Arnould Charles, François, Louis libéral
né en 1838 à Maestricht décédé en 1894 à Schaerbeek
Représentant entre 1882 et 1884, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait du Peuple, du 18 janvier 1894)
Victor Arnould
Une douloureuse nouvelle noua parvient au dernier moment : Victor Arnould n'est plus ! L'ancien député dé Bruxelles est mort mercredi, à 2 heures de l'après-midi, des suites d'une opération chirurgicale. Depuis quelques mois, Arnould avait à la joue droite une excroissance qui prenait de fortes proportions.
Victor Arnould st né à Maestricht, en novembre 1838. Il avait donc 53 ans. Il était d'origine plébéienne. Son père était bijoutier, mais son grand-père était de Namur, où il exerçait la profession de coutelier.
Après avoir fait de fortes études à l'Athénée de Maastricht, Arnould entra, en 1855, à l'Université de Liége. C’est en sa qualité de président de l'Association des Etudiants qu'il organisa à Liége en 1866, le fameux Congrès international des étudiants qui fit tant de bruit et eut tant de succès.
Arnould fit son stage d'avocat à Bruxelles, puis se rendit à Anvers où il fut rédacteur au « Précurseur ». Quelque temps après il quitta le journal en question aves Victor Laynen.
Revenu à Bruxelles, Arnould entra à la « Libre Pensée » et à la « Liberté » dont il devint bientôt le principal rédacteur.
Comme président de la Libre pensée, Arnould organisa et donna un grand nombre de conférences. En 1869, il fut délégué à l'anti-concile de Naples.
Comme avocat, il plaida plusieurs procès politiques; le dernier en date est celui d'Anseele, poursuivi à Gand, en 1886, pour un article du « Vooruit. »
Au mois d'avril 871, « La Liberté » se fit quotidienne pour mieux défendre la Commune de Paris, ce qu'elle fit courageusement.
Puis vint la défaite, la lassitude. Janson entra à l'Association libérale et devint député de Bruxelles. Il entraina ses amis Robert et Arnould qui à leur tour entrèrent à la Chambre en 1882.
A la Chambre, Arnould prononça plusieurs discours importants, sur la question de l’armée, dans lesquels il défendit le système de la nation armée et sur la question électorale, dans lequel il parla en faveur de la représentation des intérêts et déposa un projet de loi.
En 1890, Arnould donna une conférence à la Maison au Peuple sur la même question et depuis, dans la « Nation », il batailla ferme en faveur de ce système électoral.
Depuis la défaite des libéraux, en 1884, Arnoud fit un peu bande à part. Il batailla ferme cependant dans son journal la « Nation » en faveur de la représentation des intérêts et de l'œuvre du Congo. Il n'était pas d'accord avec ses anciens amis progressistes dont il n'approuvait pas la ligne de conduite.
Comme écrivain, Arnould a publié de nombreuses articles de journaux et de revues. On a également de lui une sérié de brochures bien curieuses et une « Histoire sociale de l'Eglise. » C'était un écrivain brillant, de premier ordre, qui honore les lettres belges.
Nous saluons l'homme qui disparaît. Nous n'avons pas toujours été d'accord avec lui, mais nous sommes convaincus que la vie entière d’Arnould a été consacrée à la cause du progrès social. C’était un désintéressé. Il aimait passionnément le peuple et réclamait pour lui plus de droits et de bien-être.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 18 janvier 1894)
Victor Arnould
Une triste nouvelle nous arrive de Bruxelles : La mort prévue, mais pas aussi prompte, de Victor Arnould. l'ancien directeur de la « Nation », l'ancien député, un des écrivains belges dont le talent est incontesté.
Nous ne pouvons donner la synthèse de la vie de celui qui fut notre éminent confrère ni caractériser le rôle qu'il a joué dans la politique belge par toutes les manifestations de sa valeur personnelle. Nous devons nous borner aujourd'hui à saluer respectueusement son cercueil et à rappeler en quelques lignes sa vie féconde et agitée.
Il meurt jeune encore, étouffé par un goitre qui le faisait souffrir depuis longtemps, mais dont la mortelle gravité n’est apparue que dans ces derniers temps.
Victor Arnould était né à Maestricht le 7 novembre 1838, mais il était d'origine namuroise. Il fit ses études à l'Athénée de Maestricht, puis à l'Université de Liége où il fonda l'Association générale des étudiants dont il devint le premier président. La grande fête universitaire de 1860, dont il fut l'organisateur, lui procura l’occasion de composer la « Brabançonne des Etudiants » qui se chante encore aujourd'hui dans les milieux universitaires :
« Vivons joyeux nous sommes la jeunesse
« Marchons unis nous sommes l'avenir »
Son diplôme d'avocat date de 1862, mais il ne fut pas tout de suite inscrit au barreau. Il entra au « Précurseur » d'Anvers comme rédacteur chargé de la politique extérieure. A Anvers, son activité s exerça dans deux fondations : La Libre-pensée et les conférences populaires. Il avait aussi donné l’idée du fameux Congrès des étudiant de Liége qui mit en présence les chefs futurs des démocrates belges et français.
