Est-ce que le public fera l’ingénieuse distinction qui vous a été proposée par l’honorable député de Tournay M. Dumortier entre l’individu et le fonctionnaire ? Quoi ! diront les chambres ; quoi ! dira le public, l’homme qui est appelé chaque jour, par votre confiance, à contrôler vos actes, à lire jusque dans les replis de votre cœur, vient vous flétrir à la tribune ; il vient déclarer que vous êtes indigne de la confiance de la représentation nationale ; et nous, qui ne connaissons de vos opérations que ce que vous en livrez au public, nous ne croirions pas ce haut fonctionnaire que sa position met à même de tout juger, de tout apprécier ! Voilà le raisonnement que ferait le public, que feraient les membres des chambres. Cette distinction entre le fonctionnaire ou l’individu et le député surpasse en métaphysique subtile, tout ce que l’on a reproché aux doctrinaires les plus exagérés !

Mais, s’il en est ainsi pour les hauts fonctionnaires initiés, par la nature de leurs fonctions, au secret de toutes les opérations ministérielles, à tout ce qu’il y a de plus intime dans la pensée du ministère, pourquoi, messieurs en serait-il autrement pour d’autres agents chargés d’exécuter, sous la responsabilité du ministère, les ordres et les instructions qu’il croit devoir leur donner ? Dans quel pays peut-on dire que les gouverneurs de province, que les préfets, que les sous-préfets ne sont pas des hommes politiques ; que les procureurs-généraux, que les procureurs du roi ne sont des hommes politiques ? Mais oublie-t-on qu’indépendamment des actes officiels, des rapports officiels qui existent entre le ministère et tous ces fonctionnaires, il y a des rapports intimes étrangers aux bureaux ; il y a entre eux des échanges de confiance, une correspondance confidentielle ?

Eh quoi ! ces fonctionnaires ne sont pas des hommes politiques en même temps que des magistrats et des administrateurs ? Et à qui donc, s’il vous plaît, le ministère s’adressera-t-il pour avoir des renseignements confidentiels sur l’esprit public de leurs localités respectives ? A qui s’adressera-t-il quand il devra faire des nominations, des mutations dans le personnel administratif ou judiciaire ?

Je suppose que la nomination des bourgmestres soit donnée au gouvernement ; sera-t-il indifférent que le gouvernement soit éclairé sur le choix de ces fonctionnaires ? Si on ne doit jamais faire attention à l’opinion des fonctionnaires, comment le gouvernement fera-t-il pour ne pas nommer là des républicains, ici des orangistes ?

Il y a des hommes très honorables parmi les républicains ; il en est même pour lesquels je professe une estime sincère et assurément très désintéressée ; j’irai plus loin : il y a aussi des hommes honorables parmi les Belges qu’on qualifie d’orangistes ; il y a parmi eux des hommes qui ne diffament point, qui ne conspirent point, qui se résignent et sont soumis aux lois, qui conservent des regrets bien naturels pour un ordre de choses qui a bouleversé leurs intérêts, froissé leurs affections.

Il est aussi des républicains qui se résignent à la volonté du congrès, à la volonté nationale, et que n’écriraient pas une ligne, qui ne diraient pas un mot contre la forme du gouvernement que la nation a librement fondé.

Mais, on le comprendra aussi, à moins de se faire accuser de folie, le gouvernement n’ira pas mettre des républicains dans des fonctions politiques ; des orangistes encore moins : aucun n’y sera sciemment placé de mes mains, à moins qu’il ne déclare devenir le partisan de l’ordre de choses qui a prévalu, et s’y rallier sans arrière-pensée et sans retour.

Eh bien, si, parmi les fonctionnaires placés sous un ministre, l’un est républicain, l’autre est orangiste ; lorsque le ministre les interrogera sur l’opinion de leurs localités, le républicain répondra que l’esprit public est excellent, si l’esprit républicain y est en progrès ; l’orangiste répondra que l’esprit public est excellent, quand son opinion prévaudra dans sa localité. Vous voyez quelles lumières le ministère peut tirer de cette classe de fonctionnaires, combien il doit s’assurer de la conformité de leurs opinions et de leurs vues avec le gouvernement, et comment, dès lors, ils sont des hommes politiques, plus politiques encore qu’administratifs.

Je me hâte de dire, messieurs, que je n’entends point imposer un honteux servilisme aux fonctionnaires publics devenus membres des chambres ; mais je dis que, tout en admettant la dissidence des fonctionnaires-députés dans une foule de questions parlementaires, il est une chose qu’un gouvernement régulier ne peut point admettre : c’est l’opposition injurieuse, violente ; c’est l’opposition systématique. Et sur ce terrain je ne craindrai pas de faire une déclaration expresse de principes.

Le gouvernement a moins intérêt que personne à avilir l’administration ; le gouvernement n’est fort, n’est considéré que par la considération dont les hommes de l’administration sont entourés ; si ces agents étaient discrédités dans l’opinion, leur discrédit rejaillirait jusqu’à la sommité gouvernementale.

Voilà comment j’entends les principes du gouvernement représentatif : les électeurs envoient librement des hommes de leur choix aux chambre… (Bruit, interruption.) Oui, librement ; et si ce n’est pas librement, la faute n’en est pas au gouvernement. Ce n’est pas contre lui que tournerait une enquête sur les manœuvres électorales.

