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d’intention
« Le Parti
catholique en Belgique », par Auguste MELOT, Louvain, Editions Rex, (c.
1834)
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CHAPITRE VI. LE PARTI CATHOLIQUE AU POUVOIR : LE CATHOLICISME SOCIAL
1. L’amoindrissement des majorités catholiques
au parlement
(page 95) Ce nouveau régime électoral allait
complètement changer la figure du Parlement. Il suffit, pour en donner une
idée, de citer quelques arrondissements et d’indiquer les modifications qui y
furent apportées. A Bruxelles, en 1898, avant l’établissement de la
proportionnelle, les dix-huit députés étaient catholiques ou indépendants, tous
élus sur une même liste ; après, en 1900, il y eut huit catholiques ou
indépendants, cinq socialistes, trois libéraux doctrinaires et deux libéraux
progressistes. A Anvers, avant la représentation proportionnelle, il y avait
onze catholiques ; après, il y eut six catholiques, quatre libéraux et un
socialiste. Dans les arrondissements de Gand et d’Eecloo,
il y avait dix catholiques en 1898 ; en 1900, ces deux arrondissements réunis
élurent six catholiques, deux libéraux et deux socialistes. Par contre, à
Liége, où il n’y avait que des socialistes, il y eut en 1900, trois
socialistes, deux catholiques et un libéral. La majorité gouvernementale qui
avait été de 68 voix tomba à 20 ; les libéraux et progressistes eurent 33
députés, les socialistes 32, les catholiques 86 ; il y avait un démocrate
dissident.
2. L’influence grandissante de Woeste et la retraite de Beernaert
La figure du parti catholique était également changée. Les députés qui
avaient des attaches avec la Ligue démocratique étaient nombreux et de qualité
Verhaegen, Helleputte, Renkin,
Carton de Wiart, Lantshecre,
Léon Mabille, Michcl Levie, (page 96)
Ponthière, Delporte (le bon Delporte), Cousot ; ils allaient donner un nouvel élan au mouvement
social et obtenir des lois de protection ouvrière.
Beernaert n’avait pas joué, de
1894 à 1900, le grand rôle de chef de parti que son passé semblait promettre.
Président de la Chambre, il ne se mêlait guère aux discussions parlementaires ;
entouré à l’étranger d’un grand prestige, il représentait avec éclat la
Belgique dans toutes les réunions internationales. Quand le Roi eut besoin d’un
négociateur pour traiter à Berlin l’affaire du Kivu, il choisit tout
naturellement Beernaert bien que leurs rapports fussent devenus assez froids.
Mais à l’intérieur, Woeste, le plus redoutable adversaire de l’opposition,
toujours prêt à l’attaque comme à la riposte, avait acquis sur le ministère De
Smet une influence qu’il n’avait jamais eue de 1884 à 1894 ; il veillait à
écarter du pouvoir le ministre de la révision constitutionnelle. Chose
étonnante ! et que les initiés seuls connaissaient à l’époque, que le public
connaît aujourd’hui par les renseignements donnés notamment par Verhaegen dans
« Vingt-cinq années de vie sociale » et par Woeste, dans ses mémoires,
l’Episcopat et particulièrement le Cardinal Goossens penchaient beaucoup plus
du côté de Beernaert que du côté de Woeste ; le haut clergé n’estimait pas celui-ci
assez social. Par contre, le vieux parti catholique pour qui Woeste, toujours
attentif aux intérêts religieux qui étaient la préoccupation de sa vie,
obtenait des « satisfactions » abondantes était avec lui.
Tout naturellement, les élus de la démocratie chrétienne se tournèrent vers
Beernaert qui était à leurs yeux l’initiateur de la législation sociale.
Celui-ci allait affaiblir sa situation auprès du gouvernement par une attitude
qui déplut au Roi. Déjà partisan de la reprise du Congo en 1895, il n’avait pas
changé d’avis en 1900, au contraire.
Le moment lui paraissait venu où, suivant la convention, (page 97) la Belgique devait annexer
cette colonie. Ce faisant, elle s’assurait définitivement un admirable domaine,
prenait sa part du devoir de solidarité humaine, de charité chrétienne, qu’a
toute nation riche et prospère envers les peuples arriérés ; elle mettait fin à
certains procédés d’une administration qui avait réalisé en Afrique des choses
admirables mais qui avait été obligée de se procurer, d’une manière parfois
critiquable, les moyens de vivre d’abord, de se développer ensuite et de
pousser ses conquêtes au Nord, à l’Est et au Sud. Le Roi, au contraire,
estimait que le moment de la reprise n’était pas venu, qu’un gouvernement
absolu était meilleur pour une colonie naissante qu’un gouvernement
parlementaire, que rien n’était prêt pour assurer le transfert d’une
administration à l’autre. Beernaert déposa avec Lantsheere,
Verhaegen, Delbeke et Heynen, une proposition de
reprise. Léopold II, irrité, envoya à Woeste une lettre qui était très dure
pour son ancien Premier Ministre ; il y disait notamment que « l’Etat
Indépendant du Congo proteste avec indignation contre l’esprit et les
sentiments que révèlent les projets de questions formulées par M. Beernaert et
qui sont autant de marques de défiance et autant de tentatives de calomnie. »
Woeste lut une partie de cette lettre à la commission, Beernaert retira sa
proposition et tout le monde comprit que sa carrière gouvernementale était
finie ; le prestige de Woeste, chargé d’un message royal, grandit dans tous les
milieux gouvernementaux et dans ceux qui prenaient leurs inspirations à la
Cour.
