(Paru à Bruxelles, en 1856, chez Libraire polytechnique d’Augistre Decq)
(page 76) La session, qui venait de finir, avait été agitée et tempétueuse : celle qui approchait annonçait de nouveaux orages ; on était, d'ailleurs, à la veille des élections, dont personne ne (page 77) prévoyait peut-être tous les sinistres. Une partie de l'équipage ministériel avait été décimée par la lutte ; l'autre s'était montrée faible dans la manœuvre. En habile capitaine, M. Nothomb jugea qu'une telle position n'était pas tenable ; il la changea brusquement. Le 25 décembre 1842, M. Van Volxem avait délaissé le Département de la Justice ; le 31 mars 1843, M. le comte de Briey, Ministre des Affaires étrangères, avait donné sa démission, tenue secrète (Note de bas de page : M. le comte de Briey avait donné sa démission, à cause de la prorogation accordée à la Société Générale. (Arrêté royal du 30 mars 1843)) ; M. le général de Liem venait de résigner le portefeuille de la Guerre, sur le théâtre même de sa défaite. Des arrêtés du 16 avril 1843 réalisèrent, d'un seul coup, des changements, longuement combinés sans doute par le Ministre de l'Intérieur. Peu dégoûté du pouvoir, quelque lourd qu'il fût pour lui, voulant opposer à la puissance de ses adversaires la force de nouveaux auxiliaires, voici l'habile manœuvre qu'opéra le chef du cabinet. M. le général comte Goblet est nommé Ministre des Affaires étrangères ; MM. Smits, Desmaisières, Nothomb donnent leur démission, comme ministres à portefeuille ; M. le comte de Muelenaere, comme membre du conseil des ministres : les deux premières démissions sont acceptées ; les deux dernières ne le sont pas. Sont nommés, M. le baron d'Anethan, Ministre de la Justice ; M. Mercier, Ministre des Finances ; M. Dechamps, Ministre des Travaux publics ; M. le colonel Dupont, élevé au grade de général-major, devient Ministre de la Guerre ; MM. Nothomb et de Muelenaere restent à leur poste. Voilà une crise ministérielle lestement menée, si on la compare à celle de juin 1847 qui dura plus de deux mois..., à celle de mars 1855 qui dura quatre semaines ! Voilà un changement à vue habilement machiné et vigoureusement exécuté !
Le ministère du 16 avril 1843, se composait donc de MM. Nothomb, à l'Intérieur ; Goblet, aux Affaires étrangères ; (page 78) baron d'Anethan, à la Justice ; Dechamps, aux Travaux publics ; Mercier, aux Finances ; général Dupont, à la Guerre ; comte de Muelenaere, membre du conseil sans portefeuille. Ce dernier, tout en étant membre du conseil, ne cessait pas d'être gouverneur. Cette double position n'était pas parfaitement nette, au point de vue des convenances administratives et abstraction faite de la question du cumul. Ainsi, voilà un gouverneur, l'inférieur de M. le Ministre de l'Intérieur, hors du conseil ; son égal, dans le conseil. Si une question se présente, dans ce conseil - un appel, par exemple, d'un gouverneur contre une décision d'une députation permanente - M. le Gouverneur-ministre peut, par son vote, faire décider la question contrairement à l'avis de son supérieur-ministre de l'Intérieur. Dans ce cas, ou bien il vote selon sa conviction et humilie son chef ; ou bien il fait fléchir sa conviction et ment ainsi à sa conscience. Mais le temps était trop précieux pour s'arrêter à l'examen de pareilles questions. II importait de se sauver soi-même, il ne pouvait donc s'agir ni de sauvegarder la dignité du pouvoir, ni de respecter la hiérarchie administrative.
On s'était comporté trop cavalièrement à l'égard de MM. Smits et Desmaisières pour ne pas leur accorder une fiche de consolation : le premier redevint gouverneur de la Banque de Belgique ; le second fut nommé gouverneur de la Flandre orientale. Les élections allaient se faire : cette dernière nomination était donc, à la fois, une compensation et un acte politique. D'ailleurs, il a fallu que 1848 vint, avec ses grands enseignements, pour apprendre au pays qu'il possédait, encore en 1852, des hommes politiques assez désintéressés pour quitter le pouvoir, sans pour cela devenir ambassadeurs, ministres d'Etat, gouverneurs, pensionnés du Trésor.
M. Nothomb avait été sévèrement traité par la minorité du Parlement, il allait subir les rigueurs du corps électoral. Le cinquième renouvellement partiel de la Chambre des Représentants (page 79) et le troisième renouvellement partiel du Sénat curent lieu le 13 juin 1843 (Note de bas de page : Cette fois, les élections pour la Chambre et pour le Sénat coïncidaient. La série sortante, pour l'un et pour l'autre renouvellement partiel, comprenait les provinces de la Flandre orientale, de Hainaut, de Liège et du Limbourg). Considérés dans leur ensemble, les résultats de cette élection furent une protestation énergique contre la mutilation de nos lois organiques, un blâme manifeste de la conduite du ministère. On avait jeté un défi aux grandes villes : Liége, Gand, Tournai y répondirent, de manière à prouver la faiblesse des manœuvres gouvernementales en présence du sentiment public indigné. Ces puissantes cités donnèrent à leurs choix la signification d'une leçon, on pourrait dire d'une vengeance. Sans être devenu majorité, le parti libéral avait grandi en nombre et en influence : le flot montait. Dans ces luttes ardentes, les catholiques perdirent plusieurs de leurs chefs les plus dignes ; les libéraux virent leurs rangs se renforcer de solides recrues. Au point de vue exclusif des partis, on peut applaudir à de telles chutes et saluer de pareils triomphes. Mais, en ne tenant compte que de l'intérêt du régime représentatif, il faudrait déplorer, quand même, ces changements d'hommes politiques, suite du jeu de nos institutions, si à des sommités reconnues venaient à succéder des nullités notoires. Heureusement pour la force et l'éclat du Parlement, il n'en fut pas ainsi, dans cette circonstance. Car, si la tribune se fermait à des hommes pleins d'expérience et de savoir, elle s'ouvrait à des hommes brillants par la parole et par l'intelligence : les places laissées vides par les Raikem et les du Bus aîné (M. du Bus aîné rentra à la Chambre, en avril 1844, comme représentant de Turnhout) étaient immédiatement remplies par les d'Elhoungne et les Castiau ; et sans flatterie, l'on pouvait appliquer ici le mot du poète : « Uno avulso, non déficit alter ».
(page 80) Le ministère nouveau se présenta devant le Parlement, en partie renouvelé lui-même, le 14 novembre 1843. Cette quatorzième session fut close le 17 juillet 1844, ayant duré huit mois. A l'ouverture de la dernière session, le ministère avait mis dans le discours du Trône des paroles provocantes et hautaines ; cette fois, ce discours était plus circonspect. M. Nothomb avait plus d'une raison pour ne pas répéter ce fier langage : « Qu'il n'y avait qu'un vœu à former, c'est que cette session ne soit que la continuation de la session précédente. » La discussion de l'adresse fut peu vive : son adoption eut lieu, à la Chambre, par 77 voix contre 6 (Moniteur de 1843, n°319, 322, 326). Une circonstance unique peut-être dans nos annales parlementaires, c'est que le projet ne portait point la signature d'un rapporteur. Personne n'avait voulu assumer sur soi la responsabilité de cette paternité : l'adresse était, pour ainsi dire, un enfant trouvé.
La Chambre commença ses travaux par la discussion de trois projets, dont l'adoption eut lieu à de grandes majorités. Ce furent la loi sur les eaux-de-vie étrangères (Loi du 5 janvier 1844) ; la loi sur le sel (Loi du même jour) ; enfin, la loi sur la police de la voirie (Loi du 1er février 1844). Cette dernière loi était devenue nécessaire, parce que la Cour de cassation avait décidé que le ministère public était sans qualité pour requérir d'office la démolition des constructions faites en contravention aux règlements. Il résultait de cette jurisprudence, que l'administration communale devait se porter partie civile. Cette loi occupa deux fois la Chambre et le Sénat : elle fut discutée avec beaucoup de soin. Elle n'a pas peu contribué à permettre aux autorités communales de prendre des mesures (page 81) efficaces pour l'assainissement des quartiers et des habitations pauvres.
Les budgets mirent au grand jour, plutôt par les discussions que par les votes, l'espace qui séparait l'opposition du ministère. Celui des Voies et moyens fournit la première preuve de la position nouvelle du Parlement : la gauche était plus pressante, tout en conservant cette modération que donne la force ; la droite soutenait moins fidèlement le pouvoir ; le cabinet lui-même repoussait moins hautainement les attaques et défendait plus modestement ses propositions. Les faits étaient venus donner un démenti à la théorie du Gouvernement fort à l'aide d'une majorité mixte. A peine entré à la Chambre, M. Castiau prit part aux débats, avec une hardiesse d'appréciation et une séduction de langage, dignes d'un ancien parlementaire. M. Delfosse révéla au public et poursuivit de ses persistantes critiques une illégalité grave, commise par M. Smits, précédent Ministre des Finances. L'Etat ayant vendu la forêt de Chiny, le ministre avait toléré, contrairement aux prescriptions de la loi du 22 frimaire an VII, que l'enregistrement se fit en débet, laissant terme à l'acquéreur pour le payement des 192,000 francs, montant des droits. Cet acte n'était pas seulement contraire à la loi expresse, mais encore aux intérêts du Trésor. C'était exposer l'État à la perte d'une somme importante, et, en fait, cette somme ne fut jamais recouvrée. Les tribunaux furent saisis d'une demande tendante à faire déclarer la vente nulle : l'affaire entra dans l'inextricable dédale des contestations judiciaires, et le Trésor perdit finalement une recette, qui eût pu être effectuée, dans le principe (Moniteur de 1843, n° 347, et de 1844, n°18, 19, 67, 84, 116,122).
