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Demeur Adolphe (1827-1892)

Portrait de Demeur Adolphe

Demeur Adolphe, Louis, Joseph liberal

né en 1827 à Mons décédé en 1892 à Ixelles

Représentant entre 1870 et 1884, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(Extrait de l’Indépendance belge, du 27 mai 1892)

Mort d’Adolphe Demeur

M. Adolphe Demeur est mort subitement mercredi dans la gare du quartier Léopold au moment de prendre le train de 5 heures 8, pour se rendre à Groenendael, où il passait la saison d’été.

On l'a vu tomber, on n'était déjà plus.

On devine l’émotion de tous les assistants.

Adolphe Demeur n'avait guère plus de 65 ans, mais depuis quelques mois il paraissait singulièrement vieilli et affaissé. Cependant, personne ne supposait qu'il dût être aussi brusquement enlevé .

Conseiller provincial depuis 1885, membre de la Chambre des représentants du 2 août 1870 au 10 juin 1884, il fut le premier promoteur de la révision constitutionnelle, et voici qu’il succombe au moment où la pensée maîtresse de sa carrière politique est sur le point de se réaliser.

On n'a pas oublié son mot au Congrès progressiste du 25 décembre 1890 :

« La révision entrera à la Chambre par la porte ou par la fenêtre. »

Sa prophétie se vérifie. La révision est votée et promulguée, elle est entrée au Parlement par la grande porte.

Mais le prophète n'y rentrera pas.

La vie lui échappe, mais du moins a-t-il pu, si la mort lui en a laissé le temps, prononcer le Nunc dimittis puisque sa vie en somme, a accompli son œuvre.

Cette fin tragique du vieux lutteur, de l'infatigable apôtre de l'extension du droit de suffrage projette l'ombre d’un deuil public sur la prochaine campagne électorale.

Si Demeur a surtout marqué dans l’histoire politique du pays par son initiative révisionniste de 1870, il s’est signalé à la Chambre par des aptitudes diverses et par la variété de ses compétentes. Il était de ceux qui savent lire un budget, le discuter, voire l’éplucher avec une insistance tatillonne. Ce talent d’Adolphe Demeur était peu goûté de feu Malou.

Au surplus, il s’en faut de beaucoup que Demeur fût un sympathique, un charmeur, un entraîneur de foules, un de ces maîtres hypnotiseurs dont le magnétisme personnel domine l'auditoire qu’ils ne parviennent pas à convaincre. La nature l’avait doué d’une voix presque aussi haut perchée que la trompette en ré de J.S. Bach en son Oratorio de Noël, mais infiniment mois séduisante. Cette voix criarde grinçait pareille à un vieux rossignol dans une serrure rouillé, ou bien encore rappelant la vrille qui s’enfonce en un bois récalcitrant. Mais la clé ouvrait la serrure et la vrille trouait à la longue l’attention la plus réfractaire. Sans beaucoup d’art, par la force de sa volonté, la justesse apparente de ses déductions logiques, Demeur s’imposait et se faisait écouter. Capable d’humour il était rarement de bonne humeur. Mais il avait de l’étude, de la ténacité, de la loyauté.

Au Palais, où jadis il cura quelques faillite, il laisse la réputation d’un avocat de mérite apprécié surtout au tribunal de commerce ; dans les assemblées publiques celle d’un notable abatteur de besogne.

Au total un tempérament et u n caractère.

Adolphe Demeur est l’auteur d’un ouvrage estimé sur les sociétés anonymes et leur statuts.

Il était commandeur de la Légion d’honneur.


(Extrait de l’Indépendance belge, du 27 mai 1892)

Ainsi qu'il le faisait chaque jour, M. Demeur s’en retournait mercredi par le train de 5 heures 5 à sa maison de campagne de Groenendael avec son fils Arnold, âgé de 11 ans. A peine installé dans un compartiment de première classe, M. Demeur se sentit indisposé, et attribuant une passagère syncope à l’intense chaleur du compartiment capitonné, il alla prendre place dans une voiture de troisième classe. Tout à coup une nouvelle syncope le prit et c’est avec peine qu’il put articuler encore : « Arnold, je me trouve mal, vite, ouvre la portière. » Un instant après, M. Demeur s’affaissa : il était mort.

