(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)
(page 5) La Loi fondamentale du royaume des Pays-Bas avait créé une milice nationale, recrutée par enrôlements volontaires, et complétée en cas de rendement insuffisant par le tirage au sort entre les habitants non mariés âgés de 19 à 23 ans. Son effectif atteignait un pour cent du chiffre de la population avec levée annuelle du cinquième et licenciement dans la même proportion. Un quart environ des disponibilités totales restait sous les armes ; les miliciens, à tour de rôle, effectuaient une année de service effectif coupée de congés de faible durée ; les autres restaient dans leurs foyers, en congé interruptif de longue durée avec un rappel annuel d'un mois. En septembre, les unités se gonflaient par la rentrée des permissionnaires en vue des exercices et manœuvres. Comme tous les déplacements devaient s'effectuer à pied, ces mouvements saisonniers imposaient le recrutement dans les cantons et districts voisins des sièges des garnisons.
A partir de 1818, les dix régiments d'infanterie, ou afdelingen, des provinces mëridionales (sur les 17 du Royaume) furent intégralement belges. En 1829 s'y ajouta une afdeling recrutée et stationnée à Namur. En principe chacune d'elles groupait les miliciens d'une province : la première, à Bruxelles, des Brabançons du Sud : la douzième, à Namur, des Luxembourgeois, etc. Les dépôts s'établirent dans une ville par district.
(page 6) L'unité militaire faisait défaut à cette armée tout comme l'unité nationale au pays. Elle était plutôt une juxtaposition de corps où bien vite se retrouva l'esprit particulariste de nos provinces. Implantés depuis plusieurs années dans la même garnison, les éléments permanents y avaient contracté des liens avec la population civile ; ils étaient accessibles à la propagande d'opposition au régime. Les éléments temporaires, revenant souvent dans leurs familles, n'y échappaient guère plus.
Jusqu'en 1829 la monarchie disposa de moyens plus sûrs : les quatre régiments de Suisses créés en 1814. Sur la demande des chefs catholiques et libéraux, et pour avoir une armée exclusivement nationale, ces unités furent dissoutes et remplacées par une afdeling de grenadiers à 3 bataillons (2.983 hommes) et deux bataillons indépendants de chasseurs (2.256 hommes), à recrutement mixte, destinés à tenir garnison dans les deux résidences royales : La Haye et Bruxelles. Ils constituèrent le Corps d'élite.
Dans la cavalerie existait aussi le mélange de Hollandais et de Belges en proportion à peu près égale, sauf dans trois régiments dont la majorité était belge. Quatre corps étaient stationnés dans nos provinces : cuirassiers n°2 à Liège, hussards n°6 à Mons et n°8 à Gand ; dragons n°4 à Malines.
Les armes techniques : artillerie et génie, étaient fournies de préférence par les Hollandais.
Au total l'armée comptait : 18 afdelingen d'infanterie et le Corps d'élite ; 10 afdelingen de cavalerie dont une à Java ; quatre batteries d'artillerie de campagne, six d'artillerie légère, six d'artillerie de siège ; un corps de pontonniers, deux bataillons de sapeurs-mineurs ; une batterie du train, un escadron de maréchaussée dans chacune des dix provinces méridionales (avec l'actuel Grand-Duché), soit 90.000 hommes dont 25.000 en permanence sous les drapeaux.
Si une forte majorité des troupes stationnées dans nos provinces était belge, le mélange s'affirmait plus prononcé dans les cadres d'officiers. On sait que l'inégalité de la répartition des grades entre Hollandais et Belges fut l'un des griefs majeurs contre le régime.
D'après l'Annuaire de 1830, les proportions étaient les suivantes : 10 généraux belges sur 76 ; 9 officiers d'état-Major sur 43 ; 263 officiers d'infanterie sur 1.454 (3 colonels sur 25) : 93 de (page 7) cavalerie sur 316. Dans les armes techniques la part des Belges se réduisait à l'extrême : 33 officiers d'artillerie sur 360 (avec un seul major), 9 du génie sur 128. Soit au total 417 emplois sur 2.377.
