(Moniteur belge n°102, du 25 septembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure et quart.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal. Il est adopté.
Le même lit le sommaire de quelques pétitions, entre lesquelles nous distinguons celle de M. de Souter à Gand, qui demande un prompt jugement ; celle de plusieurs officiers de 12ème régiment, qui se plaignent d’avoir été renvoyés par le ministre de la guerre ; enfin celle de 80 habitants d’Audenaerde, qui demandent qu’une enquête soit faite sur les causes de nos derniers désastres.
M. Coppens. - Je demande la lecture de la pétition de M. de Souter. (Opposition marquée.)
M. de Robaulx demande la lecture de la pétition des officiers du 12ème. (Même mouvement.)
M. Liedts. - S’il faut lire toutes ces pétitions, ce sera fort long. Cependant la pétition de M. de Souter est urgente, car les assises sont maintenant ouvertes à Gand, et, pour peu que le rapport soit retardé, la pétition deviendra sans objet.
- M. H. de Brouckere, M. Fallon, M. Davignon et M. de Sécus, qui n’avaient pas encore assisté aux séances de la chambre, prêtent serment.
M. le président. - On peut la renvoyer à la commission, en la priant de s’en occuper sans retard. (Adopté.)
- Sur la demande de M. de Robaulx, la pétition des officiers du 12ème est renvoyée à la commission, et la chambre décide que le rapport en sera fait mardi.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission et suivront les voies ordinaires.
M. Dellafaille donne lecture d’un message du sénat annonçant l’adoption de divers projets de loi, au nombre desquels se trouve celui relatif aux remplaçants.
M. le président annonce qu’un projet de règlement a été remis sur le bureau par la commission chargée de le rédiger. La chambre en ordonne l’impression, la distribution et le renvoi aux sections.
M. C. Rodenbach demande que M. le président donne lecture de la proposition qui vient d’être déposée sur le bureau.
M. le président. - « Les soussignés ont l’honneur de proposer à la chambre la résolution suivante :
« Une enquête sera faite sur les causes et les auteurs de nos revers pendant la dernière campagne.
« Bruxelles, 23 septembre 1832.
« Dumortier, C. Rodenbach, de Haerne, Brabant, de Meer de Moorsel, Watlet, A. Rodenbach, Dellafaille, Vuylsteke, Morel-Danheel, Poschet, E. Desmet, Vergauwen. »
M. Dumortier demande la parole pour développer cette proposition. Il s’exprime ainsi. - Messieurs, il est un devoir que nous ne pouvons tarder plus longtemps de remplir. Pourquoi faut-il qu’à peine admis à siéger dans cette auguste enceinte, à peine appelé à prendre part à vos délibérations, mes premières paroles soient pour rappeler les malheurs de la patrie !
Vous avez tous été témoins, messieurs, des revers de notre dernière campagne ; vous avez vu pâlir ces lauriers teints de sang de nos braves, et ce brillant drapeau qui semblait avoir à jamais enchaîné la victoire.
Celui qui, l’an dernier, poursuivi par nos armes victorieuses, allait de porte en porte mendier un armistice chez les rois, s’est avancé jusque sur le seuil de la capitale, traînant partout à sa suite la désolation et le pillage ; et, sans l’heureux secours de l’armée française, Dieu sait si la Belgique entière, trop confiance dans la foi des traités, ne serait pas aujourd’hui retombée sous le sceptre de fer qu’elle avait brisé avec tant de gloire.
Dans ces circonstances critiques, la nation, toujours grande, toujours magnanime, a répondu avec enthousiasme à la voix du Roi qu’elle s’était choisi : à sa voix, aux mots d’honneur et de patrie, elle s’est levée comme un seul homme, elle a montré qu’il existait encore chez nous des braves, et qu’il n’était pas éteint ce feu sacré de septembre, ce feu d’indépendance et de liberté qui ne cessera jamais de brûler dans nos cœurs.
Oui, malgré nos désastres, je suis fier encore d’être Belge, quand je me rappelle l’élan sublime d’une nation à demi vaincue, d’une nation jeune et généreuse qui ne succombe que par l’ineptie de quelques chefs, par leur incurie et leur incapacité. Qui le croirait ? Dans le pays le plus riche et le mieux cultivé du monde, au milieu des moissons les plus abondantes, nous avons vu nos soldats dénués des choses les plus nécessaires, privés de vivres et de nourriture, succombant bien plus sous les coups de la faim déchirante que sous le fer des Hollandais.