Dans la session précédente, M. Malou avait soulevé l'intéressante question de la reprise par l'État du canal de Mons à Condé. L'honorable membre, rapporteur de la section centrale, parvint, cette fois, à faire (page 82) admettre sa proposition et à l'introduire dans son rapport. M. Dechamps, Ministre des Travaux Publics et représentant d'un district du Hainaut, tenta d'obtenir un ajournement : les autres représentants de cette province soutinrent, avec beaucoup de talent, ce principe : « Ce qui est bon à prendre, est bon à garder. » Rien n'y fit. Grâce à l'insistance du rapporteur et malgré l'opposition d'inertie du cabinet tout entier, la proposition de disjoindre la question de reprise du présent budget fut écartée, mais seulement par parité de voix, 39 contre 39. Sur la proposition de M. d'Huart, la Chambre avait décidé à une grande majorité, au premier vote, que la reprise serait immédiate, mais que le revenu du canal ne serait ôté à la province, qu'en quatre années et par quarts. M. Nothomb, cédant sans doute aux prières de MM. Dechamps et Goblet tenant leur mandat du Hainaut, tâcha de rendre l'application de la reprise moins dure pour cette province, puisque le principe lui-même semblait ne plus pouvoir être repoussé avec succès. Voici l'amendement de M. le Ministre de l'Intérieur :
« A partir du 1er janvier 1844, l'État reprend l'administration du canal de Mons, ainsi que de la Trouille et de la Haine en abandonnant toutefois à la province :
« En 1844, la totalité des droits de navigation, après déduction de 50,000 francs, somme présumée nécessaire à l'administration du canal :
« En 1845, les neuf dixièmes,
« - 1846, les huit -
« - 1847, les sept -
« - 1848, les six -
« - 1849, les cinq -
« - 1850, les quatre -
« - 1851, les trois -
« - 1852, les deux -
« - 1853, le dixième du même droit de navigation, (page 83) perçus dans l'année, chaque fois après déduction de la somme de 50,000 francs. »
Cette proposition fut admise par 40 voix contre 38 (Moniteur de 1843, n°347, 349). Ainsi fut tranchée, malgré le ministère, pour ainsi dire, une question juste au fond et dont la solution intéressait, au plus haut point, les recettes du Trésor public.
Dans la discussion du budget de la Dette publique, M. Rogier développa le système, déjà émis par lui, de la création de bons du Trésor, dans une certaine proportion et ne portant pas intérêt. Si le public accepte avec confiance les banknotes des banques particulières, pourquoi ne prendrait-il pas aussi de pareils billets, émis par l'État, présentant des garanties autrement solides que celles que peuvent offrir des établissements privés ? Sans faire de proposition formelle et en reconnaissant qu'une telle mesure devait venir de l'initiative du Gouvernement, l'honorable membre demandait comment on avait la « bonhomie » de porter au budget des sommes considérables, pour intérêts de la dette flottante, alors qu'on pouvait diminuer ces sommes, dans une certaine mesure, par l'émission de quelques millions de bank-notes gouvernementales, sans intérêts. M. Devaux démontra que ce système, avantageusement suivi en Prusse, en Autriche, en Russie et en d'autres pays, pourrait être profitable à la Belgique (Note de bas de page : Un journal de janvier 1856 contient l'extrait suivant : « On assure que M. James Wilson, secrétaire du Trésor, a présenté un plan financier qui a obtenu l'approbation du Gouvernement. Il s'agit d'émettre 20 millions sterling en billets d'une livre non remboursables, mais qui seront reçus dans toutes les caisses de l'État. Ce sera en réalité un emprunt sans intérêt. Les billets seront remboursables en or après un certain délai. » (« Dispatch », january 1856.)) Jamais cette idée n'a été admise, chez nous, qu'indirectement, par la création de la Banque nationale. La circulation des billets de cet établissement, qui en 1855 s’élevait à près de (page 84) 100 millions de francs, ne profite qu'à ses actionnaires. Peut-être aurait-il été facile de trouver, dans cette émission, un certain montant au profit de l'Etat, qui aurait permis de diminuer ainsi une partie de la dette flottante portant intérêt. II en est des idées nouvelles, comme du bon grain de l'Evangile : quand elles sont émises, une partie est enlevée par le vent des préoccupations politiques ; une autre partie se dessèche, sur le roc aride des intérêts personnels ou associés (Moniteur de 1843, n°350, 351).
Au budget de la Justice, des critiques très fondées furent faites sur la création de nouvelles succursales, sans que les arrêtés d'érection eussent été publiés. M. Van Volxem, précédent Ministre de la Justice, avait érigé, de cette manière, 351 succursales nouvelles. Quand les besoins du culte commandent de pareilles mesures, il faut les prendre, sans aucun doute : mais, dans ce cas, le moins que puisse faire le chef du Département, c'est de publier l'acte d'établissement. Sans cela, il n'y aurait plus de contrôle possible par le Parlement, car on pourrait imputer les dépenses qui en résultent, sur les crédits globaux et masquer ainsi des abus pratiqués. C'est la marche irrégulière qu'on avait suivie et qui fut blâmée, à juste titre.
Mais ce fut le budget de l'Intérieur qui donna lieu, plus qu'aucun autre, et cela se comprend, à des débats politiques. La manœuvre exécutée lors du dernier changement ministériel, la manière dont le chef du cabinet pratiquait le pouvoir, tels furent les principaux griefs de l'opposition. M. Osy ouvrit le feu ; voici le jugement qu'il porta sur M. Nothomb : « Il s'est laissé entraîner par une partie de la Chambre, et s'est associé à des lois que je dois malheureusement continuer à appeler réactionnaires. Je ne sais s'il ne s'en repent pas aujourd'hui… Il a le talent de se mettre très mal avec la gauche et je ne pense pas qu'il se soit fait beaucoup d'amis (page 85) parmi la droite et si ce parti l'estime davantage, voyant, comme nous, que ce ministère tâche seulement de se jeter dans les bras du parti qu'il croit le plus fort. Ainsi donc, homme sans principes politiques, ayant seulement l'ambition de se soutenir à tout prix. Le rôle de bascule, dans un pays comme le nôtre, ne peut pas durer longtemps et si, pendant les trois ans qu'il a passés au pouvoir, il a montré du talent, je ne pense pas qu'il ait eu le talent de se faire aimer et d'inspirer la confiance. » Cette rude attaque n'était pas l'effet de la chaleur de l'improvisation ; c'était l'appréciation calme et réfléchie du cabinet ; le discours de l'honorable représentant d'Anvers était écrit. Le député financier jugeait la situation ministérielle avec la sévérité et le tact qu'il mettait à apprécier une situation commerciale. Le bilan de M. Nothomb lui prouvait que le système mixte marchait à la banqueroute. M. de Tornaco, appréciant le cabinet, au point de vue de sa composition mixte, disait : « Ce qui rend surtout notre tâche difficile, c'est la présence au banc des ministres d'hommes qui ont suivi une marche différente ; de telle sorte que le cabinet présente l'assemblage confus d'antécédents inconciliables. Il est réactionnaire par l'un de ses membres, l'âme du ministère précédent, âme passée d'un corps dans un autre, ceci dit sans blesser aucune susceptibilité ; il est constitutionnel ou libéral par un deuxième ; il est catholique ou rétrograde par un troisième. (Réclamations)... En dernière analyse, le ministère, pris dans son ensemble, n'est autre chose que l'expression de l'indifférence en matière politique, une négation de principes, et, si j'ose m'exprimer ainsi, un éteignoir de convictions. » (Moniteur de 1844, n°20).
Vingt députés des Flandres avaient déposé un amendement pour faire admettre au budget un subside de 200,000 francs (page 86) afin d'encourager l'industrie linière : cette proposition fut écartée par 54 voix contre 34 et 2 abstentions. Cette demande avait été faite par quelques membres désirant le progrès de cette industrie ; mais un grand nombre des signataires en étaient encore à vouloir trouver un soulagement au malaise, dans l'intervention des comités locaux, véritables distributeurs d'aumônes, au lieu d'être des instruments de perfectionnement. M. Nothomb, très roide quoique très menacé, repoussa la juste demande des premiers, peut-être à cause des inintelligentes tendances des seconds.
Une discussion fort longue et fort vive eut lieu sur l'orthographe flamande, adoptée par M. d'Anethan, par un arrêté du 1er janvier 1844, pour la traduction du Bulletin des Lois. MM. de Decker et l'abbé de Foere, peu d'accord sur la valeur de ce cadeau de nouvel an, échangèrent des paroles fort aigres. Pour le sujet, on aurait pu se croire à une séance de l'Académie ; pour la forme, on se rappelait l'ardeur des joutes scolastiques d'autrefois (Moniteur de 1844, n°21 à 37).
