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Le milieu militaire belge de 1831 à 1914
WANTY Emile - 1957

WANTY Emile, Le milieu militaire belge de 1831 à 1914

(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)

Titre IV. La lutte contre le remplacement (1870-1900)

Chapitre VI. La garde civique

Les constituants avaient vu dans la garde civique à la fois un point d'appui pour les troupes défendant la frontière et un contrepoids à l'armée pour la défense et le maintien de l'ordre établi.

De 1840 à 1848, elle resta régie par la loi du 31 décembre 1830, avec des prestations réduites au minimum : deux réunions par an. La loi du 8 mai 1848 organisa une garde « active » dans les localités de 3.000 habitants et les places fortes, astreinte à douze exercices annuels, deux inspections d'armes et deux revues. Cette mesure fut accueillie comme une vexation intolérable ; des pétitions se couvrirent de milliers de signatures de « gardes. » La loi du 31 juillet 1853 limita l’« activité » de la garde aux localités de 10.000 habitants et aux places fortes, sans qu'il y eût obligation pour les administrations communales d'en créer une ; elle réduisit les prestations à huit séances annuelles. Les plaintes continuèrent, évidemment. Ceux qui avaient le goût de l'uniforme, des exercices plus fréquents et des parades militaires, purent le satisfaire en entrant dans les « corps spéciaux », chasseurs-éclaireurs, artilleurs, cavaliers.

(page 164) A aucun moment de son histoire, la garde civique ne représenta une force véritable. Sur 2,524 communes, 45 seulement l'organisèrent, avec un total de 31.000 hommes sur les 500.000 qui la constituaient théoriquement (Sancho, mai 1867). Encore ne s'agissait-il que d'unités sans instruction, ni discipline, inutilisables même pour le service dans les places fortifiées en temps de guerre, leur emploi normal suivant les idées de l'époque.

Elle servait surtout d'alibi l'égoïsme des bénéficiaires du remplacement. Ceux-ci, à titre de compensation, devaient le service de guerre dans ces unités bourgeoises. Elle offrait par ailleurs une garantie pour la défense de l'ordre social, bien que tel ne fût pas l'avis de tous. Le lieutenant-général Capiaumont, dans son opuscule sur la répression des troubles, n'accordait qu'une dizaine de lignes dédaigneuses à l'intervention de la garde.

Celle-ci, enfin, constituait un trompe-l'œil sur les forces réelles de la Belgique. La plupart des écrivains militaires des années 1850-1860 avaient soutenu que la garde civique pouvait et devait participer à la défense des places, libérant ainsi autant de troupes régulières pour les opérations en campagne.

Elle satisfaisait, sans aucune servitude astreignante, l'amour du panache, des broderies, dorures et décorations. Il n'était nul besoin de connaître le régime spartiate de la caserne, les pénibles années d'attente de la filière, pour décrocher l'étoile dorée et revêtir la tenue militaire.

L'élection des chefs, prévue par l'article 122 de la Constitution, renouvelée tous les cinq ans (loi de 1853), exigeait peut-être des efforts personnels de propagande et quelques sacrifices financiers, mais elle ouvrit les portes de toutes les manifestations publiques, de toutes les parades, et souvent celle des réceptions la Cour. Si l'on voyait rarement les tenues des gardes sur les terrains d'exercices, on pouvait admirer plus fréquemment les dorures de leurs officiers devant les buffets bien garnis.

Il fallut attendre 1867 pour que fût posé le problème de la réserve de l'armée, forte de 30.000 hommes, constituée par le premier ban de la garde civique réorganisé. Plusieurs généraux se lancèrent dans la lutte pour cette réforme. Le lieutenant-général Renard, mis la tête de la garde civique du royaume. eut l'audace de déclarer : « Ce sont les citoyens, c'est la nation (page 165) tout entière en armes qui doit, le cas échéant, défendre la patrie » et d'affirmer vouloir faire de la milice citoyenne une institution forte et sérieuse « embrassant, s'il est possible, tous les hommes valides de la nation aptes au service des armes. » Il la voulait ouverte à toutes les classes de la société, et non plus exclusivement bourgeoise. Dans de telles conditions, il lui ferait confiance. Par contre, en 1871, le lieutenant-général Chazal l'estimait « trop incomplètement organisée. » Certes, elle renfermait des éléments supérieurs en général à ceux de l'armée mais, faute de cohésion, elle ne pouvait suppléer celle-ci, ni être comparée, même de loin, à la Landwehr prussienne composée d'hommes rompus au service militaire. Allant plus loin encore, le colonel Brialmont, en 1872, au plus fort de la campagne en faveur du service personnel, affirma que la garde civique était inutilisable pour la guerre, donc inutile, et même dangereuse (sauf pour le maintien de l'ordre). Et encore ! En novembre 1871, à l'occasion de remous populaires provoqués par un scandale politico-financier, n'avait-on pas vu une compagnie de gardes de Bruxelles, crosse en l'air, conspuer le gouvernement et les représentants, au lieu de maintenir le calme ?

