Buls Charles, Gommaire, François liberal
né en 1837 à Bruxelles décédé en 1914 à Ixelles
Représentant entre 1882 et 1894, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait du Soir , du 15 juillet 1914)
Mort de M. Charles Buls
M. Charles Buls, ancien député de Bruxelles, de la Ligue de l'enseignement et qui fut pendant dix-huit ans bourgmestre de la capitale, est mort hier soit des suites d'une congestion cérébrale survenue vendredi.
C'est une figure essentiellement populaire de la capitale qui disparaît. M. Buls faisait pour ainsi dire partie intégrante du décor de la cité. III avait été associé intimement pendant ses dix-huit ans de première magistrature communale à tous les événements grands et petits, à toutes les questions intéressant le développement et l'extension de la belle capitale dont la Belgique s'enorgueillit.
Son nom reste pour toujours attaché à la restauration des maisons de notre Grand-Place, ce pur joyau qui fait l'admiration du monde entier. Il prodigua tous ses efforts, sans se lasser, auprès des pouvoirs publics, des propriétaires d’immeubles et parmi les artistes pour garder à nos vieux monuments, à nos belles maisons du XVIIème siècle leur véritable caractère architectural.
Une plaque scellée sous la première arcade de la maison de l'Etoile, Grand-Place. marque la gratitude de tous ceux qui se préoccupent de sauvegarder intégralement, fidèlement toutes les beautés du visage de la ville.
Le nom de M. Charles Buls reste associé également à la cause du développement de l'enseignement public. On était habitué à voir se profiler son corps sec et nerveux, sa physionomie de Méphisto débonnaire à la tribune des grandes réunions publiques où les questions scolaires étaient débattues. II parlait simplement, lentement, d'une voix tremblotante, où passait parfois comme un accent de colère et de menace.
Allez au Musée moderne vous verrez M. Charles Buls dans un tableau célèbre de Verlat, conduisant l'école modèle qu'il avait fondée avec Tempels, à la revue des écoles de 1878, place des Palais.
M. Buls s'occupait encore passionnément de l'Université libre de Bruxelles. C'est lui qui, lors des récentes fêtes du 75ème anniversaire, remit, au nom d'un groupe d'amis de l'Université, un chèque important, de plus d'un million.
Il y a semaines encore, il présidait les fêtes du XXVème anniversaire de l'extension de l'Université libre.
Rappelons enfin les fêtes qui eurent lieu il y a un an et demi, organisées par la Ligue de l'enseignement, .pour commémorer la fondation de l'école normale de la ville de Bruxelles, dans le vestibule de laquelle un médaillon reproduit maintenant les traits du bourgmestre défunt. La fondation Buls-Tempels, créée avec le produit des souscriptions, et qui doit servir à promouvoir, parmi les membres du corps enseignant, tous les progrès pédagogiques, perpétuera également la mémoire de celui qu'on appela parfois le « Jean Macé » belge.
Une seule ombre au tableau : M. Buls se fit parfois trop bénévolement le défenseur des revendications flamingantes. Il est vrai que c'était du temps ou celles-ci, dans une certaine mesure et dans certains domaines, paraissaient justifiées. Les flamingants continuèrent à se servir de « Onze Karel » comme d'un drapeau.
Les habitants du centre de la Ville connaissaient, aimaient la physionomie populaire, la silhouette élégante, la démarche un peu sautillante de l'alerte vieillard qui vient de mourir.
Pendant quelque temps encore, ils le chercheront des yeux, à l'heure de midi, alors qu'il descendait, un foulard de soie blanche au cou, vers un grand restaurant du centre où il allait déjeuner et rencontrer des amis avec lesquels il parlait enseignement, défense des sites et des monuments, protection des arbres. (Il était président de la Ligue des amis de la forêt de Soignes qui compte aujourd’hui 5,500 membres.)
Sa carrière politique
M. Charles Buls était né à Bruxelles en 1837. Son père, un orfèvre bien connu, lui fit faire de bonnes études à l’athénée, puis le fit voyager à travers l’Europe. M. Charles Buls garda toute sa vie le goût des voyages. Il a écrit sur le Siam, certaines régions balkaniques, d’autres pays encore, des brochures qu’on lit avec plaisir, de même qu’on entendait, dans les cercles d’éducation populaire, les conférences qu’il faisait sur ces sujets, illustrées de belles projections lumineuses.
En 1864, M. Buls fonda la Ligue de l’enseignement, inspirée de la société « tot nut van ‘t algemeen », qu’il avait étudiée en Hollande.
En 1877, à la mort de M. Funck, il brigua un mandat politique et fut nommé conseiller communal. Dès lors commence son ascension.
Ascension rapide du reste.
18 février 1879 : M. Charles Buls est nommé échevin dé l'instruction publique, poste qu'il remplit au mieux de son mandat.
En 1881, il prend possession de l'écharpe de bourgmestre de Bruxelles délaissée par Vanderstraeten.
Nommé à un moment difficile, alors que les affaires de la ville étaient en plein gâchis, M. Buls y fit des prodiges de merveilles et répara en peu de temps le désordre qui y régnait en maître en suite de la précédente administration. Au début de son règne, une grève d’ouvriers ébénistes éclata à Bruxelles. Le bourgmestre, appelant dans son cabinet les patrons et les ouvriers, parvint à taire comprendre aux premiers ce que les réclamations des ouvriers en grève avaient de fondé, et rétablit l'accord.
La Bourse du Travail copiée sur le modèle de celle de Paris, et l'école d'arts décoratifs, étaient provenues de l'initiative du nouveau magistrat. La popularité méritée souriait au jeune bourgmestre, administrateur intelligent des intérêts de ses commettants.
En 1882, grâce à l'augmentation du nombre de ses habitants, Bruxelles avait deux députés de plus à élire. M. Buls fut choisi et, tranquillement, sans aucune protestation. passa en tête de la liste de l'Association libérale.
Culbuté en 1884 avec le gouvernement libral, M. Buls fut réélu en 1888 : il siégea à la Constituante, puis fut renversé en 1894.
