Brialmont Alexis, Henri libéral
né en 1821 à Venloo décédé en 1903 à Bruxelles
Représentant entre 1892 et 1894, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait de L’Indépendance belge, du 22 juillet 1903)
Une grande émotion a été provoquée à Bruxelles mardi matin par une nouvelle qui s'est répandue comme un trainée de poudre : le général Brialmont est mort ! Tout d'abord on refusait de croire à cette sinistre rumeur, tous ceux qui connaissaient le grand ingénieur militaire avaient foi en sa robustesse. Telle était sa persistante verdeur, et il en donnait fréquemment de si admirables preuves, que le respect des uns, l'amitié des autres, l'hostilité même oubliaient son grand âge pour reculer en des lointains problématiques l'heure inévitable de sa mort. Mais il n'y a plus de doute possible. Le général Brialmont s'est éteint mardi matin à 8 heures et demie en son hôtel de la rue de l'Equateur, entouré de ses neveux et nièces et des parents de sa défunte femme, qui était, comme on sait, la fille de l'illustre Louis De Potter, l'ancien membre du Gouvernement provisoire de 1830.
Depuis deux ans déjà, le général était souffrant, encore que son activité donnât le change. Mais samedi après-midi, un phlegmon détermina un empoisonnement du sang, et depuis lors ses forces déclinèrent rapidement. Du moins lui fut-il encore donné de reconnaître les siens avant son agonie, qui ne dura pas moins de 36 heures.
Sur son lit de mort, il apparaît maigri, mais les traits sont calmes et la physionomie atteste une noble sérénité.
Le général a laissé des instructions très précises pour ses funérailles qui seront célébrées jeudi, mais sans apparat. Les lettres de faire-part ne seront expédiées qu'après l'inhumation. N'y seront priés que les parents el les amis les plus intimes. Aucun cérémonial, pas d'honneurs militaires, pas de discours. Ainsi l'a voulu le défunt.
Avec le général disparaît une des plus grandes figures de notre monde militaire, scientifique et politique, car à ce triple point de vue I homme éminent dont nous déplorons la perte a joué un rôle considérable dans l'histoire de ce pays depuis près d'un demi-siècle.
Né le 25 mai 1821 à Venloo, - où son père, ancien officier du Premier Empire, et plus tard, en 1850, ministre de la guerre dans le cabinet Rogier-Frère, - Henri-Alexis Brialmont était lieutenant du génie dès 1843. Le général baron Chazal, qui avait deviné son mérite, l'attache à son cabinet dès son entrée au ministère de la guerre, le 12 août 1847. En 1850, il passe à l'état-major. Et dès 1858 sa notoriété est éclatante. C'est alors que, simple lieutenant, il ose, au projet d'agrandissement d'Anvers, dit de la petite enceinte, opposer le projet Keller, dent il était le véritable auteur, c'est-à-dire le système de la grande enceinte qui ne l'emporta qu'en 1859.
On sait que tout Anvers était hostile à la petite enceinte, défendue il la Chambre par le ministre de la guerre, général Berten, et surtout par le général Renard, commissaire spécial du gouvernement, adjoint au ministre, un général de cavalerie dont la compétence technique en matière de castramétation était notoirement insuffisante.
Le projet Brialmont reposait sur des bases alors toutes nouvelles. Il rompait avec le système bastionné de Vauban, et y substituait la fortification polygonale, et, non content d'élargir la ville au nord, il la dotait d'une vaste enceinte - celle-là même dont M. Vandenpeereboom a juré la destruction - et, cette enceinte continue, il la complétait d'une double ligne de forts détachés destinée à la protéger contre les atteintes de l'assaillant, préjugeant une portée considérée alors comme improbable.
Inspirée par lui, - il y a longtemps que le fait n est plus un mystère, et alors même on n'ignorait pas que le jeune lieutenant se tenait dans la coulisse, sa démission prête en cas d'échec - la députation libérale d'Anvers, notamment le bourgmestre Loos et M. Vervoort, rapporteur de la section centrale, mena contre la petite enceinte une campagne mémorable, il y a de cela tout juste 45 ans, c'était en juillet 1858. Et elle triompha.
