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Slingeneyer Ernest (1820-1889)

Portrait de Slingeneyer Ernest

Slingeneyer Ernest, Isidore, Hubert indépendant national

né en 1820 à Blicquy décédé en 1889 à Bruxelles

Représentant entre 1884 et 1892, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(Extrait du Journal de Bruxelles, du 2 mai 1894)

Ernest Slingeneyer

Nous revenons des funérailles de cet éminent citoyen artiste. Elles ont été superbes, mieux que cela, nationales ; car tout le monde y était ; toutes les professions, tous les rangs de la société belge y étaient représentés.

A la maison mortuaire, richement ornée, cinq discours ont été prononcés : le premier par M. Stallaert, au nom de l'Académie royale des sciences, lettres et arts de Belgique; le second par M. A. de Vriendt, pour l'Académie des beaux-arts d'Anvers, dont le défunt fut le président ; le troisième par M. A.-J. Wauters, membre de la commission administrative du Musée royal de peinture; le quatrième par M. De Mot, président du Cercle artistique et littéraire de Bruxelles ; enfin, le cinquième par M. J. de Borchgrave au nom du groupe politique des indépendants.

Le défunt ayant porté les insignes de grand officier de l'ordre de Léopold, la moitié dé la garnison était présente, sous le commandement du général-major Wendelen.

La levée du corps a été faite par le clergé de la paroisse de Saint-Josse, ayant à sa tête son vénérable chef, le chanoine Delvigne.

Après la salve d'usage, le cortège s'est lentement dirigé vers l'église. Dans la foule immense des assistants à la funèbre cérémonie nous avons remarqué les ministres de Burlet, de Mérode, De Bruyn et le général Brassine, M. le ministre d'Etat A. Nothomb, M. Vergote, gouverneur de la province, M. le baron Gerieke d'Herwynen, ministre des Pays-Bas, M. de Koudriaffsky, conseiller de la légation de Russie, M. De Lantsheere président de la Chambre, le comte d'Oultremont de Duras, grand-maître de la maison de S.A.R. le comte de Flandre, les colonels baron de Wyckerslooth et Donny, officiers d'ordonnance du Roi, le duc d'Ursel, le comte E. de Grunne, tous les anciens sénateurs et représentants indépendants de Bruxelles, un grand nombre de membres du Sénat et de la Chambre ; le monde entier des lettres, des sciences et des arts était représenté par toutes les écoles sans distinction. Nous citons au hasard : il nous serait impossible de donner une énumération complète des assistants. Mentionnons cependant encore beaucoup d'officiers de l'armée, des ecclésiastiques et l'Académie des beaux-arts d'Anvers en corps avec ses massiers.

Le deuil était conduit par le fils du défunt, le lieutenant d'artillerie Slingeneyer de Goeswin, et par son gendre, le baron de Jemblinne de Meux, lieutenant aux guides.

La haie était faite par la garnison depuis la maison mortuaire jusqu'à l'église où la messe funéraire a été chantée en plain chant.

Ernest Slingeneyer était né Ie 29 mai 1823, à Loochristy, où son père était receveur de l'enregistrement. Poussé par une vocation irrésistible, il entra, très jeune encore, à l'Académie des beaux-arts d'Anvers, qui passait alors pour une des premières écoles de peinture du monde entier. Wappers, qui en était le directeur, s'intéressa d'une façon particulière aux études du jeune artiste.

On était au déclin de l'époque romantique et à la veille des révolutions de 1848. Ernest Slingeneyer, en suivant le sillon tracé par son maître, débuta, par un coup d'éclat, au Salon de Bruxelles en 1842, avec son épisode du combat du Vengeur. Ce grand tableau, popularisé par la gravure, fut exposé ensuite à Paris, La Haye, etc., suivant une mode devenue très commune depuis. Il appartient aujourd'hui au musée de Cologne, où il fait très belle figure. Il est bien supérieur à d’autres toiles du même genre que Slingeneyer peignit plus tard, par exemple la Bataille de Lépante (1840), la Mort de Nelson à Trafalgar (1850), la Bataille de Brouwershaven (1852). Toute la fougue de sa jeunesse passa dans cette première composition, très bien dessinée, largement brossée, d'un coloris un peu mou cependant. Pour bien apprécier notre école romantique et particulièrement Slingeneyer il faut aller à Versailles, où les Paul de la Roche, Horace Vernet, etc., nous inspirent plus de respect et de sentiment de justice pour les nôtres.

La peinture d'histoire occupa la plus grande partie de la vie laborieuse du jeune maître, et dans ce genre il prit un rang distingué parmi les peintres contemporains. Une des dernières toiles de cette catégorie est le Martyr chrétien, œuvre forte conçue est par Slingeneyer dans l'automne de sa vie.

