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Du gouvernement représentatif en Belgique (1830-1848)
VANDENPEEREBOOM Ernest - 1856

Ernest VANDENPEEREBOOM, Du gouvernement représentatif en Belgique (tome premier)

(Paru à Bruxelles, en 1856, chez Libraire polytechnique d’Augistre Decq)

Deuxième session (1832-1833) (gouvernement Lebeau)

1. La constitution du nouveau ministère

(page 135) Le cabinet du 24 juillet 1831 , nous l'avons vu, manquait d'homogénéité, et, en outre, lié qu'il était par les engagements que la Chambre l'avait forcé de prendre, il hésitait sur la marche à suivre pour la direction ultérieure des négociations. Et cependant, il devenait urgent d'aller en avant ; les événements pouvaient nous déborder. Le 17 septembre 1832, M. Goblet, qui avait déployé, dans une mission auprès de la Conférence, beaucoup de tact et d'énergie (THONISSEN, La Belgique, etc., t. 2, p. 135-158) 1, accepte, ad (page 136) interim, le portefeuille des Affaires étrangères, qui lui est offert par le Roi. L'arrêté qui le nomme est contresigné par M. le comte Félix de Mérode, Ministre d'État et non pas par un des ministres restants. Ceux-ci ne goûtant pas cette combinaison, ou ignorant l'ébranlement de leur pouvoir, on eut recours au dévouement sans bornes du noble Ministre d'État. Il n'hésita pas à accepter la responsabilité; il signa, au risque de déplaire à ses amis. Ici, déjà, la situation était dominée par la question de nos relations avec les grandes puissances, à laquelle le Roi ne cessait de donner des soins actifs et intelligents.

Nous citons cet incident, d'abord comme une exception à la marche ordinaire des crises ministérielles, où l'un des ministres titulaires sortants signe la nomination de l'un de ses successeurs ; mais plus encore, comme une preuve du noble caractère de l'ancien membre du Gouvernement provisoire. Pour qui l'a observé et suivi depuis les débuts de notre révolution, M. le comte Félix de Mérode n'est pas un homme ordinaire. On se souvient trop de certaines boutades, inspirées par une originalité spirituelle et par une loyale franchise ; mais on oublie trop aussi un dévouement, toujours au service du Roi et de la patrie, dans les circonstances les plus difficiles.

L'ancien ministère était dissous par suite du remplacement de son chef, M. de Muelenaere. Pour les nouveaux ministres, la difficulté n'était pas de faire le siège du pouvoir, car, cette fois, la place était évacuée et les portes ouvertes ; le vide s'était opéré en dehors de l'action du Parlement. Mais les circonstances étaient d'une gravité extrême. M. Goblet, entré en fondions le 18 septembre, mit tout un mois à se trouver des collègues. Dans l'intervalle, il n'avait pas négligé les questions diplomatiques. Le 20 octobre 1832, le deuxième ministère du roi fut formé; il se composait de la manière suivante : Justice, M. Lebeau; Intérieur, M. Rogier; Affaires étrangères, (page 137) M. Goblet, ad interim, remplacé le 27 décembre 1833 par M. le comte Félix de Mérode ad interim; Guerre, M. le baron Évain; Finances, M. A. Duvivier, ad interim (Voir « Moniteur » de 1832, n°296, du 24 octobre, Circulaire du ministre de l'intérieur aux gouverneurs de province , indiquant les vues et la marche du cabinet).

2. Première crise : le vote de l’adresse en réponse au discours du trône et la situation internationale

Les Chambres se réunirent, à l'époque légale, le 13 novembre 1832. La nomination de plusieurs membres à des fonctions de l'ordre judiciaire et quelques démissions avaient rendu nécessaire un assez grand nombre d'élections. Dès la vérification des pouvoirs, deux questions se présentèrent. Les membres seulement confirmés dans leurs fonctions judiciaires, les ministres seulement intérimaires sont-ils sujets à réélection? La première question fut résolue négativement, la seconde affirmativement. M. Duvivier, Ministre des Finances, déclara qu'il se soumettait à une élection nouvelle : quant à M. Goblet, on alla au vote : 47 voix contre 22 décidèrent qu'il devait recevoir un nouveau mandat. Par cette résolution , la Chambre se montra conséquente avec le vote émis à l'égard de M. de Theux. Nous avons dit alors ce que nous pensions de cette question (Voir t. I, livre II, p. 113). Ces deux décisions n'ont pu fixer la jurisprudence de la Chambre, en cette matière : nous le verrons bientôt.

