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« Le Parti catholique en Belgique », par Auguste MELOT, Louvain, Editions Rex, (c. 1934)

 

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CHAPITRE III. DES CONGRES DE MALINES AUX ELECTIONS DE JUIN 1884

 

 

1. Le bilan en 1860 et le changement d’attitude de la hiérarchie ecclésiastique

 

(page 35) Comme en 1847, on se trouvait, en ces années 1859-1863, à la croisée des chemins. L’Eglise de Belgique pouvait, tout en maintenant ses droits, laisser le nouveau ministère à son œuvre, se désintéresser des luttes électorales et attendre patiemment l’heure où l’on aurait besoin de la collaboration des prêtres. Qu’il soit autocratique ou parlementaire, un gouvernement finit toujours par compter avec l’incalculable force morale que représente la religion. On l’a vu pendant la guerre où les pouvoirs civils les moins favorables à l’Eglise catholique ont été amenés à demander, pour le plus grand bien de leurs pays, des services au clergé.

Elle pouvait au contraire apporter son concours à la constitution d’un parti laïque qui tiendrait tête au parti libéral et défendrait les intérêts religieux sur le terrain constitutionnel.

Il est permis de croire que le Souverain Pontife était un peu revenu des idées qu’il exprimait en 1846 et en 1848.

Il régnait alors depuis une quinzaine d’années et avait peu à peu affirmé une politique bien personnelle. Il n’avait pas obtenu grand’chose des vieux gouvernements monarchiques. En 1848, c’est en vain qu’il avait écrit à l’Empereur d’Autriche pour lui demander de laisser à l’Italie son indépendance; les armées allemandes avaient battu Charles Albert et réoccupé la péninsule. Le gouvernement monarchique de Piémont menaçait l’indépendance (page 36) des Etats pontificaux. En 1859, Pie IX avait échoué à la Cour de Vienne, à la Cour de Turin et à la Cour de Paris quand il avait voulu arrêter la guerre entre ces puissances. Il ne pouvait, d’autre part, oublier que les droits du Saint-Siège n’avaient jamais été plus éloquemment défendus qu’à l’Assemblée Nationale de 1848 quand le discours de Montalembert y fut salué par des acclamations telles qu’on ne se souvenait pas d’en avoir entendu de pareilles dans aucune assemblée délibérante.

Aussi avait-il perdu un peu de sa confiance dans l’efficacité des négociations menées de puissance à puissance. C’est ainsi qu’à l’irritation profonde des gouvernements anglais et hollandais, il avait rétabli, la hiérarchie catholique, le 24 septembre 1850, en Grande-Bretagne et le 4 mars 1853 en Hollande.

Des gouvernements libéraux de Belgique avec lesquels il avait négocié, il n’avait rien obtenu et la loi de 1850 sur l’enseignement secondaire avait profondément blessé le clergé en admettant que l’enseignement de la religion pourrait être donné dans les athénées même contre le gré des ministres du culte. Le Souverain Pontife avait, en outre, constaté qu’on avait voulu se servir de lui pour empêcher les prêtres belges d’user des armes que la Constitution mettait entre leurs mains. De 1846 à 1857, que lui avait-on demandé? Au moment même où le nouveau parti libéral se faisant plus agressif, de défendre au clergé toute intervention dans les luttes politiques, de lui imposer une attitude de stricte neutralité entre ceux qui voulaient entraver son apostolat et ceux qui voulait le soutenir et l’encourager. Le Pape avait eu beau répondre qu’il s’appliquait « à prévenir tout empiétement de la part du clergé sur ce qui rentre dans les attributions du pouvoir civil et qu’il l’engageait à se conduire en toute occasion vis-à-vis du gouvernement et particulièrement dans les élections avec modération et avec réserve »; cela avait été considéré comme (page 37) insuffisant. Le Pape ne pouvait cependant aller plus loin sans trahir la cause de l’Eglise (ouvrage cité.)

On avait en outre osé lui demander de soutenir certains membres du clergé inférieur dans la révolte contre leurs Evêques. S’apercevant qu’on voulait le jouer, le Saint-Père avait ralenti son action diplomatique et, d’accord avec Léopold Ier, s’était servi de catholiques dévoués, dépourvus de tout mandat officiel, pour traiter certaines questions relatives à la politique intérieure de la Belgique. M. de Trannoy rapporte notamment que Dechamps avait été chargé par le Roi d’obtenir de Pie IX qu’il donnât « une leçon de modération aux Evêques de Gand et de Bruges ».

Le clergé belge d’autre part avait, depuis longtemps, l’habitude de défendre lui-même les intérêts de la religion; il les défendait en chaire et dans les journaux; des prêtres les avaient défendus au Congrès national. C’est de lui bien plus que des laïques qu’est née l’idée de former dans le pays un parti catholique non pas en vue d’acquérir des privilèges mais afin qu’on ne lui enlevât pas le droit de conquérir des âmes.

On comprend aisément les inquiétudes que les manifestations et les projets du parti libéral avaient suscitées chez les hommes chargés, par leurs fonctions sacerdotales, de prêcher la doctrine du Christ. Les actions du clergé même les plus conformes à son devoir sacré étaient critiquées et dénaturées par ces nouveaux adversaires. Les Evêques rappelaient-ils, en 1837, les condamnations que le Saint-Siège avait formulées contre les loges maçonniques, on les accusait de porter atteinte aux principes de liberté individuelle et de liberté d’association. Les curés donnaient-ils leur sentiment sur le programme des candidats aux (page 38) élections, on oubliait qu’ils étaient des citoyens belges aussi attachés que quiconque à leur pays et on leur reprochait d’avilir leur caractère sacré dans des luttes politiques. Réimprimait-on, dans le diocèse de Namur, un catéchisme du XVIIIème siècle où il était parlé de l’obligation de payer la dîme, l’Evêché avait beau affirmer qu’il y avait là une erreur de l’éditeur, on imputait à l’Eglise de Belgique le projet de rétablir, dans ce pays, l’un des impôts les plus impopulaires de l’Ancien Régime! Nous avons déjà parlé de la proposition de personnification civile de Louvain.

A ces procès de tendances qui se multipliaient, venaient s’ajouter de véritables actes d’hostilité. Dans des documents publiés, la franc-maçonnerie émettait la prétention de diriger le nouveau parti libéral, de mener grâce à lui la lutte contre l’Eglise catholique, « d’établir autel contre autel, enseignement contre enseignement (Cité par Thonissen, La Belgique sous le règne de Léopold II, 1 v., p. 213). On provoquait des soulèvements populaires à Verviers parce que le clergé séculier avait annoncé l’intention de se faire aider dans l’exercice de son ministère par deux jésuites belges! Une des formes les plus raffinées de l’hostilité fut le vœu émis par le Congrès libéral en faveur de l’affranchissement, par tous les moyens légaux, du clergé inférieur. Cette tentative de diviser l’Eglise de Belgique, de dresser le bas contre le haut clergé alla jusqu’à Rome par la volonté du ministère de 1847 où Frère-Orban avait une influence prépondérante. On chercha à obtenir du Vatican un blâme contre Mgr van Bommel qui avait révoqué un des curés de son diocèse et « une déclaration favorable aux prétentions raisonnables du clergé inférieur ». Le grand homme d’Etat libéral devait, quelques années plus tard, faire un nouvel effort pour mettre le Souverain Pontife en (page 39) désaccord avec l’Episcopat belge. Il était difficile d’imaginer sans naïveté que le Saint-Siège se laisserait prendre à ce piège assez grossier. Mais l’intention hostile n’en avait pas moins blessé profondément les prêtres que l’on semblait ainsi croire capables de manquer à leurs devoirs de discipline.