Le ministère Rogier-Frère avait eu l'esprit de ne pas poser la question de cabinet. Il reste au pouvoir, reprend sur nouveaux frais la question d'Anvers, et rappelle Chazal au département de la guerre. Soldat passionné, ardent patriote et merveilleux orateur, celui-ci n'est pas un spécialiste de la défense des places. Il hésite, car plusieurs systèmes sont en présence, parmi lesquels un projet du général de Lannoy, qui jouissait alors d'une grande influence. Mais Totleben se trouve à Bruxelles, Totleben le glorieux défenseur de Sébastopol. Chazal lui soumet les projets sans nommer personne, sans indiquer ni une préférence ni un avis quelconque. Et Totleben, après une consciencieuse étude, mettant le doigt sur le projet Keller - on l'appelait encore ainsi du nom de l'entrepreneur qui couvrait Brialmont - proclame que c'est le numéro un, voire le numéro seul.
La grande enceinte avait ville gagnée. Et voilà Brialmont au pinacle.
Par une singulière fortune, ce même Brialmont qui alors avait si énergiquement plaidé la cause non seulement de la grande enceinte, mais du camp retranché d'Anvers considéré comme pivot essentiel et dernier refuge de la défense nationale, et, s'il admettait le maintien de certaines places fortes appelées à subir un premier assaut de l'ennemi, ne leur assignait qu'un rôle accessoire voire hypothétique, ce même Brialmont fut, amené par l'évolution des événements politiques et les hypothèses militaires qu'elle impliquait, à préconiser un renforcement notable des places de Liége et Namur, et lui, qui ne leur avait réservé en 1859, qu'un rôle fort secondaire, il en vint, vers 1886, à leur en assigner un beaucoup plus considérable. Un livre qu'il tout exprès pour l'exposer n'avait obtenu qu'un très mince succès dans les sphères politiques et militaires, quand subitement le vent tourne ; le prince de Galles, aujourd'hui roi d'Angleterre, passant par la Belgique au retour de voyage, signale en haut lieu les inquiétudes que suscite en Europe la situation de la défense du pays. Il s'agit de prouver que cette défense est sérieuse, que la Belgique est bien décidée à protéger I inviolabilité de son territoire contre toute menace d'invasion, et surtout qu'elle n'entend favoriser aucun assaillant supposé. Si bien que Brialmont, déjà presqu'en disgrâce pour avoir pensé à Liége et à Namur, est officiellement invité à préparer des projets pour accroître leur défense, et que peu de temps après le projet Liége et Namur est soumis aux Chambres par le cabinet Beernaert, en 1887.
On sait la suite : les crédits dépassés, de très bonne foi, sans doute, et, chose plus grave, conséquence inévitable, l'imminence d'une augmentation du contingent, car M. Frère-Orban le dit alors, et c'est la vérité même, voire le bon sens le plus élémentaire, ce n'est rien d'amonceler des briques et de les couronner de coupoles, il faut des hommes pour les défendre. Le cabinet Beernaert paya la note des briques et des coupoles. Mais pour les hommes, la droite fait toujours la sourde oreille.
Brialmont n'entendait pas de cette oreille-là, du moment qu'il eut opté pour le service personnel auquel l'avait converti la guerre de 1870, il ne le sépara pas d'une réorganisation militaire destinée à rendre efficace son système de fortifications élargi et son système de fortifications élargi et complété.
Il ne lui fut pas donné de triompher sur ce terrain, mais, élu député libéral de Bruxelles en 1892, on sait avec quelle vaillante ardeur et quel remarquable talent il défendit ses idées à la Chambre des représentants pendant les deux années qu'il en fit partie.
Telle est, dans ses grandes lignes, la carrière de l'homme public, officier, législateur, homme de lutte, esprit essentiellement combatif, allant droit devant lui, ne ménageant rien, et toujours prêt à se sacrifier lui-même au triomphe de ses idées, de ses convictions mûrement étudiées, ne craignant pas même le reproche de contradiction, ses revirements étant toujours désintéressés, motivés par le seul bien du pays.
La carrière du savant ne fut pas moins active. Membre titulaire de l'Académie royale de Belgique, classe des sciences, depuis le 15 décembre 1869, il prononça de nombreux discours. On sait qu'il fut des premiers à encourager le major Bruck dans ses recherches sur le méridien magnétique et que, sur la tombe de ce novateur, il prononça un discours qui fit sensation.
La carrière du publiciste défie en ce moment toute analyse un peu détaillée, car nous aurions fort à faire s'il nous fallait seulement esquisser une bibliographie de son œuvre. Rien qu'à donner le catalogue de ses traités d'ingénieur militaire, nous serions entraîné trop loin. Que serait-ce si nous nous laissions tenter par ses brochures, ses opuscules de tout genre, car il abordait mainte question ! Rappelons cependant son Histoire du duc de Wellington qui, dès 1854, lui fit une grande réputation en Angleterre, et son Complément de l'œuvre de 1830 qui ne laissa pas d'influencer les préoccupations coloniales du duc de Brabant.
