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de Somzee Léon (1837-1901)

Portrait de de Somzee Léon

de Somzee Léon, Matthieu, Henri indépendant national ; catholique

né en 1837 à Liège décédé en 1901 à Spa

Représentant entre 1884 et 1900, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(Extrait de La Réforme, du 24 août 1901)

Mort de M. de Somzée

Une des personnalités les plus connues et les plus éminentes de notre pays vient de disparaître : M. Léon est mort vendredi, à six heures du soir, à Spa, où il séjournait depuis le 1er juillet dernier, avec l’espoir de se rétablir enfin complètement des suites de l’accident dont il fut victime à l’exposition de Paris ) on s’en souvient – et de l’anthrax dont il avait souffert à Biarritz, dans ces derniers temps.

Le diabète avait aussi fréquemment donné des avertissements inquiétants à M. de Somzée.

A plusieurs reprises, depuis le commencement du mois, le convalescent avait pu entrevoir la guérison. Il était du reste entouré des soins les plus actifs et les plus dévoués. Il était soigné régulièrement depuis son arrivée à Spa par M. le docteur Wibauw, de Spa, et MM. les docteurs Thiriar et Popelin, de Bruxelles.

Hier jeudi. M. le docteur Destrée vint de Vieil-Salm, où il est en villégiature, pour prendre part une consultation au chevet de M. de Somzée avec ses confrères précités.

Hélas ! depuis le commencement de la semaine l'état su sympathique malade s'aggravait... M. de Somzée soufrait d'une rechute de diabète. Ses fils, MM. Cosme et Gaëtan de Somzée, Mme Gaëtan de Somzée et son fils Roger, étaient arrivés à Spa, et ne quittaient pas la villa Bolette où l’on tentait de si grands efforts pour sauver M. Léon de Somzée.

Nous n’entreprendrons pas aujourd’hui de retracer la carrière si complexe et si remplie de l’éminent ingénieur dont l’activité fut, comme on sait, dévorante. Nous remémorerons seulement à nos lecteurs quelques jalons de cette existence que suivit si souvent avec intérêt l’opinion publique.

M. Léon de Somzée est né à Liége le 31 janvier 1837. Il fit ses études à l’Université de sa ville natale.

Dès le début de sa carrière d’ingénieur, il se consacré d’une façon toute spéciale à la question gazière. Très jeune encore, il alla créer les services d’éclairage par le gaz de maintes villes d’Italie, notamment de Sienne, Rimini et Catane.

Lorsqu’il revint en Belgique pour doter Bruxelles du service d’éclairage que l’on n’a fait que développer depuis, au fur et à mesure de l’accroissement des besoins, notre compatriote s’était déjà acquis une véritable réputation dans cette branche d’industrie.

La construction de l’usine à gaz de Bruxelles et de ses dépendances constitua un véritable tour de force, tant par les difficultés techniques vaincues que par la rapidité réellement extraordinaire avec laquelle fut menée cette création.

Dans cette circonstance, M. de Somzée rendit un service considérable à la capitale, et l’on n’en perdit pas le souvenir., qui établit désormais le renom de M. de Somzée, date de 1876.

C’est aussi à cette époque que remonte l’application d’une des inventions de l’ingénieur belge dont il fut souvent parlé : celle du joint en caoutchouc pour canalisation de gaz.

Nous avons dit : « une » des inventions. Il y eut, en effet, peu d’inventeurs plus féconds que M. Léon de Somzée. De multiples projets, de multiples brevets sont restés dans ses cartons. Rappelons que M. de Somzée est le premier en date, comme dépôt de demande de brevet, pour le principe de la télégraphie sans fil.

Il fit breveter également, avant Edison, la lampe électrique à arc que le célèbre inventeur américain ne découvrit que plus tard.

Malgré sa prodigieuse facilité de travail et ses connaissances sans limites, M. de Somzée ne put réaliser qu’une très faible partie des projets scientifiques et industriels qu’il conçut.

Nous ne ferons qu’effleurer les créations industrielles de M. de Solzée. C’est lui qui fonda et développa les établissement de la Société gazière du Centre, dont la première usine fut celle de La Louvière et qui, après avoir établi l’éclairage dans toutes les communes industrielles de la région, poussa ses ramifications jusqu’à Ostende, Huy, Arlon, etc.

