(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)
(page 15) L'œuvre à laquelle, sitôt après les Journées de Septembre, s'attachèrent les réorganisateurs, se révéla dès les premiers pas d'une complexité extrême. Il fallait, du chaos, faire surgir le plus rapidement possible une armée cohérente et disciplinée.
Le premier Commissaire à la guerre fut le colonel Jolly, nommé le 27 septembre. Une commission de Guerre, créée le 14 octobre, fut composée du général Nijpels, du colonel du génie Goblet et du major Brixhe. Dissoute, elle devint le 27 octobre comité de la Guerre et comprit tout d'abord six officiers : général de brigade Nijpels, général de division Goethals, colonel Brixhe, lieutenant-colonel d'artillerie de Ghistelles, intendant de Bassompierre, sous la présidence du colonel Goblet promu le 30 octobre commissaire général de la Guerre. Le département s'articula en un secrétariat, une division du personnel, une division du génie et de l'artillerie, une division de l'administration. Cette dernière, détachée le 14 novembre, fut confiée au jeune Chazal, investi des fonctions d'intendant général et secondé par deux commissaires ordonnateurs. Leur mission principale fut de dresser un inventaire exact dans chaque corps et de procéder aux adjudications destinées à remplacer les ruineux marchés d'urgence.
Le service de la milice nationale resta régi par la Loi fondamentale de 1815 et les lois de milice du 8 janvier 1817 et du 27 août 1830. Dès le 20 octobre, le colonel Jolly ordonna de réincorporer les miliciens belges dans les régiments en voie de formation. Pour éluder le service légal, un certain nombre s'engagèrent dans les corps francs ; le Comité central dut intervenir pour l'interdire. Le 6 novembre, le Gouvernement provisoire lança une convocation aux miliciens semestriers du Brabant méridional pour se rendre Bruxelles et y être réintégrés sous les drapeaux.
Il semble pourtant que, malgré les difficultés rencontrées, le gouvernement ait estimé avoir trop de soldats. En effet, il dispensa en novembre la levée de 1830 de rejoindre les corps, peut-être faute d'instructeurs qualifiés ; il délivra un congé (page 16) illimité à la classe de 1826 et prévit même le renvoi en congé, après tirage au sort, d'une partie des classes 1827, 1828 et 1829.
Illusionné sans doute par les succès des volontaires, le gouvernement Provisoire ne voyait de salut que dans le rendement, sans cesse accru, des corps francs.
En décembre, l'armée comptait 32.000 réguliers et 6.000 volontaires. L'infanterie, réorganisée par le général Goethals, se partageait entre onze régiments de ligne issus directement des afdelingen stationnées dans les Pays-Bas méridionaux.
Dans leur effort vers une unification des corps de l'armée, les officiers de l'administration centrale (tous officiers de carrière) tentèrent un regroupement progressif des bataillons de volontaires. Le 1er novembre on constitua l'embryon du première chasseurs pied avec le bataillon franc du lieutenant-colonel Borremans (âgé de 26 ans) (note de bas de page : Ce bataillon, fort de 200 hommes, dit des « Chasseurs de Bruxelles », fut passé en revue le 21 septembre 1830, et fit le coup de feu à Zellick le 22, à la Montagne du Parc le 23 et les jours suivants) ; il fut complété le 18 février 1831 par les volontaires du lieutenant-colonel Grégoire et le 11 mai par le bataillon du major Aulard. Le deuxième chasseurs à pied eut pour noyau le corps du général Niellon. Le troisième chasseurs groupa les troupes du général Mellinet : le bataillon bruxellois de Schavaye, le bataillon Black dit des « Inséparables », le bataillon limbourgeois de Paumen et un bataillon liégeois.
Le douzième de ligne englobera les deux bataillons de la Légion Belge-Parisienne, les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième bataillons de corps francs et une compagnie franche de Liège.