C'en est assez pour indiquer que cet homme de guerre était un esprit très ouvert, une intelligence d'une culture supérieure et un étonnant liseur. Aussi sa conversation était-elle d'un prodigieux intérêt, d'autant que sa mémoire toujours prête avait réponse à tout et qu'elle se plaisait à rehausser de citations littéraires ct d'anecdotes butinées tantôt dans les livres, tantôt dans la vie, ses arguments, ses paradoxes, voire ses boutades. Ce fut un des plus étincelants causeurs que nous ayons jamais rencontrés, et tous ceux qui eurent l'honneur de l’approcher lui rendront ce témoignage.
Brialmont eut des adversaires, et peut-être .provoqua-t-il mainte rancune. Osons dire qu'Il n'eut pas d'ennemi. Parce qu’il était la loyauté même. Ce fut un caractère. Et ceux-là qui avaient barre sur lui surent rendre hommage à ce caractère-là. Tel M. Frère-Orban, à la Chambre, alors que, ministre, obligé de tancer une fugue médiocrement disciplinée de l'Ingénieur militaire consultant et consulté, souvent, sollicité par des souverains étrangers, tel le sultan de Constantinople et le roi de Roumanie, il sut tamponner de regrets et d'hommages le rappel à l'ordre sévèrement infligé.
Les rancunes mêmes cédèrent au prestige de la science et du talent, l'ascendant de la sincérité patriotique. El aujourd'hui que la vie cesse, la gloire commence, une gloire devant laquelle tous les fronts se découvrent, parce qu'elle est l'une des plus pures et des plus nobles dont s'honore notre pays.
C. T.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 22 juillet 1903)
Le général Brialmont
Le Belge illustre qui vient de s'éteindre à l’âge de 82 ans était né à Venloo le 25 mai 1821, d’une famille essentiellement militaire.
Un des premiers élèves de l'Ecole militaire, il en sortit comme officier du génie était lieutenant en 1843. Il fut attaché au cabinet du baron Chazal, ministre de la guerre dès le 12 août 1847 et passa à l'état-major en 1850.
II se fit la main comme ingénieur militaire dans les fortifications de Diest et présenta sous le nom de l'entrepreneur Keller le projet de grande enceinte qui fut adopté pour Anvers, malgré l'avis de plusieurs généraux belges et l'opinion du ministère Rogier-Frère de l'époque. Mais l'illustre Totleben avait désigné le projet Keller comme le meilleur. II était soutenu par Ia députation libérale d’Anvers : il fut adopté.
Plus tard, Brialmont qui avait d'abord professé cette idée que la défense nationale devait se concentrer autour du pivot d'Anvers, changea d’avis et fit adopter sous le ministère Beernaert le projet des fortifications de la Meuse, où son devis fut notablement dépassé.
A côté de cette brillante carrière d'ingénieur militaire, Brialmont fut un publiciste de premier ordre. Il a entassé des volumes et les brochures et pour défendre ses idées il n'hésita pas après avoir pris une retraite bien gagnée à accepter un siège à la Chambre où il représenta de 1892 à 1894 le parti libéral de la capitale.
Car l'illustre général est toujours est toujours resté fidèle à notre drapeau.
Déjà en 1842 on raconte qu'il refusa, sous un ministère catholique, de se plier à l’ordre qu'il avait reçu dé conduire ses soldats à la messe. Cela se passait à Mons et lui valut la peine de mise en non-activité, peine que le Roi Léopold Ier fit retirer.
C’est peu de temps après cet incident que Brialmont épousa Mlle De Potter, fille de Louis de Potter, membre du gouvernement provisoire de 1830 et sœur du publiciste socialiste Agathon De Potter.
II faut reconnaitre que Brialmont ne fut pas toujours un exemple de discipline. Cela lui valut, en 1883, une peine, alors qu'il était lieutenant-général : il avait, pour la seconde fois et sans permission, quitté son commandement pour aller en Roumanie travailler aux fortifications de Bucharest, comme il avait déjà collaboré à celles de Constantinople.
II était également de l’Académie de Belgique, classe des sciences depuis le 15 décembre 1869.