Aux cris poussés par le pauvre enfant, accoururent bientôt le chef de gare et deux de ses employés qui transportèrent M. Demeur dans un cabinet voisin où quelques minutes après le docteur Clément Philippe constata la mort due à la rupture d’un anévrisme.

L’ancien représentant de Bruxelles avait souffert tout l’hiver d’un rhumatisme articulaire compliqué d’endocardite.


(Extrait de l »Indépendance belge, du mai 1892)

Les funérailles d’Adolphe Demeur

Sous la chaleur torride qui régnait samedi à trois heures, la foule n était pas aux funérailles de M. Adolphe Demeur ; elle se composait surtout du monde officiel et des amis politiques du regretté défunt : les délégués des associations progressistes du pays, nombre de membres de l'Association libérale de Bruxelles, la jeune garde libérale, le Cercle progressiste de Schaerbeek avec sa jeune garde libérale ; le Cercle des Libres-Penseurs de Bruxelles. Toutes ces sociétés stationnaient devant la maison mortuaire rue Jourdan, faisant flotter ensemble leurs drapeaux et bannières.

Nous remarquons dans l'affluence MM. Buls, de Mot, Couvreur, Feron, Richald Guillery, Vergote, Hollevoet, Bergé, Brulé, Eugène Robert, De Greef, Furnémont, Walter de Selys, Graux, Jottrand. Lambiotte, Dustin, Huysmans, Goblet d'Alviella, Lepoutre, Ch. Rolland, Paul Janson, Reisse, Hanrez, etc., etc.

La chambre ardente était dressée dans le cabinet de travail du défunt. Après le défilé des amis autour du corps, six discours ont été prononcés à la mortuaire ; M. Reisse, au nom du conseil provincial ; M. Huysmans bâtonnier de l'ordre des avocats, au nom du barreau de Bruxelles ; M. Hanrez, au nom de l'Association libérale ; M. Paul Janson, au nom de la Fédération progressiste ; M. Obozinski, au nom des Amis philanthropes ; M. Furnémont, au nom de la Libre-Pensée,

A trois heures et demie, le cortège s'est mis en route. Le deuil était conduit par les deux fils du défunt, Maurice et Arnold ; par son frère, Célestin Demeur ; par ses beaux-frères ct ses neveux. Aux coins du poële MM. P. Janson, Reisse, Hanrez et Eugène Robert.

L'inhumation s'est faite au cimetière d'Ixelles.

Voici le discours prononcé la maison mortuaire par M. Paul Janson

« Messieurs,

« La Belgique perd dans Adolphe Demeur de ses plus dignes fils : la démocratie militante son plus ancien, son plus fidèle, son plus vaillant défenseur.

« Déjà à l’université, ce qui distingua et mit en relief Adolphe Demeur, ce fut sa haine froide et réfléchie du privilège, sa passion ardente et convaincue de la justice et du droit.

« Tel il était alors, tel il est resté jusqu’à sa dernière heure.

« Ce qui marque sa noble vie d'une empreints ineffaçable, c'est l'unité de vues, la continuité d'efforts vers un but élevé, la persévérance que rien ne décourage, la ténacité que rien ne rebute. mis au service de toutes les causes justes.

« Il fut un des premiers qui, dans notre pays, en toutes circonstances, se mirent en contact avec le peuple qu’un régime politique inique frappait d’ostracisme, et s’efforcèrent de le tirer de l’espèce de léthargie où cet ostracisme même l’avait plingé.

« Partout où il fallait attaquer un abus, protester contre une injustice, s’insurger contre un privilège, il apparaissait à la tribune et là, dans un langage clair, concis, profondément médité, plein d’aperçus nouveaux, d’idées origines, il fortifiait les convictions de ses amis, ébranlait celles de ses adversaires ; il imposait à tous le respect et l’estime pour sa personne et ses idées.

« Ignorant ce que c'est que l'ambition personnelle, dédaigneux des honneurs, désintéressé de tout, sauf du bien public, il entra en 1870 au Parlement avec la résolution inébranlable de le saisir, aussitôt après son élection, de la question de la révision constitutionnelle.