Ils réagirent vivement. Dès avant 1850, ils prirent part aux luttes électorales; ils combattirent les candidats dont l’élection leur paraissait un danger pour la religion. Ils cherchèrent à organiser une presse de combat. C’est à l’intervention de Mgr Malou, Evêque de Bruges, que la Patrie dont M. Neut prenait la direction, était transformée en 1852; c’est sous le patronage de Mgr Delebecquc, Evêque de Gand, que le Bien Public était fondé par MM. Lammens et de Hemptinne en 1853; c’est à la suite de nombreux pourparlers, auxquels Mgr Malou qui aidait son frère Jules avait participé, que le Journal de Bruxelles devenait l’organe des catholiques. C’est un chanoine, le futur Evêque de Liége, qui faisait paraître à Namur l’Ami de l’Ordre.

La droite parlementaire se plaignait même de ne plus rencontrer de soutien chez les laïques et de n’être aidée que par les prêtres. On ne trouvait de candidats ni pour le Parlement, ni pour les conseils communaux. « L’abstention et le refus de bons candidats se présentent dans plusieurs localités », disait Malou, à qui, d’Ostende et de Dixmude, on demandait des noms pour l’élection de 1850 et en 1852, Barthélémy Dumortier lui écrivait « Rien n’égale la mollesse des nôtres, il n’y a plus d’énergie catholique que dans le seul clergé... En dehors du clergé savez-vous ce que c’est que le parti » catholique? C’est le parti des poules mouillées. »

 

2. La génération montante : Woeste et Jacobs

 

En 1857, au moment des déplorables événements qui semblèrent donner à l’émeute le droit, jusqu’alors réservé au Roi et au Parlement, de congédier les ministres, M. de Trannoy note encore le désarroi des laïques. Du clergé seul arrivèrent (page 40) aux chefs de la droite quelques conseils de résister aux émeutiers.

C’est lui qui réagit aussi contre le projet que certains catholiques avaient conçu de s’abstenir en masse. L’Evêque de Bruges s’en irritait et le laissait voir. A Dechamps qui ne veut même pas signer un manifeste électoral préparé par Malou et qui parle de se retirer de la lutte, c’est son frère, un religieux rédemptoriste, le futur Archevêque de Malines, qui fait la leçon.

La jeune génération, par contre, élevée dans les collèges religieux ou épiscopaux, à l’Université de Louvain, et sur laquelle les Jésuites notamment avaient une grande influence ne demandait qu’à agir. Ce n’étaient plus les doctrines de Lamennais qui l’enthousiasmaient; on avait eu soin de lui en montrer le danger. Les discussions théoriques sur la thèse et sur l’hypothèse paraissaient à la plupart de ces jeunes catholiques des exercices d’école; ils partaient de la Constitution belge comme d’un fait acquis. Ce qui les animait, c’était le désir ardent de défendre l’Eglise qu’ils voyaient attaquée à Rome comme en Belgique, menacée un peu partout.

Deux de ces jeunes gens devaient jouer un rôle prépondérant dans la formation et dans la direction du parti catholique. Charles Woeste était né le 26 février 1837 d’un père protestant. Dans des pages émouvantes de sincérité, il a lui-même raconté sa conversion. De cette période de sa vie où il sentit passer sur lui la grâce de Dieu, il conserva jusqu’à sa mort la conviction que la Providence l’avait marqué pour son service et lui avait confié une sorte de mission. « Pour ceux qui, en entrant au Parlement, s’y donnent charge d’âmes, » écrira-t-il dans ses mémoires. Petit, maigre, sec, pointu, il était doué de l’esprit le plus clair, de la parole la plus précise - un peu sèche parfois - du caractère le plus courageux et le plus énergique; parfaitement désintéressé quant aux questions d’argent, (page 41) travailleur infatigable, il prit, très jeune, l’habitude de ne considérer la politique que du point de vue religieux. Comme il avait vu l’Eglise attaquée et menacée par la franc-maçonnerie et le nouveau parti libéral, il en arriva à concentrer toutes ses activités contre eux. Il fut l’un des premiers, parmi les laïques, à comprendre que l’unionisme avait fait son temps et qu’il fallait, l’on ne disait pas alors fonder un nouveau parti pour ne pas froisser les parlementaires, mais réorganiser l’ancien, formuler un programme, stimuler la presse, créer des associations et nommer des chefs que l’on pourrait d’ailleurs choisir parmi les unionistes de droite à condition qu’ils eussent « l’esprit nouveau. » (Mémoires de Woeste, p. 56)

Victor Jacobs, qui était né le 18 janvier 1838, ne venait pas du protestantisme; son père, libéral de gauche, avait pris part au Congrès de 1846 et serait devenu l’un des dirigeants du parti libéral si la mort ne l’avait enlevé prématurément, en 1847. Sa veuve envoya leur fils Victor chez les jésuites de Vaugirard où il puisa « cette foi profonde, cet attachement à l’Eglise qui constituèrent l’unité souveraine de sa vie » (Victor Jacobs par Aiphonse Bellemans, p. VII de la préface de Charles Woeste. Nous avons trouvé dans cet ouvrage très bien documenté plusieurs renseignements que nous reproduisons ici). Il y perfectionna sa connaissance de la langue française qu’il devait parler avec une éloquence insurpassée en Belgique. On trouvait en lui toutes les qualités qui distinguaient Woeste mais contrairement à celui-ci, il était naturellement optimiste; sa parole était plus chaude et plus abondante. Pour lui, l’éloquence n’était pas seulement un moyen d’action; c’était aussi un art; son argumentation pressante et serrée, l’élévation de ses idées, la promptitude de ses ripostes, sa phrase harmonieuse, son impeccable (page 42) diction que servait une voix d’or, sa belle tête au regard droit en faisaient un orateur de grand style qui égalait et surpassait les meilleurs. Il entra à la Chambre en 1863, malheureusement sur une liste du meeting anversois, association antimilitariste; ce patronage devait influer sur toute sa carrière.

Dès 1857, année des émeutes contre « la loi fatale des couvents », il avait publié une brochure en faveur de la liberté des fondations et l’avait signée : un élève de l’Université de Bruxelles. Ses condisciples libéraux sommèrent publiquement l’auteur de se faire connaître « C’est moi, leur dit-il, réfutez-moi. »

 

3. L’ambiguïté politique des congrès de Malines (1863, 1864 et 1867)

 

Toute la jeune génération qui admirait Jacobs et Woeste accueillit avec joie l’idée émise par Ducpétiaux et soutenue par eux de réunir en Belgique un congrès international, à l’exemple de ces grandes assemblées allemandes dont Windthorst devait dire plus tard qu’elles étaient les grandes manœuvres d’automne de l’armée catholique. On demanda l’assentiment et le patronage du Cardinal de Malines, Mgr Sterckx, qui les accorda volontiers. Plusieurs des jeunes gens qui collaborèrent en qualité de commissaires à l’organisation des Congrès siégeront, à partir de 1884, sur les bancs de la droite parlementaire. Sans parler de Jacobs et de Woeste qui jouèrent, à Malines, un rôle important, il y avait notamment Victor Fris pour Malines, Kerchove, van Cleemputte, Ruzette, Amédée Visart pour les Flandres, Ernest Mélot et Doucet pour Namur, Léon Pastur pour Nivelles, Cartuyvels pour Waremme, Dallemagne pour Liége et d’autres.