Les débuts du Centre remontent à 1883 seulement.

M. de Somzée établit également depuis de nombreuses usines à gaz en Italie, en Hongrie et en Amérique.

Rattachons à ses préoccupations industrielles pratiques l’innovation de M. de Somzée en ce qui concerne le programme des expositions. C’est pour appliquer ces idées que M. de Somzée organisa le grand Concours international des Sciences et de l’Industrie qui eut lieu à Bruxelles en 1887 et dont les conditions ont formé le programme même de la dernière Exposition de Paris.

Peut-être est-ce ici qu’il faut parler du Mécène dont l’activité aurait normalement accaparé une vie entière.

Il y eut deux phases chez le dilettante éclairé : d’abord M. de Somzé étudia, comprit et s’entoura des chefs-d’œuvre de l’art antique et de ceux de la Renaissance italienne. Il fut touché de la grâce de ces deux écoles pendant ses nombreux séjours en Italie.

Plus tard, il consacra la même ardeut à aimer et à faire aimer de son entourage d’élite l’intéressant et vivant art flamand.

Qui n’a entendu parler des retables et des tapisseries découvertes par M. de Somzée ! Dans ces derniers temps encore, il fit plusieurs acquisitions précieuses d’œuvres de notre style national.

N’oublions pas de dire aussi que le grand amateur d’art protégea plusieurs de notre maître de talent.

C’est tout à la fin de cette biographie-express que nous parlons de l’homme politique qui prêta un jour son nom et l’influence légitime qu’il exerçait à un parti politique dont l’étroitesse de programme dut le gêner parfois dans le cours qu’il eût voulu donner à ses aspirations personnelles progressistes et généreuses.

Mais bien que siégeant derrière le banc ministériel, M. de Somzée sut maintes fois se rendre utile au pays et faire entendre un langage très libéral.

On se rappellera à ce sujet les excellents discours démovcratiques prononcés par le député indépendant lors de la discussion des projets de loi concernant la réglementation et la surveillance de diverses industries.

Il prit part aussi à maintes discussions sur des questions essentiellement techniques, telle notamment l’unité électrique, etc.

Le monde du travail et ceux qui sont mêlés à la vie publique seront frappés rien qu’à la simple énumération des points les plus saillants de l’existence si utile de M. Léon de Somzée et de la prodigieuse somme de labeur qu’elle comporte.

La disparition de M. Léon de Somzée meut en deuil la Belgique laborieuse.

C’est sur cette pensée qui toucherait le plus M. de Somzée s’il pouvait apprendre l’émotion produite par sa mort, que nous voulons clore notre billet nécrologique, dont nous compléterons bien des éléments dans un de nos prochains numéros.

Avant de terminer, qu’il nous soit permis d’adresser nos compliments de condoléance très émus à MM. Cosme et Gaëtan Somzée, à tous les membres de la famille endeuillée et aux nombreux collaborateurs du grand patron industriel tant aimé de ses subordonnés, qui vient d’être ravi à leur estime et à leur affection.


(Extrait de La Meuse, du 25 août 1901)

Mort de M. de Somzée

Une dépêche de Spa nous annonce la mort à Spa, hier, à 4 heures, de M. Léon de Somzée, ingénieur, ancien représentant de Bruxelles.

M. de Somzée joua dans le monde financier un rôle qui peut soutenir la comparaison avec le rôle joué par M. Nyssens dans le monde politique. Il fut longtemps au premier rang des princes de la finance. On avait coutume de dire de lui : « Il change en or tout ce qu'il touche. » Il possédait plus de 50 brevets d'invention.

Dès avant 1884, M. Somzée – sa noblesse ne fut reconnue que plus tard – s’était lancé dans la politique. Il entra à la Chambre.

Sa fortune, dès lors, ne fit que grandir. Il n'est personne à Bruxelles, dans le monde financier, industriel ou politique, qui ait perdu le souvenir des réceptions de l'hôtel - du palais serait plus juste - de la rue des Palais.

