Lepage Léon, Marie, Philippe libéral
né en 1856 à Poperinghe décédé en 1909 à Ypres
Représentant entre 1892 et 1909, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait de L’Indépendance belge, du 12 octobre 1909)
C'est avec les plus vifs regrets que nous avons appris dimanche après-midi la mort de M. Léon Lepage, député libéral de Bruxelles et échevin de l'Instruction publique et des Beaux-Arts de la ville de Bruxelles. Depuis longtemps il était souffrant et ses amis savaient que tout espoir de le sauver devait être abandonné
M. Léon Lepage était une des figures les plus sympathiques du monde politique bruxellois. Il était né dans la capitale en 1856 et, après de brillantes études à l'Athénée royal, il entra à notre Université libre et y obtint, en 1878, le diplôme de docteur en droit. Avocat à la Cour d'appel de Bruxelles, il tenait une large place au Palais, se faisant une spécialité des affaires commerciales. Ce fut en 1882 qu'il se jeta dans la mêlée politique, servant avec un dévouement qui ne s'est jamais démenti le drapeau libéral. Conseiller provincial en 1882, conseiller communal en 1884, il fut élu député de Bruxelles en 1892. Rentré au conseil provincial en 1898, après l'échec des libéraux de Bruxelles, les électeurs bruxellois le renvoyèrent à la Chambre en 1900 et le réélirent en 1902 et 1906. A la Chambre, M. Lepage se distingua surtout dans les discussions relatives aux questions d'enseignement.
Mais ce fut surtout au Conseil de la capitale qu'il joua son véritable rôle et qu'il rendit les plus grands services.
Succédant à M. André, en 1895, comme échevin de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, il s'appliqua avec un zèle admirable à développer nos écoles et surtout à compléter l'enseignement professionnel. On sait comment il s'efforça de donner un caractère patriotique à l'éducation des enfants et comment il rappela à l'activité les œuvres scolaires de bienfaisance. Même ses adversaires politiques devront reconnaitre que M. Léon Lepage s'est dévoué corps et âme aux écoles de la capitale.
Il disparait à peine âgé de 53 ans, alors qu'il aurait pu accomplir encore une grande tâche, alors qu'il aurait pu rendre encore tant de services à son parti et à Bruxelles et ses écoles.
Il n'en sera que plus amèrement pleuré et regretté.
* * *
Le Conseil communal de Bruxelles s'est réuni d'urgence en séance extraordinaire lundi, à 3 h. 1/2 de l'après midi.
M. De Mot, bourgmestre, préside, devant l’assemblée debout et très émue ; M. De Mot annonce le décès de M. Léon Lepage, premier échevin. J'aurai, déclare le bourgmestre, l'occasion de rendre hommage à un disparu le jour des funérailles, mais je vous fais ici trois propositions :
1° Que les funérailles soient faites aux frais de la Ville ;
2° Qu'une rue portera le nom de Léon Lepage ;
3° Que le buste de M. Lepage soit placé dans une école élevée durant son échevinat. (Adhésion.) […]
(Extrait du Petit Bleu du Matin, du 11 octobre 1909)
M. Léon Lepage, échevin de l’instruction publique de la ville de Bruxelles, membre de la Chambre des représentants, est mort hier après-midi à Bruxelles, succombant à une longue maladie.
Avec M. Léon Lepage disparaît une des figures les plus populaires du libéralisme bruxellois.
Enfant de notre ville, - il y était né le 11 avril 1856, - M. Lepage n'avait, en effet, jamais quitté Bruxelles, où il avait fait toutes ses études.
Elève de l' Athénée royal, puis de l'Université de Bruxelles, il obtint en 1878 son diplôme de docteur en droit. Et malgré la place qu'il conquit au barreau comme avocat d'affaires, il ne tarda pas à se préoccuper de politique et donna tout son dévouement à la cause libérale.
Dès 1884, nous le voyons parmi les membres les plus actifs du conseil communal de Bruxelles. Elu échevin de l'instruction publique le 16 décembre 1895, il se donna corps et âme à la direction de cet service. A partir de ce moment, l'enseignement communal doit à son initiative d'excellentes et de très importantes réformes. Il les réalisa, avec l'aide de son éminent directeur général, M. Alfred Mabille.
Très patriote lui-même, M. Lepage voulut développer les sentiments patriotiques des élèves de nos écoles. Il y instaura le culte du drapeau, y vulgarisa les chants nationaux. Puis il décida l'importante collaboration des enfants des écoles aux fêtes commémorant les journées de Septembre, et créa les représentations patriotiques de la Monnaie, dont le programme original devait, comme on sait, comporter la Muette de Portici.