Ces congrès qui allaient se tenir en 1863, 1864 et 1867 et d’où devait sortir la constitution définitive du parti catholique s’interdisaient cependant, par l’article 1er de leurs statuts, toute immixtion dans la sphère politique proprement dite. Il y a là une anomalie qui demande une explication; elle fera (page 43) comprendre en même temps l’équivoque nécessaire sur laquelle ce parti est basé.

Pour former l’âme d’une association politique quelle qu’elle soit, il faut d’abord lui donner une mystique qui puisse exalter ses membres. En groupant des catholiques illustres de tous les pays, un cardinal Wiseman, archevêque de Westminster, un Manning, futur cardinal, un Mermillod, évêque de Genève, un Montalembert, un Cochin, un Melun, un Falloux, un Broglie, un Dupanloup, évêque d’Orléans, des députés anglais et prussiens, des Allemands, des Italiens, des Polonais, tous célèbres, ces grandes réunions, que le Souverain Pontife lui-même honorait d’une approbation personnelle, ne pouvaient manquer d’exalter la fierté des catholiques belges; ils se savaient déjà mais ils se sentaient bien plus encore après ce coude à coude, les fidèles d’une Eglise qui couvrait toute la terre. Rien de plus exaltant aussi que le programme proposé dans une langue admirable par un Montalembert : faire une Eglise libre, forte, puissante, agissante, conquérante des âmes dans un Etat libre ou par un Dupanloup former l’âme de l’enfant par l’école chrétienne.

Le congrès s’interdisait toute immixtion dans la sphère politique mais le président de l’assemblée de 1863 était un illustre vieillard qui avait, en 1831, présidé le Congrès National, les vice-présidents étaient le comte de Theux, député, ancien Premier ministre et della Faille, sénateur; le président de la quatrième section, le comte de Liedekerke.Beaufort, député de Dinant; les présidents de la cinquième section, Dechamps, chef de la droite parlementaire et le baron d’Anethan, sénateur, ancien Premier ministre. Le congrès s’interdisait toute immixtion dans la sphère politique mais dès les premières réunions on s’efforçait de favoriser le développement des cercles catholiques qui n’étaient encore que des sociétés d’agrément et allaient devenir des associations électorales. M. Dechamps s’écriait (page 44) dans un discours d’une grande éloquence « Je me promets bien, lorsque je remonterai à la tribune de mon pays, d’y porter en mains le discours du comte de Montalembert. Je dirai à nos adversaires Voilà un programme démocratique et libéral; nous le signons; osez-vous le signer? Vous êtes, ajouterai-je, des libéraux et nous sommes des cléricaux; au moins vous l’affirmez. Eh bien! je sors du congrès de Malines et voici ce que j’y ai appris : nous sommes des cléricaux comme le cardinal Wiseman et la libre Angleterre; nous sommes des cléricaux comme le comte de Montalembert, comme MM. Cochin et Albert de Broglie, comme les démocrates de la Suisse, les patriotes de l’Italie et de l’Allemagne, les libéraux de la Hollande et les martyrs de la Pologne; nous sommes des cléricaux avec les libres et les opprimés, et vous êtes des libéraux avec tous les oppresseurs. »

Au congrès de 1864, quand le même Dechamps, qui venait d’être écarté du Parlement, prit place au bureau, il fut salué d’une ovation spéciale et il prononça les paroles suivantes « Vous avez voulu, messieurs, saluer en moi les vaincus du 11 août (jour de l’élection); ceux qui sont tombés en combattant... Mais vos applaudissements s’adressent surtout à cette minorité, à cette opposition (parlementaire) des 52, à cette vaillante phalange qui saura résister encore à nos adversaires politiques car si la passion politique peut avoir ses triomphes d’un jour, la raison politique a toujours ses revanches du lendemain ». Et il fut acclamé.

En réalité, dans ces grandes assises où l’on présentait à l’émulation des catholiques du monde entier les œuvres fondées en Belgique : université de Louvain, sociétés de Saint-Vincent de Paul, denier de Saint-Pierre, propagation de la foi, cercles catholiques, missions belges en Chine, œuvre des églises pauvres, etc., etc., tous les assistants (page 45) savaient qu’au moment où la liberté de l’Eglise paraissait menacée, l’œuvre des œuvres était la fondation et l’organisation d’un parti qui donnerait toute son efficacité à notre libérale Constitution.

 

4. Les fondements du nouveau parti politique

 

Ce parti cependant ne devait pas être confessionnel. Du point de vue des dogmes et de la morale, un parti confessionnel ne peut se distinguer de l’Eglise; seuls, les chefs de celle-ci ont qualité pour définir les dogmes et tracer les règles de la morale catholique. Du point de vue de l’administration politique, économique et financière d’un Etat, il n’y a pas de doctrine spécifiquement catholique et il n’est pas désirable - nous l’avons dit - que 1’Eglise réunisse en ses mains les deux pouvoirs. Dans les questions où chacun des deux pouvoirs a ses droits, telle la question de l’enseignement, le parti que l’on voulait fonder, sympathique à l’Eglise, formé en quelque sorte à son ombre, serait l’intermédiaire tout indiqué entre elle et l’Etat et assurerait une collaboration cordiale et efficace des deux autorités. L’Eglise ne renonçait pas, pour autant, à son droit de traiter de puissance à puissance mais elle aurait moins d’occasion d’en user, ce qui était préférable. Il ne s’agissait pas pour elle de se mettre au service d’un parti, comme le craignait Pie IX; c’est plutôt le reproche inverse que l’on formulera; il s’agissait de faire confiance à ce parti. Depuis 1847, les chefs de l’Eglise avaient eu le temps d’apprécier et de juger les hommes politiques de notre pays; plusieurs des dirigeants de droite se montraient ses amis éprouvés : Malou était le frère d’un évêque; Monseigneur Dechamps, futur cardinal de Malines, était le frère du chef de la droite; le neveu de l’évêque de Liége, représentait l’arrondissement de Namur. Les jeunes sortaient presque tous de collèges catholiques. On pouvait compter sur eux.

Le nouveau parti ne devait pas non plus, s’il voulait réussir en Belgique, - le clergé belge qui connaissait mieux que personne la mentalité publique (page 46) en était convaincu - revendiquer des privilèges pour l’Eglise. Comme l’avait dit Dechamps, le vrai programme c’était celui que Montalembert avait exposé l’Eglise libre dans l’Etat libre. C’était le seul qui maintenait les rangs ouverts aux libéraux restés dans les idées de 1830 et aussi à ces quelques milliers d’électeurs (aujourd’hui, ils sont cent cinquante à deux cent mille) que l’on a appelés la masse flottante, bien improprement d’ailleurs car ils ne se contentent pas de flotter, ils se dirigent très délibérément, les uns vers ce qu’ils croient être le meilleur gouvernement du moment, les autres vers le parti qui sert le mieux leurs intérêts ou leurs passions.

