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Du gouvernement représentatif en Belgique (1830-1848)
VANDENPEEREBOOM Ernest - 1856

Ernest VANDENPEEREBOOM, Du gouvernement représentatif en Belgique (tome premier)

(Paru à Bruxelles, en 1856, chez Libraire polytechnique d’Augistre Decq)

Première session (1831-1832) (gouvernement Goblet-de Muelenaere)

1. Coup d’œil sur l’ensemble de notre régime représentatif

(page 74) Nous entrons, à présent, dans le vif de notre sujet, en abordant l'examen des actes de nos diverses législatures, depuis 1831 jusqu'à 1848. Mais, avant de descendre aux détails, jetons un coup d'œil sur l'ensemble de notre régime représentatif. Considérée d'un seul regard, cette période de plus de dix-sept années offre deux grands aspects, celui des faits et des hommes parlementaires.

La Chambre et le Sénat, inaugurés le 8 septembre 1831, n'ont subi aucune dissolution simultanée. La Chambre ne fut dissoute qu'une seule fois, séparément, le 28 avril 1833. Il y eut sept renouvellements partiels du mandat des (page 75) représentants, en 1835, 1837, 1839, 1841, 1843, 1845 et 1847 : quatre renouvellements partiels du mandat des sénateurs, en 1835, 1839, 1843 et 1847. Le Parlement a tenu dix-neuf sessions (Voir aux Pièces justificatives, n°1, le tableau des sessions législatives).

Outre les comités du gouvernement provisoire et les deux ministères du régent, administrations peu stables, huit ministères ont occupé le pouvoir : le ministère de Muelenaere- Raikem, de juillet 1831 en octobre 1832 ; le ministère Lebeau-Rogier, d'octobre 1832 en août 1834 ; le ministère de Theux, d'août 1834 en avril 1840 ; le ministère Lebeau-Rogier, d'avril 1840 en avril 1841 ; le ministère Nothomb, d'avril 1841 en juillet 1845 ; le ministère Van de Weyer-Malou, d'août 1845 en mars 1846 ; le ministère de Theux-Malou, de mars 1846 en août 1847 ; le ministère Rogier-Frère, d'août 1847 en juin 1848 (ce ministère a duré jusqu'en octobre 1852. Voir aux Pièces justificatives, n°V, le tableau général de tous les ministères, de 1830 à 1848), époque de la dissolution, époque aussi fixée, comme limite, à nos présentes études. Il en résulte que, en négligeant la durée des interrègnes, les catholiques ont tenu le pouvoir pendant huit ans et sept mois ; les libéraux, pendant trois ans et sept mois ; les mixtes, pendant quatre ans et dix mois. Or, si l'on tient compte de ce que, dans la réalité, étaient les ministères mixtes, on devra reconnaître que les libéraux n'ont pas été les enfants gâtés, dans le partage du pouvoir.

Plusieurs de nos ministères furent composés d'hommes politiques, tous dignes du pouvoir, soit par leur expérience des affaires de haute administration, soit par leur aptitude à les comprendre et à les diriger. Il n'y eut pas un seul cabinet, dans lequel, à côté de titulaires insuffisants peut-être, il n'y eût un ou plusieurs chefs capables de participer au gouvernement de leur pays. Mais ce qui distingue, par-dessus tout, ces (page 76) administrations, c'est un caractère général de probité et d'incorruptibilité. Dans les négociations de nos nombreux emprunts, dans les effrayantes dépenses de la guerre, au milieu de nos vastes entreprises de travaux publics, nous n'avons eu, grâce à Dieu, à déplorer aucun de ces grands scandales, qui ont affligé un pays voisin et qui n'ont pu que hâter la chute de son gouvernement. L'honnêteté de nos hommes d'État a été si évidente, que la calomnie ou le dénigrement même n'ont osé en atteindre qu'un petit nombre : presque tous ont eu l'heureuse fortune d'être à l'abri non-seulement du reproche, mais même du soupçon (Note de bas de page : On n'a jamais parlé que d'un ministre s'étant servi du secret d'État, pour faire des spéculations facilement heureuses : d'un autre ministre, ayant tiré de sa position certains avantages. Ces rumeurs publiques n'étaient appuyées d'aucune preuve directe et ne reposaient que sur de simples indices). Heureuse influence de la moralité des gouvernés sur celle des gouvernants : preuve éclatante de la probité de toutes les classes de notre société, d'où sont sortis nos hommes d'État ! L'honnêteté publique est un précieux héritage de nos aïeux : elle doit être un legs sacré pour nos successeurs.

