(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)
Au début du siècle, le ministre de la guerre était le vrai chef de l'armée en temps de paix, exerçant son autorité par l'intermédiaire des directions générales. Par contre ses possibilités d'action sur le plan politique étaient fort limitées. Il lui fallait, en cas de désaccord, ou se démettre comme l'avaient fait le lieutenant-général Brassine en 1896 et d'autres, ou, comme s'y était résigné le lieutenant-général écuyer Cousebant d'Alkemade à partir de 1899, renoncer à une partie, même essentielle, du programme pour réaliser le reste.
Une des directions générales, celle des opérations, était le fief du corps spécial d'état-major, dont il était courant de critiquer le quasi-monopole de fait de l'avancement dans les cadres supérieurs. Ses représentants jouèrent un rôle actif dans la commissions mixte de 1900-1901 et dans la sous-commission chargée de l'étude du système défensif belge. Celle-ci conclut, en mars 1901, à l'insuffisance des fortifications, rive gauche, rive droite et Bas-Escaut, et préconisa une nouvelle enceinte à hauteur des forts 1 à 8, la destruction de l'ancienne enserrant étroitement la métropole, ce que depuis longtemps réclamaient ceux que l’on appelait les « meetinguistes » d'Anvers.
Le lieutenant-général Brialmont vit dans ce projet une atteinte à son œuvre et publia article sur article pour le (page 247) combattre. La vivacité de son ton, l'intransigeance de ses idées, accentuée par l'âge, avaient le don de piquer au vif ses adversaires. Ils ne le ménagèrent pas, le traitant de « grand Lama devant lequel il n'y aurait plus qu'à s'incliner. » Toute la carrière du grand ingénieur avait été une suite de chocs plus ou moins violents avec les autorités politiques ou militaires : son influence était désormais estompée, sauf dans la Fédération des associations d'anciens militaires. La mort, en 1903, de cet homme de pensée et de combat, figure puissante et originale de notre ancienne armée, mit fin aux discussions sur la place publique. (Note de bas de page : Aux divers épisodes déjà signalés, ajoutons son refus en 1865 de la place d’aide-de-camp du roi : « La cour n’y gagnera rien, et j’y perdrais ma liberté de philosophe frondeur à laquelle je tiens plus qu’à tout autre chose » (lettre à M. Van Praet). Fin de la note.)
Désormais la lutte des idées et des doctrines se livra d'une façon plus feutrée, dans les coulisses.
Elle commença avec l'accession au pouvoir du lieutenant général Hellebaut. Il se refusa à reconnaître la primauté de fait ou de droit du chef du cabinet ; à ses yeux, il n'y avait pas de Premier Ministre. Il n'entendait donc se dessaisir au bénéfice de quiconque d'aucune parcelle de l'autorité ministérielle telle qu'il la concevait : globale, totale dans son département.
En 1910, le lieutenant-colonel d'état-major baron de Ryckel, représentant typique du corps spécial, suggéra au chef de ce dernier, le lieutenant-général Jungbluth, de remplacer la direction supérieure de la guerre, organisme ministériel, par un état-major de l'armée. Il définissait ainsi le problème : « La méthode de guerre est décidée par le gouvernement ; les plans d'opérations sont conçus par le chef d'état-Major de l'armée ; ils sont élaborés sous sa direction par les officiers de son état-major. » Rien de plus orthodoxe. Un arrêté royal du 26 juin 1910 créa cet état-major général de l'armée, et plaça à sa tête le général Jungbluth : 63 ans, silhouette mince et svelte de cavalier, figure fine. Comme collaborateurs immédiats il choisit le général Dufour, sous-chef d'état-major, et le colonel de Ryckel, chef de la première section (celle des opérations), « cerveau » du trio, et ayant aussi l'oreille du Palais.