Cette flagrante inégalité peut s'expliquer en partie. Un grand nombre d'officiers, tout au moins ceux des grades supérieurs et les capitaines, avaient servi dans les armées impériales. Une partie seulement des officiers d'origine belge abandonnèrent en 1914 le service de la France pour rejoindre la nouvelle armée des Pays-Bas ; beaucoup restèrent fidèles aux aigles jusqu'après Waterloo ou encore se trouvèrent dispersés aux quatre coins de l'Europe. Le royaume des Pays-Bas ne les reprit, après juin 1815, qu'au compte-gouttes, en fonction des emplois encore disponibles et leur tint rigueur de leur attitude passée. La connaissance obligatoire des deux langues, français et néerlandais, fut aussi pour certains un obstacle infranchissable. Enfin, jusqu'en 1826, il y eut une seule école militaire, à Delft, exclusivement pour les deux armes techniques ou spéciales. On y substitua l'Académie Royale Militaire de Bréda pour toutes les armes, études coûteuses et cours en néerlandais : autre cause du tarissement du recrutement belge. L'infanterie ne comptait que 70 sous-lieutenants du Sud sur 538 ; la cavalerie 23 sur 86, l'artillerie 7 sur 101, le génie 3 sur 28.
En fait, l'armée des Pays-Bas était une milice à effectifs variables, à recrutement régional, où une grosse majorité d'éléments belges était commandée par une forte majorité d'officiers étrangers.
En dehors de cette milice nationale existait une garde communale, la Schutterij, fournie par les citoyens âgés de 25 à 34 ans : cinq années de service actif, cinq dans la réserve. Dans les communes comptant une population agglomérée de 2.500 habitants, les gardes communales étaient actives et comprenaient 2 p. c. de la population. Dans la plupart des villes les gardes, à l'issue de la prise d'armes, devaient déposer leurs fusils dans un local.
(page 8) Les autorités militaires ne pouvaient intervenir que sur réquisition des autorités civiles. Trois des quatre commandants circonscriptionnaires en Belgique étaient hollandais ; par contre plusieurs commandants de provinces étaient belges.
En bref, la faiblesse de l'armée, inhérente à son organisation, fut le facteur immédiat de la dissolution rapide du Royaume.
Après les émeutes bruxelloises des 25 et 26 août, la nécessité d'une force publique se fit vivement sentir. Le gouverneur du Brabant offrit à M. Pletinckx le commandement en second de la garde bourgeoise en formation. Lieutenant aux Indes orientales, rebuté à son retour par le peu de chaleur de l'accueil dans la nouvelle armée, il avait donné sa démission et pris la direction d'un hôtel. Ouvrier de la première heure, il obtint des généraux présents à Bruxelles une neutralité scrupuleuse, la fourniture de 400 fusils et la responsabilité du maintien de l'ordre. Le 27, Pletinckx et son adjoint Fleury-Duray diffusèrent le premier acte officiel : « Les citoyens déjà armés depuis hier et qui ont besoin de repos engageront leurs voisins qui n'ont pas encore fait partie de la garde à prendre leurs armes et faire le service à leur tour. » Les patrouilles bourgeoises, de plus en plus nombreuses, sous un commandement organisé en huit sections, commencèrent à disperser les rassemblements populaires. La nomination du Baron Emmanuel Vanderlinden d'Hooghvorst à la tête de la Garde lui donna une nouvelle impulsion. Il fit confirmer les nominations du 27 ; les officiers supérieurs constituèrent le Conseil de la Garde. Celle-ci assuma la responsabilité totale du maintien de l'ordre public et garantit la sécurité des troupes de Bruxelles.
L'assistance à l'armée, rôle supplétif normal de la Garde, se transforma paradoxalement en une véritable tutelle.
