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La lutte scolaire en Belgique
VERHAEGEN Pierre - 1905

Pierre VERHAEGEN, La lutte scolaire en Belgique

(Paru à Gand en 1905, chez A. Siffer)

Préface de la première édition

(page 5) L'abrogation de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire est la faute politique la plus grave qui ait été commise en Belgique, depuis 1830.

Léopold Ier avait signé cette loi « avec bonheur » ; il la considérait comme une des meilleures œuvres de son règne. Cette transaction répondait, d'ailleurs, à la trempe de son caractère et à son souci persévérant de tempérer par un large esprit de conciliation l'ardeur de nos luttes publiques.

La loi de 1842 était, à vrai dire, une espèce de concordat scolaire. Nos deux grands partis, sous l'influence à peine attiédie de l'union de 1830, s'y faisaient des concessions réciproques et en retiraient des avantages qui paraissaient se compenser. Centralisateur par tradition et par instinct, le libéralisme se réjouissait de tenir sous la coupe de l'Etat l'enseignement populaire ; de leur côté, les catholiques se flattaient de s'épargner de lourdes charges et d'avoir obtenu, en (page 6) faveur de l'éducation religieuse, des garanties qu'ils estimaient sérieuses et durables.

Ce n'est pas cependant que cette législation transactionnelle fût exempte de défectuosités et n'inspirât à certains égards de graves défiances. Un évêque flamand, Mgr Delebecque, avait, avec une admirable clairvoyance, pressenti le parti que le libéralisme entendait tirer du confiant abandon des catholiques et il avait prédit la tactique sournoise qui devait se déployer plus tard. « Nous allons participer, disait-il, à la contruction d'un édifice qui, dans quelques années, se dressera contre nous. Lorsque le réseau de l'enseignement primaire officiel couvrira la Belgique, lorsqu'il y aura partout des bâtiments scolaires bien installés et un corps enseignant fortement organisé, alors ceux qui nous tendent aujourd'hui la main se retourneront contre l'enseignement de la religion et ne s'accorderont ni trêve ni repos avant que le prêtre ne soit banni de l'école. »

Ces prophétiques paroles du grand évêque de Gand, qui ne devaient, hélas ! que trop bien se réaliser, ne prévalurent point contre le courant unioniste qui régnait, ni contre l'évidente nécessité de pourvoir immédiatement et d'une manière efficace à l'enseignement du peuple.

La loi de 1842 répondit, d'ailleurs, par d'heureux (page 7) débuts aux espérances de ses auteurs. Elle fonctionnait la satisfaction réciproque de l'autorité religieuse et de l'autorité civile. Mais la franc-maçonnerie veillait ! Elle ne pouvait supporter de voir régner la paix entre deux pouvoirs entre lesquels son but est de perpétuer la guerre jusqu'à la ruine complète de l'Eglise catholique. L'abrogation de la législation de 1842 fut donc décidée dans les Loges, et celles-ci se mirent bientôt à préparer l'exécution de ce mot d'ordre en décriant la loi, en faussant son application, en suscitant partout des difficultés et des conflits, en accélérant, par des pétitions et des motions parlementaires préparatoires, l'heure de la solution radicale et décisive

En 1879, à la suite du triomphe électoral qu'il avait remporté l'année précédente, le libéralisme se crut en mesure de consommer son œuvre et de commettre le mauvais coup qu'il méditait depuis longtemps.

Telle fut l'origine de la « loi de combat » qui devait abroger la loi concordataire de 1842.

Le but, plus ou moins dissimulé, mais certain et avéré, de cette législation nouvelle, marquée du sceau maçonnique, était de déchristianiser la Belgique et de paralyser administrativement l'enseignement primaire libre, en organisant le monopole de fait en attendant qu'on pût proclamer le monopole de droit. Il s'agissait, (page 8) de l'aveu de M. Laurent, « d'arracher des âmes à l'Eglise, » et, comme le déclarait en Loge le F. Van Humbeeck, le ministre qui devait attacher son nom au futur projet de loi, de « rouler dans la fosse le cadavre du catholicisme. »

Les auteurs de cette trame criminelle ne s'étaient pas assez souvenu que tous ceux qui ont voulu en Belgique porter atteinte soit à la foi, soit aux franchises du pays, ont eu lieu de s'en repentir. Ils ne prévoyaient pas qu'en marchant sur les brisées de Joseph II et du roi Guillaume, ils blessaient le cœur de la nation et déchaînaient du même coup une résistance qui, pour être correcte et légale, n'en serait pas moins opiniâtre et finalement victorieuse.

