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Le milieu militaire belge de 1831 à 1914
WANTY Emile - 1957

WANTY Emile, Le milieu militaire belge de 1831 à 1914

(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)

Titre IV. La lutte contre le remplacement (1870-1900)

Chapitre IV. Casernes, camps, écoles

Peu après 1870, la répartition des unités de l'armée combla les vœux des villes grandes, moyennes et même très petites : une quarantaine de garnisons au total. Chaque régiment, concentré dans une garnison importante, détachait parfois dans une petite ville l'un de ses quatre bataillons ; son dépôt de mobilisation, élément essentiel, presque toujours séparé du corps, se trouvait dans une garnison proche d'Anvers (Lierre, Malines, Saint-Bernard, Saint-Nicolas, Termonde, Diest). A partir de 1873, apparurent de nouvelles unités : les écoles régimentaires, dont l'implantation territoriale répondit à un but très précis : installer dans des régions rurales, mal desservies en communications, à l'écart de la vie du pays, des établissements militaires d'enseignement primaire, qui fussent des centres d'attraction (page 146) pour de nouvelles vocations. Pour les installer, on utilisa les locaux d'anciennes places fortifiées telles que Menin, Philippeville, Mariembourg, Bouillon, Dinant, Huy, Ath.

Dès cette époque, certains régiments trouvent leur lieu définitif d'élection : les cinquième, sixième , septième et huitième de ligne à Anvers, le douzième à Liège, les grenadiers et carabiniers à Bruxelles, le premier d'artillerie à Gand ; mais le neuvième de ligne est encore Arlon, le troisième à Mons, le quatorzième à Gand.

Les casernements, toujours confiés la responsabilité des administrations communales, se délabraient un peu plus chaque année. Le brillant régiment des guides vivait dans la très vieille caserne des Annonciades, rue de Louvain, Le 20 janvier 1872,le roi Léopold II y fit une visite inopinée ; il ne put qu'en constater l'état pitoyable ; nul artifice militaire n'était capable de le masquer complètement. Pour en consoler les occupants, il commanda un repas extraordinaire et leva les punitions. La caserne Sainte-Élisabeth, occupée par les grenadiers, était « une très vieille abbaye, moisie et croulante, aux murs salpêtrés comme ceux d’une étable, infestée par ls rats… Elle avait la forme d'un quadrilatère, située au centre d'un labyrinthe de ruelles lépreuses formées d'un côté par la haute muraille. de l'autre par des rangées de masures affectées à des cabarets borgnes. » Telle la voit G. Eekhoud dans ses Kermesses.

Un arrêté royal du 18 avril 1872 créa une commission mixte chargée d'examiner les problèmes relatifs au casernement. La charge en serait enlevée aux communes et assurée désormais par l'Etat. (Note de bas de page : La commune percevait de I’Etat 3 par 4.000 francs par an pour le casernement des chevaux et recevait une « ferme de la cantine », cédée pour 3 ans à un candidat qui prenait soin de se fournir chez un notable, et vendait au prix courant de la ville. Nous relevons qu'un verre de bière, une feuille de papier et un timbre coûtaient 0,29 fr. ; c’était énorme pour le budget du soldat. Fin de la note.) On se plaignait à juste titre qu’à l’époque même où ce dernier édifiait 19 prisons « luxueuses » pour un total de près de 13 millions, certaines casernes fissent, comme celle de Mons, figure de taudis aux murs suintants. aux planchers troués, propices surtout aux galopades des rats. Dans ces locaux à l'air vicié, les soldats vivaient serrés, souvent sans bancs ni tables, faute de place. Les sous-officiers n'avaient pas l'ombre d'un confort minimum. Tout y était sinistre, commencer par la façade rébarbative, le porche éclairé par une lanterne la flamme (page 147) vacillante, s'ouvrant sur les ténèbres de la cour intérieure. La cuisine était exiguë, obscure, triste elle aussi, sans cheminée d'appel, avec un éternel relent de viande bouillie. L'épluchement s'effectuait dans la cour, tout comme la toilette matinale, sous les pompes dispensatrices d'eau glacée. Ce cadre laissait aux miliciens des souvenirs durables.