A Liège, dès le 27 août, la Schutterij se constitua rapidement avec mission de soutenir l'armée, mais en fait, comme dans la capitale du Sud, l'autorité militaire « passa la main » et céda tous les postes à la force auxiliaire, en ramenant ses troupes à l'intérieur de la citadelle.
Dans les autres provinces, l'armée assuma le maintien de l'ordre avec la coopération contrôlée de la Schutterij, sauf à Dinant où cette dernière fut maîtresse de la situation.
Après le départ des troupes régulières de Bruxelles et leur retrait de la région de Vilvorde, la journée du 8 septembre vit l'affermissement du régime de la garde bourgeoise, seul pouvoir (page 9) local. Le service de place fut régularisé avec 864 hommes inscrits sur les contrôles et répartis entre les points sensibles.
Mais quelques éléments dynamiques ne pouvaient se satisfaire de l'attente passive des événements. Réunis chez Pletinckx, rue de la Violette, les Gendebien, Ducpétiaux, Van Campenhout, Lamarche, Stildorf, Vander Smissen, Mellinet, Niellon, Van de Weyer, Kessels, Chazal, Jenneval, Lafeuillade, constituèrent la Réunion Centrale et développèrent une action tendant à corriger le caractère trop conservateur à leur gré de la garde bourgeoise.
Après le 15 des bandes armées se formèrent qui parcoururent les environs de Bruxelles. Le 20, plusieurs postes furent désarmés par la foule, et tout vestige d'autorité disparut. Au moment même où l'armée du Prince Frédéric s'approchait de la ville, il n'y eut plus ni garde organisée, ni comité, ni chefs politiques. Dans le Bruxelles enfiévré de ces journées critiques, quelques hardis aventuriers se découvrirent une étoffe de chef et décidèrent de jouer le tout pour le tout, Des corps francs s'organisèrent sous Ie signe de I 'esprit de clocher ou de corporation. Depuis quelques jours déjà, le Français Niellon formait le noyau d'une compagnie de volontaires bruxellois ; les corps de Borremans et de Grégoire comptaient chacun 200 hommes. On pratiqua le racolage ; les anciens militaires gradés firent prime. Une partie de la bourgeoisie reforma quelques unités de la Garde. Tous ces efforts étaient décousus. » Tout s'improvise à la minute, par petits pelotons, ayant pour chefs militaires un avocat, un boucher, un menuisier, un ouvrier de la Monnaie, un maréchal-ferrant » (cité par DE BAVAY, Histoire de la Révolution de 1830, p. 161). Une seule unité présentait quelque homogénéité : la compagnie liégeoise de Charles Rogier.
Le 22 septembre, plusieurs chefs compromis abandonnèrent Bruxelles : Vander Meeren, qui venait d’être élu chef de la défense, Rogier, Chazal, Niellon. Le Baron d'Hooghvorst et Pletinckx restèrent leurs postes. Au cours de la nuit angoissante du 22 au 23, la ville ne fut gardée que par quelques dizaines d'hommes, sans pouvoir organisé, sans direction, sans aucun plan.
Mais lorsque l'attaque se révéla certaine, l'apathie qui pesait sur Bruxelles comme avant un orage fit place la surexcitation (page 10) patriotique. Dans les premières heures les éléments populaires et bourgeois s'agglomérèrent au gré des sympathies. On vit accourir un maréchal-ferrant d'Uccle avec des paysans, un maître-menuisier avec ses quatre ouvriers, un boucher à la tête d'une petite corporation, un avocat ayant réuni à ses frais des hommes armés.
