Simons Charles, Marie, Jean indépendant national
né en 1823 à Maestricht décédé en 1890 à Bruxelles
Représentant entre 1884 et 1890, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait du Journal de Bruxelles, du 29 octobre 1890)
Notre ami Simons est mort hier. C'est une grande perte pour la députation de Bruxelles et pour la Chambre des représentants, où le regretté défunt occupait une place honorée.
Dans l'automne de la vie il avait quitté la magistrature, dans les rangs de laquelle il avait fourni une brillante carrière : après avoir occupé, avec intégrité, dignité et science le siège de procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, il était entré à la cour de cassation.
C'est là que les actionnaires de la Société Générale vinrent le prier de vouloir accepter la succession de M. Barbanson, l'éminent avocat, qui, dans la direction générale de ce vaste établissement, créé pour favoriser l'industrie nationale, avait été chargé des affaires contentieuse. Après avoir longtemps hésité, Simons céda aux sollicitations de es amis et quitta avec regret ses études juridiques.
A la Société Générale il rendit de précieux services par la netteté de ses avis, par sa puissance de travail et par la loyale intelligence de ses rapports.
Ce n'est pas sans peine que la Fédération des nationaux-indépendants parvint, en 1884, à lui faire accepter une candidature à la Chambre des représentants. En effet, son élection lui imposait un surcroît de travail et de responsabilité, n'était pas ambitieux. Il n'avait que la passion du bien public et ne recherchait pas les honneurs. Son esprit, d'une exquise modération, avait une antipathie pour les luttes de parti telles qu'on les conçoit trop souvent en Belgique. Profondément attaché à nos institutions nationales, ce jurisconsulte érudit, perspicace et habile éprouvait fréquemment une grande lassitude au milieu de nos longues discussions parlementaires. Aussi n'y prit-il pas la part que lui assignaient sa vaste science, son éloquence claire, limpide et serrée, sa profonde connaissance des affaires et l'autorité de son caractère. Cet homme simple et modeste, peu répandu dans le monde, ne vivait que pour sa famille et pour l'accomplissement de ses devoirs. II était doué d'un bon sens rare et détestait le bruit et le faste. Il avait été élevé dans une famille chrétienne et sa foi robuste et agissante avait grandi dans l'étude et dans la pratique de la vie.
Charles Simons a été un bon chrétien et un bon citoyen, et il laisse à ses enfants et à ses concitoyens des exemples de vertus éminentes.
(Extrait de La Meuse, du 1 novembre 1890)
La mort de M. Charles Simons prive le parti indépendant de l’unique personnalité qui le rehaussait. M. Simons avait, à la Chambre, quelque autorité venant de son passé de magistrat, de ses mérites intellectuels, d'une certaine bravoure de parole ; il lui en fallut pour affirmer à plusieurs reprises devant la gauche, qui accusait les députés bruxellois d’avoir leurs mandats, devant M. Woeste qui riait son banc de son rire sarcastique, que les indépendants constituaient un parti, qu'ils avaient un programme politique et un drapeau.
La députation bruxelloise indépendante est aujourd'hui sans chef et sans direction. Elle ne renferme plus personne qui soit de force à lui rendre un semblant de vitalité ; ni M. Bilaut, très malade ; ni M. de Borchgrave, qui vient de succomber aux élections. communales d'Ixelles sous une majorité de neuf cents voix, n'ont le talent et le relief qu'exige un rôle politique en vue. Quant à M. Allard, c'est un costume, ce n'est pas un sénateur.
La comédie indépendante touche donc sa fin. L'élection de demain la précipitera, si le libéralisme bruxellois ne perd pas son sang-froid, s'il se décide à marcher d'un seul corps, d'une seule âme, d'un unanime élan, comme il y a un an, lorsque la Ligue, apportant à M. Janson l'appui de sa propagande, de ses influences, de ses voix, le faisait triompher de M. De Becker au ballottage par dix mille suffrages unis.
Il faut donc à tout prix que l'on s'entende, non pas d'une entente lâche, boiteuse, mais d'une entente sincère, entière, résolue, enthousiaste.