Rien, dans cette malheureuse campagne, rien n’avait été prévu. Où était cette armée de 66,000 hommes dont nous berçait jadis le ministère, et pour laquelle on lui avait alloué des subsides ? Où était cette organisation civique, qui devait rendre nos soldats-citoyens propres à tenir la deuxième ligne et même la première au besoin ? Où était cette organisation supérieure sans laquelle il n’y a pas d’armée ? Où étaient ces corps de réserve, ces plans de campagne que l’on devait avoir depuis longtemps préparés ? Et cependant on vous parlait naguère de la possibilité de prendre l’offensive et d’attaquer la Hollande, lorsque nous n’étions pas même en mesure de nos défendre.
Je sais combien a été déloyale l’agression de notre ennemi ; la fourberie et l’hypocrisie ont été de tout temps son partage. Il n’ignorait pas que, pour vaincre la Belgique, il lui fallait commencer par violer à la fois le droit des gens et celui de la guerre ; et, si fidèle à l’honneur, il eût auparavant dénoncé l’armistice qu’il avait lui-même imploré, nul doute que notre armée n’eût soutenu la lutte, quelque inégale qu’elle eût pu être. Mais, si cette déloyauté saute aux yeux de l’Europe l’honneur de la Belgique, elle ne justifiera jamais la funeste sécurité des chefs, leur incurie, leur trahison peut-être.
Messieurs, au moment où la reprise des hostilités n’est peut-être pas éloignée, il est urgent de connaître la cause de nos revers, afin qu’instruits par l’expérience, nous puissions venger notre affront, et reprendre parmi les nations le rang que nous avait assigné notre révolution.
C’est là, messieurs, une obligation que nous avons tous contractée en mettant le pied dans cette enceinte, et ce serait trahir notre mandat que de tarder davantage à le remplir. Il faut que la nations sache enfin quels sont les vrais coupables, quels sont les traîtres, s’il en existe ; il faut qu’elle ait la certitude que les fautes précédemment commises seront évitées à l’avenir.
Et qu’on n’aille pas dire qu’une enquête sur les événements est intempestive, et qu’elle entraverait la marche du gouvernement. Messieurs, dans une matière aussi grave, et qui touche de si près à notre existence politique, je ne puis admettre les fins de non-recevoir : être ou n’être pas, voilà toute la question qui nous travaille ; et lorsque la reprise des hostilités est imminente, il est urgent de donner des garanties pour l’avenir, et ces garanties ne peuvent résulter que d’une enquête sévère sur les causes des événements qui ont mis la patrie à deux doigts de sa perte. Loin donc d’entraver la marche du gouvernement, l’enquête que nous proposons lui prêtera une force nouvelle par les garanties qu’elle donnera à la nation, et sinon elle aura pour résultat immédiat de relever le moral du soldat, et de faire renaître cet essor aujourd’hui si nécessaire.
Surtout n’exagérons pas, messieurs, les suites de nos revers, comme la Hollande et ses partisans auraient intérêt de le faire. Où sont les champs de bataille témoins de notre défaite et des victoires de l’ennemi ? Non, la Belgique n’est pas encore vaincue : le soleil qui nous éclaire est encore celui de septembre, nos guerriers sont encore ceux qui chassèrent l’étranger du sol de la patrie : avec de tels hommes, mieux organisés et conduits par des chefs braves et expérimentés, la cause de la liberté chez nous ne peut périr.
Je demande qu’une enquête soit faite sur les causes et les auteurs de nos désastres, afin que la chambre puisse statuer comme de droit.
- La chambre ordonne le renvoi de la proposition aux sections.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) présente un projet de loi qui soumet tous ceux qui seraient dépositaires d’armes de guerre à en faire la déclaration dans les huit jours, sous peine d’un emprisonnement de quinze jours à six mois ; le projet prévoit plusieurs cas, et contient plusieurs autres dispositions.