On construisit les premières casernes modernes à Bruxelles. En 1878, le premier des guides s'installa à Etterbeek, suivi en 1882 par le deuxième des guides, qui avait tenu garnison à Ypres, à Audenarde puis à Tournai.

Il dépendait surtout des chefs de corps de rendre plus acceptables les bâtiments anciens, mais il y fallait un soupçon de sens social. Certains l'eurent. Le colonel Moselli, au premier Chasseurs, fit réorganiser la bibliothèque régimentaire, créer un atelier de photographie, donner une impulsion aux cours de chant et de danse, décorer les chambres de sous-officiers, mettre en valeur les terrains vagues autour de la caserne pour y produire des légumes, réorganiser les ménages de la troupe et des sous-officiers. Tout un programme de pionnier.

Le régime ancien à deux repas s'était amélioré par un troisième, mais seul celui de midi était copieux. La ration réglementaire de 250 grammes de viande se réduisait en fait à 95 ; des marmites ne sortait, jour après jour, que le sempiternel bouilli. On commença varier un peu (très peu) les menus par l'essai des viandes conservées d'Australie et de la Plata, plus fades encore, mais procurant un bouillon « savoureux ». Le pain de munition était assez bon les trois premiers jours ; passé ce délai, il s'altérait et moisissait. Cette alimentation « saine et convenable » mais d'une extrême monotonie, était comparée avantageusement, par les partisans des économies en matière militaire au régime des travailleurs civils. Cet argument restait sans réplique possible.

M. Malou, ministre intérimaire de la guerre, faute d'avoir trouvé un général désireux de succéder au général Guillaume, signa le 24 janvier 1873 une circulaire stipulant que, pour le renouvellement des effets d'habillement, il ne suffisait pas que « l'effet montre la corde du tissu » ; il fallait qu'il fût arrivé à un degré d'usure tel qu'il ne serait pas possible de continuer à le faire servir. Le soldat devait effectuer lui-même certaines réparations, sous la responsabilité entière des chefs de corps. Le souci des économies devenait sordide.

(page 148) La construction de nouvelles casernes permit l'instauration progressive des tables officielles pour officiers. En 1874, les grenadiers étaient à peu près les seuls à posséder leur mess dans un hôtel particulier, loué à grands frais. Les guides et le premier Lanciers en avaient dans des pavillons isolés de la caserne.

Ce serait mal connaître le monde militaire belge que de croire que cette réforme fût bien accueillie. On y vit surtout une vexation, une mise en tutelle, une inquisition déguisée, une cause nouvelle de dépenses, une source de querelles, une atteinte à la liberté. Il est vrai que certaines mesures semblaient préluder à cette mainmise. Le lieutenant-général Greindl avait naguère imposé le port de la tenue, du matin au soir, par tous les officiers, sauf les généraux. Une circulaire ministérielle de fin 1874 obligea les officiers à être en tenue jusqu'à 4 heures seulement, mais étendit cette mesure aux officiers généraux. Obligés de porter l'uniforme, estimèrent des esprits caustiques, ces derniers se montreraient plus souvent à la caserne, sur le terrain ou au champ de tir. Car on ne les y voyait que pendant les inspections, et quelques-uns au camp de Beverloo.

En 1851, ce dernier était encore l'unique camp permanent d'Europe. Il fallait six heures de train d'Ostende à Hasselt, puis quatre de diligence pour l'atteindre. Les débarquements s'effectuaient à Hasselt, suivis, pour la troupe, d'une marche de 30 kilomètres. Vingt ans plus tard, il y eut la ligne Hasselt-Achel, avec arrêt à Wychmael, à 10 km du camp. En 1878 enfin, la ligne Diest-Moll passa à Bourg-Léopold.