Les collections Somzée excitaient l’admiration universelle. Le palais Somzée regorgeait de merveilles. Les fêtes Somzée réunissaient des ministres, des diplomates, toute l'élite de la société bruxelloise. Puis on apprit un jour que la fortune de ce prince de la finance était ébranlée. Les collections furent vendues publiquement il y a quelques mois, nos lecteurs s'en souviennent, au Palais du Cinquantenaire.

La vente produisit plusieurs centaines de mille francs.

Puis le silence se fit autour de de Somzée. On le croyait parti pour l’étranger. Sa mort causera parmi ceux qui connaissaient sa générosité de sincères regrets.

Jamais l’ancien député de Bruxelles ne s'était remis de l'accident dont il fut victime, il y un an environ, à l'Exposition de Paris. Atteint la jambe par une explosion de machine, dont les débris projetés blessèrent plusieurs personnes, il eut à souffrir de complications dangereuses, dont les soins les plus éclairés des hommes de l'art ne parvinrent pas le sauver.

M. de Somzée fut le fils de ses œuvres. Fils d'un simple artisan liégeois, il avait des notions pratiques de la vie, une culture positive : il avait 27 ans quand les circonstances lui permirent de se préparer à l'examen d'admission à l'Ecole des mines. Ses succès emportés aux examens successifs qu'il subit sont restés légendaires à Liége. Ils lui valurent, dès sa sortie de l’Ecole, une importante mission industrielle en Espagne et en Portugal, puis, tout de suite après, la place d’ingénieur technique de la Compagnie générale d’éclairage de Bruxelles.

En résumé, homme de trempe tout moderne, sans cesse à l’affût de tout ce qui, dans tous les domaines, pouvait alimenter son besoin d’activité, Léon de Solzée laisse le souvenir d’un vaillant, d’un obstiné.

M. de Somzée était dans sa 65ème année.

Les funérailles de M. de Somzée auront lieu mardi, à Liége.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 25 août 1901)

Il nous parvient cette nuit une triste nouvelle : M. Léon de Somzée est mort, à Spa, vendredi soit, à l'âge de 64 ans et demi.

M. de Somzée était une des personnalités les plus connues de notre pays. Cet ingénieur de talent fut un collectionneur de goût, un protecteur éclairé des arts, et de plus un politicien qui eut son heure de succès.

Ce n'est déjà pas banal de rencontrer en un même homme tant d'aptitudes diverses : ces aptitudes furent bien employées.

L'ingénieur inventa le « joint Somzée » - joint en caoutchouc pour la canalisation du gaz - qui fit sa réputation ; il acquit une notoriété particulière dans les questions gazières, il fut un constructeur émérite de réseaux d'éclairage : les villes italiennes de Sienne, Rimini, Catane lui doivent l'éclairage ; il fut le créateur de l'usine à gaz de Bruxelles, et de ses dépendances (en 1876) ; il fonda la Société gazière du Centre, qui dota du gaz les communes industrielles du Centre, et Ostende, Arlon, Huy, etc.

A l’ingénieur revient encore l'invention (avant Edison !) de ce que l'on appelle la lampe Edison, celle d'une méthode de compression de l'air grisouteux des mines, celle d'un avertisseur magnétique pour éviter les collisions en mer, celle d’une méthode de télégraphie sans fil… M. de Solzée avait vraiment « de vocations » : fils d'un petit artisan liégeois, ses premières années furent une rude bataille contre la vie. Il avait vingt-sept ans déjà quand les circonstances lui permirent de demander son admission à l’Ecole des Mines ; il y remporta de tels succès, que le jour où il conquit son diplôme, tout le monde eut la conviction que sa fortune était faite. L'ingénieur de talent était doublé d'un homme affaires, dont les entreprises sont aussi nombreuses, pourrait-on dire que les étoiles au firmament.

Une entreprise peu fructueuse, mais hardie et bien conçue, parmi toutes celles qu'il entreprit, fut l'exposition de 1888. M. de Somzée eut le mérite d'y inaugurer un nouveau système de classifications : les exposants n'y étaient plus groupés par nationalités, mais par branches de commerce et d'industrie. Le vain étalage de produits variés était devenu un utile « Concours » international. Le Paris de 1900 copia le Bruxelles de 1888, et M. de Somzée fournit ainsi une nouvelle preuve de cette vérité universellement admise, que les petits Belges copient tout ce qui se fait en France !