- L’impression et la distribution du projet sont ordonnées par la chambre.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) présente un projet de loi qui a pour objet d’autoriser le Roi à faire séjourner des troupes étrangères sur le territoire belge, ou à leur permettre de le traverser.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Maintenant, messieurs, ajoute le ministre, je demanderai à la chambre la permission de lui donner quelques explications sur ce qui s’est passé dans notre dernière séance ; ces explications sont nécessaires ; elles ont pour but de ne pas retarder l’armement de la garde civique. Dans votre dernière séance on a attaqué une circulaire ministérielle avec violence, et on a taxé le ministère de commettre des balourdises si souvent répétées, que, s’il fallait une loi pour relever chacune d’elles, on n’en finirait pas. Messieurs, dans un moment comme celui où nous nous trouvons, le gouvernement a besoin de force ; si le ministère ne suit pas la ligne tracée dans la constitution, s’il n’a pas la confiance de la chambre, la chambre peut le manifester en refusant les projets de loi qui lui sont présentés, et alors le gouvernement verra ce qu’il a à faire. Dans le cas contraire, comme il est bon que nous soyons forts, il faut que les chambres nous prêtent leur appui, et que ce ne soit pas par les armes du ridicule que nous soyons attaqués.
Si la loi sur la garde civique est claire (et elle l’est, mais dans un sens tout contraire à celui qu’on lui a prêté dans la dernière séance), on conviendra qu’on a eu tort d’attaquer la circulaire ministérielle ; je conviens que, si on se contentait de lire l’article 53, bien certainement les communes n’auraient rien à fournir que les objets qui y sont indiqués. Cet article porte :
« L’uniforme de la garde civique consiste en une blouse de toile bleue avec liséré rouge au col, aux épaulières et au parement des manches ; un shako couvert en toile cirée surmonté d’un pompon, dont la couleur est à fixer par les chefs de corps, et une ceinture en cuir noir bouclée devant. »
Que fait cet article ? Il règle l’uniforme de la garde civique. Les lois ne prescrivent pas ordinairement la manière dont doit être fait tel ou tel uniforme ; mais ici on a porté une exception à cet usage en faveur de la blouse, dont on a voulu faire l’uniforme national. Ce n’est donc pas dans cet article seulement qu’il faut chercher les obligations des communes, mais dans les articles suivants qui, à mon avis, ne laissent aucun doute sur ces obligations. Voyez l’article 55, par exemple. Que dit cet article : « Les gardes s’habillent à leurs frais ; ceux qui n’ont pas les moyens de s’équiper le sont aux frais de la commune, par décision du conseil communal. » Cet article est-il clair ? Est-il permis de douter que la commune ne soit obligée d’habiller celui qui n’a pas les moyens. Je le demande : peut-on dire qu’un homme est habillé, parce que la commune lui aura donné une blouse, un shako et un pompon ? Voyez encore l’article 56, il porte ; « Les fusils, gibernes et buffleteries nécessaires à l’armement de la garde civique, et les sabres des sous-officiers, avec baudriers noirs, sont fournis par l’Etat. » Si l’Etat avait dû fournir autre chose que ce qui est spécifié dans cet article, on n’aurait pas manqué de le dire. Ce n’est pas tout. L’article 66 est encore plus concluant que tous les autres : « Aussitôt qu’une partie de la garde est mobilisée, dit cet article, elle est assimilée à l’armée, jouit de la solde et est administrée militairement. » C’est ici, messieurs, que, si on avait voulu que la garde mobilisée reçût autre chose que ce que l’article 56 avait réglé, on l’aurait déterminé. La loi n’impose au gouvernement, vous le voyez, que l’obligation de fournir les armes et la buffleterie ; il y a plus, comment le ministre de la guerre pourrait-il fournir autre chose, lui qui est étranger à l’organisation de la garde civique ? Cette organisation est faite par l’autorité civile, ce n’est qu’au moment de sa mobilisation qu’elle passe dans les attributions du ministère de la guerre ; mais alors elle doit être habillée et équipée, car ce n’est pas au moment de combattre que l’Etat peut pourvoir à ce besoin. Il est une autre considération qui milite en faveur de l’opinion que je soutiens : c’est que, comme ce n’est que les hommes pauvres que les communes sont obligées d’habiller, elles ne font que remplir un devoir auquel elles seraient tenues envers eux-mêmes, quand il n’existerait pas de garde civique ; car, vous le savez, chaque commune est obligée d’entretenir ses pauvres.