Le discours du Trône faisait part du mariage du Roi, événement heureux pour la nation (Note de bas de page : Le mariage du Roi avait eu lieu le 9 août 1832, au château de Compiègne. Louise-Marie-Thérèse-Caroline-Isabelle d'Orléans, fille aînée du Roi Louis-Philippe , était née à Palerme, le 3 avril 1812, pendant l'exil de son père. Tristes destinées ! Ce grand Roi, chassé par une émeute, fuit une seconde fois, vers la terre étrangère. Et, peu de temps après, notre bonne Reine, à la fleur de l'âge, meurt, à Ostende, elle-même exilée de sa capitale par la maladie et la souffrance ! Voir, pour les détails du mariage , THONISSEN , « La Belgique », t. II, pp. 94-100) : il annonçait l'entrée prochaine d'une armée française venant assiéger la citadelle (page 138) d'Anvers, intervention nécessaire, mais d'autant plus pénible qu'elle se renouvelait pour la seconde fois (Note de bas de page : Cette intervention avait lieu en vertu du traité du 15 novembre 1831 et par suite de la convention entre la France et la Grande-Bretagne du 22 octobre 1832). Un très-long rapport de M. le Ministre des Affaires étrangères expliquait par quelles voies diplomatiques on en était arrivé à ce résultat. Aussi bien dans l'enceinte du Sénat que dans celle de la Chambre, la discussion de l'adresse fut, à cause de notre position politique à l'extérieur, empreinte d'une aigreur et d'une vivacité sans exemple. Les opposants appliquaient aux mesures prises par le Gouvernement le mots de déshonneur, lâcheté, perfidie, assassinat politique, trahison. M. de Haerne disait : « Le ministère est à genoux devant la Conférence!... » M. Jaminé, s'adressant aux membres du cabinet, s'écriait : « Régnez, régnez; encore quelques jours, les imprécations commenceront, et puis dormez tranquilles si vous le pouvez... (Bravos et applaudissements.) » Les tribunes frémissaient et applaudissaient à ces exagérations de langage et une grande partie de la presse leur donnait ses encouragements. Jugée à la lumière du temps et des événements, cette opposition ne peut s'appeler qu'injuste et violente. Après huit jours de débats, M. Dumont présenta un amendement renfermant cette phrase : « Au milieu des circonstances qui nous pressent et dans l'état incomplet des négociations qui nous sont communiquées, la Chambre des Représentants croit, dans l'intérêt de l'État, devoir s'abstenir de se prononcer sur la marche suivie par le ministère. » Cet amendement est adopté par 44 voix contre 42. Comme on devait s'y attendre, tous les ministres, à l'exception de M. Duvivier et du général Évain qui n'étaient que des ministres administrateurs, donnèrent leur démission le 26 novembre 1832. La présentation de l'adresse, qui malgré cet (page 139) amendement n'avait été admise que par 44 voix contre 38 ( »Moniteur de 1832, n°324-332. Voy., sur ces débats, THONISSEN. « La Belgique, etc. », t. II, pp. 191-204), dut être différée de quelques jours; le chef de l'État se trouvant constitutionnellement dans l'impossibilité d'y répondre. La discussion du budget des voies et moyens n'en continua pas moins et, à la séance du 17 décembre , les ministres démissionnaires allèrent se rasseoir à leur banc; le Roi ne les avait pas déchargés de leurs portefeuilles (Note de bas de page : « M. Nothomb se rendait à Bruges. Le Roi avait autorisé M. de Muelenaere à former un cabinet, soit en conservant l'ancien ministère en tout ou en partie, soit en s'adjoignant des hommes nouveaux. M. Nothomb est revenu hier, et cette nouvelle tentative a échoué comme les précédentes. » (Journal l'« Indépendant », du 15 décembre 1832.) Voir, « Moniteur » de 1832, n°349, la note officielle qui annonce que « les Ministres de la Justice, de l'Intérieur et des Affaires Étrangères sont continués dans leurs fonctions.»). Ces orageux débats, que le bombardement de la citadelle d'Anvers n'avait pu conjurer, présageaient au ministère une existence très agitée. En effet, sur chaque question, se manifesta une opposition, qui n'invoquait pas les principes sur lesquel devaient s'appuyer bientôt nos deux grands partis politiques, mais qui, se recrutant de quelques rancunes et ambitions personnelles, était surtout composée de nombreux membres, ennemis acharnés de l'intervention de la diplomatie étrangère dans le règlements de nos différends avec la Hollande. Cette opposition avait l'ardeur aventureuse que donne l'inexpérience, et elle se laissait aller, dans ses vives attaques, à une rudesse d'expressions, qui ne serait plus tolérée aujourd'hui.

Usant de son droit d'initiative, M. Gendebien présenta un projet de loi, ayant ce double but : Voter, au nom du peuple belge, des remercîments à l'armée française; faire disparaître le Lion de Waterloo. Quel accueil allait faire à cette proposition l'opposition qui repoussait, naguère, avec tant d'indignation, l'intervention française? La première partie fut (page 140) admise, à l'unanimité des voix par la Chambre et à l'unanimité moins une voix par le Sénat : la seconde partie fut rejetée. C'étaient là de sages résolutions. L'armée française avait bien mérité du pays : en se montrant reconnaissantes, les Chambres faisaient acte de convenance et de justice. Mais fallait-il détruire un monument, qui rappelait la terrible défaite de nos puissants alliés? Non sans doute, car ce signe matériel enlevé, le souvenir de ce cruel revers des armes ne s'effaçait ni dans l'histoire, ni dans la tradition. Qui donc a oublié la bataille des Eperons? Et cependant, les Français ont arraché des voûtes de l'église de Courtrai les éperons d'or, monument de la sanglante déroute de la chevalerie française, sous les coups victorieux des nobles et des bourgeois, nos glorieux ancêtres. Lors de l'occupation de Paris par les armes alliées, on allait renverser la statue et peut-être la colonne même de la place Vendôme, ainsi que le pont d'Iéna, sans l'intervention de l'empereur de Russie, Alexandre. Ce monarque intelligent comprenait que de tels actes de vandalisme n'opèrent ni la réhabilitation de ceux qui veulent se venger, ni l'anéantissement des faits accomplis. Cette loi du 31 décembre 1832 fut complétée par celle du 10 février 1833, décernant au nom du peuple belge une épée d'honneur au maréchal comte Gérard, général en chef de l'armée du Nord.