Pendant les années 1850, le camp comporta neuf complexes de baraquements, les uns en briques, les autres encore en torchis, avec des chambres pour 25 à 60 hommes. Les écuries, non pavées, s'encombraient de litières entretenues pendant 4 à 6 semaines, recouvertes chaque jour de paille fraiche. L'hôpital était propre, ventilé et confortable, avec moins de 3 p. c. de malades. Le régiment des grenadiers occupait, à l'extrême nord, un nouvel ensemble de constructions à un étage, avec des chambres munies de deux bat-flancs inclinés, séparés par un passage large de 1,60 m ; au milieu du « carré » un mess pour officiers, le seul existant.

Cinq fois par semaine, les unités allaient sur le terrain (page 149) pendant six à huit heures. Le soir, les officiers se réunissaient dans les cafés proches de leurs quartiers et, nous dit un officier anglais qui y fit un séjour, ne se lassaient pas de parler de sujets militaires (major H.B. Harvey, A visit to the camp of Beverloo (1852)).

A partir de 1870, le camp prit lentement la figure qu'il devait conserver jusqu'en 1914. Suivant un plan méthodique, dû au colonel Demanet, on y édifia successivement six sections pour un régiment d'infanterie chacune, comportant 18 baraques pour la troupe, en 3 séries de 6 perpendiculaires au front de bandière, précédées par un corps de garde. En arrière, quatre pavillons pour officiers subalternes, puis deux bâtiments à étage (mess d’officiers), et enfin le pavillon des officiers supérieurs. Cette disposition traduisait à merveille la hiérarchie ; elle introduisait aussi une certaine notion fonctionnelle, jusqu'alors inconnue, Lorsque les larges allées séparant ces divers blocs seront plantées d'arbres, le camp aura pris sa physionomie définitive. La disposition du camp de cavalerie ne fut pas modifiée : on y substitua partout la brique au torchis, et l'on multiplia les écuries. Ces divers travaux durèrent jusqu'en 1866, mais il y eut encore des baraques en paille jusqu'en 1880.

Les plantations couvraient 185 hectares, les pelouses 28. Le départ de la compagnie de discipline pour Anvers avait enlevé une main d'œuvre précieuse, au détriment de l'entretien des jardins. Le bourg se réduisait encore une église, trop petite pour l'affluence dominicale, à la place Léopold et à deux rues mal pavées, bordées de cafés. Après une journée d'exercices, de tirs ou de manœuvres, les militaires allaient s'y faire exploiter, pour échapper à l'ambiance du camp et retrouver celle des cafés-concerts de bas étage.

Les usagers commençaient déjà à ressentir l'uniformité des sites aux alentours du camp, connus par cœur. On reprenait les mêmes hypothèses tactiques. Le domaine militaire se révélait trop exigu depuis le perfectionnement des armes à feu. Après 1870, il y eut pourtant quelque nouveauté dans les manœuvres. Jusqu'alors, elles s'étaient caractérisées par des évolutions compassées, exécutées presque au métronome, sous le feu même (supposé) de l'adversaire. Le témoin anglais de 1852 en admirait la précision. En 1873, le lieutenant-général Goethals, (page 150) commandant des troupes en période, fit effectuer des manœuvres à double action, après avoir défini la tactique nouvelle. « L'infanterie la plus manœuvrière sera celle qui, forcée de manœuvrer sous le feu, le fera avec le moins de pertes ; celle chez qui les chefs, même ceux qui commandent les plus petites unités, auront assez le courage de l'initiative, unie à l'intelligence, pour tirer parti du terrain et agir selon les circonstances, et qui sauront donner à leur troupe une grande mobilité, un grand élan, sans que cela nuise à la précision, à la régularité de ses mouvements, et sans briser la cohésion qui doit exister entre toutes les fractions du corps engagé. »

On sent ici un esprit novateur, jusqu'à la hardiesse, décidé à donner une impulsion énergique à une instruction engourdie. Le général Goethals n'était pas, comme beaucoup d'autres, un chef inaccessible, distant, voire invisible. Gentleman, il recevait à son quartier-général du camp, tous les soirs, des officiers de ses régiments, et aimait à s'entretenir librement avec eux (note de bas de page : à la fin de la période de 1873, des officiers vinrent spontanément rendre hommage au lieutenant-général Goethals).