Messieurs, par ces observations, je n’ai eu pour but que de vous démontrer que la circulaire a été attaquée mal à propos et que l’espèce de décision rendue par la chambre…
- Plusieurs voix. - Il n’y a pas eu de décision.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Les motifs ont été insérés au procès-verbal.
- Les mêmes voix. - Non ! il n’y a pas eu d’insertion au procès-verbal.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Quoi qu’il en soit, si les communes, se fondant sur la discussion qui a eu lieu ici, se refusaient à habiller leurs hommes, il serait impossible de tirer parti de la garde civique. Je sais tout ce que la législation sur la garde civique laisse à désirer ; cette législation a été faite à pièces rapportées ; mais, telle qu’elle est, il faut bien l’exécuter, car nous avons besoin d’hommes. Je n’ajoute qu’un mot : il importe peu à l’Etat que ce soit les communes ou lui qui paient ; mais nous n’avons pas de fonds pour habiller la garde civique, et si les communes se refusaient obstinément à le faire elles-mêmes, il faudrait nous accorder un crédit pour cet objet. Du reste, si la chambre doit prendre une décision à cet égard, s’il entre dans ses intentions d’interpréter la loi qui me paraît très claire, je demande que cette interprétation se fasse à l’instant ; car le temps presse.
M. Jullien. - Je me bornerai à demander à quoi M. le ministre de la guerre conclut ? Est-ce l’interprétation de la loi qu’il demande ? Qu’il présente un projet à cet égard. Sont-ce seulement des explications ? Nous les avons entendues. On a passé à l’ordre du jour sur la proposition de M. Jamme, par cette considération que la loi était claire…
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - J’ai voulu seulement justifier la mesure prise par le ministère et prouver qu’elle était conforme à la loi qui, je le répète, me paraît très claire, et pour laquelle, par conséquent, je ne crois pas avoir besoin de présenter un projet d’interprétation.
M. Jamme. - Messieurs, vous venez d’entendre les arguments de M. le ministre de la guerre ; je laisse à votre sagesse à les apprécier ; ils n’ont pu changer mon opinion sur la lettre de la loi, dans laquelle, néanmoins, j’avoue qu’il existe certaine obscurité. Je rends, au reste, justice aux intentions du ministre, mais je suis certain que la marche qu’il veut suivre éprouverait beaucoup de difficultés ; elle est contraire à la loi, nous devons donc la quitter.
Je regrette de paraître faire de l’opposition dans un moment où je sens à quel point il importe, par un accord parfait entre tous les pouvoirs, de seconder les efforts de M. le ministre de la guerre dans ses dispositions de défense.
C’est par devoir que j’ai provoqué la discussion de la chambre, dans laquelle il a été démontré que les communes ont le droit de se refuser à fournir l’habillement au premier ban mobilisé ; je le devais pour conserver intact le principe établi par l’article 110 de la constitution, qui est la seule garantie du droit des communes, et pour écarter aussi l’interprétation erronée de la loi que je savais exister.
Il ne fait pas croire, messieurs, que le refus des communes puisse amener beaucoup de retard dans le départ des gardes ; il résulterait de bien plus grandes difficultés d’exécution, bien plus de lenteur, si la question restait indécise ; le doute nous prolongerait dans la confusion. Je sais que le départ des gardes du premier ban a lieu de plusieurs points ; il faut obéir, et la saison permet encore aux gardes de partir avec leurs propres vêtements ; ils ne reçoivent des communes que la blouse, le shako et la ceinture d’ordonnance ; ils partent, mais dénués de tout ce qu’un soldat doit avoir pour entrer en campagne ; ils partent à regret. Il faut maintenant éviter que leur mécontentement ne se manifeste de jour en jour en raison de leurs besoins ; leurs vêtements seront promptement hors de service, et la saison humide et froide arrive. Que l’expérience ne soit pas perdue pour nous : rappelons-nous que c’est par le défaut d’organisation, que c’est pour avoir été trop (manque trois ou quatre mots), des armes, pour avoir manqué des choses de première nécessité, qu’une masse imposante de gardes civiques, accourus avec empressement où l’honneur les appelait, se sont vus frappés de nullité et ont dû rentrer dans leurs foyers, avec la triste pensée d’avoir exposé leurs jours sans gloire pour eux et sans utilité pour leur patrie.
