Dumortier Henri, Pierre, Jean catholique
né en 1821 à Autryve décédé en 1867 à Gand
Représentant entre 1857 et 1864, élu par l'arrondissement de Courtray(Extrait de : E. BOCHART, Biographie des membres des deux chambres législatives, session 1857-1858, Bruxelles, M. Périchon, 1858, folio n°52)
DUMORTIER, Henri-Pierre-Jean-François
Chevalier de l’Ordre Léopold,
Né à Autryve, le 17 février 1821,
Représentant, élu par l’arrondissement de Courtrai
Après avoir terminé à Paris de solides études commencées d'une manière brillante à Louvain et à Gand, M. H. Dumortier, docteur en droit, se fit inscrire en 1845 au tableau des avocats près la cour d'appel de cette dernière ville. Dès lors, il apportait au barreau cet esprit pratique et mesuré dont la méthode, la lucidité et la logique, après avoir fait exceller le jeune avocat dans la défense des causes privées, devait bientôt donner à l'administrateur une supériorité incontestée dans le soutien des intérêts de sa province natale, et dans le maniement des affaires publiques. Chaque année a fourni au patriotisme de M. H. Dumortier et à son amour des travaux sérieux, l'occasion de traiter une question d'intérêt général à l'ordre du jour, et d'obtenir ainsi de plus en plus l'estime de ses concitoyens et la confiance du corps électoral.
Aussi, dès 1848, M. H. Dumortier se voyait-il nommer conseiller provincial pour le canton d'Avelghem, et membre de la députation permanente de la Flandre occidentale pour l'arrondissement de Courtrai. Depuis cette époque, jusqu'au 10 décembre 1857, date de son entrée à la Chambre des représentants, M. H. Dumortier a été maintenu constamment au conseil provincial et à la députation permanente. Ces élections offrent même un caractère d'unanimité remarquable, au milieu de l'opposition mutuelle des partis, qui chez nous fractionne l'opinion publique sans diviser l'accord constitutionnel et fondamental. A la dernière épreuve du scrutin provincial, M. H. Dumortier était envoyé au conseil par l'unanimité des suffrages moins une voix. Certes, voilà un résultat assez rare et assez caractéristique du jeu de nos institutions, pour que l'observateur attentif doive en rechercher la cause ailleurs que dans un concours de circonstances données par le hasard. En effet, M. H. Dumortier, laissant volontiers de côté les aspérités irritantes et souvent stériles de la controverse politique, a toujours creusé plus profondément les questions soumises à ses investigations, de façon à rencontrer le terrain commun des principes constitutionnels qui réunissent à la base, en un faisceau solide, tous les fâcheux divergents de l'opinion publique.
L'honorable représentant de Courtrai, loin de faire d'une question d'intérêt général une arène aux passions, a toujours pris soin de se tenir dans une voie plus utile et plus féconde. Au reste, la manière dont M. H. Dumortier sait servir son pays, répond exactement aux exigences de cette modération et de ce bon sens belges devenus proverbiaux en Europe. Tel est dans le passé, comme dans l'avenir, le secret de la fortune politique de l'un des membres de l'assemblée les plus jeunes par le nombre des années, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, l'un de ceux qui ont le plus de maturité par l'expérience précoce des choses et par l'exercice d'un jugement impartial. A ces qualités acquises vient se joindre un heureux don naturel, un certain esprit de justice, qui permet, au sein des assemblées délibérantes, d'ouvrir, sans secousses, les portes du progrès.
Parcourons les principaux mémoires qui contiennent les résultats des études politiques, industrielles et sociales de M. H. Dumortier ; nous apprécierons facilement l'homme qui, dans son désir sincère de faire le bien sans orgueil ni arrière-pensée, préfère avec raison le sens réel et équitable des affaires aux idées souvent obscures ou impraticables des partis.
En 1854, M. H. Dumortier publiait, dans un ouvrage plein de faits et de vues générales, appuyées sur de saines théories, un exposé de la situation financière et économique des communes rurales dans la Flandre occidentale.
« Ce travail, écrivait M. H. Dumortier, était le résumé d'une étude faite sur les besoins et sur les ressources de nos communes rurales, dont les intérêts ne nous semblent pas avoir assez pesé jusqu'ici sur les délibérations du gouvernement et de nos assemblées parlementaires. »
Les effets de la crise alimentaire et le ralentissement des relations commerciales et industrielles étaient venus, à cette époque, aggraver encore la situation financière, déjà si obérée des communes rurales de la province que le digne citoyen représentait au conseil provincial.