La majorité parlementaire, ainsi formée, représente la volonté générale ; cette majorité parlementaire trouve au ministère des hommes qui ont ou n’ont pas sa confiance ; elle appuie les uns, elle renverse les autres ; elle désigne implicitement d’autres chefs de l’administration.

Cette désignation n’est pas difficile à constater dans les assemblées délibérantes. Les hommes qui obtiennent la confiance des majorités, devenus ministres, sont soutenus, inspirés par elles ; ils administrent sous leur contrôle, et, aussi longtemps qu’elles ne leur retireront pas cette confiance, ils restent en fonctions.

La volonté de la majorité parlementaire ayant pénétré dans la formation du cabinet, dont le Roi n’a pour ainsi dire que l’investiture, il faut que le système, les volontés légales de cette majorité parlementaire puissent se réaliser dans tous les actes qu’elle formule.

Il faut que les fonctionnaires appelés à concourir, avec les ministres, à faire exécuter le système, les volontés des chambres, prêtent à ces ministres un concours loyal et sincère, sans quoi la volonté législative resterait inefficace.

Voilà en quelques lignes la théorie du gouvernement représentatif comme je le conçois.

Mais, dit l’honorable député de Tournay, les fonctionnaires publics sont des hommes purement administratifs. Messieurs, dans le caractère des agents ministériels que voyez-vous prédominer ? Évidemment le caractère politique ; le caractère administratif n’est chez eux que l’accessoire.

Si l’honorable représentant avait raison lorsqu’il dit que les agents de l’autorité ne sont que des agents administratifs, il s’ensuivrait que le ministère qui est, lui, bien plus politique qu’administratif, se trouverait seul pour réaliser son système politique partagé par les chambres ; il serait responsable et n’aurait pas d’agents !

De ce que le député est inviolable, ai-je dit hier, s’ensuit-il que le fonctionnaire le soit aussi, par cela seul qu’il est député ?

Supposons qu’un député fonctionnaire fasse, au sein de la chambre, le panégyrique de l’ancienne dynastie, témoigne le vœu de la voir rappeler un jour ; comme député inviolable, tout ce qui pourra lui arriver, ce sera un rappel à l’ordre par le président. Mais soutiendra-t-on que les ministres devront maintenir ce fonctionnaire dans son emploi ? Il faut aller jusque-là, si l’on prétend que le vote d’un député-fonctionnaire est inviolable, en ce sens que l’inviolabilité du député engendre l’inviolabilité du fonctionnaire.

Ainsi, par exemple, qu’un agent ministériel préconise, dans un obscur village, le régime que nous avons proscrit ; le ministre qui le destituera sera généralement approuvé ; on le blâmerait hautement s’il hésitait.

Mais, si le même fonctionnaire arrive à la chambre ; qu’à la tribune, à la face du pays, en présence de l’Europe, il témoigne ouvertement sa sympathie pour ce même régime, le ministère n’osera toucher à un cheveu de sa tête, parce que ce n’est point comme fonctionnaire, mais comme député, que cet homme a parlé ; qu’il n’a fait qu’obéir à sa conscience, à son devoir de député ; qu’en tout cas son vote comme député est irresponsable, et qu’il est monstrueux de révoquer pour un vote ! En sorte que pour un fait obscur, sans portée, sans retentissement, il sera légitime de sévir ; et devant un acte qui ressemble beaucoup à de la trahison, qui a pour témoin le pays et l’étranger, on devra s’abstenir ! Si le vote du député ne peut jamais être pris en considération par le ministère dans sa conduite envers le fonctionnaire, il faut aller jusque-là.

Le système que nous combattons repose sur une erreur singulière.

La doctrine ministérielle, dit-on, transforme les fonctionnaires députés en instruments passifs, aveugles, de l’autorité, en véritables automates. Elle est l’oppression de leur conscience parlementaire.

Nous soutenons nous, que c’est la doctrine contraire qui ferait des fonctionnaires députés de pures machines.

Comment expliquer en effet la conduite d’un homme qui vient à la chambre déclarer qu’il est l’ennemi politique du ministère, qu’il le croit incapable ou traître, et qui, au sortir peut-être de la séance où il aura fait cette déclaration de guerre, reçoit de ce même ministre ses ordres et ses instructions ?

Que fait donc un fonctionnaire, ennemi politique des ministres et qui leur sert d’agents ? A notre avis, la plus entière abnégation de ses principes et de ses convictions en retour du salaire qui lui est alloué ! Vous proclamez des ministres coupables, et vous consentez à devenir plus ou moins leur complice par votre concours aux actes de leur administration ! Et l’on appelle cela de l’indépendance de caractère !

Nous savons ce qu’on objecte : un fonctionnaire, dit-on, n’a pas, comme fonctionnaire, les devoirs qu’il a comme député. Comme député, il doit exprimer son opinion tout entière, sans crainte, sans céder à aucune influence ; il n’est plus le subordonné du pouvoir, mais le membre d’un des grands pouvoirs de l’Etat. Comme fonctionnaire et subordonné, il doit, au contraire, obéissance complète à ses supérieurs ; sinon, qu’il se retire ou qu’on le révoque.

Nous n’hésitons pas à le répéter, cette doctrine, c’est la dégradation des fonctionnaires publics, c’est la flétrissure de l’administration ; c’est là ce qui transformerait les agents du pouvoir en instruments passifs, en vrais automates.