Léon de Somzée fut un collectionneur de goût. Les personnes nombreuses qu'il invitait à ses fêtes brillantes éprouvent une émotion d'art intense rien au souvenir d'une promenade par ces enfilades de salons où les tapisseries, les statues, les tableaux, les vases, les pièces d’orfèvreries remarquables disputaient la place à des retables flamands superbes… Quelques-unes des pièces merveilleuses de M. de Somzée s’en sont allées, l’autre semaine, meubler les musées du monde.

Nos artistes seront bien peinés en apprenant la fatale nouvelle : il regretteront celui qu’en les petites chapelles on nommait, avec une ironie légèrement émue tout de même, le « Mécène-Edison ». Les plus féroces esthètes disaient de lui : « C'est un type ! » ; et pour que, malgré certaines jalousies, les esthètes disent cela de quelqu'un...

L'homme politique, avons-nous dit, eut son heure de succès ; non qu'il jouât au Parlement un rôle considérable, mais il avait fait partie de ce mouvement indépendant qui, en 1884, aida puissamment au renversement du ministère libéral. Ce fut, sur la liste des « Nationaux-Indépendants », une personnalité en vue incontestable et une influence incontestable.

M. de Somzée fut un travailleur intelligent et obstiné. Il fut un homme plein de généreuses initiatives, il joua un rôle dans l’histoire des partis politiques belges. A ces titres divers, son souvenir demeurera.

On se souvient que l'année dernière, il fut victime d'un grave accident à l'exposition de Paris ; il ne s'était pas remis des suites de cet accident. Sn état se compliquait d'atteintes de diabète... Les funérailles du regretté M. de Somzée auront lieu mardi à Liège. Et un service sera célébré jeudi en l'église Sainte-Marie, à Schaerbeek.


(Extrait de La Réforme, du 26 août 1901)

M. de Somzée

Le ciel même semblait être presque dans cette chambre tant par les fenêtres large ouvertes on voyait courir près de soi les fins nuages de satin blanc sur le fond d'azur immobile et recueilli. Les nuages, aurait-on pu croire, frôlaient les murs de la villa. Chargés de soleil, les coteaux resplendissaient avec de telles vibrations aveuglantes que les taillis et les arbres paraissaient être de verre et faisaient songer à quelques folles frondaisons artificielles. Un lourd silence respirait dans l'atmosphère.

« Ne restez pas longtemps auprès de Monsieur, je vous en prie, surtout ne lui parlez pas trop », m'avait recommandé César, le fidèle serviteur, en ouvrant discrètement une porte, il y a trois semaines. comme je rendais visite à M. de Somzée, profitant d'un séjour à Spa pour le revoir.

Et le ciel et les montagnes éblouissantes, riant par les fenêtres, m'avaient d'abord empli les yeux de leur joie et de leur vie débordantes. Cruel contraste : le lit tout blanc s'allongeait entre deux croisées. enveloppé d'une légère pénombre, projetée par le large panneau contre lequel il était adossé.

M. de Solzée était étendu : amaigri, exténué, immobile dans sa couche. comme dans un « cercueil préparatoire. » L'admirable et lugubre expression de Paul de Saint Victor me traversa l'esprit. Au bruit de mes pas, il leva la tête et me dit familièrement :

« Ah! vous êtes à Spa ! Eh bien, vous avez eu raison de venir me voir et je suis content de vous recevoir. Cependant, vous savez... mes médecins !... Mais. que dit-on à Bruxelles ? Qu'y a-t-il de nouveau ?... J'ai beaucoup lu, ajouta-t-il en repoussant de la main sur ses jambes un tas de journaux qui lui recouvraient presque la poitrine, mais les journalistes, qui en disent parfois trop, ne disent pas toujours tout dans leurs feuilles. Allons, parlez-moi ! »

J'entrepris M. de Somzée de certaines choses. Qui, je le savais. pouvaient l'intéresser, mais je n'osai guère prolonger la conversation. Une présence auguste se dressait déjà visiblement entre lui et tout visiteur.