Ayant quitté la rédaction du « Précurseur » dont la politique ne répondait pas à ses aspirations, Victor Arnould collabora d’abord à Bruxelles au « Peuple Belge », puis il reprit avec MM. Graux, Picard et Olin la rédaction de « La Liberté », qui concentra bientôt dans ses colonnes les productions enflammées, enthousiastes de tous ceux qui devaient former plus tard notre jeune gauche radicale, Denis, De Greef, Janson, Robert, etc. De 1868 à 1873, Arnould batailla à la « Liberté » qui fut quotidienne pendant l’année 1871.
En 1869, il avait représenté la Belgique au Congrès des libres-penseurs de Naples.
De 1873 à 1880, Victor s’effaça un peu pour se consacrer à son cabinet d’avocat mais il utilisait ses loisirs à l'étude des questions d'art dans l' « Art moderne » qu'il avait fondé avec Edmond Picard.
En 1882 il revint à la politique pour entrer à la Chambre après une lutte homérique contre M. Finet aujourd’hui sénateur d’Arlon et qui, chose piquante, succéda plus tard à Arnould ans les tendresses de la « Réforme » avec laquelle l’ancien député bruxellois s’était absolument brouillé.
Il resta trop peu de temps à la Chambre pour y donner toute la mesure de sa valeur parlementaire: En 1884 il était entraîné dans la débâcle générale du libéralisme.
Depuis cette époque, le rôle de Victor Arnould devient complexe et mystérieux. Avec une ténacité infatigable, il soutient le nouveau journal auquel il avait accroché sa fortune : la « Nation ». Il essaie de le faire vivre par tous les moyens, aidé de collaborateurs généreux et dévoués.
Il y bataille pendant plusieurs années, frappant à gauche et à droite sur ses alliés de la veille, sur ses amis du jour, s'enthousiasmant pour une question, virant de bord, sur une autre, mais toujours avec un talent d'écrivain de beaucoup supérieur à la moyenna des journalistes belges.
Il acquit dans cette lutte de quelques années, contre la mauvaise fortune politique, une réputation qui le rendait suspect à ceux qui, suivant le mot de Baudelaire, ne savent penser qu'en troupeau.
Mal soutenu par ceux qu’il se tuait à défendre, attaqué, vilipendé par les autres, Arnould vit mourir il y a près d’un an le dernier journal auquel il avait consacré ses effets : « La Nation » parut encore une fois le 23 avril 1893.
Depuis lors, Victor Arnould, malade déjà du mal qui devait l’emporter, ne fit plus que végéter.
« L’indépendance » lui consacre les lignes suivantes qui mériteraient peut-être quelques réserves, mais qui peuvent servir d’épilogue à cette hâtive notice nécrologique :
« Il faut bien avouer que Victor Arnould n'était pas précisément ce qu'on appelle un caractère. Ce n'était pas non plus un orateur' encore que sa parole eût des vigueurs et des finesses au milieu de bien des longueurs confuses. Mais, c'était une plume, une plume tour à tour éloquente et subtile, qui s'exerçait avec une incomparable souplesse sur les sujets les plus divers.
Nos lecteurs ont eu les dernières lignes de cette plume de virtuose, car ils étaient de lui ces « Propos du moment » qui nous avaient permis d'utiliser son talent. sa maladie les avait interrompus à notre grand regret ; combien plus vive notre douleur aujourd'hui que la mort y met le point final (…)
Il s’est beaucoup éparpillé, et il a fourni un énorme labeur sans réaliser avec suite les espérances qu'il avait conçues. Du moins, laisse-t-il le souvenir d’une intelligence éminemment douée, d'un talent incontestable, et mieux encore d'une nature séduisante et sympathique même à ses adversaires.
Parmi tous ses confrères, parmi ceux-là même que des dissensions politiques ont éloignés de lui, un seul sentiment fera battre les cœurs à cette heure de deuil, celui d'un regret sincère, d'une émotion douloureuse et profonde.
Nous croyons savoir que Victor Arnould laisse, en manuscrit, le tome premier d’une « Histoire politique de la Belgique depuis 1830 », qui devait comprendre sept ou hui volumes et qui lui avait valu un subside officiel, à titre « d'encouragement littéraire. »
Nous présentons à sa veuve, à sa fille et à son gendre, M. l’avocat James, l’expression de nos plus vifs sentiments de condoléance.
(Extrait de la Gazette de Charleroi, du 21 janvier 1894)
Les funérailles civiles de M. Victor Arnould ont eu lieu samedi matin à Schaerbeek . Parmi les personnes présentes, citons M. le ministre de Burlet, MM. Janson, Feron, Robert, de l’extrême-gauche ; Denis, Degreef, Vn Goidsnove,, Edmond Picard, de l’ancienne « Liberté » ; Steurs et Goblet, sénateurs ; Carpentier, représentant ; MM. Lorand, de la « Réforme , » Volders, du « Peuple », Verhoeven, de la « Gazette de Charleroi » ; MM. Verhaeren, Saintenoy, Maubel, Eeckoudt.
Devant le corps, à la maison mortuaire, M. Paul Janson a rappelé la carrière parlementaire du défunt qui, s’il n'était pas orateur, a eu pourtant de beaux moments à la tribune. Telle sa réponse péremptoire et décisive à une interruption que lui lançait M. Frère-Orban, alors que M. Arnould défendait avec une audace extrême la cause de la révision.