Cette conception nouvelle (chez nous), logique et simple du commandement eût normalement limité les prérogatives du ministre. Aussi tint-il étroitement en lisières l'état-major de (page 248) l'armée, ne le saisissant que de loin en loin de problèmes généraux. Pour sortir de l'impasse, le général Jungbluth, en septembre 1911, d'accord avec le Palais, proposa la création d'un Conseil supérieur de la défense nationale présidé par le roi. Le chef de l'état-major de l'armée pourrait ainsi avoir accès aux grands problèmes de défense, et exprimer ses opinions en présence du ministre et du roi. Le général Hellebaut rétorqua à M. de Broqueville, chef du cabinet, que ce serait découvrir la couronne. Sa méfiance n'était du reste pas sans quelque fondement. Dans une note intérieure de l'été 1911, de Ryckel avait émis des opinions radicales : « Un changement profond s'impose. Le commandant en chef doit être mis à même d'exercer réellement et efficacement son commandement, le département de la guerre étant là pour administrer l'armée et mettre à sa disposition les ressources que la législature peut accorder pour la défense nationale. » Sa thèse visait à faire assurer le commandement par le roi, même en temps de paix.
Le général Jungbluth protesta auprès du ministre contre son « optimisme délibéré devant le Parlement », se plaignant que le chef d'état-major ignorât tout des mesures prises dans les places fortes, des intentions du ministre et du gouvernement. La campagne « Sommes-nous prêts ? » dans le Soir, dénonça entre autres insuffisances de notre préparation les mauvais rapports entre le département et l'état-major, en rejetant la responsabilité sur le ministre. Celui-ci s'en émut et écrivit le 18 septembre, au général Jungbluth, ces lignes caractéristiques : « Si vous estimez que les attributions de l'état-major sont trop vagues, je vous prie de me faire parvenir vos propositions en tenant compte, bien entendu, que l'inviolabilité de la personne du Roi et la responsabilité de ses ministres… obligent à placer l'état-major de l'armée, comme tous les organismes de l'Etat, sous la haute direction du ministre responsable. »
Pour tenter de résoudre le problème dans le cadre ainsi défini, le ministre demanda au Roi (5 octobre) de désigner dès le temps de paix le général qui, sous ses ordres, serait appelé à commander éventuellement l'armée de campagne en cas de guerre. Cette lettre resta sans réponse ; l'opposition des points de vue se révélait aiguë. Elle apparut plus clairement encore avec les schémas de réorganisation présentés directement par le ministre au Palais le 29 janvier 1912 ; ils ramenaient (page 249) l'état-major de l'armée aux proportions d'une direction générale ministérielle, et lui refusaient toute autorité sur les commandants des grandes unités. M. de Broqueville y opposa un veto le 20 février : le lendemain, le lieutenant-général Hellebaut offrait sa démission, conclusion logique de cette crise interne qui avait laissé en suspens beaucoup de questions essentielles, parmi lesquelles la préparation d'un plan d'opérations.
M. de Broqueville assura personnellement l'intérim pendant quarante jours. Un arrêté royal du 5 mars 1912 détacha du département certains bureaux et les rattacha à l'état-major de l'armée, chargé désormais de l'organisation, de l'instruction, du renseignement, du plan de mobilisation et de ravitaillement, des manœuvres, des opérations, des propositions d'achats de matériel. Cet organisme prenait ainsi sa physionomie définitive. Or le colonel de Ryckel se montra mécontent de cette réforme fondamentale, car le chef du gouvernement, contrairement aux idées de l'état-major de l' armée, avait déclaré que ce dernier « ne peut se considérer comme le porte-parole direct du Roi. » Il convient, ajoutait-il, « de ne pas perdre de vue que, sauf délégation spéciale, le pouvoir de décision appartient exclusivement au ministre, investi de la confiance royale en la matière. » C’était en somme la thèse du général Hellebaut, moins l'hostilité foncière à l'égard des « verts. » Bien mieux, M. de Broqueville créa un conseil consultatif, réunissant le chef de l’état-major de l'armée, les inspecteurs généraux, le secrétaire général du département, les généraux d'infanterie et de cavalerie, l'intendant en chef. C'était « noyer » le chef d'état-major et diluer ses pouvoirs.
Le colonel baron de Ryckel manifestait en tout une étonnante indépendance d'opinion. Grand, gros, carrure d'athlète, esprit naturellement dominateur, il avait réussi à grouper nombre d'adeptes autour de ses idées sur la défense du pays. En septembre 1911, il remit au général Jungbluth, à M. de Broqueville et enfin au roi, à l'insu du ministre de la guerre, un mémoire parsemé de vues nettes et exactes sur les risques de guerre, et se clôturant sur deux phrases caractéristiques :
« L'Allemagne attaque ; l'armée belge se défend.
