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Caeluwaert Jean (1846-1918)

Portrait de Caeluwaert Jean

Caeluwaert Jean socialiste

né en 1846 à Marchienne-au-Pont décédé en 1918 à Roux

Représentant 1894-1918 , élu par l'arrondissement de Charleroi

Biographie

(Extrait de La Chambre des représentants en 1894-1895, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1896, pp. 254-255)

CAELUWAERT, Jean,

Représentant socialiste pour l’arrondissement de Charleroi, né à Marchienne-au-Pont, le 12 juin 1846

M. Caeluwaert est un enfant du peuple : fils aîné d'humbles journaliers, il fut obligé, dès sa plus tendre enfance, d'aider par son travail aux besoins d'une nombreuse famille. A l'âge de 9 ans, il trouva à s'occuper chez un entrepreneur de déchargement de minerais de fer ; mais, la besogne étant de beaucoup au-dessus de ses forces, il quitta son patron et entra au Charbonnage du Nord de Charleroi comme ramasseur de pierres ; il y devint bientôt manœuvre. Il s'engagea ensuite comme hiercheur au Charbonnage de Rochelle-et-Charnois, puis comme ouvrier à veine au Charbonnage de Sacré-Madame ; il fit peu après partie de la brigade des bauveleurs et des avaleurs et acquit bientôt une habileté reconnue par tous ses compagnons de travail. Ouvrier de mérite, ses chefs le désignèrent à plusieurs reprises pour occuper des fonctions mieux en rapport avec ses dispositions ; mais il refusa toute faveur, ne désirant pas exercer une autorité quelconque sur ses pairs : c'est ainsi qu'il resta simple mineur pendant vingt-six ans.

Quoique n'ayant guère de loisirs, M. Caeluwaert parvint cependant, à force d'énergie et de persévérance, à se faire un léger bagage de connaissances : sans presque l'aide de personne, il apprit à lire, à écrire, à calculer, fit de la musique, s'occupa de l'amélioration du sort de l'ouvrier et fonda la Société coopérative Euréka de Jumet-Gohyssart, Union des mineurs, dont il devint directeur-gérant.

Il fonda l'Association libérale de Roux en 1881 ; il S'en retira en 1889. Il fonda également la Fédération démocratique de l'arrondissement de Charleroi et l'Union démocratique socialiste de Jumet.

Il a rempli les fonctions d'administrateur délégué du journal Les Chevaliers du travail, qui a cessé de paraître tout récemment, et collabore à plusieurs journaux, notamment au Journal de Charleroi.

M. Caeluwaert est l’un des socialistes les plus influents du pays de Charleroi : il doit cette situation à la présidence de l’Ordre des Chevaliers du travail belge, qu'il occupe depuis sa fondation. Il déconseilla la grève de 1886, alors qu'il travaillait au Charbonnage du Centre de Jumet. mais il ne fut pas écouté ; lorsque les ouvriers reprirent enfin le chemin de la mine, M. Caeluwaert, soupçonne d'avoir poussé à la grève, fut congédié et signalé dans tous les charbonnages comme un fauteur de désordres. Par la suite, il fut l'instigateur de plusieurs grèves importantes. Il perdit de son prestige après la grève de 1889, dans laquelle les ouvriers prétendirent qu'il les avait entraînes alors qu'il leur était impossible d’obtenir satisfaction. Il eut à répondre dans de nombreuses et orageuses discussions aux reproches qu’on lui adressa à cet égard.

En 1887, M. Caeluwaert a été nommé membre effectif du Conseil de prud'hommes de la circonscription de Charleroi ; il donna sa démission en 1894.

Il fut élu membre de la Chambre des représentants pour l'arrondissement de Charleroi au ballottage du 2 octobre 1894, par 68,552 suffrages.


(Extrait du Journal de Charleroi, du 10 décembre 1919)

Hommage à Jean Caeluwaert. Manifestation du souvenir

Discours du citoyen Debruyn

« Il est, de notre devoir d'adresser dans certaines circonstances un hommage ému à la mémoire de nos frères qui sont tombés faisant face à l'ignoble envahisseur ; il est aussi pour nous une obligation. dans d'autres cas, de montrer que nous n'oublions pas les disparus de notre classe, qui ont lutté âprement pour la conquête de nos droits dans le domaine économique et dans le domaine moral. Nous ne pouvons donc laisser passer cette date sans rappeler sur la tombe de notre regretté Jean Caeluwaert, quelques souvenirs d’une vie de combats contre le capital oppresseur.

