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Lorand Georges (1860-1918)

Portrait de Lorand Georges

Lorand Georges, Louis, Auguste libéral

né en 1860 à Namur décédé en 1918 à Aix-les-Bains (France)

Représentant 1894-1900 (Virton) et 1900-1918 (Neuchâteau-Virton)

Biographie

(Extrait de La Chambre des représentants en 1894-1895, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1896, pp. 363-365)

LORAND, Louis-Georges-Auguste,

Représentant libéral progressiste pour l’arrondissement de Virton, né à Namur le 14 mai 1860

Lorand fit ses humanités à l'Athénée de Bruxelles et suivit les cours de philosophie et de droit de l'Université de Bologne. Il obtint le diplôme de docteur en droit, alors qu'il n'était âgé que de 20 ans.

D'abord stagiaire de M. Hector Denis, puis de M. Paul Janson, M. Lorand ne fit guère parler de lui avant 1884, lors du procès de l'anarchiste Cyvoct: à partir de ce moment, son nom est mis en évidence.

Au début de cette même année, le 17 février, se fonda La Réforme, dont M. Lorand fut nommé rédacteur en chef au mois d'avril. Il y publia longtemps un bulletin politique très remarqué; il traite les questions les plus diverses, et son appréciation raisonnée, ses rapprochements, ses déductions font de ses plus graves articles de fond, comme de ses causeries les plus familières, une œuvre toute personnelle, certes, mais curieuse et instructive en même temps.

Propagandiste des plus actifs, M. Lorand est l'organisateur de toutes les conférences qui se sont données, qui se donnent encore, en province pour l'exposition et la défense du programme progressiste, qu'il avait élaboré en majeure partie dans les Congrès ; il est secrétaire général de la Fédération progressiste depuis sa fondation.

M. Lorand a publié plusieurs brochures, entre autres : La Nation armée, Le Referendum et Démission ! Dissolution ! à la suite du procès du « grand complot. »

Il est le correspondant belge du Secolo de Milan, de la Revue politique et parlementaire de Paris et de plusieurs autres journaux étrangers.

M. Lorand est l'un des adversaires les plus décidés des entreprises coloniales et de la protection douanière en matière agricole.

Il vient d'abandonner le poste de rédacteur en chef de La Réforme, dont il reste néanmoins collaborateur, pour se consacrer entièrement à la défense de la politique progressiste, que d'aucuns appellent le « Lorandisme. »

Il a été élu membre de la Chambre des représentants pour l'arrondissement de Virton le 14 octobre 1894. II obtint 8,698 voix, contre 8, 145, accordées à M. de Briey, représentant catholique sortant.

Depuis qu'il siège au parlement, il n'est guère de discussion à laquelle il n'ait pris une part importante : nous citerons les budgets en général et le projet de loi économique, le projet modifiant la loi organique de l'instruction primaire et celui relatif aux élections communales en particulier. Il est l'auteur des propositions de loi relatives à l'abolition du droit de licence, tendant à l'établissement d'une enquête relative à l'exécution du contrat de travail et d'une autre modifiant la loi communale. Il interpella différentes fois le gouvernement au sujet de la politique extérieure.


(Extrait des Hommes du jour, Bruxelles, 1895, n°2)

Georges Lorand, rédacteur en chef de La Réforme, député pour l’arrondissement de Virton

Le vent est à la démocratie, dans notre pays : C’est ce que tous proclament, les uns avec allégresse et enthousiasme, les autres résignés, moroses et inquiets.

Et, en effet, l'idée démocratique - en dépit de toutes les défaillances et de toutes les résistances - a parcouru, dans ces dernières années notamment, un chemin immense ; elle a marché à pas de géant ; il est permis de dire qu'aujourd'hui elle a conquis tous les esprits et tous les cœurs. Il n'est pas jusqu'aux plus encroûtés et aux plus timides de la veille qui ne fassent assaut de hardiesse et de générosité avec les plus avancés. - C'est à qui tiendra le record… On se pousse, on se bouscule sur le chemin de la démocratie, devenu pour beaucoup le chemin de Damas.