La participation des enfants à la fête de la place des Martyrs fut en effet une des joies profondes de M. Lepage. Et quand, le 23 septembre 1896, les combattants de 1830 furent conduit pour la première fois place des Martyrs par les enfants, le bataillon des chasseurs-éclaireurs et les diverses sociétés d'anciens sous-officiers et d'anciens soldats, ce fut d'une voix émue qu'il termina par les paroles suivantes le très beau discours qu’il prononça à cette occasion :
« Fidèles à la tradition dont nous renouons aujourd'hui la chaîne, nous conduirons ici chaque année nos enfants renouveler l’hommage pieux et reconnaissant qu'au nom de la population bruxelloise nous sommes venus rendre à la mémoire des héros qui sont morts pour la Patrie et la Liberté.
« Oui, messieurs, j'en atteste les morts vénérés qui dorment ici leur dernier sommeil, ces enfants seront dignes de leurs ancêtres : honnête, instruits, laborieux et patriotes, ils feront la Belgique grande honorée, toujours meilleure et plus heureuse ; jouissant du bonheur inappréciable d'êtres libres, c'est sur les champs de bataille pacifiques du commerce et de l'industrie, des sciences et des art qu'ils auront - nous en avons le ferme espoir - à exercer leurs vaillants efforts. Et si, ce qu'à Dieu ne plaise, la Patrie devait revoir des jours sombres, c'est ici encore au pied de ce monument qu’ils viendraient retremper leur courage au souvenir des grandes actions de leurs pères et jurer de sauvegarder l'indépendance du pays. »
Tout en dirigeant avec une égale sollicitude les diverses branches de son administration, comprenant l'Instruction, les Beaux-Arts et les fêtes publiques, M. Lepage accepta un poste de militant du libéralisme modéré au conseil provincial du Brabant de 1882 à 1892 et de 1898 à 1900, et il siégea une première fois à la Chambre de 1892 à 1894 comme député de Bruxelles.
Réélu le 27 mai 1900, M. Lepage profita de son mandat pour défendre en toutes circonstances les intérêts de la ville de Bruxelles, notamment en ce qui concerne les derniers travaux. Son successeur à la Chambre sera M. Fernand Cocq, député suppléant, échevin de l'instruction publique à Ixelles.
De caractère très simple et très modeste, M. Lepage s'était de tout temps intéressé aux classes laborieuses. C’est ainsi qu'il prit une grande part à la création des sociétés mutualistes, et l'incessante propagande qu'il fit dans ce domaine lui valut la décoration spéciale de mutualité de première classe. Et c'est à la demande générale qu’il assuma, depuis plusieurs années, le poste de président de la Caisse de prévoyance de Bruxelles et celui d’administrateur de la Société anonyme du Canal et des Installations Maritimes.
M. Lepage – qui, parmi ses titres nombreux, comptait également ceux de membre de la commission de surveillance du Conservatoire, du Conseil de l' Académie royale des Beaux-Arts, de membre du conseil de l’Université libre de Bruxelles, de membre de la commission du gaz, - devait à ses sentiments de patriote d'accepter celui de président d'honneur de la Fédération des sociétés d'anciens militaires de l’agglomération bruxelloise.
La disparition de M. Lepage laissera un grand vide, non seulement dans les milieux officiels, où le défunt tenait une large place, mais encore chez les humbles, aux souvenirs desquels il se dévoua.
Le souvenir du défunt restera populaire surtout dans le bas de la ville. Et longtemps on gardera la mémoire de ce vrai Bruxellois de la vieille souche que l'on rencontrait le soir buvant son verre de bière nationale, dans un des cafés « bien bruxellois » du quartier Saint-Géry.
C’est ainsi que les visiteurs qui eurent l'occasion d'aller voir M. Lepage vantaient le peu de morgue de leur hôte, « qui venait parfois lui-même ouvrir et fermer sa porte. »
Quant au personnel de l’administration importante dont l’échevin disparu avait assumer la charge, il est unanime à louer l’esprit de justice donc son ancien chef a toujours fait preuve à son égard. Et quand l’un de ses employés avait été l’objet d’une distinction honorifique, c’était toujours, « son échevin »
qui avait l'attention d'organiser en son honneur quelque manifestation de sympathie.
M. Lepage, qui succombe à une longue maladie, a montré jusqu'au bout une grande volonté de travail. Et si le mal dont il souffrait eût parfois comme résultat d'attrister son caractère, il ne parvint pas à lui enlever les qualités de douceur et d'aménité qui étaient siennes.
(Extrait de L’Indépendance belge, du 14 octobre 1909)
Les funérailles de M. Léon Lepage
Les funérailles de Léon eu lieu mercredi avec un éclat, une solennité et une émotion bien dignes de ce grand Bruxellois. Bruxelles, en rendant un dernier hommage au regretté défunt, a voulu qu'il fût digne de lui-même et digne des enfants de la grande cité. Le temps était triste et beau, et la coïncidence des funérailles avec le « jour de Bourse » fait que le centre de la capitale avait une animation tout à fait extraordinaire.