La première force belge s'organisa derrière les barricades, sans discipline, sans expérience, sans chefs militaires. Des renforts allaient accourir de la province : volontaires de Gosselies conduits par un instituteur et un vétérinaire, de Hal, de Genappe, de Binche, de Waterloo, de Charleroi. L'union nationale se créait à Bruxelles. Si le Brabant wallon d'abord, puis le Hainaut et le Namurois, moins contrôlés, purent envoyer leurs combattants et les faire entrer dans la capitale par les portes laissées libres, les régions flamandes, occupées par les forces hollandaises et pratiquement coupées de Bruxelles, y furent néanmoins représentées par des volontaires d'Alost, de Grammont, de Ninove. de Renaix, de Lierre, sans oublier les Louvanistes des premières heures. Au total, 80 communes eurent des combattants à Bruxelles (chacune d’elles reçut par la suite un drapeau commémoratif).
Après les journées des 24, 25 et 26 septembre, une tentative d'organisation des volontaires se fit jour dans la formation de « colonnes mobiles. » Niellon, par exemple, reçut pour instructions de Van Haelen, dans un pur style romantique : « Je veux que votre colonne soit belle, forte et contente... Attaquez la nuit, ferme ; effrayez-les par les fortes décharges sur de petits postes ennemis. La confusion de la nuit est tout ce dont l'armée belge a besoin pour protéger sa désertion... Attaquez ferme vers une heure après minuit, lorsque la bière plonge le Hollandais dans son sommeil... Je veux que vous soyez le seul gardien extérieur de Bruxelles... »
La victoire des insurgés eut de profondes répercussions en province, et partout la décomposition de l'autorité gouvernementale commença par la troupe. A Namur, le Conseil de défense alarmé fit libérer le 1er octobre et conduire hors de la ville plus d'un millier de soldats wallons ; le lendemain, 1.300 miliciens flamands réclamèrent et obtinrent la même mesure. A Philippeville, les troupes refusèrent de tirer sur les mutins ; les officiers (page 11) furent débordés par leurs hommes et faits prisonniers. A Neufchâteau, la population désarma un bataillon de passage ; à Bouillon, la garnison se disloqua le 2 octobre. A Charleroi, près de 800 hommes furent bloqués dans la ville haute jusqu'au 5 octobre ; certains officiers refusèrent de reconnaître le nouveau régime et furent traités en prisonniers de guerre alors que la fraction hollandaise (300 hommes) était reconduite aux avant-postes. A Mons, dès le 28 septembre, la troisième afdeling se rallia à la révolution et arrêta les officiers hollandais. Il en fut de même à Ath où la troupe et ses cadres prirent, le 27 déjà, fait et cause pour le nouvel état de choses. A Ypres, Menin, Nieuport, les soldats refusèrent toute obéissance. Les unités de Bruges rallièrent Ostende où finalement les contingents belges se dissocièrent le 29, sauf les officiers, qui s'embarquèrent pour Flessingue. A Gand, la garnison, bloquée dans la citadelle, se réduisit par les désertions : le 19 octobre, les troupes hollandaises purent se retirer avec les honneurs de la guerre. Même conclusion à Termonde le 21 octobre.
Mais la masse des miliciens libérés ici et là n'eurent rien de plus pressé que de rejoindre tranquillement leurs foyers.
En fait, au milieu d'octobre, les seules forces armées de la Belgique étaient les divers corps francs nés sporadiquement à la commande des événements locaux et dont le Gouvernement provisoire avait reconnu l'existence, le 29 septembre, en autorisant leur organisation. Les volontaires ne contractaient qu'un engagement verbal. Lorsque Niellon, fin octobre, voulut leur faire signer un contrat pour la durée de la guerre, ils le menacèrent d'un départ massif. Ces corps élisaient leurs officiers. Lorsque tel chef avait réuni sous ses ordres le nombre de volontaires nécessaire pour obtenir le grade de capitaine, le gouvernement lui octroyait le brevet ; le lendemain, un de ses lieutenants en débauchait quelques-uns, en recrutait d'autres et décrochait à son tour Ie grade convoité. La fluctuation des effectifs et l'indiscipline caractérisèrent cette période anarchique.
