(Paru à Bruxelles, en 1856, chez Libraire polytechnique d’Augistre Decq)
(page 1) Le cinquième ministère fut formé le 13 avril 1841 : il était composé de MM. le comte de Muelenaere, aux Affaires étrangères ; Nothomb, à l'Intérieur ; Van Volxem, à la Justice ; (page 2) le comte de Briey, aux Finances : Desmaisières, aux Travaux publics ; le général Buzen maintenu à la Guerre. M. Liedts était nommé gouverneur du Hainaut ; M. Leclercq reprenait ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation.
Dès son entrée, M. Nothomb, Ministre de l'Intérieur, adressa une circulaire aux gouverneurs de province (Moniteur de 1841, n°104). Il y déclare, avec aussi peu de vérité que peu de modestie, que le nouveau ministère « est le point culminant d'une situation » : il démontre la nécessité d'écarter les divisions de partis, que personne plus que lui n'a rendu profondes. L'obstacle opposé aux torrents rend leur course plus terrible, et telle est la ténacité des faits politiques naturels que les circulaires les mieux écrites sont impuissantes pour les détruire.
Les élections approchaient : il était devenu de tradition de décorer, à cette occasion, quelques membres de la Chambre. La distribution fut encore une fois très abondante, puisqu'elle comprenait treize chevaliers et quatre officiers.- (Note de base de page : Voir, aux Pièces justificatives, n° VII, le tableau des membres de la Chambre et du Sénat nommés dans l'Ordre de Léopold, depuis 1835 jusqu'en 1848).
Le quatrième renouvellement partiel de la Chambre eut lieu le 8 juin 1841 (Note de bas de page : La série sortante se composait des provinces d'Anvers, de Hainaut, de la Flandre occidentale, de Luxembourg et de Namur). Le clergé, de nouveau, prit ouvertement part à la lutte. Le cardinal-archevêque lança sa seconde circulaire (Moniteur de 1841, n°146). Elle donnait, encore, des ordres d'intervention et des conseils de modération : les premiers furent suivis à la lettre ; les seconds furent totalement négligés. M. Rogier vit sa candidature vivement combattue, à Anvers, et M. Lebeau la sienne, à Bruxelles. M. Angillis, qui avait courageusement défendu le clergé belge aux états généraux, le trouva son adversaire à Courtrai : on lui opposa M. l'abbé de Haerne. (page 3) Trois ans après, ce nestor parlementaire mourait, le cœur navré de tant d'ingratitude, mais vengé, de son vivant, par une réélection ; consolé, dans la tombe, par une manifestation de l'estime publique (Note de bas de page : M. Angillis ne put oublier cette conduite du clergé. Il mourut subitement, à Bruxelles, en rentrant de la séance, à la fin de janvier 1844. La Chambre assista à ses obsèques). M. Devaux, pour avoir inséré quelques appréciations politiques dans la Revue nationale - fait élevé à la hauteur d'un crime de lèse-Constitution - fut menacé d'être évincé à Bruges. Les électeurs de Bruxelles, voulant conserver au parlement ce talent si distingué et ce caractère si pur, lui donnèrent la majorité, aussi bien que les électeurs de sa ville natale. Honoré d'une double élection, M. Devaux opta pour Bruges, par une lettre, expression noble et ferme de ses sentiments ; il y repousse fièrement les calomnies dont il a été abreuvé et expose consciencieusement ses vues sur la nécessité, pour les hommes du pouvoir, de s'appuyer sur des principes et non sur des expédients (Moniteur de 1841, n°119). L'impartialité nous oblige de dire que la candidature de M. de Mérode fut aussi combattue à Nivelles, et celle de M. Brabant, à Namur. D'où était partie l'initiative de l'attaque ? Nous n'avons pu le découvrir. Nous blâmons fortement ce que nous appellerons l'évincement de membres éminents, comme étaient MM. Angillis, Rogier, Devaux, Brabant, Lebeau, de Mérode. Mais il est clair qu'un plus grand nombre de ces candidatures d'élite était menacé, d'un côté que de l'autre.
Ces élections, qui étaient loin d'avoir répondu aux efforts (Note de bas de page : M. Nothomb n'avait pas permis à M. le gouverneur du Hainaut d'aller déposer son vote aux élections d'Anvers : M. Liedts avait cru devoir lui en demander la permission. Voir les débats sur cet incident, « Moniteur » de 1841, n° 324) et aux espérances du ministère, amenèrent une modification de son personnel. Le souffle du parlement n'avait pas encore (page 4) passé sur lui et déjà il se dissolvait. L'arrêté du 5 août 1841 porte le considérant qui suit : « Notre Ministre d'État, gouverneur de la Flandre occidentale, comte Félix Amand de Muelenaere, nous ayant exposé que des motifs personnels ne lui permettaient pas de rester chargé du portefeuille des Affaires étrangères, tout en se déclarant disposé, par dévouement envers notre personne et la chose publique, à demeurer membre du conseil. » La démission est acceptée : « il restera membre du conseil et participera, comme tel, aux délibérations du cabinet. »
Ces motifs personnels du 5 août n'existaient-ils pas, ne pouvaient-ils pas être prévus, le 13 avril précédent, jour de la formation du cabinet ? Un fait digne de remarque, c'est que M. de Muelenaere fit souvent partie de combinaisons ministérielles, sans y rester longtemps, comme titulaire. Entré le 24 juillet 1831, il remet sa démission le 12 août suivant, il garde l'interim jusqu'au 17 septembre 1832. Entré le 4 août 1834, il se retire le 13 janvier 1837. Cette fois, entré le 13 avril 1841, il délaisse sa position le 5 août suivant. Cet homme d'État se donnait ainsi l'apparence d'occuper le pouvoir plutôt pour en éloigner ses adversaires, que pour y consolider ses amis politiques. Mais, il fut souvent membre du conseil, sans portefeuille. Il est nommé, en cette qualité le 5 août 1841 ; le 16 avril 1843, il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée (ministère Nothomb) ; le 19 juin 1845, il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée (ministère Van de Weyer-Malou) : le 2 mars 1846, il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée (ministère de Theux-Malou) ; le 12 juin 1847, il donne sa démission ; elle est acceptée... (Ministère Rogier- Frère.)
Cette position de membre du conseil, sans portefeuille, - si peu en harmonie avec le jeu normal du régime représentatif, parce qu'elle engage si peu la responsabilité personnelle, - présente un singulier aspect, au point de vue du mode de (page 5) gouverner, adopté par chacun de nos grands partis. Elle s'est rencontrée souvent dans les cabinets catholiques ou mixtes, une seule fois dans les cabinets libéraux. De 1831 à 1847, il a presque toujours fallu, au navire de l'État, un équipage de sept ou huit catholiques ou mixtes ; de 1847 à 1832, un équipage de six libéraux a suffi. Etait-ce crainte légitime, ou excès de modeste méfiance chez les premiers ; était-ce conscience de leur force, ou aventureuse audace chez les seconds ? Le fait est que ce ne fut que sous le seul ministère libéral Lebeau-Rogier de 1832, que l'on admit, au sein du conseil, un ministre sans portefeuille, M. Félix de Mérode. Et encore, jusqu'en 1839, le noble ministre d'État n'était pas un simple membre du conseil, il était le remplaçant toujours prêt de tout ministre titulaire défaillant, ou introuvable : - en 1832, après la retraite de M. Ch. de Brouckere du ministère de la Guerre, et avant l'arrivée du général Evain ; - en 1833, après la retraite de M. Goblet, du ministère des Affaires étrangères ; - un moment, en 1839, après la retraite de M. d'Huart, du ministère des Finances. Il s'attachait, d'ailleurs, à ce nom, compromis jusqu'à la révolte, dans le Gouvernement provisoire, illustré jusqu'au martyre, sur le champ des combats, une auréole de popularité et une garantie de patriotisme, sous lesquelles tous aimaient à abriter leur responsabilité. Dans ces temps menaçants et orageux, M. de Mérode était - qu'on nous pardonne le mot - le paratonnerre de l'édifice ministériel.
Mais, depuis la conclusion du traité de paix de 1839, ce noble patriote n'a plus été membre du conseil, sans portefeuille. Il n'ambitionna plus ce rôle, sans danger et sans responsabilité, ne donnant que l'éclat du pouvoir, sans en imposer les charges. M. de Mérode restait ainsi fidèle à la devise de son antique blason : « Plus d'honneur que d'honneurs. »
Par deux arrêtés du 5 août 1841, M. le comte de Briey passait aux Affaires étrangères et M. Smits prenait le portefeuille des Finances. M. Nothomb devenait ainsi le chef du cabinet, (page 6) prêt et assez fort pour supporter tout le poids du pouvoir.
La douzième session s'ouvrit le 9 novembre 1841 : elle fut close le 24 septembre 1842, ayant ainsi duré plus de dix mois. Peu de membres anciens avaient été évincés, malgré les manœuvres du ministère ; et, par suite, peu de membres nouveaux étaient entrés à la Chambre : parmi eux se trouvait M. J. Malou, élu par Ypres.
Le mois d'octobre 1841 avait été marqué par une tentative de complot, aussi coupable dans son but que méprisable par la pauvreté de ses moyens et l'obscurité de ses instruments. On le nomma le complot des paniers-percés (Note de bas de page : Voir, Moniteur de 1841, n°304 à 311, 316, 331, 363, les extraits de divers journaux du temps, donnant des détails sur ce complot et sa poursuite).
Le discours du Trône commençait par ces mots : « Malgré de folles et d'odieuses menées, nous pouvons nous féliciter des circonstances au milieu desquelles s'ouvre la session. » Il appelait, de nouveau, l'attention des Chambres sur les projets de lois d'enseignement, en réclamant la priorité pour celui sur l'instruction primaire. La loi communale était menacée d'être modifiée dans son organisation. M. Rogier, à la Chambre, M. de Haussy, au Sénat, déclarèrent, d'accord avec l'opposition sans doute, qu'en présence de coupables tentatives récentes, on ne soulèverait pas de débat politique, à l'occasion des adresses. Aussi furent-elles, dans l'une et l'autre enceinte, adoptées sans débats importants et presque à l'unanimité des voix (Moniteur de 1841, n°314-320, Discours et adresses).
La vérification des pouvoirs amena des discussions sur l'élection de MM. de Mérode, Huveners et Cogels, et, comme toujours, ces questions furent résolues à coups de majorités, plutôt que d'après les principes du droit.
(page 7) Le désir d'avoir de meilleures conditions pour l'entrée de nos produits en France, avait engagé le ministère à charger une commission, composée de MM. de Muelenaere, Liedts et Dechamps, d'obtenir une convention à cet égard. Cette mission vit ses efforts échouer devant la roideur égoïste de notre puissante voisine. Le but à atteindre valait l'effort ; on reprocha au ministère, non de l'avoir tenté, mais de n'avoir pas réussi. Il en est d'un traité comme d'un mariage. Si, par crainte d'un échec, vous n'en faites pas la demande, il est rare qu'on vienne vous l'offrir.