Il existe des portraits de lui qui étonneraient beaucoup de critiques, s'ils étaient placés à côté d'œuvres du même genre, plus modernes et vantées par les réalistes et les impressionnistes qui ont persiflé l'école romantique.

Il a été de mode, pendant un certain temps, parmi nous, de railler la décoration de la grande salle du palais des Académies. Cependant c'est un travail considérable, qui dénote chez son auteur une intelligence remarquable et une incontestable habileté de métier. Ce ne sont pas des fresques, ce sont des tableaux qui font « trou » dans la sal le, absolument comme les dernières « fresques » de M. de Lalaing l'hôtel de ville. L'ensemble de ces tableaux de M. Slingeneyer du palais des Académies fait meilleur effet que d'autres œuvres de ce genre que nous pourrions citer et qu'on vante à l'envi.

Quand Slingeneyer exécutait cette décoration monumentale, l'esprit de parti faisait rage dans notre pays et le peintre commençait à être « classé politiquement ». Il avait, de plus, au détriment de sa popularité, le désavantage d'être l'objet des faveurs budgétaires. La Belgique est un « pays de débinage », on l'a dit souvent. Si ce jugement est vrai, il s'applique surtout au genus irritabile des artistes.

Les critiques acerbes, l'hostilité violente même n’altérèrent jamais la sérénité de Slingeneyer. Il avait une âme de poète sans fiel ni venin. Certes, il n'était pas insensible aux appréciations injustes, mais il les accueillait toujours avec un sourire charitable. Il oubliait les injures au point de faire du bien à ceux qui les avaient commises.

Quoi qu'on ait voulu en dire, Slingeneyer était quelqu'un. Avec lui se ferme une époque de l'histoire de notre art dans laquelle il occupera une digne place. On n'attaque pas avec autant de persévérance un homme qui n’est rien. Slingeneyer a été un artiste qui savait son métier, qui avait de l'élévation dans la pensée et qui a su réaliser des idées nobles et grandes.

Depuis une douzaine d'années il ne produisait plus guère, mais il agissait beaucoup et très utilement pour le bien général. Il était entré en 1884 dans la politique, « l'horrible politique », comme a dit M. Le Jeune. Cette partie de la vie du défunt a mis en relief toute la hauteur de sa noblesse morale.

A la Chambre il a commencé un apostolat esthétique auquel son échec électoral de 1892 n’a pas mis fin : chaque année, pendant la discussion du budget de l'intérieur, c'était un régal pour les amis de l'art de goûter les fruits exquis du dévouement désintéressé de Slingeneyer à toutes les traditions glorieuses de notre école nationale et aux intérêts de tous ceux qui cherchent à en perpétuer la grandeur. C'était une jouissance pour le public intelligent d'entendre ce peintre sérieux et digne prêcher à ses contemporains le culte de l'idéal et la passion du beau. C’était une consolation pour le petit bataillon des idéalistes d'assister aux efforts presque isolés de cet artiste, injustement vilipendé parfois, qui défendait les intérêts de ceux-là mêmes qui avaient affecté de le mépriser.

Les intérêts sacrés de l’art avaient enfin trouvé au Parlement un organe attitré. Dans la patrie de Memling, de Rubens et de van Dyck, de Sluter, de Colins et de Duquesnoy, un député se levait chaque année pour rappeler aux politiciens du jour qu'une nation est pourrie quand elle a abandonné le culte de l’art.

Slingeneyer a eu des contempteurs, des critiques, des adversaires, mais il n'a pas laissé d'ennemi. Aussi la cérémonie de ce matin avait un air de magnificence rare. L'opinion publique semblait crier autour du cercueil : Slingeneyer été un honnête homme, un citoyen utile et un artiste éminent.

Ce témoignage sera une consolation pour la veuve qui lui survit et pour le fils, l'officier distingué, qui perpétuera les traditions glorieuses d'un nom si honorable.

* * *

Voici le texte du discours prononcé par M. Jules de Borchgrave :

« Messieurs, au nom de mes amis de la précédente députation de Bruxelles, je viens saluer d'un dernier hommage d'affectueuses sympathies et de regrets celui qui, pendant huit ans, fut notre collègue au Parlement.