M. picard, après avoir lui les notices nécrologiques consacrées à Arnould par la « Réforme » et l’« Etoile belge », a pris malicieusement texte de ces éloges posthumes et tardifs, pour se plaindre au nom de l' « Art moderne » de l’ingratitude et de l'indifférence de ses concitoyens. Il souhaité, en terminant, que le gouvernement édite à ses frais - malgré la différence d'opinions - l'œuvre maitresse d'Arnould, son histoire sociale de l'Eglise.
On a encore entendu M. Obozinskl au nom de la loge des Amis philanthropes, M. Wyers au nom de M. Waechter, ancien administrateur de la « Nation », M. Previnaire au nom de la Commission permanente et de la Société libérale des étudiants de Liége et comme ancien correspondant de la « Nation. »
Puis le char funèbre chargé des couronnes et suivi du deuil conduit par M. James, et des drapeaux de la libre-pensée et de la Fédération des Sociétés rationalistes, s'est dirigé vers le cimetière.
(Extrait du Soir, du 19 janvier 1894)
Victor Arnould
On le savait malade. Depuis deux années au moins sa face pléthorique ne faisait rien présager de bon. La tête se raidissait sur les épaules et Victor Arnould, lourd, massif, se mouvant comme avec peine, souffrait visiblement d'un mal qui demeura indéterminé pendant des mois. Peu à peu le cou gonfla et il se forma une sorte de goître sur le côté, qui s'en fut toujours grossissant.
Cela n'empêchait pas Victor de vaquer Arnould de vaquer à ses affaires et l'on s'habituait à le rencontrer avec cette mine défigurée et de plus en plus couverte d'une ombre de tristesse ; tristesse concentrée, car jamais l'on n'entendit une plainte sortir des lèvres de cet homme de talent qui vient d'avoir une fin si lamentable, abandonné de tous.
Quand Victor s'alita, il avait conservé toute son énergie morale. Dans ses derniers entretiens il possédait sa complète présence d'esprit et les revers ne l'avaient pas démonté.
Avec lui disparaît une des personnalités les plus parquantes du parti libéral avancé. Victor Arnould se signala dès l'université, à Liége, où il fut tout de suite populaire. Il dirigea ensuite le « Précurseur » d'Anvers, puis la « Liberté » hebdomadaire à Bruxelles, où on le remarqua.
Son départ du « Précurseur » fut motivé par des raisons de loyauté politique et de conviction. A ce moment il marchait main dans la main avec Emile Feron, Paul Janson, Edmond Picard.
Aussi longtemps qu'il siégea à la Chambre dans les rangs de la députation progressiste de Bruxelles, Victor Arnould demeura d'accord avec ses amis. Après la victoire des indépendants, il rentra avec eux dans la vie privée et collabora au journal du groupe, la « Réforme », où il donnait de loin en loin de ces articles de forme magistrale, très fouillés, très creusés et qui étaient pleins d'aperçus de haute politique, d'idées ingénieuses, de vues générales d'une saisissante envergure. Cela n'avait pas toujours le ton du journal, cela en dépassait le cadre et le lecteur au numéro, qui aime les relations concises et rapides, devait trouver le morceau, si substantiel qu'il fût, long à digérer.
Victor Arnould était vraiment mieux à sa place dans les revues et les périodiques. On a conservé la souvenance de sa magistrale étude sur Gambetta, parue dans la « Revue moderne », fondée pav Max Waller, et de la série d'articles qu'il écrivit dans l' « Art moderne » sous le titre de « Juvénal et le naturalisme ». C'étaient des morceaux d'éloquence plus encore que de littérature. Mais rien qui ne fût neuf, rien qui ne fût à lui dans ces écrits d'esprit large et de forme colorée. Il avait une personnalité dans toute l'acception du terme et c'est à cet individualisme qu’il dût et ses mérites et ses défauts.
Les premiers l'emporteront sur les seconds quand certaines misères de détail auront été oubliées ou effacées par le temps qui corrige toutes choses, fait le triage, élague les déchets, et réhabilite les mémoires dignes d'estime.
Victor Arnould n'a pas réussi et ne pouvait réussir ; la foule qui aime avant tout le succès, d'où qu'il vienne et quoi qu'il vaille, ne lui a pas pardonné ses échecs. On ne s'est pas dit qu'il aurait fallu un plus vaste théâtre à cet homme de valeur. Dans un groupe il avait son rôle déterminé, plus philosophique que politique, car c'était au sens pratique du mot un politicien maladroit et naïf. C'est si vrai que lorsqu'il se sépara de ses amis à la suite de dissentiments vagues. il apparut comme un navire démâté et sans gouvernail. Mais on aurait dû, me semble-t-il, le remorquer quand même. On peut bien dire que nos partis en Belgique sont inflexibles ; il faut une adhésion à la lettre, une stricte conformité de conduite. Un circuit est tracé avec des limites absolues qu'on ne peut franchir.
