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d’intention
« Le Parti
catholique en Belgique », par Auguste MELOT,
Louvain, Editions Rex, (c. 1934)
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CHAPITRE II. DE LA CONSTITUTION DU NOUVEAU PARTI LIBERAL A LA CONSTITUTION
D’UN PARTI CATHOLIQUE (1846 à 1863)
1. Le Congrès libéral de
1846
(page 25)
Cependant les libéraux hostiles à l’union avaient déchaîné leurs indignations.
Devaux donnait le mot d’ordre dans la Revue Nationale qu’il avait fondée
en 1839. Il réclamait nettement pour son opinion la prépondérance politique en
Belgique. C’est en vertu de cette doctrine qu’il avait appuyée, et c’est
d’ailleurs par cet appui qu’il avait compromis le ministère Lebeau de 1840.
C’est sur cette doctrine que l’on allait baser la politique du nouveau parti.
Le 14 juin 1846, un Congrès libéral se réunit à l’hôtel de ville de Bruxelles ;
il était présidé par Defacqz, président de la société
L’Alliance dont nous avons parlé, grand maître de la maçonnerie belge ; cette
assemblée formula le programme : progrès - indépendance du pouvoir civil contre
toute influence religieuse - réforme électorale - amélioration du sort des
classes peu aisées - organisation d’un enseignement public sous la direction
exclusive de l’autorité civile - fondation dans chaque arrondissement d’une
association libérale destinée à choisir et à faire nommer les candidats
libéraux.
2. La mainmise de la
hiérarchie épiscopale retarde la constitution d’un parti catholique
On est un peu surpris, à un siècle de distance, de
l’émotion que cette initiative souleva en Belgique et à l’étranger. Le Roi
Louis-Philippe lui-même s’en alarma et en écrivit au Roi Léopold ; il ne
craignit pas d’évoquer à ce sujet la commune de Paris dictant ses lois à la Convention
nationale. En réalité, (page 26) si
ce congrès libéral fut nettement dirigé contre le clergé, il n’eut rien de
révolutionnaire ni même d’inconstitutionnel. Un parti politique se formait,
voilà tout! Les catholiques pouvaient le regretter mais la réaction légitime et
logique de cet événement ne devait pas aller plus loin que la fondation d’un
parti catholique en face du nouveau parti.
Ils n’y songèrent pas encore ; l’heure n’avait pas
sonné. Il n’est pas inutile d’en rechercher les causes.
Un parti qui se donne pour mission de défendre les
intérêts religieux ne peut se constituer qu’avec l’assentiment bienveillant de
l’autorité ecclésiastique, seule compétente pour déterminer quels sont ses
intérêts et de quelle manière ils peuvent être défendus. L’Eglise a le droit de
trouver inopportun qu’un parti politique se charge de traiter des intérêts
ecclésiastiques avec l’Etat. Elle est une puissance reconnue ; elle a le droit
de ne négocier que de puissance à puissance, par mandataires qui la
représentent officiellement. C’est un peu la forme qu’avait adoptée, en 1830,
le Cardinal-Archevêque de Malines en s’adressant au nouveau Souverain de
Belgique, le Congrès national et en lui demandant la liberté. C’est la forme
qu’a adoptée Pie XI lorsqu’il a conclu le traité de Latran avec le Roi d’Italie
et le concordat avec le Reich.
Rome ne paraissait pas, en 1846, disposée à
confier à un parti politique le soin de défendre sa cause auprès du
gouvernement belge.
Pie IX venait de remplacer Grégoire XVI (le 16
juin 1846) ; il n’avait pas encore eu le temps de pratiquer une politique
nouvelle et chacun sait que son prédécesseur avait plus de confiance dans
l’autorité des vieux gouvernements monarchiques que dans la liberté des
démocraties.
En 1846, l’année de son avènement, le nouveau Pape
disait à notre ambassadeur, le Prince de Chimay, que la religion ne doit jamais
se mettre au (page 27) service d’un parti sous peine de s’amoindrir. En 1848, il manifestait au
Prince de Ligne, notre nouvel ambassadeur, sa ferme intention de rappeler à son
devoir tout évêque belge qui se laisserait entraîner sur le terrain des luttes
politiques par un zèle mal entendu. « La Cour de Rome, disait de son côté à un
de nos agents, l’ancien nonce à Bruxelles, Mgr Fornari,
ne veut pas que les Evêques interviennent dans ce qui est du domaine du
gouvernement temporel (Dépêches du Prince de Chimay, 8 nov. 1846 - du
Prince de Ligne, 11 décembre 1848 - de M. H. de Brouckère, 14 décembre 1849 et
22 janvier 1850, citées dans la Belgique et le Vatican, 1880, page XXXV de l’exposé historique). Le
Pape se réservait d’ailleurs de défendre lui-même les intérêts de l’Eglise en
Belgique puisque le 20 mai 1850, dans une réunion du Consistoire, il parlait
des périls que la religion courait dans notre pays et faisait appel au Roi des
Belges et à son gouvernement pour seconder le clergé dans son œuvre
bienfaisante.