Le roi attachait une énorme importance au développement de l'armée et ne manquait aucune occasion de la voir au camp. Sa visite s'effectuait en grand cérémonial. Un escadron des guides escortait le roi et la reine depuis Wychmael : une batterie tonnait ; un bataillon avec drapeau et musique rendait les honneurs au pavillon royal. La prise d'armes générale était imposante, et la souveraine y provoquait l'admiration par son style parfait d'amazone. Un grand dîner de 80 couverts fut offert le 17 juillet 1873 à tous les chefs de corps et de service, suivi de la réception d'une moitié des officiers en période. Les souverains visitèrent le 20 les carrés, ornés, bichonnés, enguirlandés. Tout concourait à entretenir l'enthousiasme loyaliste à l'égard du roi, à créer un large esprit militaire. Il arrivait que la période se terminât par une cavalcade haute en couleurs, des représentations dramatiques en plein air, organisées avec les moyens des régiments, par des concours d'escrime, des retraites aux flambeaux.

Ainsi le camp de Beverloo avait sa mission, très importante : dans son creuset s'opérait l'unification, la fusion morale de régiments venus des quatre coins du pays.

(page 151) Le camp, ou polygone de Brasschaet, réservé depuis le début aux tirs d'artillerie, s'était agrandi entre 1852 et 1855 par expropriation de 217 hectares, et plus tard de 200 autres pour obtenir un champ de tir long de 4.500 mètres et large de 830. Depuis 1871 y existait une école de tir pour l'instruction des cadres et pour des études expérimentales. Le polygone était partagé en trois bandes longitudinales : gauche pour les tirs de siège ; au centre les tirs de campagne ; à droite les tirs de place, avec les objectifs correspondant à chacune de ces missions.

Si l'on constate des progrès réguliers, bien que lents, dans l'instruction technique de l'armée, les améliorations les plus nettes se firent jour dans l'instruction générale, après 1870. Ici encore, le choc de la victoire prussienne avait suscité des réflexions. N'avait-on pas dit qu'elle était celle des instituteurs ? La Prusse, depuis 1815, connaissait le service personnel et l'instruction obligatoire, Si l'opinion parlementaire belge restait hostile au premier, malgré la leçon formelle des événements, beaucoup commencèrent à comprendre que la seconde était un facteur capital,

Depuis longtemps, l'armée, dans des limites restreintes, avait entrepris de réduire l'analphabétisme des miliciens par des cours régimentaires d'illettrés. En 1871, le lieutenant-général Guillaume. ministre, fit un pas décisif.

L'arrêté royal du 18 avril 1871 ne créa aucun organisme nouveau, mais il modifia à un tel point le régime existant qu'il s'agissait en fait d'une création. Chaque régiment d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie et le régiment du génie auraient désormais leur école régimentaire, chargée de former des sous-officiers, caporaux ou brigadiers, en assurant un avancement plus rapide aux meilleurs élèves. L'instruction générale du degré primaire y reçut plus d'importance que la formation militaire. L'école devait échapper à l'influence directe de la collectivité régimentaire, par son isolement voulu dans une petite localité à l'écart, souvent loin de la garnison du corps, parfois même dans l'autre région linguistique. On l'encadra avec un soin particulier : un capitaine-commandant désigné par le ministre parmi les officiers du régiment, deux lieutenants on sous-lieutenants, deux moniteurs-généraux, un maître d'armes, onze sous-officiers au plus, tous choisis par le chef de corps. Ce dernier y détacha des volontaires ou des miliciens offrant des garanties de sérieux. Bientôt (page 152) du reste, ces petits centres militaires régionaux, tels que Bouillon, Huy, Mariembourg, Philippeville, Ath, Wavre, Audenarde, Menin, Courtrai, drainèrent d'assez nombreux volontaires de carrière. Ils pouvaient y passer deux années d'études tout en restant près de leur foyer, et accéder aux premiers échelons de la hiérarchie. Des examens annuels faisaient le point pour chacun, les efforts étant récompensés par un congé de faveur d'un mois. Ce système très intelligent constitua une excellente propagande pour l'armée.