3. L’action du gouvernement de Smet
de Nayer
Grâce à lui, le service personnel fut de nouveau écarté au cours de cette
session ; les décisions d’une commission composée de militaires et de civils,
qui en avait voté le principe à une forte majorité, avaient ravivé les
espérances des partisans de cette réforme mais le Roi lui-même désirait que la
majorité ne fut pas divisée et qu’elle se présentât unie (page 98) aux élections de 1902 ; il n’insista pas et son
gouvernement se contenta d’une loi qui favorisait le volontariat. Il céda aussi
dans la question des jeux ; on a dit en 1932 qu’on n’entend plus qu’un bruit de
gros sous ; en 1900, on n’entendait en Belgique qu’un bruit de pièces d’or ;
les unes étaient le fruit du travail, de l’activité du pays stimulés par un
grand monarque, mais les catholiques et les socialistes trouvaient qu’on en
remuait aussi dans d’innombrables tripots où la richesse n’était plus la
récompense du travail mais du vice. Ils estimaient cette situation immorale et
cherchaient à obtenir non pas l’abolition du jeu (on ne fait pas disparaître
les passions humaines par des lois) mais des mesures législatives qui en
supprimeraient l’exploitation. Le Roi et De Smet de Nayer
qui désiraient ouvrir les portes du pays aux riches étrangers, résistaient et
ce n’est qu’en 1902 qu’ils se laissèrent convaincre par les considérations
d’ordre moral que l’on fit valoir.
Ces deux premières années de représentation proportionnelle se terminèrent
heureusement pour le parti, grâce à une faute des socialistes.
Ceux-ci exigèrent la révision de la Constitution et décidèrent la grève
générale pour appuyer leurs exigences. La droite tint bon et repoussa la
proposition. La grève générale fit long feu ; les émeutes furent énergiquement
réprimées et la classe ouvrière elle-même se montra très mécontente de ses
dirigeants. Les élections de 1902 firent passer la majorité de 20 à 26 voix.
(Il est vrai que trois sièges avaient été gagnés, à Gand, à Alost et à
Verviers, par des élections faites à la majorité absolue.)
4. Les tensions croissances entre
les deux ailes du parti catholique
Par la lutte qu’il avait menée contre les socialistes déchaînés, le parti
catholique avait rétabli son union. Un fait qui n’avait en apparence qu’une
importance minime mais qui était grave quand on l’interprétait d’après les
circonstances, allait de nouveau mettre cette union en péril.
(page 99) M. Surmont
ayant donné, en 1902, sa démission de ministre de l’Industrie et du Travail, il
s’agissait de lui désigner un successeur. Ce département créé en 1895 avait été
géré d’abord par MM. Nyssens et Cooreman qui étaient
des catholiques sociaux, puis par MM. Liebaert et Surmont plus conservateurs. Parmi les chrétiens sociaux on
en comptait plusieurs qui faisaient partie de la Chambre depuis plusieurs
années : Helleputte, premier président de la Ligue
démocratique, élu en 1889, MM. Carton de Wiart et Renkin élus en 1896 ; leur talent, leur dévouement au parti
et à ses œuvres, leur expérience parlementaire pouvaient les désigner au choix
du Premier Ministre. Depuis 1900, la Chambre comptait en outre deux chrétiens
sociaux de haute valeur : Verhaegen, président en exercice, et M. Levie, vice-président de la Ligue démocratique. Ce n’est
pas parmi ces cinq hommes politiques que l’on choisit le ministre dont les
attributions comprenaient la législation sociale ; on s’adressa au
vice-président de la Fédération des Cercles et des Associations, ami personnel
de Woeste, avocat de talent mais qui n’était entré au Parlement que depuis deux
ans. A tort ou à raison, les catholiques sociaux crurent à une exclusive que
le gouvernement et Woeste qui l’inspirait aurait portée contre leur groupe.
Dans ses mémoires, Woeste reconnaît qu’il a déconseillé le choix de Levie et de Verhaegen mais non celui d’Helleputte.
Quoi qu’il en soit, la nomination de M. Francotte
semblait prouver qu’à ce moment du moins, on ne voulait pas de catholiques
sociaux au Ministère. On rompait ainsi avec les traditions du parti. Depuis
toujours, il était admis qu’il y eût, pour les membres de la droite, des «
questions libres », des questions sur lesquelles ils pouvaient se
prononcer dans un sens ou dans l’autre sans cesser d’être du parti et de ses
dirigeants. On avait compté, dans tous les ministères, depuis 1884, des
partisans et des adversaires du service personnel, (page 100) de la protection agricole, de la représentation
proportionnelle. Voici que, tout à coup, le gouvernement manifestait
l’intention de considérer comme une cause d’excommunication les tendances
politiques et sociales de la Ligue Démocratique et qu’il faisait des
représentants démocrates, quels que fussent leur valeur et leur dévouement, des
députés de seconde zone, en tout cas, non ministrables.