Les catholiques belges avaient encore une autre ambition que celle de faciliter les rapports de l’Eglise et de l’Etat et de donner toute son efficacité à la liberté religieuse; ils voulaient prouver par les faits que l’on peut - contrairement aux affirmations de la plupart des publicistes libéraux - gouverner l’Etat avec intelligence, énergie et patriotisme sans cesser d’être un excellent catholique.

Pour éviter de paraître confessionnel ou fermé, ce parti auquel les Congrès de Malines avaient donné une mystique ne s’appela pas tout d’abord le parti catholique; il fut le parti conservateur jusqu’après 1884. Nous continuerons néanmoins à lui donner le nom qu’il porte aujourd’hui.

 

5. Les élections de 1863 : une occasion manquée

 

Cependant la droite parlementaire, dont les méthodes et la tactique n’avaient pas changé en même temps que celles de ses jeunes électeurs, ne réussissait guère dans son rôle d’opposition. Les élections de 1863 qui précédèrent le premier Congrès de Malines avaient considérablement diminué la majorité ministérielle; les élections partielles de Bastogne et de Bruges qui le suivirent l’avaient encore réduite. Le cabinet Rogier-Frère n’avait plus assez d’autorité pour gouverner; il offrit sa démission au (page 47) Roi qui chargea Dechamps de former un ministère. Malheureusement, Dechamps mal inspiré voulut obtenir l’assentiment du Souverain sur un programme que celui-ci ne trouva pas assez conservateur, les négociations traînèrent en longueur et l’on apprit tout à coup que Rogier avait été rappelé au Palais et que c’était lui qui procéderait à la dissolution. Les élections du 11 août 1864 lui rendirent une majorité de douze voix.. Dechamps ne fut même pas réélu.

Le nouveau parti s’organisait lentement. Ducpétiaux, Dechamps et son frère fondèrent avec Woeste, en 1865, la Revue Générale qui allait permettre aux écrivains catholiques de se faire connaître. Deux ans après le troisième congrès de Malines, en 1869, les cercles dont il avait été parlé à ces assemblées se fédérèrent et formèrent une association nationale qui, sous la présidence successive de Cannart d’Hamale, de Beernaert, de Woeste, de M Segers et après sa réunion avec la fédération des associations conservatrices, allait devenir l’organe principal et pendant quelque temps même, l’organe unique du parti.

Néanmoins lorsque, en 1870, les électeurs renversèrent le ministère libéral, l’organisation était encore rudimentaire. Quelques années auparavant l’encyclique Quanta cura, dans laquelle Pie IX exposait de nouveau les principes énoncés par Grégoire XVI avait été, pour certains, l’occasion de s’élever contre le programme de Montalembert. Perin, professeur d’économie politique à l’université de Louvain, l’un des vice-présidents des deux premiers congrès de Malines, se sépara de ses amis et se mit à critiquer les libertés constitutionnelles; ses enseignements étaient admis et développés par les dirigeants de plusieurs journaux. Il n’y avait cependant pas dans le pays de majorité pour la suppression des libertés constitutionnelles. Parler de les supprimer ou de les réduire, c’était renoncer à (page 48) gouverner la Belgique et la livrer, par conséquent, aux autres partis. Grâce aux explications qui avaient été abondamment données depuis l’Encyclique Mirami vos, grâce, en particulier, à la brochure du cardinal Stercks, archevêque de Malines, la grande majorité des catholiques ne fut plus guère troublée par les doctrines intransigeantes de Perin. Son école allait cependant être une source de grosses difficultés pour le gouvernement de Malou.

 

6. L’influence des idées du Meeting sur le parti catholique

 

Le parti catholique ne fut pas préservé non plus d’une autre faiblesse inhérente d’ailleurs à tous les partis qui, dans les pays parlementaires, doivent rechercher les succès électoraux; il eut à tenir compte des passions et des préjugés de la masse flottante.

En s’opposant, en 1858, au projet de loi relatif aux fortifications d’Anvers, Matou avait eu principalement en vue de faire de l’opposition au ministère Rogier-Frère et de lui montrer qu’il ne fallait pas négliger les unionistes de droite. Cette opposition n’avait d’ailleurs servi qu’à faire voter, un an après, par 49 voix contre 29, le projet d’une enceinte plus étendue. Lorsque l’autorité militaire commença la construction des nouvelles fortifications anversoises et surtout de la citadelle du Nord, la population sentit peu à peu le poids des servitudes militaires et fut émue des dangers que les ouvrages pouvaient faire naître. Les intéressés se réunirent, s’agitèrent, multiplièrent les protestations et formèrent une association permanente sans couleur politique qui prit le nom de meeting. Dès 1862, à propos d’une élection sénatoriale partielle, ce groupement fit une démonstration de sa force. Il donna l’abstention comme mot d’ordre; sur 4.590 électeurs inscrits, 151 seulement votèrent dont 40 par bulletins blancs. Cette quasi-unanimité ne se maintint pas; l’association libérale abandonna le meeting, l’association conservatrice saisit l’occasion électorale qui lui était offerte; c’est (page 49) sous l’étiquette meetinguiste qu’elle présenta ses candidats en 1863; d’Hane-Steenhuyse et le comte du Bois y représentaient la Commission des servitudes militaires, Victor Jacobs les catholiques. Cette liste fut élue à une écrasante majorité. Bien que le mouvement ne fût pas à l’origine nettement antimilitariste, il était pourtant en opposition très accentuée avec le ministre de la guerre et devait peu à peu et en quelque sorte par capillarité entraîner le parti dans une voie qui n’était pas celle des hommes d’Etat de l’unionisme. On chercha à plaire à l’électeur en se prononçant contre les charges de défense nationale. C’était d’autant plus aisé qu’on n’avait pas, à ce moment, les responsabilités du pouvoir. Le parti catholique allait les connaître avant de s’être suffisamment organisé pour les supporter.

 

7. Le retour au pouvoir - Jules Malou

 

Après les élections de 1870, d’Anethan fut appelé à constituer le cabinet; il avait déjà présidé le ministère unioniste de 1843 et revenait au pouvoir avec les mêmes idées; il aurait voulu avoir à ses côtés l’un ou l’autre homme politique de gauche mais il n’en trouva pas. La dissolution à laquelle il procéda donna une forte majorité aux catholiques dont les associations avaient joué un rôle important avant et après la constitution du ministère.

Celui-ci fit voter une excellente loi qui augmentait le nombre des électeurs provinciaux et communaux; au lendemain de la guerre franco-prussienne,. il voulut en faire voter une autre non moins utile qui aurait amélioré notre état militaire mais il se heurta à une opposition acharnée de la fraction la plus agissante du parti.