3. La proposition Jacques en matière d’organisation provinciale

Il faut placer ici, comme souvenir parlementaire, une proposition de M. Jacques ayant pour but de diviser le royaume, non pas en neuf provinces comme l'indique l'article premier de la Constitution, mais en vingt-neuf subdivisions. provinciales, nombre égal à celui des arrondissements judiciaires. Il y aurait eu des commissaires du Roi au lieu de gouverneurs (M. Jacques était commissaire de district); trois députés provinciaux, au lieu de six; des intendants des finances; vingt-neuf petits conseils provinciaux de quinze à vingt membres... L'honorable membre disait, dans ses développements, qu'il avait eu en vue la réalisation de notables économies, une grande (page 141) simplification administrative : il espérait même que ces nouveaux centres administratifs seraient comme des écoles normales pour former des candidats ministres... La Chambre se montra peu touchée de tous ces avantages ; elle avait, d'ailleurs, déjà abordé, en sections, l'examen du projet de loi provinciale, toute différente de la proposition introduite par voie d'initiative. Après un débat peu approfondi, on prit la

résolution suivante : « La Chambre n'ordonne pas l'impression du développement de la proposition de M. Jacques et ajourne la discussion, sans fixer aucun terme. » (Moniteur de 1833, n°54). Pour le fond, la Chambre fit bien, sans doute; mais, pour la forme, elle violait l'article 24 de son règlement qui dit: « La question d'ajournement, c'est-à-dire celle qu'il y a lieu de suspendre la discussion ou le vote, pendant un temps déterminé, et les amendements sont mis aux voix avant la proposition principale. »

Cette division de notre territoire, en neuf cercles administratifs, est un fait ancien, qu'on ne pouvait pas méconnaître, sans froisser de nombreux intérêts et de longues habitudes. Le décret du 9 vendémiaire an IV divisa les provinces belgiques en neuf départements. Les Représentants du peuple français, envoyés en mission dans notre pays, furent chargés de déterminer les arrondissements respectifs de ces départements (Pasinomie, Introduction à la première série, première livraison, folio XLI). Le système de M. Jacques était, d'ailleurs, quant à la subdivision des conseils provinciaux un système bâtard. En France, il existe, à la fois, des conseils d'arrondissement et des conseils généraux de département : en Belgique, il n'y a que des conseils provinciaux. L'expérience enseigne qu'une plus grande subdivision est inutile : les intérêts locaux sont suffisamment représentés et défendus dans ces assemblées : aller plus loin, c'est soulever des luttes de localités, sans (page 142) contre-poids; des questions de clocher, sans contradicteurs.

Après des débats qui, cette fois, furent plus longs au Sénat qu'à la Chambre, des lois furent adoptées réglant le taux et le mode de perception de la taxe des barrières (Loi du 18 mars 1833. Moniteur de 1833, n°72-78).

4. La création de la dette flottante

Les Chambres eurent à s'occuper, vers cette époque, de deux projets importants, l'un relatif aux bons du Trésor (Loi du 16 février 1833, adoptée à la Chambre, par 72 voix contre 2; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur, 1833, n°41-47, 48. Ibid., 1833, n°46, Lettre de M. DE FOERE sur la dette flottante), et l'autre devant régler le régime douanier des céréales (Loi du 18 mars 1833, adoptée à la Chambre, par 48 voix contre 5, et au Sénat, par 24 voix ; 2 s'abstiennent. Moniteur, 1833, n°74-77, 79) ; questions neuves pour notre pays, dont la première au son principe consacré par une application constante; dont la seconde, souvent soulevée, jamais fixée, s'est ressentie de chaque mutation du Ministère ou du Parlement et qui a perdu, dans les temps de crise et de disette, tout le terrain gagné dans les temps calmes, pendant lesquels seulement on peut la juger sainement. Voici comment elles furent résolues.

Quant à la dette flottante, la discussion s'embrouilla à tel point qu'après que le Ministère eut adhéré aux modifications proposées par la section centrale, la Chambre dut renvoyer le projet à l'examen d'une commission spéciale. Il est vrai qu'on s'était écarté de tous les principes qui doivent régler cette matière.

La création des bons du Trésor , bons royaux, billets de l'Échiquier - dette flottante, en un mot, - peut avoir un double but. Le premier, c'est de parer aux retards qu'éprouvent les rentrées des impôts et des autres ressources du budget, et alors cette création se restreint dans de faibles proportions et n'a besoin, d'autres garanties que le produit des revenus et le (page 143) crédit de l'État. Le second, c'est de couvrir des dépenses pour lesquelles il n'a pas été ouvert de crédit dans les budgets, ou de faire face à une insuffisance permanente de voies et moyens, et, dans ce cas, cette création peut prendre des proportions considérables et exiger des garanties spéciales. C'est dans cette dernière position que s'est trouvée la France, lorsqu'en 1814, on émit pour 700,000,000 de bons royaux, à trois ans de date et trois pour cent d'intérêt, ayant pour garantie, outre le crédit général de l'État, 300,000 hectares de bois, les biens immeubles de la caisse d'amortissement et un emprunt. L'Angleterre aussi a toujours une énorme émission de billets de l'Échiquier, à date déterminée de remboursement, mais qui sont remboursables, avec les intérêts courants, même après l'expiration de cette date. Lors de leur création, on avait affecté, pour garantie, à cette émission, l'impôt, bien insuffisant, sur la drèche. Or, telle est, dans ce puissant pays, la confiance qu'inspire le crédit de l'État, que jamais, peut-on dire, ces billets, à intérêt modique, ne descendent au-dessous du pair, et que presque toujours ils sont cotés avec prime.

