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t'Kint de Roodenbeke Arnold (1853-1928)

Portrait de t'Kint de Roodenbeke Arnold

t'Kint de Roodenbeke Arnold, François, Marie catholique

né en 1853 à Gand décédé en 1928 à Bachte-Maria-Leerne

Représentant entre 1891 et 1900, élu par l'arrondissement de Eecloo

Biographie

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(Extrait de La Chambre des représentants en 1894-1895, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1896, pp. 403-405)

t'KINT de ROODENBEKE, Arnold-François-Marie (baron), représentant catholique pour l’arrondissement d’Eecloo, né à Gand, le 1 mai 1853

Fils de l'honorable ministre d'Etat et président du Sénat, M. le baron Arnold t'Kint de Roodenbeke est avocat à la Cour d'appel de Gand.

Il a publié de nombreux articles et brochures sur l'enseignement primaire en Angleterre, la législation des sociétés de secours mutuels, la réglementation internationale du travail, la société indigène en Algérie et en Tunisie, etc. C'est un collaborateur assidu de La Revue générale, de Bruxelles, et de La Réforme sociale, de Paris.

Bourgmestre de la commune de Bachte-Maria-Leerne (Flandre orientale), ancien vice-président du Conseil provincial de la Flandre orientale, ancien membre de la Commission du travail en 1886 et rapporteur sur la question de la réglementation du travail, délégué de la Belgique au Congrès de Berlin ( Conférence internationale du travail en 1890), membre du Conseil supérieur du travail, ancien président de la Société belge d'économie sociale, membre de la Société d'économie sociale française, membre du Comité d'inspection des asiles d'aliénés de l'arrondissement de Gand, attaché à la Mission extraordinaire envoyée à La Haye en 1872 pour féliciter le Roi des Pays-Bas à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire d'avènement au trône, M. t'Kint de Roodenbeke fut élu représentant pour l'arrondissement d'Eecloo le 3 mai 1891 en remplacement de M. le baron Kervyn de Lettenhove.

Il a pris une part active aux travaux parlementaires : il a été rapporteur, à diverses reprises, des budgets de l'agriculture, de l'industrie, du travail et des travaux publics, ainsi que d'autres projets de loi importants, notamment ceux concernant la répression des crimes et délits de la traite des noirs et portant révision de la loi du 3 avril 1851 sur les sociétés mutualistes, qui est devenu la loi du 23 juin 1894. C'est à raison de cette circonstance que, dans son discours du 21 juillet 1894, prononcé lors de la distribution solennelle des décorations mutuellistes, M. le ministre De Bruyn a pu saluer l'honorable président du Sénat, rapporteur de la loi de 1851, du titre de « grand-père de la nouvelle loi » pour caractériser, dans la famille du baron t'Kint de Roodenbeke, le patriotisme en même temps que le dévouement traditionnel aux travailleurs.

M. t'Kint de Roodenbeke est le seul membre de la Chambre des représentants dont la réélection n'ait point été combattue, le premier, par conséquent, qui ait profité de la nouvelle disposition contenue dans le Code électoral de 1894, aux termes de laquelle les candidats sont proclamés élus sans les formalités de l'élection lorsque leur nombre ne dépasse pas celui des mandats à conférer.

Il fait partie de la Commission permanente des sociétés mutualistes comme délégué de la Chambre des représentants et siège, au sein de cette assemblée, dans la commission permanente des finances.

M. t'Kint de Roodenbeke est chevalier des Ordres de Léopold et du Lion néerlandais.


(Extrait de La Libre Belgique, du 12 août 1928)

M. le comte T' Kint de Roodenbeke a succombé, hélas l vendredi soir, à 9 h 1/2.

Il était âgé de 75 ans.

Fils lui-même d'un président du Sénat, le comte Arnold T'Kint de Roodenbeke occupait le fauteuil dans la Haut-Assemblée depuis le 14 novembre 1922. Il y avait remplacé le baron de Favereau, cette noble figure d'homme politique catholique. On sait de quelle haute estime, de quelle popularité du plus pur aloi le baron de Favereau jouissait sur tous les bancs du Sénat.