Il nous est impossible d'apprécier au courant de la plume le caractère de l'illustre défunt. Signalons simplement une anomalie bizarre de cet esprit essentiellement ouvert : Brialmont croyait à la nécessité de la guerre. Du moins il a établi cette croyance par son « Eloge de la guerre ou réfutation des doctrines des amis de la paix. »
Faut-il dire qu'il était un partisan énergique du service personnel et que ses dernières années ont été empoisonnées par notre nouvelle organisation militaire qu’il n'a pu empêcher et qui aura pour conséquence de rendre peu près inutiles les sacrifices que la nation a consentis pour réaliser les idées du général.
Depuis deux ans déjà, il était souffrant, encore que son activité donnât le change. Mais samedi après-midi, un phlegmon détermina un empoisonnement du sang, et depuis lors es forces déclinèrent rapidement Du moins lui fut-il encore donné de reconnaitre les siens avant son agonie, qui ne dura pas moins de 36 heures.
Sur son lit de mort, il apparait maigri, mais les traits sont calmes et la physionomie atteste une noble sérénité.
Le général, qui possédait les plus hautes distinctions de tous les ordres de chevalerie d'Europe, y compris le grand cordon de l'ordre de Léopold, a laissé des instructions précises pour ses funérailles qui seront célébrées jeudi, mais sans apparat. Les lettres de faire-part ne seront expédier qu’après l’inhumation. N'y seront prié que les parents et les amis les plus intimes. Aucun cérémonial, pas d'honneurs militaires. par de discours. Ainsi l’a voulu le défunt qui s'est éteint mardi matin à 8 heures et demie en son hôtel de la rue de l'Equateur, entouré de ses neveux et nièces et des parents de sa défunte femme.
(Extrait deLa Gazette de Charleroi, du 24 juillet 1903)
Le général Brlalmont . Quelques traits de sa vie
Le général Brialmont fut, toute sa vie, d’une activité étonnante. Levé tous les matin des 4 heures, il travaillait jusqu'à huit à ses ouvrages les plus importants. Après cela c'étaient ses visites, des sorties, la rédaction d'articles de journaux, de lettres. La lecture l'absorbait beaucoup aussi.
Vers quatre ou cinq heures il dînait et se couchait ensuite. Quand l’insomnie le tenaillait, il lisait encore. Le dernier livre qu’il a lu fut « Le Siècle de Louis XIV » par Voltaire. On le trouva ouvert sur sa table de nuit....
Cette vie, il la mena pendant soixante ans.
* * *
Il entretenait une correspondance formidable. Tous les matins, le courrier lui apportait des brochures, des lettres en tas : ouvrages militaires, demandes de conseils des chefs d'états-majors de tous les pays. A toutes les brochures qu'on lui envoyait, il répondait par une lettre analytique.
Il s'intéressait à toutes les manifestations de l'esprit et principalement à la littérature française. Il lisait des œuvres comme « Quo Vadis » et « La Vie des Abeilles » ; mais il goûtait peu la littérature moderne. Elle paraissait obscure à cet esprit clair avant tout. Et il lui préférait la littérature du XVIIIème siècle. Parmi les amitiés qui lui furent chères, jusqu'à ces derniers temps, faut citer, à ce point de vue, celle de Carmen Sylva, la reine-écrivain, avec laquelle il entretenait une correspondance suivie.
* * *
Ce fut un journaliste et surtout un polémiste redoutable. Il fonda la « Belgique Militaire », en 1870, et, jusqu'à sa mort, ne cessa jamais d'y collaborer. Son dernier article, publié il y a une quinzaine de jours, était une réponse virulente à des attaques de M. Delbeke, d'Anvers. Obstiné, opiniâtre, têtu même, quand il tenait une idée, il la tournait et la retournait jusqu'à ce qu'elle eût tout donné.
Il avait en horreur le cabotinage et se refusa à toute manifestation.
Décoré de tous les grands ordres imaginables, il ne sollicita jamais l'autorisation d'en porter aucun ; il ne portait que celui de l’ordre de Léopold.
Il était très lié avec Gounod. Et l'on raconte à ce sujet une anecdote touchante.
A la mort de sa femme, qui était grande musicienne, le général avait fermé le piano de la défunte et ordonné qu'on ne l'ouvrit plus jamais. Or, rentrant un soir chez lui, il entendit jouer. Douloureusement ému, il s’avança...C’était Gounod qui avait enfreint la consigne et qui cessa aussitôt, devant les larmes du vieux soldat,..
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Le général Brialmont était d'un désintéressement rare. L preuve en est que, malgré le train de vie relativement modeste qu'il mena toute sa vie, il ne laisse aucune fortune. Au Siam, en Roumanie, en Bulgarie, il aurait pu gagner des sommes considérables. Pour tous ses travaux, même les plus importants, il refusa toujours toute rétribution.