« On sait avec quel éclat et quelle largeur d'idées il entreprit cette difficile campagne, dans laquelle il réussit à entraîner quelques amis personnels, subissant l’ascendant de sa volonté si ferme, si arrêtée.

« Il succomba dans sa généreuse initiative ; mais cette défaite ne réussit ni à l’abattre, ni à le décourager ; il reprit en dehors du Parlement son active et énergique propagande, heureux de voit de temps à autre apparaître quelque symptôme de la victoire finale.

« Ceux qui écriront un jour l’histoire de la révision en Belgique constateront qu'il n'est pas un acte de cette lutte si longue et si pleine de péripéties, dans lequel Demeur n'ait joué un rôle prépondérant.

« Au Parlement il acquit bientôt une haute situation. Nul n'était plus que lui au courant des questions de finances et d'impôts. Ses rapports sur les budgets resteront comme des modèles de clarté, de concision, d'études consciencieuses et approfondies des points les plus ardus de la comptabilité publique.

« C'est lui qui, le premier, à l'aide de sa connaissance approfondie de la législation fiscale, porta au régime censitaire le coup mortel.

« Il s’était aussi donné pour mission spéciale de défendre les intérêts des classes ouvrières et, chaque fois qu'Ils étaient en jeu, il était sur la brèche, apportant les défendre toute son énergie, sa compassion profonde pour leurs misères et enfin sa grande connaissance des lois qui régissent le travail, le commerce et l'industrie.

« En 1883, quand des élections successives eurent fait entrer à la Chambre un groupe de députés révisionnistes, il sonna le branle-bas du combat et nous mena la bataille avec toute la fougue de la jeunesse ; cette fois encore le succès trahit ses efforts, mais, avec cette clairvoyance qui est le propre de certains hommes politiques, il nous déclara au lendemain de l’échec : « Que la victoire était prochaine. »

« Il s'écria, et il trouva plus d'un incrédule : que la révision se ferait, sous la pression de l'opinion, même sous un ministère clérical. L'événement prouve qu'il avait été bon prophète.

« Je dois ajouter, pour être complet, qu'Il ressentait un vif regret et une sorte de colère, à la pensée que l'honneur de décréter la révision n'eût pas été réservée son parti.

« Il aspirait à le voir se reconstituer sur des bases larges et démocratiques. Il y a depuis puissamment contribué par sa collaboration active et féconde aux travaux des quatre congrès progressistes et du comité central.

« C’est qu'il n'était pas seulement homme d'action, mais aussi homme de conseil et d'excellent conseil. Il assistait à la discussion, sans en perdre un mot, puis après avoir ainsi suivi le débat avec une attention soutenue, il le résumait, et formulait en quelques mots, brefs et concis, la solution qui lui paraissait la meilleure.

« Tel fut dans la vie publique, l'excellent citoyen, l’ami sûr et fidèle, que la mort nous a ravi ; elle le guettait depuis plusieurs mois, mais, par son indomptable énergie, il a réussi à échapper à son étreinte, jusqu'au lendemain du jour où l'œuvre maitresse de sa vie était désormais inscrite en caractères ineffaçables dans les annales politiques de sa patrie.

« Je n'ai rien dit de sa vie privée. Tous ceux qui m'entourent savent quelle en était la dignité.

« Sa science du droit, son labeur assidu, sa loyauté et sa droiture, lui avaient conquis l'estime et les sympathies du barreau et de la magistrature.

« Etranger à tout culte positif, il a, comme époux et comme père, montré que la morale laïque implique et comprend la pratique constante et sévère de tous les devoirs de la famille.

« Hélas ! pourquoi faut-il que le pieux hommage que nous rendons à sa mémoire ne fasse qu'accroître l'immensité des douleurs des siens, que nous sommes impuissants à soulager et auxquelles nous sommes même contraints pour rester vrai, de donner un aliment nouveau.

« Cher et excellent ami, au nom de tes anciens collègues du Parlement, au nom de ceux qui ont lutté et combattu avec toi, au nom du comité central de la Fédération progressiste, je salue une dernière fois ta dépouille mortelle !