Réservée lors de la discussion de l'adresse, la question politique se présenta au budget des Voies et moyens. L'opposition y fut vive et pressante. M. Delfosse prouva que, si le ministère se déclarait impartial dans ses circulaires, il se montrait partial par ses actes. M. Lebeau fit voir combien l'adresse du Sénat avait blessé la loyale pratique du régime parlementaire. M. Devaux démontra que, à la suite de l'aplanissement de nos difficultés extérieures, les partis s'étaient déclassés au sein du Parlement comme au dehors et que des majorités et des minorités nouvelles s'étaient formées. Pour tout observateur impartial, cette modification de la position parlementaire était évidente. M. Verhaegen porta à la proposition du Bus-Brabant, en faveur de la personnification civile de l'université catholique, des coups, comme on en frappe, quand on veut abattre. Si tant est qu'un esprit, aussi lucide que celui de M. Nothomb, ait pu se faire illusion, un seul instant, sur sa présence aux affaires comme moyen d'apaiser les partis, la clarté des faits devait le détromper. Mais une forte lutte allait à l'énergie de cet homme d'État. Il fit bien voir qu'il était résolu à ne pas abandonner la place pour un seul assaut. Nous n'insisterons pas davantage, en ce moment, sur ces débats ; car nous aurons, souvent encore, à signaler le talent, l'adresse et le sang-froid du Ministre de l'Intérieur du 13 avril, et nous pourrons en tirer cette leçon, qu'arrivé aux affaires avec la déclaration et, peut-être, (page 8) la volonté de gouverner entre les partis, il ne s'est maintenu au pouvoir qu'à l'aide d'un parti. Que si, avec ses nombreuses ressources d'esprit et de caractère, il a échoué dans une telle tâche, qui donc peut espérer d'y réussir après lui ?
Les autres budgets furent adoptés avec une grande opposition dans la discussion, mais sans grande réduction de chiffres. Celui de la Guerre fut admis, au montant de 29,470,916 francs. Celui de l'Intérieur fut le plus longuement débattu. On pouvait voir dès lors, que M. Nothomb serait le point de mire de l'opposition ; mais ces coups ne devaient point l'ébranler de sitôt. M. Devaux s'éleva, avec une grande force, contre le clergé, faisant servir les actes du culte d'instruments d'élection (Moniteur de 1841, n°353, supplément). Le subside pour le maintien du Jardin Botanique de Bruxelles fut contesté (Moniteur de 1841, n°356). Au Sénat, il fut question de l'adresse, pour le renversement de l'ancien ministère. M. Nothomb y disait : « Nous avons pris les choses où elles étaient arrivées. Le ministère s'est formé parce qu'il a voulu éviter la dissolution..… Dans les discussions politiques, chaque fois que nous combattrons dans les nuages, nous serons adversaires ; mais quand nous redescendrons à terre, que nous nous occuperons des intérêts du pays, on nous offre un concours que nous acceptons ; il nous suffit, au moins pour le moment, de la part de ces membres : le temps fera le reste » (Moniteur de 1841, n°362).
La pêche maritime est digne de la sollicitude du Gouvernement, à plus d'un titre. Elle doit lutter contre la pèche étrangère, montée sur une plus grande échelle et disposant de plus forts capitaux : elle occupe une population de nos côtes assez pauvre ; ses produits doivent servir à l'alimentation publique, dans un pays, où l'abstinence de la viande est (page 9) prescrite et assez généralement observée, pendant une partie de l'année.
Dès 1837, les Chambres furent saisies d'un projet ayant en vue, principalement, la répression de la fraude du poisson de provenance étrangère. Il fut retiré et remplacé par un autre projet, ayant un double but, celui de protéger la pèche faite par nos armateurs et celui de faire profiter le Trésor par la perception plus stricte des droits imposés sur les produits de la pêche étrangère.
Il déclarait libres à l'entrée les provenances de la pèche nationale : des mesures étaient prescrites pour arriver à la perception des droits, d'ailleurs légers sur le poisson venant de nos concurrents étrangers ; les faveurs n'étaient accordées aux pêcheurs indigènes qu'après l'accomplissement (page 10) des nombreuses conditions prescrites par le projet (Loi du 25 février 1842, adoptée, à la Chambre, par 51 voix contre 4 ; au Sénat, à l'unanimité des 31 membres présents. Moniteur de 1842, n° 30 à 49).
Par arrêté royal du 26 juillet 1841, le Gouvernement avait élevé les droits d'entrée sur les fils de lin et de chanvre. Il soumit cet arrêté à la sanction des Chambres. Deux points d'examen se présentaient ici : la constitutionnalité et la convenance de la mesure. Sur le premier point, on se demandait si l'art. 120 de la Constitution, ainsi conçu : « Aucun impôt au profit de l'État ne peut être établi que par une loi, » n'avait pas détruit l'art. 9 de la loi du 26 août 1822, qui prescrit : « Nous nous réservons, pour des cas particuliers, et lorsque le bien du commerce et celui de l'industrie l'exigeront, de soumettre à des droits plus forts, ou de prohiber à l'entrée, les objets d'industrie qui proviennent de pays où les produits de l'industrie indigène des Pays-Bas se trouveront excessivement imposés ou prohibés » ? Dans la discussion, on n'insista pas sur le reproche d'inconstitutionnalité. Sur le second point, celui de la convenance de la mesure, on invoquait la souffrance des fileuses du fil à ta main ; mais derrière cet intérêt populaire se cachait l'intérêt des grandes filatures à la mécanique. Les mesures protectrices furent admises, avec certaines exceptions, pour les fils de Westphalie et de Brunswick servant à la fabrication des coutils et des toiles à carreaux, des fils de lin et de chanvre de Russie n° 1 à 7. Personne, à cette époque, ne parla de la bienfaisante mesure de l'introduction, en entrepôt, des fils anglais, avec décharge du droit lors de l'exportation des tissus. Il faut du temps avant que de telles idées germent et mûrissent. La loi fut acceptée, sans grande opposition (Loi du 25 février 1842, adoptée, à la Chambre, par 44 voix contre 4 ; au Sénat, à l'unanimité des 35 membres présents. Moniteur de 1842, n° 18 à 25).
(page 11) Nous avons vu que le Gouvernement avait été autorisé, par la loi du 29 juin 1840, à appliquer chaque année, pendant quatorze ans, 400,000 francs à l'établissement d'un service de navigation à vapeur entre la Belgique et les États-Unis. Il était conforme à ce qui se pratique ailleurs, et c'était une garantie contre les mille dangers d'une telle exploitation par l'Etat, de donner cette somme, à titre de subside, à une compagnie particulière, qui se serait chargée de cette entreprise. Soit que cette voie régulière ne se présentât pas, à cette époque, soit qu'elle n'ait pas été recherchée avec assez de persistance, il fut fait, sous le ministère du 18 avril 1840, un contrat pour l'achat direct de deux navires à vapeur-monstres, the President et the British-Queen, et un autre contrat pour l'exploitation, par une compagnie, de ce service, au moyen des deux navires acquis. Depuis cette époque, the President fit naufrage et le cabinet contractant sombra également ; l'un devenant la proie des fureurs de l'Océan, l'autre se voyant victime d'une bourrasque parlementaire. Dans cette occurrence, les questions qui se présentèrent au ministère du 13 avril 1841, furent celles-ci. Le Gouvernement belge est-il civilement et moralement tenu de prendre livraison d'un seul bateau, quand il résulte de l'esprit et de la lettre du contrat que, en ce cas, il pouvait résilier le marché ? Est-il utile au pays d'établir un service incomplet, au moyen du seul bateau restant ? Le cabinet nouveau, peu fâché, peut-être, de faire éclater ce grief contre le cabinet précédent, résolut affirmativement ces deux questions, et c'est dans cet état, que les mesures prises furent soumises à l'approbation des Chambres. Ceux qui seraient curieux de connaître cette affaire dans tous ses détails, peuvent consulter le compte rendu très étendu et très lucide présenté par le Gouvernement, dans la séance du 5 décembre 1841 (Moniteur de 1842, n°8) ; comme aussi le rapport fait par M. de Decker, au nom de la section (page 12) centrale (Moniteur de 1842, n°39). La discussion, qui se prolongea, à la Chambre, pendant cinq séances, fut fort vive. On chercha à se rejeter, l'un sur l'autre, la responsabilité de cette onéreuse entreprise, qui devait avoir le déplorable résultat, non seulement d'occasionner une grande dépense sans obtenir de fruits, mais encore de retarder pour longtemps un service transatlantique, si nécessaire à notre commerce et à notre industrie. Sans admettre toutes les récriminations personnelles et de parti, qui envenimèrent ce débat, nous croyons très sincèrement que le cabinet, auteur du premier contrat, mit trop d'empressement à organiser ce service par achat direct de navires et que, en attendant un peu, il eût pu obtenir une meilleure combinaison : mais que, d'autre part, le cabinet, auteur du second contrat, se fit, tout au moins, un scrupule exagéré, en approuvant une convention qu'il était en droit de regarder comme non avenue, puisqu'elle n'avait été remplie ni d'après sa lettre ni d'après son esprit. La question se compliquait, il est vrai, de cette circonstance qu'on avait fait intervenir et notre diplomatie et l'amirauté anglaise. La loi fut admise, malgré de vifs débats (Loi du 28 février 1842, adoptée, à la Chambre, par 71 voix contre 10 ; au Sénat, par 21 voix contre 11, Moniteur de 1842, n°46 à 58).
Nous avons dit, plus haut, que la demande des Evêques, ayant pour but d'obtenir la personnification civile de l'université catholique de Louvain, avait été formulée en projet de loi par MM. du Bus aîné et Brabant (Moniteur de 1841, n° 95, Rapport de M. de Decker). (Note de bas de page : La section centrale concluait, à l'unanimité, à l'adoption de la proposition du Bus-Brabant). Cette tentative qui, à tort ou à raison, avait semblé une première tentative de retour vers le passé, avait fortement ému l'opinion publique. Elle fut l'objet d'une vive polémique dans la presse, et des écrits spéciaux avaient traité cette irritante question. Avertis par cette opposition éclatante, désespérant sans doute de voir le ministère (page 13) ajouter cette difficulté à toutes celles qu'il avait à vaincre chaque jour, les Évèques adressèrent à la Chambre une lettre collective, annonçant le retrait de leur demande. Ils y disaient : « Quoique nous restions convaincus de la justice de notre demande, nous nous sommes néanmoins décidés à la retirer afin d'empêcher qu'on ne continue à s'en servir pour alarmer les esprits, exciter la défiance et troubler l'union qui est si nécessaire au bien-être de la religion et de la patrie. C'est pourquoi nous vous prions, Messieurs, de regarder comme non avenue la pétition que nous avons eu l'honneur de vous adresser. » M. du Bus déclara que son honorable ami et lui retiraient leur proposition (Moniteur de 1842, n° 47, Lettre de MM. les évêques et retrait de la proposition. Voir l'opuscule ayant pour titre : « Examen de la proposition de MM. du Bus-Braban »t, Louvain, 1841, attribué à M. J. Malou.).
Il faut placer ici une modification ministérielle. Le général Ministre de la Guerre, Buzen, cédant à des préoccupations que faisait naître chez lui la publication de faits inculpant l'honneur des commencements de sa carrière militaire, se suicida, le 5 février 1842. Un arrêté du 7 du même mois, nomma le général de Liem, en son remplacement (Note de bas de page : « Moniteur » de 1842, n°41 à 51. Détails qui ont précédé, accompagné et suivi le suicide du général Buzen ; - Mémoires de MM. Gerard et Verhasselt ; - Lettre de M. d'Hoffschmidt, représentant, rendant compte d'une démarche faite, auprès du général, par quelques membres de la Chambre).
Le général Buzen avait, plus que tout autre, contribué à faire avorter le complot du mois d'octobre 1841. De là, des haines implacables et des attaques, dans certains journaux, qui recherchèrent des faits qui se seraient passés trente ans auparavant. Il est difficile, même après avoir lu le pour et le contre, de découvrir la vérité sur l'ensemble des reproches allégués et des justifications qui les suivirent. Toujours est-il que ce militaire, qui s'était montré brave sur les champs de bataille, (page 14) n'eut pas assez de sang-froid et de courage civil pour supporter ou pour repousser les âpres agressions d'une presse malveillante, peut-être calomniatrice. Il faut rester dans la vie privée, si l'on craint de voir sa vie entière livrée, comme une proie à déchirer, à l'injure brutale, aux interprétations injustes, aux accusations mensongères. Avant de se lancer dans les agitations et les tempêtes de la vie publique, il faut se demander sérieusement si l'on est bien l'homme, dont on puisse dire : « Illi robur et oes triplex ? » Sur la proposition de M. Dumortier, usant de son droit d'initiative, une loi fut votée, accordant une pension viagère de 3,000 francs à la veuve du malheureux général (Moniteur de 1840, n°70 à 113, proposition et adoption de la loi du 27 avril 1842, conférant une pension à madame veuve Buzen).