La succession que recueillait le comte T’Kint de Roodenbeke était donc lourde. Il sut s'acquérir, lui aussi, la sympathie unanime de ses collègues, à quelque parti qu'ils appartinssent, par sa loyauté, son extrême courtoisie, son évident désir d'égale bienveillance envers tous. Aussi les sénateurs se trouvaient-ils d'accord à chaque nouvelle session pour le maintenir au fauteuil.

Il était entré au Sénat en mai 1900. Il avait été désigné pour la première vice-présidence le 14 novembre 1911.

Avant de représenter la circonscription de Gand-Eecloo au Sénat, il avait représenté celle d'Eecloo pendant neuf ans à la Chambre.

Il avait joué très tôt un rôle dans les affaires publiques du pays. Il n'était docteur en droit de l'Université de Louvain que depuis un an quand il fut attaché, en 1872, à la mission extraordinaire envoyée à La Haye à l'occasion du 25e anniversaire de l'avènement au trône du roi des Pays-Bas. Il fit partie, en 1886, de la commission du travail, dont l'enquête ouvrit la voie à notre législation ouvrière : il s'intéressait fort aux questions d'ordre économique et social et avait publié à leur sujet des études dans La Revue générale de Bruxelles et dans La Réforme sociale de Paris ; il avait d'autre part, une grande compétence dans les questions concernant la mutualité : c'était là, en quelque sorte, un héritage que lui avait son père, qui fut l'un des promoteurs du mouvement mutualiste en Belgique.

En 1890 il fut adjoint à Victor Jacobs pour représenter la Belgique à la fameuse conférence du travail convoquée, avec tapage, naturellement, par Guillaume II, qui venait de monter sur le trône. Dans la suite, il fut appelé à occuper beaucoup de postes pour lesquelles ses connaissances en matière sociale et économique le désignaient naturellement: il fut président de .la Société d'économie sociale ; vice-président du Conseil supérieur du travail ; délégué de la Chambre puis du Sénat, vice-président, puis président à la Commission permanente des sociétés mutualistes ; membre du de la Caisse d'épargne et de retraite. etc., etc. Il eut aussi l'honneur d'être plusieurs fois chargé par le chef de l'Etat de missions représentatives auprès de souverains étrangers.

Dès 1878, il prenait officiellement part à la politique active comme membre du conseil provincial de la Flandre orientale, dont il fut secrétaire, puis vice-président. Il quitta 'le conseil pour entrer la Chambre.

Il était bourgmestre de Bachte-Maria-Leerne (arrondissement de Deynze), où il habitait l'été, le vieux château d’Oydonck, qui compte parmi les monuments historiques de la Belgique ; c'est là qu'il est mort.

Cette longue et cependant imparfaite énumération de fonctions et de mandats qu'il exerça rend presque inutile de dire que c'était un homme politique ayant des connaissances et de l'expérience en une foule de domaines. Rien que par là sa participation aux débats parlementaires avait du prix. Il prononça de nombreux discours et de présenta de nombreux rapports pendant les neuf années qu'il siégea à la Chambre et, au Sénat, avant d’occuper le fauteuil présidentiel.

C'était un homme très bon, fort accueillant et qu'une certaine timidité a peut-être empêché de donner toute sa mesure.

Sa grande fortune lui eût permis l'oisiveté: et il s'est consacré toute sa vie, sans souci de sa santé un peu frêle, à l’accomplissement, souvent pénible, de tâches où il servait son pays et la cause catholique. Sa mémoire en demeurera honorée dans la nation.

Nous présentons à la famille du défunt nos chrétiennes condoléances.


(Extrait du XXème siècle, du 12 août 1928)

Le Sénat belge vient de perdre son Président. Les nouvelles que nous avons publiées hier au sujet de l'état de sa santé ne faisaient que trop prévoir ce dénouement. Au moment où nous annoncions la subite aggravation de son état, sa famille affligée avait déjà abandonné tout espoir, le vénérable malade étant à toute extrémité.