A la réaction très vive qui suivit la nomination de M. Francotte,
seule la bassesse d’esprit peut donner pour mobile un froissement d’ambition
personnelle. La question était plus haute et touchait aux principes
fondamentaux sur lesquels le parti lui-même avait été constitué Son programme
obligatoire comprenait la défense de l’Eglise, de la liberté religieuse, de
l’enseignement confessionnel, de la patrie, de la société, de la famille. Il ne
comprenait pas les idées de l’école conservatrice en matière sociale. Si l’on
changeait les conceptions larges qui avaient fait sa force, si on lui imposait
un credo étroit, si on procédait à de dures exclusives, on
risquait de voir se former des groupes indépendants qui réclameraient
légitimement leur droit à l’existence et à une complète autonomie. C’est ce qui
faillit se produire. Les catholiques sociaux se réunirent ; M. Renkin déclara, dans l’Action Catholique, que le
gouvernement aurait à tenir compte de ce groupe qui fit opposition à la
première loi sociale présentée par M. Francotte.
Grâce aux sages conseils de l’Episcopat et même du Souverain Pontife qui
intervinrent à plusieurs reprises, grâce à la modération et à la bonne volonté
des principaux dirigeants du mouvement social, ce ne fut pas la scission. De
Trooz allait d’ailleurs se rapprocher de ce que l’on appelait la jeune droite.
Mais avant d’arriver à ce résultat heureux, le parti catholique tout entier
passa par une sérieuse épreuve.
5. La fortification du port d’Anvers
Le gouvernement avait déposé en 1905 un projet qui avait pour objet de
faire d’Anvers le (page 101) plus
grand port et la plus grande position fortifiée du monde. C’était sans aucun
rapport avec le programme de la Ligue démocratique et l’on vit M. Levie, le vice-président de celle-ci, MM. Carton de Wiart et Renkin s’y rallier
aussitôt. D’autres catholiques posèrent des questions et firent une vive
opposition. Le Roi que l’Empereur Guillaume (on le sait aujourd’hui par les mémoires
de Bulow) avait terriblement alarmé, fit une
propagande personnelle pendant les fêtes du soixante-quinzième anniversaire
mais sans révéler naturellement les causes de son inquiétude. Les projets
anversois furent défendus avec beaucoup de talent par le gouvernement, par
Delbeke, Woeste, M. Renkin et M. Paul Segers dont le
beau et solide discours annonçait la brillante carrière qu’il devait faire. Ils
furent critiqués par MM. Vandervelde et Hymans, par
Verhaegen, Beernaert, Helleputte et d’autres. Personne
ne songeait à s’opposer à l’agrandissement des installations maritimes mais on
craignait les dangers de la « grande coupure » de l’Escaut ; on se demandait si
elle n’allait pas changer les profondeurs du fleuve et transformer le régime
des passes. Le fait est que même autorisé par le législateur, aucun ministre
n’osa prendre sur lui de commander le travail envisagé et qu’on améliora
autrement le port.
Au projet de fortification, on opposait qu’il n’était ni celui de la
commission de 1900, ni celui de Brialmont ; qu’il ne répondait pas aux progrès
de la science poliorcétique, qu’il rendait nécessaire une puissante armée dont
nous étions totalement dépourvus. On contesta même qu’Anvers fût le réduit
militaire rêvé. Les événements allaient donner à certaines de ces objections
une confirmation douloureuse. Le projet finit par être voté mais à la condition
d’être soumis, avant exécution, à une sérieuse étude.
6. La reprise du Congo par l’Etat
belge
Une autre question de haute gravité nationale fut (page 102) la reprise du Congo. Les succès éblouissants du Roi
avaient attiré sur son œuvre l’attention de tous les pays du monde et l’envie
de certains hommes politiques ; on critiquait âprement en Angleterre, en France
et même aux Etats-Unis, les procédés qu’il avait employés ; une enquête
ordonnée par le Souverain lui-même révéla de nombreux abus dans l’organisation
du travail forcé. Le Parlement insista pour que la reprise du Congo par la
Belgique se fît avant que la Grande-Bretagne n’eût, comme elle menaçait de le
faire, réuni une nouvelle conférence pour décider du sort de notre colonie. Le
Roi céda à grand peine et y mit des conditions que le Parlement n’accepta pas.
Dans l’intervalle, De Smet de Nayer, coincé entre
les mécontentements d’un Souverain qui trouvait que son gouvernement ne le
défendait pas suffisamment au Parlement et les exigences d’un Parlement que les
protestations de l’étranger émouvaient peut être plus que de raison, s’était
fait renverser sur un amendement sans importance relativement à la durée du
travail quotidien dans les mines. Sous prétexte de liberté économique, il avait
joué l’existence du Cabinet sur la question de savoir si le gouvernement serait
ou non autorisé à fixer cette durée par arrêté royal.