A la même époque, on institua dans les régiments des cours particuliers pour les sous-officiers désireux de préparer l'examen de l'école spéciale des sous-officiers. Le programme en fut celui des écoles régimentaires : le sergent issu de ces dernières pouvait donc aspirer à la sous-lieutenance. Ainsi allait s'accentuer, tout en se régularisant, le caractère démocratique du recrutement des cadres par la base.

Cette école spéciale avait été fondée par l'arrêté royal du 8 avril 1871, et installée à Hasselt, dans le but de remédier à la pénurie des candidatures à la section armes simples de l'école militaire.

On y faisait une année d'études, Les sous-officiers d'une certaine ancienneté pouvaient participer d'emblée à ses examens de sortie, sans y avoir séjourné, et tenter ensuite leur chance à l'école militaire. Elle fut supprimée en janvier 1880. En octobre 1882, on vit reparaître, à Bruxelles cette fois, un « cours central de préparation à l'école militaire », où pouvaient être admis, après examen, 25 candidats, sous-officiers âgés de moins de 24 ans, avec un an de service la troupe (non compris le séjour à l'école régimentaire), ou des militaires non sous-officiers, mais fils d'officiers ou de fonctionnaires civils assimilés. En cinq années, ce cours fournira à l'école militaire 96 élèves dont 12 aux armes spéciales.

Autre source appréciable du recrutement des cadres à la base : l'école des enfants de troupe. Transférée en 1860 à Alost, elle fut dénommée en septembre 1883 : école des pupilles de l'armée. De sa création jusqu'en 1894, elle fournit à l'armée 504 officiers, dont 1 général, 8 colonels, 9 lieutenants-colonels, 48 majors. Les tendances et les résultats démocratiques furent plus probants (page 153) encore par la suite. Le pupille recevait une instruction solide lui permettant d'accéder d'emblée à l'école militaire et d'en sortir sous-lieutenant à 19 ou 20 ans. A son entrée. il se liait par un premier engagement jusqu'à 24 ans : il était incorporé dans l'armée à 14.

En 1886, l'école fut scindée en deux compagnies : la première, les pupilles de moins de 14 ans, restant à Alost ; la deuxième, les pupilles de 14 à 16, envoyée à Namur. L'installation de ces écoles se caractérisait par l'austérité. Dortoirs vastes, largement aérés par de nombreuses fenêtres ; couchettes de fer alignées à 0,50 m d'intervalle : cassettes au mur, occupées par le linge et les effets, suivant un modèle rigide ; lavoirs composés de tables basses où étaient encastrées des cuvettes mobiles en fer émaillé, alimentées chacune par un robinet ; réfectoire meublé de longues tables et de bancs, orné de bustes royaux et des portraits des commandants de l'école. Partout, à défaut de confort et d'intimité, une propreté jalousement surveillée. Il faut y ajouter les classes, semblables sans doute à toutes celles de l'époque, les salles d'escrime et les salles de jeu avec une bibliothèque.

Il est incontestable que l'école des pupilles conjuguait la plus sévère discipline militaire avec un certain paternalisme, une surveillance bienveillante, l'intérêt porté au développement physique et intellectuel des enfants, et une conception, assez évoluée pour l'époque, des besoins d'une éducation solide. Levés à 5 h 15 en été, à 5 h 45 en hiver, les pupilles étaient sur pied pendant 14 à 16 heures suivant la saison : sept heures pour les classes et les études, trois heures un quart pour les exercices militaires, et fort peu d'instants de détente. Ce régime qui, aujourd'hui, paraîtrait inhumain, semblait alors légitime. « Il n'excède pas les forces d'enfants de 11 à 16 ans, et est suffisamment varié pour ne pas fatiguer leur attention. » Les nombreux militaires, officiers ou sous-officiers, issus de cette école, n'ont pas conservé un souvenir défavorable de ce régime rigoureux, si l'on en croit la vitalité de la société qui les groupe.

En 1873, le lieutenant-général Thiébauld, ministre de la guerre, entendit coordonner l'enseignement militaire et réunir les écoles sous une seule autorité. L’école militaire et l'école de guerre s'installèrent à l'ancienne abbaye de la Cambre, ex-dépôt de mendicité, conjointement avec les annexes du dépôt de la guerre.