Ainsi se trouveront résorbés la majeure partie des corps de volontaires de la première heure, c'est-à-dire des plus ardents. (page 17) Mais l'administration de la guerre, après avoir effectué cette intégration, allait commettre en mars 1831 l'erreur d'organiser de nouvelles unités de partisans. Le projet, présenté par un pittoresque aventurier, le Français Bernier de Valanthiennes, était certes alléchant pour les hommes de la Révolution imbus des surprenants succès des irréguliers. Il s'agissait de former, par exemple, des « compagnies infernales » qui, « sous la blouse seraient revêtues de l'uniforme ennemi afin de pouvoir pénétrer de nuit comme de jour dans les lignes ennemies, y porter la mort et le désordre, s'emparer ou enclouer l'artillerie (sic), escorter ou couper les convois, tourner les flancs de l'ennemi. » Le promoteur concluait cette litanie de promesses : « J'abrège pour ne pas fatiguer Monsieur le Régent » et suggérait benoitement : « Beaucoup de mes hommes sont de ces routiers qu'il ne faut pas laisser dans les capitales quand on a redouter des troubles. » Cette phrase ne suffit pas à inquiéter les instances supérieures ; le 8 avril 1831, un arrêté créa un bataillon de quatre compagnies de volontaires par province (deux dans le Luxembourg). Les officiers supérieurs et les capitaines en seraient nommés par le ministre, les autres par élection sans toutefois que ces grades électifs pussent rester acquis dans l'armée régulière. Ce furent les « bataillons de tirailleurs francs. »
Trois régiments de cavalerie (belges) de l'ancienne armée s'étaient pratiquement dissous : miliciens, armes et chevaux. Les miliciens consentaient à remettre à l'Etat leurs montures contre une prime de 100 florins, mais il fallut leur donner le choix (le 14 novembre) entre leur retour au service ou l'état de prisonnier de guerre. Un arrêté avait fixé à cinq le nombre de régiments à constituer : deux de chasseurs à cheval, deux de lanciers, un de cuirassiers. Le premier noyau fut formé à Tournai au début d'octobre avec quelques miliciens du sixième hssards et des volontaires : origine du premier chasseurs à cheval créé le 24 octobre 1830. Le deuxième casseurs groupa à Gand des soldats licenciés du huitième hussards. Tervueren fut le berceau du premier lanciers avec des débris du dixième lanciers, des quatrième et cinquième dragons. Le deuxième lanciers se forma Namur par décret du 27 octobre. En novembre, des éléments de cuirassiers et de chevau-légers se groupèrent en une compagnie franche des cosaques de la Meuse ; réorganisée en février 1831, elle devint la compagnie des guides de la Meuse.
Le point crucial de la nouvelle armée résidait dans l'artillerie et le génie. Il n'existait au début d'octobre que les deux (page 18) compagnies régulières d'Ath et de Mons passées d'un bloc à la Révolution, et la compagnie franche bruxelloise ayant pris part aux Journées de Septembre. Le matériel abondait dans les dépôts, mais les attelages manquaient. Par décrets successifs, le comité de guerre créa en novembre et décembre 1830 cinq compagnies d'artillerie de campagne à pied Mons et cinq autres à Tournai ; un corps d'artillerie de siège comprenant 5 compagnies d'artillerie de milice à Ypres, cinq à Namur, cinq à Liège et une compagnie de canonniers sédentaires à Charleroi ; une compagnie d'ouvriers à Anvers et deux compagnies du train des équipages à Liège.
Pratiquement on n'obtint en quatre ou cinq mois qu'une demi-douzaine de compagnies, car l'arme ne disposait initialement que de 33 officiers formés.
Mêmes difficultés au génie ; les 9 officiers de carrière ne permirent tout d'abord que la création de cinq compagnies de mineurs, sapeurs et pionniers à Mons et à Bruxelles.
Il fallait équiper cette nouvelle armée. Les 28 ans de Chazal furent chargés de cette responsabilité. Le travail ne pouvait se baser que sur des prévisions. Or nulle situation ne se prêta moins aux prévisions que celle des premières semaines, Les effectifs accusaient d'étonnantes fluctuations. Une revue passée à Anvers le 1er novembre indiquait la présence de 521 officiers et 8.177 soldats ; six jours plus tard, les mêmes unités ne comptaient plus que 342 officiers et 4.752 soldats. Suivant qu'un convoi d'armes, d'effets on de munitions était dirigé sur tel ou tel corps, les volontaires n'éprouvaient aucun scrupule à quitter le leur pour se joindre à l'unité la plus favorisée du moment. Rogier s'écriait le 17 novembre : » Il faut bien le reconnaître : nous sommes presque dans l'anarchie. » Gendebien lui faisait écho : « On parle d'organisation et rien ne s'organise. Une