3. Les tendances menaisiennes et l’encyclique Mirari
Vos
La formation du parti catholique se fut heurtée
d’ailleurs à un autre obstacle. Aux constituants imbus des doctrines menaisiennes, le Chef de l’Eglise avait signifié
- nous l’avons dit - que, du point de vue doctrinal, la législation
libérale dont ils étaient si fiers n’était pas un chef-d’œuvre.
Quelle désillusion ne dut pas être l’encyclique Mirari vos de Grégoire XVI pour la droite du
parti unioniste qui, à la suite de Lamennais, proclamait que la religion n’a
rien à gagner à la protection des pouvoirs publics, qu’elle doit rejeter pour
toujours cette alliance néfaste de l’Eglise et de l’Etat ; qu’elle ne peut
chercher les succès et la prospérité que dans l’exercice de toutes les
libertés ! Le 15 août 1832, le Souverain Pontife avait formellement
condamné cette doctrine ; la liberté de conscience et des cultes, disait-il,
n’est pas un droit propre à chaque homme ; c’est un délire de prétendre (page 28) qu’elle doit être
proclamée et assurée dans tout Etat bien constitué et que les citoyens ont
droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs
opinions, quelles qu’elles soient, par la parole, par l’imprimerie ou autrement
sans que l’autorité ecclésiastique ou civile puisse la limiter.
Parvenu
dans l’édition de 1842 de son Histoire du Royaume des Pays-Bas à
l’encyclique Mirari vos, Gerlache y
voit « l’un des événements les plus mémorables de l’époque ». « Cette
pièce, ajoute-t-il fit grande sensation parmi les catholiques et opéra une
sorte de revirement dans beaucoup d’esprits. » (Cité p. 237 par le Baron Pierre de Gerlache
dans son bel ouvrage « Gerlache et la fondation de la Belgique indépendante ».
Il nous paraît que l’auteur, dans son désir de ne pas contredire aux
conclusions de certains historiens, minimise Un peu l’effet du document
pontifical, effet qui fut si considérable au jugement de son grand ancêtre.)
Bien
que l’on ne voie guère l’expression publique de ce revirement dans les
discussions du Parlement, on peut affirmer, avec Gerlache, que la conscience de
nombreux catholiques fut troublée et leur enthousiasme pour les libertés
constitutionnelles singulièrement refroidi par cette encyclique qui n’admettait
l’orthodoxie de notre Constitution qu’en vertu des circonstances. Dans les
instructions à l’internonce déjà citées, le Saint-Siège constate que les discussions
sont très ardentes dans le jeune clergé, entre partisans et adversaires de
l’école menaisienne.
Si les jeunes catholiques de 1847 n’avaient pas
été touchés par cette condamnation et par ces controverses, comment expliquer
qu’en 1864, alors que ces jeunes étaient devenus des hommes murs, le
Cardinal-Archevêque de Malines ait cru devoir réfuter (La Constitution
belge et l’encyclique de Grégoire XVI, Malines, van Velsen, mars 1864) longuement et publiquement pour la (page 29) seconde fois, les critiques
suivantes dont il attribue quelques-unes à des personnes religieuses :
L La Constitution a sacrifié les vrais principes
en accordant la liberté des cultes, de la presse, d’association ;
2. Elle a rétabli légalement l’indifférentisme ;
3. Elle aurait dû déclarer la religion catholique
religion d’Etat ;
4. En établissant la liberté des cultes, elle a
rendu la loi athée ;
5. Elle n’eut pas dû proclamer que nul ne peut
être contraint d’observer le jour de repos d’un culte ;
6. Elle n’eut pas dû ordonner que le mariage civil
précédera la bénédiction nuptiale ;
7. En proclamant que tous les pouvoirs émanent de
la nation elle a repris une doctrine erronée de J.-J. Rousseau ;
8. En mettant à la charge de l’Etat les
traitements des ministres des cultes dissidents, elle le fait coopérer aux
prédications et aux autres actes de leur ministère.