La mort, la femme noire évoquée par Henri Heine dans son Livre de Lazare, était là. « Elle avait déjà pressé tendrement la tête du malade sur son cœur », « elle l'avait déjà embrassé et il était paralysé. »

Cependant, à la fin de notre conversation. M. de Somzée se redressa sur son lit, et son masque énergique s'illumina encore de flammes de volonté.

« Ah ! si je n'étais pas cloué ici : N'est-ce pas affreux ? Je me croyais, il y a un mois, presque rétabli. Et voilà, je suis emmailloté maintenant comme un enfant, je ne puis pas bouger ! Et Bruxelles est si loin de Spa ! J’essaye, vous savez, de ne pas penser aux affaires, puisqu'on me le recommande, mais quoi : je ne puis pas ! Ah ! i j’étais à Bruxelles ! »

Quand je quittai la villa Bolette. pour descendre vers la ville par le boulevard Marie-Henriette, je ne sus même plus regarder, à gauche et à droite de la route, les parterres aux fleurs insolemment rieuses. Je croisai des équipages qui emportaient vers les plaisirs d'un champ de courses des femmes aux toilettes claires, aux ombrelles rouges. Ah cette joie ! Et dire, pensai-je, que là, au milieu d'un jardin où chante le besoin de vivre, là, dans cette villa, un homme s'éteint, qui a empli le pays de sa fiévreuse activité, du tourbillon de mille entreprises, et que là, il s'éteint, la tête encore bourdonnante de ses rêves d'action réduit, presque anéanti par la maladie, tout mince dans son lit.

* * *

Le palais, aux larges vestibules, aux énormes salles, était rempli de clartés et de fleurs, Par bouffées, avec les parfums de ces mille corolles. Les sons des orchestres dissimulés ici et là, dans le jardin, ou dans les salons, vous arrivaient vous berçant de rêves de grandeur et de vie luxueuses. Les lumières éblouissantes s’épandant des lustres caressaient tout un monde de statues, faisaient valoir d’admirables peintures. Et les invités circulaient ravis dans cet hôtel merveilleux, ne tarissant pas de compliments, critiquant cependant tel ou tel choix, mais trouvant toujours l'ensemble admirable.

Dans ce superbe palais. M. de Somzée a reçu, peut-on dire, toutes les classes de la société de Bruxelles, toutes les autorités du pays, les plus grands personnages, les artistes les plus renommés, les savants du monde entier. Lors de l’exposition de 1888, ce fut une série de fêtes extraordinaires ; et, à toutes occasions, chaque année, le palais s’illuminait pour les réceptions les plus fastueuses.

Le grand industriel qu’il était, le financier toujours entreprenant, occupé et préoccupé de mille projets, se transfigurait à ces heures-là en véritable seigneur, gracieux et souriant, aimable, galant. Il dépensait largement la fortune, comme s’il l’avait toujours connue, accueillant, encourageant, écoutant tout le monde.

M. de Somzée mena une existence terrible de travailleur… de quoi remplir la carrière de plusieurs hommes. Malgré lui, il s’intéressait toujours, pendant quelques instants au moins, à un projet, une invention quelconque qu'on lui soumettait. Parfois, tous les bureaux et les salons de son hôteI étaient occupés par des ingénieurs, accourus de tous les coins du monde, pour lui lire, ainsi qu'à ses collaborateurs, tel ou tel rapport sur les sujets les plus variés et les plus complexes. Par les portes s'entrouvrant ici et là, on entendait le long des corridors des bruits de voix, des échos de discussions d'affaires. Et cela commençait le matin dès huit, neuf heures, pour se terminer tard dans la soirée.

Pendant le déjeuner ou le dîner, M. de Somzée se faisait encore lire, par un de ses secrétaires, des résumés de mémoires. Aucune question de science ou d'industrie ne le laissa indifférent. II voulait tout savoir, et son esprit curieux, primesautier, osé, découvrit la solution de bien des problèmes.

Eclairage, locomotion, exploitation de mines et de sources de pétrole, télégraphie sans fil, téléphonie, entreprises forestières, distillerie, pêcherie, moyen d'éviter les collisions en mer, colonisation, etc., etc.. toutes ces étiquettes. qui rappellent la plupart des sociétés qu'il mit au monde, ne donnent qu'une faible idée de l'énorme champ de son activité. Et encore céda-t-il, on ne sait pourquoi, par faiblesse aimable sans doute vis-à-vis de certains de ses amis, au besoin de faire passagèrement de la politique !