Eh ! oui, elle est là, la poussée démocratique, la poussée en avant, à travers tout, vers le droit, vers l'égalité, vers le bien-être... Elle est là, culbutant tous les obstacles, balayant, sur son passage, préjugés et privilèges, entraînant tout ce qui a conservé quelque souffle - elle est là, irrésistible... Spectacle réjouissant, en vérité.

Combien consolant aussi ce spectacle et combien réconfortant pour ceux qui ont le plus puissamment aidé chez nous au triomphe de l'idée démocratique, pour cette poignée de vaillants que l'on a vus à l’avant-garde, que rien n'a pu ni ébranler, ni même émouvoir aux heures difficiles, et qui, après avoir vaincu la défiance et les hésitations des uns et bravé les sarcasmes et les outrages des autres, ont fini par faire accepter leurs idées et partager leurs aspirations par la presque généralité de leurs compatriotes, par imposer, même à leurs adversaires, les principes essentiels de leur programme (tant est grande la force de pénétration de la vérité et de la justice), enfin par commander à tous, sans en excepter les hostiles et les malveillants d'hier, l'estime et l'admiration. Parmi ces vaillants, et au tout premier rang, figure l'homme remarquable à tant d'égards, que nous présentons aujourd'hui à nos lecteurs : M. Georges Lorand, rédacteur en chef de La Réforme, membre de la Chambre des Représentants

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M. Georges Lorand est né à Namur en 1860. Il n'a donc que 35 ans, le croirait-on ? Sa calvitie aussi complète, aussi « radicale » (ceci sans intention !) que précoce ; son air toujours grave, soucieux, méditatif, préoccupé ; sa démarche quelque peu... (comment dire cela ?) pondéreuse, tout cela, en un mot, lui imprime la marque extérieure de la maturité. N'en déplaise à M. Georges Lorand - charmant, d'ailleurs, et fort juvénile dans l'intimité - les dames les mieux disposées à son égard (et il n'y en a pas d'autres!) lui donnent galamment « le milieu de la quarantaine »

35 ans ! Et avoir fourni déjà toute une carrière - une carrière exceptionnellement bien remplie, comme il en est peu ou point... 35 ans ! Et avoir derrière soi un état de services peut-être unique, tout un passé glorieux... 35 ans ! Et avoir vu tant de choses et savoir beaucoup plus de choses encore : car, qu'est-ce que Georges Lorand n'a pas vu et vécu ? Ses souvenirs se perdent dans la nuit des temps. Il n'ignore rien ; il parle de tout en parfaite connaissance de cause et comme s'il l'avait vu ou entendu.

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Georges Lorand, après avoir fait ses humanités à l'Athénée de Bruxelles, partit pour l'Italie - le riant pays des pampres, des tambourins et des crotales... et du ciel toujours bleu - où il suivit les cours de philosophie et de droit à l'université de Bologne (et non au fameux Collège flamand établi en cette ville). Il obtint le diplôme de docteur en droit, en 1880.

Rentré dans son pays, il devint stagiaire d'Hector Denis, puis de Paul Janson.

Etudiant, Georges Lorand avais pris une part active à tous les mouvements démocratiques les plus avancés. Son esprit inquiet et novateur, toujours en fermentation, toujours à la recherche de quelque chose, allait tout naturellement et comme d'instinct aux conceptions les plus hardies, les plus éloignées des idées généralement reçues, heurtant celles-ci le plus violemment, et apparaissant encore au plus grand nombre comme importées du pays des chimères.

Elysée Reclus remarqua ce jeune homme si généreusement doué, à l'intelligence vive et primesautière, à l'originale tournure d'esprit, au tempérament rebelle et indomptable ; il sentit que cet adolescent était quelqu'un, il devina en lui un caractère et une personnalité, et Georges Lorand devint l'ami de l'illustre savant, qui lui a conservé son affection et dont Lorand est resté le fervent admirateur. Georges Lorand parle volontiers de « son ami Reclus » ; il souligne cette appellation avec une certaine complaisance, mais il n'en est pas plus fier pour ça.

