(Moniteur belge n°92, du 15 septembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et quart.
M. Lebègue donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Liedts donne lecture de plusieurs pétitions, qui sont renvoyées à l’examen de la commission.
M. Legrelle demande le renvoi au ministère des finances d’une de ces pétitions, souscrite par 47 négociants d’Anvers, qui demandent d’être affranchis d’un droit exigé d’eux à l’entrepôt.
M. Destouvelles fait observer à l’honorable membre qu’on ne peut pas ainsi ordonné le renvoi d’une pétition à un ministre, et qu’il faut que ce renvoi ait été jugé nécessaire par la commision et par l’assemblée.
- La demande de M. Legrelle n’a pas de suite.
M. Liedts lit une lettre de M. Jonet qui demande un congé de dix jours.
- Accordé.
Le même lit une lettre de M. Goblet, annonçant qu’ayant été chargé par le gouvernement d’une mission pour Londres, il a besoin d’un congé indéterminé.
- Accordé.
M. W. de Mérode, élu par les districts de Louvain et de Soignies écrit pour annoncer qu’il opte pour le district de Louvain.
M. le président. - Ceux de MM. les représentants qui ont été élus dans plusieurs districts devraient s’empresser de faire leur option, pour ne pas laisser longtemps la chambre incomplète ; pour moi, qui ait été nommé à Liége et à Neufchâteau je déclare opter pour Liége.
M. le président. - Je propose maintenant à la chambre de faire savoir au sénat que nous sommes constitués.
M. Barthélemy. - Ne conviendrait-il pas de le faire par un message ?
- Cette proposition est adoptée.
- M. Tiecken de Terhove, qui n’était pas présent aux séances précédentes, prête serment.
M. le président. - Messieurs, la commission que vous aviez chargée de rédiger l’adresse en réponse au discours du trône a terminé son travail ; il a été imprimé et distribué ; veut-on maintenant la discuter, et la discutera-t-on en séance publique ou en comité général ?
Voici le texte du projet :
« Sire !
« En posant le pied sur le sol de la Belgique, Votre Majesté fut saluée par les acclamations unanimes du peuple belge ; chaque jour ce peuple a senti se resserrer les liens qui l’attachent au chef qu’il s’est choisi et qui a si noblement répondu à sa confiance. Recevez de nouveau, Sire, l’hommage du dévouement et de la reconnaissance de la nation, dont nous sommes ici les organes.
« Trop confiante en la foi des traités proposée et garantis par les cinq puissances et acceptés par la Hollande, la Belgique se livrait à la joie de posséder celui qu’elle regardait comme le gage de son bonheur et de ses relations amicales avec les autres Etats, lorsqu’une force ennemie a tenté subitement de l’envahir. Notre jeune armée, disséminée sur tous les points du territoire, privée de chefs expérimentés, fut surprise et non vaincue. Une nation généreuse nous prêta son assistance et défendit chez nous notre révolution et la sienne, dont le sort ne saurait désormais être mis en péril sans exposer l’Europe à des bouleversements qui compromettraient pour longtemps son repos. Tout en regrettant que l’imminence du danger n’ait pas permis au gouvernement de réunir les mandataires de la nation, pour sanctionner les mesures commandées par le salut de l’Etat, la Belgique a vu avec reconnaissance qu’elle pouvait compter sur l’amitié du peuple français et sur le bienveillant appui de son illustre monarque.
« Votre Majesté nous informe que des négociations sont ouvertes pour terminer nos différends avec la Hollande. Nous sommes convaincus, Sire, que conformément à vos nobles paroles, l’honneur et les intérêts du peuple belge y seront défendus avec persévérance et dignité. Au moment même où la Belgique venait de donner à l’Europe un témoignage éclatant de ses vues pacifiques et conciliatrices, la Hollande a rompu l’armistice ; notre déloyal adversaire ne peut avoir améliorer sa position en violant la foi jurée.
« Si cette paix, que nous désirons, ne pouvait s’obtenir à des conditions honorables, nous osons, Sire, vous en donner l’assurance : il n’est point de sacrifices que la Belgique ne s’imposât pour le maintien de ses droits.
« Les suites inévitables d’une grande commotion politique, la perspective d’une guerre que nous pensions avoir conjurée, quelques causes plus anciennes et d’autres qui se rattachent à l’état général de l’Europe, ont été nuisibles aux intérêts de l’industrie et du commerce. La chambre des représentants voit avec satisfaction la sollicitude de Votre Majesté pour ces souffrances, auxquelles le gouvernement ne peut accorder un trop vif intérêt. Nous serons prêts à concourir avec lui à toutes les mesures que nous croirons utiles à ces deux sources de la prospérité publique.
« Nous accueillons l’espérance que des négociations pourront être ouvertes à cet égard, à l’aide des rapports déjà établis avec deux puissances voisines, et que nous désirons, comme Votre Majesté, de voir bientôt s’étendre aux autres Etats.