Ne serait-ce pas en effet convertir en un rouage purement mécanique un être doué d’intelligence et de moralité, que de l’autoriser à proclamer sa haine contre ses supérieurs, et de décider qu’il doit néanmoins exécuter tous les ordres qu’il plaira à ceux-ci de lui donner ?

Un haut fonctionnaire s’élèvera, comme député, contre une série de projets de loi ; il les qualifiera d’immoraux, de funestes, d’inconstitutionnels peut-être ; il les présentera comme les éléments d’un système d’envahissement sur les autres pouvoirs, comme indiquant une pensée d’attentat aux libertés publiques ; et, de retour au chef-lieu de sa province, il va concourir à l’exécution de ces lois, prescrire à ses subordonnés d’en surveiller l’exécution, publier des circulaires, peut-être des proclamations dans ce but, signaler au ministre les infractions ou la négligence des agents inférieurs chargés de l’exécution. Et un pareil homme, s’il est capable de cet étrange compromis, conserverait l’estime de ses administrés et la confiance du gouvernement ! Disons-le, c’est là pour l’administration une des théories les plus avilissantes qui se puisse imaginer.

Un homme qui comprend sa dignité n’a pas deux convictions ; il n’en a pas une comme député, une autre comme fonctionnaire. Un homme d’honneur n’a qu’une conscience ; il y obéit dans toutes les positions : à la chambre, s’il est député ; hors de la chambre, s’il est agent du gouvernement. Si sa conscience lui dit que tels hommes qu’il combat à la tribune, tels actes qu’il y flétrit sont justement flétris et combattus, il refuse d’exécuter les uns, il rompt ses liens avec les autres.

L’honorable M. Dumortier a trouvé une merveilleuse solution à toutes les difficultés. Un fonctionnaire, dit-il, ne doit l’obéissance hiérarchique qu’à des ordres légaux, et non une obéissance passive, ni une adhésion d’opinion politique. Son opinion lui appartient et reste en dehors de ses relations. Mais, dans le cas où le fonctionnaire doutera de la légalité des ordres, qui prononcera entre lui et son supérieur ? Et pendant ce conflit, que deviendra l’administration, l’exécution des lois ? Un fonctionnaire ne peut refuser d’obéir sous pareil prétexte. S’il sent sa conscience en opposition avec celle du ministre responsable, qu’il se retire et n’entrave point l’action gouvernementale. La responsabilité du ministre n’est point placée dans la rébellion des agents du pouvoir, mais dans le contrôle et le jugement des chambres.

Ignore-t-on que le gouvernement est en droit d’attendre de ses agents autre chose qu’une action matérielle et en quelque sorte mécanique ; qu’une obéissance ostensible peut coexister avec une hostilité sourde ; qu’un des principaux moyens d’administrer est l’influence qu’exerce l’administrateur sur l’esprit de ses administrés ; que c’est par lui que le gouvernement doit faire comprendre ses vues au public, expliquer ses intentions, rectifier les préventions, détruire les méfiances dont les hommes et les actes du pouvoir sont l’objet ; qu’il est aussi absurde pour un homme public, qu’il le serait pour un homme privé, de se faire représenter par son ennemi ; qu’entre la désobéissance formelle et un dévouement sincère sur lequel tout ministre, par cela seul qu’il est responsable, a droit de compter, il y a vingt degrés intermédiaires, la négligence, la tiédeur, la censure, l’opposition clandestine, tout ce qui en un mot, peut affaiblir, ruiner la force morale du pouvoir, bien plus nécessaire à son action que la force matérielle ?

La conformité de vues et de principes entre le gouvernement et les fonctionnaires placés sous ses ordres est une nécessité qui ressort mieux encore de l’hypothèse suivante. Un commissaire de district, par exemple, se sera prononcé aux chambres, vivement et persévéramment, contre le traité du 15 novembre. Il l’aura peint comme déshonorant, ruineux, frappant de mort l’avenir industriel et commercial du pays. Le gouvernement, appréciateur plus froid, plus impartial de cette transaction politique, œuvre de la nécessité, croit qu’elle laisse à la Belgique des conditions d’existence et de prospérité. Il a intérêt à faire pénétrer cette conviction dans les esprits pour empêcher le pays de tomber dans le découragement et dans le marasme. Quel secours pourra-t-il trouver, pour atteindre ce but, dans le concours d’un homme dont les efforts sont annulés d’avance par son langage à la chambre, d’un homme qui d’ailleurs ne saurait sincèrement en tenir un autre à ses administrés ? Je ne parle pas des députés du Limbourg et du Luxembourg, placés eux dans une position pénible et exceptionnelle.

Si l’obéissance suffit, si l’opinion individuelle n’est rien, de quel droit révoquerait-on un fonctionnaire orangiste qui obéit aux ordres légaux qu’il reçoit, et se borne à exprimer son opinion hostile dans ses propos ?

Tout homme doit une grande partie de son influence à la position qu’il occupe dans la société. Si cette position, il la tient en partie de la confiance du gouvernement, et s’il s’en prévaut, non pour lui mais contre lui, il trompe non seulement l’attente du pouvoir, mais ceux qui lui montrent peut-être de la confiance, précisément parce que, le voyant l’agent du pouvoir, ils l’en croient l’ami et le soutien.