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Jusqu'en 1884, il ne prit aucune part à la vie politique en Belgique. C'est la retentissante affaire Cyvoct, dont certes nos lecteurs se souviennent, qui mit en évidence le jeune avocat. Celui-ci s'était employé pour Cyvoct (pour qui, hâtons-nous de le dire - cela étonnera pas mal de gens - il n'a jamais plaidé) et c'est ainsi qu'il entra en rapport avec MM. Janson et Feron et les autres membres de l'extrême-gauche d'alors, qui étaient intervenus auprès du gouvernement en faveur de Cyvoct.

C'est vers cette époque que fut fondée La Réforme (17 février 1884), pour mener le bon combat démocratique, et les créateurs de cet organe eurent l'heureuse inspiration de s'assurer la collaboration de M. Georges Lorand, dont ils avaient apprécié d'emblée le mérite et qui, deux mois après, devint rédacteur en chef de ce journal et fut chargé, notamment, de la politique extérieure.

Faut-il parler du Bulletin politique, quotidien qui a paru dans La Réforme, pendant plusieurs années, sous la signature de Georges Lorand ? Ce bulletin politique, qui fut tant remarqué, constituait une innovation dans notre pays ; c'était une œuvre toute personnelle ; c'était un exposé commenté, une appréciation raisonnée, accompagnée de rapprochements et de déductions, de l'événement capital ou des quelques faits saillants du jour ; c'était un véritable cours d'histoire contemporaine de politique internationale. Il sont légion, parmi les fidèles lecteurs de La Réforme, ceux qui regrettent la disparition du bulletin politique de Georges Lorand, si instructif et si vivant, et d'une lecture si attachante.

Georges Lorand – encore une fois, le croirait-on ? - n'est entré à l'Association libérale de Bruxelles, où, depuis, il n'a cessé d'exercer une influence prépondérante, qu'en 1888 - quand, dans un élan superbe, et après un débat mémorable au cours duquel Paul Janson a prononcé une de ses plus puissantes harangues, l'Association refusa, à la suite de ses chefs, de s'atteler au char de la Concentration « embourbé dans l'ornière d'une politique impossible » et décida de se désintéresser du scrutin de ballottage, entre la liste doctrinaire et la liste clérico-indépendante.

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Depuis 18S8, G. Lorand n'a pour ainsi pas cessé de faire partie du comité de l'Association libérale. L'élaboration d'un programme précis, complet, largement démocratique, répondant aux nécessités et aux tendances de notre temps, et l'organisation d'une propagande intense et continue furent les objets de sa constante préoccupation.

Non content de s'attacher à faire partager ses vues par ses collègues du comité et à les entraîner à l'action, il prêcha d'exemple et conçut le plan d'une vaste campagne à mener dans le pays entier, en faveur de la réforme de notre organisation militaire, inique et odieuse, et de l'adoption du système démocratique de la " nation armée. „ Il prit la tête du mouvement, groupa autour de lui quelques jeunes démocrates de conviction et de talent, et constitua (avril 1889) le « Cercle de propagande de la Nation armée », dont il fut le président, et qui, élargissant plus tard son champ d'action en vue de la propagande du suffrage universel, devint le " »Cercle de propagande démocratique. »

M. G. Lorand, président, et R. Rens, secrétaire du « Cercle de propagande » centralisèrent le travail d'organisation, et deux mille conférences furent organisées en un an, sur tous les points de la Belgique :eQui ne se rappelle cet admirable mouvement, sans précédent dans notre pays ? Ce débordement inouï de vitalité politique déconcerta les adversaires de gauche et de droite. Nous ne pouvons, quant à nous, nous reporter sans émotion à cette période de noble ardeur et de généreux emballement : Chaque dimanche, les dévoués et infatigables propagandistes, stimulés par la fiévreuse activité et par l'exemple de Georges Lorand, se mettaient en campagne et allaient chacun de son côté, propager la bonne parole dans quelque coin écarté de la Flandre ou de la Wallonie, souvent dans deux ou trois localités le même jour.