Un politicien purement positif peut s'accommoder parfaitement d'un rayon si étroit ; il n'embrasse que les intérêts immédiats du parti et n'envisage que la circonstance. Pour un spéculatif comme Victor Arnould, il fallait un champ d'opération plus vaste et plus libre, et, je le répète, on aurait pu utiliser ses précieux services en lui laissant jouer dans le concert l'instrument dans la science duquel il était passé maître.
En Frances les partis n'ont pas des exigences aussi formelles ; ils sont formés d'éléments formant harmonie par l'entente sur les grandes lignes. Quant aux détails, on laisse un certain jeu aux adhérents. Sous l'action de cette tolérance, Victor Arnoul serait rentré au Parlement avec MM. Janson et Féron, ses anciens frères d'armes. Je ne dis pas qu’il a fait pour cela tout ce qu'il aurait dû faire, même en n'abdiquant rien. Ceux qui l'ont connu savent qu'il était assez rogue, assez « sauvage », fort peu malléable et sans aucune souplesse.
II manquait absolument de flexibilité, tout en ayant par à-coups des complaisances et des communions qui scandalisaient les purs. Ce n'était pas par faiblesse d'âme cependant et encore moins par vénalité. S'il a louvoyé, ce n'est pas pour son profit ; il a passé tout le temps à côté de ses intérêts, et il eût été si simple pourtant de faire ses petites affaires en demeurant dans le rang, sage et rassis, sans envolée et sans indépendance. Nous en connaissons de ces « arrivés » qui ne doivent leurs succès qu'à leurs qualités négatives, leur passivité et leurs subordinations. Ils n'ont jamais rien risqué et ne se sont partant jamais compromis. Ce sont ceux-là souvent qui font les moissons et qui récoltent. Gare à celui qui ose et qui pense librement !
Vous souvenez-vous du scandale que causa Victor Arnould quand il fit campagne en faveur du Congo ? On considéra le fait comme une trahison ; comme si on ne pouvait être démocrate et même socialiste, tout en admettant la politique coloniale ! Pour ne citer qu'un exemple peu suspect, je nommerai M. Célestin Demblon, un honnête et un convaincu s'il en fut jamais, et qui, tout socialiste qu'il est, ne repousse nullement- au contraire - le principe d'une expansion des pays où la population est trop dense, dans des colonies qui sont autant de richesses inexploitées et stériles. Victor avait fait campagne dans le même sens dans la « Nation », avec un si remarquable talent, une verve si heureuse et si juste, que le Roi en fut frappé et adressa un mot d'invitation au directeur de la « Nation ». Celui-ci accepta. Victor Arnould, républicain de tendance, eut un entretien, non pas précisément avec le roi des Belges, mais avec le souverain de l'Etat indépendant du Congo et il y a là une nuance qui n'est pas faite, je le reconnais, pour être distinguée par les esprits un peu courts et sommaires.
Quoi qu'il en soit, la visite du républicain intraitable au château de Laeken mit le scandale à son comble. Sous le manteau on traita l'ancien député progressiste de vendu et de traître. II l'était si peu que son journal bataillait toujours en faveur des mêmes idées et d'une façon très radicale. Il se montra intransigeant lors des négociations entre les diverses fractions du parti libéral ayant pour but de s'entendre sur la question du suffrage universel. Il préconisait, contre MM. Feron et Janson, qui admettaient des atermoiements, le suffrage pur et simple, sans conditions.
On l'accusa de manœuvres inavouables ; on déclara qu'il cherchait à entretenir la division entre les différentes nuances du parti, et son refus de toute concession fut considéré comme un acte de rancune contre ses anciens collègues. II fut le pelé, le galeux, et l'on oublia que son intransigeance avait de précédents désintéressés. Si en effet, Victor Arnould se montra intransigeant sur la question du suffrage universel, ne s’était-iI pas montré déjà irréductible parnelliste ? On se souvient de sa brillante attitude au moment où M. Gladstone, avec son « home rule » amendé, fut « n conflit avcec Parnell et ses revendications absolues. Victor Arnould épousa la cause du libérateur de l'Irlande ct défendit son programme intégral. II n'y avait, certes, aucune espèce d'entente politique. Pourquoi s'étonner alors d'avoir retrouvé l'intraitable parnelliste dans le défenseur du suffrage universel sans restriction ?
La vérité est que Victor Arnould avait des côtés de poète et de philosophe, On a dit de lui que ce n était pas un caractère et le mot est dur. On appelle caractère, en abusant de l'expression, l'homme qui ne dévie pas d'une ligne droite et mince. L'homme de haut mérite qui vient de mourir avait cette supériorité ingrate, cette faculté de voir plusieurs choses à la fois et de ne pas se confiner sur une étroite bande de terrain. Je l'ai dit au commencement, c'est un défaut pour les mœurs politiques qui sont à la mode.
Le nom de Victor Arnould sera de ceux qu'on estime. Il laisse d'ailleurs une œuvre littéraire que l'on aura soin de réunir, espérons-le, et qui plaidera pour lui dans la postérité, même avec les défauts qui sont les ombres de cette remarquable figure.
Carabas
(Extrait de La Réforme, du 18 janvier 1894)
M. Victor Arnould est mort hier mercredi, à 2 h 1/2 de l’après-midi. Il souffrait depuis longtemps d’une tumeur implantée dans la région du cou, qui avait pris un énorme développement. II est mort étouffé. II avait cinquante-cinq ans.