Dès midi, tout le « bas de la ville » était sur pied. Les réverbères allumés et garnis de crêpe attestaient que l'heure était aux regrets et au deuil. Mais à côté de cette attestation matérielle, combien celle qu'on trouvait au fond de tous les cœurs était plus simple, plus vraie, plus touchante ! Tout le peuple des rues voisines, des boulevards centraux, de ces petites rues où l'on ne va jamais et qui ont des noms à la Balzac, tout ce peuple était prêt à rendre à Lepage un salut suprême. Les magasins sont fermés. Les boutiquiers causent entre eux ; ils ont revêtu, tous, leurs vêtements de deuil, et ce deuil extérieur reflète et trahit l'autre, l'intérieur, le vrai... Les camelots crient : « Le dernier souvenir de M. Lepage », et ils vendent une carte postale représentant le défunt, en costume de cérémonie, avec une mine réjouie qu'on ne lui avait plus vue depuis bien longtemps, hélas !...
Il a fallu jouer des coudes - et des protections - pour arriver à l'école de la rue des Six-Jetons. où ont été prononcés les discours, et le service d'ordre, très nombreux, cependant, n'a pu prévenir de désagréables bousculades.
Le préau de l'école était tapissé de noir. Une chambre ardente a été érigée, où l'on a dressé le catafalque très simple sur lequel brillent, en pleurant leurs larmes de cire, des bougies... Des couronnes s'amoncellent là - et leur somptuosité odorante dénonce, seule, que ces funérailles sont celles d'un grand administrateur, d'un homme public considérable et distingué.
Le collège des bourgmestre et échevins arrive. Voici MM. De Mot, Lemonnier, Max, Steens et Grimard. Voici, pêle-mêle, dans la cohue, MM. les sénateurs Sam Wiener, Delannoy, Goblet d'Alviella, les députés Huysmans, Hymans, Monville, Cocq, Feron, Denis, Demblon, le gouverneur du Brabant, les conseillers communaux Anspach, Dassonville, Bauwens, Huisman, Théodor, C. Huysmans, Conrardy - puis MM. Mabille, Bourgeois. Pètre, Lepreux, F. Wiener, De Bremaecker, Buls, Spayer, Louis Strauss, Devèze, Bodson, le Dr Philippe, - mais le moyen de citer tout le monde ? Des notabilités de toutes les administrations de la ville, de l'armée, de la garde civique, du conseil provincial et du barreau étaient là - et tout le monde était recueilli, ému. Le deuil était conduit par le fils, les frères et les neveux du défunt.
Six discours ont été prononcés. Le premier par M. Emile De Mot, bourgmestre, au nom de l'administration communale :
« Je viens, au nom du Conseil communal, rendre hommage à l’administrateur d’élite que la capitale vient de perdre. Je pourrais ajouter : à l’ami aux côtés duquel j’ai travaillé pendant 25 ans. Car Léon Lepage entra au Conseil en 1884 : déjà, alors, il se signalait par l’étendue de ses connaissances et son activité.
« Dès 1882, à peine âgé de 26 ans, il avait été envoyé au Conseil provincial, et il ne tarda pas à s’y faire une situation remarquée. Il en fut de même au Parlement, où il siégea de 1892 à 1894 et de 1900 à ce jour.
« Mais, Messieurs, l’administration de Bruxelles fut la préoccupation maîtresse de notre à jamais regretté collègue.
« Echevin de l’instruction publique depuis 1896, il se voua tout entier à ce qu’il considérait comme un apostolat : digne continuateur d’Ernest Allard, de Buls et d’André, il fut, comme eux, le créateur et le défenseur de l’enseignement public… Et il n’envisageait pas seulement le côté pédagogique ; sous son intelligence impulsion, l’hygiène scolaire prit une importance majeure, et des installations modernes remplacèrent les locaux d'autrefois.
« C'est ainsi que depuis 1896 douze écoles ont été ou rebâties ; actuellement, sept établissements sont en voie de reconstruction et cinq projets sont à l'étude.
« Mais Messieurs, Léon Lepage envisageait l'enseignement populaire à un point de vue plus élevé encore. Il considérait que, dans un pays de liberté, alors que d'après nous l'école doit être neutre, c'est-à-dire en dehors des fois philosophiques ou religieuses, il pensait qu'il fallait donner à nos enfants une éducation véritablement civique, et que nous avions pour mission, non de créer des croyants ou des libres-penseurs, mais de lancer dans la vie des citoyens animés de la première des vertus: l'amour de la Patrie.