Par la loi présentée à nos Chambres, comme depuis on l'a fait dans les circonstances difficiles, on voulait confondre les deux modes, c'est-à-dire d'une part, aider le service de la trésorerie par un fonds de roulement et par l'escompte de lettres de change tirées sur l'arriéré; d'autre part, combler un découvert permanent par un emprunt déguisé, par des cédules hypothécaires sur les ressources de l'avenir. La commission sut ramener le projet dans les limites des vrais principes : elle admit, si on peut s'exprimer ainsi, les bons du Trésor de service : elle écarta les bons du Trésor de ressource. L'article premier porte : « Le Gouvernement est autorisé, pour faciliter le service du Trésor à émettre des bons du Trésor, etc. »

Telle est l'origine de notre dette flottante, institution nécessaire, dans tout Gouvernement constitutionnel, et qui ne devient dangereuse, pour un petit État, que lorsqu'on s'écarte (page 144) de son application utile et lorsqu'on exagère le chiffre de l'émission.

5. La loi sur les céréales

Le Gouvernement provisoire avait, par les arrêtés du 21 octobre et du 16 novembre 1830 et par les dispositions du tarif du 7 novembre suivant, prohibé la sortie et le transit des grains et des farines et suspendu les droits à l'entrée. Le bas prix des céréales ne permettait plus de laisser subsister cette législation : un projet fut déposé, à titre de dispositions transitoires. Ce fut le 13 mars 1833 que s'ouvrirent les débats. Pour faire apprécier l'énorme différence des propositions en présence, nous donnons ici quelques chiffres. On verra ainsi, d'un seul coup d'œil, d'où l'on est parti et où l'on est arrivé. (Note du webmaster : ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée : les droits d’entrée sont multipliés par 4 à 6)

Le ministère soutint faiblement son projet, et le rétablissement du tarif en vigueur au 30 octobre 1830, proposé par la section centrale, fut admis. L'écart des chiffres proposés et adoptés prouve quelle était, dès cette époque, la divergence des opinions en cette matière.

(page 145) Certes, il n'est pas de question plus importante pour les nations, mais aussi il n'en est pas de plus controversée que celle du meilleur tarif applicable aux céréales. On ferait une bibliothèque de tout ce qui a été écrit sur cette matière. Heureusement que l'expérience de plusieurs époques et de plusieurs peuples a jeté de vives, lumières sur ces controverses ; mais il faudra encore bien du temps avant qu'elle ait éclairé tous les esprits. Voyons, en peu de mots, ce que le passé nous enseigne.

En France, depuis Philippe le Bel, en 1304, les plus grandes restrictions furent apportées au commerce des blés : maximum des prix, défenses de transporter les grains d'un lieu à un autre, obligation de ne vendre que sur les marchés, formalités vexatoires imposées aux marchands. Ce régime fut maintenu pendant plus de quatre siècles et demi : il ne fit place à un système moins illibéral que pendant sept ans, de 1763 à 1770; dans le cours de cette dernière année, les anciens édits restrictifs commencèrent à revivre. Turgot combattit ce funeste système et par ses fameuses Lettres (Lettres sur les grains, 1778, in-8. Lettres sur les émeutes populaires occasionnées par la cherté des grains, 1768) et en maintenant, dans son intendance de Limoges, la libre circulation des grains et, enfin, en abolissant, en 1774, comme contrôleur général des finances, les ordonnances prohibitives.

Mais il tomba, avec ses réformes, au bout de deux ans. Necker, son adversaire et comme homme d'État et comme écrivain (Sur la législation et le commerce des grains, par NECKER, Paris, 1775, in-8.), rétablit, à partir de 1788, la prohibition à la sortie, la défense de vendre ou d'acheter hors des marchés, les primes d'importation, les ventes forcées , les achats directs par le Gouvernement; épuisant ainsi tout l'arsenal du régime réglementaire.

En 1789, l'Assemblée constituante permit la libre (page 146) circulation, mais elle maintint la prohibition à la sortie. Cette restriction, qui semblait, aux yeux d'un grand nombre, devoir être une mesure de salut public, ne put empêcher ni les séditions, ni les pillages. Sous le régime faible et court de l'Assemblée législative, des décrets plus libéraux furent émis, mais souvent on n'eut pas la force de les faire exécuter.

Au sein de la Convention, les modérés et les Girondins furent débordés par les Montagnards ; à toutes les époques de disette, les mesures restrictives appliquées aux céréales ont été l'arme des partis et le prix de la popularité le maximum fut rétabli par la loi du 4 mai 1793. Par le décret du 17 juillet de la même année, l'accaparement était déclaré crime capital. Une commission des subsistances et des approvisionnements fut chargée de pourvoir à l'alimentation du pays. Au 7 janvier 1795, lors de sa dissolution, cette administration accusait un déficit de 1,400 millions de francs... Le maximum ne fut aboli que le 25 décembre 1794. Sous le coup de toutes ces mesures extravagantes, l'agriculture laissait les terres en friche et le commerce était anéanti.