M. Arnould avait fait partie des huit de l'Extrême Gauche de 1883 et avait pris alors une grande part à la résistance aux projets d'impôts de consommation, ainsi qu'à la discussion de la révision et de la loi électorale pour la commune et la province.
Dès l'Université, M. Victor qui avait été président des Etudiants de Liège, avait été activement mêlé à toute la vie littéraire, politique, philosophique et sociale du temps. II avait ensuite, avec Madier de Montjau. Victor Lynen, Michiels et d'autres, organisé à Anvers le mouvement de la libre pensée et un système de conférences qui avait eu un grand retentissement.
Avocat à Anvers d'abord, puis à Bruxelles, c'était cependant surtout à la politique et au Journalisme qu'il s'était consacré. Il avait été rédacteur en chef du « Précurseur », qu'il quitta pour ne pu devoir modifier sa politique. jugée alors trop avancée. Il fut, depuis 1867, le principal écrivain de la « Liberté », le célèbre journal hebdomadaire qui était alors le plus brillant représentant de la politique démocratique et socialiste et qui exerça une grande influence sur le développement des idées nouvelles dans notre pays. Enfin, nos lecteurs n'ont pas oublié la collaboration de M. Arnould aux premières années de la « Réforme », dont il se sépara il y a environ six années. Ce fut un divorce politique qui ne laissa rien subsister des liens d’autrefois. M. Victor devint membre de Ligue libérale et rédacteur en chef de la « Nation », qui a disparu il y a un an ou deux. M. Arnould continuait à défendre le suffrage universel et le socialisme. Mais il " fut, pendant tout ce temps, un isolé et il combattit avec persistance toutes les résolutions auxquelles se ralliait la base du parti progressiste.
Nous n’apprécierons pas cette dernière partie de sa carrière. L’impartialité pourrait nous faire défaut. Mais ce que nous tenons à dire, c’est que Victor Arnould avait, antérieurement, consacré ses brillantes facultés à la courageuse défense de la démocratie et de la liberté de conscience. La puissance de son cerveau était véritablement exceptionnelle, il était un esprit encyclopédique et complet.
Très instruit, il traitait avec une égale autorité les questions d’art, de philosophie, d’histoire, de littérature. Il connaissait à fond la politique et la science sociale. Il a traité par la parole et par la plume les questions les plus diverses et l’on ne pouvait s’empêcher d’admirer la souplesse de ce puissant esprit qui semblait se jouer des questions les plus ardues.
Le style original et très personnel de l'écrivain était d'une prodigieuse richesse, et les journaux politiques et artistiques renferment en foule des pages de Victor Arnould qui étaient admirées comme on admire des chefs-d’œuvre.
Il nous a semblé juste de rappeler ici la haute valeur de l'homme qui fut si longtemps pour nous un compagnon de luttes et que la mort vient de frapper si brusquement dans tout sa puissance intellectuelle.
Emile Feron
(Extrait du Journal de Bruxelles, du 18 janvier 1894)
M. Victor Arnould est mort hier mercredi, dans son habitation de la rue des Palais, après une courte maladie.
Victor Arnould avait joué dans la politique un rôle important, bien qu’en ces dernières années surtout il se fût isolé de ses amis. Il n'avait fait que passer par le Parlement : élu député de Bruxelles en 1852, il échoua aux élections de 1884. A la Chambre M. Arnould s'était peu distingué; il n'avait ni les qualités de l'orateur ni celles du parlementaire.
C’est dans la presse que Victor Arnould a brillé. Ancien rédacteur en chef du « Précurseur » et collaborateur du « National », de Marchi, il devint, il y a quelques années, rédacteur en chef de la « Nation », et tant que ce journal se trouva sous sa direction, c'est-à-dire jusqu'à sa disparition, Arnould y publia son ou ses articles quotidiens ; ces articles, hâtivement écrits, étaient forcément inégaux et parfois ternes et ennuyeux. Mais la majorité de ces feuilles volantes furent remarquées à bon droit pour la verve qui les animait, les vues souvent justes qu'on y trouvait et l'indépendance de celte plume en mainte circonstance impartiale et vigoureuse.
Victor Arnould ne craignait pas de dire leur fait aux libéraux. Ceux-ci y voyaient l'expression de la rancune et du dépit. Nous ne disons pas non. Mais, quel que fût le mobile du journaliste il s'est affirmé souvent, à la fin de sa carrière, robuste et clairvoyant.
Nous ne rappellerons pas la vie politique de Victor Arnould. Fougueux emporté, versatile, son existence publique n’a été qu'une longue suite de contradictions.
Sa carrière politique, marquée au début par le fameux et incendiaire discours sur la tombe de Tridon, s'est terminée à la « Nation », où le farouche politicien d'autrefois avait pris les allures d'un censeur grave et réfléchi
(Les Hommes du jour, 1883, n°7)
Victor Arnould est né à Maestricht en novembre 1838. Cette petite ville aujourd'hui hollandaise était revendiquée alors par la Belgique, ce qui permit à ses habitants l'année de leur majorité de réclamer la qualité de Belges, et c'est ce que ne manqua pas de faire Victor Arnould au lendemain même de ses 21 ans. Il est donc deux fois Belge, par la naissance et par l'option.