Ni les évêques, gardiens vigilants de la foi, ni les citoyens catholiques, défenseurs intrépides de la liberté, ne se laissèrent surprendre par l'agression maçonnique de 1879. Depuis longtemps, ils en avaient pénétré le but et suivi les préparatifs, et ils s'étaient mis en mesure de parer l'agression de la franc-maçonnerie. L'épiscopat belge, et à sa tête le vénérable primat de Belgique, feu Son Eminence le cardinal Dechamps, fut, l'histoire lui doit ce témoignage, - le principal organisateur de la défense et de la victoire. Il fut admirablement secondé par un clergé zélé souvent (page 9) jusqu'à l'héroïsme, et par le courage civique et chrétien des fidèles, étroitement unis à leurs pasteurs. Jamais on ne vit s'affirmer avec un pareil éclat et une telle puissance cette devise catholique en même temps que belge : « l'union fait la force. »

Le livre de M. Pierre Verhaegen, que j'ai l'honneur de présenter au public, contient le récit fidèle et vivant de la lutte scolaire, suscitée par la « loi de malheur » de 1879. C'est un tableau complet et impressionnant de cette période, tout à la fois douloureuse et glorieuse, de notre histoire nationale contemporaine. On y suit le mouvement catholique dans son origine, dans son organisation, dans son développement, dans sa diffusion à travers le pays, dans les batailles rangées et dans les escarmouches locales, et finalement dans ce splendide triomphe qui gardera dans nos annales le nom indélébile de « soulagement universel. »

Comme la « guerre des Paysans, » comme la Révolution de 1830, la guerre scolaire de 1879-1884 a trouvé son historien. Cet historien a décrit impartialement cette lutte mémorable, mais son impartialité ne se confond pas avec la neutralité. Un juge impartial condamne ou absout, mais il ne s'abstient pas de conclure. Il est de la dignité de la justice, - et l'histoire est une justicière, - que ses jugements soient précis et (page 10) motivés. A travers tout le récit de M. Verhaegen s'affirme une conviction, volontairement contenue, mais qui ne s'en communique pas moins au lecteur et finit par complètement s'en emparer.

Je ne connais guère, eu égard à l'esprit de notre pays, d'œuvre historique plus pénétrée d'actualité, et par là même mieux faite pour intéresser le public. La question scolaire demeure toujours inscrite à l'ordre du jour de l'opinion, et rien n'est plus propre à nous préparer aux luttes de demain que l'étude attentive des luttes d'hier.

Nos adversaires, tout d'abord, qui n'ont guère profité des leçons de la défaite, ni jamais perdu l'espoir de la revanche, trouveront dans l'ouvrage de M. Verhaegen de nombreux et salutaires avertissements. Sans doute l'auteur n'est pas de leur bord, mais ils ont tout à gagner à s'instruire à son école, pour ne point renouveler des fautes dont la longue expiation n'est pas encore terminée.

Les catholiques, de leur côté, - je parle de ceux-là surtout qui ont été mêlés à la lutte scolaire ou qui l'ont suivie de près, - éprouveront un charme particulier à renouveler, dans l'attrayante lecture de cette histoire, la fraicheur et la précision de leurs souvenirs et rallumer la flamme des enthousiasmes d'antan.

(page 11) Nos amis parlementaires, nos journalistes, les membres du clergé, tous ceux qui s'occupent d'œuvres sociales et religieuses y trouveront de précieux enseignements et un arsenal amplement fourni. N'est-ce pas l'histoire du passé qui nous donne l'intelligence du présent, en même temps qu'elle projette de lumineux rayons sur les éventualités de l'avenir ?...

A ce dernier point de vue, c'est surtout à notre jeunesse chrétienne, arrivée au seuil de la vie publique et animée d'un zèle généreusement militant, que s'adresse l'ouvrage de M. Verhaegen. Et c'est bien le cas de redire ici la parole de nos Livres-Saints : Scribantur hac in generatione altera. Ces pages sont écrites pour la génération appelée à prendre notre place, à défendre et à étendre l'œuvre de ses devanciers. La jeunesse est l'âge des initiatives enthousiastes, mais elle est aussi sujette aux entraînements irréfléchis. L'histoire lui apprendra l'art, important mais délicat, de mesurer son élan et de l'adapter à la réalisation d'un but pratique et durable.

Il ne suffit pas de prendre d'assaut une position et de s'écrier : j'y suis ; il faut pouvoir dire aussi : j'y reste. La narration des victoires inachevées est souvent plus triste à lire que celle des défaites courageusement subies et tempérées par l'espoir du relèvement et de la revanche.

(page 12) Pourquoi n'ajouterais-je pas que la conclusion générale qui se dégage pour les catholiques du tableau de la lutte scolaire de 1879-1884, c'est la nécessité d'une étroite union sur le terrain des vérités et des intérêts supérieurs qui constituent leur commun patrimoine ? Sur ce plateau qui domine toutes les questions secondaires, ils occupent une position véritablement imprenable, et c’est là qu'ils doivent se rallier s’ils veulent victorieusement résister aux retours offensifs de l'ennemi.

L'enseignement religieux et libre demeure toujours le point de mire privilégié des attaques du libéralisme. C'est donc aussi de ce côté que doit se concentrer le principal effort de la défense. Les catholiques belges, forts de leur union avec l'épiscopat, l'avaient admirablement compris, dès les débuts de la guerre scolaire, il y a vingt-six ans. Puisse la nouvelle génération se souvenir de ce glorieux exemple ! Puissions-nous tous être profondément convaincus que la défense religieuse, politique et sociale est, en Belgique, plus que jamais, indissolublement liée à la conservation intégrale et à l'exercice fécond de la liberté d'enseignement !

Guillaume VERSPEYEN.

Gand, 22 mars 1905.