« Malgré les vexations et les persécutions de tous genres dont il fut l'objet de la part des bourgeois, des patrons et le [a classe ouvrière même, Jean Caeluwaert, au milieu de difficultés sans nombre, n’hésita pas à créer I 'Ordre des Chevaliers du Travail, dont il fut président. Sans trêve, sans répit, cette noble phalange arracha au patronat un assez bon nombre d'améliorations, modestes d'abord, mais l'élan était donné, les travailleurs avaient enfin compris l'immense avantage de l'union. Partout se créèrent des groupements de mineurs, décidés à ne plus se laisser traiter en bêtes de somme. Qu'est-il résulté de l'action du grand nombre ? Consultez les chroniques relatant nos victoires marquantes, vous y trouverez : 1) l'établissement obligatoire pour les bains-douches dont l'effet utile pour notre santé n'est plus à prouver ; 2) l'instauration du travail de. huit heures, dont les ration du travail de. huit heures, dont les heureuses conséquences au triple point de vue physique, intellectuel et moral sont incalculables ; 3) l'instauration du suffrage universel arraché à la classe dominante, voilà l'œuvre du camarade Caeluwaert,

« Combien nous regrettons qu’il ne soit plus parmi nous pour jouir de la victoire qu'il avait si bien préparée. Les succès présents nous sont un sûr garant de ceux de l'avenir si nous continuons avoir confiance dans l'action syndicale.

« Pour honorer vraiment la mémoire de celui dont nous déplorons la perte, nous jurons formellement aujourd'hui sur cette tombe de rester fraternellement unis pour continuer notre marche victorieuse dans le domaine de nos revendications.

« Que notre devise soit : Tous pour un et un pour tous.

« L'union des mineurs La Sincérité de Lodelinsart, cher ami, est animée de ces sentiments bien fraternels et est décidée de suivre la route que tu lui as tracée.

« Camarade Jean Caeluwaert, repose en paix. »

Discours du citoyen Michel Limade

« Citoyennes, citoyens,

« Les Chevaliers du Travail, Union des mineurs La Persévérance, de Montigny-sur-Sambre, de qui je suis l'écho, profitent de cette cérémonie commémorative, pour venir dire combien était cher le regretté Jean Caeluwaert.

« Pauvre et grand disparu ! Ta vie fut toujours pour nous un exemple.

« Il avait à peine vingt-et-un ans qu'il était déjà inscrit à l'Internationale des mineurs.

« Un an plus tard, il fut choisi, malgré son jeune âge par ses compagnons de travail pour aller défendre leurs intérêts auprès du directeur du charbonnage de Monceau-Fontaine et Martinet. « Le lendemain, à la remonte de la fosse, quatre gendarmes l'appréhendèrent et le conduisirent à la prison de Charleroi, où il purgea une détention de quelques jours. Des compagnons de travail. qu'il avait défendus devant le juge d'instruction, l'avaient accusé d'être l'auteur, le fomenteur de la grève.

« Après la chute de l'Internationale, il essaya de réorganiser les associations ouvrières, sans cependant pouvoir y réussir.

« Le 2 mai 1885, aidé par quelques camarades, il créa l'Union des mineurs « Euréka » de Jumet-Gohyssart, dont il devint le président.

« Le 1er novembre suivant survint la grève d'Amercoeur, qui dura trois mois.

« Pendant te cours de cette grève, il fut appelé une dizaine de fois chez le jupe d'instruction et chez le procureur du roi. Des perquisitions furent faites à son domicile. Partout il était suivi par la police secrète, et ce, parce qu'il était président de l'association.

« Ah ! compagnons, à cette époque lointaine, il fallait avoir beaucoup de courage. je dirai même qu'il fallait être un héros pour présider un syndicat.

« C'est en 1885 que notre camarade Jean fonda l'Ordre des « Chevaliers du Travail », qui fit hurler de rage les patrons charbonniers.

« Les patrons firent tout ce qui était possible de faire pour détruire cette formidable association.

« Rien n'ébranla le courage opiniâtre de notre camarade, et quelque temps après, l'Ordre des Chevaliers du Travail se composait de 22,000 membres.

« Lors de la malheureuse grève de 1886, Jean, qui n'y avait pris aucunement part, puisque ce mouvement fut spontané, irréfléchi, mouvement que l'on appela le vent de folie, Jean, dis-je, fut de nouveau suivi pas à pas par des mouchards à la solde du gouvernement. A deux reprises différentes et à quinze jours d'intervalle, on profita de son absence pour perquisitionner son domicile.

« Vent de folie. ! Eh bien ! non, ce n'était pas un vent de folie. Le Catéchisme du Peuple, « d'Alfred Defuisseaux, avait ouvert yeux au peuple travailleur, il avait fallu son apparition pour faire comprendre aux ouvriers qu'ils étaient traités en esclaves.

« Pendant ces sinistres et sombres jours de i886, Caeluwaert fit son devoir. On le voit, cœur généreux, transporter sur une civière un frère blessé par une balle d'un soldat belge. II fallut néanmoins ce vaste mouvement de révolte pour faire penser aux dirigeants qu'il était temps de faire des lois en faveur du peuple, si l'on voulait éviter une révolution.