Œuvre féconde : Lorand, Rens, Van Wilder, Furnémont, Brunet, Lemonnier et tant d'autres allaient de concert avec les orateurs du parti socialiste, réveiller partout le sentiment démocratique ; ils profitaient de l'occasion pour nouer des relations avec leurs coreligionnaires de tous les cantons du pays, pour établir avec eux des rapports suivis et réguliers, pour pousser à l'organisation de réunions politiques et publiques et pour provoquer la constitution de groupements de propagande démocratique.

Bref, c'était la conquête de l'opinion publique par une poignée de vaillants, sous la direction de Georges Lorand, qui fat pour tous un conseiller, un guide et un ami. Aussi, la Fédération progressiste encore une création de Georges Lorand - trouva, grâce au susdit travail préparatoire, si habilement conçu par le dévoué président du « Cercle de propagande », son organisation première toute prête, ses cadres tout formés.

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Nous regrettons que l'espace restreint mis à notre disposition, ne nous permette point de retracer, par le menu, l'œuvre de Georges Lorand et de suivre celui-ci pas-à pas, dans toutes les manifestations, - si diverses et si multiples - de sa fiévreuse et féconde activité.

Nous nous bornerons donc, - bien malgré nous, - à de simples indications « pour mention et rappel. »

Faut-il rappeler notamment la sensationnelle « brochure bleue » qui, répandue partout, dans les deux langues, fit connaître et popularisa d'emblée le système dit « de la nation armée », c'est-à-dire la réforme militaire voulue par les partis démocratiques, et qui provoqua l'éclosion d'une série de brochures - la « rouge », la « blanche », la « jaune », la « verte » - dues à la plume de hautes personnalités militaires ou de personnages de cour, échos de la pensée royale. On voit par là combien était rude le coup porté par l'auteur de la « brochure bleue » à la tradition militariste avec son cortège obligé d'iniquités, ce fléau des peuples...

Il fallait parer le coup, il fallait riposter. Ces messieurs s'y sont mis à plusieurs, mais en vain ; ils n'ont converti personne, alors que partout, dans les campagnes comme dans les villes, grâce à la propagande conduite par Lorand, la masse fut rapidement acquise à l'idée de la nation armée. On sait que l'établissement de ce système assurerait à notre pays, avec le minimum de charges, et pour le trésor et pour les individus, le maximum de force défensive.

Rappelons encore la brochure de G. Lorand sur le referendum (1890) - traduite en flamand par R. Rens, - qui disposa l'opinion publique en faveur d'une réforme qui constitue la sauvegarde des citoyens contre les errements ou la mauvaise foi de leurs mandataires, qu'il s'agisse de la commune, de la province ou de l'Etat.

Nous voudrions nous étendre encore sur le rôle brillant, et presque toujours prépondérant, joué par M. Georges Lorand dans les différents congrès progressistes ; - sur la part qu'il a prise à l'élaboration du programme du parti progressiste, de ce programme largement conçu qui, on peut le dire sans froisser personne, est l'œuvre de Georges Lorand, et qui apporte au pays un ensemble bien coordonné et harmonique de réformes démocratiques, actuellement réalisable par le concours des hommes de bonne volonté de tous les partis ; - sur le travail d'organisation de la Fédération progressiste, au cours duquel Georges Lorand a révélé à ses collaborateurs un esprit pratique que, certes, ils ne soupçonnaient pas et ne pouvaient guère soupçonner chez cet homme à l'esprit désordonné et enfiévré, s'attelant à tant de choses à la fois, et semblant fait pour concevoir, pour tracer les grandes lignes, pour distribuer les rôles, pour ébaucher, pour guider, pour commander bien plus que pour s'arrêter aux mille détails d'exécution et de mise en œuvre.