En octobre, le colonel Nijpels, chargé de la tâche ingrate de réorganiser les corps francs, en forma trois brigades : la première, sous les ordres de Niellon, ancien sous-officier français promu général ; la deuxième, commandée par le colonel Delescaille ; la troisième par le Français Mellinet, ancien officier d'état-major de l'Empire.
Ces corps francs possédaient la conviction fondée d'être les seuls artisans du succès contre l'armée hollandaise, donc les seuls (page 12) bénéficiaires légitimes de la nouvelle situation. Les événements du moment leur permettaient de croire à un monopole de fait. Les transfuges et déserteurs des premiers jours avaient pris place dans les unités de volontaires. Deux cents hommes de la garnison d'Ath avaient rallié Bruxelles avec 10 sous-officiers, presque tous promus sur-le-champ officiers. (Note de bas de page : Le 29 septembre, tous les sous-officiers en activité qui se sont présentés jusqu’ici au Gouvernement provisoire ont été créés officiers. Les officiers ont obtenu le grade supérieur (Le Courrier des Pays-Bas, 1er octobre 1830).
Il fallait maintenant ramener sous les nouveaux drapeaux les miliciens débandés. Le commandant de la place de Mons (colonel Buzen) invita tous les sous-officiers et soldats belges de l'ex-troisième afdeling et de l'ex-deuxième batterie d'artillerie de campagne à se présenter « pour être incorporés tout de suite dans leurs armes et grades avec l'avancement que peuvent leur assurer leurs services antérieurs. » (Le Courrier des Pays-Bas, 3 octobre 1830)). A Namur, le gouverneur (Baron de Stassart) annonçait : « Chers concitoyens, un régiment de lanciers s'organise à Namur... Venez vous ranger sous les couleurs nationales... Vous trouverez parmi vos chefs des braves de Wagram et de la Moskowa. » Le Gouvernement provisoire promettait : « Le temps est revenu où chacun de vous pourra prétendre aux grades les plus élevés. » Pour donner plus d'attrait de telles invites, il abolit le 9 octobre la peine de la bastonnade. Pendant que les corps francs prenaient position aux frontières et que l'on tentait péniblement de mettre sur pied une armée régulière, il fallait aussi garantir l'ordre intérieur. Le Gouvernement provisoire hâta l'organisation des gardes bourgeoises.
La question des officiers se posa avec acuité, Les prodromes de la Révolution n'avaient pas eu un tel accent d'impérieuse nécessité que les officiers belges de carrière y pussent voir un événement prévisible et inéluctable abolissant en droit le serment prêté au Roi des Pays-Bas. Au moment des troubles de septembre, ils réagirent, suivant les garnisons, de façon toute différente. En Wallonie, la plupart des unités se disloquèrent spontanément, plusieurs officiers se rallièrent d'emblée, acceptant que le Gouvernement provisoire les déliât de leur serment et bénéficiant d'une promotion immédiate au grade supérieur. A (page 13) Namur, après des pourparlers, le lieutenant-général hollandais Van Geen quitta la ville avec 250 hommes (sur 3,000) et 66 officiers, belges en majorité. Les cadres des unités de Bruxelles avaient accompagné leurs troupes vers le Nord après les émeutes d'août. La situation apparaissait peu claire dans les garnisons de la région flamande, où dominait le sentiment orangiste. Il y eut beaucoup de débats de conscience. Les officiers belges des troisième et neuvième cuirassiers et du neuvième du dragons supplièrent le Prince Frédéric de ne pas les placer dans la position fâcheuse de devoir employer leurs armes contre leurs concitoyens, peut-être leurs parents.
Prenons deux cas assez typiques.