M. Charles Buls touriste et voyageur
Comme nous le disons plus haut, M. Buls a beaucoup voyagé en Europe, Il a vu aussi l'Inde, l'Afrique, l'Amérique. Certains de voyages lui ont inspiré ses « Croquis siamoi » et ses « Croquis congolais. »
Charles Buls a beaucoup écrit. Son « Esthétique des villes », publiée en 1896, fit grand bruit. Et parmi les revues, les journaux auxquels il collabora, il faut rappeler « La Liberté », « La Discussion », « La Revue trimestrielle », « La Revue de Belgique », « L'Art moderne », « La Fédération artistique », « L'Emulation », « La Belgique artistique et littéraire. »
M. Buls était membre correspondant de la classe des beaux-arts de l'Académie royale de Belgique, membre effectif de la Commission royale des monuments et des sites. etc.
Le coup de canne de 1893
En 1893, au cours de l'agitation révisionniste. M.. Buls reçut, avenue Louise. dans des conditions qui sont demeurées mystérieuses, un coup de canne plombée.
On rapprocha cet attentat d’un article que M. Edmond Picard avait écrit quelques jours auparavant et dans lequel il qu'en rêve il avait vu des ouvriers et des gardes civiques fourbus allant demander compte au bourgmestre de Bruxelles de certaines mesures de police draconiennes.
M. Edmond Picard tut arrêté et fit, à la prison des Petits-Carmes, « quarante-huit heures de pistole », qu'il a racontées dans une brochure bien connue.
Les funérailles
On a trouvé au domicile du défunt, rue du Beau-Site, un testament de sa main datant du 3 juin 1888 et ainsi rédigé : « Je veux être enterré civilement dans l'intimité, sans aucun discours. »
Dès que la nouvelle de la mort fut connue, de nombreuses personnalités du monde politique et artistique défilèrent dans la petite maison dé la rue du Beau-Site où repose, aujourd'hui, dans le calme de la mort, celui qui a combattu toute sa vie.
(Extrait de L’Indépendance belge, du 15 juillet 1914)
Mort de Charlers Buls
Comme nous l'avons annoncé dans notre édition de mardi matin, M. Charles Buls, ancien bourgmestre de Bruxelles, a succombé lundi soir aux suites d'une congestion dont il avait été frappé l'avant-veille, et la nouvelle de sa maladie s'était à peine répandue dans le public que ses nombreux amis ont été douloureusement surpris par sa brusque disparition.
C'est une très noble figure qui s'efface et bien que M. Buls ne fut pas à proprement parler un homme politique, dans le sens que comporte généralement cette définition, il a tenu une large place dans la bataille pour des idées et des principes et il fut de ceux que le parti libéral peut réclamer avec un orgueil comme siens. Il résumait le type parfait du grand bourgeois bruxellois passionné d'art et de science, l'esprit toujours en éveil et sachant à l'heure voulue faire résolument le geste qu'il convenait de faire.
Il était né à Bruxelles en 1837 et dès sa sortie de l'Athénée royal il compléta sa culture générale par de longs voyages. Toute sa vie durant, il eut la passion des routes nouvelles, des horizons élargis, des cités lointaines.
Les questions d'enseignement surtout préoccupaient son esprit généreux et il fut un des fondateurs, en 1864, de la Ligue de l'Enseignement, dont il devait devenir plus tard le président d'une rare vaillance et d'une féconde activité.
Charles Buls apparut pour la première fois sur le terrain politique en 1870, aux côte de ses amis Charles Graux et Léon Vanderkindere. En 1877, il entra au conseil communal de la capitale et deux ans plus tard il succéda à Ernest Allard comme échevin de l'instruction publique.
Ce fut en 1881 que Charles Buls devint bourgmestre de Bruxelles, poste qu'il devait occuper pendant dix-huit ans. Ce fut là qu'il donna toute sa mesure; ce fut là qu'il fit apprécier son esprit sincèrement libéral.
M. Buls fut un des plus ardents défenseurs de l'école publique que compte la Belgique. Pendant plusieurs législatures, il siégea à la Chambre comme député libérai de Bruxelles et il s'y occupa surtout de questions d'enseignement et des intérêts de la capitale. Quand les cléricaux commencèrent leur politique systématiquement dirigée contre l'école publique, on sait comment M. Buls réunit à Bruxelles les bourgmestres des principales villes du pays et comment il leur fit prêter solennellement le serment de défendre les écoles. Ce « compromis des Communes » fit grande impression et attesta l'inébranlable volonté du parti libéral de epas renoncer à son rôle historique.
Bruxelles beaucoup à M. Charles Buls, qui, par la plume et la parole, fit une incessante propagande pour l'« Esthétique des villes. » Il s'employa activement, avec M. De Mot, à réaliser la restauration artistique de la Grand-Place sur les plans primitifs et la part qu'il prit à cette œuvre est dignement commémorée par le mémorial de Victor Rousseau, placé à côté de l’hôtel de ville.
Bourgmestre de Bruxelles, M. Buls connut des heures difficiles, comme il s’en présente toujours dans la vie des grandes cités. Dans ces circonstances-là comme dans toutes les autres, il apparut comme ayant une haute conscience de son devoir. Pendant la période d'effervescence de 1893, il fut victime, avenue Louise, d'une attaque qui provoqua la plus grande indignation au sein de la population. Le plus bel éloge que l'on puisse faire d'un premier magistrat, chef de la police el gardien de l'ordre et de la paix publique, c'est de constater que son attitude même dans les circonstances les plus difficiles, n'a pas laissé subsister de rancunes chez aucun des éléments qui furent aux prises. M. Buls avait mérité pleinement cet éloge-là et il n'avait rien perdu de sa popularité. Il abandonna le poste de premier magistrat de la capitale en 1899, cédant l'écharpe à M. De Mot, qui était depuis longtemps son collaborateur à l'hôtel de ville.
M. Buls mit à profit les loisirs que lui donnait sa retraite politique pour satisfaire sa passion des voyages. Faut-il rappeler son voyage au Congo, en 1898, voyage qui lui fournit la matière d'un très beau livre consacré à l'œuvre des Belges en Afrique et d'innombrables conférences par lesquelles il contribua puissamment à populariser la cause coloniale chez nous ? Il avait visité toute l'Europe, l'Egypte et l'Asie Mineure. Il y a deux ans, il entreprit un voyage en Afrique du Sud ; il y a quelques semaines encore, il se trouvait à Florence ; il se préparait à partir pour l'Allemagne quand la mort est venue le surprendre.
Cette belle activité chez un homme qui avait fourni une si grande carrière et sur lequel les ans ne paraissaient pas avoir de prise faisait l'admiration de tous ceux qui le connaissaient. Il justifiait ainsi sa belle devise : « Le repos rouille » et jusqu'à la fin il est resté debout, dans la lutte pour les idées qui lui étaient chères.