L'opposition des milieux conservateurs à une réforme de ce genre resta monolithique, sans égard aucun pour les réalités et les arguments. Au plus aigu de la guerre franco-allemande, pendant le siège de Paris, en janvier 1871, plusieurs journaux s'indignèrent du projet esquissé par le général Renard, inspecteur de la garde-civique. « Au lieu de songer étendre le militarisme, il faut le réduire... couper court à toutes les folles dépenses faites pour la garde civique qui sera toujours un obstacle sérieux à l'efficacité de la défense », écrivait La Patrie de Bruges (janvier 1871), Et La Paix qualifiait de « pompeuse sottise » cette phrase de Renard : « La guerre a toujours fait justice des fausses doctrines et des rivalités qu'une longue paix engendre et perpétue. » Le fameux slogan : « Niemand Gedwongen Soldaat » sévissait ; l'esprit critique, engourdi par l'intérêt personnel, se refusait à constater que le citoyen tirant un mauvais numéro était, malgré l'assurance fallacieuse, un « Gedwongen soldaat. »

Rien ne lut fait pour la garde civique, malgré les appels de l'opposition libérale en faveur de sa transformation en une réserve efficace. Woeste ne voyait en elle qu'un facteur de maintien de l'ordre ; pour cette mission restreinte, sa « structure si (page 166) simple et les deux prestations annuelles de la loi de 1830 lui paraissaient être « l'idéal » ou « peu s'en faut » (Vingt ans de polémiques, 1885).

Or, cette époque, des faits nouveaux parurent lui donner raison. Les troubles sociaux, assez rares pendant près d'un demi-siècle, à cause de l'inorganisation du prolétariat, devinrent plus fréquents, plus violents.

Une circulaire ministérielle de 1854 précisait que jamais la troupe ne pouvait être requise préventivement ; elle n'intervenait que lorsque la gendarmerie, la police et la garde civique locale se révélaient insuffisantes, ou dans le cas d'une sédition. Une fois requise, l'autorité militaire était seule juge des mesures à prendre. L'autorité communale devait, en fait, se dessaisir alors de ses attributions normales.

Aussi l'appel à l'armée, nous l'avons dit, fut-il fort rare. En 1857, le 27 mai, des manifestations tumultueuses avec bris de glaces se produisirent à Bruxelles, devant le Parlement et la Monnaie, à l'occasion du projet de loi dit des couvents sur la réorganisation de l'assistance publique. Dans la capitale, les corps spéciaux de la garde civique, artilleurs et chasseurs-éclaireurs, gardèrent les établissements religieux, renforcés bientôt par les compagnies de la troisième légion et les sapeurs-pompiers en armes. On consigna les troupes régulières dans leurs casernes, et le ministre de la guerre fit converger dans les faubourgs les chasseurs à pied d'Anvers, les artilleurs de Malines, les cuirassiers de Louvain. Le bourgmestre de Bruxelles, Charles de Brouckere, n'y fit pas appel, ni celui d'Anvers. A Mons, par contre, l'autorité communale requit les unités de la ligne et les lanciers. A Liège, le général Fleury-Duray, le commandant des forces belges à l'échauffourée de Risquons-Tout en 1848, fit d'autorité déblayer une place par ses troupes ; la garde civique n'y fut même pas convoquée. A Gand surgit un conflit d'ordre juridique entre l'autorité communale et le chef militaire. Autant de solutions différentes (Fr. Kalken, Commotions populaires en Belgique, 1834-1902. Nous avons emprunté beaucoup de faits à cet ouvrage consacré à un aspect fort peu connu de l’histoire belge contemporaine.)

A la suite de ces expériences, on subordonna l'intervention des forces armées à celle des autres moyens répressifs ; elle ne serait justifiée qu'en cas d'insuffisance reconnue de ceux-ci.