poignée de braves seulement sont sous les drapeaux. » Le 6 décembre, un représentant fit un tableau affreux des volontaires. « Il faut de l'argent, de l'argent, de l'argent » clamait Rodenbach le 14 janvier. Le général Goblet demanda 17 millions de florins pour l'année 1831, dont les 2/3 pour le premier semestre. On lui en accorda d'abord 6, puis 12. Et la lutte se poursuivit entre les tenants d'une armée régulière, les partisans résolus d'une armée composée de volontaires et les défenseurs de la garde civique. L'accord ne semblait devoir se réaliser que sur l'opposition (page 19) de nouveaux crédits. Le général Goblet les réclamait en affirmant : « Il faut faire en Hollande une guerre d'invasion et ne l'entreprendre qu'avec des masses importantes. Notre armée régulière est ce que nos finances ont permis qu'elle fût. C'est aux volontaires, c'est au patriotisme individuel que nous devons donc faire un appel ; c'est en révolutionnant de nouveau le pays que nous échaufferons toutes les passions qui engendrent les grandes actions. »
Toutefois, faute de crédits, il fallut révoquer l'appel à la classe de 1830. Les représentants fermaient volontiers les yeux à la réalité. « Notre brave garde civique serait à l'instant prête à marcher. La guerre donc, si elle est nécessaire », clamait l'un. Un autre reprenait : « La guerre... la guerre de suite. Faites donc entendre le cri de guerre pour répondre à la juste impatience de la Nation. »
Partout, dans l'opinion publique, dans la presse (sauf le très orangiste Messager de Gand) et au Parlement, un optimisme presque béat se nourrissait des souvenirs tout récents et déjà gonflés par la légende des Journées de Septembre. Tout sens des prévisions et des possibilités semblait aboli, remplacé par un sentiment de supériorité à l'égard de « ces soldats hollandais que nos volontaires ont dépassés en quelques instants. » Par une optique bien curieuse. le Moniteur traitait de « rodomontade » la ferme réponse du roi Guillaume au traité des XVIII articles tout comme la revue au camp de Rijen où se révélait pourtant une armée hollandaise réorganisée. prête et décidée. C'est ce moment qu'un arrêté du 16 juin licenciait la classe de 1826. Car on en était déjà là !
La Belgique ne continuait pas s'armer ; elle songeait aux économies, à une réduction des forces existantes. Et pourtant elle entendait tenir la dragée haute, non seulement à la Hollande, mais encore à la Confédération Germanique et à son armée de 300.000 hommes, en affirmant ses droits sur le Luxembourg oriental.
Le ministre français des affaires étrangères, le général Sebastiani, écrivit impatiemment ceci le 15 mars : « Si les Belges veulent affronter de telles forces sans en avoir éprouvé aucune attaque ni même aucune provocation, ils en sont bien libres assurément, mais alors ils ne doivent compter que sur eux seuls. »
(page 20) Un correspondant du général Belliard lui mandait le 15 avril 1831 : « Plus que jamais le pays veut la guerre. Guerre à la Confédération, guerre à la Hollande, guerre à qui l'on voudra. Prononcer le mot de paix, ce serait se perdre, comme si l'on parlait pour Nassau. » Il ajoutait ces mots significatifs : « Ce cri de guerre fait vibrer en Europe tous les cœurs que n'a pas empâtés je ne sais quelle doctrine qui devrait bien se contenter de nous avoir valu 15 ans de halte dans la boue. » (Lieutenant-général BELLIARD, Mémoires. Il s’agit en fait d'un recueil de lettres du général Sebastiani, ministre des affaires étrangères de France ; de M. Sol, attaché d’ambassade à Bruxelles et d’informateurs belges. L’extrait cité est signé H. de L.)
Cette confiance s'était exaltée par l'exemple et les premiers succès de la Pologne affrontant la puissante Russie.
L'intention des volontaires et des impulsifs ? Compromettre la France, l'engager malgré elle. Ses hésitations, ses conseils de prudence et de modération exaspéraient le peuple. (Note de bas de page : Cette volonté de modération est sensible surtout à l’égard du Luxembourg, car les revendications belges sont considérées comme « une arme de défi à la Confédération germanique ; ou, pour mieux dire, à une armée de 300.000 hommes. » (Lettre du général Sebastiani au général Belliard, 15 mars 1831).
Il existait un déséquilibre surprenant entre l'intransigeance romantique du pays et l'insuffisance caractérisée des mesures prises en son nom pour y donner un point d'appui solide.
Le 9 avril 1831, un informateur du général comte Belliard évaluait les forces belges à 21.000 fantassins de ligne, 5.000 d'infanterie légère (chasseurs), 2.000 cavaliers et 360 artilleurs.