L'application des lois d'enseignement fut aussi sévèrement appréciée. En un mot, le budget de l'Intérieur fut longuement discuté et ne fut admis que par 59 voix contre 17 et 6 abstentions (Moniteur de 1844, n°20 à 28). Ces dernières étaient motivées sur la non-confiance qu'inspirait la présence de M. Nothomb à la tête du cabinet. Dans sa défense, ce ministre se montra fort et habile ; mais sa force de résistance résidait plutôt en lui-même que dans sa majorité : rudement attaqué par ses adversaires, il fut mollement défendu par ses partisans (Note de bas de page : A propos de l'augmentation du crédit pour les fonctionnaires du Département de l'Intérieur, M. Nothomb produisit l'état suivant « des pièces entrées et sorties » des bureaux de 1830 à 1842.. On peut remarquer, par les entrées et les sorties de 1841 et 1842, les progrès de la « paperasserie »).(Note du webmaster : cet état n’est pas repris dans la présente version numérisée)
Le budget des Travaux Publics ne fut marqué par aucun incident notable. Comme d'habitude, la discussion, fort longue du reste, roula sur le mode d'exploitation du chemin de fer, sur la convention faite avec la société du chemin de fer (page 87) rhénan, sur la répartition des subsides pour travaux d'utilité publique, sur les péages à percevoir pour le parcours des voies navigables. Le nouveau Ministre, M. Dechamps, le défendit avec une parfaite connaissance des affaires et un remarquable talent de discussion.
Éternel embarras des discussions législatives, principale source de nos déficit financiers, le budget de la Guerre, pour l'exercice 1844, ne put être discuté dans la présente session. On attendait le rapport sur l'organisation définitive de l'armée : pas si définitive, cependant, qu'elle ne fût révisée et malheureusement au détriment du Trésor public. On eut donc recours, cette fois encore, au vote successif de crédits (page 88) provisoires et globaux, qui finirent par élever cette catégorie de dépense au chiffre total de 28,130,000 francs.
Pendant la discussion des budgets, deux incidents se présentèrent : ils nous paraissent devoir être mentionnés.
L'art. 27 du règlement de la Chambre ne détermine pas le mode d'opérer les appels nominaux. Dans la pratique, on commençait, chaque fois, par la lettre A ; il en résultait que les mêmes membres étaient toujours appelés à se prononcer les premiers sur les questions, et d'autres membres toujours les derniers. Or, comme le vote se fait à haute voix, les derniers connaissaient souvent de quel côté était la majorité, au moment où ils émettaient leur vote. Afin de rendre cette chance égale pour tous, il fut décidé que : « chaque jour, avant de procéder au premier vote par appel nominal, on tirera au sort le nom du membre par lequel on commencera cet appel ; si d'autres appels nominaux ont lieu dans la même séance, ils se feront de la même manière. » (Disposition additionnelle à l'art. 27 du règlement de la Chambre des Représentants, adoptée en séance du 21 décembre 1843. Moniteur de 1843, n° 356, et Manuel parlementaire, supplément, p. 1).
L'autre incident était relatif aux indemnités ou jetons de présence accordés par les ministres à des représentants, membres de commissions consultatives, instituées près de divers Départements. Cette question était soulevée à propos d'un crédit demandé pour l'indemnité des membres de la commission de liquidation : elle se rattachait très directement à l'art. 36 de la Constitution ainsi conçu : « Le membre de l'une ou de l'autre des deux Chambres nommé par le Gouvernement à un emploi salarié, qu'il accepte, cesse immédiatement de siéger. » La morale de la présente discussion fut, que le Gouvernement doit être très sobre à allouer de pareilles indemnités, les représentants très réservés à les accepter. M. van den Eynde, magistrat-représentant et M. Malou, fonctionnaire (page 89) représentant, membres de la commission de liquidation et habitant Bruxelles, furent amenés, par la discussion, à déclarer ne pas vouloir être compris dans cet état d'émargement. A notre sens, de pareils émoluments, en tant qu'ils concernent des membres des deux Chambres, ne pourraient être considérés que comme le remboursement des frais de déplacement et de séjour, hors du temps des sessions et pour ceux seulement qui n'habitent pas le lieu où se réunissent les commissions consultatives. Cette question, constitutionnelle pour le fond et de délicatesse pour chaque membre de la Législature, n'a pas toujours été et n'est pas encore décidée conformément aux vrais principes. Les ministres devraient assez respecter la dignité parlementaire pour ne pas offrir, et les législateurs estimer assez haut leur propre position, pour ne pas accepter des indemnités, proscrites par l'esprit de notre Constitution (Voir Moniteur de 1844, n°44 et 64, les discussions sur ces indemnités, et n° 320 de la même année, un débat incident sur cette question).
Cette question des indemnités se rattachait aussi à celle des abus du cumul, contre lesquels le § 8° de l'art. 139 de la Constitution prescrit qu'il soit promptement pourvu, par une loi séparée. Dans la séance du 13 mars 1844, M. de Garcia appela, sur ce point, l'attention de la Chambre. Cet examen, déclaré urgent par le Congrès, fut alors écarté et n'a pas été repris depuis.
M. Vanderbelen, représentant de Louvain avait donné sa démission : M. Angillis, représentant de Courtrai, était décédé. M. le baron d'Anethan, qui remplaça le premier, apportait ainsi une voix de majorité de plus au cabinet, dont il faisait partie. M. l'abbé de Haerne, après onze années d'éloignement de la Chambre, y remplaçait le second, qu'il n'était point parvenu à évincer. M. du Bus aîné, naguère repoussé à Tournai, rentrait par Turnhout. Cet homme éminent ne prit plus une (page 90) part aussi active aux débats. Le cœur humain est ainsi fait que de nouveaux succès ne remplissent pas toujours le vide, qu'y ont opéré des illusions perdues.
L'écart chaque jour plus grand entre nos ressources et nos dépenses, et, par suite, l'élévation de notre dette flottante appelaient la sérieuse attention du Gouvernement et des Chambres. Depuis quelque temps déjà, la conversion d'une partie de notre dette inscrite était signalée comme remède à cette position doublement dangereuse. La solidité de notre crédit et le calme des circonstances permettaient d'y avoir recours. Dans la séance du 27 février 1844, le Gouvernement déposa un projet autorisant la conversion et l'emprunt. La Chambre décida la disjonction de cette demande : il en résulta deux lois, qui, après une certaine discussion de détail plutôt que de principe, furent adoptées à la presque unanimité des deux assemblées.
Par la première loi, celle de la conversion, le Gouvernement fut autorisé à effectuer le remboursement au pair des titres non encore amortis et des inscriptions nominatives : 1° de l'emprunt de 100,800,000 francs à l'intérêt de 5 p. c, contracté en vertu de la loi du 16 décembre 1831 ; 2° de l'emprunt de fr. 1,481,481-48, émis en vertu de l'arrêté royal du 21 mai 1829, pour l'érection de l'entrepôt d'Anvers.
Le Gouvernement était, en outre, autorisé à convertir en dette consolidée une valeur effective de dix millions de la dette flottante, à un taux de pair net et en obligations de 4 1/2 p. c. (Loi du 21 mars 1844. Moniteur de 1844, n°59 à 81.)
Par la seconde loi, celle de l'emprunt, le Gouvernement était autorisé à ouvrir un emprunt de 84,656,000 francs, pour effectuer le rachat du capital de 80,000,000 florins à 2 1/2 p. c., dont il est fait mention au n°7 de l'art. 63 du traité du (page 91) 5 novembre 1842. M. Castiau avait proposé d'ouvrir l'emprunt avec concurrence et publicité et de préférence par souscription ouverte au public. Le Gouvernement demanda à ne pas être lié. La proposition fut écartée. On n'osa pas inscrire, à cette époque, dans la loi, un mode d'emprunt suivi depuis avec tant de succès, non seulement en Belgique, mais chez d'autres nations et pour des sommes, toute proportion gardée, autrement importantes (Loi du 22 mars 1844. Moniteur de 1844, n°59 à 82). Dans cette discussion, on parla de l'influence, sur l'état du crédit public, des crises politiques ou financières. M. Cogels signala cette périodicité, en ces termes : « Depuis 29 ans que je m'occupe d'affaires de finances, j'ai vu sept crises, qui auraient rendu impossible la conclusion d'un emprunt. Nous avons eu :
« 1° La grande crise de 1815 ;
« 2° La crise de 1818 ;
« 3° La crise de 1825 ;
« 4° La crise de 1830 ;
« 5° La crise américaine de 1837 ;
« 6° La crise politique de 1838 à 1839 ;
« 7° La crise du traité de 1839. »
Les Chambres adoptèrent une loi interprétant l'art. 334 du Code pénal. Les discussions eurent lieu en comité secret : l'objet en délibération autorisait cette réserve, puisqu'il s'agissait d'attentat aux mœurs et d'excitation à la débauche ou à la corruption des jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, au-dessous de 21 ans. Cette loi ne pourra pas être invoquée, dans l'avenir, comme un monument de la moralité de notre époque (Loi du 31 mars 1844).
Les Chambres admirent, sans grande contestation, une loi assujettissant à un droit d'enregistrement fixe (sans (page 92) additionnels) de 500 francs, la naturalisation ordinaire, et de 1,000 francs la grande naturalisation (Loi du 15 février 1844. Moniteur de 1844, n°31 à 42).
A propos de ce projet, il s'éleva, au Sénat, une discussion sur l'opportunité de prélever également un droit sur l'enregistrement des titres de noblesse. Un membre de la commission avait formulé un projet de loi, tendant à ce but. Le rapport s'exprimait ainsi :
« Un membre avait rédigé un projet qui pouvait être ajouté, comme amendement, à la loi qui vous est soumise.
« Ce projet le voici :
« Art. 1er. Les lettres patentes, conférant purement et simplement la noblesse, sont soumises à un droit fixe d'enregistrement (sans additionnels) de 1,000 francs.