« L’ordre et l’économie dans les dépenses publiques sont une des conditions essentielles de la prospérité des nations. Les vues que Votre Majesté nous communique sur cet objet important, sont aussi celles de la chambre. Elle ne négligera rien pour les mettre en pratique, et pour alléger, autant que les besoins de l’Etat le permettront, les charges qui pèsent sur le peuple.
« Si, par suite de notre neutralité, quelques-unes de nos forteresse ne pouvaient plus être qu’onéreuses à la nation, nous nous flattons, Sire, que dans les négociations relatives à la démolition de ces places, le gouvernement ne négligera rien de ce qui importe à la sûreté et à l’honneur de la Belgique.
« La chambre examinera avec empressement les projets qui lui sont annoncés ; elle prêtera une attention particulière aux lois relatives à l’organisation militaire. L’expérience nous a appris que la bravoure la moins contestée ne peut, dans les armées, suppléer à l’absence d’une organisation forte, d’exercices fréquents et d’une sévère discipline. Le gouvernement est convaincu comme nous de la nécessité de presser avec la plus grande activité la réorganisation de cette armée qui, dans peu de temps, sera en état de soutenir la lutte contre nos ennemis.
« Sire, nous ne nous dissimulons pas les difficultés de notre commune position ; mais nous savons que, pour fonder son indépendance et ses libertés, une nation a besoin de courage et de persistance. Loin de se laisser abattre par un premier revers, elle s’instruit et retrempe ses forces aux épreuves mêmes de l’adversité. Les Belges ont vu leur Roi affronter les dangers pour eux ; ils sauront combattre et triompher avec lui, si le salut du pays le réclame ; ils l’ont déjà récompensé par leur amour ; ils auront, si une nouvelle lutte les appelle, entourer sa couronne d’une gloire que la fortune ne pourra lui ravir.
« Le président, de Gerlache, Destouvelles, de Theux, Paul Devaux, Fleussu, Gendebien, Lebeau. »
M. Delehaye. - Je demande le renvoi en sections.
M. Verdussen demande que l’adresse soit discutée publiquement ; mais, avant, il faudrait que le projet d’adresse fût rédigé par une commission, prise dans le sénat et dans la chambre des représentants. (Marques de surprise.) Mon motif, ajoute l’honorable membre, est que le roi s’étant adressé dans son discours à la nation entière, et chacune des chambres en particulier ne pouvant se dire : Je suis la nation, il convient que leur réponse soit faite en commun. (On rit.)
M. Jullien. - Je ferai observer à l’honorable membre que tout est consommé à cet égard ; la chambre a déjà nommé une commission pour rédiger l’adresse, et probablement le sénat en a fait autant de son côté ; il n’y a pas lieu à s’occuper de la proposition.
M. Destouvelles. - Je ferai observer à la chambre qu’en France la chambre des pairs et celle des députés font chacune séparément leur adresse, et ne se réunissent jamais pour la faire en commun ; je ne vois pas pourquoi nous ne procéderions pas ainsi.
M. Delehaye. - Indépendant de l’observation de M. Destouvelles, j’ajouterai celle-ci : c’est que nous n’avons pas le droit de faire au sénat une semblable proposition ; si nous la faisions, le sénat pourrait refuser, et que ferions-nous ? Il faut donc que le sénat agisse chez lui comme il l’entendra, et nous agirons de notre côté comme nous voudrons.
M. Dewitte. - J’ajouterai à tout ce que vous venez d’entendre que déjà la chambre a arrêté qu’elle agirait séparément ; elle a nommé la commission de l’adresse, cette commission a rempli son mandat ; je demande que l’on continue de procéder sur ces errements.
M. Rogier. - Il est utile que chaque chambre réponde séparément. Dans la nation, il y a plusieurs nuances d’opinion ; ces nuances doivent être représentées par les deux chambres, et il est nécessaire qu’elles se manifestent dans l’adresse. Que chaque chambre donc fasse la sienne. Je demanderai d’ailleurs comment nous procéderions à la discussion, si les deux chambres devaient y concourir. (Aux voix ! aux voix !)
M. Verdussen, qui a rédigé sa proposition par écrit, la fait passer à M. le président.
M. le président. en donne lecture et ajoute. - La proposition de M. Verdussen est-elle appuyée ?
- M. Legrelle et M. Verdussen se lèvent seuls. (On rit.)
M. le président. - La proposition n’est pas appuyée.
M. Jullien. - La commission chargée de rédiger le règlement s’est assemblée, mais n’a pu travailler utilement en l’absence des documents nécessaires ; comme ce qu’il y a de parfait en ce genre est le règlement des chambres françaises, nous avons voulu le consulter ; mais nous ne l’avons pas trouvé. Nous avons écrit à M. le ministre des affaires étrangères pour qu’il chargeât sa légation à Paris de l’envoyer (oh ! oh !) ; cela ne se trouve pas dans le commerce.