Puis, entrant résolûment en matière, et abordant de front la difficulté, il commençait par résumer la situation en ces quelques mots :
« Dans la Flandre occidentale, les besoins et les dépenses a des communes sont beaucoup plus élevés, et leurs ressources beaucoup plus restreintes que dans les autres provinces du Royaume. »
Les revenus communaux consistant en rentes diverses et en loyers d'immeubles, l'auteur montrait, les budgets de 1849 à la main, que la Flandre occidentale était, quant aux rentes, dix fois plus mal partagée que les autres provinces ; et, quant aux loyers d'immeubles, l'inégalité était encore plus grande, la Flandre occidentale se trouvant dix fois plus pauvre que les autres provinces.
Recherchant ensuite les charges qui grevaient les budgets communaux, l'honorable publiciste faisait voir comment les administrations de la Flandre occidentale, avec des revenus relativement si restreints, parvenaient à couvrir des dépenses beaucoup plus élevées qu'ailleurs. C'est ainsi qu'en 1838, les communes rurales de la Flandre occidentale affectaient à l'entretien de leurs indigents une dépense supérieure à celles des communes des huit provinces réunies.
Puis jetant un coup d'œil sur l'assiette des impôts destinés à couvrir ces énormes dépenses, M. H. Dumortier faisait entendre, à propos des rôles d'abonnement, impôt devenu si lourd dans sa province, la sage observation suivante :
« Chaque fois que la plus sévère impartialité ne préside pas aux opérations des administrations communales, la répartition personnelle devient une source d'arbitraire et de vexations, une arme dangereuse entre les mains des partis qui souvent divisent les communes. »
Examinant ensuite la principale cause de l'aggravation progressive de la situation financière des communes, M. H. Dumortier la trouvait dans l'extension graduelle du paupérisme :
« L'indigence, disait-il, a fait chez nous des progrès si rapides, que la misère des Flandres est devenue provebiale, comme la misère de l'Irlande et de la Silésie. »
M. H. Dumortier montrait ensuite le chiffre de la population indigente croissant avec celui de la population générale de 1848 à 1850, dans les communes rurales de la Flandre occidentale, on trouve un indigent régulièrement secouru sur moins de cinq habitants ; tableau déplorable, mais vrai.
Passant ensuite aux dépenses faites pour l'entretien des indigents dans certains établissements charitables, M. H. Dumortier faisait observer que le régime actuel de ces institutions ) hospices, hôpitaux, dépôts de mendicité – était ruineux pour les communes rurales.
« A Dieu ne plaise que nous cherchions à rembrunir ce tableau. Mais il est utile que notre situation soit exactement connue. Chercher à la dissimuler, se bercer d’espérances peut-être trompeuses, serait s’exposer à de tristes mécomptes et attirer sur soi des dangers qui pourraient un jour devenir sans remède. Le premier devoir d’une nation est de se connaître elle-même, de savoir quel est l’ensemble de ses ressources et de ses besoins. »
L'ouvrage de M. H. Dumortier, dont nous venons de donner plusieurs extraits, plutôt dans l'intérêt général que dans celui d'une biographie particulière, servira, nous l'espérons, à donner à la nation cette connaissance d'elle-même qu'il a préconisée ; mais, à côté du mal, l'auteur a su indiquer le remède. Ces moyens sont principalement l'instruction et le travail ; la charité, qui ne sait que faire l'aumône ne doit être donnée qu'exceptionnellement aux pauvres valides. Il montre aux législateurs les moyens d'atteindre le double but qu'il se propose, c'est-à-dire, la satisfaction de tristes et impérieuses nécessités, par l'adoption de certaines mesures que réclament à la fois la société et l'humanité, sans cependant imposer aux communes des charges hors de toute proportion avec leurs ressources.
De plus, M. H. Dumortier pensait que l'élévation du niveau moral dans la conscience des masses ajouterait une force coercitive contre la marée montante du paupérisme. Il s'écriait :
« Parmi les éléments de force morale que possède la société, nous n'en connaissons pas de plus élevés dans leur objet, de plus efficaces dans leurs résultats que l'instruction et l'éducation populaires.
« La mission vraiment civilisatrice des gouvernements, consiste donc à assurer aux populations les bienfaits d'une instruction et d'une éducation en rapport avec leurs besoins moraux et matériels.
« Chacun connaît la coupable négligence des parents pauvres pour ce qui concerne l'instruction à donner à leurs enfants.