Pendant l'Empire, la prohibition à la sortie, un moment suspendue, fut rétablie de 1811 à 1815 : le maximum exista de mai à septembre 1812 : en 1816, on accorda 5 francs par hectolitre importé.

Sous la Restauration, en 1819, l'importation du blé fut limitée, en la combinant avec des dispositions restrictives de la libre exportation. C'était le système de l'échelle mobile, ayant pour base le prix rémunérateur. Malgré cette réglementation, les blés tombèrent, en 1820, à fr. 16-60; en 1825, à fr. 14-80 l'hectolitre. Cette loi fut renforcée, le 4 juillet 1821; les blés baissèrent encore, et cependant le tarif était tellement protecteur que, de 1821 à 1830, l'importation ne fut permise, à Marseille, que pendant un mois.

Sous le Gouvernement de Juillet, les Ministres proposèrent, le 17 octobre 1831, une loi plus libérale; mais alors, comme depuis, les Chambres maintinrent le système protectionniste. Sous cette législation qui (page 147) établit des classes, c'est-à-dire la division des départements par catégories, les habitants du Midi sont obligés d'acheter à ceux du Nord ou de l'Ouest des céréales, qui leur reviendraient à 25 et 30 pour cent meilleur marché, s'ils pouvaient en tirer de l'étranger, par le port de Marseille. L'empire nouveau a porté peu de changements à ce système, du moins quant à la liberté des transactions à la sortie.

En Angleterre, sous Elisabeth, Cromwell et Jacques II, il y eut un droit d'exportation variable. Sous Guillaume III, en 1688, ce droit fut aboli et remplacé par une prime d'exportation et par un droit plus fort à l'importation. La reine Anne et Georges II renforcèrent cette dernière entrave, chacun par un droit de 2 shillings.

En 1791, le prix rémunérateur fut fixé à 54 shillings par quarter (2 hect. 90); en 1804, à 66 shillings; en 1814, à 80 shillings; en 1822, à 85 shillings. En 1828, Canning, sous l'inspiration de M. Huskisson, n'admit plus pour prix rémunérateur que 66 shillings, avec l'échelle décroissante. Ce chiffre adopté par la Chambre des Communes, fut porté à 72 shillings par la Chambres des Lords - éternelle lutte entre l'intérêt privé et le bien public.

Cette législation dura jusqu'à 1842, époque à laquelle les droits à l'entrée furent notablement abaissés. Toutes ces mesures réglementaires empêchèrent l'agriculture de se développer par le progrès mieux qu'elle ne pouvait le faire par la protection, gênèrent le commerce, eurent une triste influence sur le prix du pain, en cas de disette, et coûtèrent au Gouvernement anglais des sommes énormes. Enfin, en 1846, l'illustre Robert Peel, pressé tout à la fois par l'insuffisance des récoltes, la maladie des pommes de terre et les formidables efforts et les succès de la Ligue (anti-corn-law-league), proposa et fit passer, au Parlement, le rappel des corn-laws, c'est-à-dire la liberté du commerce des céréales. Cette loi ne prit définitivement cours qu'au 1er février 1849.

Et tels sont les résultats bienfaisants de ce système, non seulement (page 148) pour la classe ouvrière, mais pour l'agriculture elle-même, qu'aucun des puissants partis qui se succèdent aux affaires n'oserait prendre le pouvoir avec l'intention avouée de rétablir la protection, par l'échelle mobile ou par d'autres mesures empruntées au système réglementaire (Ces détails sont empruntés à LÉON FAUCHER : Études sur l'Angleterre, et à G. DE MOLINARI, au mot Céréales, Dictionnaire de l'Économie politique par CHARLES COQUELIN).

Si nous recherchons, à présent, ce qui a existé chez nous et dans les temps anciens et à des époques plus rapprochées, voici ce que nous trouvons.

De 1573 à 1598, sept ordonnances (Placards de Brabant, t. I, p. 292-309) réglementent le commerce des grains. Elles portent, sous des peines sévères, défense d'exporter les grains, farines : l'une d'elles prohibe la sortie du pain. Dans toutes, les marchands de grain, que l'on nomme grossiers et monopoliers, sont rudement traités. Ils ne peuvent acheter des grains qu'aux marchés publics et point dans le plat pays; leurs achats doivent se borner à leur provision et à celle de leur famille; ils doivent faire à l'autorité compétente la déclaration de ces achats pour leur subsistance (mieux valait les enfermer et les mettre à la ration !). Les laïques comme les clercs devaient porter au marché tout le blé qui n'était pas nécessaire à leur nourriture et à leurs aumônes. Personne ne pouvait acheter des récoltes pendant par racines. Le placard du 13 octobre 1598 étend toutes ces prohibitions au beurre, volaille, bétail et autres provisions de vivres.

Mais l'ordonnance la plus persistante est celle de 1676 (SOHET. Instituts du droit, liv. II, tit. 36). Elle n'a jamais été abolie et, en 1817, la régence de Gand lui empruntait la disposition suivante : « Défense d'acheter au marché, plus de deux sacs de grain pour sa provision. »

Dans l'ancien pays de Liège, un mandement de 1724, faisait défense à tous les marchands de grain et à leurs (page 149) entremetteurs d'aller au-devant de ceux qui ont des grains à vendre avant qu'ils aient été exposés au marché, pendant un certain temps.