Après un séjour de deux mois et demi à Constantinople, où il avait rendu d'éminents services, il demandait une somme de quinze cents francs. simple indemnité de ses frais de voyage.
Le Sultan, il est vrai, lui fit don d'un porte-cigare enrichi de diamants. Mais le général ne fumait pas...
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 27 juillet 1903)
La vie bruxelloise (correspondant particulier de la Gazette de Charleroi)
L’émotion provoquée par la mort du général Brialmont est loin d’être calmée et on nous permettra de saluer à notre tour cette grande figure dont la gloire pure devant la postérité ira s'élargissant.
Bien qu'il fût très souffrant depuis plus d'une année et que ceux qui l'approchaient aperçussent le déclin, non de sa lucide intelligence, mais de sa constitution physique, il participait si virilement à la mêlée du jour, il combattait presque quotidiennement avec une si vigoureuse ardeur, il était en un mot si vivant, qu'on a été aussi étonné qu’affligé en apprenant son trépas.
La presse a dit les éminentes qualités et le savoir de l'homme politique, de l'ingénieur, du savant, de l'académicien, de l'historien et du stratégiste militaire. Elle a oublié le « confrère » !!
Brialmont était journaliste, journaliste combattif, journaliste dans toute l’acception du mot. Il ne s'agit pas ici de l'écrivain publiant des études militaires. politiques, historiques dans la « Revue de l'armée belge », dans le « Spectateur militaire français », dans la « Revue militaire internationale de Dresde », mais du publiciste, collaborant aux quotidiens et surtout à la « Belgique Militaire », son organe préféré, car il en était un peu le père.
Il avait pris en grande estime et en profonde amitié - comme tous ceux qui le connaissait d'ailleurs - le directeur actuel, ce patriote convaincu et ardent, M. Léon Chomé, et plusieurs fois la semaine, au sortir de son cours à l'Institut Ruchez, notre confrère allait s’entretenir avec l'illustre vieillard. Ces deux hommes étaient bien faits pour s'entendre, s'accorder complètement. Ensemble ils organisèrent l'inoubliable et grande manifestation nationale du 13 juin 1897 ; Chomé, plus jeune et plus allant, avait porté dans les milieux d'anciens militaires, et dans les associations libérales, la parole de Brialmont. Le général obtint une audience du Roi, accompagné de plusieurs généraux. et Léopold II prononça alors les paroles patriotiques en faveur du service personnel que les cléricaux étouffèrent sous les clameurs de la trahison.
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Voici le trait peut-être le plus original de toute la vie de Brialmont. Il débuta dans la presse en 1850 et ses premiers articles furent dirigés « contre son propre père », le général Brialmont, ministre de la guerre, qu’il adorait toutefois. Le patriotisme seul lui dicta ses premières polémiques. C’était l’époque où l’on voulait réduire le budget de la guerre à 25 millions, ce budget qui comporte en l’an de grâce 1903 une dépense total de 55,254,415 fr. 72… sous un ministère clérical.
Le vieux général Brialmont, sollicité de toutes parts – on sortait de la cris de 1848 et le paix n’était pas encore remis de la secousse traversée ) allait capituler et accepter ce chiffre lamentable de 25 millions, quand son fils intervint.
Il n'était alors que simple lieutenant du génie. Grâce aux relations qu'il s'était faites chez Chazal, le prédécesseur de son père au ministère de la guerre, il obtint secrètement de L' Indépendance belge la publication d'articles véhéments contre cette capitulation prochaine. Il grondait le ministre, lui donnait des conseils, le rappelait aux devoirs imprescriptibles du patriotisme. Et chaque article paru, il rentrait dans l'hôtel de la rue de la Loi, occupé aujourd'hui par le général Cousebant, et lisait à son père L' Indépendance belge.
« Encore un article, père, écoute ; il est dur, sévère, mais combien juste. Vois-tu, toi, vieux soldat de l'Empire. te laisser rouler par des politiciens. »
Et Brialmont père écoutait la parole de son fils qu’il prenait pour la manifestation de l’opinion publique, à cent lieues de se douter quel en était l'auteur.
Conquis par les raisons de L’Indépendance belge, il préféra démissionner que d'accepter pareille réduction des charges militaires. Une indiscrétion fut commise. Frère-Orban apprit la vérité et il ne pardonna jamais à Brialmont fils d'avoir, par ce moyen, amené la démission de Brialmont père.