Si les consciences des jeunes catholiques d’alors
n’avaient pas été troublées par cette condamnation doctrinale, comment
expliquer que, parvenus à l’âge mûr, M. Perin,
professeur de droit public à l’Université de Louvain, les fondateurs du Bien
Public (1853) et de beaucoup d’autres journaux catholiques aient unanimement
souhaité que l’on préparât les esprits à une modification de la Constitution
dans le sens des véritables lois de la société chrétienne?
En résumé, il eût été très difficile de grouper
des laïques pour fonder un parti catholique à l’époque où se formait le,
nouveau parti libéral parce que l’on n’eût pas eu grand appui de Rome et que
les catholiques se seraient probablement séparés en deux groupes, les uns
proposant comme programme la révision des lois constitutionnelles dans le sens
(page 30) de la
pure doctrine catholique, les autres, les parlementaires, restant attachés à
nos libertés et cherchant à favoriser l’action religieuse dans le cadre de la
Constitution.
4. L’attitude des
parlementaires catholiques
Les
parlementaires s’en tinrent donc obstinément à l’unionisme bien que l’unionisme
eût tous les défauts d’une chose morte.
L’élan
que le congrès libéral de 1846 avait imprimé au nouveau parti amena la chute du
second ministère de Theux aux élections de 1847. Une administration se
constitua où se rencontrèrent d’anciens unionistes d’aile gauche, tel Rogier, à
côté d’un des jeunes fondateurs du nouveau parti, Frère-Orban, qui devait en
devenir bientôt le chef incontesté. Né en 1812, trop jeune donc pour prendre
part à la révolution de 1830, il n’avait connu l’unionisme que pour le
combattre. Délégué au Congrès libéral par l’association de Liége, il s’était
aussitôt placé hors de pair. D’une grande puissance de travail, d’une
intelligence remarquablement étendue et pénétrante, autoritaire et hautain même
avec ses amis politiques, il dominait presque tous ses adversaires de la
puissance de son éloquence passionnée quoique parfaitement classique, de sa
dialectique serrée et de son ironie dédaigneuse. Quand, dans des lettres
privées, le nonce Vanutelli parlera plus tard de lui,
sans vouloir citer son nom, il l’appellera M. Jupiter. Il était, avec Rogier,
le dirigeant de ce ministère libéral du 12 août 1847.
Les
députés de droite ne songèrent pas à faire une guerre au couteau à ce
gouvernement qui inaugurait cependant une politique nouvelle. Malou, de Theux,
De Decker, Dechamps reconnurent que les élections
l’avaient rendu inévitable. C’étaient de beaux joueurs parlementaires!
Les élections de 1848 faites au milieu du
bouleversement de l’Europe et après le vote d’une nouvelle loi électorale qui
augmentait le nombre des électeurs, donnèrent au parti libéral une majorité (page 31) de 85 ministériels contre 23
unionistes. Cette majorité s’effrita à chaque élection par suite de la crise
économique et aussi des mécontentements qu’une application trop rapide du
programme libéral avait provoqués dans le pays. Un ministère unioniste n’était
cependant pas possible ; il n’y avait presque pas d’unionistes de gauche au
Parlement et la majorité restait libérale. Henri de Brouckère, libéral modéré,
forma un gouvernement extra-parlementaire (octobre 1852 à mars 1855). C’est
alors que le Cardinal de Malines fit, avec le conseil communal d’Anvers, un
arrangement relatif à l’enseignement de la religion dans les athénées. La loi
sur l’enseignement moyen que Rogier avait fait voter le rendait nécessaire ; il
avait pour objet de laisser l’instruction religieuse sous le contrôle du
clergé. Approuvée par le ministre de l’Intérieur Piercot
et par une majorité écrasante à la Chambre, cette convention y avait été
vainement combattue par Frère-Orban et Verhaegen ; elle servit de modèle à de
nombreux conseils communaux et contribua à maintenir la paix religieuse dans le
pays. Comme les élections de juin 1854 avaient donné la majorité aux unionistes
de droite, ceux-ci, après avoir soutenu pendant quelques mois le Cabinet de
Brouckère, le renversèrent en 1855 et de Decker
forma, le 30 mars 1855, le dernier ministère unioniste où M. Mercier, que les
libéraux avaient déjà traité de renégat en 1845, représenta seul les unionistes
de gauche. On sait comment ce ministère tomba, en 1857, pour n’avoir pas osé
tenir tête à l’émeute malgré l’appui personnel de Léopold I. Il était atteint
de la faiblesse congénitale dont souffrent tous les gouvernements
parlementaires qui ne sont pas soutenus par un vrai parti.