« Les mêmes lettres, conférant le titre héréditaire de chevalier, à un droit de 2,000 francs ;
« Celles conférant le titre de baron, à un droit de 3,000 francs ;
« Celles conférant le titre de vicomte, à un droit de 4,000 francs ;
« Celles conférant le titre de comte, à un droit de 5,000 francs ;
« Celles conférant le titre de marquis, à un droit de 5,000 francs ;
« Celles conférant le titre de duc ou de prince, à un droit de 20,000 francs.
« Art. 2. Les lettres patentes conférant, aux personnes déjà nobles, un titre plus élevé dans la hiérarchie nobiliaire, sont soumises à un droit, égal au chiffre de la différence du droit ci-dessus fixé pour le titre que possède le titulaire au droit fixé pour le nouveau titre qu'il obtient.
« Art. 3. Les lettres patentes confirmant des titres conférés (page 93) par un souverain étranger seront soumises à un droit double de ceux indiqués aux deux articles précédents.
« Art. 4. Les arrêtés royaux donnant autorisation d'accepter et de porter des décorations d'ordres étrangers sont soumis à un droit fixe (sans additionnels) de 1,000 francs.
« Toutefois, le Gouvernement est autorisé à dispenser du droit fixé par cet article, les Belges qui ont été décorés pour « services militaires rendus à l'étranger, avec l'autorisation du Roi, les savants, les hommes de lettres et les artistes, qui font connaître et honorer le nom belge au dehors. »
« Votre commission a été unanime pour donner son entier assentiment aux dispositions qui précèdent : si elle n'a pas cru devoir les formuler en loi, c'est qu'elle a pensé qu'il était plus convenable que la Législature en fût saisie par l'initiative du Gouvernement. » (Moniteur de 1844, n° 39, Rapport ; n°41-42, Discussions).
Certes, c'était là une bonne idée ; c'était ouvrir la source d'un revenu nouveau à prélever sur la vanité, capable de payer ses caprices ; et en épargnant le mérite incontestable, peu en état de supporter les frais de distinctions bien méritées. Mais la commission se trompait, quand elle pensait qu'elle pouvait formuler une telle loi. Le Sénat n'a pas l'initiative d'une loi de recette dût même celle-ci s'accomplir à ses dépens et à celle de ses pairs (Constitution. Art. 27, § 2 : « Néanmoins, toute loi relative aux recettes doit d'abord être votée par la Chambre des Représentants. »). Si l'assemblée était entrée, comme sa commission pensait qu'elle était en droit de le faire, dans cette voie inconstitutionnelle, elle se fût attiré ce soupçon, qu'elle était plus empressée à rançonner les intrus, que soucieuse de se tenir strictement dans ses prérogatives.
La loi organique de l'enseignement supérieur du 27 septembre 1835, n'avait pas tranché, d'une manière définitive, la question importante du mode de nomination des membres du (page 94) jury d'examen. L'enseignement libre supérieur venait seulement de se poser en face de l'enseignement supérieur de l'État : c'est l'infirmité de l'enfance d'être craintive ; c'est le vice de la concurrence d'être jalouse. Après qu'on eut résolu, à une voix de majorité seulement (42 contre 41), que les Chambres interviendraient dans cette nomination, voici le système admis, à cette époque, provisoirement et pour trois ans : « Deux membres de chaque jury sont désignés par la Chambre, deux par le Sénat, trois par le Gouvernement. » Des lois spéciales avaient successivement prolongé ce provisoire. M. Nothomb, partisan du pouvoir fort, mal instruit des dispositions d'un de ses collègues, désireux peut-être, après le résultat des élections, de donner une fois satisfaction à la gauche, comme il avait si souvent donné satisfaction à la droite, vint demander que la nomination des jurys d'examen fût confiée au Roi. Triste désillusion ! M. le Ministre de l'Intérieur voulait gouverner par une majorité mixte ; or, cette fois, non seulement il ne la trouva pas dans la Chambre, mais le mixte, qui était la raison d'être du cabinet, ne se rencontra plus même dans son sein. Disons deux mots de cet incident.
Dès le dépôt du projet, M. de Mérode, toujours effrayé des crises ministérielles, parce qu'il avait été souvent le personnage complaisant et désintéressé des interrègnes, interpella le chef du cabinet, pour savoir si la question de confiance serait posée. M. Nothomb, peu soucieux d'affronter les éventualités de chute, parce qu'il savait combien les chances de se relever sont difficiles, avait répondu que non ; il avait ajouté : « Nous nous adressons librement à toutes les intelligences et nous espérons que toutes les intelligences accepteront librement cet appel.» En ouvrant le débat actuel, M. le Ministre de l'Intérieur rappela cet incident et, en répétant textuellement ces paroles, il ajouta : « C'est avec la même confiance qu'aujourd'hui nous vous rappelons cet appel. » Le premier qui fit usage de cette liberté, fut M. Dechamps, le collègue-ministre (page 95) de M. Nothomb : au début de la discussion, il quitta le banc ministériel et alla s'asseoir à côté de ses amis de la droite. Avait-il fait opposition à la présentation de ce projet : se séparait-il définitivement de ses collègues du cabinet? Questions indiscrètes, auxquelles l'ex-ministre des Travaux publics fit une réponse, digne d'un futur ministre des Affaires étrangères. Après le rejet du système du Gouvernement, après l'adoption du système de ses amis, M. Dechamps termina sa fugue passagère par une rentrée au bercail ministériel. Ce n'était point une étoile qui file, c'était un astre qui se voile momentanément. La bouderie avec ses collègues n'avait pas amené de divorce : elle se termina, comme se terminent les petites brouilles de ménage, qui ne sont qu'une halte dans l'attachement conjugal, une occasion à de nouvelles tendresses. Personne plus que nous n'admire le beau talent de M. Dechamps, mais nous le disons, parce que c'est le devoir de tout écrivain de ne pas reculer devant l'expression même pénible de sa pensée, c'était là un acte peu sérieux et peu digne, une pratique parlementaire sans précédents et heureusement sans imitation.
La discussion fut longue et vive : on n'en sortit qu'en posant des questions de principe, dont voici la solution :
1° Le mode de nomination, arrêté par la Chambre, serait-il provisoire et pour quatre ans? 86 membres disent oui, 1 non, 1 s'abstient ;
2° Remettra-t-on au Roi cette nomination? 42 répondent oui, 49 non, 1 s'abstient ;
3° La Chambre interviendra-t-elle dans cette nomination? 49 se prononcent pour l'affirmative, 40 pour la négative, 2 s'abstiennent.
Singulière contradiction ! la Chambre qui s'était réservé une intervention, dans la nomination du jury, ne put, cette fois, mettre en action sa prérogative. Pressée par le temps et par l'approche des vacances de Pâques, elle admit, comme (page 96) disposition transitoire, cet article : Les pouvoirs du jury de 1843 sont prorogés pour la première session de 1844.
Cette fière tentative aboutit à l'adoption de l'ancien système (Loi du 8 avril 1844, adoptée, à la Chambre, par 56 voix contre 33, et 2 abstentions ; au Sénat, par 23 voix contre 12. Moniteur de 1844, n°86-92, 95-97).
M. Nothomb comptait, en présentant son projet, sur un triomphe ; il éprouva un échec. Avant la discussion, il se croyait assuré de l'appui de M. Dechamps et celui-ci, effrayé des reproches de ses amis politiques, abandonnait son collègue dans une situation dont il ne l'avait pas détourné, et pour laquelle il lui avait peut-être promis son concours, dans le principe. Un moment, M. le Ministre de l'Intérieur eût pu avoir l'idée de se jeter dans les bras de la gauche ; mais ces bras lui seraient-ils franchement ouverts, après tant de griefs posés par lui, après tant de reproches articulés par elle ? D'ailleurs les démonstrations et les démarches de la droite devinrent menaçantes : il ne resta plus à M. Nothomb qu'à préparer, de ses propres mains, la ruine de son œuvre. On lui reprocha, - et le fait passa pour constant à la Chambre,- d'avoir engagé quelques représentants-fonctionnaires à voter contre son projet.
Au début de la discussion, M. le Ministre de l'Intérieur avait dit : « Une question est restée non résolue ; elle vient aujourd'hui nous arrêter au milieu d'une session que nous aurions voulu consacrer tout entière aux intérêts matériels. J'espère que ce sera un incident et non une catastrophe. (Mouvement.) » Or, le résultat de la discussion et du vote fut doublement malheureux pour M. Nothomb. D'abord, il rompait la dernière planche qui eût pu le faire passer, ou du moins incliner, vers la gauche : ensuite, il cessait d'être, pour la droite, le chef du cabinet. Il échoua, sans tomber ; puisqu'il n'avait pas posé la question de cabinet. S'il en avait jamais (page 97) douté, il devait voir clairement, en ce moment, que sa destinée était de suppléer par la complaisance à la foi politique absente et qu'il devait satisfaire incessamment le parti catholique, sous peine de se voir abandonné et proscrit par lui. Longtemps cette dépendance avait été couverte par l'éclat du succès ; vaincu aujourd'hui aux yeux de tous, il ne pouvait plus abriter sa sujétion derrière sa vanité satisfaite.
M. Dechamps avait seul conservé, au prix d'un grand sacrifice, la confiance de son parti ; seul, il avait consolidé et agrandi sa position dans le cabinet, où il fit bientôt sa rentrée par une courbe, adroite du moins, si elle n'était pas digne.