La Chambre consacra quinze séances, le Sénat six, à discuter, en comité secret, le projet de loi sur la réparation des pertes occasionnées par les événements de guerre de la révolution. Quelques discours isolés ont été publiés par le Moniteur. Il est donc impossible de juger cette discussion, dans son ensemble. Mais on peut dire que la loi repose sur un principe juste, et qu'elle est modérée dans son application. C'était une loi d'indemnité (Loi du 1er mai 1842, adoptée à la Chambre, par 52 voix contre 29 ; au Sénat, par 27 voix contre 6. Moniteur de 1842, n°78 à 117, votes émis et opinion exprimée par quelques représentants et sénateurs. Ibid., n° 117, article de l'Indépendant, qui traite savamment la question des indemnités, au point de vue des polders inondés).
Napoléon Ier, au milieu de ses préoccupations guerrières, ne négligeait pas les intérêts du commerce et de l'industrie. Par la loi du 18 mars 1806 et les décrets organiques du 11 juin 1809, 3 août et 5 septembre 1810, il fixait l'établissement et la compétence des conseils de prud'hommes. Les heureux fruits, que l'industrie avait recueillis de ces institutions, (page 15) doivent nous engager à entrer dans la même voie. C'est ce que fit le Gouvernement en présentant un projet de loi sur la matière, le 11 décembre 1839. On adopta les dispositions françaises et l'on eut raison. Il faut changer le moins possible, les belles lois et les fortes organisations de cette époque, car elles émanent des vastes conceptions de l'immortel Empereur et du concours d'hommes d'un immense savoir, dignes instruments de son génie.
Deux décrets impériaux, l'un du 28 août 1810, l'autre du 1er mars 1813, avaient établi des conseils de prud'hommes, à Gand et à Bruges.
Dix-sept villes étaient indiquées, dans le projet actuel, comme pouvant servir de siège de conseils de prud'hommes. Dix de ces conseils seulement ont été organisés. Depuis lors, des lois spéciales ont autorisé quatre autres villes à jouir de cette juridiction si utile, parce qu'elle est expéditive, conciliatrice et peu coûteuse. En l'absence d'un conseil d'Etat, certains recours furent attribués au Roi.
Le projet ne rencontra d'opposition que sur un point, celui de la légalité de l'action répressive, attribuée aux prud'hommes par l'art. 4 du décret du 3 août 1810. Les adversaires de cette attribution invoquaient l'art. 94 de la Constitution, ainsi conçu : « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu'en vertu de la loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit. » Cette question de constitutionnalité fut vivement débattue. Le Ministre de l'Intérieur diminua beaucoup le reproche, en changeant la peine répressive de trois jours d'emprisonnement, comminée par l'art. 4, en peine disciplinaire de trois jours de mise aux arrêts. Il ajouta que des instructions seraient données pour que cette peine fût subie, non pas dans une maison de détention, mais dans une salle disciplinaire, placée à l'hôtel de ville ou ailleurs. Réduits à ce point, ces arrêts ressemblaient (page 16) à ceux qu'infligent les généraux aux officiers, et les chefs des ponts et chaussées, dans certains cas, à leurs subordonnés. L'art. 94 de la Constitution n'était plus directement blessé. La loi fut adoptée avec ces modifications (Loi du 9 avril 1842, adoptée, à la Chambre, par 49 voix contre 4 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°78, 80, 98. Pasinomie de 1842, pp. 111 à 122. Loi et décrets de l'Empire.).
Ces conseils forment, pour ainsi dire, la juridiction inférieure et les justices de paix des tribunaux de commerce : ils rendent les plus grands services, en aplanissant, le plus souvent par conciliation, les nombreux différends qui s'élèvent entre les maîtres et les ouvriers (Voir, Exposé de la situation du royaume, 1841-1850, t. III, pp. 334, 434 ; t. IV. p, 149, détails sur l'organisation de ces conseils, le nombre des causes, etc.).
Une loi du 4 mars 1848 a exempté les actes, les jugements et les autres pièces relatives aux poursuites ou actions devant les conseils, des formalités et des droits de timbre et d'enregistrement.
La loi du 26 juin 1842, décrétant la construction du canal de Zelzaete à la mer du Nord, nous fournit une nouvelle preuve des nombreux obstacles, que doit se résoudre à vaincre le représentant qui veut user de son droit d'initiative. M. Lejeune avait déposé cette proposition, dès le 6 avril 1837, et elle avait été vivement appuyée par les députés des Flandres. Modifiée par M. le Ministre des Travaux Publics, elle ne fut soumise à la discussion de la Chambre que le 15 avril 1842, c'est-à-dire après cinq années d'attente et de vicissitudes diverses. Pour la première fois, on introduisit dans cette loi le principe du concours, dans la dépense, des propriétaires intéressés. Le canal devait être construit aux frais de l'État, d'après un devis s'élevant à quatre millions de francs. Les propriétaires intéressés concourraient pour un quart, soit (page 17) un million de francs, en payant à l'État, pendant vingt-cinq ans, une annuité globale de 71,000 francs. Si la dépense excède le devis, les propriétaires intéressés contribuent à l'excédant, à concurrence d'un quart, par l'augmentation, dans la même proportion, de l'annuité. Les propriétaires pourront, en tout temps, pendant les vingt-cinq ans, se libérer des annuités, en payant le capital de celles dont ils se trouveraient encore débiteurs : ils supporteront, en totalité, les frais d'établissement des ouvrages nécessaires pour conduire leurs eaux au canal.
L'introduction au projet, de la participation dans la dépense, des propriétaires intéressés était une application de l'art. 30 de la loi de 1807, qui consacrait un principe nouveau, à savoir que les particuliers dont la propriété acquiert une notable augmentation de valeur, par suite des travaux publics, ordonnés ou approuvés par le Gouvernement, pourront être chargés de payer une indemnité de ce chef. Cette innovation avait ici deux motifs : le premier de tactique, car c'était faciliter l'adoption du projet ; le second, touchant au fond et reposant sur ce fait que les propriétés riveraines devaient gagner, par cette construction, une plus-value supérieure à celle que procurent ordinairement des travaux publics d'une autre nature. Les Chambres en adoptant cette loi (Loi du 26 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 51 voix contre 9 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°111 à 116, 173. Voir aussi, abbé ANDRIES, « Recherches sur les voies d'écoulement des eaux des Flandre »s. - WOLTERS, « Recueil des lois, arrêtés, etc., concernant l'administration des eaux et polders de la Flandre orientale »), consacrèrent donc un principe nouveau, en fait d'exécution de travaux publics. Ce point est assez important pour que nous nous y arrêtions.
Nous avons dit quelle était la disposition de la loi française de 1807 : admise ici, elle le fut encore dans la loi d'exécution (page 18) du canal de la Campine, du 10 février 1843 (Voir t. II, à la fin de ce livre). Dans la pratique, l'application de ce principe a permis en France la réalisation d'utiles travaux, notamment dans la ville de Paris. La construction d'un canal ou d'une route, mais surtout le percement d'une rue, l'établissement d'un quai, la construction d'un marché étant déclarés d'utilité publique, est-il juste que l'État, la province, la commune prennent à eux toute la dépense, que les propriétaires-riverains aient pour eux seuls le bénéfice de la plus-value des terrains avoisinants qui leur restent et qui acquièrent une valeur quadruple souvent, décuple parfois ? Poser la question, c'est la résoudre. Mais souvenons-nous que, en Belgique, nous sommes en présence d'une disposition constitutionnelle ainsi conçue : « Art. 11. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour « cause d'utilité publique, dans le cas et de la manière établie par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité ». (Note de bas de page : Voir, sur les principes et les règles qui régissent le droit et l'exercice de l'expropriation, le remarquable article, au mot « Expropriation forcée », du « Répertoire de l'administration, etc. », de M. TIELEMANS, t. VII, p. 170).
La loi ayant consacré, deux fois en Belgique, la participation des propriétaires intéressés à certaines dépenses pour travaux d'utilité publique, il devient inutile de discuter à fond le point constitutionnel de la question. Toutefois, disons-en un mot, en passant. L'art. 11 de la Constitution ne fait que consacrer le droit de propriété qui a succédé au droit féodal et régalien et dont le principe était déjà posé dans le Code civil. Mais, à ce droit si entier et si absolu, il y a et il doit y avoir une restriction, celle de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Troplong établit clairement cette distinction, quand il dit : « l'État n'a sur la propriété que les droits attachés au commandement politique. Comme souverain, il a droit à l'impôt ; comme administrateur suprême, il (page 19) fait des lois pour régler, dans un sens favorable à l'intérêt général, l'usage des propriétés privées. Mais ces lois ne sont que des lois de protection et de garantie ; le législateur n'intervient pas comme maître de la chose ; il agit comme arbitre et régulateur pour le maintien du bon ordre et de la police. De là cette conséquence, que la propriété privée est sacrée ; que le souverain lui-même doit la respecter ; qu'il ne peut déposséder un propriétaire que pour cause d'utilité publique et moyennant indemnité. » (De la propriété d’après le Code civil, chap. XX et suivants).
Donc, sur le droit de l'expropriation, point de doute ; mais, quant à l'application de ce droit, il y eut peu de discussions au Congrès et, aujourd'hui, comment faut-il l'entendre ? A côté de la déclaration d'utilité publique, on doit, pensons-nous, placer la déclaration des moyens d'exécution. Supposons, dans une ville pauvre, un quartier infect, foyer de maladies et de rachitisme. On déclare qu'il y a utilité publique à le percer, par deux rues formant croix. Mais, cette déclaration restera, pendant cinquante ans, lettre morte, parce que la caisse communale ne peut à elle seule supporter la dépense. Aux termes de la Constitution, faut-il entendre que la privation de la propriété ne concerne que la partie nécessaire au projet de travail d'utilité publique, ou qu'elle concerne aussi la partie nécessaire à son exécution ? Nous penchons vers cette dernière interprétation, pour deux motifs : d'abord, notre art. 11, qui reconnaît le droit d'expropriation, ajoute : dans le cas, et de la MANIERE établie par la loi ; ensuite la loi française, qui avait aussi à respecter le principe consacré par le Code civil, l'a appliqué dans notre sens. Nous dirons bientôt comment nous comprenons que la loi intervienne pour rendre le droit d'expropriation effectif et opérant, au lieu de le laisser stérile et inerte, et cela sans blesser le droit et les intérêts du propriétaire.
(page 20) Nous allons donc examiner le point de savoir s'il ne conviendrait pas d'étendre ce principe, d'une manière plus générale, pour l'exécution de travaux communaux utiles à la généralité des citoyens ; et, dans l'affirmative, quel serait le mode le plus convenable pour faire participer, dans une juste mesure, à la dépense, les propriétaires intéressés directement et profitant notablementde ces travaux.