5. La débâcle électorale de
1857
Les élections de 1857 furent un désastre pour la
droite. Le nouveau cabinet Frère-Rogier eut à la Chambre une majorité de 70
voix contre 38 ; le (page 32) découragement de certains catholiques avait été jusqu’à préconiser
l’abstention en masse.
Il n’y avait
plus de parti unioniste ; il n’y avait pas encore de parti catholique. L’un de
ceux qui devait le plus intelligemment et le plus activement contribuer à en
fonder un, Malou, disait en 1847 : « Il n’y a pas de dissentiment de principe
entre un libéral et un catholique. » Il avouait donc qu’il n’y avait pas de
programme catholique ; il parlait naturellement des libéraux de 1830 et non du
parti des Verhaegen et des Frère-Orban qui allait, suivant l’expression de
Rogier, inaugurer « la politique nouvelle ». En 1852, Malou ne put obtenir
l’adhésion des parlementaires catholiques à un manifeste électoral qu’en en
supprimant tout programme. Son projet n’avait cependant rien de bien inquiétant
« Raffermir les institutions, substituer une politique d’union à une politique
d’exclusion, rétablir l’harmonie des forces sociales par l’enseignement public,
garantir la liberté de la bienfaisance, assurer le sort de l’armée, réduire les
charges des contribuables, consacrer, pour tous les intérêts matériels,
l’égalité devant la loi. » Si anodin qu’il fût, ce programme n’eut aucun
succès.
Les
adversaires des catholiques les appelaient le parti prêtre, le parti clérical,
le parti catholique. Eux-mêmes préféraient s’intituler conservateurs,
nationaux, constitutionnels, unionistes. Pas plus de nom que de programme!
Le
partisans d’un unionisme désormais impossible n’avaient pas encore compris la
nécessité de constituer un nouveau parti. Après les élections de 1857, ils
cherchèrent à former ou à réorganiser les associations conservatrices de Gand
et d’Anvers. Le 6 février 1858, on tint à l’hôtel de Mérode-Westerloo
une réunion composée de plus de cinq cents représentants de l’opinion
conservatrice venus de tous les arrondissements du pays. Dechamps et Malou y
défendirent et y firent triompher (page
33) l’idée d’un comité central d’action qui soutiendrait l’opinion
conservatrice au grand jour à l’imitation des associations libérales. Le
programme de ce comité qui prit le nom d’Association constitutionnelle et
conservatrice n’était autre que celui du parti unioniste. « Son seul programme,
dit le manifeste, est la Constitution pratiquée loyalement et sans
restrictions, selon les traditions du Congrès national. L’association que nous
fondons, dit-il encore, est un acte de défense et non d’agression ; nous avons
attendu pour l’accomplir que nos adversaires en fissent une nécessité... La
nécessité de cette association est donc prouvée ; sa durée sera celle des
associations libérales elles-mêmes. » (On a consulté surtout pour tout
cet exposé le très bel ouvrage du Baron de Trannoy sur Jules Malou)
Cette
association fut liquidée cinq ans après.
Dans
l’intervalle, ce qui restait du parti belge n’avait pas fait œuvre
heureuse au Parlement. Dechamps qui aurait pu avoir une influence patriotique
sur ses amis n’avait pas été réélu et ceux-ci avaient profité des
mécontentements du banc libéral d’Anvers et d’autres députés de gauche pour
faire repousser le projet de fortification d’Anvers auquel le Roi tenait
d’autant plus justement qu’il n’ignorait rien des intentions de Napoléon III
sur nos provinces. Le ministère Rogier ne fut pas renversé mais la sympathie
que le Roi avait toujours eue pour la droite en fut diminuée.
Les élections de 1859, si elles avaient ramené Dechamps à la Chambre en
avaient exclu Malou. Celui-ci avait jusqu’alors été élu à Ypres sur une liste
où il figurait à côté de libéraux ; en 1859, seul de la liste commune, un
libéral passa au premier (page 34)
tour ; au ballotage, la gauche opposa furtivement à
Malou un de ses hommes qui fut nommé. Malou constatait lui-même que « le grand
élan (de 1858) s’était évanoui comme fumée. »