Dans le comté de Namur, « il était permis de faire le commerce des grains, en le déclarant au mayeur; mais il était défendu à ceux qui s'étaient ainsi déclarés d'acheter ou de faire acheter, soit à la ville ou soit au plat pays, depuis l'Août jusqu'à Noël et d'entrer dans la Halle, ni d'autres pour eux, avant l'heure préfixée, ni de louer des maisons pour faire des amas. » (Edit politique des magistrats du 6 octobre 1687)

Sous le Gouvernement des Pays-Bas, 1815 à 1830, le commerce et la circulation des grains devinrent généralement libres. Cependant, en 1816, les administrations locales prirent des dispositions restrictives. La régence de Bruxelles porta un règlement contre l'accaparement (Note de bas de page : Voir TIELEMANS, « Répertoire, etc. », au mot « Accaparement », des détails intéressants sur la législation, et une judicieuse démonstration des vrais principes, en cette matière). D'autres administrations procédèrent non par des restrictions, mais par encouragements. La régence de Liège, notamment, fit avec succès, en 1816, ce qu'elle avait déjà fait,. en l'an X. Elle accorda des primes à ceux qui amenaient au marché la plus forte quantité de céréales. Le nombre minimum pour concourir était de cent mesures, et au marché le plus prochain, il y en eut onze cent cinquante-six.

En Belgique, depuis notre émancipation politique, rien de plus variable que le régime des céréales. Presque chaque année, on a porté la main à cette législation et l'on est allé du système de la protection extrême, jusqu'à la liberté presque absolue; - de la proposition des 21, dite loi de famine, qui imposait le froment, à l'entrée, de fr. 4-75, quand l'hectolitre serait à 20 francs (Voir t. Il, liv. VIII), à la loi si libérale, promulguée sous le (page 150) Ministère Rogier-Frère, qui ne soumettait les céréales qu'au droit de 50 centimes les 100 kilogrammes (Loi du 31 décembre 1848).

Les grands exemples, donnés par l'Angleterre et par la Hollande, et qui prouvent tout ce qu'on gagne à la liberté du commerce des grains, n'ont pu nous instruire : nous sommes restés prohibitionnistes, tout en avouant que nous sacrifions à des préjugés populaires.

Si l'on recherche la portée utile de toutes ces mesures gouvernementales, les résultats sociaux de toutes ces lois, n'est-on pas en droit de dire qu'elles n'ont été qu'une longue suite de tâtonnements, suivis de cruelles déceptions Malgré toutes les combinaisons imaginées par les pouvoirs absolus, ou par les assemblées constitutionnelles, le système réglementaire - qu'on l'appelle régime protecteur de l'agriculture, qu'on y mette l'étiquette de « remède contre la disette » - ne fait que perdre du terrain ; tandis que le système libéral avance et grandit, en dépit des obstacles. La rapidité de notre marche nous interdit de nous arrêter plus longtemps sur cette importante question. Nous ne citerons donc pas toutes les autorités qui ont devancé ou commenté l'enseignement de ces faits historiques. Il nous suffira de transcrire quelques passages de l'opinion d'un célèbre orateur et publiciste.

Filangieri avait dit : « Une erreur, née d'une supposition fausse, fait croire aux Gouvernements que le mouvement naturel du commerce pourrait faire sortir d'un État une partie même de ce qui était nécessaire à sa consommation intérieure. » (Scienza della legislazione, Napoli, 1780, liv. II, chap. XI, p. 7)

Benjamin Constant, commentant cette pensée de l'auteur italien, s'exprime ainsi :

« La question de l'exportation des grains est aussi délicate qu'importante. Rien de plus facile que de tracer un tableau (page 151) touchant du malheur du pauvre, de la dureté du riche, d'un peuple entier mourant de faim, pendant que d'avides spéculateurs exportent les grains, fruits de ses sueurs et de ses travaux. Il y a un petit inconvénient à cette manière de considérer les choses; c'est que tout ce que l'on dit sur le danger de la libre exportation, qui n'est que l'un des usages de la propriété, pourrait se dire avec tout autant de force et non moins de fondement contre la propriété elle-même...

« Cela est tellement vrai, que les ennemis de la liberté d'exportation ont toujours été forcés de dire, en passant, quelques injures aux propriétaires. Linguet les appelait des monstres, auxquels il fallait arracher leur proie sans être ému de leurs hurlements ; et le plus éclairé, le plus vertueux , le plus respectable des défenseurs du système prohibitif (Necker), a fini par comparer les propriétaires et ceux qui parlaient en leur faveur à des crocodiles.

« … Pour que le blé soit abondant, il faut qu'il y en ait le plus qu'il est possible; pour qu'il y en ait le plus qu'il est possible, il faut encourager la production. Tout ce qui encourage la production du blé favorise l'abondance ; tout ce qui décourage cette production, appelle directement ou indirectement la famine.

« … Il en est des grains, quant à la production, comme de tout autre chose. L'erreur des apologistes des prohibitions est d'avoir considéré le grain comme objet de consommation seulement, non de production. Ils ont dit, moins on en consommera, plus il en restera; raisonnement faux, en ce que le grain n'est pas une denrée préexistante. Ils auraient dû voir que plus la consommation serait limitée, plus la production serait restreinte, et, qu'en conséquence, celle-ci ne tarderait pas à devenir insuffisante pour l'autre.