Il est certain que, dans beaucoup de communes, les besoins chaque jour croissants de l'indigence absorbent une partie des ressources locales, décroissant elles-mêmes par suite du malaise général. Il en résulte que, dans la plupart des localités, les administrations ne peuvent pas entreprendre, à elles seules, des percements de rues nouvelles, des élargissements de rues anciennes, souvent indispensables à l'assainissement de tout un quartier. Ces entreprises effectuées auraient coûté des sommes considérables pour expropriation, mais aussi auraient donné aux terrains environnants une plus-value importante. Une fois l'utilité publique reconnue, d'après les règles salutaires et protectrices existantes, ne pourrait-on pas appeler les propriétaires intéressés à participer, en raison de l'étendue, en façade comme en profondeur, de leurs terrains sur la rue ou la place nouvelle, sur la rue considérablement élargie ? Nous le pensons, et voici comment nous concevons leur intervention. La participation de chacun serait réglée à l'amiable, ou, en cas de contestation, par les tribunaux, comme cela existe aujourd'hui pour la fixation du prix des terrains expropriés. Le propriétaire pourrait payer le montant de sa quote-part, en une fois ou à terme, si mieux il n'aimait céder, à dire d'experts, sa propriété à la ville qui en ferait la revente (Note de bas de page : Voici les dispositions analogues de la loi du 10 février 1843 (canal de la Campine) : « ART. 3. Ce concours consistera dans le remboursement d'une partie des frais d'établissement du canal, et ce au moyen d'annuités à payer pendant vingt-cinq ans. - ART. 6. L'annuité est rachetable par 100 francs de capital pour fr. 7-10 d'annuité. En cas de rachat, les débiteurs auront l'option de s'acquitter, soit en numéraire, soit par cession de partie de leur propriété. - Le Gouvernement sera autorisé à vendre, aux enchères publiques, les terrains cédés. »). Bien entendu que le prix de la cession (page 21) serait le prix du terrain avant le changement opéré, en sus la plus-value ordinairement consentie en affaires d'expropriation.
Ou nous nous trompons fort, ou ce nouveau mode donnerait de grands résultats, en permettant aux communes d'entreprendre de nombreuses améliorations, qu'elles ne peuvent aborder aujourd'hui que lentement et partiellement, forcées qu'elles sont à en supporter seules tous les frais. Les propriétaires n'auraient pas à se plaindre non plus, puisqu'on leur laisserait l'option ou de donner, par un petit sacrifice et avec termes, une plus-value à leur propriété, ou de céder celle-ci à sa pleine valeur.
A ceux qui, par un respect exagéré pour la propriété trouveraient ce moyen trop dur, nous allons en indiquer un autre. Supposons le percement d'une rue nouvelle sur un terrain par lequel personne n'a actuellement d'entrée ou de sortie ; vous nous permettrez, au moins, de dire en cette circonstance : puisque nous faisons les frais de la voie nouvelle, ceux qui voudront y avoir façade ou issue auront à nous payer une part à convenir à dire d'experts ; ceux qui ne voudront pas intervenir dans nos dépenses, auront à se clore sans issue et à rester dans l'état où ils étaient avant l'exécution du travail, pour lequel nous ne leur avons exproprié que la partie nécessaire à la voie elle-même. Certes, nul n'aurait à se plaindre d'une telle loi : eh bien ! si insuffisante qu'elle nous paraisse, nous estimons qu'elle porterait encore de grands fruits. Les intelligents interviendraient aussitôt dans une dépense qui augmenterait la valeur de leur propriété : les bornés (page 22) se cloraient ; mais voyant bientôt qu'ils sont dupes de leur entêtement, ils arriveraient d'autant plus vite à une capitulation, qu'on aurait soin de mettre dans la loi, que l'indemnité serait augmentée d'un dixième, pour chaque année de retard.
Nous ne voulons pas formuler de projet de loi, notre cadre ne nous permet pas ces développements : nous nous contentons d'indiquer sommairement deux moyens d'exécution, dont le premier nous paraît le meilleur. Puisqu'on a admis, déjà deux fois, le principe de l'intervention des riverains, à propos de canaux, pourquoi ne pourrait-on pas l'admettre à propos d'une rue, d'une place, d'un quai ? La première intervention était justifiée par la plus-value que les canaux creusés donnaient aux propriétés riveraines ; la seconde intervention le serait par l'augmentation de valeur que donnerait, aux terrains aboutissants ou voisins, la nouvelle rue percée, la nouvelle place établie, le nouveau quai construit. Dans tous les cas, nous croyons pouvoir nous servir, à l'égard de cette question, de l'expression consacrée : « II y a quelque chose à faire ! » (Voir, sur cette question, le journal l’Indépendance, de 1855, n° 205,212, 249, 364). Or, ce quelque chose peut se faire par l'initiative du Gouvernement, qui devrait d'autant moins tarder à la prendre qu'on arriverait, avec une telle loi, à la réalisation possible et immédiate de nombreux travaux d'assainissement et d'embellissement pour nos populeuses cités, pour nos grands bourgs et même pour nos modestes villages.
Les perfectionnements apportés par l'industrie au mode de fabrication des eaux-de-vie et alcools nécessitaient un changement à la base de l'accise. Les besoins du Trésor rendaient, d'ailleurs, cette modification équitable, puisque, pour y faire face, on s'adressait à un produit éminemment imposable. Cette source de l'impôt est de celles que l'on est amené à troubler (page 23) fréquemment et inévitablement pour ainsi dire, parce que les admirables découvertes de la science et les progrès incessants du mode de fabrication rendent les accroissements de droits successivement illusoires. Devant rencontrer, très souvent encore, des modifications de la législation sur cette matière, nous n'appuierons pas sur les changements que nous signalons ici (Loi du 27 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 52 voix contre 14 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°116 à 131, 172, 173). Nous nous contenterons de dire que, quelque rigoureux qu'ils aient pu paraître, au moment de leur discussion, ils furent loin de faire atteindre le produit qu'on se proposait et qu'on était en droit d'obtenir de cette base légitime du revenu public.
C'est le caractère propre des crises commerciales qu'elles font chercher à remédier, par des palliatifs, à des souffrances temporaires, mais inévitables. Cette fois, c'était le commerce sédentaire qui attribuait sa langueur à la concurrence du commerce ambulant. Comme si ce dernier n'était pas une conséquence de la liberté et de l'égalité qui devraient exister, tout au moins, pour les transactions intérieures. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement, pour satisfaire à ces plaintes, proposa d'étendre les entraves, mises aux ventes à l'encan par la loi du 24 mars 1838, aux opérations des marchands ambulants. A cet effet, il modifiait, à leur égard et en les aggravant, les dispositions de la loi du 21 mai 1819 sur les patentes. La poursuite contre le commerce mobile était si vive, qu'on atteignit même, par le § 8 de l'art. 1er : « Les faiseurs de gaufres, galettes, beignets, crêpes, etc. » Toutefois, les vendeurs de ces friandises populaires, sur étal et table en plein air, étaient exempts. Exception démocratique, dans une loi de protection ! (Loi du 18 juin 1842).
La stabilité des lois est une des conditions essentielles de leur efficacité. Ce principe vrai pour toutes les dispositions (page 24) légales, l'est doublement pour celles qui organisent l'exercice des droits populaires. Il faut que le peuple apprenne à user de ses franchises, dans les limites qui lui sont prescrites : c'est- à-dire qu'une certaine pratique lui est nécessaire pour qu'il fasse un usage régulier des libertés qui lui ont été concédées. Il résulte de là, qu'il ne faut changer ces lois organiques que dans les cas d'extrême nécessité et lorsqu'une expérience continue a prouvé que ces changements sont inévitables. Un publiciste a dit : «... La loi n'a de vigueur que quand les esprits sont convaincus de son utilité, et cette conviction ne peut être négligée par les Gouvernements qui désirent une obéissance spontanée et générale. Il faut donc, avant de porter aucun changement à la législation, que ce changement soit désiré. Il ne suffit pas de faire le bien public ; il faut encore qu'il soit reconnu pour tel et acclamé par l'opinion générale. » (SORIA, Philosophie du droit public, t. III, p. 237)
Voyons si nous trouvons ces caractères dans les modifications apportées à la loi communale, de date si récente. M. Malou disait (Séance du 15 mai 1842) : « Que faisons-nous ? Une loi est à peine exécutée, que nous voulons la remanier, la perfectionner ; nous ne tenons compte que de ses inconvénients, nous ne laissons rien de permanent ni de stable parmi nous... Cette soif d'améliorations peut avoir de grands dangers, parce que ces lois se rattachent à la Constitution même du pays... Je sais toutes les craintes que quelques membres de cette Chambre ont conçues sur le résultat des élections du mois d'octobre, si elles devaient se faire sans aucun changement à la loi. Ces craintes je ne puis les partager... Nous avons fondé le régime électif ; nous l'avons étendu à tous les degrés. Eh bien ! le régime électif emporte avec lui les déplacements de personnes... Vouloir le régime électif sans que les (page 25) élus soient déplacés ou puissent l'être, c'est se refuser à admettre la conséquence nécessaire du régime que nous avons créé. Des modifications étaient donc inopportunes, parce que cette loi ne peut pas être jugée d'avance sur de simples prévisions... Elles sont inopportunes encore pour un autre motif ; il ne fallait pas, sans nécessité grave, jeter une pareille question dans les Chambres et dans le pays... » Et l'opposition d'applaudir à cette juste critique. Mais les applaudissements se changèrent bientôt en reproches, quand M. Malou fit suivre l'exorde de sa catilinaire de l'amendement le plus radical, le plus subversif de la loi. Parmi les modifications proposées, il y en avait deux principales - l'une relative à la nomination et à la révocation du bourgmestre, - l'autre connue sous le nom de « fractionnement des collèges électoraux ». La première était due à l'initiative du Gouvernement ; la seconde à l'initiative de M. de Theux. Dans cette œuvre de destruction, le nouveau Ministre de l'Intérieur prêtait, à titre de réciprocité, son concours à l'ancien chef de ce département qui, moderne Saturne, dévorait sa progéniture.
Nous avons vu après quelles luttes ardentes et quelles vicissitudes de discussion, on était parvenu, en 1836, à se mettre d'accord sur la position du bourgmestre. On avait écarté l'élection directe, tradition historique ; on avait admis, par transaction, la nomination par le Roi, dans le sein du conseil. Cette importante décision avait été prise à la majorité considérable de 80 voix contre 12, après qu'on avait admis « que les bourgmestre et échevins participeraient concurremment à l'exercice du pouvoir exécutif. » Nous avons cité les belles paroles inspirées à M. Dechamps par cette ardeur et cette franchise que donnent la jeunesse et le mandat récent. Il proclamait les avantages du double baptême, sur une même tête, de la confiance royale et de la faveur populaire. Le bourgmestre réunissait ainsi la force de l'autorité et le prestige de l'élection. On avait mis, d'ailleurs, le remède à côté (page 26) de l'inconvénient possible, par cette prescription de l'art. 56 : « le gouverneur (agent du pouvoir royal) peut, sur l'avis conforme et motivé de la députation permanente du conseil provincial (agent du pouvoir populaire) suspendre et révoquer, pour inconduite notoire et négligence grave, le bourgmestre... » C'était un souvenir de cette déclaration constitutionnelle (art. 25) : « Tous les pouvoirs émanent de la nation : » c'était le contre-poids trouvé et, par conséquent, l'équilibre établi entre l'autorité royale et les droits populaires. Et voilà qu'après cinq années, c'est-à-dire après un seul essai d'application, sans tenir compte des difficultés de toute mise en train, on vient bouleverser un système, si difficilement trouvé et si ingénieusement élaboré. Que mit-on sur ces ruines ?