Son père était bijoutier, né également à Maestricht, mais son grand père était namurois, de la famille Arnould de Namur, les fameux couteliers qui, comme le savent les vieux Namurois, avaient au siècle dernier le droit de porter l'épée et avaient été anoblis par la maison d'Autriche : Noblesse très enviable celle-là et comme il n'en existait, je crois, que dans notre pays et en Italie; qui ne sait que les verriers de Charleroi avaient aussi droit de noblesse : noblesse du travail, celle-là !
Un grand oncle d'Arnould a été Vice-Roi des Iles Molluques. Arnould fit ses études à l'Athénée de Maestricht, en hollandais, ce qui ne l'a pas empêché de devenir un écrivain fiançais distingué. Il est vrai qu'en 1855, il entrait à l'Université de Liège où il commença à s'occuper de politique. Il devait avoir un certain ascendant naturel, car il fut nommé, le premier, Président de l'Association générale des étudiants qu'il avait fondée.
Autre temps celui-là, loin de nos divisions actuelles! Des 800 étudiants que l'Université comptait alors, 780 se firent membres de la nouvelle association. C'est alors qu'eut lieu un événement que tous les étudiants de ce temps se rappellent encore.
Les étudiants de Liège avaient invité à une grande fête fraternelle tous les autres étudiants du pays. Ce fut Arnould qui alla porter ces invitations accompagné de plusieurs amis. Quel voyage ! quelles réceptions ! que de discours, d'embrassades et de vin de Champagne ! La grande fête eut lieu dans la vaste salle de la Renommée. Il y eut un banquet de 1,500 couverts : rien que des étudiants ! c'est à cette occasion qu'Arnould fit la « Brabançonne des Étudiants » qu'on chante encore partout et dont le refrain restera :
« Vivons joyeux, nous sommes la jeunesse !
« Marchons unis, nous sommes l'avenir ! »
Arnould cultivait beaucoup la Muse dans ce temps-là, même l'aimable Musette ! Ah ! les petites Liégeoises ! Il doit y avoir d'estimables mamans aujourd'hui qui se souviennent des fraises de Quincampoix ! Il s'amusait, mais il étudiait et les idées nouvelles commençaient à le travailler. C'est à lui qu'on doit le fameux Congrès des Étudiants où furent scellés les premiers liens entre tout ce groupe ardent et vaillant de jeunes belges, Scailquin, Robert, Janson, Hins, Denis, De Greef, Fontaine et les Français qui, depuis, ont laissé un nom dans la politique, Longuet, Tridon, Casse, Rey, Villeneuve, Protot, tant d'autres qui, en France, sont maintenant députés, sénateurs, etc., - sans oublier cet excellent docteur Paul Dubois sur la tombe duquel Ranc et Clemenceau viennent, de se réconcilier.- Ferré et Rigault, fusillés par les Versailleux, et ce nabab de Foucher de Carreil, le nouvel ambassadeur à Vienne.
Mais n'anticipons pas ; quand Arnould donna l'idée du Congrès de Liège, il était rédacteur du « Précurseur » d'Anvers. Il avait fini ses études universitaires en 1862, était venu à Bruxelles pour y faire son stage, puis fatigué de cette vie de stagiaire pendant laquelle il s'occupait beaucoup plus de littérature et d'économie sociale que de classification de dossiers chez son patron, il avait accepté au « Précurseur » une place de rédacteur où, du reste, il ne traitait que les questions de politique extérieure, de littérature et d'art : avis à ceux qui s'imaginent qu'il aurait fait à Anvers du Doctrinarisme. Il en faisait si peu qu'il fonda à Anvers « La Libre Pensée » dont il fut Président, et une institution excellente « Les Conférences populaires », où, pendant quatre années, tous les lundis, un millier d'ouvriers venaient écouter les orateurs démocrates. On peut dire sans crainte que c'est de là que sortit le mouvement socialiste anversois.
Il est clair que ces tendances ne pouvaient être vues de bon œil par les doctrinaires de cette ville. Aussi, un beau jour, l'illustre monsieur Loos réunit l'assemblée des actionnaires du « Précurseur » où Arnould fut invité à se rendre et prié par le conservateur personnage de mettre une sourdine à sa démocratie. Le soir même, Arnould donna sa démission de rédacteur du journal. - Il faut dire à l'honneur des doctrinaires d'alors que lorsque le « Précurseur » inséra la lendemain une lettre de démission d'Arnould et de M. Victor Lynen, membre du conseil de surveillance qui avait tenu à honneur de sortir du journal en même temps que le rédacteur démocrate, au lieu de les accabler d'injures le « Précurseur » rendit publiquement hommage à leur caractère et à leur talent.