Ce fut lui qui, en 1911, sous la menace du projet scolaire de M. Schollaert, détermina, par la Ligue de l'enseignement, le vaste mouvement de résistance que l'on sait; ce fut lui qui s'employa à recueillir des ressources nouvelles pour l'Université libre de Bruxelles.
La vie de M. Charles Buls fut une vie d'une belle unité par l'effort soutenu pour des convictions sincères, par la noblesse du caractère, par la haute sérénité de l'esprit et de la conscience. C'est pourquoi tous les braves gens de ce pays, quelle que soit l'étiquette politique dont ils se réclament s’inclineront avec respect devant cet homme qui disparaît après avoir accompli plus et mieux que tout son devoir d'homme et de citoyen.
(Extrait du Journal de Bruxelles, du 15 juillet 1914)
M. Charles Buls
Ainsi que nous l'avons annoncé déjà dans une précédente édition,
M. Charles Buls est mort lundi soir.
M. Charles Buls était, à l'égard au catholicisme, un sectaire, et sa vie, qui par ailleurs ne fut pas sans noblesse, demeure, à nos yeux, entachée de maints actes que lui dicta sa passion « anticléricale » : nous ne pouvons oublier, notamment, le 7 septembre.
Charles Buls était né en 1837. Fils d'un important orfèvre bruxellois, il fut destiné tout d'abord à prendre la succession des affaires paternelles. Après avoir suivi les cours de l'Athénée de Bruxelles, il fut envoyé à Paris, puis en Italie, pour y compléter ses études professionnelles. A son retour au pays, il fréquenta l'atelier du sculpteur Léonard et commença ensuite d'exercer son métier. Mais il avait la passion des voyages. Tout le temps qu'il pouvait dérober aux affaires, il le consacrait à parcourir l'Europe.
Il n'avait pas que la passion des voyages ; il avait aussi celle de l'anticléricalisme. Il cherchait dans ses voyages de quoi alimenter son anticléricalisme. C'est en Hollande où fonctionnait une association pour le développement de l'enseignement populaire » nommée : Tot nut van 't algemeen, c'est en France, où Jean Macé et Paul Bert venaient de fonder sous le patronage occulte des Loges, la Ligue de I enseignement, qu'il prit l'inspiration de la création de la Ligue de l'enseignement belge, dont il fut le secrétaire-général pendant dix-sept années. On connaît les tendances de cette Ligue. Elles se caractérisèrent, dès le début, par la campagne que la Ligue mena pour la révision de la loi de 1842 sur l'enseignement, résultat d'un accord des deux partis alors existants et qui laissait une base chrétienne à l'enseignement populaire. Les hommes de la Ligue réclamaient aussi l'enseignement obligatoire.
La réforme de la loi de 1842 et l’enseignement obligatoire ne souriaient pas à beaucoup de libéraux modérés. Par ses opinions en matière scolaire, par ses vues plus larges que celles des doctrinaires d'alors à l'égard du mouvement social dont l'Internationale, qui venait de se fonder, était la manifestation la plus bruyante et la plus inquiétante, par ses relations personnelles aussi avec les jeunes avocats bruxellois qui le composaient et dont la plupart avaient été ses condisciples, M. Buls se trouva rejeté du côté du groupe de « La Liberté » au moment où celui-ci s'organisa. Le groupe « de la Liberté », ainsi appelé du nom de l'hebdomadaire qui en était l'organe, c'étaient M. Vanderkindere, Graux, M. Picard, M. Olin – les radicaux de l’époque. La plupart, d’ailleurs, ne le restèrent pas longtemps : nantis de portefeuilles dans le ca binet libéral de 1878-1884, ils devinrent des piliers de la politique de Frère-Orban; il n'y eut guère que Picard qui resta fidèle aux tendances de « La Liberté » et il le fit bien voir à ses amis d'antan ralliés à la politique doctrinaire ; il ne leur ménagea pas les étrivières.
Mais revenons à M. Buls. Il fut, à la veille d'une élection législature, candidat à un poll de l'Association libérale avec M. Paul Janson comme représentant d'un programme en tête duquel figurait la révision l'article 47 de la Constitution : c'était là l'une des revendications essentielles de « La Liberté ». M. Janson et lui échouèrent au poll ; ils échouèrent de même devant le corps électoral, auquel ils en avaient appelé.
Mais un peu plus tard, la « jeune gauche » parvint à faire ouvrir les portes de l'Association libérale aux non-électeurs ; grâce à ceux-ci, elle y conquit une majorité.
C'est ainsi que M. Janson et quelques-uns de ses ami arrivèrent à la Chambre.
En 1877 Buls entra au conseil communal de Bruxelles. En 1879, il fut nommé échevin. En 1881 il devint bourgmestre, et, en 1882, député.
Nous avons déjà marqué combien il s’intéressait aux questions d’enseignement. C'est comme échevin de l'instruction publique qu'il était entré dans le Collège ; l'instruction publique demeura aussi le principal objet de son activité quand il devint bourgmestre. Incontestablement, il a beaucoup fait pour les écoles communales de Bruxelles ; du point de vue pédagogique, nous croyons que son action fut souvent bonne ; on sait les réserves que les catholiques ont à faire sur son action scolaire à un autre point de vue.
Il fut éliminé de la Chambre par les « élections du soulagement universel » en juin 1884. Il y rentra en 1888 pour en être écarté à nouveau en 1894 lors de la première application de ce suffrage universel qu'il avait réclamé quinze ans auparavant avec La Liberté.
II avait, d'ailleurs, depuis plusieurs années modifié ses opinions d'antan sur plus d'un point. Il n'était plus radical du tout. Quand, après le désastre libéral de 1884, une scission éclata, à Bruxelles, entre les vaincus et que les doctrinaires quittèrent l'Association libérale pour fonder la Ligue libérale, il devint un des grands hommes de cette dernière. Et Le Peuple rappelle avec justesse les démêlés de M. Buls, au conseil communal, avec les social quand il écrit :
« Quand, en 1896, un groupe socialiste nombreux pénétra au conseil communal, la lutte fut âpre ct chaude entre les nouveaux venus présentant coup sur coup leurs projets de réformes, et le groupe doctrinaire qui, sous la conduite du bourgmestre, les repoussait de toutes ses forces. Une première fois, le succès imprévu du projet socialiste établissant le minimum de salaire pour les ouvriers de la ville détermina Charles Buls à démissionner. Il céda cependant aux sollicitations de ses amis et reprit son écharpe. Ce ne fut pas pour longtemps. La lutte, dans les conditions nouvelles où elle se poursuivait lui déplaisait, semble-t-il. Sa santé, ébranlée par un travail acharné, exigeait, d'autre part, du repos. Il quitta définitivement son poste en 99. Il n'a plus fait, depuis, de politique de parti. »
C'était en 1889. Pour la première fois la représentation proportionnelle divisait le Conseil communal en trois groupes ; pour la première fois il n'y avait plus au Conseil une majorité libérale homogène. Le bourgmestre libéral ne voulait pas administrer sans l'appui d'une telle majorité. Il ne voulait pas administrer par le moyen de compromissions avec les socialistes.