L'art. 2 de la loi de 1836 portait : « Le Roi nomme le bourgmestre... dans le conseil » ; le Gouvernement demandait, cette fois, d'ajouter ce paragraphe : « Néanmoins le Roi peut, pour des motifs graves, nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les électeurs de la commune, la députation permanente du conseil provincial entendue. » M. de Theux, rapporteur, proposa, au nom de la majorité de la section centrale la suppression des motifs graves et de l'intervention de la députation permanente. Puisqu'on tendait au pouvoir fort, pourquoi y mettre des limites ? M. Nothomb se rallia à cette suppression, soit qu'elle satisfît ses secrètes espérances, soit que, voulant atteindre, tout au moins, son but primitif, il n'osât pas s'aliéner ses complices plus hardis. En vain, M. Fleussu, toujours fidèle à ses principes ; M. Mercier, qui, n'avait pas encore modifié les siens, firent-ils des efforts pour rétablir, par des amendements, la double garantie : en vain, MM. Delfosse, Devaux, Orts père, Dolez, Dumortier, Verhaegen, Angillis et d'autres défendirent-ils la loi communale, exposée, pour ainsi dire, à un siège en règle. Quand on relit cette mémorable discussion, on est triste, en voyant l'audace (page 27) qui accompagne la supériorité du nombre ; on est fier, en constatant la force que donne la supériorité de la raison. Que de beaux discours, respirant cette éloquence mâle et naturelle, qu'inspire le patriotisme indigné ! L'opposition se conduisit, comme se comporte une brave garnison investie ; joignant les ruses de la tactique habile aux efforts du courage au grand jour. Mais toutes ces résistances furent rendues vaines par la majorité des scrutins.
M. Nothomb s'en tint au nouveau système de la section centrale. Consulter la députation, disait-il, ce serait établir des conflits entre ce collège et le gouverneur. Comme si l'art. 125 de la loi provinciale, qui donne le recours à ce fonctionnaire, auprès du gouvernement, contre certaines décisions du conseil et de sa députation, n'établissait pas, d'une manière permanente et toutefois sans inconvénients, cette éventualité de conflits. L'amendement ainsi conçu : « Il (le Roi) nomme le bourgmestre, soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs de la commune âgés de vingt-cinq ans accomplis » fut adopté par 51 voix contre 39.
Ce bourgmestre, fonctionnaire du ministère, sans être l'élu de la commune, avait voix délibérative au collège et voix consultative au conseil, qu'il présidait. Triste position à côté des échevins, ses supérieurs, puisqu'ils étaient, à la fois, le produit dé la nomination royale et du choix civique : triste position, aussi, devant le conseil, qui forçait son président à exécuter des mesures dans la décision desquelles il n'avait pu intervenir, que par des avis qu'on n'avait pas suivis ! Les fausses prémisses engendrent les fausses conséquences. On sentit si bien tout ce qu'une telle situation avait d'inconvénients, qu'on voulut la rendre générale, pour la faire paraître moins humiliante. M. Malou, dans ce but sans doute, et s'étant familiarisé avec des modifications qui l'avaient tant effrayé d'abord, déposa l'amendement suivant : « Le Roi nomme les échevins dans le conseil. - Il nomme le bourgmestre (page 28) parmi les électeurs de la commune. Le bourgmestre ne peut être membre du conseil communal. » Ce qui devait être l'exception allait devenir la règle. Notre vieil édifice communal était menacé dans sa base. La section centrale qui avait proposé un système moins acceptable que celui du Gouvernement, adhéra à ce projet de démolition qu'elle n'avait pas imaginé elle-même. « Il est évident, disait-elle, par l'organe de M. de Theux, que le bourgmestre, ne pouvant, en aucun cas, faire partie du conseil, ne se trouve pas dans une position exceptionnelle, quand il est nommé hors du conseil. Que dès lors, son influence dans l'administration de la commune est conservée intacte : il est évident encore que l'incompatibilité des fonctions de bourgmestre avec celles de conseiller est le moyen le plus efficace pour assurer son indépendance. » Quelle critique de sa propre œuvre dans ces mots : « position exceptionnelle ! » Quel oubli de l'intérêt communal dans ces mots : « assurer son indépendance ! » Quoi, vous craignez que ce bourgmestre non élu fasse tache parmi les mandataires communaux, et vous voulez qu'il en existe partout : vous prétendez assurer son indépendance à l'égard des électeurs, et vous ne tenez aucun compte de leurs plus chers intérêts, dont vous lui confiez la direction !
La section centrale proposa, toutefois, cette modification à l'amendement Malou : « Le bourgmestre pourra être choisi aussi parmi les membres du conseil, » c'est-à-dire parmi les élus ; en d'autres termes, elle admettait que la capacité présumée par l'élection ne viciait pas la capacité présumée par le payement du cens. Hommage involontaire rendu aux principes, dont la force est telle qu'elle sert de point d'arrêt dans les plus grandes chutes, et dont la clarté est si vive qu'elle éclaire les plus sombres erreurs ! M. Nothomb disait : « Le Gouvernement est parti d'une idée qui vous a été plusieurs fois exposée : c'est qu'il faut dégager la position de bourgmestre de l'influence électorale... Aussi ai-je déclaré que (page 29) j'appuierai ce système : mais comme c'est une innovation, j'ai cru bien faire, j'ai cru agir prudemment en conservant éventuellement le projet du Gouvernement. » Langage audacieux et timide tout à la fois : manœuvre adroite peut-être, mais peu franche : conduite forcée d'un ministre qui, pour combattre le bon droit de ses adversaires, a besoin de caresser l'erreur de ses partisans !
La partie de l'amendement de M. Malou, prescrivant : « Le bourgmestre ne peut être membre du conseil communal, » fut rejetée par parité de voix, 45 contre 45.
L'adoption de la modification apportée à la nomination du bourgmestre exigeait des changements à ses attributions : ils furent admis, malgré une vive opposition. Ainsi se trouvait anéanti le système de l'administration collégiale de la commune, si laborieusement établi et accepté à une si forte majorité, en 1836. L'ensemble de ces réformes, ou pour mieux dire de ces démolitions, fut péniblement adopté (Loi du 30 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 51 voix contre 35 ; au Sénat, par 34 voix contre 7. Moniteur de 1842, n° 25, 29, 81, 83, 132 à 135, 145 à 161,173, 174,176). Mais toutes ces mutilations n'avaient été opérées qu'à de faibles majorités et après une opiniâtre résistance, qui s'était prolongée, à la Chambre, pendant dix-huit séances. Elles portaient tous les signes de la réaction et avaient, par conséquent, tous les caractères de la fragilité.
On venait d'amoindrir l'action des électeurs, en ce qui concernait leur part d'intervention dans le choix du chef de la commune : il fallait l'amoindrir encore, en ce qui regardait le choix des membres du conseil. M. de Theux, enhardi par les succès obtenus et par le docile concours du ministre, assuma la responsabilité de ce fatal changement. Nous arrivons à l'examen du système connu sous le nom de fractionnement des communes. Diviser pour régner a été et sera toujours la (page 30) devise des pouvoirs, auxquels il manque les deux appuis essentiels de tout Gouvernement, la sympathie et la confiance.
Le changement proposé consistait à dire : « Dans les communes de quatre mille habitants et au-dessus, les élections se font par sections : la répartition des conseillers à élire est faite d'après la population... le nombre des sections ne pourra être inférieur à trois, ni supérieur à huit : la division se fera par quartiers voisins. » La proposition primitive prescrivait le fractionnement pour toutes les communes de quatre mille habitants. Ce chiffre fut, sur la proposition de M. F. de Mérode, porté à douze mille. Le changement avait ainsi pour but et pour résultat de frapper les villes. Les villes surent répondre à cet insolent défi.
Le fractionnement de la commune, apprécié d'une manière absolue, est sévèrement jugé par une autorité, que l'auteur et les partisans de la proposition lie peuvent récuser. Voici ce qu'en dit M. de Bonald : « La commune, qu'on me permette « le mot, est, dans le système politique, ce que le franc est dans le système monétaire, l'unité première et génératrice, « l'unité indivisible, parce qu'on ne peut la diviser, sans tomber dans des fractions sans valeur, et des monnaies sans poids et sans titre. » (DE BONALD, Pensées et discours, t. II, p. 131).
A ceux qui disaient : ce fractionnement était nécessaire, parce que les assemblées électorales nombreuses donnent lieu à des coalitions d'intérêt dangereuses, voici ce que répond l'orthodoxe écrivain, que nous venons de citer : « L'intrigue a et la corruption, dont elle (l'élection) est la source, viennent moins du nombre des électeurs que du nombre des assemblées. Il n'y aura pas beaucoup plus d'intrigue, dans une assemblée trois fois plus nombreuse qu'une autre, parce que les prétentions opposées se résolvent dans l'une et dans l'autre, sur un petit nombre de sujets. Mais s'il y a trois (page 31) fois plus d'assemblées, il y aura dix fois plus d'agitation et de cabale. » (DE BONALD, Pensées et discours, t. II, p. 247)
Mais, prétendait-on encore, il y a dans une ville ou commune populeuse, des intérêts différents, qui doivent avoir des représentants spéciaux. D'abord, l'art. 5 de la loi ancienne satisfaisait à ce besoin, là où il était constaté qu'il existait réellement. Ensuite, nous répondrons : au-dessus de cet intérêt fractionnaire, il y a un intérêt suprême, celui de la communauté. Et alors, il fallait inscrire, dans la loi communale, un article semblable à l'art. 32 de la Constitution et dire : « Les conseillers communaux représentant la commune et non uniquement le quartier, ou la rue qui les a nommés.» Or, vous ne le vouliez pas et vous ne pouviez pas le vouloir ; car il y avait de ces divisions, inventées par vous, qui séparaient en deux, un quartier, une rue et presque un ruisseau. Ce qui faisait que ces conseillers sectionnaires n'étaient plus que les représentants de leur pignon et de celui de leur voisin. Fractionner une ville de 12,000 habitants en trois sections, c'était diviser la ville et le conseil en plusieurs camps ; c'était, quant aux électeurs, faire naître forcément l'antagonisme là où pouvait régner une union et une entente relatives ; c'était, quant aux élus, changer le franc communal en un gros sou de quartier.
On disait aussi : une nombreuse assemblée électorale est incapable de faire des choix conformes à son intérêt. Et l'on oubliait cette vérité proclamée par Montesquieu : « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité : il n'a à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer et des faits qui tombent sous les sens. » On oubliait aussi cette opinion du chancelier de l'Hospital : « Le peuple connaît mieux ceux qu'il doit choisir que nous qui sommes à la cour. »
(page 32) Enfin, on citait, comme exemple à suivre, ce qui avait été fait en France et en Angleterre. A quoi l'on pouvait répondre : que l'intervention populaire dans les affaires communales était bien plus dans nos traditions et dans nos mœurs, qu'elle n'était dans les traditions et les mœurs des populations des deux pays cités. Or, c'est là un point que le législateur doit respecter avant tout. Car il en est des lois comme de la nourriture ; il faut une certaine habitude pour supporter certains mets et certaines mesures législatives. Ce qui est bienfaisant pour les uns, peut-être malfaisant et presque vénéneux pour les autres.
Quel nom donner à cette malencontreuse modification ? Un changement contraire aux principes ; nous venons de le prouver : une tentative contre l'esprit indépendant des villes, qui s'est cabré à la vue de ce frein ; l'expérience l'a montré : un essai d'influence tellement stérile, qu'aucun homme sérieux n'oserait le tenter de nouveau ; nous ne craignons pas de le prédire. C'était une tache pour notre bonne loi communale ; elle a disparu : c'était une erreur de père chez M. de Theux ; puisse-t-il la regretter : c'était une nécessité de position pour M. Nothomb, qui ne parvenait à imposer tyranniquement sa volonté aux uns, qu'en la faisant fléchir humblement devant les autres.