* * *
En ces dernières années surtout, quand parurent les procès-verbaux de la commission mixte, il retrouva toute sa verve journalistique et publia dans La Chronique et L’Etoile belge de nombreux articles remarquables par la force de leurs arguments et leur vigoureuse concision. On l’a vu le matin lire dans un journal antimilitariste un article qui lui déplaisait, y répondre sur le champ. s'habiller et le porter en personne au journal auquel il le destinait.
Le général Brialmont mena dans La Belgique Militaire des campagnes retentissantes. C'est qu'il était doué de verve et de passion, servi par une plume souple et preste, comme le meilleur des journalistes. Il écrivait une petite chronique ou une bibliographie de quinze lignes aussi facilement - et cependant c’est dans ces minutes que les amateurs sombrent - aussi aisément qu'un article de fond de plusieurs pages.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 27 juillet 1903)
Notes familières sur le général Brialmont
Un confrère a écrit que Brialmont était un homme corpulent, de haute stature, doué d'un appétit gargantuesque. Rien de plus inexact : l'homme était plutôt de petite taille, mais râblé, bien musclé, large de carrure, et, jusqu'en ces dernières années, il jouit d'un bel appétit, qui n'avait pourtant rien d'exagéré. Hélas ! depuis trots mois, il en était réduit au laitage.
Et dans sa cave se couvraient de poussière plus de deux mille flacons, dont le moindre contenait un nectar. Il doit lui rester trois bouteilles sur cinq qu'il reçut des Metternich, propriétaires de l'enclos de Johannisberg. Cette bonne cave était un héritage de sa belle-mère, Mme De Potter. Je ne parle pas des bourgognes, qu’il achetait dans un vieil hôtel de Namur, où il en allait déguster avec quelques amis fins gourmets.
On dit qu'il faisait partie du Cercle des XII. A ces dîners mensuels participaient si ma mémoire ne me trompe, MM. De Mot, qui arrivait toujours en retard, et, pour se rattraper, sans doute, commençait par avaler trois grandes assiettes de potage ; Melot, procureur général à la cour de cassation ; feu l’avocat général Van Schoor ; Cardon, le décorateur ; Carathéodory, ancien ministre de Turquie.
Ce dîner coûtait 50 francs par tête avec le champagne. Le restaurateur ne fournissait pas les autres vins. Chaque convive en devait apporter une bouteille de sa cave. Brialmont variait : tantôt du porto, tantôt du sauternes. On vantait les bourgognes de M. Van Schoor et les bordeaux du crû de M. De Mot.
Tous les dimanches. comme le Roi à Laeken. le général réunissait sa ramille à dîner. Dans la semaine, il offrait un dîner à ses amis ; et il était rare qu’il déjeunât seul. Il avait l’invitation très facile. A midi, la bonne venait débarrasser la table des papiers et plans qui l’encombraient et les remplaçait par le couvert.
Gourmet comme l a plupart des hommes de lettres, Brialmont était difficile dans le choix de sa cuisinière. Une d'elles mourut à son service et il fut longtemps avant de la pouvoir remplacer comme il désirait. Pendant cette période troublée, ses intimes, ceux qu'il admettait dans son cabinet de travail du rez-de-chaussée, étaient épatés d’apercevoir le Manuel de la parfaite cuisinière sur son pupitre, entre un traité de fortification polygonale et l’Annuaire de l’armée belge.
Brialmont ne fumait pas. Quant aux liqueurs, il les mélangeait avec l’eau. Rien en facilite comme un verre d’eau colorié de fine champagne ou de véritable kirch, qu’on absorbe après un repas.
Quoique écrasé de travail, il recevait volontiers une visite. C'était un repos pour lui. Il badinait, racontait des anecdotes, médisait avec esprit, était peu discret. Mais ne fallait pas qu'on demeurât longtemps. Au bout d'un quart d'heure, à moins d'exception qu'il faisait pour les gens qui lui venaient parler de choses sérieuses, la bonne annonçait le général Nicaise. Pauvre beau-frère ! s'il avait vécu autant de jours qu'on l'annonça chez Brialmont, il serait encore de ce monde.
Bien qu’il fût peu recherché dans sa mise, il affectait une certaine coquetterie. Il y a environ trois semaines, un carrosse s'arrête à sa porte. La servante accourut annoncer la visite d'une grande dame, la veuve d'un général. Je vois encore Le pauvre malade jeter sur la table la casquette qu’il ne quittait guère, tirer un peigne je ne sais d’où, refaire sa chevelure, dépouiller son veston, endosser une redingote qui était à sa portée et se diriger vers le salon, tout transformé, tout rajeuni. Bien rares sont ceux qui le virent avec des lunettes ou qui le surprirent faisant sa sieste.