II avait appris à les connaître comme chef de la police, fonctions que - réserve faite pour la journée du 7 septembre - il eut toujours à cœur d’exercer avec conscience et énergie. Aussi – et c’est là un incident des démêlés de M. Buls avec les socialistes que « Le Peuple » a soin de ne pas rappeler – l’ex-bourgmestre qui vient de décéder fut-il, lors des émeutes de 1893 « pour la révision », l’une des bêtes noires des émeutiers : il fut même l’objet d’une agression de leur par avenue Louise ; on le frappa lâchement d’un coup de matraque. On rapprocha cet attentat d'un article que M. Edmond Picard avait écrit quelques jours auparavant et dans lequel il disait qu'en rêve il avait vu des ouvriers et des gardes civiques fourbus allant demander compte au bourgmestre de de certaines mesures de police draconiennes. M. Edmond Picard fut arrêté et fit, à la prison des Petits-Carmes, « quarante-huit heures de pistole », qu'il a racontées ensuite dans une brochure.
Après sa démission de bourgmestre, M. Buls ne toucha plus la politique qu'Indirectement, par la Ligue de l'enseignement, dont il était redevenu président et à laquelle il souffla un esprit de combativité nouveau sur le terrain de la « laïcisation. » Lors de la campagne cartelliste contre le projet Schollaert en 1911-1912, il prononça dans quelques meetings des discours remplis d'une sorte de haine sauvage contre l'enseignement libre et contre les cléricaux il en voulait surtout aux religieux et aux religieuses ; cet homme d'habitude courtois et dont l'esprit était relevé, multipliait contre eux la et grossière et vulgaire injure : « vermine noire. »
II continua à voyager beaucoup. Il avait visité à peu près le monde entier. De retour d'un voyage, il faisait à leur sujet des conférences, d'ailleurs plutôt ennuyeuses.
On sait combien M. Buls était préoccupé d'esthétique. Il avait a ce sujet des idées originales et sagement novatrices, qui rencontraient en plus d'un point avec celles de l'école Saint-Luc. C'est à lui en bonne partie qu'est due la restauration de la Grand-Place, et par là déjà son nom mérite de vivre dans la mémoire des Bruxellois. Les artistes, on se le rappelle lui témoignèrent leur gratitude, une fois ia restauration terminée en lui consacrant un gracieux mémorial, dû au sculpteur V. Rousseaux, placé sous la maison de l’Etoile reconstruite à l’angle de la rue de l'Hôtel-de-ViIIe, depuis rue Charles Buis.
Il eut d'autres Initiatives heureuses encore pour l'embellissement de la capitale. Il enrichit les collections artistiques de la ville. Il continuait à s'intéresser beaucoup à tout ce qui concernait l'esthétique de celle-ci ; il était président du comité du Vieux-Bruxelles. II présidait aussi, aux côtés de M. Carton de Wiart, ministre de la Justice, et de notre confrère Jean d'Ardenne, la Ligue des Amis de la Forêt de Soignes.
Il a beaucoup publié. Son « Esthétique des villes », parue en I186,. fit grand bruit. Et parmi les revues, les journaux auxquels il collabora, il faut rappeler « La Liberté », « La Discussion », « La Revue trimestrielle », « La Revue de Belgique », « L’Art moderne », « La Fédération artistique », « L’Emulation », « La Belgique artistique et littéraire. »
M. Buls était membre correspondant de la classe des beaux-arts de l'Académie royale de Belgique, membre effectif de la Commission royale des monuments et des sites, etc.
Il parlait plusieurs langues étrangères, ce qui ne l'empêchait pas de parler fort bien nos deux langues nationales. Il se montra toujours très sympathique au « mouvement flamand. »
Incontestablement il a joué un grand rôle à Bruxelles. II aura donné l'exemple d'une vie consacrée de la façon la plus désintéressée au bien public, à la cité où il était né et quelques autres causes, qu'il comprenait mal, hélas mais par une erreur qui n'excluait pas la générosité du mobile.
(Extrait du Journal de Bruxelles , du 19 juillet 1914)
On enterrait aujourd'hui celui que les Bruxellois appelèrent toujours « M. Buls. », tandis qu'ils disaient « De Mot » ; et, pour légère qu'elle parût, cette nuance avait son prix. La figure de M. Buls fut familière à la foule, sans que jamais cette même foule osât prendre à son égard aucune familiarité : la sécheresse de son aspect, la gravité presque drôle de sa figure immobile, la raideur de son maintien, tenaient, malgré lui peut-être, les sympathies à distance; et il aura eu cette étrange fortune de devenir bourgmestre de la ville du monde l'on rit le plus, lui qui, de sa vie, n'avait jamais ri…
Un journal donne aujourd'hui un curieux instantané qui représente M. Buls haranguant les multitudes pendant la campagne scolaire.. M. Buls a l'air si grave, si trsite et si compassé, qu'on dirait qu'il prononce là une discours devant une tombe. De fait, chaque fois qu'il parlait, il semblait que M. Busl fît une oraison funèbre, tant restaient toujours austères sa voix, son geste, sa mimique. S'il risquait une plaisanterie au milieu d'une conférence, il gardait un air si triste qu'on se serait cru au cimetière, incliné sur quelque fosse prématurément ouverte...
Oui, en vérité, M. Buls parlait toujours devant une tombe; et cette tombe tout fraîchement creusée, c'était celle du libéralisme où avec son maitre Van Humbeeck, « fossoyeur du cléricalisme », il avait un jour, par mégarde, enterré la Doctrine malade...