« Et c'est à cette pensée qu'il proposa de rétablir la cérémonie annuelle de la place des Martyrs, que le gouvernement avait abandonnée depuis 1880.
« Lepage eut cette rare fortune que, malgré l’âpreté inévitable de certaines luttes, il était apprécié et estimé dans tous les camps, dans tous les milieux. S'il fut souvent un rude adversaire, il ne connut jamais d'ennemis, et sa juste popularité s'étendait sans cesse.
« On a dit naguère de cet ardent patriote, si attaché à sa ville natale et à son pays, qu'il était la fois le plus Bruxellois des Belges et le plus Belge des Bruxellois. On dira dans l’avenir que sa carrière fut grande et utile, et qu'il a bien mérité de la capitale. »
M. Louis Huysmans. député, au nom de la gauche libérale de la Chambre, a prononcé ensuite un excellent discours, tracé l'activité parlementaire de Lepage :
« Qu'il me soit permis, Messieurs, d’ajouter à l'émouvant discours de Monsieur le bourgmestre de Bruxelles quelques paroles d'adieu au cher défunt, au nom des libéraux de la Chambre des représentants de l'arrondissement de Bruxelles. Lepage et moi, nous fûmes en même temps membres de la Chambre en 1892 et nous y siégeâmes jusqu'en 1894.
« Nous y rentrâmes ensemble en 1900,
« Sa place au Parlement était à côté de mienne, ce qui nous permit d'échanger nos idées presque quotidiennement pendant la durée des sessions.
« Son activité à la Chambre des représentants se manifesta spécialement dans les débats relatifs à l'enseignement public dont il prenait la défense avec une autorité et une compétence rares et dans ceux ayant pour objet les réclamations légitimes de la ville de Bruxelles, dont les intérêts d'ordre moral et d'ordre matériel faisaient l'objet de ses constantes préoccupations.
« C'était vraiment un beau spectacle de le voir et de l'entendre quand il abordait ce genre de discussions fréquentes à la Chambre. Son visage, d'ordinaire calme et impassible, prenait alors une expression dénotant la plus vive émotion ; sa parole et son geste étaient empreints d'une énergie, d'une ardeur prouvant à quel point il était convaincu de la légitimité des griefs qu'il faisait valoir et des mesures de justice qu’il réclamait ; aussi, toute la Chambre l'écoutait-elle avec la plus grande attention et le plus vif intérêt.
« Une autre matière encore, importante entre toutes, amenait son intervention chaque fois que l'occasion s'en présentait et celte intervention fut souvent décisive ; je veux parler des questions relatives à la confection des lois électorales, à la procédure à suivre pour la confection de la liste des électeurs, à la façon d'organiser le scrutin, d'en surveiller le fonctionnement régulier et d'en constater les résultats.
« Il apparaissait alors sous l'aspect de l'orateur à la parole sobre, d'une compétence indiscutée, argumentant avec méthode et avec clarté, faisant toucher du doigt des imperfections qu'à la lecture des textes, beaucoup d'entre ses auditeurs n'apercevaient même pas. C'était un beau rôle que de s'appliquer à faire régner la justice et la sincérité dans notre organisation électorale afin d'assurer la manifestation vraie de la volonté du corps électoral.
Quant à la solution à donner aux problèmes d'ordre public et social, de même que dans la grave question de l'organisation de la défense nationale, il fut toujours d’accord avec ses collègues de la gauche libérale ; ce serait en vain qu'on chercherait dans sa longue carrière un seul acte de défaillance ou de faiblesse.
« Il avait adhéré franchement et sans réticences au programme des gauches libérales el il y est resté attaché jusqu'à son dernier souffle. »
On a encore entendu M. le gouverneur Beco, qui a parlé au nom de la Société du Canal et des Installations maritimes; Maître Bodson, qui a salué en Lepage le confrère du Barreau; M. Goblet d’Alviella, qui a parlé au nom de la Ligue libérale, et M. Devèze, au nom de la Loge « Les Amis philanthropes n°2. » Tous ces orateurs ont rappelé le beau caractère, la fermeté, le dévouement et la bonté du défunt.
Et c'est fini. Un remous. Et les employés de l'administration communale, en grand uniforme de deuil, viennent enlever les couronnes, les innombrables couronnes, qui feront autour du corbillard comme un buisson odorant et fleuri. Puis on enlève la bière. Au moment où elle paraît sous le porche de l'école - une salve retentit formidable, imposante, solennelle. MM. De Mot. Beco, Huysmans, Goblet, Bodson et Devèze prennent les cordons du poêle ; le cortège se met en marche vers le cimetière d'Evere - au milieu d'une foule énorme, émue et recueillie.