Le Roi qui reprochait à d’Anethan de ne pouvoir mettre un terme aux émeutes suscitées par la nomination de De Decker comme gouverneur du Limbourg, révoqua les ministres. D’Anethan fut remplacé par Malou qui, pour caractériser sa politique, s’adjoignit le comte de Theux, Malou était entré très jeune au Parlement. Né en 1810, il fut élu député d’Ypres en (page 50) 1841. Solide flamand, très cultivé, ayant fait d’excellentes études chez les jésuites de Saint-Acheul qu’il avait suivis à Fribourg après leur expulsion de France, ensuite à l’Université de Liége, il passa du barreau bruxellois à l’administration et devint chef de bureau puis directeur au ministère de la Justice. C’est là que les électeurs d’Ypres avaient été le chercher à une époque où le cumul des fonctions administratives et du mandat parlementaire n’était pas interdit. Il se distingua à la chambre par une éloquence sobre et claire; infiniment spirituel, il se tira plus d’une fois de situations délicates par un mot d’esprit. Après avoir été gouverneur d’Anvers tout en restant député, il devint en 1845 ministre des finances. C’est alors qu’il prononça la phrase si souvent citée « S’il y avait devant vous un ministère de six Malou, je le combattrais... Je ne désire pas qu’il y ait un ministère entièrement composé de cette nuance. » Rapporteur en 1857 de la loi appelée par la presse libérale « loi des couvents », il en avait conseillé le retrait, après les incidents tumultueux qu’elle avait provoqués, ce qui lui avait donné dans la presse catholique une réputation de timidité et chez les sages de prudente modération. Catholique convaincu, il avait compris assez tôt que le temps de l’unionisme était passé et avait, à diverses reprises, tâché d’organiser le parti; il ne comprit malheureusement pas l’utilité qu’allaient avoir, de ce point de vue, les congrès de Malines; il s’en était abstenu, ne pouvant vaincre sa répugnance pour ce qu’il appelait des tournois de paroles en l’air. Sans manifester la moindre hostilité - son fils figurait parmi les commissaires -, il ne participa pas à l’enthousiasme que ces réunions avaient fait naître.

A soixante et un ans, n’ayant plus été à la tête d’un département ministériel depuis un quart de siècle, il était appelé à présider un gouvernement où il avait à s’appuyer sur un parti nouveau qui s’était formé un (page 51) peu en dehors de lui par des moyens qu’il n’avait pas encouragés. Pour entrer au ministère, il quittait une puissante société financière au moment même où les affaires Langrand mettaient plusieurs catholiques de marque en délicate posture. La majorité qui devait le soutenir venait d’être désemparée par la révocation du ministère précédent. La réussite de Malou - il se maintint pendant sept ans - fut un tour de force. Il gouverna sagement et n’y eut pas peu de mérite. De même que les ardeurs du jeune parti libéral avaient été une gêne pour le premier ministère Rogier-Frère, l’élan que les congrès de Malines avaient donné aux catholiques n’alla pas sans quelque inconvénient. Un parti qui arrive au pouvoir est animé de sentiments comparables à ceux d’une armée qui entre dans une ville prise d’assaut. Il faut à ses chefs beaucoup de fermeté pour empêcher le pillage des fonctions et des deniers publics; il leur en faut pour distinguer et choisir entre la partie gouvernementale du programme et la partie dont la réalisation serait contraire à l’intérêt du pays.

Dès le début, Malou se heurta au jeune parti catholique; il voulait, comme d’Anethan, améliorer l’armée mais les associations conservatrices s’opposèrent à ce que l’on infligeât au pays des charges nouvelles. L’influence du meeting d’Anvers, le prestige dont Victor Jacobs était entouré chez les jeunes poussaient les catholiques dans la voie d’un certain antimilitarisme.

D’autre part, Malou se garda avec soin d’exciter les passions libérales; les ministères de 1857 et de 1870 avaient succombé sous l’émeute; il était prudent de ne pas s’exposer à une troisième épreuve. Mais cette modération ne faisait pas l’affaire d’un parti tout enivré de sa force. Woeste, dans ses Mémoires, traduit fort bien cette impression : « Quelles satisfactions M. Malou donna-t-il aux catholiques de 1871 à 1878? Il faut bien le (page 52) reconnaître : fort peu. » C’est cependant sous ce ministère que fut votée la loi sur l’enseignement supérieur qui permettait aux universités libres de conférer des diplômes à leurs élèves, mais ce fut sur la proposition de Frère-Orban aussitôt acceptée par le gouvernement.

Si le ministère ne donna pas de grandes « satisfactions » aux catholiques, ceux-ci, par contre, lui causèrent pas mal d’embarras. La discussion sur les libertés modernes battait son plein dans la presse. Pour apprécier les difficultés qu’elle suscita au gouvernement, il n’est que de se reporter à la note que les chefs de la droite adressèrent au Souverain Pontife par l’intermédiaire du nonce en 1878. Les signataires y constataient la contradiction entre la politique du gouvernement et de la majorité « qui défendent les institutions nationales » et celle d’une notable fraction de la presse catholique qui « les bat incessamment en brèche ». Ils faisaient observer que la nation belge habituée depuis des siècles à se gouverner elle-même s’éloignerait du parti si elle pouvait croire qu’il veut changer le régime et soulignaient l’inconséquence qu’il y a, si l’on ne veut pas changer le régime, à « prodiguer à la constitution les attaques et les dénigrements ». Ils attribuaient enfin l’échec électoral de 1878 aux intempérances de la presse.

Ce qui rendait piquantes ces critiques des libertés constitutionnelles, c’est que ceux qui les formulaient en réclamaient avec énergie le bénéfice, lorsqu’une autorité libérale - tel Piercot, bourgmestre de Liége interdisant à Mgr de Montpellier de sortir à la tête d’une procession - voulait en limiter l’exercice. Du point de vue politique, certaines manifestations épiscopales ne laissèrent pas non plus de causer des préoccupations. La situation de l’Eglise catholique était alors profondément angoissante; le Roi d’Italie venait de s’emparer de Rome; (page 53) Bismarck menait contre le catholicisme qu’il considérait comme l’allié de la France, une lutte sans merci. On ne pouvait demander à l’Episcopat belge de rester indifférent aux malheurs qui accablaient la Papauté et les prélats allemands. Mais lorsque des évêques essayaient d’obtenir du gouvernement belge une intervention en faveur du Vatican et contre la monarchie italienne, lorsque - tel évêque de Namur  ils comparaient le gouvernement allemand à Néron et à Dioclétien en ajoutant qu’il ne lui restait plus qu’à verser le sang des prêtres pour descendre au niveau de ces persécuteurs du christianisme, ils exposaient notre pays à des réclamations diplomatiques dont M. de Trannoy a raconté les détails (Revue Générale, décembre 1927). Malou fut obligé de regretter publiquement l’attitude de Mgr Gravez; la presse catholique se montra très irritée de ce désaveu et il fallut au Premier Ministre toute son adresse pour empêcher qu’un mandement collectif n’affirmât la solidarité de l’épiscopat belge avec l’évêque de Namur.

On peut conclure de ces incidents que le jeune parti né des congrès de Malines, s’il ne manquait ni de zèle, ni d’activité, n’avait pas encore la discipline et l’expérience voulues. Ces qualités allaient lui venir de la défaite et de l’épreuve.