Au fond, l'intervention des Chambres, en cette matière, nous semble contraire à tous les principes. La nomination des jurys d'examen est un acte administratif, qu'il est mauvais d'abandonner, même en partie, au pouvoir législatif, puisqu'il n'est pas de son ressort ; qu'il est inutile de lui laisser, puisque la bonne exécution de cet acte est suffisamment garantie par la responsabilité ministérielle, toujours en présence du contrôle et même de la répression de la Chambre. Mais cette intervention des Chambres était en outre condamnée par l'expérience et par la pratique. Grâce au scrutin secret, c'est-à-dire, à l'irresponsabilité absolue, les nominations successives, faites par les Chambres, étaient entachées d'une scandaleuse partialité. Ainsi, il arrivait souvent que la majorité nommait comme jurés effectifs, les professeurs des universités de l'État les moins capables ; comme suppléants, les professeurs les plus capables. Le Gouvernement, pour rétablir quelque peu l'équilibre, était obligé de désigner ces suppléants comme titulaires de son choix, laissant ainsi la liste parlementaire incomplète. Ce fait a été articulé à la tribune et point démenti, pas même excusé : l'un comme l'autre était impossible. Dans un vigoureux discours, en faveur du système ancien, M. Ch. Vilain XIIII faisait, avec sa franchise habituelle, ce terrible aveu : « Je n'hésite pas à le dire, si les chambres eussent eu seules le (page 98) droit de nomination, ces choix seraient déplorables, ils seraient entachés de la plus révoltante partialité : mais en faisant ce choix, les Chambres savaient que le Gouvernement était là pour rétablir l'équilibre. » (Séance du 25 mars 1844.) Ainsi, on préférait le système morbide et malfaisant, parce que le Gouvernement pouvait y apporter remède et tempérament. Ne valait-il pas mieux, dès lors, adopter d'emblée le système salutaire et régulier, où l'impartialité pouvait être introduite a priori ?
D'ailleurs, si, comme on le prétendait, on ne se fiait pas au Gouvernement pour la collation des grades, il fallait aller plus loin et lui ôter la collation des places. Un ministre pourrait tolérer qu'on demande à l'élève : « d'où venez-vous? » avant qu'on le crée docteur : mais ce même ministre pourrait aussi demander lui-même au docteur : « d'où venez-vous ? » avant de le nommer juge, substitut, greffier. Si vous ne voulez pas qu'un ministre partial empêche le germe de devenir fleur, faites encore qu'il ne puisse pas empêcher la fleur de devenir fruit. L'une tentative d'avortement est plus facile, et ne serait pas moins coupable que l'autre. Les lois sur l'enseignement et sur la charité ont été et seront pour tout ministère une Charybde et une Scylla. Tant qu'il y aura un régime représentatif, en Belgique, ces écueils subsisteront.
Le principe de la rémunération des longs et loyaux services des fonctionnaires de l'État est si juste, qu'il est admis dans tous les gouvernements bien organisés. Il était déjà réglé en France, par le décret de 1790 de l'assemblée constituante. Chez nous, l'intérêt d'une bonne administration le réclamait et il était admis ou prévu par des dispositions constitutionnelles ou législatives. Les règlements-arrêtés de 1822 avaient institué une caisse de retraite pour l'administration des Finances. L'art. 117 de la Constitution porte : « Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat ; les sommes nécessaires pour y faire face sont (page 99) annuellement portées au budget. » La loi du mois d'août 1832, pour l'organisation judiciaire, dit : « Les pensions des magistrats seront liquidées d'après l'arrêté-loi de 1814. » La loi de 1835, sur l'enseignement supérieur, prescrit : « Art. 70. « Les pensions du corps enseignant seront liquidées conformément à l'arrêté de 1816. » Le droit n'était donc pas contestable. Mais, autant on était d'accord sur la question d'équité, autant on variait sur son mode d'application, sur sa formule. Un projet, présenté le 10 février 1838, tendait à la résoudre : en 1841 et après de longs débats, il fut, comme nous l'avons mentionné, rejeté par 39 voix contre 34 (Tome I, livre VI, p. 354). Le projet actuel était comme le fruit éclos de ces discussions préliminaires. Cette fois encore, il fut vivement discuté et ne fut admis qu'après dix séances.
Plusieurs questions se présentaient. Faut-il se borner à assurer le sort des fonctionnaires vieux et infirmes ; ou faut-il aussi étendre la sollicitude du Gouvernement sur les veuves et les enfants mineurs des serviteurs de l'Etat ? En supposant la solution affirmative, la rémunération sera-t-elle prise, pour l'une comme pour l'autre catégorie, sur des caisses, alimentées par des retenues et subsidiées par le Trésor, comme en 1822 ? Sera-t-elle accordée directement par l'État, moyennant des retenues versées au Trésor, comme le proposait le projet de 1838 ? Ou enfin, y aura-t-il rémunération directe des fonctionnaires sur le Trésor et institution de caisses pour veuves et orphelins, alimentées par des retenues et non subsidiées ? Le premier système était condamné par la pratique, puisque la caisse de l'administration des Finances était obérée. Le second système avait été jugé trop onéreux pour l'Etat, dans la discussion précédente de 1841. Le troisième système semblait concilier les intérêts du Trésor, des fonctionnaires et de leur famille. C'est ce dernier mode qui (page 100) prévalut. Il assurait le sort des fonctionnaires par une rémunération directe, fournie sur les fonds de l'État : il venait en aide à leurs veuves et orphelins mineurs, par la formation de caisses, alimentées par des retenues ; sortes de tontines et d'assurances mutuelles, devant se suffire à elles-mêmes et sans autre garantie du Gouvernement que celle d'une bonne gestion. Voici les principales dispositions de la loi adoptée. Les magistrats, fonctionnaires et employés, faisant partie de l'administration générale et rétribués par le trésor public, pourront être admis à la pension à soixante-cinq ans d'âge, après trente années de service : il suffit de cinquante-cinq ans d'âge et de vingt-cinq ans de service, pour les fonctionnaires qui auront passé au moins vingt ans dans le service actif (douane, marine, etc.). Il y a droit à la pension, après dix ans de service, en cas d'infirmités ; et quelle que soit la durée de service, pour incapacité par suite de blessures reçues ou d'accidents survenus dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions. Les pensions sont généralement liquidées à raison, pour chaque année de service, de un soixantième de la moyenne du traitement des cinq dernières années et de un cinquantième pour le service actif. La pension ne peut excéder les trois quarts du traitement, ni une somme de 6,000 francs (Note de bas de page : Ce maximum a été abaissé au chiffre de 5,000 francs, par la loi du 17 février 1849) et de 4,000 francs pour les comptables. La loi fixe aussi les pensions d'éméritat des professeurs des universités de l'Etat et les pensions des membres du clergé dont le sort avait été jusqu'alors si précaire. Elle institue des caisses de pensions au profit des veuves et des orphelins : elle prévoit des cas de déchéance. Les pensions ou les quartiers ne peuvent être saisis et ne sont cessibles que jusqu'à concurrence d'un cinquième pour dette envers le trésor public et d'un tiers pour les causes exprimées aux articles 203, 205 et 214 du Code civil. Ces (page 101) dispositions étaient trop justes, pour n'être pas adoptées (Loi du 21 juillet 1844, adoptée, à la Chambre, par 58 voix contre 14 ; au Sénat, par 27 voix contre 7. Moniteur de 1844, n°68, 73 à 83, 192 à 195).
On venait de se montrer reconnaissant et généreux pour les services même les plus modestes : on ne pouvait pas rester ingrat et avare pour les services les plus élevés. Comme le disait M. Dumortier : « Quand on donne des pensions aux postillons, ceux qui tiennent les rênes de l'État peuvent bien en avoir une » ; c'était l'égalité, devant la loi, pour tous les Automédons. Le projet, dont nous venons de mentionner l'adoption, renfermait des dispositions relatives aux pensions ministérielles ; elles en furent détachées, pour faire l'objet d'une discussion et d'une loi spéciales.
Le fonctionnaire ordinaire pourrait, au besoin, se former sa pension à soi-même par l'épargne, puisqu'il conserve longtemps un traitement, qui souvent va grandissant. Le ministre, au contraire, ne fait, la plupart du temps, que passer par son Département ; il n'y jouit que d'un traitement modeste et réduit encore par les frais de représentation ; il peut avoir quitté des fonctions lucratives, en arrivant au pouvoir, et ne plus être à même de les reprendre, à sa sortie. L'idée de rémunérer les services ministériels, comme celle d'indemniser le mandat de représentant, est une idée profondément démocratique. Dans l'un comme dans l'autre cas, c'est ouvrir les portes du pouvoir et du Parlement aux hommes de fortune modeste, aux fils de leurs œuvres. Dans notre heureuse Belgique, presque tous nos ministres sont sortis de la classe de la bourgeoisie ; modernes chevaliers, qui ont dû gagner leurs éperons, dans les combats parlementaires. Au moment, où le projet fut discuté, il y avait encore un argument, que la loi des incompatibilités est venue à faire tomber, c'est celui-ci. Un représentant-fonctionnaire est, par conviction, dans l'opposition : (page 102) consciencieusement et sans idée d'ambition, il fait tomber un cabinet sous ses discours et sous son vote ; le pouvoir lui est offert. Il est obligé rigoureusement, constitutionnellement d'accepter un portefeuille ; il ne peut ou ne veut laisser sa place ouverte et il n'aura pas l'occasion d'en reprendre une autre. C'est ce qui a failli arriver à M. de Bavay, qui avait quitté presque forcément le poste de secrétaire général des Travaux publics et qu'on eut beaucoup de peine à caser après sa sortie du ministère. Doit-on laisser un tel sacrifice sans récompense? Il existait, d'ailleurs, en faveur de cette loi, une raison spéciale et pour ainsi dire personnelle. Des hommes avaient présidé à l'établissement de notre émancipation et de notre indépendance politiques : ils avaient tenu, plusieurs fois, des portefeuilles, dans des temps difficiles, mais aussi favorables aux abus ; et ils avaient eu l'insigne honneur de sortir du pouvoir pauvres ou avec une modeste fortune, comme ils y étaient entrés. Il n'y avait qu'une voix, pour acquitter, à leur égard, une dette qu'on pouvait nommer nationale et patriotique. La loi était, suivant l'expression spirituelle de M. Malou, « une lettre écrite sans adresse, mais on savait où elle devait aller. »
Dans la séance du 18 mars 1844 (Moniteur de 1844, n°79, supplément), vingt-quatre membres avaient déposé un amendement, consacrant le principe d'une pension de 4,000 francs, pour tout chef de Département, qui depuis 1830 comptera deux années de fonctions ministérielles. Mais ici encore, en ouvrant la porte au droit, il fallait la fermer à l'abus. C'est pourquoi les membres de la Chambre, assez d'accord pour liquider le passé, s'entendaient fort peu pour régler l'avenir : prêts à rémunérer des services connus, ils hésitaient à reconnaître des titres présumés, illégitimes peut-être.