M. A. Rodenbach. - Est-il besoin de recourir à Paris pour faire un règlement ? Il me semble que le règlement des chambres françaises doit se trouver dans le Moniteur.
M. Devaux. - Faire un bon règlement n’est pas un travail si facile, et nous devons songer que c’est pour longtemps que nous allons travailler. Je fais cette observation pour répondre à M. Rodenbach. Nous avons besoin de nous entourer de toutes les lumières possibles, et dussions-nous attendre trois semaines et même un mois pour les obtenir, ce ne serait pas trop. J’ajouterai qu’il est douteux que ce règlement se trouve dans le Moniteur, et d’ailleurs la chambre n’a pas la collection de ce journal.
M. C. Rodenbach. - On le trouve dans les cinq codes annotés par Paillet, édition in-quarto.
M. Devaux. - On n’a pas fait d’édition de Paillet, que je sache, depuis 1830.
M. A. Rodenbach. - Le règlement a subi peu de modifications en 1830.
- Cette discussion n’a pas de suite.
M. Seron. - Messieurs, vous venez de renvoyer le projet d’adresse aux sections ; il me semble que c’est un double travail. Quand vous renvoyez un projet à une commission, c’est pour abréger l’opération qu’entraîne l’examen dans les sections. Après avoir chargé une commission de faire l’adresse, vous allez l’examiner en sections, et puis vous la faites passer par la section centrale ; c’est une perte de temps évidente ; je demande que l’adresse soit discutée immédiatement.
M. Delehaye. - Je demande, au contraire, le maintien de notre première décision. Les projets présentés au congrès ont été toujours renvoyés à l’examen des sections ; il n’y a pas de raison pour qu’il n’en soit pas de même aujourd’hui.
M. Lebeau. - Il y a une erreur dans l’assertion du préopinant. Quad un projet était présenté au congrès, on le renvoyait aux sections si l’assemblée le demandait ; mais quand on voulait procéder d’urgence, on le renvoyait à une commission, et alors il n’était plus question de renvoi en sections.
M. Leclercq. - Je ferai observer qu’ici la commission de l’adresse n’a pas été nommée pour abréger le travail, mais pour faire un travail qui n’existait pas, et que par conséquent on ne pouvait pas renvoyer en sections. Maintenant que ce travail est fait, je suis d’avis que les sections doivent l’examiner ; je demande donc le renvoi aux sections, et que la chambre ne change pas de décision d’une minute à l’autre.
M. de Theux. lit l’article 29 du règlement, et soutient que, lorsque le renvoi à une commission a été ordonné, il ne peut pas être question de renvoyer aux sections.
M. Rogier. - L’article 29 suppose un travail déjà fait, et ici il n’en existe pas.
M. Barthélemy. - On pourrait tout concilier en procédant comme on le faisait aux états-généraux. Dans la deuxième chambre des états, on nommait aussi une commission de l’adresse ; lorsqu’elle avait fait son rapport, il était renvoyé aux sections, qui l’approuvaient ou le modifiaient s’il y avait lieu. Les observations des sections arrivaient à la section centrale, qui s’adjoignait alors à la commission de l’adresse. Je propose que nous procédions de cette manière.
M. A. Rodenbach. - Le moyen proposé par M. Barthélemy est très lent. Nous devrions nous formé en comité général et la discuter immédiatement. La nation attend avec impatience la réponse au discours du trône ; il fait nous presser de la faire. Il faut nous presser aussi de former des régiments ; car le 10 octobre, les Hollandais peuvent reprendre les hostilités, rentrer en Belgique, la ruiner et nous déshonorer comme ils l’ont déjà fait.
M. Rogier. - L’article du règlement est formel ; quand dix membres demandent le renvoi aux sections, ce renvoi est de droit.
M. Gendebien. - Il ne s’agit pas de savoir si on renverra aux sections, mais de décider si une minorité de dix membres pourra faire la loi à la majorité. Or, je soutiens que l’assemblée peut décider, malgré la demande de dix membres, que le renvoi aux sections n’aura pas lieu ; car tout se décide ici par les majorités, et il serait absurde de prétendre que, lorsque 100 membres d’une assemblée veulent une chose, une minorité de 10 membres pût l’empêcher.
M. Delehaye. - Il vaudrait autant dire : observera-t-on le règlement ou ne l’observera-t-on pas ? (Rumeur.) Oui, messieurs, c’est la même chose ; le règlement est formel : quand dix membres demandent le renvoi aux sections, il n’y a pas majorité qui tienne, ce renvoi doit être ordonné, à moins qu’on ne décide que le règlement ne sera pas observé.
M. Devaux. - Cette discussion a été soulevée pour éviter la perte de temps, et nous en perdons beaucoup. Je propose à l’assemblée de se réunir immédiatement en sections, de manière à ce que la section centrale puisse se réunir ce soir, et nous discuterions le projet demain.
- Cette proposition est adoptée. L’assemblée se sépare, et chaque membre se rend dans sa section.
La séance est levée à deux heures.