« Des Commissions du Travail furent instituées.

« En septembre 1886, Caeluwaert fut délégué par les 2,000 mineurs de son association pour déposer devant la Commission du Travail siégeant à l'Hôtel-de-Ville.

« Dans la séance du 15 septembre, il y réclama énergiquement la journée de huit heures, le rachat par l'Etat de tous les charbonnages belges, le suffrage universel pur et simple pour tous les citoyens belges ; ri demanda également une pension pour tous les vieux mineurs et invalides du travail leur assurant une existence convenable pour le reste de leurs jours.

« C'est lui qui organisa la fameuse manifestation en faveur de la mise en liberté de Xavier Schmidt et Oscar Fallur.

« Jean était constamment sur la brèche pour défendre toutes les bonnes causes, surtout celles relatives aux victimes de quelque injustice sociale.

« Jouissant de la confiance de tous les travailleurs, même de celle des ouvriers n'appartenant pas à sa corporation, il fut choisi par les ouvriers verriers pour faire partie de la délégation envoyée auprès du ministre de la justice, M. Lejeune, en vue d'obtenir la libération de Falleur et de Schmidt.

« C’est lui qui exposa, ému et plein d'espoir, au ministre, l'objet de la visite de la délégation.

« Le 3 décembre 1888, délégué par les mineurs, il est nommé membre du Conseil de prud'hommes de Charleroi. poste qu'il occupa jusqu'en 1894, à la satisfaction de tous les ouvriers.

« Lorsque Alfred Defuisseaux fonda le parti républicain, notre ami en fit partie. C’est vous dire qu’il embrassait tous les postes périlleux, sans souci de sa personne ; il ne voyait jamais que l’émancipation de ces frères et espérait toujours par son dévouement, par les mandats qu'il remplissait, plus de bien-être pour la classe ouvrière et particulièrement pour les mineurs.

« Rien que son adhésion au parti socialiste républicain avait suffi pour qu'on le traquât de nouveau comme un malfaiteur.

« En effet, appelé au cabinet du procureur du roi, celui-ci lui reprocha d'avoir assisté au Congrès de Châtelet des 2 et 3 décembre. Le fameux Laloi commençait déjà son sinistre rôle de mouchard. Quand verrons-nous disparaître cette race d'êtres malfaisants et nuisibles que toute société qui se respecte devrait punir au lieu de les écouter et les protéger, comme nous le voyons encore tous les jours.

« Caeluwaert, ayant siégé le 3 décembre au Conseil des prud’hommes de Charleroi, dut faire appel au président Piret pour se justifier.

« Notre regretté Caeluwaert ne connut ni trêve, ni repos. Nous le rencontrons partout, même pour organiser les autres corps de métier.

« C’est ainsi que, de 1888 à 1892, il créa 60 associations de mineurs et une quinzaine d'associations de métallurgistes, sous les auspices des Chevaliers du Travail belges.

« En 1888, il prit la tête du mouvement en faveur des huit heures de travail dans les mines. On le vit en ce moment donner deux et trois meetings par jour dans toutes les communes de notre bassin charbonnier.

« Constamment et partout, il était suivi par les mouchards à la solde des patrons et du gouvernement, afin de pouvoir le pincer, l’emprisonner, et conséquemment, diviser la classe ouvrière.

« Un jour, le 11 janvier 1890, Caeluwaert devant donner un meeting à Châtelineau,. Est prévenu par deux compagnons de cette commune qu'il ne doit pas s'y rendre, parce qu’on menaçait de le tuer, étant accusé d'avoir volé le coffre-fort des Chevaliers du Travail et son contenu, 80,000 francs. Quand on est honnête et qu'on n'a rien à se reprocher, répondit notre brave camarade, on ne craint pas la mort. Dites que j'arriverai à l'heure convenue.

« Ce qu’il fit. Après avoir fourni dos explications claires et précises sur sa gestion et démontré que cette calomnie était l'œuvre du patronat et des disciples de Laloi et Pourbaix, il jura de continuer la grève jusqu'à ce que l'on obtienne satisfaction.

« Le 13 janvier, deux jours après, à 6 h. du soir, il signait, avec Sabatier et Smeysters, le compromis accordant une réduction d’un heure de travail aux mineurs du bassin de Charleroi. « Plus de 12,000 mineurs l'applaudissaient à la sortie de cette entrevue. Le Lendemain eut lieu une des plus grandes manifestations qu'ait connu la ville de Charleroi, en l'honneur de notre infatigable défenseur.