Nous eussions voulu rappeler aussi, d'une façon circonstanciée, la part considérable prise par Georges Lorand au travail de la révision constitutionnelle. Car si Lorand n'était pas de la Constituante, il n'en a pas moins exercé une influence réelle sur cette assemblée, où il y avait quelque chose de lui : son esprit, sa pensée, son souffle, son inspiration.

Qui ne se souvient de la série d'articles parlementaires de Georges Lorand dansLa Réforme, pour la défense du suffrage universel et des « trois R » (c'est la laconique formule par laquelle il désignait trois réformes dont il s'était fait l'apôtre et qui, dans sa pensée, devait être le complément ou mieux le perfectionnement du S.U. : Représentation proportionnelle, Représentation des intérêts, Referendum), de ces maîtres articles, tour à tour savant, habiles à l'emporte-pièce, toujours convaincants et décisifs ?

Nous n'insisterons pas davantage sur la tentative de paix scolaire faite, il y a une couple d'années, par Georges Lorand, ni sur les polémiques passionnées auxquelles cette tentative, assurément louable, a donné lieu.

Disons encore qu'après la révision, M. Lorand eût voulu voir son parti marcher seul dans les premières élections sous le régime nouveau ; il eût voulu, lors de la première consultation du corps électoral étendu, compter les adhérents de la politique progressiste de sa politique à lui - qui s'était en quelque sorte identifiée avec le mouvement révisionniste.

Mais cette fois (et M. Lorand a dû être quelque peu étonné de ne pas voir les choses s'accomplir selon ses désirs) les événements, sous l'impulsion des dirigeants du parti, prirent une tournure autre, et l'obstination de ceux-ci à vouloir sauver d'un naufrage certain les derniers soutiens du doctrinarisme discrédité et moribond, rendit impossible l'alliance démocratique qui eût assuré la victoire... Passons, après avoir constaté toutefois l'effacement voulu et très significatif de M. Lorand et au Congrès progressiste de 1894 et dans les séances de l'Association libérale qui précédèrent l'élection d'octobre.

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Une candidature avait été offerte dans l'entretemps à M. Georges Lorand par les libéraux-unis de l'arrondissement de Virton, et le rédacteur en chef de La Réforme se consacra entièrement à la propagande dans cet arrondissement qu'il s'agissait d'enlever aux cléricaux. Les libéraux-démocrates du pays entier ont suivi avec la plus vive sympathie le candidat dans l'admirable campagne électorale qu'il a menée là-bas et que l'on a citée, tant de fois déjà, depuis, comme modèle. M. Lorand a montré comment les élections devaient être comprises et conduites sous le régime du suffrage universel, et sa démonstration a été complète : il a vaincu. Puisse dorénavant son exemple être suivi partout - le succès est à ce prix.

Les candidats doivent se mettre en contact direct avec les électeurs et exposer nettement leurs idées et leurs projets : faut-il rappeler les 75 conférences données en trois mois par M. Lorand dans l'arrondissement de Virton, - devenu son arrondissement - et l'enthousiasme avec lequel il fut accueilli partout, en dépit des menées d'un adversaire aux abois ? Aujourd'hui, l'intelligente population de l'arrondissement de Virton est fière - à juste titre - d'être représentée au Parlement par un homme de la valeur de Georges Lorand, qui s'impose d'emblée comme leader de la gauche libérale à la Chambre, et qui est une de nos personnalités parlementaires les plus en vue. Ses amis attendent beaucoup de lui ; ils ne seront point déçus.

Faut-il rappeler le rôle joué par Georges Lorand à la Chambre ?... Il a pris part à tous les débats de quelque importance et, par son talent comme par son tact et sa courtoisie, il a conquis l'estime de tous ses collègues indistinctement.

Il a associé son nom à des initiatives généreuses et est l'auteur de plusieurs propositions de loi. Plusieurs de ses discours marqueront ; son discours sur les réformes fiscales et agricoles, notamment, est un des plus remarquables qui aient été prononcés au Parlement belge.

Georges Lorand a parlé pour l'amnistie et contre la dotation du comte de Flandre ; il a déposé un projet abrogeant le droit de licence et établissant le monopole de l'alcool ; il a saisi la Chambre d'un projet de loi communale comportant le suffrage universel pur et simple à 21 ans et le referendum.