(Extrait de Les Hommes du jour, 1884, n°24)
C'est Beaumarchais, je crois, qui a dit : « Ce sont les petits hommes qui redoutent les petits écrits. » A ce compte, M. Buls n'est point un petit homme car il est, s'il faut l'en croire, ceint d'un triple airain vis-à-vis des appréciations de la presse.
Si notre mayeur dit vrai - et nous n'avons aucune raison pour ne pas le croire - tant mieux, car il est attaqué d'une façon continue par certains journalistes bruxellois. « L'Etoile Belge » surtout critique M. Buls avec un parti-pris évident.
L'ancienne protégée des d'Orléans avait l'habitude, du temps de l'administration Anspach et Vanderstraete-St-Laurent, d'être chez elle à l'hôtel de ville, transformé en bureau de renseignements pour le journal de la rue des Sables. Le bourgmestre actuel a mis bon ordre à tout cela. De là la rage sourde des plumitifs en question contre le mayeur bruxellois.
M. Charles Buls est né à Bruxelles en 1837. Il a fait des études complètes à l'athénée, section professionnelle et, voulant ensuite ajouter à cette éducation pratique des études humanitaires, il passa un an à Paris, un an en Italie, étudiant l'italien, le latin et l'antiquité dans ses chefs d'œuvre.
A son retour en Belgique, son père l'initia à la profession d'orfèvre et pour compléter ses connaissances artistiques, le jeune Buls entra dans l'atelier du sculpteur Léonard.
Buls a la passion des voyages. Il a parcouru l'Europe entière, visité les musées et les écoles à seule fin d'étudier toutes les questions se rapportant à l'enseignement et aux beaux-arts.
En 1864, il avait alors 27 ans, au retour d'une excursion faite en Hollande, à l'occasion du Congrès des sciences sociales, Buls fut frappé des avantages que ce pays avait retiré de la société Tot nut van 't algemeen.
Il réunit quelques amis et proposa la fondation de la Ligue de l'Enseignement.
Cette société peut revendiquer une bonne part des réformes introduites dans le domaine pédagogique en Belgique. C'est grâce à elle que le parti libéral a été obligé, enfin, de réviser la loi de 1842 sur l'instruction, de parfaire les programmes et de rendre un peu moins superficielle l'instruction des masses. Buls fut pendant 17 ans le secrétaire général de la Ligue. Après une interruption de deux années, cette Ligue vient de se reconstituer. Espérons qu'elle continuera sa propagande, car il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de l'instruction et de l'éducation populaires, au triple point de vue de développement intellectuel, moral et physique du peuple.
En 1870, Charles Buls reprit les affaires de son père, mais ses goûts le portaient plutôt vers les études littéraires et pédagogiques. Il occupa donc ses loisirs à collaborer à la « Revue Trimestrielle », puis à la « Discussion » et ensuite à la « Revue de Belgique ». Il y traitait spécialement les questions de beaux-arts et d'enseignement et y rendait compte de ce qu'il avait observé dans ce domaine pendant ses voyages.
Naturellement, le mouvement politique ne le laissa point indifférent. Il collabora donc avec son ami et beau-frère, M. Léon Vanderkindere, à la « Liberté » de MM. Graux, Picard et Olin. Il fit plus : lors de la dissolution des Chambres, en 1870, en compagnie de MM. Picard, Graux, et Vanderkindere, Buls se mit sur les rangs pour la Chambre. On connaît la fameuse lettre-manifeste publiée alors par ces messieurs.
Rappelons néanmoins, en deux lignes, les idées principales qu'elle contenait.
D'abord, Ch. Buls, comme ses collègues en candidature, croyait que « l'époque n'est pas éloignée où il faudra trouver à tout prix une solution aux graves problèmes économiques qui concernent la classe ouvrière. »
Ensuite, il disait » qu'il faut rompre absolument avec cette vieille politique immobile et doctrinaire qui nous a isolés du mouvement européen. »
De plus, il voulait » la révision immédiate de l'article 47 de la Constitution et l'adjonction au corps électoral d'une partie considérable de la classe ouvrière. »
Buls obtint une trentaine de voix sur 442 votants à l'Association libérale, mais se présenta devant les électeurs et sur 9021 votants obtint 675 suffrages.
Cet échec le découragea probablement, car il resta plusieurs années sans s'occuper, d'une façon active, de politique. La Ligue de l'Enseignement continuait cependant sa propagande. La création de l'Ecole modèle et du Denier des écoles eurent dans Buls un vaillant coopérateur.
A la mort de M. Funck, Buls se présenta à l'Association libérale pour le siège devenu vacant à l'hôtel de ville. Cette fois il arriva bon premier et fut nommé conseiller communal le 27 juin 1877.
Moins de deux années plus tard, le 18 février 1879, Buls fut nommé échevin de l'instruction publique. Ici, le secrétaire général de la Ligue de l'Enseignement se trouvait bien à sa place. La besogne fut rude, mais, travailleur infatigable, Ch. Buls parvint, en peu de temps, à réorganiser complètement les méthodes et les programmes. La situation du personnel enseignant fut améliorée; l'enseignement des filles fut développé ; des bibliothèques populaires furent créées dans chaque école ; les cours d'adultes et normaux furent également l'objet de nombreuses améliorations.
Il fit plus : comprenant tout l'avantage, au point de vue économique, de l'apprentissage des métiers manuels, Buls organisa dans quelques écoles des cours de menuiserie, serrurerie, etc.
Ce n'est là évidemment qu'un simple essai. L'instruction professionnelle est trop sérieuse et trop nécessaire pour qu'on ne s'en occupe point. Déjà dans des pays voisins cette branche a pris un développement rapide et donne des résultats concluants.
Après les incidents qui provoquèrent, en 1881, la démission du bourgmestre Vanderstraete, Buls fut choisi par le collège pour remplir provisoirement le poste de bourgmestre.
Qu'arriva-t-il alors? Le démon de l'ambition rongea-t-il l'âme de l'échevin de l'instruction publique ?
L'écharpe de bourgmestre lui fit-elle tourner la tête ? Nul ne le sait. Cependant, tout le monde, à Bruxelles, sut bientôt que Buls briguait la place du célèbre Vanderstraete. Le ministère se fit tirer l'oreille. Il eut peur de voir la capitale entre les mains d'un homme qu'il considérait comme dangereux pour la tranquillité publique. Enfin, grâce, dit-on, à M. Graux ministre des finances, Buls fut nommé bourgmestre et abandonna l'échevinat de l'instruction à M. André.