« L'Allemagne la dédaigne ; elle marche sur Aix.
Ceci permet de juger l'homme : un théoricien remarquable, mais qui « déraille » dès qu'il touche aux questions d'application, et à la psychologie du commandement. C'était là un défaut commun à tous ces (page 250) officiers de grande valeur, détournés à tout jamais du service à la troupe. étrangers aux contingences réelles.
De Ryckel estimait que le chef de l'état-major de l'armée devait être l' »homme » du gouvernement, ayant sa confiance absolue, la plus grande initiative, et s'entourant de ses disciples. Or, dans le cabinet du nouveau ministre de la guerre, le lieutenant-général Michel, figurait une autre personnalité de ce même corps spécial, le capitaine-commandant d'état-major Colon, entouré de « jeunes turcs. » Il entendit centraliser l'autorité entre les mains du ministre (et les siennes), allant jusqu'à dénier au chef de l'état-major et aux inspecteurs d'armes, tous simples conseillers du ministre, le droit d'avoir aucun rapport direct avec les corps de troupes… ni tactique, ni technique, ni administratif. (22 mai).
Le 26 juin, le général Jungbluth, atteint par la limite d'âge, devint chef de la maison militaire du roi, remplacé comme chef d'état-major de l'armée par le général Dufour. Le lieutenant-général De Ceuninck avait déjà été proposé à deux reprises pour ce poste par le comité des généraux. Il avait, lui aussi, du caractère. Dans cette armée ancienne, où les ambitions personnelles étaient surveillées de près, son offre de démission provoqua de tels remous, qu'après 44 jours de palabres, la nomination fut rapportée, et le général De Ceuninck appelé ce poste. Un de ses premiers soins fut de congédier de Ryckel. Dans ces conditions, il ne pouvait s'attendre à bénéficier de la confiance, ni du ministre, ni du Palais.
A la fin de 1912, M. de Broqueville, estimant sans doute qu'un homme politique dominerait plus aisément ces diverses tendances des hautes sphères militaires, prit le portefeuille de la guerre. Bientôt le mécontentement se manifesta dans certains milieux devant les tendances autoritaires de l'entourage du ministre. « Le cabinet a tout absorbé, tout concentré ; il décide tout, prend des allures de conseil secret… L'armée est virtuellement sous les ordres directs d'un capitaine-commandant (il s'agit de Colon), ce dont elle souffre atrocement (sic)… Ce froissement va jusqu'à l'exaspération… » Les « clans » sévissent et s'opposent. Le ministre menace : « Il y a quelque part une camarilla qui s'imagine pouvoir échapper à toute responsabilité, mais elle n'y échappera pas. » La crise éclatera lorsque le commandant d'état-major Colon, trop pressé, voudra instaurer une sorte de (page 251) « choix exceptionnel » dans l'avancement, alors que les conditions mêmes de la vie de notre armée excluent toute possibilité de choix, sauf sur des bases politiques et partisanes.
Le ministre adopta sans réserve le plan de Ryckel. Il déclara : « Il y a nécessité pour nous de mobiliser sur notre frontière, pour défendre les marches de notre pays. Il faut renoncer à assigner à ,otre armée une position de concentration unique.. Le chef d'état-major de l'armée n'y opposa aucune résistance systématique. Sa réponse du 27 mars 1913 reconnut qu'un régime nouveau était opportun, et estima possible la mobilisation près des frontières, après une mise au point de questions particulières dont l'étude était en cours. Il s'agissait d'un travail pratique assurant une répartition plus large des garnisons et préparant une mobilisation « sur place ». On allait créer des dépôts locaux auprès de chaque unité, les « dépôts annexes », qui eurent leur grande part dans l'étonnante régularité de la mobilisation de 1914, et dont l'honneur revient au lieutenant-général De Ceuninck.
Au début de décembre 1913, les travaux de l'état-major de l'armée aboutirent un plan nouveau. Après mobilisation sur place, les divisions d'armée se trouveraient réparties entre les régions d'Ath (cinquième), Namur (quatrième) Liège (troisième), Assche (première), Bruxelles (sixième) et Louvain (deuxième). Ottignies pour la division de cavalerie, dès le troisième jour. Un plan de transports pouvait assurer la concentration sur Liège, Namur ou Ath, suivant I 'hypothèse.