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Et sa campagne contre la politique coloniale en général et, en particulier, contre la reprise immédiate du Congo ? Qui ne l'a vu, dans les récents meetings contradictoires, défendre avec l'ardeur qu'on lui connaît, contre les courtisans et les financiers l'intérêt et l'avenir de son pays ? Son hostilité à l'entreprise congolaise n'est pas née d'hier. Dès 1884, Georges Lorand signalait dans La Réforme les dangers que ferait courir un jour au pays la « marotte royale » ; il a prédit, dès cette époque, tout ce qui arriverait, et ses prévisions se sont, hélas ! réalisées point par point. Que ne l'a-t-on écouté alors! Raison de plus pour tenir compte aujourd'hui de ses appréhensions.

C'est assurément Georges Lorand qui a contribué le plus à semer la défiance autour de la sotte entreprise congolaise qui serait ruineuse pour la Belgique sans aucun profit pour elle et qui exposerait notre pays - neutre - à de continuels conflits internationaux. Les arguments de M. Lorand restent debout ; les contradicteurs ne leur ont opposé que des affirmations intéressées ou des espérances grossies.

La guerre est ouverte entre « congolâtres » et « congophobes » Les armées en présence ! D'une part, les agents et anciens agents de l'Etat et des compagnies ; la meute des courtisans ; le monde officiel, chamarré, titré et bien renté ; les officiers de retour du Congo et autres escomptant les faveurs royales ou gouvernementales ; toute la légion des décorés et des aspirants décorés, enfin les gens de la haute et de la finance ; d'autre part, des hommes désintéressés, qui ne sont ni fonctionnaires ni financiers et qui, effrayés des conséquences désastreuses qu'entraînerait pour le pays l'annexion d'un territoire immense que son climat meurtrier rend inhabitable et partant inexploitable pour l'Européen, se sont fait un devoir d'éclairer leurs compatriotes et de dénoncer au pays tous les aléas et tous les dangers d'une entreprise qui, en fin de compte, ne pourrait profiter qu'à une poignée de capitalistes opérant aux frais des contribuables belges !

Dans cette campagne, M. Lorand et ses amis tiennent, une fois de plus, le bon bout; nos meilleurs vœux les accompagnent.

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Résumons-nous :

Homme remarquablement doué, d'un commerce charmant et, sous des dehors souvent un peu brusques, d'une bonté rare ; - polémiste et debater d'une force peu commune ; adversaire redoutable ; - orateur abondant, éloquent, chaleureux, entraînant ; travailleur infatigable ; - parlementaire de premier ordre, tel est Georges Lorand.

Sceptique ? égoïste ? Ceux qui le jugent ainsi, d'après des apparences, ne le connaissent guère. Georges Lorand est un cœur d'or. C'est un de ces hommes qui gagnent à être connus de près.

Personnel et autoritaire ? Peut-être bien un peu... Mais cela est-il toujours un mal ? That is the question...

Formulons un regret pour finir : c'est celui de voir, en maintes circonstances, un homme de ce tempérament et de cette valeur paralysé par les nécessités de la politique dans laquelle il s'est trouvé engagé et qui, nous en sommes convaincu, est loin de répondre complètement à ses aspirations intimes.


(Extrait de L’Indépendance belge, du 3 septembre 1918)

Une triste nouvelle nous est arrivée lundi matin. M. le député Maurice Feron nous télégraphie d’Aix-les-Bains que M. Georges Lorand est décédé subitement samedi soir, succombant à une embolie peu après son arrivée dans cette ville.