Nous regrettons sincèrement cette décision. Buls, comme échevin de l'instruction publique avait fait de grandes choses en peu de temps, mais il restait néanmoins beaucoup à faire. Le poste qu'il occupe aujourd'hui et qu'il remplit très consciencieusement lui donne peu de loisirs pour qu'il puisse continuer à surveiller les écoles et à y achever la tâche qu'il avait si bien commencée.
Administrateur excellent, sans pitié aucune pour la routine administrative et bureaucratique, le bourgmestre de Bruxelles remplit bien son emploi. Nommé à un moment difficile, alors que les affaires de la ville étaient dans un beau gâchis, nous devons déclarer que Buls y a fait des prodiges de merveilles.
Depuis longtemps le désordre régnait en maître à l'hôtel de ville. Allez voir maintenant et vous m'en direz des nouvelles ! La maison commune est bien tenue. L'ordre et la propreté y règnent partout et pour qui connaît l'incurie des fonctionnaires et l'esprit de routine qui les anime, il faut reconnaître que ce n'est pas sans peine que le résultat actuel a été obtenu.
Cependant, Buls ne fait pas assez pour les classes ouvrières. La ville occupe un personnel ouvrier très nombreux qui n'est pas toujours rémunéré comme il devrait l'être. De plus, dans ses contrats avec les entrepreneurs, dans les cahiers de charges, etc., le bourgmestre, représentant la population de la ville, oublie un peu trop les intérêts de la masse ouvrière.
Déjà lors de la grève des ébénistes, le bourgmestre, en appelant dans son cabinet les patrons et les ouvriers de cette industrie, est parvenu à faire comprendre aux premiers ce que les réclamations des ouvriers en grève avaient de fondé. Pourquoi ne pas faire de même lorsque la ville traite avec des entrepreneurs quelconques !
Il est question, dit-on, de l'organisation d'une Bourse du travail à Bruxelles à l'instar de ce qui se pratique à Paris. Le bourgmestre de Bruxelles a étudié de près le mécanisme de l'œuvre parisienne. Espérons qu'il ne tardera pas à saisir le conseil communal d'un projet complet à cet égard.
Le bourgmestre Buls s'est beaucoup occupé aussi des arts décoratifs. Il a publié une série d'articles à ce sujet dans la « Revue de Belgique. » Eh bien! l' « Art Moderne » annonce aujourd'hui que la création à Bruxelles d'une école d'arts décoratifs est chose décidée. Ce journal dit que cette solution est due surtout à l'initiative de M. Ch. Buls.
On le voit, l'échevin de l'instruction publique et même le bourgmestre ne méritent que des éloges.
Il y a malheureusement une ombre à ce beau tableau : M. Karl Buls est un flamingant.
Rien de plus juste, de plus rationnel que de publier, dans les deux langues, tout ce qui intéresse la population quand, comme c'est le cas à Bruxelles, une partie des habitants ne connaît point le français. Rien de plus juste non plus que de permettre aux citoyens flamands d'être instruits, d'être jugés dans, leur langue maternelle. Mais ce mouvement flamingant est arrivé aujourd'hui à une exagération telle qu'il soulève une critique quasi-générale. Grâce à la complaisante complicité de quelques hommes du pouvoir, les chefs de ce mouvement poussent leurs réclamations jusqu'au point où elles touchent au grotesque.
Ce mouvement a été pour beaucoup un moyen d'arriver. Des places très lucratives sont créées spécialement pour ces messieurs qui se reconnaissent pour la plupart par leurs longs cheveux... et leur aplomb imperturbable.
Ce mouvement, dont Buls est un complice complaisant et dévoué, a pour résultat de diviser profondément le pays, comme si nous n'en avions pas encore assez de la division entre libéraux et cléricaux. Bien plus, ce prétendu mouvement national est surtout anti-français.
M. Hoste, l'impayable - quoique bien payé - écrivain flamingant, vient de nous en donner un nouvel exemple, aux applaudissements unanimes des cléricaux et autres partisans de l'ancien régime. C'est Bismarck qui doit être content de la belle besogne des bonshommes du In Vlaanderen vlaamsch !
Nous protestons contre cette tendance, et tout ce que le pays à d'intelligent proteste avec nous.
Si nous sommes un peuple libre, c'est à la Révolution française que nous le devons. M. Vanderkindere, un autre apôtre du flamingantisme, écrivait en 1870, après la défaite de la France à Sedan : « L'année 1870 aura vu s'accomplir la véritable Révolution du XIXème siècle ; elle aura fait passer dans le domaine des faits cette suprématie de l'Allemagne dont il n'était pas difficile de prédire l'avènement prochain. La Belgique, quelque petite qu'elle soit, ne sera pas la dernière à sentir qu'un vent nouveau souffle sur le monde. »
Le régime bismarckien et militariste, le régime du sabre, de la discipline et de l'état-de-siège est donc salué par le libéral M. Vanderkindere et autres flamingants de son bord, comme une ère nouvelle ? Eh bien, franchement, c'est du propre !
Que le bourgmestre de Bruxelles s'arrête donc sur la pente qui l'entraîne. Une réaction contre le flamingantisme arrivera nécessairement et comme dans la lutte on exagère souvent des deux côtés, ce que le mouvement flamand a de juste et d'équitable pourrait bien être négligé si la chance du flamingantisme venait à se perdre, ce qui ne peut manquer d'arriver.
Rien d'étonnant du reste à ce que Buls soit un flamingant. Il a la maladie de vouloir parler toutes les langues en leur donnant « l'accent topique. » Son bonheur est d'en faire montre aux nombreux étrangers qui visitent notre hôtel-de-ville. Seulement, certaines visites doivent le chagriner beaucoup ; par exemple, celles d'Alphonse XII, du prince de Portugal et des Marocains, dans lesquelles il s'est trouvé à court et n'a pu placer le moindre speech dans l'idiôme de Cervantes, de Camoëns ou de Mahomet.
Un autre défaut de M. Buls, c'est que, non content d'être bourgmestre, il a voulu être représentant !
« Quand on prend du galon on n'en saurait trop prendre ! »
En 1882, grâce à l'augmentation du nombre de ses habitants, Bruxelles avait deux députés de plus à élire. M. Buls fut choisi, et tranquillement, sans aucune protestation, passa en tête de la liste de l'Association : on trouve tout naturel que le bourgmestre de Bruxelles soit en même temps député ; nous sommes encore à nous demander pourquoi cela est utile.