(Extrait du Journal de Bruxelles , du 1 novembre 1890)
Les funérailles de M. Simons. - Vendredi ont eu lieu, au milieu d'un concours de monde, les funérailles de M. Simons, le regretté représentant de Bruxelles. L’hôtel de l'avenue Louise était trop petit pour contenir la foule des personnes accourues pour donner au défunt un dernier témoignage d'estime et d'affection. Dans la foule nous avons remarqué les ministres MM. Beernaert, général Pontus, Vandenpeereboom, De Bruyn, Devolder; MM. Vergote, gouverneur du Brabant ; de Moreau. directeur de la Banque Nationale, ancien ministre ; de Brouckere, sénateur ; de nombreux députés, la cour de cassation, des parquets et des tribunaux, tout le personnel de la Société Générale, des représentants, de l'armée, etc., etc.
Le deuil était conduit par le fils du défunt. La députation de la Chambre venue en corps, était escortée d'un escadron de guides commandés par le major de la Censerie. Un bataillon de carabiniers, sous les ordres du colonel Denis, faisait le service d'honneur.
A la mortuaire deux discours ont été prononcés, l'un par M. de Lantsheere, l'autre par N. le prince de Rubempré.
Voici comment s'est exprimé M. le président de la Chambre:
« Messieurs, l'homme de bien dont la dépouille mortelle repose dans cette tombe a aimé la Vérité, il a combattu pour la Justice, il a servi la Patrie. C'est le témoignage qu'apportent dans cette demeure pleine de deuil et les représentants de la nation et cette affluence nombreuse d'amis fidèles que Charles Simons comptait dans les rangs de la magistrature et du barreau, parmi les hommes de l'administration, de la finance et de l'industrie, au milieu de cette population entière dont il était l'élu.
« Jamais hommage ne fut plus légitime.
« Voyez cet homme dont la laborieuse jeunesse s'absorbe dans l'étude du droit, qui gravit peu à peu tous les degrés de la magistrature en dépit d'obstacles que son mérite supérieur contraint d'abaisser devant lui. Ecoutez-le devant les juridictions criminelles. Ce n'est pas une condamnation qu'il poursuit, c'est la vérité qu'il recherche, et il la proclame sans hésitation.
« Il est investi des redoutables fonctions de procureur général près la cour d'appel de Bruxelles. Rappelez-vous avec quelle vigueur et quel éclat il sait défendre l'inviolable majesté de la justice.
« La cour de cassation l'appelle alors dans ses rangs. Il y peut aspirer aux plus hautes fonctions. Mais voici que d'autres travaux le sollicitent. Il consent à accorder à la plus ancienne et la plus respectable des institutions financières du pays le concours de sa science juridique et de son expérience éprouvée.
« Charles Simons était de ceux qui savent pratiquer sincèrement les maximes qui interdisent à la politique de franchir le seuil de la justice. Il ne voyait la politique que de loin, parmi les travaux du comité de législation, où sa grande autorité et son impartialité reconnue l'avaient fait appeler.
« Certes, ce n'est pas lui qui eût jamais songé à aller au-devant d'elle. Il avait horreur de ses agitations, de ses violences et de ses excès.
« Cependant un jour vint où l'acceptation d'une candidature à la Chambre des représentants dans l'arrondissement de Bruxelles lui fut présentée comme un devoir. Il hésita, mais il ne recula point. Peut-être lui fut-il difficile de se défendre du secret espoir d'un échec.
« Mais tel était alors le mouvement de l'opinion publique qu'un succès éclatant couronna les efforts de ses amis.
« Dès ce jour il fut tout entier à son mandat. Le groupe dont il faisait partie le proclamait son chef. Il sut nettement et fièrement caractériser le rôle qu'avec ses amis il entendait prendre, et ce rôle il sut le garder.
« On avait crié à la surprise lorsqu'il fut él la première fois. Quatre ans plus tard l'arrondissement de Bruxelles confirma son mandat.
« Vous avez entendu Charles Simons dans de nombreux débats. Sa parole, toujours grave, mesurée, courtoise, commandait l'attention ; sa grande science juridique et son autorité s'imposaient ; sa bienveillance et sa modération commandaient l'affection et le respect.
« La mort nous l'enlève à un âge où les espérances ne sont pas interdites. Sa mémoire demeurera parmi nous honorée, aimée, vénérée.