(page 167) Le 28 novembre 1862, à Anvers, la garde civique suffit à faire avorter une grande manifestation organisée pour protester contre les servitudes militaires, jugées trop lourdes, devant les nouveaux ouvrages du camp retranché. En novembre 1871, Bruxelles vit de nouveau le déroulement de cortèges animés, de bandes tapageuses circulant dans les rues. Les manifestations anti-gouvernementales causées par la nomination, âprement discutée, du gouverneur du Limbourg, commencèrent le 22 ; le 24, le bourgmestre Anspach interdit les rassemblements de plus de cinq personnes, et la garde civique patrouilla autour des maisons religieuses. Malgré la neige et le froid, cette situation troublée se prolongea jusqu'au 30 novembre, jour de l'inauguration des nouveaux boulevards centraux. Une foule de plus de 3.000 personnes fit ce jour-là une démonstration assez houleuse devant le Palais Royal ; les troupes de la garde civique ne parvinrent que vers 22 heures à en faire évacuer les abords. Les unités de l'armée avaient été consignées dès le 22, et renforcées par d'autres de la province. : ici encore l'autorité communale se refusa y faire appel. La milice citoyenne resta sur la brèche pendant près de dix jours. Le 23, une légion avait formé le carré devant le Parlement, officiers supérieurs à cheval au centre avec les tambours. Le lendemain, les troisième et quatrième légions, que leur tenue faisait appeler les « Bleus », furent convoquées d'urgence, par « rappel au tambour », dans les divers quartiers. Le garde s'équipait sur-le-champ, faisait des adieux hâtifs à sa famille et rejoignait un point de rassemblement de sa compagnie.

Les troubles de 1886 prirent un caractère tragique et créèrent une situation prérévolutionnaire. Ils commencèrent à Liège, le 18 mars, par une manifestation ouvrière d'inspiration anarchiste, non pas socialiste : un cortège autorisé, canalisé par un service d'ordre de 42 agents de police et 18 gendarmes. Les chasseurs et les artilleurs de la garde civique étaient convoqués pour le soir, mais la troupe n'avait reçu aucun ordre et n'était pas consignée. Lorsque la manifestation, spontanément, se mua en émeute, avec mise à sac des grands cafés du centre. on rappela au son du clairon les militaires dans leurs casernes. et toute la garde civique se rassembla. Elle installa des postes-barrages sur toutes les routes, avec des grand-gardes aux carrefours. Cette fois encore, l'autorité communale ne fit pas appel l l’armée. Toutefois, le gouverneur requit des troupes : deux bataillons du neuvième de ligne (page 168) et un du dixième, en garnison à Liège, et un escadron de lanciers, lorsque éclata une grève violente à Seraing, le 20. Le 22, le général Pontus, ministre de la guerre, les inspecta sur place et les fit renforcer. Des fantassins gardèrent militairement les ponts, tandis que circulaient inlassablement les patrouilles de lanciers et de gendarmes en tenue de campagne. Cette intervention active de l'armée fut fort mal accueillie par la population, aux cris de « Assassins. » Les lanciers chargèrent ici et là ; les gendarmes à pied exécutèrent des feux de salve au-dessus des têtes. Le 22, une section d'infanterie, serrée de près par une colonne de bouilleurs descendant vers Tilleur, tira après sommations ; plusieurs blessés.

A Charleroi, le mouvement ne se déclencha que huit jours plus tard, le 24, et la première bande d'agitateurs partit de Taillis-Prés (Gilly) le lendemain. Le soir déjà, les chasseurs-éclaireurs et la batterie de la garde civique de Charleroi étaient sous les armes. La situation s'aggrava le 26, et toute la milice citoyenne fut convoquée au clairon pour barrer les routes convergeant sur Charleroi. Deux bataillons de chasseurs partirent vers la région dangereuse de Gilly, et le commandant militaire de la province préleva des renforts sur Tournai. Le 26, une charge de gendarmes appuyés par des chasseurs s'effectua devant les laminoirs de Dorlodot, blessant une quinzaine de manifestants, A Roux, dans la soirée de ce jour tragique, la tension devint intolérable : un peloton du troisième chasseurs à pied, de Tournai, à peine débarqué, fut requis par le commissaire de police et fit deux décharges sur les émeutiers : 4 morts, 7 blessés. Vers 16 heures, la verrerie Baudoux fut saccagée et incendiée par 5.000 manifestants ; un peloton de 30 lanciers tenta de charger, mais dut se replier sous une grêle de projectiles. A la fin de cette journée, la garde civique constituait encore le seul rempart effectif entre les bandes menaçantes et Charleroi. Le gouvernement décida le rappel des classes de 1882 et 1883. Dans la nuit du 26 au 27, 9000 hommes amenés de Bruxelles, Anvers, Ostende, Ypres, Bruges, convergèrent vers Charleroi ; ils y campèrent sur le Champ de Mars et dans les écoles. Le général Van der Smissen prit le commandement supérieur et organisa la répression, en donnant cette consigne impérative : « L'armée agira d'initiative ; elle ne se laissera jamais culbuter. » Serré de près par une foule de « jeunes ouvriers et de femmes offrant aux baïonnettes leurs poitrines (page 169) nues », un peloton du chasseurs s'affola et tira bout portant : 12 tués, 12 blessés. Le 29 eut lieu la dernière fusillade de cette terrible période, Bascoup : 2 morts, 15 blessés. A ce moment, 45.000 hommes de troupes occupaient le Hainaut, mais, à Charleroi, la garde civique était restée seule chargée du maintien de l'ordre, avec consigne d'ouvrir le feu sans sommation légale.