Le principe de la pension ministérielle admis, nous (page 103) concevons trois manières de l'appliquer. Le premier système - ce serait le meilleur, pensons-nous, consisterait dans l'augmentation assez notable du traitement ; laissant ainsi chaque ministre se faire à lui-même sa pension ou son indemnité. Un chef de département reste-t-il longtemps au pouvoir, une plus grande épargne récompense de plus longs services. Il ne pourrait plus être accusé de se cramponner au portefeuille pour quelques mois de traitement ; et ainsi venait à tomber un des griefs sérieux élevés contre un autre système. Le second système, ce serait de régler chaque position, par une loi spéciale. On y objectait qu'après de fortes luttes, un ministre pouvait ne pas trouver de rémunérateurs dans ses vainqueurs et dans ses juges : comme si toute haine ne devait pas se refroidir devant toute tombe ! Une objection plus forte, c'est qu'il fallait, chaque fois, soulever une question personnelle : mais une jurisprudence pourrait se former ; une échelle équitable se fixer par l'usage. Le troisième système était celui de régler, à l'avance, la durée minima du service et le montant variable de la pension. C'est ici qu'on marchait vers l'inconnu et qu'en voulant récompenser l'ancien ministre, on n'arrivait parfois qu'à pensionner l'habile calculateur et le déhonté stratégiste.
Ce fut cependant ce dernier système qui prévalut, malgré des objections très sérieuses. C'est ce qui explique le grand nombre d'opposants à la loi, composé de membres qui ne voulaient pas donner un endossement en blanc, sans savoir à qui irait le billet, ni à quel payement il devait servir.
Les dispositions de cette loi sont celles-ci. Tout chef de département qui, depuis les événements de 1830, comptera deux années de fonctions ministérielles, aura droit à une pension de 4,000 francs. La pension sera augmentée de 500 francs pour chaque année ultérieure de fonctions ministérielles et pour chaque année antérieure ou ultérieure d'autres fonctions, de un soixantième du traitement qui leur est affecté. Elle ne pourra, en aucun cas, dépasser le maximum de (page 104) 6,000 francs. Le temps passé à la tête d'un département ministériel, à partir du 1er octobre 1830, sera compté triple pour la liquidation des pensions (Loi du 21 juillet 1844, adoptée, à la Chambre, par 44 voix contre 29, et 3 abstentions ; au Sénat, par 26 voix contre 7. Moniteur de 1844, n°79 à 83, 192, 194, 196).
Nous craignons d'être trop sévère, en signalant les abus qui pouvaient résulter et qui malheureusement sont sortis d'un pareil système. Laissons parler M. Malou, l'éloquent rapporteur de cette loi.
« Les ministres, vous dit enfin M. Dumortier, seront plus libres ; vous donnez un nouvel élément de dignité, de moralité politique.
« Les ministres seront plus libres … Et quelle sera donc la position d'un ministre qui sera en fonctions depuis un an et onze mois? Comment ! vous parlez du combat du père de famille et vous ne vous effrayez pas des conséquences que peut avoir ce combat, lorsque l'homme qui est au banc ministériel n'a plus que quelques semaines, quelques jours peut-être, pour prolonger son existence ministérielle, pour acquérir, à un âge peu avancé, pour lui et pour sa famille, un droit très important.
« Un homme, qui sera sur le point d'acquérir ce droit, sera-t-il libre? Sera-t-il dans la dignité nécessaire à toute personne qui veut honorablement exercer ces hautes fonctions ?
« La dignité du pouvoir, la dignité politique en général, où est-elle donc ? Je dis qu'elle est dans le désintéressement et qu'elle n'est que là. Si vous croyez augmenter la dignité des hommes, au moyen des dispositions qu'on vous propose, vous méconnaissez le caractère essentiel de la dignité politique ; elle n'est pas là, elle est dans le désintéressement. Je dis que ce qui doit porter aux fonctions ministérielles et y maintenir, c'est le dévouement, ce n'est pas l'espoir d'une pension quelconque (Moniteur de 1844, n°82).
« La dignité politique, comme la dignité privée, est précisément dans ce combat de l'intérêt et du devoir, glorieusement soutenu dans toutes les positions de la vie. La « dignité est précisément dans le sacrifice de l'intérêt, et si « vous supprimez cet élément de la dignité, vous la supprimez elle-même. Étrange dignité, en effet, qui doit pouvoir « se retirer dans une pension viagère de 4,000 francs !
« (…) Figurez-vous un homme, placé de cette manière entre son intérêt et son devoir ; la perspective de quelques mois de ministère de plus, qui lui assurent une forte pension ; figurez-vous les combats que cet homme aura à soutenir ; figurez-vous le sacrifice d'amour-propre qu'il faut savoir faire, pour descendre de ces bancs ; et se joignant à cela cet intérêt auquel certaines positions de fortune ( il fallait ajouter : et certaines tendances de caractère) peuvent donner une très grande, une irrésistible puissance. Que m'a-t-on répondu? Cela est très rare. Mais, au contraire, cela peut se réaliser tous les jours. L'intérêt du pays exige, par exemple, qu'une session, arrivée au milieu de son cours, continue, parce que d'importants travaux restent à faire ; mais le ministère sent que le terrain lui manque, et, pour rester six ou huit mois de plus aux affaires, il prononce la clôture de la session et il assure ainsi à ses membres des droits à la pension. On blâmera, on renversera ce ministère, dira-t-on sans doute, mais lorsque les Chambres reviendront, le ministère n'y sera plus. » (Moniteur de 1844, n°83).
Quel homme politique ne serait fier d'avoir énoncé ces belles et pures maximes, plus fier encore d'y avoir conformé ses actes ?
(page 106) Laissons la pensée de la péroraison, que nous venons de citer ; changeons quelques mots et nous verrons que la prophétie est devenue, - quant à ses effets du moins, - de l'histoire.
« L'intérêt du pays exige, par exemple, qu'une crise ministérielle se termine, parce qu'un ministère est irrévocablement tombé et qu'un autre ministère tout formé attend pour entrer : mais le ministère tombé prolonge cette crise et assure ainsi à un de ses membres des droits à la pension. On blâmera ce ministère, dira-t-on, sans doute ; mais lorsque les Chambres reviendront, le ministère n'y sera plus et un ministre sera pensionné. »
La loi des pensions ministérielles est née le 21 juillet 1844 ; elle est morte, en donnant son dernier fruit, pendant la crise de 1847 ; elle a été enterrée le 27 février 1849 (Voir, Annales parlementaires de 1848-1849, p. 340-501, discussion de la loi supprimant les pensions des ministres). Quand ressuscitera-t-elle d'entre les lois ensevelies ? Nul ne le sait et cependant c'est une loi qui a sa raison d'être et sa raison de revenir. Il est d'anciens ministres riches qui sont pensionnés : il en est sans ou avec peu de fortune qui ne le sont pas. Veut-on que ces derniers se contentent de cette position modeste et honorable, que l'on pourrait appeler aurea mediocritas, parce qu'elle est éclatante pour tous les yeux et exempte de tout alliage impur ?
Si, un jour, on rétablissait la loi des pensions ministérielles, ne faudrait-il pas y introduire une disposition dans ce sens : « Ne sera pas compté au ministre sortant le temps qu'il a passé au pouvoir, depuis sa démission donnée, si elle est acceptée ? » Il est reconnu, en effet, qu'un chef de Département ministériel démissionnaire n'est plus, depuis ce moment, un ministre, mais un administrateur intérimaire, ne faisant plus d'actes appartenant au pouvoir exécutif, que ceux qui (page 107) sont nécessaires pour assurer la marche du Gouvernement. S'il donne sa démission, c'est qu'il y a des motifs sérieux, parlementaires pour qu'il quitte le pouvoir, qu'il comprend ne plus lui appartenir constitutionnellement. C'est surtout le cas, lorsque, comme en 1847, il est tué, sur le coup, par le résultat d'une élection générale ou partielle, c'est-à-dire par le verdict du grand jury national. Dès ce moment, il n'est pas ébranlé, il est renversé, anéanti, et c'est ce qui explique les démissions immédiates qui suivent de pareilles catastrophes. En semblable circonstance, une crise ministérielle n'est pas un suicide, c'est une exécution.