La Haute Assemblée ressentira vivement la perte de l'homme charmant et affable qui dirigeait. ses travaux. Elle avait pour lui une véritable affection, et nous pouvons dire aussi une véritable vénération. Sa santé avait subi une altération grave, il y a quatre années déjà, à la suite d'urne atteinte de grippe qu'il avait traitée avec trop de légèreté. Et, il y a quelques mois, à la suite d'une chute douloureuse, il avait été obligé de prendre un long repos. On le revit alors. mais pour peu de temps, à son siège présidentiel. II avait tenu à venir recevoir lui-même le Prince Léopold lors de son installation comme sénateur. Mais le même soir, il fut pris d'une syncope en se rendant au dîner du Palais et on dut le ramener à son hôtel de la rue Ducale. II partit alors pour Oydonck où, après des alternatives diverses, il vient de succomber vendredi à 9 heures et demi du soir, entouré de sa femme et de ses enfants, assisté jusqu'au dernier moment par M. l'abbé Herpelinck, curé du village, qui n'avait pas quitté son chevet. Sa fin chrétienne fut des plus édifiantes.

Le comte t 'Kint de Roodenbeke avait soixante-quinze ans, étant né à Gand le 1er mai 1853. II fit ses études au Collège Saint-Michel et à l'Institut Saint-Louis à Bruxelles et conquit en 1874 son diplôme de docteur en droit à l'Université de Louvain. Il fut attaché en 1872 à la mission extraordinaire envoyée La Haye à l'occasion du XXVème anniversaire de l'avènement au trône du Roi des Pays-Bas, et représenta la Belgique en 1890 au Congrès de Berlin. Plus tard, en 1905, il devait être chargé d'une mission extraordinaire auprès du Roi de Saxe et, en 1910, envoyé en Espagne pour notifier au Roi l'avènement au trône du Roi Albert.

Conseiller provincial de la Flandre Orientale de 1878 à 1891, bourgmestre de Bachte-Maria-Leérne, il fut envoyé à la Chambre par les électeurs de l'arrondissement d'Eecloo de 1891 à 1900. Il s'y occupa spécialement des questions financières, agricoles et sociales, et rédigea les rapports de nombreux budgets. II intervint, comme député, dans la plupart des discussions importantes et y déploya une grande activité.

Elu sénateur le 27 mai 1900, il y manifesta le même zèle, prenant la parole dans la discussion des budgets et intervenant avec autorité dans toutes les questions qui touchaient aux différents domaines dans lesquels il s'était spécialisé. Ses collègues l'élevèrent à la vice-présidence le 14 novembre 1911 et. au décès du Favereau, ils lui confièrent sa succession présidentielle le 14 novembre 1922.

II fut, à partir de ce moment, un Président d'une assiduité remarquable, ayant une conscience élevée des devoirs de sa charge et toujours préoccupé de la mener bien. Cette conception qu’il avait des obligations qui lui imposait son éminente dignité l'a peut-être conduit à négliger trop les soins qu'exigeait sa santé. Mais il avait la coquetterie d'être toujours au poste où l'avait élevé la confiance de ses collègues et se pliait de la meilleure grâce aux obligations absorbantes que lui imposait sa haute situation officielle. Il ne comptait que des amis dans l'hémicycle sénatorial où ses adversaires ne seront pas les derniers à déplorer la disparition d'un Président aussi courtois, qui avait su maintenir le prestige du Sénat et assurer la sauvegarde de ses prérogatives.

Nous prions Mme la comtesse 't Kint de Roodenbeke, la baronne t'Kint de Roodenbeke, le comte et la comtesse d'Alcatar de trouver ici l'hommage de nos condoléances chrétiennes.


(Extrait des Annales parlementaires de Belgique. Sénat, session 1927-1928, séance du mercredi 12 septembre 1928, pp. 1171-1173)

Eloge funèbre de M. le comte t’Kint de Roodenbeke, président du sénat

M. le président se lève et prononce le discours suivant, que le Sénat écoute debout. - Messieurs, j'exprime certainement l'émotion de tous ceux de nos collègues qui ont, avec moi, assisté aux funérailles de notre regretté président, en affirmant que rarement funérailles furent plus impressionnantes en leur belle simplicité que celles qui, là-bas, en Flandre, ont réuni autour de la dépouille du comte t'Kint de Roodenbeke la foule recueillie et affligée de ceux auxquels il n'avait cessé de songer au cours de plus d'un demi-siècle d'activité et de dévouement. Ce fut vraiment une apothéose de la gratitude, bien autrement éloquente que n'aurait pu l'être un cortège solennel et protocolaire se déroulant à Bruxelles avec un apparat militaire.