De Trooz avait remplacé De Smet et avait fait entrer dans son Cabinet deux
démocrates M. Renkin, comme ministre de la Justice et
Helleputte comme ministre des Chemins de fer. L’exclusive
était levée mais cela ne simplifiait pas le problème de la reprise. De
Trooz mourut. Très courageusement, Schollaert, appelé
à le remplacer, exposa au Roi que le Parlement n’admettrait pas que la plus
riche partie de la colonie fût soustraite à l’administration belge sous la
dénomination de « fondation royale » ou de « domaine de la Couronne ». Le Roi
qui n’avait jamais eu en vue que la prospérité de la Belgique et sa grandeur
mais qui se défiait pour (page 103)
la colonie du gouvernement parlementaire, feignit de céder ; il ne céda qu’à
moitié ; après sa mort, on dut négocier avec les représentants du Roi Albert et
les héritiers de Léopold II l’annulation de certaines fondations dont le
Souverain n’avait révélé l’existence qu’à quelques initiés.
C’est un catholique, Beernaert, qui présidait le gouvernement, ce sont des
catholiques qui constituaient la majorité quand Léopold II fut autorisé à
devenir Souverain de l’Etat Indépendant ; c’est ce même ministre et cette même
majorité qui lui donnèrent le premier concours de l’Etat belge ; c’est un
ministère et une majorité catholiques qui réalisèrent à temps l’annexion. Le
parti peut à bon droit s’applaudir de la part qu’il a prise dans l’une des plus
belles pages de l’histoire de Belgique.
7. L’instauration du service
militaire personnel
Schollaert était un
chrétien sincère et des plus religieux. Célibataire - Woeste le faisait
malicieusement observer - il menait une vie de moine
dans le monde ; son dévouement était total. Ministre de l’Intérieur et de
l’Instruction publique du ministère de Burlet, il
avait réussi à faire voter une loi d’enseignement primaire qui renforçait
l’instruction religieuse et une loi relative aux élections communales qui
opposait une forte digue au parti socialiste. Si on l’avait suivi ainsi que Vandenpeereboom en 1899, la loi relative aux élections
parlementaires aurait consacré pour toujours la prépondérance du parti
catholique ; l’émeute l’avait renversé. Comme président de la Chambre, il avait
montré une sûreté de jugement, un tact, une endurance et une activité
remarquables. Ses adversaires politiques eux-mêmes rendaient hommage à la
loyauté de son caractère et au désintéressement de ses intentions. De petite
taille, la voix un peu rude, il ne visait pas à la haute éloquence ; sa parole
était simple, dénuée de relief, un peu hésitante quand il improvisait ; on eut
dit - mais ce n’était qu’une fausse
impression - qu’il se traduisait lui-même du flamand en français ; son (page 104) argumentation était solide.
A peine arrivé au pouvoir, la question congolaise sur laquelle deux
Premiers ministres étaient déjà tombés, avait mis son courage à l’épreuve ; la
manière dont il l’avait résolue avait grandi son prestige. Il voulut aborder le
problème militaire. Mal conseillé par son beau-frère Helleputte
dont le talent éclatant ne répugnait pas toujours aux petites habiletés, il ne
l’aborda pas de face comme devait le faire quatre ans plus tard M. de
Broqueville. Le projet de loi qu’il présenta ne prévoyait pas le service
personnel ; il supprimait en fait le vote annuel du contingent dont la
Constitution fait une obligation légale et qui est d’ailleurs indispensable aux
autorités militaires pour répartir les recrues dans les unités ; la partie
flamande du pays où les familles sont plus nombreuses que dans la Wallonie
allait supporter une moindre charge puisque l’on n’appelait au service qu’un fils
par famille. Par contre, le projet augmentait, dans une proportion sensible,
l’importance de l’armée ; la levée annuelle allait être de 18 à 21 mille hommes
au lieu de 13,300.
MM. Helleputte et Renkin
eurent l’habileté de faire porter le débat sur le service personnel, une de ces
réformes-symboles qui dressaient aussitôt les deux gauches contre la majorité
de la droite. Dans son désir de faire voter une amélioration à laquelle
socialistes et libéraux étaient passionnément attachés et de mettre la droite
en échec peut-être même de la diviser, l’opposition oublia les objections
qu’elle avait elle-même formulées ; elle sacrifia aux Flandres la Wallonie et
les grandes villes ; elle consentit que la levée ne fût plus fixée
annuellement, elle vota les immunités ecclésiastiques, moyennant quoi le
gouvernement consentit à rester au pouvoir bien que le service personnel eût
été voté par l’opposition unie à un tiers seulement de la majorité contre une
minorité composée des deux tiers de la droite.