La France a été gouvernée par des cardinaux (Richelieu, Mazarin, Dubois) ; l'Espagne aussi (Ximenès) ; la Belgique pas encore. Mais nous avons eu des abbés, ayant la prétention de perfectionner l'industrie et d'établir un système commercial parfait. S'ils étaient parvenus à le faire, il n'y aurait qu'à se louer de leur intervention. Quand le bien public se produit, peu importe quel en a été l'instrument, et personne, d'ailleurs, n'a le monopole du progrès, dans notre pays de libre discussion et de libre initiative.
Avec une persévérance consciencieuse et par conséquent digne d'un double éloge, en cas de réussite ; digne d'indulgence au moins, en cas d'insuccès, M. de Foere avait poursuivi l'établissement des droits différentiels. Œuvre de théoricien, plutôt que d'homme pratique, ce système, offert par un abbé, était repoussé par les défenseurs-nés du commerce et de l'industrie. Presque tous les sénateurs et les représentants de Gand, d'Anvers, de Liége et de Verviers avaient voté contre la loi ou s'étaient abstenus. Les véritables hommes du métier, les armateurs, ne voulaient pas du cadeau qu'on prétendait leur faire. Les ingrats traitaient de déception cette conquête de la toison d'or, qu'on leur imposait. Après le vote de la Chambre et avant le vote du sénat, la Chambre de commerce d'Anvers adressa une pétition à cette dernière assemblée : (page 108) ce document concluait ainsi : « Et comme les dispositions contre lesquelles nous venons protester sont d'une gravité telle à nos yeux... qu'elles compromettent l'avenir du commerce, nous venons vous déclarer franchement que le statu quo, tout défectueux qu'il est, nous semble néanmoins préférable au système commercial informe, qu'on veut inaugurer à sa place. » Cette pétition était appuyée par une adhésion de tous les négociants notables de notre métropole commerciale, qui terminaient leur requête par ces mots plus vifs encore, parce qu'ils étaient moins officiels : « Vous pèserez dans votre sagesse s'il est de l'intérêt du pays de sanctionner une loi que repoussent tous ceux qu'elle semble être destinée à protéger et à favoriser... Non ! cette loi ne peut avoir que des conséquences misérables, fatales, désastreuses !... » (Voir Moniteur de 1844, n°191, les deux pétitions et les noms des nombreux signataires).
Telles étaient les illusions, dont on avait su entourer le projet, qu'on eût pu croire que, après son adoption, Anvers allait égaler, en activité et d'un seul coup, Venise l'antique, Liverpool la moderne. La loi proclamée, non seulement le commerce devait revivre, mais l'industrie avec lui. Au bruit de cette bruyante fanfare le jour de la résurrection générale devait luire et la Belgique se transformer en une immense ruche, animée d'une incessante activité.
Si, au lieu de n'écouter que son imagination, M. l'abbé de Foere avait consulté sa mémoire, voici ce qu'il aurait trouvé. Télémaque, étonné du grand mouvement du port de Tyr, demande à Narbal quelle en était la cause. « Mais expliquez-moi, lui dis-je, les vrais moyens d'établir un jour à Ithaque un pareil commerce. - Faites comme on fait ici, me répond-il ; recevez bien, facilement tous les étrangers ; faites-leur trouver dans vos ports la sûreté, la commodité, la (page 109) liberté entière… Surtout, n'entreprenez jamais de gêner le commerce pour le tourner selon vos vues... Le commerce est comme certaines sources : si vous voulez détourner leur cours, elles se tarissent... » (Fénélon, Télémaque, livre III). Le grand Fénélon, étranger aussi aux affaires et vivant dans un siècle de protection, entrevoyait cependant clairement les bienfaits de la liberté du commerce. C'est que ces forts esprits, dans leur vol d'aigle, s'élèvent à une telle hauteur du domaine de l'intelligence, qu'ils découvrent un ensemble de vérités, qu'il n'est pas donné à tous d'apercevoir.
Le temps et les plans n'avaient pas, d'ailleurs, manqué à cette œuvre merveilleuse. Voici comment M. le conseiller Ranwet, annotateur de la Pasinomie, indique, avec son exactitude ordinaire, la marche de cette instruction minutieuse, les résultats de cette interminable discussion.
« Le 28 avril 1840, M. de Foere fit à la Chambre des Représentants une proposition ainsi conçue : « Je propose d'instituer une commission d'enquête qui aura pour objet : « 1° de rechercher les causes qui ont produit la situation fâcheuse dans laquelle se trouvent l'industrie et le commerce extérieur du pays ; 2° d'assigner les moyens les plus propres de remédier au mal, qui de tous les points de la Belgique est signalé ; 3° de présenter à la Chambre les bases du système commercial et naval qu'il conviendrait, dans l'industrie du pays, d'établir. »
« Cette proposition donna lieu à une discussion qui dura deux séances, elle fut prise en considération et renvoyée à l'examen des sections : M. Dechamps fut nommé rapporteur de la section centrale et déposa un rapport le 5 mai 1840. Voici quelles étaient ses conclusions : « Une commission d'enquête est chargée : 1° de s'enquérir de la situation actuelle du commerce extérieur, dans ses rapports avec (page 110) l'industrie et l'agriculture du pays ; 2° d'examiner si la législation actuelle est insuffisante ; 3° en cas d'affirmative, de présenter les bases du système commercial et naval qu'il conviendrait d'établir, dans l'intérêt de la nation. - La commission d'enquête sera nommée par la Chambre et parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue. Elle sera composée de sept membres. Elle nomme en dehors de son sein un secrétaire. Les frais de l'enquête sont à la charge du budget de la Chambre. » La discussion sur ces conclusions occupa la Chambre pendant les séances des 13, 14 et 15 mai. II fut décidé qu'une enquête serait faite, et le nombre des commissaires fut porté à neuf : furent désignés MM. Desmaisières, Dechamps, Zoude, de Foere, David, Mast de Vries, Cogels, Dedecker et Smits. Le travail de la commission fut divisé en deux parties, l'une commerciale, l'autre industrielle : deux rapporteurs furent nommés, M. de Foere pour la première et M. Zoude pour la seconde. Avant de présenter son travail à la Chambre, la commission voulut interroger les chambres de commerce et les principaux commerçants et industriels. Elle se rendit dans plusieurs villes du pays et y procéda à des interrogatoires et à des enquêtes préparatoires, et le 22 décembre 1841, M. de Foere présenta son rapport pour la partie commerciale. M. Zoude présenta le sien pour la partie industrielle, le 23 février 1844. Ce ne fut qu'en 1844 que la Chambre s'occupa de la question des droits différentiels. On reconnut, dès le principe, que cette question touchait non seulement aux intérêts les plus vifs de l'intérieur, mais qu'elle se rattachait en même temps à nos relations avec l'étranger, et qu'à côté des besoins du commerce et de l'industrie viennent se placer les convenances et les exigences de la diplomatie. Pour pouvoir procéder avec fruit, la Chambre devait recevoir quelques communications sur nos rapports avec les Gouvernements (page 111) étrangers, connaître à quel degré étaient arrivées certaines négociations commencées et apprécier les chances de réussite qu'elles présentaient. Il eût été dangereux peut-être de livrer ces communications à une indiscrète publicité, aussi le Gouvernement manifesta-t-il le désir de ne les donner qu'en comité secret, et d'y discuter les points qu'une sage prudence conseillait de ne pas débattre en public. Onze séances furent consacrées au comité secret. La discussion générale remplit onze séances.
« Quatre séances furent consacrées aux questions de principe : nous croyons utile de les indiquer, avec la solution qui leur a été donnée ; elles ont dominé toute la discussion et servent de base à la loi.
« Première question. Étendra-t-on et complétera-t-on le système des droits différentiels de pavillon et de provenance existants en Belgique ? Résolue affirmativement le 20 mai.
« Deuxième question. Adoptera-t-on, pour établir les droits différentiels, la double base du pavillon et de la provenance ? A la séance du 22 mai, M. le Ministre de l'Intérieur proposa de remplacer cette question par une autre, présentée par M. Dumortier et ainsi conçue : En principe, les droits différentiels seront-ils établis en faveur du pavillon et du lieu de production? Elle fut résolue affirmativement ainsi qu'une autre question posée par M. de La Coste, en ces termes : Admettra-t-on des droits différentiels de provenance directe en faveur de la navigation étrangère, indépendamment de toute réciprocité, de toute obligation ou de tout engagement spécial ?
« Troisième question. Les productions de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, arrivant directement en Belgique des lieux de production, sous pavillon du pays dont elles sont importées, pourront-elles être admises sur le pied du pavillon belge, lorsque ce dernier sera, dans ce cas, traité (page 112) dans ce pays comme pavillon national? Faudra-t-il pour que cette réciprocité existe, qu'il intervienne seulement un acte du Gouvernement? Résolue affirmativement.
« Quatrième question. Pour les provenances transatlantiques, admettra-t-on pour certains produits, et seulement en faveur des pays d'entrepôt, une catégorie intermédiaire entre les lieux de production et les entrepôts européens? Résolue affirmativement.
« Autre question. Admettra-t-on une catégorie intermédiaire pour certains objets en faveur des entrepôts transatlantiques en deçà du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance? Admettra-t-on l'assimilation aux provenances des lieux de production pour certains objets importés d'au-delà des mêmes caps? Ces questions ont été résolues affirmativement.
« Cinquième question. Admettra-t-on, pour certains objets et avec la même restriction, l'assimilation aux lieux de production des ports au-delà du détroit de Gibraltar et du Sund ? M. le Ministre de l'Intérieur proposa une disposition nouvelle relative au système temporaire d'exception, en faveur de certaines provenances de la Méditerranée et de la Baltique, et d'une quantité de 7,000,000 de kilogrammes de café originaire des colonies hollandaises et des Indes orientales. - Cette proposition, ainsi que la cinquième question reçurent une solution affirmative.