« Sous le suffrage censitaire, sollicité par ses amis Jules des Essarts et Albert DelwarL, il posa sa candidature à la Chambre. Il savait qu'il essuierait un échec, puisqu'il fallait payer 42.32 de contributions directes à l'Etat pour être électeur. Aussi il se contenta de ses 217 suffrages, en ajoutant que c'était un jalon posé pour arriver à la conquête du suffrage universel.

« Pour la conquête de l'égalité politique, il fit des démonstrations qui réunirent dans les rues de Charleroi plus de 30,000 manifestants.

« Lorsqu’enfin le peuple obtint le vote plural, notre arrondissement l'envoya au Parlement., où il tint dignement sa place.

« Toutes les calomnies, toutes les perfidies furent lancées à l'adresse de notre ami, afin de détruire les Chevaliers du Travail. Peines inutiles, tous les mineurs se serrèrent de plus en plus autour de leur député.

« Aussi quelle joie pour les mineurs lorsque, à une séance de la Chambre, il fil rendre gorge aux députés cléricaux qui l'avaient accusé d'avoir bénéficié personnellement de la vente aux membres des boutons, c'est-à-dire des insignes des Chevaliers du Travail.

« C'eût été curieux de voir la mine ahurie et déconfite de ces soutiens du patronat lorsque Caeluwaert donna lecture du rapport sur la rapport signé par vingt-deux membres vérificateurs des Chevalier du Travail.

« Nul politicien nul défenseur des ouvriers ne fut autant calomnié par les journaux ) la solde des capitalistes que notre camarade Jean

« S’il fut voué à la haine des patrons, c'est parce qu'il a défendu honnêtement et sincèrement les intérêts des mineurs.

« Ce qui lui fit beaucoup de peine, et il ne pouvait en parler sans avoir les larmes aux yeux, c'est que, malgré une vie bien remplie, Il dut à un moment donné, faire imprimer et distribuer sa biographie, à l'effet de faire taire les envieux qui osaient faire circuler le bruit qu'il avait fait bien peu de chose pour ses frères de la mine, et ce, sur l’instigation de certains arrivistes.

« Quant à nous, Chevaliers du Travail de Montigny-sur-Sambre, nous plaçons Jean Caelewaert immédiatement à côté du regretté Alfred Defuisseaux, cet autre défenseur de la classe ouvrière.

« Ces deux députés doivent avoir les premières places dans la galerie des grands hommes du parti socialiste.

« Hélas ! tu n’est plus avec nous pour la grande victoire socialiste et syndicale.

« Triste ironie des choses : tu succombe après avoir bataillé avec acharnement, au moment du triomphe, c'est-à-dire à la veille de voir s'accomplir les rêves de toute ta vie : les huit heures de travail et le suffrage universel.

« Nous n’oublierons jamais les immenses services rendus aux mineurs par notre cher disparu.

« Nous nous souviendrons toujours aussi qu’il fut le créateur de l’Ordre des Chevaliers du Travail et nous jurons en ce jour solennel sur ta tombe de marcher dans la voie que tu nous as tracée et nous ne nous départirons jamais des enseignements féconds que tu nous as inculqué.

« Pour nous, les mineurs de Montignies-sur-Sambre, Jean Caeluwaert fut un père, et dans nos foyers son nom est toujours prononcé avec respect en amour.

« Il appartenait à un humble ouvrier minier de venir exprimer ici, cher et regretté Jean, les regrets sincères de plus de deux mille Chevaliers du Travail. »


(Extrait de LORIAUX F, Nouvelle biographie nationale, Bruxelles, Académie royale des Belgique, 1997, t. 4, pp. 51-55)

(page 51) CAELUWAERT, Jean, ou CALLEWAERT, CAELUWART, mineur, Grand Maître de l'Ordre des Chevaliers du Travail, député socialiste, né à Marchienne-au-Pont le 12 juin 1846, décédé à Roux le 18 novembre 1918.

Jean Caeluwaert est né le 12 juin 1846, à Marchienne-au-Pont, sur la péniche familiale que possédaient ses parents et qui était amarrée au rivage de la Caillette.

(…) Dès l'âge de huit ans, Jean Caeluwaert entrait dans le monde du travail afin de contribuer à l'entretien de sa famille, en renonçant, comme des milliers d'enfants à cette époque, à fréquenter l'école. Il ne resta cependant pas sans instruction, puisque son père lui apprit à lire et à écrire et lui donna même des leçons de violon.

Il entama donc sa carrière professionnelle très jeune en travaillant d'abord chez un entrepreneur qui l'occupa au déchargement du minerai de fer. Mais cette tâche était trop rude pour son jeune âge et il dut quitter son patron. Il fut ensuite occupé dans une fonderie comme aide-mouleur mais le salaire qu'il recevait était tellement bas que ses parents l'orientèrent vers d'autres travaux plus rémunérateurs.