Là-bas, ce fut la Flandre qui, de toute sa beauté et de toute son opulence, enveloppa la dépouille de son enfant, qui fut, dans toute la force du terme, un homme de bien, qui le fut sans ostentation, sans autre mobile que le désir d'aider son prochain, de se conduire en homme envers d'autres hommes, quelque humble que fut leur condition.

C'est en écoutant ce qu'ont dit de lui de braves gens comme lui, ce qu'ils ont dit de l'œuvre qu'il a accomplie tout simplement au jour le jour, sans autre ambition que de répandre de la joie autour de lui, de rendre plus fructueux et meilleur le travail des terriens, dont il s'était, en quelque sorte, institué le conseiller, que j'ai pénétré dans le sanctuaire de son cœur.

D'autres se sont imposés à l'admiration des foules par leur éloquence ou par leur audace. Le comte t'Kint de Roodenbeke a négligé les splendeurs du verbe, la piperie des mots, les gestes grandiloquents ; il s'est contenté de poser des actes, des actes innombrables, à chaque heure de sa vie; il a semé du bonheur et s'est réjoui de la récolte engrangée par d'autres. Il fut sans morgue un gentilhomme dans le propre sens du mot, prodigue de gentillesse envers tous et profondément humain.

Ce qui nous fut révélé de son existence lointaine, aux bords de la Lys lumineuse sous le ciel ensoleillé par une journée glorieuse d'été, force notre admiration pour ce citoyen, revêtu de modestie, menu en sa personne, mais grand par l'accomplissement journalier de son devoir, de tout son devoir, et se contentant pour unique salaire de la satisfaction du devoir accompli. C'est pour moi une joie, que je ne veux pas dissimuler, de le tirer de l'ombre discrète dans laquelle il s'est réfugié trop souvent au cours d'une longue existence et de le dresser devant vous en exemple, tel qu'il fut, plus noble et plus émouvant dans sa vie intime qu'il ne nous est apparu en ses fonctions officielles.

Dans les temps maudits que nous vivons d'égoïsme individuel et d'égoïsme collectif, où le monde désorienté cherche la voie de délivrance, il est nécessaire que l'attention publique soit orientée vers des personnalités comme celle dont je voudrais intensément faire vivre le souvenir en vous.

Quel magnifique avenir s'ouvrirait devant notre pays victime des crimes d'autrui, devant l'humanité entière menacée toujours des pires catastrophes, si chacun de nous, si chaque citoyen de la grande communauté des peuples s'initiait à la leçon donnée par celui que nous honorons en ce moment, leçon qui pourrait se résumer en un mot : servir. Mot magique qui traduit en ses deux syllabes les deux préceptes essentiels que le Christ formulait il y aura bientôt deux mille ans et que les hommes, hélas, ne se sont pas encore assimilés : aime ton prochain comme toi-même et fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse.

Serviteur des autres, tel fut le comte t'Kint de Roodenbeke. Serviteur aussi de la grande famille belge, à laquelle il a consacre cinquante années de sa vie. Devant son cercueil, son inlassable activité politique et sociale fut remémorée avec abondance, car abondantes furent les fonctions qu'il avait assumées. Dans les domaines les plus divers, il s'est dépensé sans compter, et lorsque, vers son heure dernière, les siens lui en faisaient un doux reproche, il répondit stoïquement et noblement : « C'est possible, mais je n'ai a regretter rien de ce que j'ai fait. » Quelle parole plus belle pourrait-on imaginer pour résumer une telle vie ?