 

8. La guerre scolaire (1878-1884)

 

Les élections de 1878 donnèrent la majorité au parti libéral qui prit le pouvoir avec la résolution de s’en servir contre les catholiques. Les radicaux exigeaient la transformation radicale de la loi de 1842 sur l’enseignement primaire et la suppression de la légation belge au Vatican. Frère-Orban, chargé par le Roi de former le nouveau cabinet, avait pris le portefeuille des Affaires Etrangères; il conçut le projet de se servir de cette légation pour se faciliter la modification du régime scolaire. Le (page 54) gouvernement italien - Frère-Orban le savait - désirait que les légations étrangères fussent maintenues auprès du Souverain Pontife, la situation du Chef de l’Eglise ne devant pas paraître trop diminuée par la prise de Rome. Le leader du parti libéral espérait excuser auprès des radicaux son acte de sage politique sur les services qu’il attendait d’un nonce apostolique.

Dès la session extraordinaire de 1878, Frère-Orban laissa entendre que le gouvernement allait opposer les écoles publiques aux écoles du clergé qui, disait-il, « de la base au sommet sont chargées de faire une propagande active contre nos principes constitutionnels. » Le discours du Trône qui ouvrit la session ordinaire déclarait que « l’enseignement donné aux frais de l’Etat doit être placé sous la direction et sous la surveillance exclusives de l’autorité civile ». Les applaudissements de la gauche avaient donné à cette déclaration toute sa signification.

A la suite des discours prononcés par les ministres libéraux et bien que les chefs de la droite y eussent déjà répondu, les évêques estimèrent que l’intervention de ces intermédiaires ne suffisait pas et parlèrent eux-mêmes. Par une lettre collective élaborée au cours d’une réunion tenue à Malines le 7 décembre 1878, ils revendiquèrent pour l’Eglise seule le droit d’enseigner ou de donner mandat d’enseigner la religion. (On s’étonne aujourd’hui qu’on ait jamais pu lui contester une prérogative aussi indiscutable.) Le terrain était ainsi bien nettement délimité. Si l’autorité civile songeait à prévoir l’enseignement de la religion dans la loi qu’elle allait proposer aux Chambres, elle était prévenue qu’elle aurait à s’entendre avec l’Eglise pour organiser cet enseignement.

La loi de 1879 fut votée malgré ces sévères avertissements. Elle rompait avec le passé, biffait l’enseignement de la religion du programme mais y maintenait l’enseignement de la morale admettant ainsi la possibilité d’une morale areligieuse. Le législateur condescendait cependant à mettre à la disposition des ministres du culte à qui on ne reconnaissait plus aucun droit de surveillance sur l’enseignement public, un local de l’école primaire, avant ou après l’heure des classes.

Ces propositions furent combattues avec éloquence par tous les grands parlementaires catholiques Malou, Beernaert, Jacobs, Woeste, Wasseige prononcèrent des discours émouvants et qui changèrent des votes puisque, malgré une majorité gouvernementale de dix voix, le projet ne passa à la Chambre qu’à sept voix et au Sénat qu’à une voix de majorité. A la Chambre, Pirmez, l’un des chefs de la gauche, s’était abstenu; au Sénat, le Prince de Ligne qui avait toujours siégé sur les bancs de la gauche quitta le fauteuil présidentiel pour combattre le projet et résigna son mandat.

L’Episcopat crut devoir parler de nouveau et dans son mandement de carême de 1879, il qualifia de duperie l’article qui mettait un local à la disposition des ministres du culte. Le gouvernement, ajoutait-il, ne parviendra pas à donner le change aux parents.

Pour la critique de la loi, la collaboration de l’Episcopat et de la droite parlementaire avait été parfaite. Des divergences de vues se produisirent aussitôt après sa promulgation. Non pas sur la nécessité d’organiser la résistance et de fonder des écoles catholiques à côté des écoles officielles. Sur ce point, le clergé et le parti furent tout de suite d’accord et les comités locaux se multiplièrent. Non pas plus sur le caractère pernicieux des dispositions légales que l’Eglise et le parti ne pouvaient pas ne pas condamner en principe, mais sur la forme à donner à cette condamnation.

Fallait-il exclure de la communion religieuse, par le refus d’absolution, tout le personnel des écoles normales de l’Etat, (page 56) professeurs, élèves, et même les parents de ceux-ci, tous les instituteurs et institutrices des écoles communales, tous les inspecteurs de celles-ci, les parents qui leur confiaient leurs enfants? L’Episcopat était disposé à le faire; les chefs de la droite redoutaient que cette mesure ne fût considérée par l’opinion publique comme odieuse, abusive et intolérable et qu’elle ne soulevât des haines contre le clergé. Flétri comme auteur de la discorde entre les citoyens, le parti catholique serait à jamais perdu. Les sympathies risqueraient d’aller à ceux que le clergé mettrait ainsi entre leur devoir et leur intérêt. Malou en appela à Rome.

Les évêques maintinrent leur décision. Le 1er septembre 1879, ils envoyèrent aux prêtres des instructions pratiques, leur enjoignant de refuser la sainte communion, même publiquement, à des catégories très nombreuses de personnes. Frère-Orban disait que la moitié des Belges étaient excommuniés; c’était une exagération manifeste mais le nombre des fidèles qui se séparaient de l’Eglise était néanmoins considérable. La droite craignait que tous les exclus, leurs parents, leurs amis et ceux qui estimaient excessives l’une ou l’autre exclusion n’allassent grossir les rangs du parti libéral. Des parlementaires notoires, d’Anethan, Beernaert, de Becker, Delcour, Jacobs, Liedekerke-Beaufort, Malou, Mérode-Westerloo, AIphonse Nothomb, Pycke de Peteghem, Ribeaucourt, t’Kint de Roodenbeke, Vilain XIV et Woeste, firent une nouvelle démarche à Rome. Quelque secrète qu’on eût cherché à la rendre, elle fut connue de la presse libérale qui s’en occupa.

Si nous la mentionnons, c’est afin de mettre en relief les difficultés qui attendent un parti catholique dans un pays catholique. Le clergé est obligé de maintenir l’intégrité de la doctrine; le parti doit se préoccuper de l’opinion publique et se placer souvent sur le terrain de l’hypothèse.

(page 57) Chose étrange! Ce ne furent pas les hommes politiques qui dans cette affaire apprécièrent avec le plus de clairvoyance les réactions de l’opinion publique. De même que Malou n’avait pas tenu un compte suffisant de la psychologie des foules quand il avait repoussé l’idée des congrès de Malines, de même les chefs de la droite ne prévirent pas le mouvement formidable que les condamnations épiscopales allaient provoquer non pas tout de suite mais à la longue. Sous les blâmes ardents des évêques et leurs condamnations terribles, la loi de 1879 devint une sorte de symbole; la population belge qui n’est que trop portée à la critique, finit par attribuer tous ses ennuis à la loi de malheur; les mécontentements cristallisèrent autour de celle-ci, ce qui amena l’explosion de 1884.

Si les prévisions des parlementaires catholiques s’étaient vérifiées, on aurait assisté à ce spectacle déconcertant : les Evêques allant jusqu’au bout des principes et causant ainsi la ruine du parti qui s’était donné la mission de les soutenir et de les défendre. Mais les prévisions des parlementaires ne se réalisèrent pas.