(page 105) En cette année 1909, les craintes
d’une guerre mondiale n’était pas encore bien vives. L’Europe venait de
supporter l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine et le conseiller
diplomatique du gouvernement, le Baron Greindl, notre
ministre à Berlin, dans une lettre du 1er avril 1909, écrivait que le plus sûr
rempart de la paix était l’Allemagne. Il n’était d’ailleurs pas douteux, à son
avis, « que la Russie et la France ne fussent animées d’un désir sincère de prévenir
une conflagration européenne la Russie n’ayant rien de ce
qu’il fallait pour faire la guerre (Rapports diplomatiques publiés pendant
la guerre par le gouvernement allemand). Ainsi informé par nos
représentants à l’étranger, sachant d’ailleurs, grâce à ses relations
personnelles, que le gouvernement anglais était aussi éloigné que possible de
toute initiative belliqueuse, comment Beernaert, l’un des hommes d’Etat les
plus écoutés des grandes conférences internationales de la paix, n’aurait-il
pas conservé son inébranlable optimisme ? Il l’exprima à la Chambre dans un
fort éloquent discours qui traduisait le sentiment de beaucoup ; la guerre ne
menaçait pas. D’autres furent plus clairvoyants ; la droite unanime devait
montrer quelques années plus tard que, le danger national une fois révélé, elle
était prête à prendre toutes ses responsabilités et que son opposition aux
charges militaires n’était qu’un exercice pour temps calme. Schollaert
- et l’on peut y voir une nouvelle preuve de son courage - ne se contenta pas
de deux succès retentissants que lui avaient donnés la solution de la question
congolaise et la réforme militaire ; il ne s’endormit pas sur ses lauriers.
Léopold II venait de s’éteindre après un admirable règne pendant lequel la
Belgique avait atteint le sommet de la prospérité. Sans parler du Congo, (page 106) qui fera sa
gloire dans l’histoire, il avait réussi, grâce à sa prodigieuse habileté, à
faire passer le navire belge, sans une avarie, entre tous les écueils des
batailles religieuses et sociales et à l’amener au port de la fortune. Il était
mort dans le plus splendide et le plus orgueilleux isolement moral, ayant voulu
que son corps ne fût suivi que par son neveu et par sa maison.
Le Gouvernement prit sur lui de ne pas respecter cette dernière volonté.
8. La question scolaire et la
démission de Schollaert
Le roi Albert lui avait succédé. Peut-être eût-il été sage de ne pas
éveiller tout de suite les grands débats politiques et de laisser au jeune
Souverain le temps de prendre contact avec les hommes et les choses. Dès la
deuxième année du règne, Schollaert voulut toucher à
l’un des points névralgiques de notre politique intérieure et déposa, en 1911,
un projet de loi qui consacrait l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 14 ans
et la répartition égale des subsides de l’Etat, des provinces et des communes
entre toutes les écoles primaires, communales ou privées. La répartition des
subsides devait se faire par la remise aux parents d’un bon scolaire qui, transmis aux directeurs d’école, servirait à ceux-ci de
titre de créance envers les pouvoirs publics.
Cette invention était malheureuse; il était à craindre qu’elle ne
déchaînât la chasse à l’enfant par l’appât des subventions officielles.
Personne ne pouvait croire, cependant que ce projet dont les principes
fondamentaux devaient être acceptés, après la guerre, par un parlement unanime,
susciterait, en 1911, un incroyable orage et amènerait la chute du ministère.
C’est ce qui arriva; la gauche fit de l’obstruction et empêcha la constitution
de la section centrale; la rue s’en mêla; Woeste ne
manifestait d’ailleurs aucun enthousiasme pour le projet, et là où Schollaert avait vu un moyen de regrouper son parti assez
mécontent depuis le vote de la loi militaire, assez désemparé par le résultat (page 107) des élections qui avaient
réduit sa majorité à six voix, il n’y eut qu’une nouvelle occasion de malaise.
Le roi Albert consulta les ministres d’Etat sur la situation, ce qui froissa Schollaert dont la démission parvint au Palais et fut
acceptée.
9. Le cabinet de de
Broqueville
9.1. de
Broqueville
M. de Broqueville lui succéda. Il n’avait pas joué jusqu’alors un rôle
bien important mais il allait se révéler. Député depuis 1892, il avait remplacé
au Parlement Alphonse Nothomb dont les électeurs de Turnhout n’avaient plus
voulu parce qu’il s’était prononcé en faveur du service personnel. Par un juste
retour des choses, l’adversaire du service personnel de 1892 allait, en 1913,
obtenir du Parlement le vote du service général. Ministre pour la première fois
le 5 septembre 1910, il avait montré au Département des Chemins de fer beaucoup
d’activité et un grand désir de bien faire. Neuf mois après, il était président
du Conseil dans un des moments les plus difficiles.
A la suite des événements qui avaient amené la démission de Schollaert, quelle attitude allait prendre la droite de
plus en plus désemparée, en apparence plus divisée que jamais? Si l’opposition
la poussait un peu, comment les divisions n’éclateraient-elles pas au grand
jour à propos du problème scolaire, parmi ces députés, les uns partisans, les
autres adversaires de l’obligation et du bon scolaire; les uns estimant
suffisants les subsides de l’Etat et l’intervention facultative des provinces
et des communes, les autres voulant imposer aux provinces et aux communes
l’égalité dans la répartition, les uns réclamant l’instruction jusqu’à l’âge de
14 ans et l’institution d’un quatrième degré d’enseignement primaire,, les
autres - presque tous les représentants des circonscriptions rurales - trouvant
qu’il ne fallait pas garder les enfants à l’école après leur douzième année?