Appelé par ses collègues à présider aux travaux du Sénat, il mit à exercer sa haute magistrature la même conscience et le même dévouement que ceux dont il fit preuve ailleurs avec prodigalité. Ai-je besoin de rappeler ici les sympathies qu'il a conquises parmi nous par son aménité, sa bienveillance, son impeccable impartialité ? L'unanimité presque totale avec laquelle il fut, pendant six années consécutives, réinstallé au fauteuil de la présidence a été pour lui une marque de confiance dont il a apprécié tout le prix et à laquelle il fut tout particulièrement sensible. Ce fut pour lui une consécration et comme le couronnement d'une existence si largement consacrée au développement économique et social du pays.

En votre nom à tous, dans ce manoir hospitalier, où il vécut entouré des siens une vie familiale toute de charme et d'affectueuse concorde, j'ai exprimé la peine profonde que nous avons ressentie de sa disparition.

Les sympathies que nous lui avions vouées, sans distinction de parti, je tiens à redire à ceux qu'il a aimés et qui l'ont aimé que nous les reportons sur eux, avec l'espoir qu'elles seront en leur grande affliction une consolation et un réconfort. (Marques unanimes d'assentiment.)

M. Jaspar, premier ministre. - Messieurs, votre honorable président vient de caractériser, d'un mot, l'impression que nous a laissée la disparition du président du Sénat, et l'hommage qui lui a été rendu. Nous avons été profondément émus et nous le sommes encore.

Cette émotion était faite tout d'abord du souvenir des services rendus par le comte t'Kint de Roodenbeke à la chose publique pendant un demi-siècle. Partout où il a passé, que ce fût en Flandre ou ici, il a marqué, par son dévouement au bien général, d'une trace ineffaçable, le nom qu'il illustrait. Le comte t'Kint de Rooderbeke était fait pour être un serviteur du pays. Tout jeune encore, il avait consacré ses efforts à la défense des droits de ses concitoyens et, lorsque, après l'armistice, il fut appelé successivement aux postes de vice-président et de président de la haute-assemblée, instantanément, peut-on dire, il s'y installa comme étant vraiment le chef de celle-ci.

Notre émotion s'inspirait aussi du caractère de l'homme, de ce caractère d'une noble simplicité, tout entier dirigé vers la tâche qui lui avait été dévolue; de ce caractère, d'une conscience, dans l'accomplissement du devoir, qui charmait dans toutes les relations qu'on entretenait avec lui. Je puis dire, pour avoir été si longtemps en rapport avec le regrette défunt, combien toujours sa pensée était orientée vers un résultat utile et fécond pour le pays. Je puis dire combien il en avait compris la grandeur et les difficultés ; je puis dire quel aide il fut pour le gouvernement, chaque fois que celui-ci eût à faire appel à son concours.

Mais cette émotion était faite surtout du spectacle tragique auquel nous assistâmes pendant de nombreux mois. Le président du Sénat s'était identifie avec cette assemblée ; il avait trouvé ici un second foyer; il vivait pour sa présidence et, lorsque le mal s'abattit sur lui, il ne voulut pas être un vaincu. Nous l'avons vu revenir à son siège péniblement, s'y réinstaller et promener sur nous un regard inquiet, non pas des affres de la maladie ou de l'approche de sa fin, mais de la crainte de ne plus être à la hauteur de la tâche qu'il avait assumée. Nous avons encore devant nous ce visage émacié, ces gestes un peu fébriles, qui, tous, trahissaient la marche envahissante de la mort.

Et malgré cela, nous savons que, jusqu'à son dernier soupir, il vécut pour la charge qu'il avait acceptée. C'est vraiment sa famille parlementaire qui, aujourd'hui, s'incline respectueusement devant sa tombe. (Très bien ! sur tous les bancs.)

M. Braun. - Messieurs, nous nous étions rassures trop tôt lorsque, à la date du 8 novembre 1927, le comte t'Kint de Roodenbeke reparut parmi nous pour la première fois après le fâcheux accident dont il avait été victime, et que, au nom de la Haute Assemblée, je le félicitai de son rétablissement. Le président avait trop présumé de ses forces et leur avait fait violence pour venir recevoir la prestation de serment de S. A. R. le prince Léopold. Au fond, sa santé, ébranlée par l'accident, l'était davantage par les travaux de toute une vie consacrée à la chose publique, depuis les services les plus modestes jusqu'à l'exercice des plus hautes charges.