Le capitaine Scheltens, après avoir été un « vieux grognard » de la Garde impériale. était entré en janvier 1815 (il avait 25 ans) dans I 'armée des Pays-Bas comme sous-lieutenant. En 1830, capitaine à la Garde royale, il fut chargé par le Roi de porter une dépêche au Prince Frédéric. Arrivé à Anvers, fin septembre, il constate que les officiers belges refusent de se battre ; il y a de la fermentation dans toutes les unités. Plus tard, chargé de conduire de La Haye à Anvers un groupe de 5 officiers et 234 chasseurs belges, il ne songe pas encore à rallier le camp national. Après que tous les soldats du détachement ont été autorisés le faire, les officiers ne se prononcent pas encore. Le jour même du bombardement d'Anvers, l'autorité hollandaise les met devant un choix : un nouveau serment, la non-activité ou la démission. Alors seulement ils se décident pour ce dernier terme, mais se confinent dans leur hôtel pendant que les volontaires font irruption dans la ville, Le 29 octobre seulement ils franchissent les lignes ; le 5 décembre notre Scheltens est désigné pour un bataillon de tirailleurs à Bruges (SCHELTENS, Souvenirs d’un Groganrd belge. Son opinion sur les premiers partisans de Niellon, qu’il vit en action à Anvers, est significative ; « Jamais vu un tel ramassis »).
Plus significatif encore d'un certain état d'âme est le cas d'un officier dont le nom est lié aux annales de l'armée naissante : Capiaumont. Blessé dans les rangs hollandais à Bruxelles (au mois d'août), il écrira en 1865, devenu général belge : « Ma conduite en 1830 est connue, et la révolte n'a pas gagné un pouce de terrain là où je me trouvais. Mais aussi je fus le seul qui a fait tirer sur les factieux plutôt que de laisser insulter ma cocarde » §Lettre autographe au roi des Pays-Bas. Musée Royal de l’Armée. Correspondance du général Capiaumont).
(page 14) Ramené à Anvers, il sauve la caisse de l'armée « au milieu d'une populace égarée qui ne demande pas mieux que de mettre en lambeaux celui qui avait fait tirer sur le peuple ameuté. » Il accable de reproches tel officier qui n'avait pas, « comme ses camarades de l'armée hollandaise, donné sa démission AVANT de se ranger sous le drapeau belge. » (Note de bas de page : Capiaumont, démissionnaire aux Pays-Bas, transféré à Bruxelles, ne prit du service que sur les instances du général Daine le réclamant comme capitaine aide-de-camp. Il le rejoignit en décembre 1830. Fin de la note). Cet état d'esprit achève de se préciser dans une requête introduite en décembre 1863, date de sa mise à la retraite, par Capiaumont pour obtenir une majoration de sa pension belge au titre « d'une blessure grave reçue le 23 septembre 1830 à Bruxelles dans les rangs de l'armée des Pays-Bas. » Cela lui vaudra du reste une réponse acerbe du ministre de la Guerre.
Il fallut, pour résoudre les problèmes de conscience, que le Prince d'Orange, dans une ultime tentative pour sauver l'essentiel, déliât en octobre 1830 les officiers belges de leur serment au roi des Pays-Bas. Quelques-uns resteront définitivement au service hollandais.
Chez la plupart des ralliés la cause belge on ne constate aucun enthousiasme, aucune conviction sincère. Beaucoup estimaient indispensables des réformes, mais dans la légalité. Ils virent dans la Révolution une catastrophe. Certains même ne se décidèrent entrer dans la jeune armée que pour y travailler au retour du Prince d'Orange (Comte F. du Chastel, ancien officier d’ordonnance du prince Frédéric, dans ses Mémoires).
Ces officiers jugeaient avec sévérité ou ironie les hommes des premiers jours, tous Français, qui « paient l'hospitalité par la trahison, la félonie et l'ingratitude », les Mellinet, Niellon, Grégoire, Chazal, Rogier et d'autres. Or, dans l'armée en proie à une pénible gestation, ceux-ci allaient souvent être leurs chefs. L'amalgame s'annonçait difficile.