Il est notoire, par exemple, car nous n’avons rien à dissimuler de ce que chacun dit tout haut, que les gouverneurs, les commissaires de district, les officiers supérieurs des parquets, jouissent dans la société, et surtout auprès de leurs subordonnés d’un crédit dû à leur position, à leurs relations publiques et privées ; que leurs conseils sont sollicités par des hommes trop peu occupés des affaires générales pour avoir toujours une opinion bien fixée sur la marche et la tendance du pouvoir. Il est notoire que plusieurs de ces fonctionnaires doivent leur mandat de député à ces relations, et personne ne peut leur en faire un reproche dès qu’ils ne descendent point jusqu’à l’intrigue, à l’obsession, à la menace ou à la promesse. Nous le demanderons maintenant à tous les hommes de bonne foi, doués de quelques notions gouvernementales, et quelle que soit leur opinion politique, souffriraient-ils, s’ils étaient au pouvoir, que l’homme qui se déclare leur ennemi hors des chambres, ou dans les chambres, peu importe le lieu, trouve, dans la position même qu’il tient de leur confiance, le seul moyen peut-être de se faire élire pour lutter contre eux ? S’il mérite les suffrages des électeurs, qu’il les obtienne, mais qu’il les obtienne par sa propre force.

Vouloir que le gouvernement, en le laissant en place, concoure à ce résultat, c’est exiger de lui un acte d’insigne faiblesse, d’inconcevable duperie, un véritable suicide. Qu’est-ce donc si le fonctionnaire, non content de se prévaloir de sa position pour venir grossir l’opposition parlementaire, use, au mépris des avis les plus formels, de toute l’influence qu’elle lui donne pour faire retirer à un membre du gouvernement, dont il est un subordonné, le mandat de député ?

On comprend aisément que je fais de nouveau allusion ici aux élections du district dont je me suis occupé hier. On a objecté que l’avis du ministre de l’intérieur n’était pas explicité. Quoi ! pour un homme d’esprit, cette lettre n’était pas claire ! il fallait donc de l’impératif, du menaçant. C’est-à-dire qu’il faudra désormais écrire à un commissaire de district, à un fonctionnaire honorable, du ton dont on écrirait à un garde-champêtre ! Ce serait là une heureuse innovation dans les mœurs administratives.

Si la lettre à laquelle je fais allusion était un assemblage d’hiéroglyphes devant lesquels devait s’incliner l’intelligence du correspondant du ministre de l’intérieur, les journaux auraient fourni des explications assez claires pour dissiper tous les doutes.

Le fait de la lettre et de la réponse a été rendu public par un journal de l’opposition fort répandu, et qu’on lit certainement dans le chef-lieu du district dont il s’agit. Ce journal, et ce n’est pas le seul, je crois, de ceux qu’on y lit, a très bien caractérisé la correspondance. D’une part il y avait, selon lui, injonction précise, et de l’autre refus non moins formel d’y adhérer. Le fonctionnaire a même été loué par ces journaux pour sa résistance ; on a dit que c’était un acte de patriotisme, quand le ministre ne pouvait y voir qu’un acte d’insubordination intolérable.

Pourquoi le fonctionnaire n’a-t-il pas dit un mot, écrit une ligne pour protester contre le rôle qu’on lui faisait publiquement jouer et qui lui valait les éloges de ces journaux ?

Sa révocation, devenue inévitable, fut une mesure administrative et non une mesure électorale, puisque l’acte signé la veille ne put être connu au chef-lieu qu’après l’élection consommée.

Le cas, certes, était grave : double échec dû à cette conduite : celui d’un de nos ministres plénipotentiaires, celui d’un des membres du cabinet dans lequel se résume la partie principale de notre système politique.

Qu’on ne croie pas, messieurs, que les motifs pour lesquels le gouvernement tenait à l’élection de notre ministre à Paris fussent légers.

En tout cas, c’était au gouvernement et non au fonctionnaire à les apprécier. Nous tenions à ce que M. Lehon fût de nouveau revêtu de l’honorable mandat de représentant, afin d’ajouter à l’influence, à la considération de sa position personnelle. On sait l’honorable et habile usage qu’il fait de cette position ; on sait avec quel zèle, quel dévouement, quelle sagacité, quelle abnégation de ses intérêts personnels, il soigne à Paris et nos intérêts politiques et nos intérêts matériels. J’invoquerai sans crainte, à cet égard, le témoignage de MM. les commissaires récemment envoyés dans la capitale de la France par le gouvernement. Je regrette que les électeurs de Tournay ne se soient point élevés jusqu’à ces considérations, qu’un patriotisme éclairé pouvait très bien comprendre.

Les électeurs d’un autre district, et le commissaire qui l’administre et que je me félicite d’avoir pour collègue à la chambre ne les ont point méconnus. Un autre ministre plénipotentiaire, absent depuis plus d’une session, plus éloigné de Bruxelles que M. Lehon qui marche dignement sur ses traces, qui montre, comme lui, zèle, patriotisme et talent, n’a pas été répudié. Cette réélection fait honneur au district de St-Nicolas.

On a conclu de nos principes que les électeurs ne doivent point envoyer aux chambres des fonctionnaires révocables.