En s'associant à cette nouvelle modification, qu'il n'avait point demandée et qui troublait profondément, dans son esprit et dans sa forme, le système du self-government, l'élection, M. le Ministre de l'Intérieur conviait, comme on l'a dit, le Parlement à frapper sa propre mère. Il pouvait éviter cette lâche complicité et, par conséquent, ce fâcheux résultat ; il ne l'osa pas. Cette marche hardie de la réaction effrayait les amis même de ceux qui la poursuivaient, avec tant de persistance. Voici ce que M. Osy disait, à ce propos (Séance du 14 juin 1842) : « Mais (page 33) aujourd'hui le succès enhardit et on nous propose de changer la loi électorale communale... vous allez rallumer les « passions politiques, et je vous prédis, que si vos lois pas- « sent, vous obtiendrez un résultat contraire à celui que vous attendez, car dans les masses aussi on s'éveille On se dira : plus de concessions, serrons nos rangs, comptons-nous, triomphons ou mourons... Tout ceci m'effraye, et je suis décidé à me détacher du parti réactionnaire... je puis hardiment appeler le projet une loi de haine ou au moins de défiance contre quelques-unes de nos grandes communes ; c'est donc une loi exceptionnelle et une guerre déclarée contre nos grandes villes/ Je viens donc franchement déclarer que je me détache d'un parti qui, voulant aller trop loin, nous ramènera à des bouleversements... » L'opposition fit, encore cette fois, de vigoureux efforts pour écarter ou diminuer le mal : cette lutte fut stérile contre le projet, mais elle émut profondément le pays. Dès ce moment, le corps électoral respira des idées de vengeance : nous ne tarderons pas à en voir les effets ; car cette loi, dont on avait voulu faire une arme de guerre braquée contre les électeurs des grandes communes, fut retournée contre le pouvoir (Loi du 30 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 38 ; au Sénat, par 26 voix contre 15. Moniteur de 1842, n° 161 à 167, 169, 176, 177).
Pendant ces irritants débats, les Chambres furent saisies d'une demande de crédits supplémentaires. Le chiffre disparaissait ici sous l'importance de la question de principe, puisqu'il s'agissait du respect dû à la force de la chose jugée. Voici, en peu de mots, l'origine de cette demande. Divers capitaux avaient été avancés par des particuliers aux communes de Herve, Petit-Rechain et Dison, pour construction de routes. Des actions judiciaires avaient été intentées, pour remboursement des capitaux et arrérages, aux communes qui avaient (page 34) assigné l'État en garantie. Par divers arrêts, passés en force de chose jugée, le Trésor avait été condamné à tenir les communes indemnes des condamnations prononcées contre elles de ce chef. Quelques membres de la Chambre et du Sénat voulurent contester l'obligation, pour l'État, de payer. Ils disaient que les arrêts de justice n'avaient de force que inter cives. Les jurisconsultes, dans les deux enceintes, n'eurent pas de peine à démontrer l'énormité de cette doctrine. Aussi le crédit demandé fut-il adopté à l'unanimité (Moniteur de 1842, n°107-143, 176-178). Nous ne mentionnons ce débat que parce que, plusieurs fois depuis, on a contesté le devoir, pour le Parlement, de voter les fonds nécessaires pour le payement de pareilles condamnations. C'est là une des questions les plus délicates qui se puissent présenter ; car, cette prétention admise aurait pour effet d'établir une confusion entre les divers pouvoirs, dont la séparation a été si clairement définie par la Constitution, et qu'il est de l'intérêt de tous de maintenir avec la plus grande prudence.
M. Nothomb, qui connaissait l'empire qu'un grand talent exerce dans les Gouvernements représentatifs, savait récompenser les hommes qui lui étaient favorables, préférant les aides-de-camp aux successeurs. M. Dechamps fut nommé, par lui, gouverneur de la province de Luxembourg, aussitôt après le vote des modifications à la loi communal, c'est-à-dire le 19 juin 1842.
Par arrêté royal du 19 juin, la Chambre des Représentants fut ajournée du 25 du même mois au 26 juillet suivant. Cet ajournement avait un double but : permettre au Gouvernement de se reposer après la lutte dont il venait de sortir et de se préparer à celle qui allait s'engager.
Malgré les faveurs obtenues par la loi du 7 avril 1838, modifiant notre tarif de douane, la France, oubliant ce bienfait et ses promesses, avait élevé, par l'ordonnance du 26 juin 1842, (page 35) dans une forte proportion, les droits d'entrée sur nos fils et nos toiles de lin et de chanvre. Éternelle mise en pratique de la fable « Le loup et l'agneau. » Mais nous, qui connaissions, aussi bien que notre puissante voisine, le bon la Fontaine, nous eûmes à nous rappeler aussi cet autre apologue « Le pot de terre et le pot de fer. » De là, la convention du 16 juillet 1842. Elle maintenait, pour notre industrie linière, notre position d'avant le 16 juin et, en cas de réduction du tarif français à l'égard d'autres nations, ce qui n'était pas probable, le droit par la frontière belge devait toujours présenter la différence de 3 à 5. Il n'avait rien été stipulé contre l'injuste amendement de Lespaul : rien à l'égard des difficultés suscitées pour les types des nuances blanchâtres. C'était donc le statu quo, avec des promesses illusoires pour l'avenir.
En échange de ces faibles concessions, nous nous engagions : l° à réduire à 50 centimes, par hectolitre, le droit de douane sur les vins en cercles ; à 2 francs, par hectolitre, celui sur les vins en bouteilles ; et, de plus, à abaisser de 25 p. c. les droits d'accises (les droits d'octroi des communes ne pouvaient être augmentés, sous peine de résiliation du traité) ; 2° à réduire de 20 p. c. le droit d'entrée sur les soieries ; 3° les sels de France jouissaient d'une déduction exceptionnelle de 7 p. c. ; 4° le transit des ardoises françaises était maintenu ; le bureau de Menin était aussi ouvert à ce transit. Toutes ces concessions établissaient, dans le budget des Voies et moyens, une diminution estimée par le Gouvernement à 400,000 francs, mais qui, en réalité, devait aller bien au-delà. C'était là, il faut le dire, une pauvre œuvre de notre diplomatie, un triste signe de la faiblesse du Gouvernement. Le cabinet belge n'avait pas su profiter de l'émotion que la crainte des représailles avait jetée dans les nombreux départements cultivant la vigne, et cela au moment où la France allait procéder à des élections générales. Pour être juste, il convient d'ajouter que son action énergique, possible dans le début, fut, dans les derniers (page 36) temps, paralysée par les cris d'alarme que jetèrent diverses localités des Flandres et par des députations, aussi solennelles qu'intempestives, que de nombreux et puissants intéressés ne se firent pas faute de lui envoyer. Malgré tous ses désavantages, le traité fut adopté (Loi du 6 août 1842, adoptée, à la Chambre, par 66 voix contre 11, et 9 abstentions ; au Sénat, par 28 voix, et 5 abstentions. Moniteur de 1842, n°213 à 218).
Ces différends d'intérêts, ce grief matériel contre la France n'avaient point étouffé chez nous, ni les souvenirs du passé, ni les devoirs de la reconnaissance. La Providence, qui combine avec lenteur ses desseins et prépare longtemps d'avance ses vengeances, avait appelé à elle un prince accompli ; enlevant ainsi la seule digue assez forte pour arrêter le flot révolutionnaire qui, cinq ans après, devait emporter une dynastie. La mort du duc d'Orléans avait plongé dans la douleur son admirable famille et couvert de deuil ce grand et malheureux pays de France. Nous ne pouvions nous montrer insensibles à la perte d'un prince qui, au siège d'Anvers, était venu nous prêter l'appui de son grand nom et de son jeune courage. Sur la proposition de M. Félix de Mérode, il fut décidé qu'un service funèbre serait célébré à l'église des SS. Michel et Gudule. La Chambre et le Sénat y assistèrent en corps. Pieux et patriotique témoignage de regrets ! (Voir, Moniteur de 1842, n° 214, 216, 219, Résolutions et détails de la cérémonie).
Il n'est, certes, pas d'objet plus digne de la sollicitude du législateur que l'enseignement public. L'instruction, à tous les degrés, est, pour la société, la source de l'ordre, de la moralité et du progrès. Mais de toutes ses branches, celle qu'il importe le plus de bien régler est, sans contredit, l'instruction primaire. Les efforts privés ou réunis, capables, à la rigueur, de pourvoir à l'enseignement moyen et supérieur, ne sauraient suffire à organiser, d'une manière générale et durable, (page 37) l'enseignement inférieur. Aussi, il n'est point de Gouvernement qui n'ait porté ses soins sur cet objet important ; et l'on pourrait dire, que le degré de l'instruction du peuple d'un pays est le signe certain du degré de sa civilisation. Une telle question ne pouvait échapper, en Belgique, à l'attention du pouvoir et de la Législature. Comment donc s'est-il fait qu'il ait fallu douze ans pour la résoudre ? Deux causes principales expliquent ce retard : les difficultés et les tiraillements qu'éprouve une nationalité naissante ; les craintes exagérées, il faut bien le dire, que le clergé avait à l'égard du pouvoir, et que le pouvoir ressentait à l'égard du clergé, dont le concours était indispensable, en cette matière.
Ce n'est pas, toutefois, qu'il n'ait été fait, durant cette longue période et par différents cabinets, de louables efforts pour hâter cette solution si nécessaire. Il était réservé à M. Nothomb d'attacher son nom à cette grande œuvre. Si le souvenir de son passage aux affaires peut lui être pénible sur quelques points, il doit lui être doux de se rappeler qu'il a puissamment contribué à ce que le peuple fût abondamment nourri du pain de l'instruction, non moins nécessaire pour lui que le pain matériel. Un premier projet, pour les trois branches d'enseignement, avait été préparé en 1831 : un deuxième avait été présenté par une commission, en 1832 : enfin, un troisième fut soumis à la Chambre par le Ministre de l'Intérieur (M. Rogier), le 31 juillet 1834. La loi du 25 septembre 1835 organisa séparément l'enseignement supérieur. M. Dechamps chargé du rapport sur l'instruction primaire, ne le déposa que le 11 juin 1842. Cette question fut ainsi tenue sous séquestre, pendant plus de sept ans. La discussion sur cette grande loi s'ouvrit, à la Chambre, le 8 août 1842 ; elle y occupa dix-sept séances. Elle ne légitima pas, par sa solution, les craintes qui s'étaient manifestées des deux côtés. C'est qu'aussi beaucoup de membres étaient convaincus que pour l'application d'une pareille loi, non seulement (page 38) l'intervention du clergé est utile et désirable, mais encore que, avec son antagonisme, toute organisation devient impossible. Elevez, dans une commune rurale, un bâtiment d'école magnifique, placez-y un instituteur d'élite, promettez aux élèves des récompenses nombreuses ; si le clergé le veut, cet établissement sera désert. Vous y attirerez, et ce n'est pas encore sûr, les enfants du bourgmestre, ceux du notaire et du receveur. Ce qui est vrai pour une commune, n'est pas vrai pour toutes, mais pour un très grand nombre. Il fallait transiger, on transigea ; le peuple ne pouvait pas rester sans instruction. (Note de bas de page : Ce zèle jaloux, en ce qui concerne l'instruction du peuple, est un sentiment commun et naturel au clergé de toutes les croyances. Voici ce que M. de Montalembert dit des efforts du clergé anglican, en cette matière : « L'instruction populaire dans les campagnes est presque entièrement à la charge du clergé. Il y pourvoit par des prélèvements opérés sur ses revenus, et, dès 1847, il montrait avec orgueil les 21,000 écoles, les 1,500,000 enfants, les 81,000 instituteurs, qu'il entretient au moyen d'une dépense annuelle de 22 millions de francs. » (« De l'Avenir, etc. », § 12, p. 201.))