Au fond, c'était un esprit libéral aux aspirations généreuses. II le prouva en plusieurs circonstances. Mais. par classement social, il fut entrainé, pensons-nous, vers le parti conservateur.

* * *

Génie d'affaires, et génie quelquefois malheureux, puisqu'il ne sut se borner à une spécialisation.

On lui reprocha souvent d’être vaniteux. Il paraissait tel parfois aux gens peu observateurs. Mais c'était plutôt un ambitieux ; et l'ambition n'est-elle pas un des puissants leviers des grandes actions !

La vérité a été presque indiquée hier par un de mes confrères :

« Dans un milieu moins restreint que la Belgique, en France ou en Angleterre, écrivait-il, M. de Somzée eût peut-être joué un rôle plus marquant et recueilli l'honneur que méritait son esprit d'incontestable initiative. »

Je pense. pour ma part, que M. de Somzée, ce petit Liégeois qui fit tant parler de lui, était tout simplement taillé sur le patron des grands industriels et financiers américains, plus qu'audacieux, osés parfois, allant, allant toujours, ne doutant de rien, gagnant de grosses fortunes, les perdant, pour les regagner, tuan,. peut-on dire, la vie plusieurs fois avant d'être abattus par elle. Il y avait du yankee en lui, sûrement ; réfléchissez-y.

Tel quel, et malgré les derniers moments plutôt durs que traversèrent ses entreprises, comme d’ailleurs toutes nos industries depuis bientôt un an, M. de Somzée fut un esprit d’une dévorante initiative et un des facteurs les plus puissants de notre activité nationale.

Aussi sa mort, bien qu’appréhendée depuis des mois déjà, a-t-elle répandu une profonde émotion dans le pays. En dépit de ses défauts, M. de Solzée était aimé et même admiré par beaucoup. Et ceux qui l’auront critiqué ne pourront se défendre d’une sorte de sympathie pour sa mémoire.

Enfin, on n’oubliera pas de longtemps l’émouvant spectacle de ce génie industriel abattu par la maladie, au plus fort de la lutte que lui imposait la crise que traverse en ce moment le monde des affaires, toujours plein de foi et de courage, ne se rendant qu’à la mort.

Mais un grand poète n’a-t-il pas dit… : « On nous ferme la bouche avec une poignée de terre ! »

Hector Chainaye.

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(Extrait du Journal de Bruxelles, du 27 août 1901)

M. de Somzée et la politique

Un confrère bruxellois publie à propos de la mort de M. de Somzée quelques souvenirs intéressants.

M. de Somzée, qui vient de s'éteindre à Spa, fut longtemps une des personnalités les plus en vue du parti des Nationaux-Indépendants, qui, de 1884 à 1900, connut parmi nous toute une ère de succès et remporta, avec le concours de l'Association conservatrice et des Maisons ouvrières, de brillantes victoires.

Après la rupture de cette triplice, il fut encore le candidat sénatorial des indépendants lors des élections législatives de cette année. Son échec ne laissa pas que de l'affecter vivement, lui surtout dont la vie publique n'avait pas marquée par beaucoup de revers. Sans avoir jamais été un militant, malgré l'aversion qu'il ressentait et professait pour la politique de faubourg, il fit, pendant des années, comme on dit, la pluie et le beau temps à Schaerbeek où il était désigné en 1895 pour la première magistrature communale si les indépendants n'avaient pas raté timbale majoritaire à une voix près. Il refusa de ceindre l’écharpe de bourgmestre dans la minorité.

Il y a encore bien des Schaerbeekois qui vous parleront avec enthousiasme des luttes ardentes et de la polémique endiablée auxquelles donna lieu, en 1888, peu de temps après le grand concours, une élection partielle dans laquelle M. de Somzée rencontra sur son chemin M. Victor Arnould. Il était alors à l’apogée de sa popularité. Aussi fut-il élu à une majorité considérable.