C'est à l'âge de dix ans que Jean Caeluwaert rejoignit le monde de la mine en s'engageant au charbonnage Rivage du Nord de Charleroi, à Roux, comme ramasseur de pierres. Il ne tarda pas à descendre dans la fosse afin de gagner davantage, la misère se faisant sentir au logis par suite d'une infirmité dont fut atteint son père. Il fut ensuite occupé au charbonnage d'Amercœur à Jumet, et, à partir de quinze ans et demi, au charbonnage de Sacré-Madame à Dampremy comme ouvrier à veine, puis comme coupeur de voie. Il s'affirma bientôt comme un ouvrier de haute qualification possédant une habileté reconnue par ses compagnons de travail. A diverses reprises, il se vit proposer le poste de porion qu'il refusa, ne voulant pas « exercer une autorité quelconque sur ses pairs ».

C'est à partir de 1868 que Caeluwaert prit véritablement conscience de la situation misérable de ses congénères et décida de s'impliquer plus activement dans la lutte ouvrière. Il devint alors membre de l'Association internationale des Travailleurs (AIT), sans toutefois y jouer un rôle très actif.

C'est apparemment la découverte des inégalités sociales et de l'injustice qui fut le moteur de sa révolte et de son engagement. En effet, le 20 avril 1868, alors qu'il avait été désigné par ses camarades pour présenter les réclamations des ouvriers (à savoir une augmentation de salaire et une diminution des heures de travail) auprès de la direction du Charbonnage de Monceau-Fontaine et qu'il avait tenté de calmer les esprits échauffés par un refus, il avait été arrêté pour atteinte à la liberté du travail.

Après la chute de l'AIT en 1872, Caeluwaert s'associera à de nombreux projets d'organisations ouvrières locales, sans toutefois parvenir à les concrétiser.

En octobre 1881, en prévision des élections communales, et aidé par quelques anciens camarades de l'Internationale, Jean Caeluwaert fonde à Roux L'Association libérale progressiste dont il resta membre jusqu'en 1887, date à laquelle elle fut transférée à Jumet.

Le 5 mai 1885, il fonde l'Union des Mineurs Eureka de Jumet-Gohyssart qui est l'assemblée n°3846 de l'Ordre des Chevaliers du Travail, formule syndicale tout à fait particulière, originaire des Etats-Unis où elle est connue sous le nom du «Noble Order of Knights of Labor» et dont il se voit confier, dès le début, une des fonctions dirigeantes, avant d'être appelé à sa présidence.

(page 52) C'est également à cette époque qu'il fut désigné comme représentant des ouvriers mineurs de Jumet-Gohyssart pour témoigner devant la Commission du Travail instaurée par les pouvoirs publics et chargée « de s'enquérir de la situation du travail industriel dans le Royaume et d'étudier les mesures qui pourraient l'améliorer. » Il y réclama le suffrage universel, la journée des huit heures, le rachat par l'Etat belge de tous les charbonnages et une pension pour les vieux mineurs et les invalides du travail leur assurant une existence décente.

Quelques semaines plus tard, le 2 novembre 1886, éclata à Jumet la grève des mineurs d'Amercœur qui revendiquaient une diminution des heures de travail. En tant que président de l'Union des Mineurs, Caeluwaert leur fit entrevoir les conséquences de la grève ainsi que la perte que chacun allait devoir supporter. Néanmoins, la grève fut votée à l'unanimité. Elle allait durer trois mois au cours desquels il fut placé sur la sellette, présidant journellement les assemblées des Chevaliers du Travail et prodiguant de nombreux conseils aux grévistes. Il fut également placé sous surveillance policière en tant que meneur de grève et des perquisitions furent effectuées à son domicile. A la fin de la grève, 140 grévistes, parmi lesquels Caeluwaert, furent renvoyés et signalés non seulement dans tous les charbonnages belges, mais également dans ceux du Nord de la France.

Poursuivant sa mission de défense des intérêts des plus démunis, Caeluwaert négocia encore avec l'Association charbonnière, par l'intermédiaire du procureur du Roi, la promesse que les ouvriers réintégreraient leur place.

La plupart des grévistes renvoyés furent réintégrés, à l'exception de quelques révoqués qui constituaient principalement le comité de l'Union Eureka et dont faisait partie Caeluwaert.

Durant plusieurs mois, il resta sans travail. Pour lui et sa famille, ce fut une période très dure, où la misère et la faim furent continuellement présentes.

De surcroît sur le plan collectif, l'échec de la grève provoqua la désertion passagère des membres de l'Union, qui ne fut heureusement pas dissoute et parvint à se maintenir, puis à se relever, dès 1887, grâce à la ténacité de ses dirigeants, et surtout de Caeluwaert, pour redevenir toute-puissante à partir de 1888.

Au terme de cette période sombre, Jean Caeluwaert fut engagé d'abord comme terrassier pour faire les fondations de la boulangerie coopérative des verriers Eureka, puis comme surveillant de maçonnerie du bâtiment.