La conséquence est exagérée. Nous n’avons jamais pensé que les agents du gouvernement pussent convenablement siéger en majorité dans les chambres ; mais nous croyons que si on les en excluait avec leur pratique des affaires et leur connaissance des faits, le pays en éprouverait un grand dommage. Toutefois, nous ne le cacherons pas, deux conditions peuvent seules justifier les suffrages donnés aux agents du gouvernement : la première, c’est que les électeurs ne condamnent point le système ministériel ; la seconde ; c’est que les fonctionnaires à élire donnent, par leur position et leur caractère, la garantie que si un système complètement opposé vient à prévaloir, ils ne passeront pas à son service, résigneront leurs places et feront de l’opposition.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) prend la parole. - Messieurs, dit-il, puisque l’honorable M. Pirson attendra une autre occasion pour revenir sur l’objet dont il vient d’entretenir la chambre, la nomination à l’emploi de vérificateur des poids et mesures dans l’arrondissement de Dinant, j’attendrai de mon côté que cette occasion naisse pour donner à ce sujet, à la chambre, des explications dont je m’abstiendrai en ce moment, pour ne pas suspendre la discussion actuelle, qui a lieu depuis quatre jours, sur des choses bien autrement graves et d’une bien plus grande importance que la nomination d’un agent secondaire de mon administration.

Quant aux injures qu’en cette circonstance l’honorable M. Pirson a jugé à propos de lancer contre moi comme ministre des finances ad interim, je crois au-dessous de moi de les relever. Je les livre au jugement de la chambre ; elle appréciera jusqu’à quel point elles doivent entrer dans les graves débats qui l’occupent. (Bien ! bien ! très bien !)

(Moniteur belge n°176, du 25 juin 1833) M. le président. - La parole est à M. Doignon.

M. Doignon. - J’y renonce.

M. le président. - La parole est à Dumortier.

M. Gendebien (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Il me semble que nous pourrions clore la discussion générale ; quoique j’aie beaucoup de plaisir à entendre l’honorable M. Dumortier, je pense qu’on peut remettre la suite de la discussion au vote des paragraphes.

Quant à ce qu’a dit le ministre de la justice, ce sont des choses qu’on a pu lire dans les livres, dans les journaux ministériels de France, relativement à la destitution scandaleuse de M. Dubois ; de sorte que nous pouvons passer outre.

M. Dumortier. - Si l’assemblée souhaite clore la discussion, je me soumettrai ; cependant j’aurais désiré vivement répondre au ministre de la justice, car sa doctrine est une menace de destitution pour la moitié de la chambre...

- La chambre consultée ferme la discussion générale.

Discussion des paragraphes

Premier et deuxième paragraphes

M. le président donne lecture du paragraphe premier de l’adresse, lequel est ainsi conçu :

« Depuis l’ouverture de la session de 1833, deux faits importants qui se rattachent à notre politique extérieure se sont accomplis. »

M. le président annonce qu’il n’y a pas d’amendement sur ce paragraphe, et que sur le second il y en a deux, l’un par M. Legrelle, l’autre par M. Dumortier.

M. de Brouckere. - Je désirerais savoir si les amendements n’impliquent pas contradiction avec le premier paragraphe ; s’ils impliquaient contradiction, il faudrait faire un changement au premier paragraphe dans le cas où ils seraient adoptés.

M. le président. - Je vais en donner lecture.

(Amendement présenté par M. Legrelle) « L’expulsion de notre ennemi de la forteresse d’Anvers lui a enlevé un puissant point d’appui. La convention du 21 mai nous met en possession de plusieurs avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre 1831, assure à l’Escaut une navigation entièrement libre, sans charges ni entraves, et n’a pu porter atteinte à aucun des droits qui nous sont irrévocablement acquis. Si la nation était trompée dans sa juste attente, la convention du 15 mai serait nulle à ses yeux, et la Belgique saurait réclamer les garanties d’exécution auxquelles les puissances se sont et demeurent engagées. »

(Amendement présenté par M. Dumortier) « L’expulsion de notre ennemi de la forteresse d’Anvers lui a enlevé un puissant point d’appui. La convention du 21 mai nous conserve la possession de plusieurs avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre 1831, et nous donne espoir que nous verrons incessamment la navigation de la Meuse ouverte à notre commerce, et celle de l’Escaut dégagée de toutes entraves.

« En stipulant par une convention particulière avec la Hollande, les puissances médiatrices n’ont pu se dégager de la garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous. S’il en était autrement, si la Belgique était abandonnée à elle-même, elle doit rester entière dans tous ses droits et libre dans ses moyens d’action contre son ennemi. La nation d’ailleurs a fait assez de sacrifices à la paix de l’Europe ; ses droits ne peuvent plus longtemps être méconnus. Le gouvernement de V. M. saura les faire valoir, sûr de l’appui de la représentation nationale, toutes les fois qu’il s’agira de défendre notre honneur et notre indépendance. »

M. de Brouckere. - D’après cette lecture je ne vois aucun inconvénient à adopter le premier paragraphe.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Je désirerais avoir les amendements.

- Plusieurs membres. - On va en donner une seconde lecture.

M. Gendebien. - Nous ne pouvons pas voter le premier paragraphe sans connaître le sens du second.

C’est par conséquent le moment de faire une nouvelle lecture des amendements.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Indépendamment d’une seconde lecture, il faudrait nous en donner communication.