L'étude de cette discussion met en relief deux vérités et, pour ainsi dire, deux leçons parlementaires. La première, c'est que pour les difficultés législatives, comme pour les difficultés physiques, les appréhensions anticipées le plus souvent s'évanouissent devant la réalité, que l'on redoute : tout danger est plus grand, vu de loin qu'affronté de face. La seconde, c'est que pour aborder une telle discussion et la mener à bon port, il faut un ministre ferme et capable, qui la dirige, sans la laisser aller à la dérive. M. Nothomb était ce pilote, ne s'effrayant pas au moindre grain, pas même à la plus rude tempête ; et étonnant, cette fois, ses adversaires eux-mêmes par la force de sa volonté et l'habileté de ses manœuvres.
Nous allons, en quelques mots, résumer les grands principes de cette loi. - Obligation qu'il y ait, dans chaque commune, au moins une école primaire ; toutefois, en cas de (page 39) nécessité, plusieurs communes voisines pourront être autorisées à s'associer pour n'établir qu'une école entre elles : - dispense, pour les communes, d'établir une école communale, dans les localités où il sera suffisamment pourvu à l'enseignement par les écoles privées : - faculté, pour les communes, d'adopter, moyennant autorisation, une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions légales pour tenir lieu d'écoles communales : - instruction gratuite pour les enfants pauvres ; l'enseignement primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale, la lecture, l'écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul et, suivant les besoins des localités, les éléments de la langue française, flamande ou allemande : - l'enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves de l'école ; les enfants appartenant à une autre communion religieuse sont dispensés d'assister à cet enseignement : -la surveillance, quant à l'instruction et à l'administration, appartient à l'administration communale ; quant à l'enseignement de la religion et de la morale, elle sera exercée par les délégués des chefs des cultes : - les livres servant à l'enseignement primaire sont approuvés par le Gouvernement ; ceux qui servent à l'enseignement de la religion et de la morale sont approuvés par les chefs des cultes seuls ; les livres mixtes le sont par le Gouvernement et les chefs des cultes : - la nomination des instituteurs communaux est faite par le conseil communal, parmi les candidats des écoles normales du Gouvernement et des écoles privées soumises à l'inspection : - les communes pourront être autorisées à choisir d'autres candidats : - il y a des inspecteurs cantonaux et provinciaux : - les frais de l'instruction primaire sont à charge des communes : - le traitement de l'instituteur ne peut être inférieur à 200 francs : - l'intervention pécuniaire de la province n'est obligatoire qu'après qu'il est constaté que la commune est intervenue pour une somme (page 40) égale au produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes ; l'intervention pécuniaire du Gouvernement n'est obligatoire qu'après prestation par la province de deux pareils centimes : - le Gouvernement pourra établir des écoles primaires supérieures, dans chaque arrondissement judiciaire et deux écoles normales pour tout le pays. Sauf les détails, voilà toute la loi.
Un caractère particulier à cette discussion, c'est que les débats, tout en étant fort vifs, aboutirent presque tous à une transaction et, on doit le dire, ce fut le parti libéral qui fit le plus souvent le sacrifice de son opinion. Une circonstance remarquable aussi et qui ne s'explique que par une convention tacite acceptée de part et d'autre, c'est que, dans une matière aussi compliquée et aussi controversée, il y n'eut que deux appels nominaux. On marchait avec la plus grande précaution, comme on marche dans un magasin à poudre : il y eut bien quelques explosions partielles, mais sans autre dommage que pour des individualités. Ainsi, certaines doctrines théologiques, un peu surannées, furent signalées, comme se trouvant encore dans les livres servant à l'enseignement des grands séminaires et même dans un catéchisme du diocèse de Namur : - Obligation de payer la dîme ; absolution pour celui qui tuait un hérétique, etc. - Il fut répondu qu'elles s'y trouvaient comme monuments d'histoire plutôt que comme leçons pratiques ; pour mémoire, en un mot. M. Verhaegen demanda à M. de Foere ce qu'il croyait de la doctrine : « Hors de l'Église, pas de salut ! » L'honorable abbé fit une profession de foi tellement libérale et l'on peut dire hardie, qu'on tremble, en la lisant, pour ce qu'elle a dû lui valoir de semonces et de reproches in petto.
A l'art. 5, prescrivant l'instruction gratuite des enfants pauvres, le projet du Gouvernement disait : « La commune fera donner cet enseignement soit dans une école communale, soit dans celle qui en tient lieu, ou dans toute autre (page 41) qui serait spécialement désignée par elle. » La section centrale proposait : « Cette instruction leur est donnée, au choix des parents, dans les écoles communales, ou dans les écoles libres. » C'était, avec l'influence qu'exerce le clergé, détruire l'enseignement public. L'amendement fut repoussé par 71 voix contre 11.
Le minimum du traitement des instituteurs, fixé à 200 francs, fut contesté par une partie de la droite. Il fut admis par 43 voix contre 28 et 1 abstention. Les opposants prouvèrent, encore une fois, le peu de sympathie qu'ils éprouvaient pour l'instruction officielle.
Une autre question fut longuement débattue : Qui juge souverainement de l'existence de l'école ? Est-ce le clergé, est-ce l'autorité civile ? A ce propos, le colloque suivant s'établit : « M. Lebeau. Le refus de concours du clergé fait-il tomber nécessairement l'école ? - Le Ministre de l'intérieur. Non. - M. Lebeau. La cessation de l'enseignement de la morale et de la religion, alors que l'autorité civile est restée, autant qu'il est en son pouvoir, dans les conditions de la loi, fait-elle nécessairement tomber l'école ? - M. le Ministre de l'Intérieur. Non. » (Séance du 26 août 1842.)
L'intervention et même la prépondérance du clergé trouvèrent pour principaux défenseurs MM. Dechamps, de Theux, Brabant, du Bus aîné, Dumortier : les droits de l'autorité civile furent fermement soutenus par MM. Devaux, Lebeau, Rogier, Delfosse, Fleussu, Verhaegen, Orts père, Dolez. M. Nothomb se tenait habilement entre les deux camps, comprimant, autant qu'il le pouvait, le zèle orthodoxe des uns ; donnant satisfaction, en partie du moins, aux justes prétentions des autres, bien plus par les déclarations qui lui étaient arrachées, que par les concessions qu'il avait timidement glissées dans le texte du projet.
Le projet présenté par le Gouvernement, gagna de deux manières : d'abord, par quelques heureuses modifications (page 42) introduites dans ses dispositions ; ensuite et surtout, par les explications données par M. le Ministre de l'Intérieur. Ces explications servirent de base à la transaction, d'élément d'appréciation et de règle de conduite pour l'application de la loi Loi du 23 septembre 1842, adoptée, à la Chambre, par 75 voix contre 3, et 1 abstention ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°182 à 187, 201, 211 à 213, 216, 220 à 239, 242, 243, 264, 265). ((Note de bas de page : Voir « État de l'instruction primaire en Belgique, Rapport décennal », présenté aux Chambres législatives, par M. NOTHOMB, le 28 janvier 1842, suivi du texte des lois, arrêtés et circulaires de 1814-1840 ; - « Rapport triennal, 1843-1845 », par M. DE THEUX ; - le même, 1846-1848, par M. ROGIER. Voir aussi, « Exposé de la situation du royaume, 1840-1850 », t. III, p. 111 à 131, détails et statistique de l'instruction primaire. A la fin de 1848, il y avait, en Belgique, 108 inspecteurs cantonaux civils ; 148 inspecteurs cantonaux ecclésiastiques. - 4,611 écoles soumises à cette inspection. - 2,626 écoles communales, dont 426 n'avaient pas de local convenable. - 7,965 instituteurs ou institutrices, en tout ; et, pour les écoles communales, 2,786, outre 396 sous-instituteurs et sous-institutrices. - La moyenne de leur traitement dépassait 600 francs. - Dans les écoles publiques et privées, il y avait 462,606 élèves, soit 10,6 élèves par 100 habitants. - Les enfants instruits aux frais des communes étaient au nombre de 208,943. - Les dépenses, pour l'instruction primaire publique et privée, étaient les suivantes : 1° Bienfaisance publique et privée fr. 304,499 75 ; 2° Rétribution des élèves solvables 783,830 70 ; 3° Budgets communaux 1,586,918 17 ; 4° Budgets provinciaux 512,369 76 ; 5° Budget de l'État 1,189,05715. Dotation totale de l'enseignement primaire, fin 1848, fr. 4,376.675 51).
L'adhésion presque unanime qu'elle obtint et les heureux fruits qu'elle a portés, semblaient devoir imprimer à cette loi un caractère de fixité et de stabilité. Cependant, une fraction de l'opinion libérale paraît désirer, au nom des principes, sa révision sur quelques points. Une demande formelle en sera-t- elle faite ? Nous l'ignorons ; mais nous n'hésitons pas à prédire à ceux qui voudraient tenter cette réforme législative, qu'ils s'imposeraient une tâche aussi longue que laborieuse. Sans (page 43) aucun doute, cette loi, comme bien d'autres, pourrait être mise plus en harmonie avec certains principes. Mais sa modification, en ce sens, s'opérerait-elle, sans porter un grand trouble dans son application ? Nous ne le pensons pas.
N'aurait-on pas pu introduire, dans la loi sur l'instruction primaire, l'obligation d'enseigner, du moins dans les écoles dominicales d'adultes, dans les écoles primaires supérieures et dans les écoles normales, les éléments du droit constitutionnel. M. Emile de Girardin a dit, avec beaucoup de raison : « Il ne saurait être indifférent d'élever les jeunes gens dans la connaissance et le respect du Gouvernement établi ; c'est le moyen le plus sûr de lui faire prendre racine et de le consolider. Il importe que de bonne heure ils sachent quels sont les devoirs qu'ils auront à remplir, les droits qu'ils auront à exercer. » (EMILE DE GIBARDIN, De l'instruction publique en France, 1845).M. Varnier exprime la même idée, en ces mots : « Le catéchisme enseigne aux jeunes gens les vérités éternelles de la religion pour en faire de bons chrétiens : un catéchisme politique, mis à leur portée, leur enseignerait ce qu'il faut qu'ils sachent pour en faire de bons citoyens. » (Du Gouvernement représentatif en France, p. 245).
En Belgique, M. Marcellin La Garde a publié un estimable petit ouvrage (MARCELLIN LA GARDE, Catéchisme du droit constitutionnel belge ancien et moderne, Bruxelles, 1855), qui pourrait servir à l'enseignement du droit constitutionnel, dans les cours supérieurs des athénées royaux et des écoles communales. Cet écrit, lumineux et succinct, est peut-être encore au-dessus de la portée de l'intelligence du premier âge, ou des adultes sans instruction. Ne pourrait-on pas le réduire à des formes plus simples et moins étendues que celles qu'on a adoptées dans ce recommandable précis ? L'auteur, que nous venons de nommer, devrait se charger de cette utile tâche.
(page 44) Toujours est-il que nous sommes profondément convaincu qu'il serait bon de ne pas laisser certaines parties de l'enseignement primaire privées des notions élémentaires du droit constitutionnel. Rien n'attache aux institutions nationales, comme de savoir combien elles sont bonnes et douces ; rien n'empêche de dépasser les droits, comme de connaître pourquoi et comment ils sont limités ; rien ne fait respecter les devoirs, comme d'être instruit de la nécessité de leurs prescriptions !