Cette nouvelle que l'activité infatigable du député de Virton rend si imprévue sera accueillie par les Belges avec d'unanimes regrets. M. George Lorand a joué dans notre vie politique depuis trente ans, un rôle important. Esprit intelligent et tempérament combatif, il mena dans La Réforme des campagnes retentissantes en faveur de la révision constitutionnelle et de la représentation proportionnelle. Représentant à la Chambre depuis 1894. les libéraux de l'arrondissement de Virton, M. Lorand avait conquis au Parlement et dans son parti une place de premier rang, mais c'est la sympathie et la reconnaissance de tous les Belges qu'il s'était acquises depuis quatre ans en travaillant avec une ardeur toujours renouvelée, d'un bout l'autre de l'Italie, au service de notre cause nationale.

Georges Lorand avait fait jadis ses études à l’Université de Bologne, il maniait la langue du Dante comme sa langue maternelle, et il avait conservé en Italie de nombreuses amitiés. Dès l'automne de 1914, il passa les Alpes pour aller avec ses collègues Destrée, Mélot et Vermeersch faire connaître à l'opinion italienne les horreurs de l'invasion allemande en Belgique et défendre notre honneur contre les calomnies de nos ennemis. S'il est vrai de dire. au témoignage de plus d'un homme d'Etat italien, que la violence faite à la Belgique a été pour beaucoup dans la détermination de l’Italie de s'unir aux puissances de l'Entente. c'est justice de reconnaître que la campagne de Georges Lorand a contribué puissamment à éclairer nos alliés sur la justice de notre cause.

Cette cause, Georges Lorand l’a défendue avec une âme vraiment nationale, plaçant l’intérêt du pays avant tous les intérêts de partis. II y a quelques semaines à peine, parlant à la réunion organisée par la Ligue italo-belge, à l'Argentina de Rome, en l'honneur de la magistrature belge, le député radical de Virton disait : « Jusqu’à c que soit libérée la patrie, il n'y a plus de questions de partis entre les Belges ; il n'y a que des Belges étroitement unis pour la défense de leur pays. » C'est son honneur d'avoir fait de cette pensée la règle de toute son activité depuis quatre ans. Il n'aura pas la joie de voir cette libération de notre pays qu'il évoqua si souvent devant des centaines d'auditoires frémissant à sa parole vengeresse. Mais tous les Belges garderont le souvenir des efforts qu'il accomplit pour hâter l'heure de notre victoire.


(Extrait du Peuple wallon, du 6 septembre 1918)

Les journaux français annoncent que M. Georges Lorand député libéral de Virton, vient de mourir à Aix-les-Bains, où il se trouvait en traitement.

Né à Namur, le 14 mai 1860, George Lorand suivit les cours de philosophie et de droit à l'Université de Bologne. Il fut successivement stagiaire de Hector Denis, et Paul Janson ; sa célébrité date du procès de l'anarchiste Cyvoet. II devint, en 1884, rédacteur en chef de La Réforme et occupa ces fonctions jusqu'en 1896, tout en écrivant dans le Secolo de Milan. et la Revue Politique et Parlementaire de Paris. II devint ensuite collaborateur attitré de L'Express, où ses articles étaient fort goûtés.

Georges Lorand était le président habituel des manifestations internationales de la Libre Pensée en Belgique. li fut longtemps président de la Ligue des Droits de l'Homme et organisa, à ce titre, un mouvement en faveur de Ferrer. A l'encontre de la plupart de ses concitoyens, il ne se confinait pas dans l'étude des problèmes nationaux et chacun se souvient des véhémentes protestations qu'il fit entendre au nom des minorité ottomanes.

Au Palais de la Nation, la carrière de cet adversaire des entreprises coloniales fut moins heureuse. Il témoignait une prédilection pour les solutions du genre suisse et défendit à outrance le principe discutable de la représentation proportionnelle. De plus, il vota toutes les lois bilingues et si les élections de 1912 l'amenèrent un moment à se rapprocher de nos idées, - Destrée l'avait choisi pour présider la Commission extérieure de l'Assemblée wallonne - il se départit bientôt de cette attitude et revint, pendant la guerre, à son ancienne conception belge.

La perte de Lorand frappe tous les anticléricaux et tous les démocrates, particulièrement ceux de Liége, dont il fut longtemps Je guide écouté. Son nom restera celui d'un parlementaire très informé et d'un polémiste vigoureux.