J. V. M.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 27 juillet 1903)
Encore une anecdote caractéristique au sujet de feu le général Brialmont.
Le 23 décembre 1865, six jours après l’avénement du roi Léopold II, le général Chazal fit savoir à Brialmont que le lendemain paraîtrait au Moniteur sa nomination d’aide de camp du Roi. Brialmont n’était alors que lieutenant-colonel. Quelque flatteuse que fût pour lui cette dérogation à la règle suivie jusque-là de ne conférer ces fonctions qu’à des généraux, Brialmont déclina l’honneur que voulait lui faire le nouveau Souverain en souvenir des relations qu’il avait eues avec lui à propos de la question coloniale.
Il écrivit le même jour à M. Van Praet, ministre de la Maison du Roi :
« Je viens d’apprendre que le ministre de la Guerre, se conformant aux ordres du Roi, a préparé un arrêté par lequel a Majesté me confère ls fonctions d’aide de camp du Roi. Ces fonctions, très honorables et très recherchées, ne sauraient me convenir. Mes goûts simples, autant que mes habitudes d’isolement et de travail, me rendent impropre au service qui serait exigé de moi.
« J suis dévoué au Roi par sentiment et par raison, et je n’ai pas d’autre ambition que de bien servir le pays. Mon dévouement et ma fidélité ne seront pas plus grands, si le nouveau Souverain m’attache à sa personne. La Cour n’y gagnera absolument rien, et j’y perdrai ma liberté de philosophe frondeur, à laquelle je tiens plus qu’à tout autre chose. Ma famille est, du reste, assez largement représentée à la Cour, pour que Sa Majesté puisse reporter sur un de mes camarades l’insigne honneur qu’Elle a l’intention de me faire. »
(Extrait de L’Indépendance belge, du 23 juillet 1903)
Quelques souvenirs sur le général Brialmont :
Très attaché aux principes constitutionnels, le jeune officier eut dès ses débuts l’occasion de prouver à quel point il les prenait au sérieux. Commandé pour escorter une procession à la tête d'un détachement de troupes, il s'y refuse, invoquant l'article 15 de la Constitution aux termes duquel « nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte. »
Il subit de ce chef une peine disciplinaire.
Vers la même époque, placé à la tête d'une compagnie appelée à rendre les honneurs militaires lors des funérailles d’un dignitaire de l'Ordre de Léopold, II est interpelle par un clerc en surplis qui tranchait du maître des cérémonies et prétendait lui indiquer sa place et celle de sa troupe : « Vous n'avez pas d'ordres me donner », lui dit-il. « Et puis, ajouta-t-il, lui montrant son surplis frottant au vent, voyez comme vous êtes fait ; avant de me parler, rajustez-vous. » Le clerc s'enfuit, et court encore.
Il avait la riposte vive, à Ia Chambre comme partout, et M. Coremans se rappelle peut-être de quel tac-au-tac, pris à partie par le député meetinguiste d'Anvers, qui lui reprochait d'avoir changé d'avis sur une question militaire quelconque, général Brialmont le renvoya à la Villa des ciseaux.
C'était du reste avant la grande Coupure.
Sensible à la critique, il aimait la discussion, et accueillait volontiers l'interruption, surtout quand lui fournissait en quelque sorte un tremplin sur lequel il rebondissait avec une souplesse merveilleuse. Après tout, c’était la preuve qu'on l'écoutait. Même, comme tous les hommes de valeur qui ont toujours beaucoup à dire sur les questions qu'Ils connaissent à fond, il avait une préférence marquée pour le monologue. Et rien n'était plus piquant que de le voir aux prises avec quelque personnalité douée comme lui de la parole et s flattant de lui tenir tête.
Ce spectacle nous fut donné un soir après un dîner auquel assistaient Brialmont et Thonissen, celui-ci non mois érudit, chacun ayant sa spécialité, mais tous deux s'intéressant aux questions politiques et militaires. Mais la différence des tempéraments et des habitudes professionnelles faisait de cette rencontre une véritable parti d'escrime, alors même que l'homme de guerre était d'accord avec le savant.