« Tu as pendant toute ta vie servi sans défaillance et avec un rare désintéressement la cause de la démocratie et du droit !

« Tu la serviras encore dans la mort !

« Le souvenir de ta vie restera comme un inoubliable exemple pour ceux auxquels tu laisses la mission de poursuivre et d'accomplir ton œuvre.

« Comme le soldat qui tombe sur le champ de bataille, dans les plis du drapeau que tu as conduit à la victoire !

« Adieu. »


(Extrait du Peuple, du 27 mai 1892)

M. Adolphe Demeur

M. Adolphe Demeur, ancien député de Bruxelles, est mort subitement mercredi après-midi, à la gare du Luxembourg, au moment où il prenait le train pour retourner à sa maison de campagne à Groenendael.

M. Demeur est entré à la Chambre en 1870. Il déposa la même année une proposition de révision constitutionnelle. Membre de l'extrême gauche, en 1883, il renouvela sa proposition qui eut le même sort que la précédente.

C'était un homme de valeur, un travailleur, s'occupant surtout des questions d'économie financière.

Il avait appartenu à l'école socialiste phalanstérienne et jusqu’en ces derniers temps était resté en relations avec plusieurs disciples de Ch. Fourrier.

La mort de Demeur est une perte pour le parti radical. On sait que le défunt avait accepté une candidature à l’Association libérale pour la Constituante.

Demeur a écrit plusieurs ouvrages sur les sociétés commerciales.

La rédaction du Peuple prend une vive part au deuil qui frappe la famille Demeur et lui présente ses plus sincères condoléances.

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M. Demeur, robuste malgré ses soixante-cinq années, se rendait à sa campagne de Groenendael où il réside l'été, lorsqu'il a succombé à la rupture d'un anévrisme. De la gare du Luxembourg, où la catastrophe s’est produite dans un wagon, on l'a transporté chez lui, rue Jourdan, où sa femme prévenue télégraphiquement est aussitôt arrivée.

M. Demeur qui craignait l'apoplexie, se livrait d'habitude à de longues marches et était resté d'une grande robustesse malgré son âge. La maladie de cœur qui l'a emporté avait pendant quelque temps suspendu ses excursions quotidiennes.

Quand on l'a pris du fiacre qui l'avait emmené chez lui, il avait les membres crispés et la bouche tordue par les dernières souffrances. Son visage accentué était tiré et sa taille semblait réduite.

De nombreux visiteurs appartenant surtout à sa famille, très nombreuse, et d'anciens amis ont rendu visite à sa dépouille dans la soirée.


(Extrait du Peuple, du 30 mai 1892)

Notre vénérable ami et maître Victor Considérant, le meilleur et le plus savant disciple de Charles Fourier, était lié intimement avec feu Adolphe Demeur. Il avait été invité par celui que la mort vient de prendre si inopinément, à passer quelques jours à Groenendael.

Considérant, a écrit de Laon, où il se trouve et touchante lettre à la veuve Demeur. En voici le passage principal :

« Ah ! Madame ! Chère Madame, est-ce vrai ? Est-ce possible ? Oh ! mon cher petit Demeur ! Hier soir, je t'écrivais avec un sentiment de vie joie ! Je me réjouissait au sentiment de ta force, de ta jeunesse, que je prolongeais pour longtemps et qui me semblait devoir prolonger une partie de ma propre vie quand je serais parti moi-même ! Et voilà que ce matin, tout à l’heure, en ouvrant le Peuple, je vois cette affreuse bande noire et son cher nom : Adolphe Demeur !

« Oh ! je pleure avec vous des larmes cruelles, mère et chers enfants, je vous serre sur mon vieux cœur navré. Oh ! quel coup. Aimons-le toujours bien tendrement et bien douloureusement, hélas !

« Son vieil ami désolé et le vôtre, mes bien chers.

« V. CONSIDÉRANT. »

Tous nous nous associons aux paroles éloquentes de Victor Considérant.


Autre biographie disponible sur le site de l" Association des études fouriéristes et des cahiers Charles Fourier (consulté le 13 décembre 2024)