Le ministre général d'Hane de Steenhuyze déclarait le 25 mai, devant le Parlement, avoir 50.000 hommes prêts à entrer en campagne avec 3.000 chevaux et 60 canons, plus 50.000 gardes civiques mobilisés. Son budget s'élevait 35.721.235 florins. Son successeur, le général de Failly, en demanda 38.400.000. Ce budget fut examiné par une commission qui, le 20 juillet, constata « la possibilité de grandes économies dans le matériel comme dans le personnel, en supposant même l'état de guerre existant. » Le Congrès rejeta les propositions du ministre.
Un arrêté de juin 1831 donna aux corps de troupes des dénominations particulières et pompeuses. L'armée des Flandres (lieutenant-général de Wautier, 54 ans). comptait 3.792 fantassins. L'armée de l'Escaut (lieutenant-général Tieken de Terhove, 54 ans), 17.642 des quatre armes. L'armée de la Meuse (page 21) lieutenant-général Daine, 49 ans) : 13.696 hommes. L'armée du Luxembourg (lieutenant-général Goethals, 49 ans) : 6.674 fantassins et artilleurs. Il faut y ajouter, sur les frontières exposées, les garnisons d'Anvers, de Venlo et de Roermonde.
Les forces de couverture comprenaient une majeure partie d'anciens corps de volontaires avec leurs chefs des premières heures. Restaient au danger ceux qui avaient été dès le début sur la brèche. En haut lieu on les savait indispensables, mais on préférait les tenir à l'écart et on les jugeait avec défaveur. Le Régent lui-même les appréciait dans des termes sévères à l'excès : « Ce sont des gens insoumis, ne voulant reconnaître ni lois ni règlements ni discipline, capables de fatiguer amis et ennemis. »
Au niveau gouvernemental la Révolution s'était déjà embourgeoisée.
Placés sous les ordres d'officiers de carrière ralliés plus ou moins tôt, plus ou moins sincèrement, les chefs des volontaires supportèrent malaisément cette situation nouvelle.
En janvier 1831, devant Maestricht, sur intervention du Gouvernement provisoire, le général Daine ordonna de desserrer le blocus de la place en effectuant un léger repli. Le sieur Bourdeau, commandant les chasseurs Chasteler, y répondit de belle encre : « Général... Nous recevons avec consternation et indignation l'ordre que vous nous donnez de faire à l'instant un mouvement rétrograde sur Roclenge... Nous ne pouvons concevoir un événement aussi extraordinaire... Usant de l'indépendance de notre qualité de volontaires francs, nous avons résolu de nous rendre dans nos foyers... « aine répondit cette diatribe dont nous ne donnons que l'essentiel : « Un inférieur peut recevoir avec consternation un ordre qui ne lui est pas agréable ; un insubordonné seul se permet de dire qu'il l'accepte avec indignation... Je vous autorise, et vous invite même, dès le reçu de la présente, à rentrer dans vos foyers. »
Le général Niellon, rejoignant le 24 mars son quartier-général de Turnhout après une de ses visites politiques où il était en rapports suivis avec l'aile marchante de la Révolution et aussi avec le général Belliard, apprit qu'un ordre du général Nijpels lui enlevait son artillerie pour renforcer la troisième brigade (colonel Delescaille). Il vit dars cette mesure une corrélation avec les complots orangistes qui couvaient, et envoya à son collègue belge ce court billet : « J'ai l'honneur de prévenir M. le (page 22) colonel Delescaille que si mon artillerie n'est pas de retour avec le porteur de la présente, je partirai à 2 heures de l'après-midi pour aller la chercher avec ma brigade. » Elle lui fut restituée sur-le-champ.
Cette indiscipline foncière à tous les échelons de la hiérarchie dans les unités combattantes, inhérente à la composition même des corps et renforcée par le dédain, très perceptible, des volontaires à l'égard des « ralliés » s'accompagnait d'une exaltation qui gagnait une partie de la presse. Elle contribuait à noyer les réalités assez inquiétantes de l'heure sous des fanfaronnades qui nous paraissent maintenant puériles par le fond comme dans la forme. « En avant donc, et vive la guerre. Quoi qu'on en dise il faut en venir là. Les vieilles moustaches sont toutes rajeunies ; les jeunes gaillards, ceux du Parc, en sautent de joie » (Méphistophélès, 16 juin 1831). Ou encore ce défi héroï-comique aux Hollandais : « Oh mauvaises troupes ! Quand donc aurez-vous du cœur au ventre ? Venez si vous l’osez... La première leçon ne leur a pas profité ; les Belges se chargent de leur en donner une seconde. » (Idem, 7 août 1831).
Ainsi, une des très rares fois dans leur histoire, nos aïeux ont mérité la qualification de bellicistes.