Pour rappeler et louer comme elle le mérite cette longue et belle carrière, des voix éloquentes se sont élevées devant sa dépouille mortelle, dans la galerie du château historique d'Oydonck, et au cimetière du petit village, et dans l'enceinte de la Chambre des représentants, et dans les colonnes de la presse de toute opinion, du pays et de l'étranger. Mais, qui, mieux que nous, qui l'avons vu presque journellement, pendant plus d'un quart de siècle, dans la collaboration assidue et éclairée qu'il apportait à nos travaux ou avec lesquelles il dirigeait nos débats, est en mesure de parler des qualités qu'il réalisait dans l'accomplissement de son mandat parlementaire ou au fauteuil présidentiel? Le tact, la bienveillance, un scrupule d'impartialité imprégnaient chacune de ses interventions. On fut parfois tenté d'attribuer à de la faiblesse la tolérance dont il usait quand des écarts de langage, inévitables dans le feu des discussions publiques, semblaient motiver un rappel au règlement. A-t-il jamais recouru, vis-à-vis d'aucun de nous, à cette mesure de rigueur ? C'est qu'il estimait avec raison que, dans la conduite des assemblées parlementaires, la liberté de la parole, pour être égale entre les partis, doit être dispensée plus largement à l'opposition.

Au nom de la droite du Sénat, je salue la mémoire de ce citoyen d'élite. Nous la garderons fidèlement dans un sentiment de respect et de gratitude. Il a honoré les fonctions éminentes dont il était revêtu par la discrétion, l'aisance et la simplicité avec lesquelles illes a remplies; illes a rehaussées par ses vertus chrétiennes.

La famille du baron.de Favereau avait renoncé, au nom du défunt, aux honneurs officiels ; conformant sa volonté à celle de son prédécesseur, dont l'exemple ne cessa de le guider, le comte t'Kint de Roodenbeke entendit les décliner de même. Qu'est-ce, en effet, que la pompe des funérailles auprès des hommages suprêmes que l'affection et la reconnaissance publiques se sont accordé à lui décerner, auprès de la vénération qui continuera à entourer, au Senat de Belgique, le nom de son père et le sien ? (Très bien ! sur tous les bancs.)

M. Lekeu. - Le groupe socialiste est encore sous l'impression douloureuse du cruel événement dont le Sénat porte le deuil, et notre déférente tristesse n'est ni moins sincère, ni moins profonde que celle dont vous venez d'entendre l'expression émouvante. M. t'Kint de Roodenbeke vivra dans la piété de notre souvenir att même titre et au même rang que son prédécesseur inoublié, M. de Favereau ; c'est à notre sens, le plus haut hommage qui puisse lui être décerné.

Il restera, lui aussi, comme le type du président accompli, dont nous avons été unanimes a goûter la bonne grâce, le charme discret, la philosophie apaisante, le tact délicat, la distinction point familière et point distante et la bienveillance impartiale. En lui, s'accordait avec une aisance infinie, le respect de soi et des autres, car il s'inspirait également du droit de tous et de chacun. Jamais ne s'est démentie l'intime maîtrise qui lui conférait une incomparable correction d'attitude et une sérénité de physionomie, à peine estompée en de rares instants difficiles d'un peu de mélancolie et de furtive rigueur. Au plus haut degré, il incarna le culte de la liberté des opinions et de la tribune ; aussi ne cessa-t-il de diriger nos travaux, en dehors de toute morgue et de toute ostentation, avec un inlassable besoin, un perpétuel vouloir de bien faire. De son aspect, de son âme elle-même, émanait un sentiment de dignité qui rayonnait sur l'hémicycle et rehaussait nos débats d'une émulation spontanée et d'une discipline communément consentie. C'est à M. t'Kint de Roodenbeke et à M. de Favereau que le Sénat du suffrage universel doit le renom de fière tenue en même temps que de franc-parler, de judicieuse délibération et de jalouse indépendance dont il se réclame et s'honore.