Quelques jours après Arnould était à Bruxelles, et c est alors que ses amis et lui reprirent de MM. Graux, Picard et Olin, la « Liberté » qui fait tant parler d'elle maintenant. La Belgique allait avoir son organe socialiste. Il y avait eu un moment d'hésitation sur le point de savoir si l'on reprendrait la « Rive Gauche », alors publiée à Bruxelles par Rogeard et Longuet et que Léon Fontaine offrait à ses amis, ou si l'on reprendrait la « Liberté » que sa rédaction d'alors trouvait d'une besogne trop lourde. On s'arrêta à la reprise de la « Liberté » dont les nouveaux rédacteurs furent avec Arnould, Hector Denis, Guillaume De Greef, Oscar Van Goidsnoven, Emile Leclercq, Eugène Hins et Léon Fontaine. Plus tard le « Libre Examen » fait alors par Janson et Robert vint se fusionner avec la « Liberté » et apporta à ce vaillant journal le talent de deux grands avocats démocrates.
Nous ne ferons pas l'histoire de la « Liberté ». Elle dura de 1863 à 1873, paraissant hebdomadairement, en dehors de l'année 1871, où elle devint quotidienne. La rédaction en chef du journal fut pendant les trois dernières années confiée à Victor Arnould qui y dépensa avec ses amis plus de talent, d'énergie et de science qu'il n'en eut fallu pour faire une douzaine de journaux ordinaires tels que ceux qui paraissent maintenant. Il est à noter que le journal ne paya jamais un seul de ses rédacteurs. Ce furent eux au contraire qui faisaient les fonds de cette publication toute dème propagande et de principes et qui n'avait pas d'annonces ! Un journal sans 4° page ! On voit d'ici s'il pouvait rapporter de l'argent.
En 1869, Arnould avait été chargé par la Libre Pensée de Bruxelles d'aller représenter les libres penseurs belges à l'anti-concile de Naples, qui à sa première séance fut dispersé par la police de Victor-Emmanuel. Les délégués des divers pays voulurent protester, mais le commissaire de police chargé de dissoudre le Congrès les avertit charitablement que dans le jardin d'à côté était postée une Compagnie de bersaglieri avec ordre de jouer de la baïonnette. Les délégués n'eurent qu'à rentrer chacun chez eux et sans musique ! Arnould s'était fait remarquer par son attitude courageuse. La Libre Pensée, peu de temps après, pour le récompenser, lui confia la présidence qu'il conserva pendant quatre ans. Il succédait à Nicolas Goffin et à Emile Féron et sut rester à la hauteur de ces excellents présidents.
Le moment était venu de se recueillir et aussi, disons-le, de gagner son pain, car la fortune que lui a laissée son père est modeste. Arnould, quoi qu'avocat, n'avait guère fait d'affaires jusque là. Il avait bien plaidé des procès politiques, tels que le procès de Mons après la grève du Borinage où tous les accusés furent acquittés par la Cour d'assises du Hainaut, ce grand procès qu'il avait accepté avec Janson, Robert, Splingard, Van Goidsnoven et Louis Claes ; puis aussi des procès de presse tels que ceux de l'Espiègle et de la Cigale qu'il gagna en compagnie de Robert. Après ces rudes campagnes, il se mit vaillamment et sérieusement à traiter les procès d'affaires et réussit au bout de peu d'années à se créer une position honorable au barreau de Bruxelles.
Les travaux politiques et philosophiques continuaient cependant à l'occuper ; il donnait des conférences, publiait des brochures dont plusieurs furent remarquées. Il entreprit surtout une œuvre de longue haleine qui restera comme un monument par la largeur de la conception et le mérite littéraire : « L''Histoire sociale de l'Eglise », publiée par la « Revue de la philosophie positive » de Littré et qui va, croyons-nous, très prochainement paraître en volume.
Il y a trois ans, il fondait avec Edmond Picard, Eug. Robert et Octave Maus, l' « Art moderne » où il écrit surtout la partie littéraire. Il entra également avec Edmond Picard à la « Revue moderne » où il publiait, il y a quelques mois, une étude remarquable sur Gambetta.
L'an dernier, le corps électoral de Bruxelles l'envoyait siéger à la Chambre, on se rappelle après quelle lutte homérique et depuis qu'il est représentant, certes il n'a pas perdu son temps. La part qu'il a prise à la discussion de la loi sur l'emploi de la langue flamande dans l'enseignement, le succès obtenu dans la suppression des livrets d'ouvriers, cet autre succès qui s'appelle la renonciation par le gouvernement au contrat Lamport et Holt où il soutint tout le poids de la lutte avec Demeur et Dansaert et fit gagner sept millions au trésor, le discours qui fit tant de bruit sur l'organisation militaire, accueilli favorablement par des hommes distingués dans l'armée elle-même, la récente campagne sur la révision de l'article 47 où il fut l'un des six, la belle campagne sur les impôts qu'il soutint avec Féron aussi bien en section que devant la Chambre, enfin la discussion sur la réforme électorale où il prononça un discours sur la représentation des intérêts : Tout cela, au bout d'une année à peine de mandat législatif, montre le travailleur, l'homme d'action et de principes et nous rappellerons encore à propos de ce discours sur la représentation des intérêts, le remarquable article qu'il a publié dans « La Revue de Belgique » : La Capacité politique et les Catégories sociales.