« De plus autorisés que moi viennent de vous rappeler la carrière de l'éminent artiste, ses débuts retentissants dans le mouvement romantique qui suivit la révolution de 1830, la part brillante qui lui revient dans l'illustration de l'école d'Anvers, la place considérable qu'il tient dans l'histoire de l'art belge. On pourrait vous dire aussi comment ce dernier représentant du romantisme en Belgique, avec son esprit élevé et son jugement impartial, plus sûr que sa technique, avait compris et admis les évolutions incessantes et nécessaires de l'art ; avec quelle sincérité il proclamait lui-même, bravement, galamment, qu’après avoir eu son temps il faut savoir céder la place à d'autres.

« Je veux me borner. quant à moi, à évoquer devant vous le regrette député. C'était un dévoué, un ardent, un convaincu, ne se reconnaissant guère d'autre mandat que celui de défendre les Intérêts de l'art et des artistes, mais élevant l'exercice de ce mandat à la hauteur d'une véritable passion. A Slingeneyer revient la gloire d'avoir, le premier, fait pénétrer l’art dans les délibérations du Parlement et de lui y avoir restitué la place à laquelle lui donnent droit l'importance et la dignité de sa mission sociale. Qui ne se souvient de l'émotion et de l'amertume avec lesquelles, après avoir rappelé les merveilleuses aptitudes des Flamands, ces éducateurs de tant de peuples en matière d'art industriel au XVIème siècle, il dénonçait naguère au pays l'apathie des pouvoirs publics en présence de l'universel mouvement de l'industrie vers l'art ! « Nous semblons, disait-il, dans notre pays, ne plus nous douter que l'art est une nécessité de premier ordre, qui s'applique à un monde de choses, tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel, et nous paraissons ignorer qu'un grand nombre d'industries ont besoin des secours et de l'appui de l'art pour lutter contre la concurrence étrangère. »

« Si Slingeneyer fut un défenseur éloquent et opiniâtre du grand art dans toutes ses manifestations, c'est l'art industriel qui sollicitait avant tout ses préoccupations. De là ce dévouement inaltérable à l'enseignement de l'art appliqué à l'industrie et tout particulièrement à l'école de Saint-Josse-ten-Noode, dont il était un des plus énergiques soutiens ; de là cette lutte ardente pour la transformation des académies en écoles de dessin, en écoles d'art et métiers différentes, d'après les milieux et suivant les industries locales qu'elles ont à perfectionner ; de là cette lutte pour la création d'une section spéciale d'art industriel au ministère de l'intérieur, pour l'institution d'un musée moderne des produits industriels ayant un caractère artistique, pour le patronage des écoles d'arts et métiers par des comités exclusivement composés de chefs d'établissements appartenant aux diverses industries et pour tant d'autres réformes que son esprit pratique le poussait à réclamer avec énergie.

« Ce qu'il voulait avant tout, c'était restituer à l'instruction artistique son rôle essentiellement pratique, qui consiste moins à créer des natures d'élite qu'à ouvrir au plus grand nombre les carrières, voire même les nombreux métiers qui confinent à l'art. « Avec la prétention de nos académies, s’écriait-il, de vouloir fabriquer des artistes au lieu d'hommes utiles et d'artisans intelligents, les peintres abondent et l'art s'affaisse ! »

L’artisan, en effet, ne le préoccupait pas moins que l'artiste, car il rêvait la restauration de cette communion entre artistes et artisans qui a fait produire à nos ancêtres ces chefs-d'œuvre d'art appliqué que nous admirons tant aujourd'hui, sans parvenir à les égaler.

« Je n'ai pas l'inutile prétention de rappeler ici tous les services rendus à l'art belge par Slingeneyer député. Son nom demeure associé à tous les progrès réalisés dans ces derniers temps ; lui-même a indiqué la voie aux plus utiles réformes de l'avenir. La littérature nationale ne connut point de défenseur plus ardent ct plus convaincu, et déjà nos artistes recueillent le fruit des efforts consacrés par lui pour amener nos consuls à leur venir en aide et trouver des débouchés à l'étranger.

« Sur le terrain de la routine et des abus administratifs il demeurera l'expression la plus nette d'une opposition attentive, intelligente, opiniâtre et courtoise.

« Même en dehors de c qu'il appelait « son seul mandat », Slingeneyer avait, dans toute la force du terme, la passion du service à rendre. Jamais personne, qu’on fût artiste on non, ami ou adversaire politique, ne le trouva en défaut sous ce rapport.

« Le pays perd en lui un vaillant artiste qui a grandement contribué à sa gloire artistique. Le monde artistique, les jeunes surtout, perdent un appui intelligent et dévoué. Nous tous, nous perdons un homme de bien qui s'était acquis l'estime et les sympathies affectueuses de tous ceux qui l'ont connu, Sa mort laissera d'universels regrets, son souvenir vivra dans tous nos cœurs.