Rome sollicitée tout à la fois par le gouvernement libéral et par la droite conseilla la modération à l’Episcopat; celui-ci atténua, dans la pratique, la rigueur de ses instructions; on permit aux confesseurs de ne pas en référer aux évêques pour les cas douteux et de décider eux-mêmes; on donna même autorisation en ce qui concernait les élèves des écoles normales et les parents de ceux-ci; certains instituteurs des écoles officielles reçurent la permission d’enseigner le catéchisme; pour l’acceptation des fonctions d’inspecteurs de l’enseignement officiel, on admit qu’il pouvait y avoir des cas particuliers où elle était tolérée; on ne refusa plus la communion publiquement qu’après en avoir référé à l’Evêque. Ces atténuations ne parurent pas suffisantes aux parlementaires. Woeste parle, dans (page 58) ses Mémoires, d’une correspondance qu’il eut à ce sujet avec Mgr Dechamps en 1882. On peut supposer, connaissant les deux interlocuteurs, qu’ils exprimèrent leur opinion sans ménagement.

Quoi qu’il en soit, Frère-Orban, lui non plu, pressé par les radicaux de son parti, ne jugea pas suffisantes les atténuations apportées à la demande du Souverain Pontife et rompit avec le Vatican. On peut dire que dans toute cette affaire, le nonce Mgr Vanutelli, fut plus souvent d’accord avec les chefs de la droite qu’avec I’Episcopat. Si le Premier Ministre avait eu plus de dextérité et moins de hauteur il aurait peut-être pu jouer adroitement de ce désaccord. Il voulut, pour la seconde fois de sa vie politique, mettre le Saint-Siège en conflit public avec l’Episcopat belge. Comme la divergence ne portait que sur l’opportunité des mesures à prendre et non pas sur la doctrine même, il ne pouvait manquer d’échouer.

Le mouvement provoqué par l’énergie du clergé devint grandiose et fut admirablement secondé par les laïques. Prêtres et fidèles s’unirent pour fonder des écoles libres dans toutes les communes. Des comités scolaires réunirent les fonds nécessaires, cherchèrent les locaux, choisirent des instituteurs. Les difficultés qui avaient été soulevées à propos de ces nominations, dont les laïques ne voulaient pas réserver le monopole aux évêques, n’arrêtèrent pas l’élan. En principe, l’Episcopat se réservait les choix; en fait, on s’entendit facilement. A la base de l’organisation, a écrit M. Pierre Verhaegen, étaient placés les comités paroissiaux qui agissaient.

Il est inutile de refaire l’histoire de la lutte scolaire, qui a été faite et bien faite. Observons toutefois que par la constitution dans chaque paroisse de comités scolaires, on donnait au parti catholique son armature définitive. Bien que fondés en vue de développer l’enseignement confessionnel, ils devenaient fatalement un centre de propagande (page 59) politique. De nombreux membres de ces comités cumulaient leurs fonctions avec celles de délégués des associations conservatrices. A celles-ci ils apportaient leur ardeur, leurs espérances et leurs renseignements. Les chefs payaient de leur personne. Malou qui fut l’âme de cette organisation; Woeste, Jacobs, Beernaert, Cornesse, le Chevalier de Moreau, Delcour qui le secondèrent avec dévouement se rendaient dans les différentes provinces pour y parler en public et pour échauffer les zèles. Leur activité augmentait la vitalité du parti et sa puissance.

La droite cependant restait modérée et sage. Bien que l’Episcopat eût décidé, après la rupture avec le Vatican, de ne pas prendre part aux fêtes nationales du cinquantième anniversaire de l’indépendance et de se contenter de chanter des Te Deum à l’intérieur des églises, les parlementaires catholiques résolurent d’assister à toutes les cérémonies. On leur sut gré de mettre le pays au-dessus de leurs légitimes ressentiments. Par contre, toutes les mesures que prenait le gouvernement libéral finissaient par tourner contre lui. Révoquait-il des fonctionnaires, l’opinion en faisait des victimes et le parti catholique, d’excellents candidats; c’est ainsi que le Chevalier Ruzette, Prince de Caraman-Chimay et M. de Montpellier
entrèrent au Parlement. Une opération de police était-elle exécutée, brutalement d’ailleurs, dans un village des Flandres, le malheur voulait qu’il y eût des victimes et que l’exécution de la loi en devînt odieuse. Les démissions que provoquèrent les instructions épiscopales dans le personnel de l’enseignement créèrent, contre le ministère, des centres d’opposition. Les écoles officielles bâties avec un certain luxe mais désertées dans plusieurs provinces par les enfants excitaient l’indignation des contribuables qui seuls étaient électeurs à cette époque et que la crise économique avait atteints. La droite (page 60) ayant réclamé les comptes de l’enquête scolaire et le président de celle-ci ayant maladroitement refusé de les publier, peu s’en fallut qu’on attribuât aux gaspillages des enquêteurs les impôts que le gouvernement fut obligé de faire voter.

La victoire électorale du 7 juin 1884 fut éclatante. La droite - et dans la droite on peut compter les Indépendants qui se rattachaient étroitement à elle et finirent par fusionner complètement - eut une majorité de 27 voix (c’est à cette majorité que fut votée la loi scolaire).

 

9. L’organisation interne du parti. La Fédération des Cercles et des Associations et la place de la hiérarchie ecclésiastique

 

Quand Malou prit le pouvoir le 16 juin 1884, le parti catholique de Belgique constituait la force politique la mieux organisée qu’il y eût à cette époque en Europe. Les événements avaient donné à ce groupement une mystique précise et déterminée. Il suffit d’avoir conservé le souvenir de ce passé pour pouvoir attester que presque tous ceux qui, à cette époque, avaient consenti des sacrifices d’argent et de situation, qui étaient entrés avec ardeur dans les luttes politiques l’avaient fait pour sauver l’âme des enfants. (Ils ne l’auront pas, la belle âme de l’enfant, Zij sullen haar niet hebben de schoone ziel van ‘t kind, chantaient les paysans flamands.)

Le programme politique du parti était prudent : rétablir la paix religieuse renouer avec le Vatican et réparer l’injustice commise en 1879 - arrêter tout gaspillage - remettre de l’ordre dans les finances. Beernaert, en l’exposant à Marche à la Fédération des Cercles et des Associations dont il avait été nommé président après Cannart d’Hamale, avait sonné la victoire. Assurer la collaboration du clergé et de l’Etat est dans un pays catholique un objectif que tous les grands politiques ont cherché à atteindre. Pour y réussir, des hommes d’Etat que le souci religieux ne guidait guère mais qui avaient en vue le bien public un Bonaparte, un Mussolini, ont consenti de grandes (page 61) concessions. Même du point de vue national, le rétablissement de la paix religieuse, l’entente avec le Vatican, étaient à eux seuls un excellent programme politique.