M. le président. - M. Legrelle a la parole pour développer son amendement.

M. Legrelle. - Messieurs, vous avez entendu dans une précédente séance que je vous ai manifesté des inquiétudes sur le défaut d’accomplissement, dans l’exécution du traité du 21 mai, en ce qui concerne la libre navigation de l’Escaut ; c’est une clause sur cet objet que j’ai voulu insérer dans le deuxième paragraphe, en ajoutant ces mots : « que la convention du 21 mai assurait à l’Escaut une navigation entièrement libre. »

Ces mots se trouvent dans la convention du 21 mai elle-même ; je pense que les ministres consentiront à cette addition, puisque la libre navigation doit avoir lieu en vertu des traités. Je crois qu’il est indispensable de rappeler cette partie de la convention dans l’adresse.

Quant à la seconde addition que je propose, elle est le résultat de ce que j’ai entendu dire hier, sur la convention du 21 mai, par l’honorable M. Dubus. Ces mots : « Si la nation était trompée dans sa juste attente, la convention du 21 mai serait nulle à ses yeux, » ne sont que le développement d’une pensée exprimée dans le discours du trône.

C’est un développement que je crois sage, indispensable de mettre dans l’adresse, et qui est dans vos sentiments comme il est dans les miens.

- M. Dellafaille donne une nouvelle lecture des amendements.

M. Devaux. - Il est impossible qu’on juge d’un amendement, que l’on ne connaît que d’une manière imparfaite, par des lectures plus ou moins rapides. Il faudrait que ces amendements nous fussent dictés par un de MM. les secrétaires.

M. de Brouckere. - Un honorable membre qui siège près de M. de Muelenaere a dit qu’on ne sortirait pas de la discussion si ces amendements n’étaient pas imprimés ; je partage son avis. Il faudrait que tous les amendements fussent déposés sur le bureau, qu’on en donnât lecture et qu’ils fussent envoyés à l’impression.

Plusieurs membres ont pu penser que la discussion générale ne serait close qu’à la fin de cette séance, et n’ont peut-être pas rédigé les amendements qu’ils se proposent de soumettre à la chambre ; ils peuvent les rédiger d’ici à ce soir et les remettre au greffe ; ils seraient imprimés pour demain.

M. le président. - Jusqu’ici il n’y a que deux amendements de déposés sur le bureau.

M. Dumortier a la parole pour développer son amendement.

M. Dumortier. - Messieurs, j’ai cherché, dans l’amendement que j’ai déposé sur le bureau, à éviter toute espèce d’expression irritante, et, d’un autre côté, à placer la Belgique dans l’intégrité de ses droits.

Ce qui m’a frappé dans l’état actuel de nos relations politiques, c’est, je le répète encore une fois, la note du 10 de ce mois, par laquelle le ministère déclare se désister de tout moyen d’action, alors que les puissances se désistent elles-mêmes de toutes les garanties qu’elles avaient contractées envers nous. Il me semble que la Belgique ne peut renoncer à ses moyens d’action sans commettre une faute grave ; je dirai même qu’elle ne peut renoncer sans danger à toute menace d’employer ses moyens actuels.

M. le ministre des affaires étrangères nous a dit lui-même que ce qui avait engagé les puissances à exécuter les garanties, c’était la certitude que nous étions à même de les faire exécuter par nous-mêmes. Eh bien ! aujourd’hui que les puissances annoncent formellement qu’elles n’exécuteront plus désormais les garanties, pensez-vous qu’il faille encore renoncer à nos moyens d’action ? Je sais bien que le statu quo présente quelques avantages, et, pour ma part, j’attache un grand prix à la conservation du Limbourg et du Luxembourg. Je répudierais tout amendement qui aurait pour but d’écarter cet avantage, parce que je crois que nos affaires bien menées peuvent arriver à une meilleure fin ; mais il faut pour cela conserver tous nos moyens d’action. Une nation ne peut se sacrifier jusqu’à y renoncer formellement.

Mon amendement, messieurs, rentre en tout point dans l’adresse que vous avez votée l’année dernière à l’unanimité ; c’est exactement le même système ; il consiste à dire que la Belgique conserve la faculté de faire valoir ses droits.

Je pense que ce peu de mots a suffi pour appuyer mon amendement. Si on élève des objections fondées contre lui, je consentirai bien volontiers à y changer quelque chose. Mais je me prononcerai contre tout amendement qui ne maintiendrait pas l’intégrité de nos droits, et ne réserverait pas l’exercice de tous nos moyens.

M. le président. - L’amendement, ayant été appuyé, sera imprimé et distribué.

M. de Brouckere. - D’autres amendements seront déposés sur le bureau avant ce soir ; j’en prépare un de mon côté.

- Plusieurs membres. - Et moi aussi ! et moi aussi !

M. Desmet. - Messieurs, j’ai remarqué dans le discours du trône un passage où il est fait allusion à un traité de commerce passé avec les Etats-Unis. Je demande que ce traité soit déposé sur le bureau.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Quelques journaux ont annoncé qu’un traité de commerce avait été conclu avec les Etats- Unis ; c’est par erreur. Nous avons reçu la nouvelle qu’un traité d’amitié et de navigation avait été conclu avec les Etats-Unis ; mais, comme le document officiel ne nous est pas encore parvenu, nous n’avons pas cru devoir en parler à la chambre.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - L’honorable M. Desmet s’est trompé, lorsqu’il a dit que le discours de la couronne faisait allusion à un traité de commerce. Il y est seulement question de modifications aux stipulations commerciales dans le dernier tarif des Etats-Unis, stipulations toutes favorables à la Belgique. On ne peut parler d’un traité sans le déposer sur le bureau. Mais ce n’est pas même un traité de commerce.