« Puisse sa famille trouver dans l'universalité de ces regrets et de ses sympathies un adoucissement, quelque faible qu'il puisse être, à la douleur qui l'a frappée. »


(SOLVAY L., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royal de Belgique, 1914-1920, t. 22, col. 683-687)

SLINGENEYER (Ernest-Isidore-Hubert), peintre d'histoire, né à Loochristy (près de Gand), le 29 mai 1820, mort à Bruxelles, le 27 avril 1894.

Son père, receveur de l'enregislrement à Loochristy, puis à Grammont, avait été appelé à remplir ces fonctions à Anvers, et s'y était installé. Il vit avec peine se développer les dispositions artistiques de son fils, qu'il destinait à la carrière des armes, et c'est un peu à contrecœur qu'il l'autorisa à faire ses études à l'Académie des Beaux-Arts, où il suivait, le soir, les cours de dessin et, le jour, le cours de peinture dans la classe de Wappers. Les rapides progrès du jeune homme vainquirent les dernières résistances paternelles.

Ernest Slingeneyer était encore un simple élève lorsqu'il exposa une grande toile, L’Arrestation du comte Louis de Crécy (1839), qui fut remarquée ; puis, enhardi par ce premier succès, il conçut l'idée d'une œuvre plus importante encore, Le Vengeur, ayant pour sujet un épisode célèbre du combat naval dans lequel, le 1er juin 1794, l'amiral Villaret de Joyeuse fut défait par les Anglais, que commandait Richard Howe. Ce tableau ne mesurait pas moins de seize mètres carrés. Exposé en 1842, il fit sensation. Il y avait là une fougue entraînante, exprimant avec bonheur l'enthousiasme et l'élan du monde artistique vers une forme plus libre, plus spontanée, plus chaleureuse que celle dont l'école académique avait en quelque sorte glacé les esprits.

La verve désordonnée du jeune peintre apportait un précieux renfort au mouvement romantique dont Wappers et De Keyser avaient été les chefs principaux. C'est à Anvers, en effet, que le romantisme français victorieux avait trouvé ses premiers défenseurs. Tandis que Bruxelles, où régnaient Navez et ses disciples, se débattait encore dans les lisières d'un classicisme correct, mais compassé, un souffle plus jeune et plus ardent échauffait, à Anvers, les cœurs impatients de renouer, sous l'inspiration d'une révolution qui avait rendu au pays son indépendance politique, les anciennes traditions de l'art national.

Après son Bourgmestre Van der Werf et son Episode de la Révolution, acclamés triomphalement, Wappers n'avait plus rien produit de saillant ; son ardeur semblait s'être éteinte tout à coup ; de son côté, Nicaise de Keyser, dont La Bataille des Eperons d'Or (1836) était prodigue de belles promesses, avait bientôt déçu ses plus fervents admirateurs. Aussi l'arrivée de Slingeneyer fut-elle saluée avec une joie reconnaissante. Son Vengeur rappelait par sa virilité le Naufrage de la Méduse de Géricault ; la convention y jouait assurément un rôle plus actif que la réalité ; mais le sujet avait empoigné le public, et le jeune peintre, du coup, fut célèbre.

Le gouvernement lui commanda une grande toile ; il prit pour sujet la bataille de Lépante, et se mit au travail. Mais, dans l'entretemps Slingeneyer exécutait, pour le roi Leopold Ier La Mort de Jacobus, et, pour le roi de Hollande, La Mort de Claessens.

Quand elle fut terminée et exposée en 1848, La Bataille de Lépante, malgré ses qualités, son ingénieuse composition, ses groupements heureux, son exécution savante et habile, produisit une déception. Déjà, une réaction commençait à se faire jour contre l'école d'Anvers, que battait en brèche l'école de Bruxelles. Celle-ci, débarrassée des académiques, s'était éprise d'un romantisme moins théâtral, moins « matérialiste », plus sentimental et plus élégant, en faveur duquel Gallait, disciple de Paul Delaroche, dépensait un talent des plus sympathique.

Sur les conseils de la critique, on adjura Slingeneyer d'aller, lui aussi, se retremper à Paris et de quitter Anvers pour Bruxelles. Il suivit ces conseils, et vint s'installer dans la capitale. Son Episode de la Saint-Barthélémy, qu'il y exposa en 1849, fut considérée comme une revanche de sa Bataille de Lépante. L'artiste y marquait une visible préoccupation de s'inspirer des peintres français ; on y trouvait un souvenir obsédant de la Jane Shore de Robert-Fleury, qui avait été admirée un peu auparavant à Bruxelles ; la parenté avec les toiles récentes de Gallait était visible aussi ; mais l'œuvre respirait une belle énergie et une émotion réelle.