Le soldat-citoyen ne peut, ne doit pas être exposé à des privations, à des souffrances que n’éprouvera pas le soldat de la ligne ; il ne peut, il ne doit exister aucune différence entre eux ; ils sont frères et combattent pour la défense commune. Le garde civique moins encore que le milicien est préparé aux fatigues de la guerre ; il quitte tout sans s’y être attendu, pour se rendre où le devoir l’appelle.
Il ne suffit pas, messieurs, que du silence de la loi résulte le refus fondé des communes ; je prie la chambre de vouloir se prononcer sur la proposition que je vais lui soumettre : une loi transitoire est indispensable ; il faut qu’elle puisse suppléer au silence de la loi sur un des cas les plus essentiels, puisqu’il concerne la partie active, la partie réellement utile de la garde. Je sens la nécessité d’un supplément à la loi, bien que la garde civique mobilisée se trouve réglée par les lois sur la milice, parce que je sais que par sa nature, que par son service, qui ne peut être que temporaire, il y a des dispositions spéciales à déterminer à l’égard du premier ban mobilisé. Je ne sais, messieurs, si la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre est faite dans la forme prescrite par le règlement ; mais ce que je sais, c’est qu’il y a urgence, c’est que j’agis spontanément, que j’agis en considérant la responsabilité morale et solidaire qui pèse sur la chambre, dans des circonstances aussi graves que celles où se trouve la Belgique. Si la loi nous donne le droit de voter des subsides, elle nous fait un devoir d’en déterminer et d’en surveiller l’emploi.
Si ma proposition est rejetée, messieurs, ce rejet équivaudra, dans mon opinion, à un arrêt de nullité pour le premier ban, et la chambre pourra s’attendre à subir le reproche de ne pas avoir su mettre à profit les tristes leçons d’une expérience coûteuse.
En ma qualité de bourgmestre d’une population nombreuse, j’ai vu les vices de la loi : c’est à l’exécution qu’on peut les juger. Je connais les difficultés d’exécution, et je sais l’influence nuisible qu’elles ont exercées sur l’esprit de la garde. Une de ces difficultés, messieurs, c’est que, bien qu’animée du patriotisme le plus vrai, toujours la garde raisonne et disserte ; cette milice, composée de citoyens libres et indépendants, ne peut s’habituer à l’idée de cette obéissance passive, sans laquelle, cependant, un corps armée est sans force réelle.
L’obéissance passive manque parce qu’il faudrait un discernement plus qu’ordinaire pour en sentir toute l’importance, ou que les officiers fussent tous d’un mérite transcendant ; s’ils n’ont pas tous ce mérite dans une égale proportion, la faute n’en est pas à la loi électorale, mais bien à l’indifférence que l’on a eue jusqu’à présent à user de ses droits politiques. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)
M. Lebeau. - Du moment où M. Jamme ne fait aucune proposition, nous sommes jetés dans le vague, et il est impossible de prendre aucune décision. M. Jamme fait des vœux pour qu’une décision soit rendue ; mais nous ne sommes pas ici pour faire des vœux. L’honorable membre veut-il prier le gouvernement de présenter un projet de loi pour interpréter celle du 31 décembre ? Mais c’est abdiquer une de nos prérogatives les plus précieuses, le droit d’initiative. Le gouvernement a déclaré d’ailleurs qu’il trouve la loi claire ; il n’y a pas d’interprétation à demander. Si l’honorable membre ne trouve pas la loi claire, ou si, la trouvant claire, elle lui semble mauvaise, qu’il présente un projet, il en a le droit. Jusque-là il n’y a rien à décider.
M. Brabant. - Je demande à répondre à l’interprétation donnée par M. le ministre de la guerre.
M. le président. - Je ferai observer à la chambre qu’il n’y a rien en discussion. Aucune proposition n’a été faite.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - On avait fait une proposition à la dernière séance, et on passa à l’ordre du jour ; j’ai voulu prouver qu’on aurait eu raison si on ne l’avait pas basé sur des motifs tout contraires à ceux qui semblent l’avoir fait adopter.