M. de Brouckere. - Nous demandons alors qu’on nous fasse connaître ces modifications si importantes qu’on en a fait l’objet d’un des paragraphes du discours du trône, et qu’on nous propose d’en témoigner notre satisfaction. Or, nous ne pouvons pas remercier d’un bienfait que nous ne connaissons pas. Je demande qu’on nous communique seulement un extrait de ce tarif modifié.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le tarif se trouve partout, mais le ministre est à même de le déposer sur le bureau. Les principaux avantages qui en résultent, et que nous pouvons attribuer à l’activité et au zèle de notre agent aux Etats-Unis, consistent dans une réduction des droits d’entrée pour les étoffes de laine et de coton, et dans l’affranchissement de tout droit, à partir du 31 décembre, pour les toiles blanches écrues, pour les serviettes et le linge de table.

M. Desmet. - Je demande si la même faveur ne profitera pas à la Silésie et à l’Angleterre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas pourquoi la Silésie en serait exclue ; mais peu nous importe qu’elle soit admise aux mêmes avantages. Nous n’en n’avons pas moins obtenu une réduction d’un côté, et une abolition complète de droits de l’autre. Consultez les Flandres que la question intéresse, et vous verrez si elles n’ont pas accueilli cette nouvelle avec le plus vif intérêt.

M. Gendebien. - Messieurs, je crois que nous devons apporter beaucoup de scrupule et d’attention à notre réponse au discours du trône, parce que l’essentiel pour nous, c’est de ne pas compromettre la dignité de la nation et ne pas imiter en cela le ministère qui paraît peu se soucier de la dignité royale.

Voici les deux paragraphes que je lis dans le discours du trône :

« Au premier rang des intérêts qui doivent nos occuper, se placent ceux de notre industrie et de notre commerce.

« Les négociations entamées à cet égard avec la France ont commencé sous d’heureux auspices ; elles seront continuées avec persévérance. »

Vous voyez que jusqu’ici, messieurs, il n’est question que de négociations. Mais il paraît que nous avons été plus heureux dans les Etats-Unis, et que là notre ambassadeur a obtenu des merveilles ainsi qu’on vient de nous le répéter encore.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas dit des merveilles.

M. Gendebien. - Vous avez fait entendre qu’il avait obtenu de grands résultats ; on sait bien que c’est cela que je veux dire, et d’ailleurs je vous prie de ne pas m’interrompre. Il paraît, avais-je l’honneur de faire observer, que nous avons été plus heureux aux États-Unis ; et en effet voici comment s’exprime à cet égard le discours du trône :

« Nous avons obtenu des Etats-Unis d’Amérique les stipulations les plus favorables à l’une des branches les plus importantes de notre industrie. »

Eh bien je demande, de même que l’honorable M. E. Desmet, dont la réclamation me paraît parfaitement juste, que le traité dont il s’agit soit remis sur le bureau, et s’il n’est pas encore parvenu au gouvernement, je demande le dépôt des pièces nécessaires pour nous mettre au courant de la manière dont les négociations sont conduites : nous avons le droit de le savoir d’après la constitution ; nous avons droit de connaître ce traité avant de faire notre réponse au discours royal, parce que, d’après les dispositions formelles de la constitution, aucun traité de commerce ne peut être exécuté avant que les chambres n’y aient consenti, avant qu’il n’ait été sanctionné par une loi.

A moins de vouloir participer à cette espèce de jonglerie contenue dans les deux paragraphes que je viens de citer, il faut que nous soyons mis en possession des documents qui nous sont indispensables. Il peut se faire qu’il n’y ait qu’un simple changement du tarit des douanes des Etats-Unis pour le monde entier. Je sais bien que dans ce cas nous n’aurions pas à nous plaindre ; mais nous n’aurions à nous féliciter que de cela, et il ne faut point faire penser aux habitants des Etats-Unis que nous sommes assez dupes pour croire que nous avons été privilégiés. J’insiste donc sur la proposition de M. E. Desmet ou sur la mienne, et je pense qu’on ne peut s’y soustraire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le ministère doit d’abord remercier l’honorable préopinant de la sollicitude qu’il a témoignée pour la conservation de la prérogative royale…

M. Gendebien. - J’ai dit de la dignité royale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Cependant, messieurs, le ministère s’en est montré assez jaloux pour n’avoir pas besoin de leçons à cet égard, vinssent-elles même de M. Gendebien.

Maintenant j’arrive à la question. Dans la première explication que j’ai eu l’honneur de donner, j’ai dit qu’il s’agissait d’une modification dans le tarif des douanes des Etats-Unis, modification avantageuse pour nous, et que ce tarif serait déposé sur le bureau.

M. le ministre des affaires étrangères de son côté, a fait remarquer qu’autre chose est un traité, autre chose un tarif. Le traité n’est pas encore conclu, attendu qu’il n’est pas encore officiellement arrivé au ministère des affaires étrangères ; mais j’ai dit que nous avions tout lieu de penser que la Belgique devait en partie à l’activité, au zèle et aux soins de ses agents aux Etats-Unis, la modification favorable obtenue dans le tarif des douanes des Etats-Unis. Telle est la déclaration formelle faite par notre agent sur ce point, et nous n’avons aucune raison pour révoquer en doute ce qu’il nous annonce. C’est un homme dévoué aux intérêts de notre pays, c’est un homme zélé, et nous devons croire qu’il aura usé de toute l’influence qu’il pouvait avoir auprès des représentants des Etats-Unis pour parvenir à cet heureux résultat.