La Chambre eut un débat le 30 mars au sujet des troubles du Hainaut ; on n'y entendit aucune parole de pitié pour les égarés et pour les victimes.

En avril 1893, survint une grève générale politique pour l'obtention du suffrage universel. Dans toutes les communes importantes, les bourgmestres firent appel à la garde civique, tandis que le ministre de la guerre amenait des renforts dans le Hainaut, le Centre, et Charleroi surtout. Le 17 avril, les houilleurs borains marchèrent sur Mons : aux confins de la ville ils se heurtèrent à des barrages de la garde, fusils chargés, baïonnette au canon. Les projectiles lancés par les manifestants blessèrent plusieurs gardes et ce fut de nouveau la fusillade : 6 morts, de nombreux blessés. On décida de relever la garde civique par la troupe, A Anvers aussi il y eut des victimes : 5 tués, 15 blessés. A Gand, gendarmes et lanciers chargèrent ; Gand fut la seule ville où, d'emblée, la commune requit le concours de l'armée. A Bruxelles, les émeutiers brisèrent des vitrines. La garde civique reçut ses cartouches à balles. Dans la nuit du 13 au 14, le bourgmestre Buls interdit les attroupements mais ne voulut pas l'aide militaire. Le 14, au soir deux légions et deux corps spéciaux de la garde civique, soit 2.500 hommes, se répartissaient en sept centres, dont les Galeries Saint-Hubert, occupées en forces. Une concentration socialiste s'opéra aux abords de la Maison du peuple de l'époque, dans le quartier de Bavière ; police et gendarmerie chargèrent à la Vieille Halle aux Blés et jusque sur la Grand-Place ; il y eut des blessés. Le 16, le gouvernement rappela les classes 1889 et 1890, et la garde civique passa sons les ordres de l'autorité militaire à Bruxelles, mais, en fait, la situation était redevenue assez calme, sans que l'armée eût eu un autre rôle que de présence cachée. Les grévistes, tout comme le service d'ordre, garde civique comprise, arrivaient au bout de leurs forces.

Au cours de ces événements et dans d'autres occasions mineures, la garde civique avait démontré qu'elle constituait entre les mains des autorités communales, toujours farouchement (page 170) attachées à leur traditionnelle autonomie, un efficace outil préventif de maintien de l'ordre, permettant d'éviter, tout au moins de retarder le recours l'armée et le dessaisissement de pouvoirs qu'il entraîne.

Aussi la milice citoyenne, dont la composition restait essentiellement bourgeoise, acquit-elle, ou se donna-t-elle une importance qu'elle n'avait pas connue dans le passé. La réorganisation décidée par la loi du 9 septembre 1897 accentua son caractère de force effective. Divisée en deux bans, le premier de 21 à 32 ans, le deuxième de 32 à 40, elle fut astreinte désormais à trente exercices de deux heures, et cinq jours de manœuvres au cours de la première année ; dix exercices et cinq jours de manœuvres par an de la deuxième à la douzième année puis, pendant huit années encore, trois exercices annuels de deux heures.