M. H. de Brouckere. - Je demande l’ordre du jour sur cette discussion, à moins que M. Jamme ne rédige une proposition et ne la dépose. S’il le fait, je demanderai la parole pour la combattre.
M. le président. - La proposition de M. Jamme a été faite à la dernière séance, et l’assemblée a passé à l’ordre du jour, parce qu’elle trouve la loi claire…
M. Devaux. - Il est inexact de dire qu’on ait passé à l’ordre du jour, parce qu’on a trouvé la loi claire. Aucun motif général n’a pu être donné ; chacun de nous s’est décidé selon sa conviction. Pour ma part, j’ai voté pour l’ordre du jour, et ce n’est pas parce que je trouvais la loi claire, car je n’ai pas assez de sagacité pour juger de l’esprit d’une loi par un seul article. La proposition a été écartée, voilà l’essentiel. Elle n’est pas reproduite ; je demande qu’on passe aujourd’hui à l’ordre du jour.
M. Brabant. - Dans la dernière séance, nous avons passé à l’ordre du jour sur la proposition de M. Jamme ; je ne sais pourquoi M. le ministre est venu remettre cette question sur le tapis, mais toujours est-il que nous ne pouvons passer à l’ordre du jour aujourd’hui que sur les explications données par M. le ministre de la guerre.
M. de Robaulx. - On ne peut passer à l’ordre du jour là où il n’y a pas de discussion. Le gouvernement trouve la loi claire, c’est à lui de l’exécuter comme il l’entend. Si on ne trouve pas la loi claire, qu’on fasse une proposition pour l’interpréter, mais jusque-là il n’y a rien à décider. Je regrette, du reste, que nous n’ayons pas de ministre de l’intérieur pour nous occuper de la révision des lois sur la garde civique ; car, avec les lois que nous avons, nous n’aurons jamais de garde civique. Mais, en attendant, nous ne pouvons pas passer à l’ordre du jour, puisqu’il n’y a rien en discussion. Je désire donc qu’on passe à l’ordre du jour (hilarité), c’est-à-dire qu’on s’occupe immédiatement de suivre la discusion des objets que nous devons examiner.
M. A. Rodenbach. - Je crois cependant qu’il est urgent de s’expliquer sur la question de savoir si c’est l’Etat ou les communes qui doivent fournir à l’habillement ; car dans dix ou douze jours, nous pouvons avoir besoin de faire marcher la garde civique, et il faut bien qu’elle soit habillée.
M. Jamme annonce qu’il déposera une proposition avant la fin de la séance.
L’ordre du jour est la discussion du projet de loi sur les remplaçants, adopté avant-hier par le sénat avec des amendements que nous avons fait connaître.
Ce projet est adopté article par article sans nouveaux amendements et sans discussion.
Deux amendements proposés par M. Bourgeois, et un article additionnel de M. Fallon n’ont pas été appuyés, et pas conséquent n’ont pas été mis en discussion.
L’appel nominal sur l’ensemble du projet a produit pour résultat l’adoption de la loi par 27 suffrages contre 26.
Voici les noms des opposants : MM. Coppieters, Raikem, Desmet, de Roo, Vergauwen, Bourgeois, Hye-Hoys, Dumont, Dugniolle, Brabant, Destouvelles, Jullien, de Haerne, Fallon, Coppens, Corbisier, Dubus, Lardinois, Vuylsteke, Dumony, de Robaulx, A. Rodenbach, Dams, Davignon et …
M. le ministre des finances (M. Coghen) présente un projet de loi sur le budget, dont l’assemblée ordonne l’impression et la distribution. Nous le ferons connaître.
M. le président lit une proposition déposée par M. Jamme, et qui est ainsi conçue :
« Art. 1er. Les effets d’habillement et d’équipement que les communes sont obligées de fournir aux gardes civiques qui n’ont pas les moyens de s’habiller, consistent en une blouse, un shako et une ceinture. »
« Art. 2. Toute autre partie de l’habillement nécessaire pour entrer en campagne sera à la charge du gouvernement. »
- La chambre ordone l’impression et la distribution de la proposition.
La séance est levée à trois heures.