« (page 152) En empêchant l'exportation des blés, vous ne faites donc pas que le blé nécessaire à l'approvisionnement d'un pays reste dans ce pays; vous faites que ce superflu ne se produit pas. Or, comme il peut arriver, par les intempéries de la nature, que ce superflu devienne nécessaire, vous faites que le nécessaire manque.

« … Je n'ai pas fait valoir d'autres raisonnements pour la libre exportation, parce qu'ils ont été développés mille fois. Si le blé est cher, on ne l'exportera pas; car, à prix égal, il vaudra mieux le vendre sur les lieux que l'exporter...

« La nature n'est pas prodigue de ses rigueurs. Si l'on comparaît le nombre de disettes qui ont été le résultat d'années véritablement mauvaises avec celui des disettes occasionnées par les règlements, on se réjouirait du peu de mal qui nous vient de la nature, et l'on frémirait du mal qui nous vient des hommes.

« S'il y a des inconvénients à tout, laissez aller les choses; au moins les soupçons du peuple et les injustices de l'autorité ne se joindront pas aux calamités de la nature. Sur ces trois fléaux, vous en aurez deux de moins, et vous aurez cet avantage que vous accoutumerez les hommes à ne pas regarder la violation de la propriété comme une ressource : ils en chercheront alors. et en trouveront d'autres. Si, au contraire, ils aperçoivent celle-là, ils y recourront toujours, parce qu'elle est la plus courte et la plus commode. » (BENJAMIN CONSTANT, Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri, Paris 1824, 2ème partie, p. 86-88.)

Franklin dit avec beaucoup de fondement : « Si le principe d'après lequel vous prohibez l'exportation du grain est raisonnable, tenez-vous à ce principe et poussez-le hardiment (page 153) jusqu'à ses dernières conséquences. Prohibez l'exportation de vos draps, de vos cuirs, de vos chaussures, de vos fers, de vos produits manufacturés de toute espèce (de vos houilles aurait-il pu dire), pour les avoir à meilleur marché. Vous aurez certainement la satisfaction de les voir baisser... jusqu'à ce qu'on cesse de les fabriquer (ou de les extraire). » (Lettres sur le prix du blé).

Ce sont là des vérités claires et palpables : mais que peut la vérité contre les préjugés populaires, qui font trembler les Gouvernements avides de pouvoir, les législateurs amoureux de leur mandat? Ce sont les grandes discussions de la tribune, les fortes polémiques de la presse et l'exemple des peuples plus éclairés et plus sagement administrés qui finiront par ruiner ces funestes systèmes de prohibition (Note de bas de page : Voir les discussions, sur cette question, de décembre 1855. Les Ministres déclaraient à la Chambre que la prohibition fait plus de mal que de bien, qu'elle fait hausser le blé; ma1s qu'il est nécessaire d'offrir ce sacrifice aux préjugés!...) Aux maux de la disette, comme à beaucoup d'autres maux sociaux, la liberté est le seul remède.

6. La crise finale : le vote du budget de la guerre 1833 et le renouvellement des chambres

M. Rogier avait pu croire, en transigeant sur la question des céréales, conjurer l'orage qui le menaçait. Il n'en fut rien. La discussion du budget de la Guerre devait combler la mesure des attaques de l'opposition et pousser le Gouvernement à une résolution extrême. Le chiffre demandé s'élevait à 73 millions de francs. Après avoir décidé qu'il n'y aurait pas de discussion générale, la Chambre en ouvrit une très large et très vive. Mais les débats roulèrent bien moins sur l'élévation du budget lui-même, que sur la marche imprimée à nos relations extérieures. Et comme preuve qu'au vote, qu'on allait émettre, s'attachait une idée politique, M. Brabant, rapporteur, vint, dans la séance du 3 avril 1833, proposer de n'accorder au Gouvernement que les six douzièmes du budget, qui avait été voté article par article. Tout doute devait disparaître (page 154) devant la déclaration suivante, insérée au rapport : « La nation est impatiente des lenteurs des négociations diplomatiques, elle veut le dénouement avec la Hollande. Pour arriver à cette fin, elle souscrira encore à de nouveaux sacrifices. Ce n'est donc point pour la soulager des dépenses qu'occasionne l'armée sur le pied de guerre, ce n'est pas pour réduire cette belle armée, que nous avons organisée à grands frais, que nous vous proposons de n'allouer des subsides que pour six mois; notre but unique (et qu'on le sache très bien) n'est autre que, les six mois écoulés sans espoir d'une conclusion prochaine, de presser le Gouvernement de recourir à des mesures énergiques propres à assurer l'indépendance de la Belgique. Dans ce cas, loin de nous opposer à des demandes de crédits, nous augmenterons, s'il en est besoin, nos moyens de coercition et nous ne négligerons rien pour assurer le triomphe de nos armes. »

Le ministère demanda si cette déclaration avait un caractère de défiance et d'hostilité contre lui. On prétendit qu'on n'avait pas à lui répondre sur ce point. Le Ministre de l'Intérieur déposa un amendement, insignifiant en lui-même, mais auquel le Gouvernement attachait l'idée de non-défiance; M. Rogier disait : « Il (le ministère) vous demande, non pas un vote explicite, mais de reporter à l'époque où le budget général des dépenses sera voté, l'expression de votre jugement sur son système. » Cette demande fut écartée par la question préalable; sur 73 membres présents, 45 se prononcèrent contre le cabinet, 28 pour (Moniteur de 1833, n°96) . Le budget fut admis à l'unanimité des voix, le 4 avril.