« Son âme immortelle est allée vers Celui qui est la résurrection et la vie, Celui en qui il croyait et dont la parole divine fait de cette mort l'aurore d'une vie nouvelle. Puisse-t-il jouir, dans le sein de Dieu, du repos du juste ! »
Voici les paroles prononcées par M. le comte de Mérode, prince de Rupempré :
« Messieurs, c'est au nom des sénateurs et députés indépendants de Bruxelles que j'ai l'honneur de rendre un dernier hommage d'affection et de respect à la mémoire du vénéré chef de notre groupe parlementaire. Qu’il me soit permis de vous rappeler l'homme privé, simple et bon, l'homme politique droit et terme, consciencieux et dévoué, que nous pleurons aujourd'hui.
« Je crains, messieurs, de n'en faire qu'une ébauche bien incomplète, tant était affirmé ce caractère, tant il faudrait de précision pour reproduire fidèlement chaque détail de cette physionomie, dont la moindre partie contribuait à parfaire l'harmonie.
« Trois traits me paraissent dominer en Charles Simons : la modestie affable, la calme et inébranlable droiture, l'abnégation poussée jusqu'au scrupule. Charles Simons avait l'horreur de l'ostentation, de la fausseté, de l'égoïsme. Issu d'une de ces vieilles races limbourgeoises où l'honneur de la famille se transmet intact de génération en génération, Simons conserva toute sa vie cette simplicité parfaite au milieu de laquelle il avait grandi, ces traditions familiales qui lui étaient chères.
« Simple, il l'était dans ses croyances comme dans ses pratiques religieuses ; simple et charitable, il l'était dans son amitié. Simple encore dans son extérieur comme dans sa parole. C'était un esprit d'une droiture rare. Personne ne lui a connu une idée préconçue. Jamais il ne soupçonnait le mal à la légère ; jamais non plus il ne l'admettait sans preuve. Il écoutait patiemment, attentivement. Il réfléchissait mûrement, et alors seulement il émettait ses avis.
« Mais aussi quelle valeur, quelle solidité avaient ceux-ci ! Combien précieux étaient les conseils que donnait l'homme privé ! Combien irréfutable la défense qu'opposait l'homme politique à ceux qui attaquaient son partit ! Venait-il à s'animer, à s'indigner - ce qui, malgré son apparence calme, lui arrivait chaque fois qu’il voyait une vérité méconnue, - sa diction devenait vibrante, sa phrase incisive ; mais, l'incident vidé, personne ne l'entendit jamais proférer une parole désobligeante pour aucun de ses adversaires. Le tact, la modération, c'était là sa force et,
je me plais à le reconnaitre, les hommes de tous les partis y ont rendu hommage. Ce qui à nos yeux caractérisait Charles Simons plus encore que sa modestie et sa droiture, c'était son abnégation absolue, consciencieuse, scrupuleuse même.
« En 1884 notre collègue avait atteint sa 61ème année sans s'être jamais mêlé aux luttes politiques ; la tranquille étude du droit, qu'il n'avait nullement quittée en acceptant les fonctions de directeur à la Société Générale, convenait à son tempérament.
« Les progrès rapides du radicalisme effrayaient alors les moins timorés de ceux qui restaient attachés à nos institutions, à notre dynastie, à nos traditions. Simons voyait le danger, et lorsqu'on le pria d'accepter une candidature sur la liste indépendante, lorsqu'il fut certain de pouvoir garder en politique la liberté d'allures qu'il avait toujours conservée dans ses carrières précédentes, il eut une réponse bien simple : « C'est mon devoir, je le ferai. » Et pourtant quel changement ce sacrifice devait amener dans son existence ! Que de responsabilités, de soucis, d'attaques ce trait d'abnégation devait attirer sur sa tête déjà blanche !
« Pour lui, en effet, se laisser porter sur une liste n'était pas accomplir tout son devoir. Il fallait pour cela travailler, et c'est ce qu'Il fit, mettant au service de sa cause son expérience et son érudition. Ce que ce patriote sincère détestait par-dessus tout, c'était de mêler la politique aux questions vitales pour le pays.
« D'ordinaire réservé, Charles Simons intervenait dans toutes les questions où il croyait pouvoir le faire utilement ; aucun travail ne le rebutait alors.
« Citons ici une preuve de son impartialité parfaite : ce fut lui qui déposa un amendement tendant à assurer un minimum de traitement aux instituteurs privés d'emploi.
« Les questions même les plus étrangères à sa compétence n'étaient pas trop ardues pour lui lorsqu'il s'agissait de servir les intérêts de ses commettants. Il s'y attachait au contraire avec une ardeur particulière.