(page 154) Le ministre créa un conseil de perfectionnement des établissements d'instruction de l'armée (huit officiers généraux et supérieurs) et plaça un inspecteur général à la tête des écoles régimentaires d'infanterie, de l'école des enfants de troupe et de l'école spéciale des sous-officiers. Le conseil proposait les professeurs de l'école militaire et de l'école de guerre, établissait les directives pour les programmes, contrôlait ces derniers, siégeait comme jury d'entrée et de fin d'année à l’école de guerre.

A la section armes simples de l'école militaire, il n'y avait guère plus de candidats que de places offertes. La situation était un peu meilleure celle des armes spéciales. De 1834 à 1864, la moyenne annuelle y fut de 41 (soit 3 candidats pour une place) : entre 1864 et 1874 : 58, avec une poussée à 72 en 1872, 1873 et 1874 (lettre du colonel Liagre, commandant de l’école militaire, à La Belgique militaire, 18 octobre 1874). Les examens d'entrée devinrent plus difficiles d'année en année, pour atteindre en 1857 le degré des écoles spéciales annexées aux universités de l'Etat. En 1857, le dernier admis, le quinzième, avait une cote de 11,17. En 1871, le dernier, 39ème, était accepté avec 8,37. Comme il fallait toujours plus d'admis, on descendit en 1873 jusqu'au 53ème avec 7, 22. A cette époque, il y eut trois candidats pour deux places. C'est alors que commencèrent à prospérer les établissements spécialisés dans la préparation à ces examens, les « entrepreneurs de candidats » pratiquant le « chauffage à blanc » d'éléments souvent médiocres.

A l'actif social des autorités militaires il faut inscrire encore la création des « compagnies universitaires » par la circulaire ministérielle du 5 août 1882. Il est permis de croire que bon nombre d'étudiants défavorisés par le tirage un sort ne pouvaient ou ne voulaient se faire remplacer. A Gand, Liège et Anvers, ils furent logés dans des locaux particuliers de la caserne, exemptés des corvées, avec un tableau de service établi en fonction des cours universitaires. Les bénéficiaires les suivaient en tenue, recevaient une instruction militaire sous la surveillance d'un capitaine adjudant-major, et disposaient à la caserne d'une salle d'études. En 1885, ces latitudes furent étendues à Bruxelles, à Louvain et à plusieurs écoles spéciales en-dehors des universités.

On plaça les étudiants « en subsistance » dans une compagnie non-active, rattachée à un régiment en garnison dans une des (page 155) quatre villes universitaires, avec 18 heures d'exercices ou théories par semaine. Ce régime libéral donna de bons résultats, tout au moins sur le plan des études. A Liège, en 1888, sur 19 étudiants militaires, 18 réussirent leurs examens. Leur ponctualité, leur zèle, leur caractère discipliné étaient reconnus (Journal de Gand, 28 septembre 1888).

Dans ce domaine de l'instruction, nous n'avons pas encore rencontré le problème linguistique. A la vérité, si anormal que cela puisse bon droit paraître, il ne se posait pas encore, Ou plutôt il n'était pas encore posé devant l'opinion, Les programmes des écoles régimentaires englobaient l'enseignement des deux langues nationales, mais on s'en remettait toujours à l'arrêté du Gouvernement provisoire déclarant que l'administration et les commandements se feraient en français. Plusieurs éléments de valeur, issus des classes les plus modestes, avaient dû franchir le premier obstacle de la langue avant d'aborder les études les conduisant à la sous-lieutenance, puis à de brillantes carrières. On reconnaissait pourtant que beaucoup de soldats ne parlaient et ne comprenaient que le flamand. Deux officiers publièrent en 1874, à leur usage, une traduction de la nouvelle école du soldat. Or, tout ce que trouva à en dire un critique fut : « Elle est rédigée dans une langue littéraire qui ne sera guère comprise que par des Flamands lettrés. Or ceux-ci connaissent généralement le français. » L'incompréhension à l'égard de ce problème restait profonde.