Il est probable, messieurs, que ce qui est arrivé dans cette partie du monde arrivera aussi pour la France ; cela ne se fera pas par un traité, mais par un changement de tarif opéré législativement. Aussi, tel est le but de la négociation ouverte avec la France, négociation dont le gouvernement a chargé plusieurs membres de cette assemblée. Lorsque nous serons parvenus, grâce aux soins de notre ambassadeur à Paris, et des agents que le gouvernement croira devoir lui adjoindre, à voir modifier le tarif des douanes de France d’une manière favorable à notre industrie et à notre commerce, nous pourrons, sans trop d’amour-propre, en revendiquer l’honneur.

Nous n’avons donc pas besoin de nous inquiéter quelle pourra être la pensée des habitants des Etats-Unis sur les expressions auxquelles a fait allusion M. Gendebien ; notre agent, qui est un homme de capacité et d’activité, nous assure qu’il a obtenu des modifications avantageuses pour nous, et nous devons être parfaitement rassurés à ce sujet.

M. Gendebien. - Nous ne mettons rien en doute ici ; seulement nous usons d’un droit... Il est parlé de stipulations ; or, les stipulations supposent un traité ; le traité seul est une preuve des stipulations ; il autorise seul à en demander l’exécution. S’il existe un traité, nous en demandons communication ; s’il n’y a que des stipulations, nous demandons qu’on dépose les pièces sur le bureau, si enfin vous n’avez que la correspondance de vos agents, déposez-la, et nous verrons si nous devons parler de traité, si nous devons nous féliciter d’un changement dans le tarif. Il faut enfin que nous sachions sur quoi doivent porter nos remerciements.

En conséquence, je demande que toutes les pièces relatives, soit à des négociations, soit au tarif, soit au traité, soient déposées sur le bureau.

M. Devaux. - Je m’étonne que l’on soit parvenu à obscurcir une question aussi claire. M. Gendebien a demandé s’il existait un traité ; on lui a répondu non. On a parlé ensuite de changements opérés au tarif des Etats-Unis et de stipulations favorables ; maintenant on demande la communication de ces changements. Rien n’est plus facile ; vous y verrez des chiffres, des zéros. Cette communication peut être, en effet, intéressante pour plusieurs d’entre nous ; mais je ne conçois pas comment on vous donnerait plus que cela.

On dit : Ce n’est pas pour la Belgique toute seule que ces changements ont été faits ? Eh ! non, sans doute. Ainsi, dans les nouvelles négociations avec la France, quel est notre but ? Encore des changements au tarif. - Pour la Belgique seulement ? - Eh ! non, messieurs, pour tous les pays qui font le commerce de la houille. (Rires ironiques sur quelques bancs.) Riez tant qu’il vous plaira, appelez cela des jongleries, si vous le voulez ; pour moi, je souhaiterais à mon pays, à ma province, d’avoir souvent à se féliciter de jongleries semblables.

Cette diminution des droits était tout à fait inattendue ; on n’espérait pas que les Etats-Unis les abaissassent jamais ; interrogez là-dessus les rapports des commissions d’industrie. Sans doute les circonstances ont été favorables et nous ont beaucoup aidés. Je ne prétends pas que nous devions à l’activité seule de notre envoyé d’avoir obtenu des Etats-Unis de faire quelque chose de contraire à leurs intérêts. Je ne prétends pas davantage que notre agent seul parviendra à faire faire à la France quelque chose d’opposé à ses intérêts dans les négociations qui se poursuivent ; mais c’est déjà beaucoup que d’avoir fait voir à l’Amérique la conformité de ses intérêts avec les nôtres ; ce sera beaucoup aussi que de démontrer cette conformité la France.

Je crois donc que sans jonglerie, sans mensonge, on peut dire que nous avons appris avec satisfaction que des stipulations favorables à notre industrie ont déjà été obtenues.

M. Gendebien. - Jugez, messieurs, de l’importance que nous acquérons dans le monde politique. Alors que nous ne pouvons pas nous occuper de nos affaires extérieures dans une question d’existence, alors que d’autres stipulent pour nous, sans nous, et j’allais dire contre nous, voilà que nous nous constituons l’agent de tout le monde. Ce n’est pas pour nous que nous stipulons, a dit M. Devaux, c’est pour le monde entier. (On rit.)

M. Devaux. - Je suis fâché que mon honorable collègue ne se soit pas montré dans cette question aussi cosmopolite que de coutume. Il est plus habitué que moi à parler de l’Europe entière ; mon rôle à moi est beaucoup plus modeste d’ordinaire. Mais lorsque nos intérêts se trouvent conformes à ceux de tout le monde, je ne vois pas d’inconvénients à les défendre. Les changements opérés au tarif des Etats-Unis sont favorables à la Belgique ; les avantages qu’ils présentent sont désormais un fait que les plaisanteries, ni les sarcasmes, n’auront pas le pouvoir de détruire.

- Plusieurs membres. - A demain !

- Nombre de voix. A lundi ! à lundi !

M. le président. - Je mets le renvoi de la discussion à demain aux voix.

- MM. les ministres et une grande partie de l’assemblée votent contre ; le renvoi à demain est rejeté.