Qui obtint - et par quels moyens? - que la gauche dont la situation
n’avait jamais été si belle laissât dormir la question scolaire du 7 juin 1911
(page 108) jusqu’aux
élections de 1912, on ne l’a jamais su. Etait-elle fatiguée de son effort et en
jugeait-elle le premier résultat suffisant ? Espérait-elle gagner les suffrages
des électeurs hésitants par une certaine modération ? Voulait-elle, dans un
sentiment patriotique, éviter des secousses répétées à un jeune règne ? Le fait
est que la session de 1911-1912 se termina sans discussion sur la question
scolaire et même sans grande discussion politique. A l’opposé de Woeste, de
Jacobs et même de Beernaert qui recherchaient ces discussions, y trouvant
l’occasion d’exposer au pays le programme de leur parti, M. de Broqueville
n’aime pas provoquer de grands débats publics ; il préfère développer ses idées
dans des conversations de couloir ou de salon. C’est d’ailleurs comme on parle
ou comme on lit dans un salon qu’il parle et qu’il lit à la Chambre ; son
éloquence est volontiers familière, sa parole est facile, élégante et ne prend
guère le ton oratoire. Gentilhomme racé, l’allure d’un officier de cavalerie en
civil, s’il n’est jamais dépaysé même dans les séances les plus orageuses du
Parlement, c’est à cause de son sang-froid, de son dédain souriant, mais sa
voix ne domine pas les tumultes. Sans avoir fui la discussion, on peut croire
qu’il fut très heureux de l’avoir évitée jusqu’à l’élection.
La dissolution de 1912 rendit au parti catholique une majorité inespérée de
seize voix. Le cabinet de Broqueville était en quelque sorte plébiscité, ce qui
allait lui permettre d’aborder les plus graves problèmes de l’heure : loi
militaire, question électorale, loi relative à l’enseignement primaire.
9.2. La question militaire
Pour la loi militaire, M. de Broqueville eut le courage qui était en même
temps une habileté, de ne pas prendre la question de biais, Il dit loyalement à
la Chambre ses patriotiques inquiétudes. Tout le monde d’ailleurs était préparé
à son exposé. Le grand pacifiste belge, Beernaert, était mort peu de temps
auparavant, découragé de ce qu’il avait (page
109) vu et entendu à la dernière réunion internationale où il avait
vainement essayé de faire interdire la guerre par avions. Depuis 1909, trois
grands conflits avaient éclaté en Europe l’Italie d’abord, les nations
balkaniques ensuite contre la Turquie, la Serbie et la Grèce contre la Bulgarie
; l’atmosphère européenne était chargée d’électricité. Le maréchal anglais Lord
Roberts avait publiquement annoncé, en octobre 1912, que l’Allemagne attendait
le moment où ses armements navals seraient achevés pour attaquer la
Grande-Bretagne ; l’Autriche-Hongrie déclarait qu’elle était arrivée à la
limite de ses concessions à la Serbie ; on disait que de puissantes influences
russes cherchaient à entraîner le Tsar à la guerre. M. Poincaré, tout en
protestant de son amour de la paix, faisait entendre que la guerre est tout de
même préférable à l’abdication nationale et l’Allemagne accroissait son armée
dans des proportions formidables. M. de Broqueville n’ajouta aucun
renseignement précis à ce que tout le monde savait ; mais l’accent de
conviction, la sincérité avec lesquels il affirma qu’en cas de guerre, le
territoire belge serait délibérément violé par l’Allemagne ne laissa aucun
doute sur la gravité inquiétante de ses informations.
La loi fut votée, le 28 mai 1913, par 103 voix contre 62 ; une douzaine de
membres de la gauche libérale s’étaient joints à la droite. Mais lorsqu’il
s’agit, à la session suivante, de voter les moyens financiers d’exécuter la
loi, le nombre des libéraux qui apportèrent leur concours au gouvernement fut
bien moins élevé. Les élections de 1914 firent perdre deux sièges aux
catholiques ; elles furent influencées par le vote de la loi militaire et des
lois d’impôts que libéraux et socialistes reprochèrent à la majorité. Deux mois
avant l’ultimatum allemand, l’opposition espéra donc renverser le gouvernement
catholique parce qu’il avait amélioré notre état militaire ! Les nouveaux élus
de l’opposition, qui ne (page 110)
devaient leur siège qu’à leur hostilité aux mesures de défense nationale,
allaient d’ailleurs, pendant la guerre, se montrer aussi patriotes que
quiconque. Tels sont les jeux de la politique de village que l’on ne pratique
que trop en Belgique.
9.3. La question électorale
Dans la question électorale, M. de Broqueville fut moins heureux. La gauche
socialiste réclamait avec âpreté la révision de la Constitution ; la gauche
libérale était d’accord avec elle sur ce point. Les socialistes n’avaient cessé
de demander le suffrage universel pur et simple ; les libéraux n’avaient cessé
de critiquer le vote plural. Suivant une tactique maladroite qui ne lui avait
pas mal réussi en 1893 mais qui avait complètement échoué en 1902, le parti
ouvrier voulut appuyer cette revendication d’une grève générale. M. de
Broqueville était partisan convaincu de la révision. Il l’était à ce point que
sa retraite était chose décidée dans son esprit s’il ne réussissait pas à faire
les élections de 1916 sous l’empire du régime nouveau (Discours
prononcé pur M. de Broqueville à la Chambre, le 26 mars 1919) mais
il estimait, d’autre part, et toute la droite avec lui que l’on ne pouvait
délibérer sous la pression de la grève. La gauche libérale pensait de même ; M.