« La loi sur l'instruction primaire en Prusse contient des dispositions fort sages pour réprimer de pareils abus. Elle impose à tous les parents le devoir d'envoyer leurs enfants à l'école, depuis l'àge de sept ans jusqu'à celui de quatorze, ou de pourvoir d'une autre manière à ce qu'ils reçoivent une instruction suffisante.
« Toutefois, pour que les parents ne soient pas entièrement privés du secours de leurs enfants, les moments des leçons sont combinés de manière à laisser aux élèves plusieurs heures pour les travaux domestiques.
« Tous les enfants pauvres y reçoivent gratuitement l'instruction élémentaire.
« Il y a plus, la loi prononce des amendes contre les parents qui négligent de se conformer à ces prescriptions. Enfin, les parents indigents sont exclus de toute participation aux secours publics, tant qu'ils ne remplissent pas, relativement à l'éducation de leurs enfants, les devoirs de pères de famille chrétiens et consciencieux. »
« Quoique notre législation sur l'instruction primaire ne contienne rien de semblable, nous pensons que l'on pourrait, par des mesures administratives, arriver à des résultats à peu près analogues, au moins pour ce qui concerne les classes indigentes.
« Tous les bureaux de bienfaisance devraient agir avec rigueur contre les parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école pendant un temps déterminé. >>
L'auteur terminait en déclarant que le but de ses travaux de publiciste et de conseiller provincial « était la restauration entière des Flandres. »
Ce mémoire fit sensation dans le monde gouvernemental. Les feuilles publiques, et surtout le Journal de Liége, en firent une longue et brillante analyse. Le roi voulant reconnaître les services de l'honorable publiciste, lui décerna le titre de chevalier de l'Ordre Léopold.
M. H. Dumortier continua sans relâche ses utiles travaux.
En 1857, il publia à Gand, un volume de Considérations à propos du projet de loi sur la mendicité, le vagabondage et les dépôts de mendicité.
Dans ce remarquable mémoire, il a résumé par un exposé lucide, tous les éléments de cette importante question. Nous ne voulons pas multiplier les citations ; néanmoins nous reproduirons les paroles suivantes qui contiennent les principes mêmes de cette étude destinée à éclairer les décisions de nos assemblées législatives :
« L’organisation des dépôts de mendicité est, depuis longtemps, l’objet de plaintes aussi nombreuses que fondées de la part de toutes les administrations publiques…
« Il faut un asile au pauvre vieillard demeuré sans appui, sans ressources ; à l'infirme qui est dans l'impossibilité de travailler ; à ces malheureux enfants que leur mère abandonne dès leur naissance ; à cet ouvrier que la maladie vient saisir au milieu de ses labeurs et de ses peines. Mais les vrais sentiments d'humanité ne consistent pas à favoriser la fainéantise et tous les désordres qui l'accompagnent ; et si nous faisons un devoir d'implorer la charité en faveur de la misère innocente, nous appelons d'autre part la juste sévérité des lois sur ces êtres vicieux et dégradés qui, libres de toute crainte, exempts de tout souci, affranchis de tout devoir, vivent aux dépens des véritables pauvres et de la société dont ils sont à la fois la honte et le fléau.
« Il serait bien temps de substituer à cette charité qui donne le pain et le vêtement, la charité qui assure au pauvre, par l’instruction et le travail, les ressources nécessaires pour satisfaire à ses besoins, la charité qui prévient la misère en coupant le mal à sa racine, et qui la combat bien plus dans ses causes que dans ses effets. »
Au reste, conséquent avec lui-même, à la fois homme d'Etat et publiciste philanthrope, M. H. Dumortier a puisé dans ses principes et ses écrits de 1854, les développements de la solution proposée par lui en 1857.
Des antécédents aussi solides et aussi remarquables promettaient à notre assemblée législative un membre des plus distingués. L'autorité de M. H. Dumortier dans les questions financières et humanitaires ne saurait plus être contestée. L'honorable représentant de Courtrai a cessé de garder à la Chambre une attitude expectante ; son goût pour les recherches sérieuses et les travaux utiles le porte, non seulement à élucider les questions au sein des commissions, mais encore à prendre une part brillante dans les luttes oratoires des séances publiques de notre Parlement. M. H. Dumortier peut être cité comme l'un des membres les plus distingués du parti conservateur modéré.
(Extrait de : J.L. DE PAEPE – Ch. RAINDORF-GERARD, Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, Commission de la biographie nationale, 1996, p. 287)
Docteur en droit de l'université de l'Etat de Gand (1845)
Avocat à la cour d'appel de Gand (1845-1853)
Député permanent de Flandre occidentale (1848-1857)