Longtemps déjà avant cette réforme, la garde civique s'était intégrée dans les manifestations nationales, côte à côte avec l'armée. Pendant les retraites aux lumières qui firent la joie de nos arrière-grands-parents, ses tambours, clairons, musiques et porte-torches alternaient avec ceux des guides, des grenadiers et des carabiniers. Dans les revues, les corps spéciaux : chasseurs Chasteler et volontaires belges, les artilleurs, les quatre légions de Bruxelles et celles des faubourgs s'alignaient au centre de la ville, au Boulevard Botanique, Rue Royale, Rue de la Loi, Boulevard du Régent, laissant à l'armée les rues axiales venant de l'extérieur. La garde civique défilait en tête, et les journalistes appréciaient la « correction de deux ou trois de ses unités. » L 'honnête médiocrité des autres faisait contraste avec le brillant des troupes régulières qui suivaient : l'école militaire impeccable. les « charmants » pupilles de l'armée, les carabiniers avec le prince Baudouin acclamé à la tête de sa compagnie, les lanciers aux fanions tricolores flottant au bout des lances, les guides chamarrés, les grenadiers solennels. Dans ces occasions, les gardes s'efforçaient à un peu plus de sérieux que dans leurs exercices occasionnels, prétextes faciles de longs stationnements dans les cafés et à de bruyantes manifestations. Des propriétaires d'Uccle et de Forest, pour attirer les candidats locataires, spécifiaient sur les affichettes : « Ici pas de garde civique. »

Les journaux lui réservèrent désormais des rubriques régulières, se firent l'écho de ses réceptions, tel le « splendide banquet annuel » offert par la garde civique à cheval, élite bruxelloise, à (page 171) « l'élite des officiers de l'armée » et aux attachés militaires de la France, de l'Allemagne et de la Russie. Il éclatait des querelles de préséance. En1899, on voulut réunir en un seul régiment deux corps spéciaux de la capitale, les chasseurs éclaireurs et les chasseurs volontaires, ayant chacun leur uniforme particulier. Les seconds refusèrent d'être placés sous les ordres d'un chef commun « qu'ils n'avaient pas demandé » et d'être mis sur le même pied que les premiers, Car leur bataillon comptait 900 hommes contre 700 à l'autre. En janvier 1899, tous les officiers des chasseurs volontaires donnèrent leur démission en bloc, malgré l'insistance personnelle du roi auprès de leur chef. Le conflit, manne de scènes et de chansons pour les revuistes de fin d'année, comme tout ce qui touchait à la milice citoyenne. fut apaisé par la garantie de l'autonomie du bataillon, sauf unification de l'instruction, au sein du nouveau régiment.

La garde civique prenait figure pilier de l'ordre social. Elle confirma ce rôle au cours des troubles graves de 1902. Les manifestations organisées par le parti socialiste en faveur du suffrage universel pur et simple débutèrent à Bruxelles, le 8 avril, par le traditionnel cortège tumultueux avec accompagnement de bris de carreaux. Le 9 au soir, cela devint plus sérieux dans le quartier de la gare du Nord. Le gouvernement décida le rappel des classes 1898 et 1899 des régiments d'infanterie. Le 10 seulement la police fut consignée, pendant que la zone neutre était confiée aux corps spéciaux et aux « Bleus » de la garde civique, convoquée aussi dans les communes de Saint Gilles, Saint-Josse et Schaerbeek. Les casernes du Boulevard de Waterloo et de Tervueren regorgeaient de gendarmes. Après les manifestations assez violentes du 10, la ville se trouva pratiquement en état de siège le 11, les milices citoyennes passant sous les ordres d'un général de l'armée. Les points importants restèrent protégés exclusivement par la garde ; les troupes, consignées, constituaient réserve. Une rencontre se produisit vers 22 heures à la place de la Chapelle, dans la rue Haute et dans les ruelles voisines entre émeutiers et gendarmes, véritable scène de combats de rues, avec 3 morts et beaucoup de blessés. La grève générale fut alors décidée : le 18 avril elle touchait plus de 230.000 travailleurs, mais il y eut relativement peu de conflits ouverts. Dès le 13, du reste, les régions industrielles avaient été occupées militairement d'après le même plan qu'en 1893.

(page 172) C'est à Louvain que la garde civique intervint comme agent répressif. En deux endroits, serrée de près par une masse de manifestants, elle perdit son sang-froid, tout comme la troupe en 1886, et ouvrit le feu. Au total sept tués et une quinzaine de blessés. Après cette tragédie, la garde civique fit, plus encore que dans le passé, figure d'« instrument de la réaction. » Les esprits évolueront vers une utilisation préventive, puissante, mais pacificatrice, de l'armée.