Hymans suggérait seulement que, la grève arrêtée, le
gouvernement nommât une commission qui étudierait la réforme constitutionnelle.
A cette proposition conciliante, on pouvait voir deux avantages : d’abord,
puisque la seconde révision était probable à brève échéance, lui éviter, par
l’étude et la réflexion, certaines improvisations qui avaient fâcheusement
marqué la première ; en outre, à un moment où l’on cherchait à unir toutes les
énergies pour l’éventualité d’un danger national, atténuer les irritations. La
droite ne le comprit pas. La voyant tout émue à la pensée de faire une
concession à (page 111) la
gauche socialiste, Woeste intervint avec son énergie
habituelle et, dans un discours improvisé, coupa les ponts que MM. Vandervelde
et Hymans s’étaient efforcés de jeter. La grève
générale fit long feu mais les socialistes prirent prétexte de l’attitude de la
droite pour refuser leurs votes à la réforme militaire.
9.4. La question scolaire
Depuis 1907, le ministre de l’Instruction publique portait le titre de
ministre des Sciences et des Arts. M. Poullet qui
avait remplacé M. Schollaert à ce département déposa
et défendit avec un très grand talent, soutenu par Woeste
rapporteur de la section centrale, un projet de loi qui reproduisait les
dispositions fondamentales de celui de Schollaert
mais avec les amendements que les réactions de l’opinion publique avaient
suggérées : les sanctions de l’obligation étaient renforcées, les
subventions de l’Etat aux écoles privées étaient augmentées, on n’imposait plus
aux communes d’y joindre les leurs, le bon scolaire disparaissait, une période
transitoire était prévue pour l’obligation jusqu’à l’âge de 14 ans. Les gauches
ne firent à ce projet qu’une opposition légale; il fut voté à une forte
majorité.
10. L’action de la Ligue démocratique
au sein du parti catholique
Entre 1900 et 1914, le parti catholique a singulièrement évolué, ainsi d’ailleurs
que les deux partis qu’il avait en face de lui. Les causes de division que Woeste signalait en 1897, avec une sagacité aiguisée
d’amertume, ont agi; deux groupements se sont formés dans le parti. Ce qui les
a opposés l’un à l’autre, ce n’est pas tant l’exercice du droit qu’on a fini
par reconnaître aux ligues démocratiques de désigner leurs candidats sur des
listes communes; on a usé ou on n’a pas usé de ce droit suivant les utilités
électorales des différentes circonscriptions; ce n’est pas seulement
l’existence dans le pays de deux puissantes fédérations rivales : la
Fédération des cercles et des associations d’une part, la Ligue démocratique,
de l’autre; c’est, avant tout, le fait qu’il y a, chez les catholiques, des
intérêts matériels (page 112)
et intellectuels divergents. Plus les électeurs sont nombreux, plus les
intérêts divergents se multiplient et plus l’acuité des divergences s’accentue.
La Ligue démocratique, représentant plus spécialement les travailleurs catholiques,
n’a pas limité son programme aux lois et aux œuvres sociales ; elle a voulu
avoir sa solution de la question militaire et elle s’est prononcée pour le
service personnel par préoccupation d’égalité ; elle a voulu avoir sa solution
de la question scolaire et elle s’est prononcée pour l’obligation de
l’instruction, il n’y a pas jusqu’au « bon scolaire » dont l’idée ne soit venue
de ses dirigeants. Son influence ne s’exerce pas seulement sur les élus qu’elle
désigne pour les listes communes ; elle s’exerce aussi dans les vieilles
associations catholiques. Dans l’arrondissement de Namur, par exemple, il n’y
avait de 1900 à 1914 qu’une association politique mais à côté d’elle, il y
avait une fédération d’œuvre sociales : la fédération ouvrière affiliée à
la Ligue démocratique ; les délégués de la fédération ouvrière étaient en même
temps délégués à l’association catholique où ils formaient la majorité ; il en
résultait que le programme de cette dernière était, quoique un peu atténué,
celui de la Ligue démocratique. Dans combien d’autres petits arrondissements,
la situation n’était-elle pas pareille ?
L’influence indirecte de la Ligue démocratique sur la Fédération des
Cercles et des Associations s’est manifestée avec
éclat en 1899, année où Woeste, ayant mis son mandat de président à la
disposition de l’assemblée qu’il dirigeait depuis quinze ans, se vit discuté
pendant deux séances et finit d’ailleurs par être réélu à une forte majorité
après un discours où il déploya toutes les ressources de son éloquence et où il
s’expliqua sur sa conduite et sur sa politique.