En 1887, il devint à la fois directeur-gérant de la coopérative de l'Union des Mineurs de Jumet-Gohyssart et cabaretier du lieu. Ce local deviendra très vite le quartier général des Chevaliers du Travail.

Cette même année, il se ralliera aux idées d'Alfred Defuisseaux et deviendra un de ses « lieutenants ». C'est d'ailleurs dans un de ses journaux, La République Belge, que Caeluwaert publia sa première grande enquête sur les conditions du mineur belge.

Le 22 juillet, Caeluwaert fut désigné comme candidat pour les conseils de prud'hommes de Charleroi. Il fut élu le 9 septembre. Son entrée en fonction ne se fit cependant pas sans obstacles : les 2 et 3 décembre 1888, se tenait le Congrès du Parti socialiste républicain à Châtelet, auquel Caeluwaert participa en qualité de président des Chevaliers. Le 3 décembre, il quitta toutefois le congrès pour se rendre au conseil de prud'hommes afin de prêter serment. Il fut cependant interrogé le lendemain par le procureur du Roi sur sa présence au congrès et dut faire appel au président du conseil pour confirmer ses dires. Les autorités qui avaient encore à l'esprit les événements de 1886 s'inquiétaient de la décision de la grève générale qui avait été votée et de ses moyens d'action. Aussi des instructions avaient-elles été données pour que le congrès soit étroitement surveillé par la gendarmerie qui devait se tenir prête à étouffer toute manifestation ou signe de révolte. Mais les bruits d'un complot dirigé contre l'Etat firent intervenir le Parquet qui arrêta tous les participants. La crainte de voir se renouveler une vague d'attentats à l'explosif poussa d'ailleurs la police à perquisitionner chez les mineurs militants du Parti socialiste républicain susceptibles de détenir, par leur profession, de la dynamite. Caeluwaert ayant pu se justifier, échappait ainsi à une arrestation, mais il fut quand même particulièrement surveillé et de nombreuses perquisitions eurent lieu à son domicile et à la coopérative.

C'est également en 1888 que se concrétisent les liens entre Jean Caeluwaert et Jules Bufquin des Essarts, directeur du Journal de Charleroi (page 53) rencontré en 1887 lors de l'inauguration de la boulangerie coopérative et dont l'amitié sera extrêmement précieuse : non seulement des Essarts le poussera dans la carrière politique, mais il l'aidera également à rédiger ses premiers articles et lui ouvrira les colonnes de son journal. Cette amitié, en apparence contre nature, symbolise l'union du peuple et de la bourgeoisie, car si « la classe ouvrière ne peut rien faire de fixe, de durable, sans le concours de la bourgeoisie, la bourgeoisie marche à sa ruine sans l'union avec le peuple. »

Après avoir consolidé l'Union des Mineurs et récupéré la majeure partie de ses membres perdus après la grève de 1886, Caeluwaert décida de mettre à l'ordre du jour de l'assemblée la question de la réduction des heures de travail et proposa d'établir la journée de l'ouvrier mineur à neuf heures de séjour dans la mine. En 1889, il adressa au président de l'Association charbonnière la demande de réduction du temps de travail. Face à l'attitude des patrons, la grève générale fut votée à l'unanimité le 22 décembre. La direction en fut confiée à Caeluwaert. Ce que veulent les ouvriers, c'est amener les patrons à traiter avec les chefs de l'Union qui les représentent et à reconnaître l'existence et l'efficacité de cette association qui groupe la majeure partie des mineurs du bassin et qui prétend discuter sur un pied d'égalité avec l'Association charbonnière groupant tous les chefs d'entreprise.

Un compromis fut signé le 13 janvier qui donnait le signal de la fin de la grève : le patronat y accordait une augmentation de salaire de 15 p. c., ainsi qu'une réduction du temps de travail. Même si les mineurs n'obtinrent pas les neuf heures réclamées, la diminution d'une heure de travail sur le maximum établi était une victoire éclatante.

L'année 1890 découvrira un Caeluwaert au sommet de son prestige et de sa gloire. La victoire des mineurs rejaillit sur celui qui les a menés au combat : acclamé de tous, il connaît alors une énorme popularité qui renforce le prestige de l'Ordre. C'est d'ailleurs en 1890 que Caeluwaert devint le Grand Maître des Chevaliers du Travail en Belgique. Mais 1890 marque aussi le véritable début de son engagement sur le terrain politique officiel.