Celui-ci, professeur illustre avant d'arriver à la Chambre, - la scène se passe avant son ministère - habitué au silence docile de son cours d'Alma Mater, ne subissait pas sans impatience les interruptions fréquentes du général, dont les ripostes toujours souriantes mais non sans ironie parfois taquine, voire agressive, finissaient par l’énerver. Et c'étaient à chaque instant des « Laissez-moi parler » qui faisaient éclater de rire le général toujours d’attaque et prompt à trouver le défaut de la cuirasse.
Mais qu'Il y eût des dames, à sa table ou dans le monde, ce terrible ferrailleur s’humanisait, et, sans aucune affectation de galanterie, c’était merveille de voir avec quelle grâce, sans perdre le dé, il leur tendait la perche, la main plutôt pour les introduire dans la conversation, leur y faire place et mieux encore leur fournir l’occasion de s’épanouir et de briller.
S’il avait le don d’autorité, il avait aussi le don du charme.
Le général Brialmont fut un infatigable travailleur. Inspecteur général des fortifications et du corps du génie, il avais installé ses bureaux dans une maison contiguë à son hôtel de la rue de l'Equateur. Tous les matins, levé à 5 heures,, il se consacrait d'abord à ses travaux personnels, livres, brochures, articles de presse militaire. Puis, après un déjeuner sommaire, ses fonctions l'absorbaient tout entier. L'exercice du cheval, qu'il ne délaissa que dans ses dernières années, le reposait de son activité cérébrale. Et le soir, il ne dédaignait pas les réunions mondaines, où d'ailleurs il ne s'éternisait pas, encore que, malgré son grand labeur, il n'eût pas besoin de beaucoup de sommeil.
Même à l’époque des débuts, dans la période de sa vi qui exigea la plus grande dépense de forces physiques, il ne déserta jamais ses tâches d'historien et d'écrivain militaire. C'est ainsi que jeune officier d'état-major, adjoint à un régiment de cavalerie en garnison à Namur, à peine terminés les exercices et manœuvres hippiques auxquels II prenait part avec une assiduité remarquée, il rentrait chez lui pour s'atteler à son « Histoire du duc de Wellington », trois grands volumes qui lui prirent plusieurs années de recherches et de travail.
C'est ainsi qu'il vécut, c'est ainsi qu'il dépassa vaillamment sa 82ème année.
La recette, il faut l'avouer, n'est pas la portée de tout le monde.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 28 juillet 1903)
De notre correspondant bruxellois, 27 juillet.
Le général Brialmont revivra par le bronze ou le marbre !! Interviewé par le Journal de Liége, M. Léon Chomé a déclaré qu'une souscription publique ne tarderait pas à être ouverte.
La Belgique Militaire l'annoncera dimanche prochain.
Brialmont, ayant en quelque sorte, incarné le patriotisme et donné à tous le plus admirable exemple, méritait ce solennel hommage. Le comité de la Fédération des Anciens Militaires, fondé par Brialmont qui sera à la tête de ce mouvement, est assuré de son succès.
L'illustre ingénieur militaire aura un monument digne de lui. Se dressera-t-il sur l’une des places de Liége ou de Bruxelles.
La famille Brialmont étant originaire de Liége, ou plutôt des environs, et ses ouvrages défensifs les plus merveilleux se trouvant aux portes de la belle cité wallonne, le choix de cette vie s’explique.
Mais la capitale où Brialmont a vécu, ne tiendra-t-elle pas à honneur de voir ce mémorial décorer l’un de ses plus pittoresques carrefours ? Frère-Orban et Rogier sont nés à Liége ; ils ont déjà leur statue à Bruxelles.
La question n'a pas d'importance en ce moment ; l'essentiel, c'est que Léon Chomé, le meilleur ami de Brialmont soit écoutée ct que la souscription réponde, par un élan universel, au sentiment public, en permettant l'érection d'un monument grandiose, symbolisant le patriotisme même.
(Extrait du Petit Bleu du matin, du 22 octobre 1903)
La rue Brialmont
Depuis hier mercredi, la rue de l’Equateur a changé de nom. Elle s’appellera désormais rue Brialmont, en mémoire du regretté général. Nous avons, du reste, annoncé cette manifestation de piété de l’administration commune de Saint-Josse.
Une plaque commémorative sera placée incessamment sur la maison portant le numéro 7 de cette rue, que le général a habitée depuis 1869 jusqu’au 21 juillet dernier, date de son décès.
Voir aussi :
1° GODEAUX L., Notice sur Alexis Henri Brialmont, dans l'Annuaire 1947 de l’Académie royale de Belgique
2° LECONTE L., Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1958, t. XXX, col. 212-230