Dans d’autres domaines, l’action directe de la Ligue démocratique est
beaucoup plus visible encore. Nous venons de le dire pour le service personnel
et pour l’instruction (page 113)
obligatoire ; c’est de chez elle aussi que sortirent presque tous les partisans
catholiques de la démocratisation de l’impôt réalisée par M. Levie à l’occasion des dépenses militaires. Le vote des
lois sociales reprit, après l’entrée au Parlement des démocrates, à une allure
plus accélérée : loi sur la réparation des accidents du travail du 24 décembre
1903, loi sur le repos du dimanche dans les entreprises industrielles et
commerciales du 17 juillet 1905, augmentation annuelle des subventions de
l’Etat pour les pensions de vieillesse, loi sur la durée du travail dans les
mines du 31 décembre 1909, loi sur l’interdiction du travail de nuit des femmes
employées dans l’industrie du 10 août 1911, loi prescrivant de mettre des
sièges à la disposition des employés de magasin du 25 juin 1905, loi relative
au logement des ouvriers employés dans les briquetteries
et les chantiers du 30 avril 1909, loi relative à l’emploi de la céruse du 20
août 1909.
A côté de la Fédération et de la Ligue est né, prospère et grandit le Boerenbond, puissante fédération d’œuvres rurales du pays
flamand. Elle ne réclame pas encore, pendant cette période, le droit de
désigner des candidats pour les élections mais son influence commence à
s’exercer indirectement. Helleputte et Schollaert comptent parmi ses dirigeants.
11. Le maintien de l’union du parti
catholique
Pour toutes ces raisons, il devient plus difficile de maintenir l’union du
parti. Elle fut cependant maintenue puisque chaque gouvernement trouva une
majorité fidèle qui vota régulièrement ses budgets. Par ailleurs, le nombre des
questions qualifiées « libres » s’accrut.
Si le parti ne se divisa pas, il le dut en premier lieu à la sagesse et à
la bonne volonté de ses chefs. Woeste, sous des dehors tranchants, savait,
quand il estimait l’intérêt religieux en cause, faire, sans en avoir l’air, des
concessions importantes ; on ne peut oublier qu’il vota presque toutes les lois
sociales (page 114) après avoir
cherché à les modifier, qu’il fut le rapporteur de la loi sur l’instruction
obligatoire, qu’il défendit la loi sur le service militaire généralisé. De
l’autre côté, le président de la Ligue démocratique, Arthur Verhaegen, était
animé des intentions les plus conciliantes et les plus désintéressées. L’auteur
de ces pages, qui a eu avec lui d’innombrables entretiens sur ces questions,
l’a toujours trouvé profondément désireux de maintenir l’union du parti tout en
lui conservant le succès. A plusieurs reprises, Verhaegen intervint en qualité
de médiateur et parvint à éviter des divisions locales. Lorsqu’il fut avéré que
l’abbé Daens entendait scinder les troupes
catholiques, il eut le courage de proposer et le talent de faire voter son
exclusion de la Ligue démocratique malgré les nombreux partisans que ce
malheureux prêtre y comptait. A la Chambre, il proposa à plusieurs reprises des
solutions conciliantes. La conciliation fut toujours provoquée et encouragée
par l’Episcopat et par le Souverain Pontife ; les deux primats de Belgique.
Leurs Eminences Goossens et Mercier et tous les évêques belges, à l’exception
de l’Evêque de Namur, Monseigneur Decrolière, tinrent
à assister à l’un ou à l’autre des Congrès annuels de la Ligue démocratique. Le
Pape répondit affectueusement aux adresses que lui envoyaient annuellement les
deux fédérations rivales. (Verhaegen devait, hélas, périr victime des
brutalités allemandes. Ingénieur très distingué, ayant fait une étude spéciale
du régime des eaux dans les environs de la position fortifiée d’Anvers, il
s’enrôla à l’âge de 70 ans pour pouvoir aider de ses conseils le général du
génie chargé de tendre les inondations. Rentré à Gand après la prise d’Anvers,
il fut envoyé en captivité par les Allemands et ne revint en Belgique que pour
y mourir en 1917).
Si la modération des dirigeants fut pour beaucoup dans le maintien de
l’union catholique, comment se (page 115)
dissimuler, d’autre part, que le rapprochement de plus en plus marqué des
partis socialiste et libéral ait contribué à resserrer les liens entre
catholiques de toute opinion. Il n’y a jamais eu, sur le terrain électoral, de
séparation absolue entre les deux partis de gauche. Avant la représentation
proportionnelle, le « cartel anticlérical » était conclu, pour les élections,
dans plusieurs arrondissements, et les électeurs de Nivelles, de Liége, de
Namur notamment envoyaient à la Chambre socialistes et progressistes élus sur
une liste commune. Aux premières applications de la représentation
proportionnelle, on put croire un moment que chacun des deux partis allait
reprendre son autonomie complète, mais ils s’aperçurent assez tôt qu’à se
présenter sur listes séparées, ils perdaient l’un et l’autre des voix
inutilisées ; peu à peu ils reprirent l’habitude, dans quelques
arrondissements, de faire liste commune. Le désir de renverser le parti
catholique les amena à s’unir aussi après l’élection. MM. Hymans
et Vandervelde marchèrent pendant un certain temps la main dans la main. Cette
entente des libéraux et des socialistes en vue d’une administration commune eut
pour résultat d’atténuer le caractère révolutionnaire du parti ouvrier et de le
préparer au rôle qu’il allait jouer pendant et après la guerre.
La menace d’un gouvernement cartelliste fut pour beaucoup dans l’union
catholique.