« Adieu, cher et vénéré collègue, travailleur infatigable, conseiller éclairé, ami dévoué.
« Tu as sans trêve servi ton Dieu, ton Roi et ta Patrie.
« Veuille Dieu, dans sa justice infinie, te donner auprès de lui le repos que tu as généreusement sacrifié ici-bas au bien de ton pays ! »
Les coins du poêle étaient tenus par MM. Beernaert, de Lantsheere, le prince de Rubempré et Vergote.
A l'église de Sainte-Croix la foule était telle qu'une partie des assistants, désireux d'aller à l’offrande, ont dû stationner à l'extérieur.
GOFFIN L., dans Biographie nationale de Belgique, 1914-1920, t. 22,col. 590-592)
SIMONS (Charles-Marie-Jean-Hubert), magistrat et directeur à la Société Générale, né à Maestricht, le 6 juillet 1823, décédé à Bruxelles, le 28 octobre 1890.
Après avoir conquis brillamment son diplôme de docteur en droit à l'université de Louvain, il entra dans la magistrature en qualité de substitut du tribunal civil de Bruxelles le 2 septembre 1855. Le 31 juillet 1857, il devint substitut du procureur général à la cour d'appel de Bruxelles, et y remplit les fonctions de procureur général du 15 avril 1865 jusqu'en 1871, fonctions qu'il quitta pour entrer à la cour de cassation en qualité de conseiller, le 3 décembre 1871.
C'est en 1877 qu'il renonça définitivement à la magistrature pour remplacer, à la direction de la Société Générale, l'avocat Barbanson. Il y rendit de grands services par la netteté de ses avis, la puissance de son travail, la loyale intelligence de ses rapports.
C'était un savant juriste, un magistrat distingué, d'une justice, dans ses arrêts, intransigeante ; jamais il ne fit intervenir la politique dans la justice. Il fit partie du Comité national de législation, où sa grande autorité et son impartialité reconnue l'avaient appelé. Dans la juridiction criminelle, il ne poursuivit jamais une condamnation, qui aurait pu flatter son amour-propre de ministère public, mais il s'attacha plutôt à rechercher la vérité pure et simple. Il honora la magistrature de son pays comme l'avaient fait avant lui les de Gerlache, les Raikem et les Ernst.
En 1851-1853, il fit paraître, chez Jamar, à Bruxelles, un ouvrage en trois volumes, intitulé Des éléments de droit civil : 1°De la propriété et de ses modifications; 2° Des modes d'acquérir et de transmettre la propriété.
Son discours de rentrée à la cour d'appel en 1871, en sa qualité de procureur général, fit sensation. C'était, à cette époque qu'un nouveau parti politique s'organisait en Belgique : comme dans les grands pays voisins, le socialisme faisait sa trouée chez nous. Ch. Simons, dans sa mercuriale, parla des Attaques contre la force obligatoire des lois et des provocations à y désobéir. Il y montra lumineusement ce que les lois offraient de ressources pour la lutte au point de vue des dangers nouveaux qui menaçaient l'ordre social; les dangers nouveaux, à ses yeux, étaient évidemment constitués par le socialisme, dont il attendait les pires bouleversements.
En 1884, alors qu'il avait déjà passé la soixantaine, le parti des Indépendants, de Bruxelles, lui offrit un siège au Parlement, où il fut d'ailleurs réélu en 1888. Il accepta ce mandat plutôt par devoir que par ambition. Toujours il garda sa liberté d'allure, et, patriote sincère, ne mêla jamais la politique aux questions vitales de son pays. Il prenait rarement la parole ; mais quand il intervenait dans les débats politiques, il le faisait avec un austère laconisme, qui faisait grande impression sur ses adversaires. Plutôt préoccupé des intérêts de toute nature de ses mandants, il déposa un amendement tendant à assurer un minimum de traitement aux instituteurs privés d'emploi.
La Chambre trouva en lui un collaborateur modeste, mais plein de droiture et d'impartialité ; homme de grand talent, connaissant à fond la science juridique, qu'il avait servie pendant sa longue carrière de magistrat, il fut respecté autant de ses amis que de ses adversaires politiques. Il collabora pendant longtemps à La Belgique judiciaire et à la Revue de l'administration et du droit administratif de Belgique.
Léon Goffin