Tels furent le caractère et l'esprit dont M. t'Kint de Roodenbeke nous a donné la mesure dans l'impeccable exercice d'une charge qu'il avait assumée et qu'il a soutenue jusqu'au bout, avec non moins de dévouement que de modestie ; il en fut récompensé, au scrutin de sa dernière réélection, par l'universalité de nos bulletins, sans la moindre discordance ; et de cette manifestation aussi rare que méritée, nous savons qu'il garda la satisfaction la plus douce et un peu de légitime orgueil ; ce fut l'une des suprêmes joies de sa vie publique.

Cette vie exemplaire vient d'être éloquemment évoquée, et exaltée avec une éclatante et juste gratitude. Elle fut loyale et laborieuse, dans la ligne droite d'une fidèle tradition familiale et d'une indéfectible communion religieuse. Ce qu'il nous appartient, quant à nous, d'en retenir, c'est qu'elle ne fut ni étrangère ni réfractaire aux aspirations des temps nouveaux qui sont les nôtres. Ce pur gentilhomme, qui en imposait par la sobre élégance du maintien et par l'aristocratique simplicité de l'allure, s'est penché avec sollicitude et curiosité sur l'évolution démocratique du moment; nous n'en voulons d'autre témoignage que son touchant prosélytisme en faveur des œuvres de mutualité et sa consciencieuse participation à l'examen des problèmes économiques, notamment pendant son passage au conseil supérieur du travail.

Il fut de l'école moderne des grands conservateurs, qui ne s'efforcent plus d'endiguer le flot montant, mais s'attachent à le contenir et à l'ordonner dans un système de reformation visant à rétablir entre les forces sociales un certain équilibre et un peu d'harmonie. Ce qui est certain, c'est que ce patricien, qui semblait porter en lui je ne sais quelle vieille chevalerie de race, fut attentif et accueillant aux choses comme aux hommes de l'époque, et que, de son commerce, de ses initiatives et de ses efforts, il se dégage, à l'heure où coreligionnaires et adversaires le jugent et le pleurent, une noble et réconfortante impression de bonne foi.

La qualité morale ne le cédait pas en lui, à la valeur politique.

Ce fut un chrétien d'une ferveur élevée, un croyant sans peur et sans reproche, dont le masque aux arêtes affinées faisait parfois songer à quelque rigide faciès de huguenot. Il a professeé l'intrinsèque vertu de la plus large et de la plus généreuse tolérance, et j'imagine volontiers que ce fut l'origine de son ascendant et de son prestige.

En ces jours troubles, où l'on médit beaucoup du parlementarisme, M. t'Kint de Roodenbeke fut au nombre de ceux qui, s'il l'avait fallu, l'auraient réhabilité. Et, vous souffrirez que je l'ajoute, n'est-ce pas un des plus précieux bienfaits du régime que nous garantit notre pacte fondamental, qu'à sa faveur, des mandataires, des militants, venus de tous les coins du territoire, descendant des horizons les plus divers et les plus lointains, surgis de tous les milieux de l'activité nationale et représentant des tendances contradictoires, des intérêts antagoniques, se rencontrent dans cette enceinte, prennent contact et finissent par se rapprocher dans le coude-à-coude d'une collaboration journalière et dans la pratique d'une mutuelle estime ? Sans doute, cela n'est pas capable de dissoudre les fatales antinomies d'ordre économique et social qui déterminent tant de heurts et tant de luttes, mais que de malentendus cela n'est-il pas susceptible sinon de dissiper, du moins, d'atténuer? Je demande si l'on peut concevoir une plus grande leçon de solidarité. Et, il vous plaira, j'en ai l'assurance, d'en rapporter aujourd'hui, avec moi, l'hommage et le mérite au cher président que nous avons perdu, mais dont la mémoire ne s'effacera pas.