Les deux adversaires se détestaient cordialement. A raison d'une parole vive prononcée dans un meeting, la veille du scrutin, comme M. de Somzée, par le candidat libérai, le député de Bruxelles allongea, le lendemain, du haut de son phaéton, un coup de chambrière à son bouillant compétiteur. L’incident fit grand bruit. Il y eut un échange de témoins qui décidèrent que l'affaire devait demeurer sans suite.

La place Liedts fut le théâtre, ce soir-là, d'une de ces émeutes pour rire, qui de temps immémorial, s'attaquaient au « Café des Arcades » où siégeait alors le grand état-major catholico-indépendant. Le commandant des pompiers, M. Delobel, eut une idée originale qui eut raison en un clin d’œil de l'ardeur des manifestants les plus enfiévrés.

Il fit quérir une pompe incendie qui déversa sur eux de copieux flots d'eau. La place fut déblayée en un instant. La recette fut utilisée plus tard avec des effets fort appréciables.

* * *

Les élections législatives de 1888 coïncidant avec le grand-concours, M. de Somzée avait comme secrétaire particulier et comme directeur général de cette entreprise, dans laquelle il perdit une couple de cent mille francs, un ancien officier d'artillerie, venu de Dusseldorf. Cornely, un lanceur d’expositions, depuis complètement disparu de la circulation, était un homme d'une rare activité, d'un toupet déconcertant qui lui valut

une riche d’ennemis, et un incomparable américaniste. II « soigna » la candidature de son patron avec une virtuosité parfois inconsidérée. La semaine qui sépara le premier tout de scrutin du ballotage, il fit multiplier les réceptions, les raouts, les concerts-promenades au magnifique hôtel florentin de la rue des Palais. Bruxelles fut littéralement inondé dé cartons bristol par lesquels M. Léon de Somzée, administrateur général du grand-concours, invitait ses concitoyens à des fêtes fastueuses. Les journaux libéraux protestèrent vivement contre cette propagande électorale d’un genre tout nouveau et qui déteignit fâcheusement sur le succès du grand-concours. L’Etoile, notamment, poursuivit contre l’œuvre de M. Somzée une campagne de dénigrement systématique qu’elle semble regretter aujourd’hui en rendant hommage à la courageuse initiative de l’ancien député de Bruxelles.

En même temps, Cornely, qui était vraiment un courtier infatigable, faisait tapisser les murs de la capitale d’affichettes multicolores consacrée à la glorification de son maître. « Votez pour Somzée, l’ami des pauvres » ; « Voyez pour Somzée, philanthrope désintéressé » ; « Votez pour Somzée, le protecteur des arts », etc., etc.

Le vendredi avant le ballottage, on en compta jusque quatorze à la file, devant le Temple des Augustins. On riait, on s’amusait de ce barnumisme dont Cornely était, du reste, le premier à s’esclaffer, mais dont l’effet se fit cependant sentir : M. de Somzée passe en tête de liste. Il faut lui rendre cette justice qu’il désavoua ces manœuvres auprès de ses co-candidats qui lui reprochaient de tirer toute la couverture à lui.

* * *

Une drôle d'aventure fut la visite du général Boulanger au palazetto Somzée. Le héros de Paulus était à peine de deux jours à Bruxelles qu'il reçut une invitation de M. de Somzée à un concert-promenade. Il prit l'avis de ses inséparables conseillers Huart, qui s’était transformé en son ange gardien: et Galliard, le président du comité boulangiste belge, le mouchard attaché par M. Constans à la personne du réfugié. Il accepta... Une assistance d'élite se pressait dans les salons de l'honorable député : le nonce du pape, des diplomates. des ministres à portefeuille, des sénateurs. des représentants... L'arrivée du général produisit un indicible émoi... M. De Bruyn se leva et disparut, suivi bientôt par le général Pontus, ministre de la guerre.. D'autres hauts personnages imitèrent leur exemple... Un seul invité ne se troubla point. Il affecta de ne pas avoir aperçu le nouvel arrivant. C'était M. le comte de Montebelle, ministre de France.

Le lendemain, M. de Somzée reçut une verte semonce du ministère, qui lui pardonna difficilement d'avoir mis – involontairement mais étourdiment - deux membres du cabinet en posture désagréable.