Comme représentant, Buls, décidément entré en plein dans les filets officiels et doctrinaires, perd de plus en plus ce qui devrait être cher avant tout à un homme public : la dignité et l'indépendance de caractère. Pour plaire au ministère - on pourrait croire que l'écharpe municipale lui a été donnée à ce prix - Buls commet toutes les bassesses. Il n'y a plus de principes qui tiennent : le ministère ne veut pas ceci, ni cela, soit; M. Buls dira comme lui. Lui qui, en 1870, voulait la révision immédiate de la Constitution, vota contre la proposition déposée par les Six. Lui qui, en 1870, voulait que les classes ouvrières aient accès aux urnes électorales vota, sans qu'aucune modification ne fut présentée par lui, la fameuse réforme que l'on sait. Il fit plus, ayant eu un regain d'indépendance, il présenta un amendement qui fut adopté, et au second vote il voulut retirer cet amendement, mais ne le pouvant pas, Buls vota... contre, à seule fin de ne pas déplaire à M. Frère. Jamais notre Parlement, si fertile pourtant en palinodies de tous genres, n'en vit une semblable !
Dans la question des impôts, M. Buls vota avec le ministère et ses souteneurs. Il vota les impôts, « la mort dans l'âme », mais il les vota ; les électeurs ne l'oublieront pas.
Encore un détail : dans les premiers jours de son entrée à la Chambre, Buls signa avec Vanderkindere et Goblet, le projet de loi de réforme électorale de Victor Arnould. Espérons que l'idée de la représentation des intérêts fera son chemin et que M. Buls ne l'abandonnera pas comme il en a abandonné bien d'autres déjà, sous le fallacieux prétexte que le moment n'est pas venu, mais en réalité parce que M. Frère ne le veut point.
On le voit, M. Buls avait bien commencé : il finira mal. S'il était resté simplement échevin ou bourgmestre, nous n'eussions eu qu'à dire du bien de lui. Il en a été autrement.
M. Buls n'a que 46 ans : si jeune encore et déjà si.... doctrinaire !
Hélas !!!
L . B.
(MARTENS M., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1958, t. 30,col. 231-236)
BULS (Charles-Gommaire-Fran çois), conseiller et bourgmestre de la ville de Bruxelles, membre de la Chambre des représentants, né à Bruxelles le 13 octobre 1837, mort à Ixelles le 13 juillet 1914. Il était fils de Charles, Jacques Buis, bijoutier, et d'Anne Thérèse Hellemans.
De santé délicate, il passa une partie de sa jeunesse au château de Gaster, dans le Limbourg ; il ne lui fut donc pas permis de faire des études régulières. De 1849 à 1855, il suivit les cours de la section professionnelle de l'athénée de Bruxelles, où il devait avoir pour ami le futur historien Léon Vanderkindere, qui, plus tard, devait épouser sa sœur. A partir de novembre 1858, Buis étudia le dessin chez le peintre Léonard, se préparant, selon les désirs de son père, à devenir orfèvre.
Dans ce même but, de novembre 1858 à novembre 1859, il fit un séjour à Paris afin d’y suivre des cours de dessin. L'année suivante, il passa neuf mois en Italie où il s'initia à la peinture, à la sculpture, à la gravure et se prit de goût à fréquenter les musées, si riches en chefs-d'œuvre.
Ces différents contacts avec l'étranger lui furent salutaires. Buis put ainsi mesurer la fragilité de ses connaissances ; le désir de s'instruire s'imposa à lui avec d'autant plus de rigueur que, dès son retour en Belgique, il fut mis en rapport avec des hommes qui étaient destinés à occuper un rang dans l'élite de leur pays. Aussi s'adonna-t-il spontanément à des études de langue, latin, anglais, allemand, complétant ainsi sa formation, jusqu'alors limitée au français et au flamand ; de plus, il visita soigneusement, avec Léon Vanderkindere, le musée des frères Vandermaelen, le musée d'histoire naturelle, et herborisa fréquemment.
L'année 1862 marqua pour Buls le début de sa véritable carrière : sans abandonner encore le métier d'orfèvre, il s'initia aux problèmes sociaux qui le porteront, dans la suite, à s'occuper des réformes dans l'enseignement, de politique et, plus tard, d'urbanisme. Cette dernière préoccupation fut favorisée en lui par un goût très vif pour les voyages et l'histoire. Entre 1862 et 1865, les premiers pas furent faits : en 1862, Buis devint compagnon et maître à la Loge des Vrais Amis de l'Union et du Progrès réunis ; il prit part, avec Hector Denis, Emile Féron et Vanderkindere, à la fondation du « Cercle littéraire ». Dès lors, il jouit de plus en plus de l'amitié de libéraux avancés, tels Henri Bergé, Guillaume Degreef, Charles Graux, Paul Janson, Xavier Olin, Hermann Pergameni, Adolphe Prins, Eugène Robert.
En 1864, il fut entraîné dans la politique par son ami Graux et fonda avec quelques amis, à l'exemple de l'association hollandaise « Tot Nut van 't Algemeen », la Ligue de l'Enseignement dont il sera secrétaire de 1864 à 1880, puis président de 1880 à 1883 et de 1905 à 1914. La Ligue française fut créée sur le modèle de la Ligue belge.
Dès 1865 sans doute, il fut gagné aux idées de réforme électorale que vont défendre, au journal «La Liberté, les Edmond Picard, les Paul Janson, les Eugène Robert, les Hector Denis et d'autres et apporta une contribution aux idées nouvelles, en matière d'enseignement surtout. Tout au long de sa vie, il resta fidèle aux principes auxquels il avait adhéré pendant sa jeunesse ; mais il fut en même temps adversaire du désordre et de l'anarchie.
Dans le domaine de l'enseignement, les initiatives de Buis furent nombreuses : il fallait renouveler les méthodes de travail et d'étude et per mettre à chacun de s'instruire d'une façon intelligente et utile. Ceci prépa ait la lutte pour l'instauration de l'instruction obligatoire. Il participa lui-même à l'œuvre d'éducation populaire en inaugurant en 1867 son cours d'histoire des arts décoratifs ; également en exposant un projet d'un musée populaire, projet qu'il amplifiera en 1873-1874 et qui sera partiellement réalisé par l'ouverture du musée communal en 1887. L'année suivante, 1888, Buls fut mis à la tête du mouvement en faveur des arts industriels ou arts appliqués ; dès 1871 l'idée de fonder une école modèle s'étant fait jour, la création en fut décrétée en 1872 ; le 17 octobre 1875 eut lieu l'inauguration de cette institution, qui représentait à l'époque la formule la plus avancée en matière d'enseignement ; Charles Buls en fut le directeur jusqu'en 1878.