« Enfin la question suivante reçut la même solution. Fera-t-on une distinction entre les produits naturels de consommation, ou travaillés d'une part, et de l'autre les matières premières de l'industrie : 1° en appliquant le régime des droits différentiels aux premiers, par des surtaxes sur le pavillon étranger et sur les provenances indirectes et en appliquant, au contraire, ce régime aux matières premières par des réductions de droits en faveur du pavillon national et de la provenance directe : 2° en adoptant des encouragements comparativement plus modérés pour les matières premières que pour les objets de consommation naturels ou les objets travaillés. »
« La discussion du tarif et des articles dura huit séances et le deuxième vote en remplit encore quatre. » (Pasinomie de 1844, p. 109).
Il résulte de cet exposé que la Chambre consacra trente-neuf séances à cette question. On peut voir combien ce système était compliqué, difficile à comprendre, plus difficile encore à appliquer. Les chefs de douane durent se remettre à l'élude de la géographie, et il n'eût pas été de trop qu'ils fussent quelque peu docteurs en droit.
Pour l'honneur du pays et du Parlement, ce ne fut pas sans une forte opposition que cette malheureuse loi fut admise (Loi du 21 juillet 1844, adoptée, à la Chambre, par 43 voix contre 25, et 7 abstentions ; au Sénat, par 28 voix contre 5, et 7 abstentions. Moniteur de 1844, n°115 à 201).
Ces dispositions promulguées et appliquées par arrêté royal du 21 juillet 1844, durent être modifiées, dans la pratique, par arrêté royal du 15 octobre suivant. Le monumental édifice n'avait pu résister trois mois aux attaques des intérêts lésés. Ces premières modifications n'étaient que le prélude à d'autres changements (Note de bas de page : Les lois qui modifièrent les » droits différentiels » sont celles du 3 janvier 1847, du 19 mai 1848, du 2 mars 1851, et, par-dessus toutes, celle du 31 janvier 1852, qui, après les traités conclus avec l'Angleterre et la Hollande, abolit à peu près entièrement le système différentiel). Chose étrange! nous recherchions un plus grand mouvement maritime : Hambourg et Brème nous montraient comment il fallait l'atteindre, et nous faisions le contraire de cette indication ; nous compliquions notre système, quand l'Angleterre simplifiait le sien, pour l'agrandir. C'est toujours Gros-Jean qui en remontre à son curé !
En définitive, l'avis de Bruges prévalait sur l'avis d'Anvers : le commerce pygmée triomphait du commerce colosse. Ce (page 114) résultat n'a rien qui doive surprendre ; on le retrouve partout : dans la fable, c'est la fourmi qui dompte le lion ; dans l'épopée, c'est Ulysse qui l'emporte sur Polyphème ; dans la réalité, c'est presque toujours la même issue.
Dans le but de couvrir, en partie du moins, l'insuffisance du budget des recettes, M. le Ministre des Finances avait présenté un projet, établissant un droit sur la fabrication et le débit du tabac (Voir, Moniteur de 1844, n° 22, Exposé des motifs et projet de loi en 61 articles). Pour la première fois, le Gouvernement proposait de frapper un droit sur la culture de cette plante : principe doublement mauvais, puisque d'abord il nous empêchait de produire nous-mêmes ce pour quoi nous sommes encore tributaires de l'étranger ; puisque ensuite il tendait à introduire chez nous toutes les formalités gênantes de l'exercice du monopole, sans que nous eussions les avantages de ce système (En France et en Autriche, le monopole du tabac produit au Trésor un bénéfice net de plus de 60 millions de francs). Après de longs et vifs débats, on posa cette première question : « Le tabac sera-t-il soumis à un droit d'accise ? » Elle fut résolue négativement par 64 voix contre 17 ; parmi ces dernières se trouvaient celles de cinq ministres ; on posa ensuite cette seconde question : « Mettra-t-on un droit sur la culture ? » 36 membres répondirent oui, 47 non. Le projet du Gouvernement était sapé jusque dans ses bases : il n'en restait que des ruines. La Chambre n'admit qu'une augmentation de droits de douane. L'ensemble de la loi, ainsi transformée, fut admis, à la presque unanimité, dans les deux enceintes : un seul représentant vota contre (Loi du 27 juin 1844. Moniteur de 1844, n°165 à 174, 179, 180).
Outre toutes les lois, que nous venons de mentionner, les Chambres en avaient encore adopté d'autres d'une moindre importance et qui avaient pour objet les matières suivantes : (page 115) modification aux droits sur l'orge (Loi du 29 décembre 1843) ; exemption de l'impôt sur les vinaigres préparés avec des matières soumises à l'accise (Loi du 7 février 1844) : prescription des créances mentionnées à l'art. 54 du traité du 5 novembre 1842 (Loi du 8 février 1844).; modification des droits d'entrée sur les fontes de fer 4 (Loi du 8 février 1844); exemption de droits de sortie et de transit des laines en masse (Loi du 8 février 1844) ; droit d'enregistrement sur les naturalisations (Loi du 15 février 1844) ; crédit pour la continuation du canal de Zelzaete (Loi du 20 février 1844) ; réendiguement du polder de Lillo (Loi du 9 avril 1844) ; interprétation de l'art. 821 du Code civil (Loi du 16 juillet 1844) ; réduction de l'indemnité des examinateurs des jurys universitaires (Loi du 21 juillet 1844.); continuation du canal de la Campine (Loi du 24 juillet 1844).
Nous avons mentionné, avec une certaine étendue, la loi adoptée par le Sénat, et instituant un conseil d'Etat (1834) (Voir, t. I, livre IV, pp. 197-200). La Chambre, préoccupée d'autres débats, avait négligé, pendant dix ans, de s'occuper de cette question. En séance du 29 mars 1844, M. Fleussu déposa le rapport de la section centrale qui, à l'unanimité moins 1 voix, se prononçait contre cette institution (Moniteur de 1844, n°91). On n'aborda pas, dans cette session, la discussion sur ce point. Ce retard, par abstention, mis par la Chambre à l'examen d'une loi présentée par l'autre assemblée, était moins irrégulier que s'il avait eu lieu, à la suite d'un vote. Tel qu'il se présentait, il était un manque d'égards pour le Sénat, un procédé contraire aux droits réels de chaque branche du (page 116) pouvoir législatif, qui ne vont pas jusqu'au veto suspensif.
La Chambre s'ajourna le 21 juin : la session fut close le 18 juillet 1844. La majorité mixte avait souvent fait défaut au cabinet. M. Nothomb était trop clairvoyant, pour ne pas s'apercevoir de l'erreur de ses calculs, de l'inanité de cet appui et du sort prochain qui l'attendait. Et cependant cet homme au caractère de fer ne sortait d'une lutte, que pour en rechercher une autre. Il convoqua les Chambres à peu près un mois avant l'époque légale. S'il donnait peu de repos au Parlement, il ne s'en accordait pas à lui-même : plus les dangers grandissaient autour de lui et plus il accumulait ses moyens de défense. Nous avons vu comment il avait su attacher à sa politique la jeune ambition de M. Dechamps : il avait fait de ce brillant orateur d'abord un gouverneur, ensuite il l'avait indiqué au Roi comme son collègue-ministre. Le procédé avait réussi : M. Nothomb en renouvela l'application. Triste contradiction entre les paroles et les actes ! tout en déclarant qu'il était libéral, pratiquant la politique mixte, c'était constamment dans la droite qu'il allait choisir ses auxiliaires et recruter ses aides de camp. Un jeune talent avait grandi durant cette session, soit sous l'influence que donnent les premiers succès à la tribune, soit par cette instinctive ardeur qu'inspire aux hommes de valeur la conscience de leur force. M. Malou, esprit fin et parfois caustique, homme aux connaissances étendues et au travail facile, orateur marchant droit au but quand il est dans le vrai, un peu tortueux quand il a une cause moins bonne à défendre, avait pris une large part aux travaux et aux discussions de la Chambre. Notamment dans les questions relatives à la reprise du canal de Mons à Condé et de l'arrêté permettant le transit du bétail (arrêté que le ministère retira humblement), il avait été entraîné à de telles vivacités d'actes et de langage, qu'il avait cru devoir résigner ses fonctions, nullement politiques, de chef d'une direction, qu'il occupait au Département de la Justice. Cette liberté, qu'il s'était donnée, parut au grand jour dans la discussion des pensions ministérielles. Un tel homme pouvait devenir ou un puissant allié, ou un rude adversaire. M. Nothomb se l'attacha par le double lien d'une décoration et d'un poste de gouverneur provincial. M. Malou accepta ces offres brillantes et prouva qu'il n'avait plus la même répugnance à être fonctionnaire-représentant, puisqu'il devenait, cette fois, le subordonné direct de M. Nothomb, qu'il avait assez malmené, dans de récentes discussions. En envoyant M. Malou à Anvers, M. le Ministre de l'Intérieur avait d'ailleurs un autre but, celui de ne pas laisser les futures élections aux mains de M. H. de Brouckere, instrument moins apte, que son successeur, à exécuter une manœuvre projetée dès ce moment. Toutes ces dispositions, si habiles qu'elles pussent paraître, devaient aboutir à un double mécompte. M. Nothomb avait voulu empêcher les attaques d'un adversaire, et il ne fit que dresser un piédestal à un successeur : quant à ses pièges préparés contre les élections d'Anvers et d'autres localités, nous verrons bientôt ce qu'il en advint.