La Mort de Nelson, exposée en 1850, dans une des salles du Jardin Botanique, fut également appréciée pour ses qualités d'habile mise en scène. En 1857, Jeanne la Folle et Nicolas Zannekin laissent la critique plus indécise ; mais, quelques années après, Le Martyr chrétien obtient un vrai succès, moins grâce à ses mérites intrinsèques qu'à la sentimentalité du sujet, qui le rendit rapidement populaire ; la gravure le vulgarisa, et la réputation de son auteur semblait assise définitivement.

A cette époque aussi, l'artiste ouvrit un atelier, dont il prit la direction, en opposition avec l'Ecole de peinture de Navez. Un grand nombre d'élèves du maître classique vinrent s'y inscrire, abandonnant la cause de l'art académique pour celle du réalisme conquérant. Le prestige de Slingeneyer grandissait.

Bientôt, avide de nouvelles sensations, celui-ci entreprit une série de voyages en Allemagne, puis en Orient, d'où il rapporta diverses toiles, notamment Carthage, exposée à Bruxelles en 1872. Entretemps, il préparait un important travail que lui avait commandé le gouvernement belge : un ensemble de treize toiles historiques pour la décoration de la grande salle du Palais des Académies. Dans cette série de compositions, il s'appliqua à reproduire les différentes phases de notre histoire nationale, caractérisées par les hommes illustres dont le souvenir y est attaché. On y voit tour à tour représentés les Premiers Belges, les Institutions carolingiennes, la Féodalité, les Communes, les Corporations, la Fondation de la dynastie nationale, les Belles-Lettres, L'Art musical, L’Art ancien, l’Art moderne, les Sciences et les Gloires de la Belgique, avec leur cortège de personnages célèbres, depuis Ambiorix, Boduognat, Clovis, Godefroid de Bouillon, Charlemagne et Jacques Van Artevelde, jusqu'à Breydel, Anneessens, Juste-Lipse, Grétry, Van· Eyck, Rubens, Mercator, etc.

Slingeneyer mit dix ans à achever cette série de toiles, d'inégale valeur ; quelques-unes sont remarquables, d'autres fort médiocres. Pour mener à bonne fin un pareil travail, l'artiste manquait de souffle, d'originalité et de sens décoratif. La plus grande de ces toiles, celle qui représentait les Gloires de la Belgique, fut exposée en 1880 au Salon des Beaux-Arts.

En 1874, Slingeneyer avait envoyé au Salon de Bruxelles un tableau, La Mort du Camoëns (il affectionnait les morts, comme on voit), qui fut l'objet de critiques si acerbes et si irrévérencieuses que l'auteur, à partir de ce jour, se tint éloigné presque entièrement des expositions.

En 1884, il avait achevé le Dernier jour de Pompéi, sa dernière toile importante ; il la garda jusqu'en 1893 et ne se décida qu'alors à la montrer en public : encore l'envoya-t-il fort loin, - à Chicago. Après quelques petits tableaux, sans grande importance, un Brouillard sur le Moerdyck et une Inondation, exposés en 1888, on ne vit plus rien de lui.

D'autres soins, d'ailleurs, allaient occuper son activité, toujours ardente et toujours en éveil. En 1884, les catholiques étant arrivés au pouvoir, il se décida à accepter une candidature de membre de la Chambre des représentants, dans le groupe du parti des indépendants, qui se piquait de défendre les intérêts intellectuels et matériels du pays en dehors de tout esprit politique.

Slingeneyer fut élu député de Bruxelles, et il le resta jusqu'à la chute des indépendants, en 1892. Il remplit son mandat avec la plus grande conscience, se faisant l'organe des artistes et traitant, chaque année, pendant la discussion du budget, les questions les plus intéressantes relatives à l'enseignement artistique, au développement des arts et même à l'avenir de la littérature nationale. Cette période de sa carrière lui valut plus de sympathies que sa peinture ne lui avait mérité, jusqu'à ce jour, de louanges.

Slingeneyer avait les meilleures intentions du monde ; il était enthousiaste et sincèrement dévoué à la cause de l'art : on le reconnut alors ; et, mieux que les honneurs officiels qu'il recherchait et dont il était accablé, cela contribua à lui valoir l'estime et le respect de ceux-là mêmes qui ne l'admiraient point.

Depuis 1870, il était membre de la classe des Beaux-Arts de l'Académie royale de Belgique ; en 1884, il en avait été élu directeur.


Voir aussi :

SOLVAY L, Notice sur Ernest Slingeneyer, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1919