En avril 1890, des Essarts, Delwarte, Destrée et Caeluwaert fondèrent L'Union libérale démocratique de l'arrondissement de Charleroi, association politique et électorale groupant ouvriers et bourgeois démocrates. Cette association, qui inscrit en tête de son programme le suffrage universel, ainsi que l'instruction laïque et obligatoire, a pour but de faire une propagande permanente pour ces principes primordiaux et d'appuyer dans les élections législatives du 10 juin 1890 les candidats qui adhèrent à ce programme. Cependant, la candidature ouvrière de Jean Caeluwaert qui avait été proposée « en reconnaissance des services rendus pendant la dernière grève aussi bien à la bourgeoisie qu'aux ouvriers » pour être représentée sur la liste de l'association libérale, se vit refusée sous prétexte qu'elle n'avait pas été déposée dans les délais prévus.

Caeluwaert qui n'était pas homme à se laisser évincer aussi facilement, maintint sa candidature sur une liste isolée, soutenu par les associations ouvrières qui l'avaient présenté ainsi que par Jules des Essarts et son journal. Le 10 juin, Caeluwaert n'obtint que 217 voix sur 5.482 suffrages exprimés, victime du suffrage censitaire.

Durant la période 1890-1893, Caeluwaert participa aux différentes campagnes en vue de l'obtention du suffrage universel, organisant réunions, meetings et interpellant les mineurs à travers les feuilles du Journal de Charleroi et du Moniteur de l'Ordre des Chevaliers du Travail.

Le meilleur et le seul moyen pour obtenir l'accélération des débats parlementaires en faveur de la révision de l'article 47 de la Constitution organisant le suffrage universel, était la grève générale.

Le 5 avril 1891, lors du Congrès du Parti ouvrier belge (POB) à Bruxelles, Caeluwaert manifesta son mécontentement vis-à-vis de la passivité et de la lenteur du Conseil général de déclarer la grève générale.

Passant outre la décision du POB de déclencher le mouvement le jour où la section centrale du Parlement se prononcerait contre la révision, les Chevaliers du Travail entamèrent le 2 mai leur première grève politique et économique, obligeant le POB à soutenir le mouvement. Alors que le 20 mai le POB annonçait la reprise du travail, le principe de la révision ayant été voté, les Chevaliers du Travail votèrent la prolongation de la grève qui se transforma en un mouvement économique afin d'obtenir une réduction du temps de travail et une augmentation de salaire.

(page 54) Une campagne de dénigrement eut lieu contre Caeluwaert qui vit son domicile perquisitionné par la gendarmerie à la suite d'une dénonciation d'anciens Chevaliers du Travail exclus pour inconduite. Ces derniers l'accusèrent d'expulser les membres qui reprenaient le travail pendant la grève.

Une campagne d'affichage à travers la ville accusant Caeluwaert d'être un traître l'obligea à se faire accorder un vote de confiance.

Après septante-deux jours de grève, l'Assemblée d'Etat des Chevaliers du Travail vota la reprise le 7 juillet. L'Ordre sortit affaibli de cette grève, ayant perdu les deux tiers de ses effectifs, mais le prestige personnel de Caeluwaert ne fut cependant pas vraiment entamé.

Les années 1892 et 1893 voient Caeluwaert lutter pour l'obtention du suffrage universel, dont la Chambre adopte le 10 mai 1892 la déclaration de la révision de l'article 47. Durant cette période, il continue la propagande et incite les mineurs à se concentrer dans des unions professionnelles. De 1885 à 1894, il réussit, avec l'aide des membres du Conseil exécutif, à créer une soixantaine d'associations et, à partir de la mi-mars 1892, il put s'exprimer librement sans contrainte dans son journal Les Chevaliers du Travail. Moniteur officiel de l'Ordre en Belgique, dont il était administrateur-délégué et qui était publié, grâce à l'aide de Jules des Essarts, sur les presses du Journal de Charleroi.

Alors que l'adoption par le Parlement du vote plural le 18 avril 1893 menace de bouleverser les perspectives politiques de la Belgique, l'arrondissement de Charleroi se prépare à se lancer dans la campagne électorale des premières élections législatives accordant au moins une voix à tous les citoyens mâles âgés de vingt-cinq ans et plus.

Le 21 mai 1893, la Fédération démocratique de l'arrondissement de Charleroi fut créée par Jules Destrée, Caeluwaert, des Essarts et Alfred Lombard afin de rassembler « toutes les forces longtemps comprimées par le système censitaire, tous les désirs sincères d'amélioration des classes laborieuses de faire un faisceau puissant de bonne volonté de tous, bourgeois et ouvriers pour une marche résolue en avant. »

Au mois d'août 1893, le Comité international des Mineurs, dont Caeluwaert est le délégué belge depuis 1891, décide d'entamer un mouvement de grève international unissant tous les mineurs européens afin de soutenir les mineurs anglais. C'est pourquoi en application de cette décision, Caeluwaert adressa au président de l'Association charbonnière une demande d'augmentation de 10 p. c., sachant très bien qu'elle ne serait pas accordée et s'en servant comme prétexte pour déclencher la grève.