Or, à ce moment même, on préparait en coulisse le retour aux leviers de commande de l'équipe naguère évincée.
Le capitaine-commandant d'état-major Galet, conseiller du roi, avait conçu son propre plan d'opérations : défensive active commençant à la frontière et conduite en fonction du rapport des forces.
Bien qu'il ne se fût pas concerté avec le colonel de Ryckel, il était parti des mêmes postulats et arrivé aux mêmes conclusions que lui. Le commandant Galet était un homme chez qui les idées qu'il croyait justes prenaient inexorablement force de loi. Il entreprit d'en convaincre le roi : possibilité d'une défense à partir de la frontière par le renforcement des garnisons de Liège et de Namur ; réunion de l'armée sur des positions voisines des « marches. » Le colonel de Ryck »l avait donc en lui, et en le général Jungbluth, des alliés au Palais.
(page 252) Après plusieurs mois de contacts discrets, M. de Broqueville, en décembre 1913, rappela de Ryckel comme sous-chef d'état-major de l'armée et accepta ses conditions : liberté dans le choix de ses collaborateurs et dans l'organisation de leur travail.
L'horizon politique s'assombrissait. Au cours d'un entretien avec Guillaume II et Moltke, le Roi Albert avait acquis la certitude qu'en cas de guerre la Belgique serait envahie. Il y avait donc urgence.
Elle n'empêcha pas de Ryckel de déclarer au ministre qu'il avait cinq projets, et que chacun exigerait une année de travail. Il consentit néanmoins à fournir le « gros œuvre » du plan Allemagne pour le 15 avril 1914, « en faisant travailler les officiers du matin au soir et la condition de n'être « ni contrarié ni contrecarré. »
Cette figure haute en couleurs qui parle en envoyé du Destin, morigène, et oppose son veto, réussit à créer à l'état-major de I 'armée une situation paradoxale. Après une entrevue avec le lieutenant-général De Ceuninck, son chef direct, il écrivit le 6 janvier 1914 au colonel d'état-major Wielemans, nouveau chef de cabinet du ministre : « Il y a un chef d'état-major de l'armée, auquel incombe l'élaboration des projets d'opérations éventuelles. Ce chef, dans la conscience de sa responsabilité, se choisit des chefs de sections, mais ce n'est pas à ce chef d'Etat-major que l'on demande l'élaboration des dits projets. On nomme un nouveau sous-chef ; on lui donne la mission de son chef. On lui endosse par le fait la responsabilité entière, et on l'oblige à utiliser le personnel librement choisi par celui qui n'est plus responsable. Je t'ai dit que j'aime les situations nettes. Je ne demande pas de réponse à ma lettre ; elle n'en comporte pas. »
A la mi-janvier, nous retrouvons cet étonnant de Ryckel, entouré d'officiers de l'état-major de l'armée investis de sa confiance (à l'exclusion des chefs de sections) et de deux disciples fervents qui viennent de leur unité lorsqu'il le désire. Ils siègent à une dizaine, en cénacle, dans un seul local voisin de l'école de guerre, enfumé par les pipes et les cigarettes. Suivant son programme, « on exécute sans discussion les travaux demandés par lui, on remet sans avis personnel les renseignements requis. » On se partage nombre de projets et de mémoires. Tout ce monde est présent de 10 à 12 heures, et de 14 h.30 à 18 h. 30, ce qui inouï pour I 'époque.
(page 253) On y trouve la fleur de l'intelligentsia des officiers d'état-major. dont le labeur en commun devrait faire merveille. Le major d'état-major Maglinse, chef de la première section, bien qu'il ne fût pas du « cénacle » eut mission d'étudier les possibilités de l'adversaire au point de vue de la réunion de ses forces ; le lieutenant-colonel d'état-major De Ceuninck, frère cadet du chef d'état-major de l'armée, dut s'occuper d'un « projet de défense des abords d'Anvers par l'armée de campagne en retraite. » Les protestations du lieutenant-général De Ceuninck contre un tel désistement de son autorité restèrent sans effet. Pour sa part, le major Maglinse, esprit lucide, estimait que les travaux en cours ne répondaient pas à l'urgence du moment : posséder au plus tôt un plan d'opérations.