Maintenant, par dessus les rites conventionnels, laissez-moi, dans un élan où jaillisse ce qui est en nous, de plus profondément humain, vous dire encore, pour terminer, que ce n'est pas seulement un président d'élite dont la disparition nous étreint le cœur à cette minute de désolation, c'est plus et c'est mieux ; car, pour tous et pour chacun d'entre nous, sans distinction entre les travées et les partis, M. t'Kint de Roodenbeke était devenu un ami, et c'est pourquoi il n'y a pas seulement du respect, il

y a de l'amour dans l'expression de notre douleur. La vie, en vérité, vaudrait-elle d'être vécue sans la satisfaction du travail qu'on reprend chaque matin et sans les affections qu'on suscite et qu'on partage au cours de la route ?

Nous avons autant aime que vénéré le président t' Kint de Roodenbeke. (Très bien ! très bien ! sur tous les bancs.)

M. Magnette. - Messieurs, depuis longtemps déjà, l'état de notre vénéré président nous inspirait les plus vives angoisses. Le déplorable accident, dont il avait été victime il y a plus d'une année, était bien de nature à inquiéter les nombreux amis et les collègues affectionnes et déférents de l'homme distingue qui occupait avec tant de dignité et d'urbanité la haute fonction délaissée par le toujours regretté baron de Favereau.

Et cependant, jusqu'en ces derniers temps, l'espoir ne nous avait pas abandonnés de voir le comte t'Kint de Roodenbeke remonter à ce fauteuil où, fait admirable et rare, il avait été appelé par l'unanimité de l'assemblée qu'il devait diriger. Nous l'avions toujours vu, actif, alerte, souriant, l'esprit et le corps semblant défier les atteintes de l'âge ; sa silhouette vive et agile s'imposait à notre esprit et il ne nous paraissait pas possible qu'il ne surmontât pas la crise qui l'avait éloigné de nos travaux.

Hélas, la loi inexorable n'a pu l'épargner, et nous pleurons aujourd'hui un des meilleurs présidents qu'ait compte le Sénat, un des parlementaires qui ait fait le plus d'honneur à une institution représentative, un des hommes politiques qui ont été le plus attachés et les plus utiles à la chose publique, un des citoyens dont la Patrie peut le plus justement se montrer fière.

Au nom du Sénat tout entier, notre éminent collègue Lafontaine, en termes émouvants et qui nous ont été au cœur, a rappelé devant la dépouille mortelle du vénéré défunt, au seuil de cette merveilleuse demeure d'Oydonck qu'il aimait tant, rappelé et défini les hautes qualités qui imposaient le comte t'Kint de Roodenbeke à l'estime et à la sympathie de tous ceux qui l'approchaient et le fréquentaient.

A ces paroles si justes, la gauche libérale, par mon organe, ne peut que s'associer avec une sincère et douloureuse émotion. Et celui qui a le triste honneur de vous parler en ce moment, et qui a eu la faveur d'être, de plus près que d'autres, le collaborateur de notre président, peut vous dire quels trésors de bonté et de compréhension recelait cette nature fine et délicate, nerveuse et enthousiaste.

Je m'en voudrais de ne pas insister sur une qualité maîtresse qui, dans le groupe et le parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir es prisée d'une façon toute particulière. Je veux parler de l'esprit de haute tolérance qui animait le comte t'Kint de Roodenbeke, et qui se traduisait par une exquise courtoisie et une aménité qui ne se démentaient jamais.

Et cependant, peu d'hommes étaient, autant que lui, fermes dans leurs convictions, rigides dans la conformité de leurs actes, avec ses convictions.

Et ainsi, après sa disparition comme de son vivant, par ce qu'il nous permet de dire en saluant respectueusement sa mémoire, le comte t'Kint de Roodenbeke demeure, au milieu des luttes qui agitent parfois si violemment, risquant de compromettre notre régime parlementaire, un enseignement et un exemple.

Nous lui en marquons notre gratitude en même temps que nous déplorons que ce haut exemple il n'ait pas pu le donner plus longtemps. Et je souhaite qu'il trouve parmi nous et ailleurs, beaucoup d'imitateurs ; ce sera le meilleur moyen d'honorer une grande figure parlementaire que nous n'oublierons jamais. (Marques unanimes d'approbation.)