En tout autre pays, une pareille vie, toute de travail et d'abnégation, vaudrait à un homme politique le respect même de ses adversaires ; ici il n'en est pas de même. Si l'autre jour M. Sabatier, qui certes n'est pas suspect de trop de bienveillance envers les démocrates, pouvait dire en pleine Chambre que M. Arnould jouit d'une grande popularité parmi les ouvriers du pays et qu'il la mérite, il faut avouer que cette popularité, MM. les doctrinaires essaient de la faire payer cher à M. Arnould. Quelle passion venimeuse ! Que d'outrages ! En est-il un seul qu'on lui ait épargné ? Qu'ils aient peur d'un pareil homme, je le comprends, mais ne pourraient-ils donner à leur peur une forme moins vile et même moins grotesque ? N'est-ce pas Arnould que les valets de pied, les cireurs de bottes du Gouvernement, traitaient l'autre jour comme une sorte de voyou, vociférant et gesticulant, comme un énergumène épileptique sans idée et sans talent, alors que tout le monde connaît la haute distinction, les origines quasi princières et le désintéressement sans limites des Canler et autres domestiques du pipelet Frère-Orban, que Malou comparaît en pleine séance, dernièrement, au cuisinier Trompette ?
C'est pourquoi devant pareil débordement d'injures suées par les stéganopodes de la presse ministérielle, nous nous abstiendrons de critiquer, comme doit le faire tout biographe bienveillant, certains côtés par trop enthousiastes et par trop artistes de V. Arnould. Nous nous contenterons de dire aux six ou plutôt aux huit de l'extrême gauche : Prenez-garde ! Si l'on compare les outrages prodigués à V. Arnould, aux fleurs dont les mêmes mains couvrent tel autre d'entre vous, on voit qu'il y a là une manœuvre qui tend à vous diviser en intéressant vos amours propres et les rivalités naturelles entre hommes de talent. Sacrifiez votre amour propre ! Sacrifiez vos rivalités sur l'autel commun de la démocratie ; songez que le pays non seulement attend de vous beaucoup, mais qu'il attend tout de vous ! Car si en ce moment vous deviez disparaître ou seulement subir un échec qui vous affaiblirait, c'en serait fait pour longtemps de toutes les revendications que la bourgeoisie et le peuple ont aujourd'hui en commun.
Le jour où V . Arnould est entré à la Chambre restera comme une date dans l'histoire du parlementarisme belge. Avec Janson, la démocratie avait enfin conquis sa place au milieu de nos conservateurs libéraux et catholiques; et après les tentatives infructueuses de Castiau et de Defuisseaux, le drapeau démocratique était remis entre des mains fermes et dont on pouvait être certain qu'elles n'abandonneraient jamais le combat. Avec Arnould est entré quelque chose de plus que la démocratie, la science sociale, le socialisme dans le sens élevé et pratique du mot. Il y a quelques jours M. Graux disait perfidement avec une arrière-pensée, qui se retrouve dans tout ce qui sort des sphères gouvernementales : qu'il acceptait, qu'il honorait le socialisme de Janson parce que celui-là porte un autre nom, cher à tous les cœurs, et s'appelle la Charité, mais qu'il repoussait tout autre socialisme. C'était sans doute Arnould qu'il désignait ainsi à la haine des conservateurs. C'est qu'en effet le socialisme dont M. Graux ne veut pas, s'appelle la science ; mais celle-là, qu'il en soit convaincu, il est commun à Janson et à Arnould, comme à leurs amis de l'extrême gauche, comme à d'autres qui les suivront bientôt et qui complèteront la pléiade au sein des Chambres : Guillaume De Greef, Hector Denis, depuis tant d'années soutenant le même combat avec leurs amis, les députés d'aujourd'hui, et destinés à continuer avec eux la grande lutte du peuple contre les privilèges.
A ces noms, nous joindrons ceux d'Edmond Picard et de Léon Defuisseaux, momentanément mis hors de combat, mais qui, eux aussi, ont à s'élever de la démocratie simpliste à la science sociale pour marcher de pair avec les représentants de l'idée nouvelle. Avec un pareil noyau d'hommes, que pèseront encore les anciennes distinctions de partis ! Nous verrons inaugurer alors cette politique pratique et féconde qui dédaigne les expédients, qui ne laisse rien au hasard, qui ne se met au service d'aucun intérêt privé, d'aucune coterie, d'aucune ambition vulgaire et qui n'a qu'un seul but, le bien du pays et de la démocratie.
Dans la dernière discussion des impôts, pendant qu'Arnould, Féron, et à côté d'eux, Janson, Robert, défendaient les droits populaires devant la Chambre, Degreef et Denis faisaient paraître des brochures où la question était étudiée avec la science et la maturité d'hommes habitués aux hautes études. Ainsi se révélait une fois de plus cette union sacrée qui faisait, il y a vingt ans, entrer ensemble dans la vie, ce groupe d'hommes comme bien peu de pays peuvent en offrir de semblable et qui, nous l'espérons, pour l'honneur et le bonheur de la Belgique, va maintenant donner tous ses fruits. Mais qu'ils le sachent, la tribune ne suffit pas : qu’ils fassent reparaître la « Liberté. »
Voir aussi : PUISSANT J., Victor Arnould , sur le site du maitron (consulté le 4 novembre 2025)
Victor Arnould est également repris (tête n°1) dans la célèbre caricature de l’hydre du socialisme (même site)