Sur ce vote la Chambre se sépara, à l'occasion de ses vacances de Pâques, mais pour ne plus se réunir. En effet, le ministère donna de nouveau sa démission. Il s'ensuivit (page 155) une crise assez longue. Le 17 avril 1833, M. Lebeau écrivait au Sénat : « Le Roi ayant, sur notre proposition, chargé un honorable représentant, (Note de bas de page : M. de Theux. Voir au Moniteur de 1833, n°127, des détails sur la crise ministérielle, d'où il résulte que M. de Theux avait des pouvoirs illimités et qu'il s'est adressé à MM. de Muelenaere, Du Bus aîné et Brabant) de composer un nouveau cabinet, et les résultats des tentatives faites dans ce but ne nous étant pas encore connus, je crois ne pouvoir, en ce moment, prendre part à la discussion d'une loi politique et devoir me renfermer, autant que possible, dans le rôle de simple administrateur. » Les tentatives n'aboutirent pas; le ministère fut maintenu : la Chambre, d'abord ajournée du 21 avril au 6 mai, fut dissoute le 28 avril. L'arrêté de dissolution était fortement motivé ; en voici les considérants :

« Vu les difficultés qui, depuis l'ouverture de la session législative, se sont élevées dans les rapports de la Chambre des Représentants avec l'administration ;

« Considérant que, par suite de ces circonstances, nos ministres ont, à diverses reprises, offert leur démission, sans que l'on soit parvenu à composer une administration nouvelle qui présentât des gages de stabilité ;

« Considérant que ces difficultés semblent prendre leur source dans la diversité des opinions sur la marche des relations extérieures ;

« Considérant que, depuis la dernière élection générale, il s'est accompli des événements importants qui ont contribué à l'affermissement de l'indépendance de la Belgique, et qui, sous ce rapport, méritent d'être livrés à l'appréciation du pays;

« Considérant que si c'est un des premiers principes du Gouvernement représentatif que le ministère soit d'accord avec la majorité parlementaire, il est indispensable aussi, (page 156) pour rendre l'administration possible, que cette majorité ne soit pas incertaine, qu'une adhésion douteuse à la marche du Gouvernement paralyse l'action de celui-ci sans offrir à la Couronne les éléments d'une administration nouvelle (…) » (Moniteur de 1833, n°120)

Certes, dans une pareille occurrence, une dissolution était inévitable : il n'en est pas moins vrai que l'objet même de l'appel et l'état des esprits pouvaient faire envisager cette mesure comme une fâcheuse nécessité. Il était dans les destinées de notre régime représentatif de passer, dès son début, par les plus rudes épreuves, comme ces machines dont la solidité n'est reconnue qu'après qu'elles ont été soumises à des essais à outrance.

La seconde session législative, ouverte le 13 novembre 1832, fut close d'elle-même le 28 avril 1833 : elle avait donc duré un peu plus de six mois. (Note de bas de page : Pendant cette session 1832-1833, on vota encore les lois suivantes : 1832, 8 décembre, qui charge les députations des états de la confection des budgets provinciaux ; 30 décembre, budget des voies et moyens ; 30 décembre, application du nouveau système monétaire à quelques branches de recettes ; 30 décembre, qui maintient les droits d'entrée sur les fers et fontes ; 31 décembre, admission des pièces de cinq et dix florins ; 1833,15 février, cession à la ville de Gand du pont de la Pêcherie ; 20 février, concession de mines; 28 février, pensions nationales; 26 mars, signification d'exploits à l'étranger ; 26 mars, réhabilitation des condamnés ; 28 mars, inscriptions hypothécaires ; à diverses dates, des crédits provisoires).

La convocation des électeurs des districts chefs-lieux de province était fixée au 30 mai : les électeurs des autres districts étaient convoqués au 23 mai. Nous ne voyons d'autre motif de cette disposition que la possibilité laissée aux ministres ou à leurs adhérents, qui auraient échoué à une première élection, de se faire nommer à une élection postérieure (M. Lebeau échoua à Huy; M. H. de Brouckere, dans le Limbourg.). Si tel (page 157) a été le véritable but, on ne peut s'empêcher de la blâmer hautement. La loi électorale a fixé, à un même jour, la date des élections ordinaires, sans doute pour que les résultats d'un scrutin ne pussent pas avoir d'influence sur d'autres scrutins. A ce point de vue, les élections extraordinaires devraient aussi se faire partout le même jour.

Les autres incidents de ce renouvellement furent la destitution de quelques fonctionnaires (MM. Doignon et Desmet, respectivement commissaires d’arrondissement à Tournai et à Alost) et l'élimination d'un ecclésiastique, M. l'abbé de Haerne, et son remplacement par M. le doyen Wallaert, dans le district de Roulers, où le clergé était maître du terrain électoral (Note de bas de page : Voir, dans l’« Indépendant » du 16 mai 1833, une lettre de M. le comte Félix de Mérode, qui démet l’assertion qu’il aurait transmis, à M. l’évêque de Bruges, des ordres du Roi, pour l’élimination de l’abbé de Haerne).