La presse s’était calmée; Perin avait dû quitter sa chaire à l’université de Louvain; l’on ne contestait plus la nécessité de conserver à la Belgique les libertés garanties par la Constitution. Personne n’ignore l’influence prépondérante que l’Episcopat belge a toujours eue sur les journaux catholiques et surtout sur ceux de province à qui il donne constamment des directives sur les questions religieuses (L’auteur de cette étude se souvient qu’ayant, avec quelques amis, fondé en 1900 à Namur un journal hebdomadaire, il fut discrètement prévenu par un haut dignitaire ecclésiastique qu’on s’était étonné à l’Evêché qu’il n’en eût pas demandé l’autorisation.) Or les nouveaux évêques nommés par Léon XIII qui connaissait la mentalité belge étaient tous des défenseurs convaincus de la Constitution : à Tournai, Monseigneur du Rousseau avait remplacé Monseigneur Dumont; à Liége, Monseigneur Doutreloux succédait à Monseigneur de Montpellier; à Namur, Monseigneur Gravez était remplacé par Monseigneur Goossens d’abord puis par Monseigneur Belin, Monseigneur Goossens, modèle de modération, devenant Primat de Belgique. On ne peut douter que leurs conseils aient tempéré le zèle parfois excessif de certains journalistes. Ceux-ci d’ailleurs déployaient leur verve et exerçaient leur esprit critique sur d’autres sujets. Ils exposèrent et firent valoir les griefs du parti. A Bruxelles venait de naître un journal ardent Le Patriote dont il est permis de ne pas partager toutes les opinions mais à qui l’on ne peut contester la vie, l’ardeur et une parfaite connaissance de la mentalité du catholique moyen.

Les associations conservatrices aidées des (page 62) comités scolaires s’étaient multipliées. Il n’y avait plus, à cette époque, dans aucun arrondissement, de groupements électoraux pour présenter sur une même liste des unionistes de droite et de gauche; les opinions étaient tranchées. Chaque arrondissement et la plupart des cantons possédaient une association qui s’intitulait conservatrice, constitutionnelle, qui était catholique et qui avait pour objet de préparer de bonnes élections. Toute liberté d’organisation était laissée au parti local, il n’y avait pas de statuts-types; ici, l’on prévoyait, pour la désignation des candidats, un poll auquel prenaient part tous les catholiques électeurs; là, les candidats étaient désignés en petit comité et le poll était considéré comme une cause de division; ailleurs, l’assemblée générale était composée de délégués des diverses communes nommés suivant des procédés divers. Partout l’action efficace se centralisait entre quelques mains.

La Fédération des Cercles et des Associations était loin de grouper toutes les associations de province. Les cercles étant de simples clubs d’agrément, les associations se considéraient comme hiérarchiquement supérieures et ne prétendaient pas siéger dans une fédération qui les mettait sur un pied d’égalité. C’est Woeste qui devait trouver la solution de ce petit différend en créant, à la Fédération centrale, deux sections, l’une comprenant les cercles, l’autre les associations.

En décentralisant ainsi, on ne nuisait pas au succès; au contraire, on donnait au parti plus de souplesse. Cela expliquait la divergence de vues sur un certain nombre de questions, celle du libre-échange par exemple, les arrondissements ruraux étant protectionnistes, celui d’Anvers nettement libre- échangiste.

La jeunesse était embrigadée dans des groupements de jeunes gardes.

Une grande ligue qui venait d’être fondée par (page 63) MM. de Burlet et Schollaert sous le titre « Union nationale pour le redressement des griefs », avait excité l’émulation de la Fédération des Cercles et des Associations.

Le parti ainsi organisé avait les chefs qu’il méritait, une pléiade d’hommes de talent, d’éloquence et de dévouement Malou, Beernaert, Jacobs, Woeste, Lantsheere, Alphonse Nothomb, Thonissen, Cornesse, le Chevalier de Moreau, Delcour.

Telle était son organisation visible, avouée et en quelque sorte officielle. A côté, l’armature plus ou moins cachée était constituée par le clergé. « Polichinelles entre les mains du clergé », disait Bara aux députés catholiques à qui il déniait toute indépendance, toute liberté de pensée et d’appréciation. Pleine et entière indépendance à l’égard du clergé, ripostaient certains défenseurs maladroits ! La vérité est beaucoup plus nuancée. Comment le parti catholique serait-il pleinement et entièrement indépendant de l’Eglise puisqu’il a la mission de la défendre? On ne défend pas, sans son aveu et sans son autorisation, nous l’avons dit, une telle puissance. Et l’Eglise ne donnera son aveu et son autorisation que sous conditions et en se conservant le droit de les révoquer; elle se réservera, en outre, la possibilité d’apprécier les mandataires du parti eux-mêmes. Pratiquement, il n’est guère possible a l’un de ces élus d’acquérir ou de conserver son mandat s’il a perdu la confiance des autorités ecclésiastiques. Moyennant ces restrictions, qui n’ont jamais été officiellement formulées mais qui existent par accord tacite, le clergé soutient de toute son influence, comme le Pape le demandait à l’internonce Gizzi, les listes catholiques. Mandements épiscopaux au moment de l’élection; conseils exprimés aux électeurs avec plus ou moins de mesure par les curés, les missionnaires; appui de la presse; prestige conféré aux mandataires catholiques que l’on invite à prendre la parole dans les réunions (page 64) organisées par les prêtres, tel est le concours d’une indiscutable efficacité apporté par l’Eglise au parti. Ce n’est pas pour celui-ci la pleine indépendance, mais ces restrictions sont la conséquence même du programme qu’il s’est tracé.

Il lui reste un vaste champ où il est parfaitement autonome. Toutes les questions où l’Eglise n’est pas intéressée sont des « questions libres » et Dieu sait s’il y en a! Politique internationale - quand le Saint-Siège n’est pas en cause - politique économique et financière, administration, problèmes juridiques, travaux publics, etc.

Même dans les questions purement religieuses ou dans celles que l’on appelle « mixtes » parce que les intérêts de l’Eglise et de l’Etat s’entremêlent, ce ne sont pas des mots d’ordre que les autorités ecclésiastiques donnent aux dirigeants des associations. Leur position réciproque ressemble un peu à celle d’un avocat vis-à-vis de son client. Le client du parti catholique, c’est l’Eglise. Elle expose ses vues à son conseil politique; son avocat lui dit jusqu’où il croit pouvoir les soutenir, par quels moyens, par quelle tactique il le fera et l’on se met d’accord plus ou moins facilement suivant les cas. Des traditions locales interviennent aussi; personne n’ignore, par exemple, que l’influence de l’Evêque de Gand sur l’association catholique de cette ville est beaucoup plus grande que celle de l’Archevêque de Malines sur les catholiques anversois. Il y a lieu de tenir également compte du degré de confiance et de sympathie que l’autorité religieuse a pour les dirigeants. De 1878 à 1884, Malou est considéré par Rome comme le chef reconnu du parti. Antérieurement, Dechamps était pour son frère le Cardinal un conseiller écouté avec ferveur. Beernaert eut sur le Cardinal Goossens, qui voyait en lui le chef le plus prudent et le plus avisé, une influence indiscutable, Lammens et Verhaegen auront l’entière confiance de (page 65) Stillemans, Evêque de Gand, Ernest Mélot, celle de Mgr Decrolière, Evêque de Namur, Woeste, celle de Mgr du Rousseau, Evêque de Tournai.

Ainsi armé, le parti catholique prenait donc le pouvoir dans notre pays. Comment allait-il en user? Allait-il céder à la tentation à laquelle n’avait pas résisté le parti libéral après sa victoire de 1878 et réclamer « des satisfactions. » ? Allait-il se servir du gouvernement pour son intérêt de parti ou bien faire servir sa puissante organisation de parti au bon gouvernement du pays?

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