Un référendum fut organisé le 17 septembre afin de demander l'avis des mineurs sur la grève en cas de non-acceptation de l'augmentation. Or, il s'avéra qu'une fraction importante des ouvriers houilleurs du bassin de Charleroi n'avaient guère envie de cesser le travail. Pourtant, la grève générale démarra le 28 septembre et prit fin au bout de dix jours, le mouvement n'ayant pas été suivi dans les autres bassins.

Les mineurs furieux d'avoir été poussés à faire une grève dont on savait à l'avance qu'elle n'aboutirait pas, s'en prirent à Caeluwaert qui, lors d'un meeting, conspué, soupçonné d'avoir touché une grosse somme d'argent de l'étranger pour faire éclater la grève, ne dut sa sauvegarde qu'à l'intervention de la police dans les bureaux de laquelle il se réfugia. Tombé en disgrâce, il se vit contraint d'entamer une tournée dans les différentes communes de la région de Charleroi afin de se faire accorder un vote de confiance.

En prévision des élections législatives d'octobre 1894, et afin de mettre toutes les chances de leur côté, et de contrer les catholiques et libéraux doctrinaires de l'arrondissement, les leaders ouvriers et progressistes décidèrent de présenter une liste unique Démocrates-Socialistes unis rassemblant les Chevaliers du Travail, le Parti ouvrier et la Fédération démocratique.

Depuis la grève malencontreuse de l'automne 1893, Caeluwaert avait eu le temps de retrouver un peu de son prestige grandement entamé lors des derniers événements. Cependant, sa participation sur la liste n'était pas automatiquement acquise et le choix des candidats ne se fit pas sans difficultés : sa candidature faillit ne jamais être retenue lors de la constitution de la liste. Les huit candidatures à se partager faisaient l'objet d'une rude compétition entre les trois groupes, chacun défendant ses propres candidats et les Chevaliers du Travail qui allèrent jusqu'à considérer la carrière de Caeluwaert comme étant finie, proposèrent à Furnémont une des candidatures. Il aurait très bien pu être sacrifié et il fallut l'intervention de des Essarts pour que son nom figure finalement sur la liste.

(page 55) Le 21 octobre 1894, au second tour, alors que de nombreux journaux pronostiquaient son échec, Caeluwaert est élu avec 68.558 voix, tout en étant le moins favorisé des candidats démocrates-socialistes. Réélu six fois consécutivement, il siégera au Parlement au sein du groupe socialiste jusqu'à sa mort en 1918. « Député mineur », il soutiendra tout au long de ses mandats parlementaires le groupe des houilleurs dont il s'était fait le porte-parole.

S'il interrompit certaines de ses anciennes activités (il démissionna notamment du conseil de prud'hommes et abandonnera sa fonction de président au sein de l'assemblée des Chevaliers du Travail de Jumet-Gohyssart), il poursuivra la lutte pour les huit heures, le suffrage universel et la question des salaires en qualité de Grand Maître des Chevaliers du Travail et de délégué au Comité international des Mineurs, et restera correspondant du Journal de Charleroi dans lequel il publiera de nombreux articles, notamment sur les conditions de vie des mineurs, dont la presse catholique prétendra qu'ils furent rédigés par des Essarts.

En 1897, les élections législatives sont proches. Mais le bruit courut que les « intellectuels » du Parti ouvrier voulaient éliminer les représentants ouvriers comme Caeluwaert, Lambillotte et Léonard, leur disant qu'ils joueraient un rôle plus important en dehors du Parlement. En réalité Caeluwaert ne fut jamais inquiété.

Le 20 octobre 1907, il fut élu conseiller communal de la commune de Roux sur la liste socialiste-libérale-progressiste. Il fut élu échevin de la même commune le 25 mai 1912.

La trace de Caeluwaert se perd durant la période 1914-1918 et nous ignorons à peu près tout de sa vie et de ses activités pendant la guerre. C'est le 17 novembre 1918 qu'on le retrouve lors d'un conseil échevinal où l'on discute une dernière fois de la réception pour accueillir les troupes alliées. Le 18, il est 7 h 30 du matin lorsque Caeluwaert s'écroule foudroyé par une crise cardiaque. Il était âgé de septante-deux ans. Ironie du destin, Caeluwaert s'est éteint quelques jours avant la rentrée parlementaire où le roi Albert Ier annonçait le suffrage universel.


Voir aussi

1° MICHEL J., La Chevalerie du travail (1890-1906). Force ou faiblesse du mouvement ouvrier belge ?, dans Revue belge d’histoire contemporaine, 1978, t. 1-2, pp. 117-164)

2° LORIAUX F. Jean Caeluwaert (1846-1918) : de la fosse à l’hémicycle. Essai de biographie familiale (ULC, 1990, mémoire de licence)