A côté de la convenance de l'enseignement constitutionnel, appliqué à certaines écoles, apparaît à nos yeux l'utilité d'une direction nouvelle à donner à l'instruction primaire. Il suffit d'indiquer ce besoin nouveau, pour faire comprendre qu'il n'y peut être satisfait par des règles générales, et que ce serait, par l'intelligente coopération des deux inspections, que l'on pourrait imprimer cette direction morale, suivant nous nécessaire. Quelques localités sont affectées de vices spéciaux, qui se perpétuent de père en fils ; ce sont, ici le mauvais gré, là les rixes sanglantes, plus loin le maraudage et le vol, ailleurs l'ivrognerie habituelle. Eh bien ! nous estimons que contre ce dérèglement local, il faudrait un préventif local : nous comprenons que l'instituteur combatte, dès l'origine, ces mauvais penchants, que l'enfant trouve moins repoussants, parce qu'il ne cesse de voir qu'on y succombe. Il faudrait, sur les bancs de l'école, inspirer une horreur précoce pour ces vices locaux, une crainte salutaire pour les peines et les misères qu'ils enfantent ; jeter dans les jeunes imaginations de légitimes frayeurs pour les conséquences sociales et pénales qui suivent ces écarts, condamnés souvent par la loi, toujours par la raison, la morale et la religion. Ce que la chaire de vérité peut faire, à cet égard, pour le père, l'école devrait le faire pour l'enfant, qui, à l'église, écoute inattentivement le sermon. En citant les exemples de répressions appliquées à de coupables entraînements, on pourrait à la longue, (page 45) pensons-nous, éliminer ce mal contagieux et local, qui semble se transmettre avec le sang.
Dans un rapport, présenté à l'assemblée législative, le 20 avril 1792, Condorcet démontre la nécessité d'enseigner aux enfants le respect des lois. Ce document, sans aucun doute, est trop empreint des idées de l'époque, mais il contient des vues très sages sur l'instruction publique. Il dit : « Les bonnes lois, disait Platon, sont celles que les citoyens aiment plus que la vie... Mais pour que les citoyens aiment les lois, sans cesser d'être libres, pour qu'ils conservent cette indépendance de la raison, sans laquelle l'ardeur pour la liberté n'est qu'une passion et non une vertu, il faut qu'ils connaissent les principes de la justice naturelle, les droits essentiels de l'homme, dont les lois ne sont que le développement ou l'application ; il faut qu'ils aiment les unes parce qu'elles sont justes, les autres parce qu'elles sont utiles. » (Rapport sur l'instruction publique (A. AMIC et E. MOUTTET, Orateurs politiques, 1.1, pp. 489-510)).
La ville de Bruxelles, jeune capitale encore et soumise à cet état de crise qui suit l'enfance et précède l'âge où les forces se complètent, endettée par les événements de la révolution et de ses suites, pas toujours prudemment administrée peut-être, s'était vue obligée de faire un appel au Gouvernement pour venir au secours de son état financier profondément ébranlé. Par une convention provisoire du 5 novembre 1841, le Ministre de l'Intérieur avait consenti, au nom de l'Etat, à reprendre certaines propriétés immobilières et certaines collections appartenant à la ville, à la condition de lui servir une rente annuelle et perpétuelle de 400,000 francs. Cette convention ne pouvait devenir définitive que par une loi. Le rapport de la section centrale, présenté par M. Malou, avait traité la question plutôt au point de vue financier (page 46) et économique qu'au point de vue politique et de convenance : il concluait au rejet. Dès le début de la discussion, tout en reconnaissant que « il y avait quelque chose à faire », l'opposition déploya tous ses efforts pour obtenir l'ajournement de l'examen de cette question. Cette tentative échoua ; on aborda la discussion du fond. Les immeubles cédés consistaient en l'ancienne Cour et le Palais de l'industrie avec leurs dépendances ; la porte de Hal ; le terrain de l'Observatoire ; la place publique en face du boulevard et derrière le Palais du Roi ; les écuries du palais, rue de Namur. Les biens meubles comprenaient la galerie de tableaux du Musée ; les livres et collections de la bibliothèque.
M. Mercier déposa un amendement ayant pour but de réduire la rente annuelle de 400,000 à 300,000 francs. M. le Ministre de l'Intérieur proposa : 1° De remettre au Gouvernement les droits attribués, par la loi du 30 mars 1836, à la députation permanente en matière de comptabilité communale, sauf à entendre cette députation ; 2° de permettre au Gouvernement de pouvoir d'office, à défaut du conseil communal, dresser les budgets à l'époque déterminée par la loi et fixer les impositions communales directes ou indirectes, pour couvrir les dépenses de la ville ; 3° de défendre de déléguer ni d'affecter directement ou indirectement la rente annuelle, sans une autorisation préalable. C'était une mise en tutelle ; tout emprunteur cède un peu de sa liberté, et puis le conseil communal, parodiant le mot de Henri IV, aura dit : « Une capitale vaut bien un sacrifice. » (Le Béarnais disait : « Paris vaut bien une messe ! »)
Malgré tous ces amendements, l'opposition fut très tenace. Les représentants de Bruxelles combattirent vaillamment « pro aris et focis : » M. Nothomb soutint fermement son projet, tout en acceptant la réduction et en facilitant l'issue heureuse par les utiles amendements qu'il proposa. Ce n'était (page 47) pas de trop de tous ces efforts, car la loi ne fut admise, à la Chambre, qu'à une faible majorité (Loi du 4 décembre 1842, adoptée, à la Chambre, par 38 voix contre 33, et 4 abstentions ; au Sénat, par 28 voix. Moniteur de 1842, n° 244 à 266) (Note de bas de page : Par arrêté du collège des bourgmestre et échevins de la ville de Bruxelles, pris le 11 juillet 1843, en vertu d'autorisation requise, l'inscription de 300,000 francs de rente a été immobilisée et spécialement affectée, en faveur de la Société Générale pour favoriser l'industrie, au service des intérêts et de l'amortissement de l'emprunt de 14 millions de francs, contracté le 4 janvier 1843, par la ville de Bruxelles avec la dite banque. (« Exposé, etc »., t. III. p. 712.))
Cette loi, il faut le reconnaître, était surtout un acte de réparation, puisque Bruxelles avait souffert de la révolution, non comme ville ordinaire, mais comme capitale, terrain naturel des commotions politiques : elle était, de plus, un acte de convenance et de nationalité. Les villes, sièges du Gouvernement, sont les écrins des peuples (Moniteur de 1842, n° 245, supplément, Rapport de M. C. Vanderstraeten sur l'agrandissement de Bruxelles ; embellissement proposés). Quand une nation veut se montrer aux yeux des étrangers, quand elle se livre à des démonstrations populaires, aux jours de fêtes patriotiques, c'est de sa capitale qu'elle se pare, comme d'un joyau. Pour la vanité nationale, comme pour la vanité féminine, le nécessaire c'est le luxe. Les tuteurs parlementaires, aussi bien que les pères et les maris, doivent savoir le satisfaire. Un sacrifice, sur ce point, est quelquefois indispensable ; car c'est à ce prix qu'on obtient, dans le ménage public et privé, l'éclat et le contentement.
Le Gouvernement avait demandé à être autorisé à contracter un emprunt de 33,500,000 francs, dont les fonds recevraient trois destinations :
Achèvement des chemins de fer. : fr. 30.000,000
Routes dans le Luxembourg : fr. 2,000,000
Agrandissement de l'entrepôt d'Anvers : fr. 1,500,000
(page 48) La section centrale modifiait le chiffre et la destination, elle proposait :
Pour le chemin de fer : fr. 28,250,000
Routes du Luxembourg : fr. 2,000,000
Canalisation de la Campine : fr. 1,750,000
En tout : fr. 32,000,000
Elle ajournait la dépense pour l'entrepôt d'Anvers.
Il s'ensuivit une discussion très confuse : car, comme c'est l'ordinaire à propos de pareils projets, beaucoup de monde se plaignait de n'avoir pas part au gâteau : les participants trouvaient qu'on ne leur accordait pas assez, les exclus se récriaient contre l'élévation des crédits demandés. M. Devaux fit remarquer, avec raison, l'irrégularité qu'il y avait à comprendre, dans une loi d'emprunt, un travail d'utilité publique, dont on n'avait pas discuté la convenance ou la nécessité. Il se forma sur ce point, ainsi qu'il arrive toujours en semblable occurrence, une coalition d'intérêts qui trancha la question. La Chambre décida que l'emprunt s'élèverait à la somme de 29,250,000 francs, répartie de la manière suivante :
Chemin de fer : fr. 24,000,000
Routes dans le Luxembourg : fr. 2,000,000
Entrepôt d'Anvers : fr. 1,500,000
Canalisation de la Campine : fr. 1,750,000
La discussion amena la majorité à admettre les conditions suivantes, introduites dans la loi : l'emprunt se ferait en une ou plusieurs fois ; la disposition de l'art. 3 de la loi du 26 mai 1837, décrétant le chemin de fer du Luxembourg, était rapportée ; le creusement du canal à petite dimension du Ruppel à Bois-le-Duc se ferait moyennant le concours des communes et des propriétés intéressées et d'après un tracé et aux conditions à déterminer préalablement à toute exécution. (page 49) Le projet, ainsi amendé, fut admis (Loi du 29 septembre 1842, adoptée, à la Chambre, par 62 voix contre 5 ; au Sénat, par 24 voix contre 3. Moniteur de 1842, n° 234, 249, 250 à 255, 266 à 268).
A la suite de la convention commerciale avec la France, diminuant les droits de douane et d'accise sur les vins de ce pays, quelques membres avaient proposé d'accorder une réduction sur les droits d'accise encore à payer par les vins se trouvant chez les marchands. C'était consacrer le dangereux principe de la rétroactivité ; car les termes du payement des droits sont une faveur, et, en règle générale, la douane exige ce payement au moment de l'entrée. Cette proposition fut admise par les deux Chambres, non sans quelque opposition du Gouvernement, et par des majorités peu considérables. Un arrêté royal du 9 octobre 1842, pris sur l'avis du conseil des ministres, refusa la sanction à ce projet de loi. C'était l'exercice du droit absolu donné au Roi par l'art. 69 de la Constitution. En Belgique, ce refus de sanction est extrêmement rare et, cette fois, il pouvait faire naître d'autant moins de critique, qu'il portait sur un projet non politique et se produisait dans l'intérêt du Trésor public.
Par un arrêté royal du 14 octobre 1841, non inséré au Moniteur, M. le Ministre de la Guerre avait institué une médaille d'ancienneté, pour les militaires qui prendraient un nouvel engagement. Pour encourager encore plus ce rengagement, il avait demandé un crédit, devant servir à accorder des primes. A la Chambre, la question de constitutionnalité ne fut qu'effleurée ; il y fut plutôt question des effets de la mesure elle-même : le crédit fut adopté, à l'unanimité des voix. Au Sénat, au contraire, le point constitutionnel fut la base du débat. M. le baron de Macar dénia au Ministre le droit de conférer de telles distinctions, autrement qu'en vertu d'une loi. L'approche de la clôture de la session ne (page 50) permit pas à l'assemblée de résoudre cette importante et délicate question ; elle ajourna son examen à la prochaine session (Moniteur de 1842, n°216 et 268, 2° supplément). Nous n'en avons plus rencontré de trace ; le Ministre aura abandonné un projet, conçu et mis en avant avec un certain sans façon, malheureusement, pas toujours étranger au département de la Guerre.
Outre les lois que nous venons de mentionner, les Chambres en adoptèrent encore quelques autres de moindre importance (1841, du 2 décembre, qui prohibe la sortie des pommes de terre et des fécules ; du 25 décembre, qui proroge celle du 22 septembre 1835, concernant les étrangers. 1842, du 25 février, sur les pensions militaires, modifiant celle du 24 mai 1838 ; du 25 février, sur l'entrée des houilles de la Sarre ; du 27 avril, déclarant acquises au Trésor les sommes non réclamées des emprunts ; du 23 septembre, prohibant la sortie des pommes de terre ; du 27 septembre, sur la police maritime).
Ainsi se termina cette très longue session. Elle fut marquée par deux actes législatifs principaux : l'un funeste, la mutilation de la loi communale ; l'autre bienfaisant, pour le fond du moins, l'organisation de l'enseignement primaire public. Les institutions les meilleures n'échappent pas à la loi commune des destinées humaines ; le bien se trouve à côté du mal ; l'erreur coudoie la vérité ; le droit se heurte à l'injustice !