Le colonel De Ryckel était le théoricien à l'état pur. Il n'avait ni lu, ni fait lire, le livre capital du général von Bernhardi publié en novembre 1913, Deutschland und der nächste Krieg où se trouvait annoncée l'attaque par la Belgique. Il ignora même l'important discours où son ministre révélait au Parlement que « 50.000 hommes pourraient être jetés devant Liège en une nuit », vue prophétique.
Lorsque le colonel Wielemans vint de la part de M. de Broqueville lui réclamer les premiers résultats de ses travaux, de Ryckel ne put lui remettre que son ancien mémoire retouché, des descriptions du terrain, et les documents généraux relatifs aux transports de l'armée vers la région de Liège. Ce mémoire, remarquable en 1911, perdait de sa nouveauté en 1914, et avait surtout le grave défaut de rester sur le plan théorique, alors qu'il fallait sans tarder des réalités, des mesures d'exécution.
M. de Broqueville ne s'y trompa pas la montagne accouchait d'une souris. Peut-être regretta-t-il d'avoir patronné une organisation aussi boiteuse du commandement, et d'avoir écarté en janvier les protestations légitimes du chef d'état-major ?
Celui-ci supportait fort mal cette fâcheuse situation, qui lui enlevait ses prérogatives et l'empêchait de mettre au point des projets pratiques. En mars, éclata un curieux incident parlementaire. Un député libéral imputa au général De Ceuninck la responsabilité de la situation pour le moins médiocre la place d'Anvers. Le chef d état-major de l'armée lui envoya le lendemain une lettre courte et cinglante : « .. Vous n'avez évidemment en la matière aucune compétence, et c'est peut-être votre (page 254) excuse… Vous vous seriez épargné le ridicule d'une accusation aussi stupéfiante . »
Ce message témoignait de l'indépendance de caractère du général ; il dénotait aussi une certaine ignorance des prérogatives parlementaires. Le jour même, 18 mars, record de vitesse, une interpellation fut entendue par le ministre qui, à regret, conclut par un blâme inévitable, mais assez nuancé dans ses termes. Le 23, le général demanda sa mise à la pension ; elle lui fut accordée le 25 avril seulement, quelques jours après la remise du mémoire de Ryckel. Le 27, il céda ses fonctions à ce dernier.
Il eût été dans la logique des choses que de Ryckel, substitué pendant des mois à son chef, en prit désormais les responsabilités. Mais, s'il possédait encore la confiance du Palais, il venait de perdre celle du ministre. Pour remettre de l'ordre, et surtout de l'autorité dans cet état-major divisé, ébranlé, il fallait une main ferme. Le choix fut inattendu, en la personne du lieutenant général de Selliers de Moranville, depuis 1904 chef du corps de la gendarmerie, éloigné des problèmes stratégiques et tactiques. Il avait par contre une conception précise, si pas très progressiste, de la discipline, « basée sur une obéissance absolument passive des inférieurs envers les supérieurs. »
Nommé chef d'état-major de l'armée le 25 mai 1914. il se fit présenter le mémoire de de Ryckel et le jugea assez cavalièrement : « Rien de pratique et de concret à en retirer. »
Il se sentait accepté « avec résignation » par le Palais, et restait flanqué de son sous-chef, confiné à la direction des études de l'école de guerre. Leur situation tous deux était fausse : conflit d'influences, opposition des caractères, dualité des plans d'opérations figurant dans les dossiers. Le chef d 'état-major de l'armée suspendit l'activité spéciale du colonel de Ryckel en remettant au mois d'octobre l'étude détaillée des projets, et en concentrant son attention sur la préparation des grandes manœuvre. En juin 1914 !
Le lieutenant-général de Selliers de Moranville examinait du reste le problème pour son compte. Dans la première quinzaine de juillet, il soumit au ministre trois fragments de carte au 160.000e répondant aux hypothèses : France ; Allemagne ; incertitude.
Le premier schéma prévoyait la concentration dans la région Saint-Trond, Houtain l'Évêque, Hannut, Tirlemont, (page 255) Hamme-Mille. Ce plan ne constituait pas un document de travail ; il ne fut pas soumis au roi ni étudié par l’état-major de l'armée. Sa valeur pratique était donc nulle.