Un tel optimisme se retrouve en haut lieu. Le Régent reçoit le capitaine Capiaumont, adjoint de Daine, venu lui exposer la situation devant Maestricht. « Ainsi, Monsieur, votre général croit tout bonnement que l'ennemi oserait nous attaquer ? - Certes, M. le Régent, il le croit. - C'est impossible ; il n'oserait pas » (cité dans L. LECONTE, Les origines de nos Carabiniers).
La plupart des officiers de carrière ralliés au nouveau régime s'installaient dans les postes de commande de l'intérieur, soit à l'administration centrale, soit dans les unités régulières en formation. Même en faisant abstraction des sympathies orangistes de certains d'entre eux, il faut reconnaître qu'ils éprouvaient à priori une méfiance instinctive à l'égard des volontaires, objet des sarcasmes, parfois des calomnies des Hollandais. Pour comble, avant même d'avoir rendu un seul service à la cause belge, ils gagnaient automatiquement un grade. Installés dans des postes importants, ils se montraient peu enclins à (page 23) écouter les doléances des volontaires, à reconnaître officiellement les titres acquis par leurs officiers improvisés. Un officier du corps des volontaires liégeois, blessé à Bruxelles, se plaignait dans une lettre à Charles Rogier, le 23 février 1831, » de la manière dont on traite les volontaires qui, quoi qu'on en dise, ont par leur courage sauvé la Révolution... Tous les jours des malheureux viennent se plaindre qu'ils sont renvoyés du corps sans moyens de subsistance, parce qu'ils murmurent, dit-on. » Et il en accusait cette « masse d'intrigants qui n'ont jamais vu le feu et n'ont d'autre titre pour parvenir aux emplois que l'intrigue et les faveurs » (Dossier Lambinon, n°22, Musée Royal de l’Armée).
De fait, l'avancement de certains officiers de carrière fut vertigineux. Le capitaine du génie Goblet devint général de brigade le 31 janvier 1831 à 40 ans. Le capitaine Edeline, du huitième hussards, général dès le 24 octobre 1830, fut, devant de véhémentes protestations, ramené au grade de lieutenant-colonel ; il se compromettra dans les complots orangistes. D’Hane de Steenhuyze, major depuis le 16 avril 1830, sera général 13 mois plus tard. Par contre, les sous-lieutenants de l'armée régulière, nommés lieutenants, protestaient parce qu'on les plaçait sous les ordres de capitaines issus des volontaires.
C'est sur ce fond de mécontentements, de rancœurs, de jalousies que se profilait l'action orangiste. Cette tendance n'était pas criminelle en soi. Le pays tendait trouver son état d'équilibre ; son gouvernement et son statut politique n'avaient rien de définitif ; la Révolution était toujours mise en discussion par l'étranger. L'orangisme revêtait la forme d'une restauration de l'ordre dans des conditions acceptables pour une partie du pays : haut commerce, industrie, d'importants secteurs de la noblesse et de la bourgeoisie, beaucoup d'officiers de l'ancienne armée. Il possédait de hauts patronages et de puissants moyens financiers généreusement distribués.
A l'impréparation matérielle de l'armée s'ajoutait une absence totale de cohésion morale. Seul le roi Léopold, par sa présence constante, eût été en mesure de réaliser l'union autour de sa personne. Il n'eut que le temps de constater la carence de la préparation belge. On lui présenta une situation générale (page 24) établie le 15 juillet. Les douze régiments de ligne et les trois de chasseurs totalisaient 1.130 officiers et 33.847 troupes ; les formations de volontaires, 303 et 6.454 ; la cavalerie, 177 et 3.262 ; l'artillerie, 129 et 4-578 ; le génie, 32 et 932 ; les troupes des dépôts, 21.289. (Pour une étude plus détaillée, prière de consulter les ouvrages généraux du colonel Rouen et du lieutenant-général baron de Rijckel ; pour la période 1830-1831, les livres de MM. Leconte L. et Leconte J.R. et de M. le professeur Demoulin).
Ce bilan n'avait rien de satisfaisant, et le souverain ne pouvait se douter qu'il était de surcroît faussé par le manque de contrôle. Ces chiffres fournis par des comptables sans expérience ne répondaient en rien à la réalité.
A Anvers, le 31 juillet, on ne put montrer au Roi que 7.300 fantassins, 700 cavaliers et deux batteries. Le 2 août, à Liège, il apprit la dénonciation de l'armistice et le franchissement des frontières par d'importantes formations hollandaises.
Une nouvelle phase de la Révolution s'ouvrait.