A la fin de sa vie, quand il aura quitté depuis longtemps l'arène politique, Buis restera préoccupé de questions d'enseignement et lancera, en 1911, avec son ami Tempels, l'idée de la création d'un institut de pédagogie, qui, à l'instar de l'Institut Solvay en sociologie, s'était donné pour tâche de grouper toutes les formes de recherche en matière d'éducation et d'enseignement.
Buls abandonna la direction de l'École Modèle au moment où ses efforts pour jouer un rôle dans la vie politique de la ville furent couronnés de succès. En 1877, il était devenu conseiller de la ville ; en 1879, il devint échevin de l'Instruction publique, se promettant de réaliser plusieurs des desseins qui lui tenaient à cœur ; il fut bourgmestre de Bruxelles du 17 décembre 1881 au 16 décembre 1899 et membre de la Chambre des représentants de 1882 à 1884 et de 1886 à 1894.
Lié très jeune d'amitié à des hommes favorables aux idées progressistes, Buls prit une part constante, sinon très ardente, à la lutte pour le suffrage universel et pour l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Sans doute, sa politique libérale fut-elle nette, encore que toujours tempérée par le souci que lui inspiraient les diverses classes de la société envers lesquelles, en tant que bourgmestre, il estimait avoir des obligations.
Son mayorat fut marqué de faits politiques graves qui ne trouvèrent en défaut ni son activité, ni son énergie : en 1884, il eut à faire face aux troubles provoqués par la fameuse loi scolaire ; en 1886, la ville subit le contre-coup de l'agitation sociale dans les régions industrielles ; en 1893, lors de manifestations pour le suffrage universel, Buls fut l'objet, avenue Louise, d'un attentat provoqué par des manifestants de tendance avancée ; en 1897 eut lieu la manifestation flamande, sympathique à Buls.
Ce dernier, s'intéressant au sort de l'ouvrier, eut plusieurs fois l'occasion d'en venir aux actes, soit en créant une Bourse du Travail (1886), soit en s'attachant aux difficiles problèmes du minimum de salaire (dès 1896), ou des habitations ouvrières (dès 1897), pour lesquelles il faisait faire des enquêtes dans maints pays d'Europe et même aux États-Unis. Il avait été amené à transformer le quartier de la Vierge Noire, dès 1882, inaugurant ainsi une politique de grands travaux auxquels il allait prendre ultérieurement une part active, tel le projet des installations maritimes déposé par Rolin en 1883, telle, enfin, la grave question des communications entre le haut et le bas de la ville.
C'est, en effet, aux projets de modification du Mont-des Arts que fut liée la démission de ses fonctions de bourgmestre, en 1899. Son intégrité, sa loyauté et sa franchise, comme aussi la fidélité à ses principes, avaient fait de Buls un bourgmestre apprécié et aimé de tous ceux qui collaboraient avec lui. La popularité qu'il acquit est due principalement aux mesures décisives qu'il prit pour faire de Bruxelles une belle ville sensible à son passé et fière de ses trésors archéologiques.
Cette constance dans l'effort eut son premier aboutissement en 1883, année où furent mises en train les premières restaurations de maisons de la Grand-Place : entreprise grandiose à l'heureuse réalisation de laquelle restera indélébilement attaché son nom dans les annales bruxelloises.
La fin de ses fonctions mayorales fut le prélude de nouvelles manifestations d'activité de Buls en faveur de la ville : il eut maintes fois l'occasion d'intervenir au sein du Comité d'étu
des historiques du Vieux-Bruxelles, institué par le collège le 16 janvier 1903 et dont il assuma la présidence pendant quelques années.
La première formation que Buis avait reçue, dans son enfance, était orientée vers les arts. Dès 1867, il donnait régulièrement chaque année son cours d'art décoratif et, dès 1874, il publia dans la « Revue de Belgique » des critiques d'art ; en fait, des articles de polémique, avec maintes vues en avance sur celles de son temps. Son voyage de Vienne en 1873 avait eu pour motif la visite d'une grande exposition qui donna lieu à plusieurs articles de ce genre.
Buls entrait ainsi dans la phase de ses grands voyages où, visitant entre autres les Carpathes (1881), la Norvège (1888), la Dalmatie, le Monténégro et Corfou (1890), le Péloponnèse (1891), Constantinople (1892), l'Angleterre (1893 et 1896), l'Egypte (1897), le Congo (1898), le Siam (1899), l'Italie, la Sicile et la Grèce plus d'une fois dans le courant de sa vie, enfin les États Unis (1903) et l'Afrique australe (1911), il écrivit ses souvenirs dans des carnets de voyages ou des livres de bord, accompagnés de nombreux dessins et aquarelles, le tout actuellement conservé aux Archives de la ville. Dans ces divers pays, toutes les formes d'art et les questions archéologiques retinrent son attention et en firent l'un des hommes les plus avertis de son temps, quoique jamais il ne prétendît à l'érudition proprement dite.
Les écrits qu'il publia témoignent largement de ses soucis en la matière : en 1893 l' « Esthétique des villes » ; en 1903 son important essai sur « La restauration des monuments anciens » trop oublié aujourd'hui ; en 1910 « L'isolement des vieilles églises. »
L'activité de Charles Buis fut inlassable et son ardeur au travail, comme l'étendue de ses informations, fut immense. Peu de ses contemporains ont pu se douter de toutes les enquêtes, de toutes les lectures auxquelles se livrait le bourgmestre, chaque fois qu'une question grave était d'actualité. Buls agissait d'ailleurs ainsi en tout. Il désirait être tenu au courant de tout ce qui pouvait être connu à son époque, autant dans son pays qu'à l'étranger ; la soumission de son raisonnement aux leçons de l'expérience, comme d'ailleurs parfois sa libération des contraintes quand il estimait que le bien de l'homme l'exigeait, en ont fait un citoyen dévoué par excellence à la chose publique, n'épargnant aucun effort, ni aucune peine.
Tous ceux qui l'ont connu se souviennent encore aujourd'hui (1958) de sa fine silhouette, élégante et originale tout à la fois, et peuvent témoigner de sa grande dignité de vie et de son inébranlable indépendance par rapport aux petites contingences de la vie.