Notre existence parlementaire a dû, comme l'existence ordinaire, passer par différentes phases. Elle a eu son premier âge avec tous ses dangers, ses infirmités et ses faiblesses. Enfant de miracle, pour ainsi dire, notre nationalité fut exposée à de tels périls, qu'on est encore à se demander comment elle n'y a pas succombé. Périls du dehors, - hostilités sourdes ou avouées de quelques-unes des puissances réunies dans la Conférence de Londres ; invasion des Hollandais ; siège d'Anvers : périls de l'intérieur, - tentatives et conspirations pour la restauration ; efforts inquiétants, quoique stériles, des partis républicain et révolutionnaire ; insuffisance des ressources nécessitant des contributions extraordinaires ; stagnation du commerce et de l'industrie, accompagnée (page 77) d'émeutes et de pillages ! Durant toutes ces crises, le pouvoir ministériel était sans stabilité et la lutte s'établissait, dans le Parlement, entre ceux qui demandaient un dénouement pacifique par les voies diplomatiques, et ceux qui, n'acceptant aucun sacrifice, n'attendaient leur salut que du recours aux armes. Les libéraux et les catholiques dormaient ; il n'y avait d'éveillés que les belliqueux et les pacifiques, comme on disait alors, les « verts « et les « secs » (Dans le langage non officiel, les secs étaient nommés les « pourris »). Aussi, toute l'activité parlementaire fut-elle employée, dans le principe, à résoudre des difficultés chaque jour renaissantes. Les vingt-quatre articles adoptés, notre nationalité avait grandi et notre Parlement avec elle : ils étaient entrés dans cette phase de la vie où les forces se développent et se complètent. Ce fut l'époque de la discussion des lois d'organisation : lois communale et provinciale, qui suivirent celles pour l'organisation du pouvoir judiciaire et de l'enseignement supérieur et qui précédèrent celle qui règle l'enseignement primaire. Durant cette période, moins préoccupés des embarras extérieurs, les partis commencèrent à se dessiner et à dévoiler leurs tendances, à propos des principes à appliquer à ces lois organiques. A cette époque, le Parlement déploya toute la vigueur et parfois toute la passion de la jeunesse.

Lorsqu'en 1839, nos différends avec la Hollande furent totalement aplanis, l'âge mûr du Parlement commença, et avec toutes craintes s'évanouirent tous ménagements. C'est dès lors que les partis s'adonnèrent, sans réserve, à la poursuite de leurs intérêts, au triomphe de leurs idées. Les débats prirent un caractère de passion plus forte, qui réveilla l'opinion publique et y porta cette animation, souffle de vie des nations assez heureuses pour être régies par un gouvernement représentatif. Avec les forces acquises, vient le besoin de faire dominer son opinion, de venger des affronts, d'établir sa prépondérance. L'ardeur de la lutte en (page 78) entraîne avec elle la violence des moyens, et c'est ce qui fait que, dans le Parlement comme dans les comices, en cherchant à atteindre un but, parfois on le dépasse. Nous nous efforcerons de démontrer que chacun de nos grands partis n'a pu successivement se soustraire à une pareille situation. Mais nous croyons fermement aussi, que ces excès partiels qui trouvent, dans la publicité des débats libres et contradictoires, leur remède et leur contrepoids, sont préférables aux irrémédiables inconvénients qui sont le triste cortège d'un pouvoir ou d'un parti sans adversaires et sans contrôle.

Au surplus, le fait dominant et remarquable de cette période, c'est qu'aucun de ces partis n'a commis d'acte ou émis de vœux sérieusement contraires à notre Constitution ; c'est que tous ont professé un égal respect pour la légalité. En effet, durant toute notre existence politique, les pouvoirs publics et la nation tout entière semblent avoir compris, par intuition, les règles de la monarchie constitutionnelle, essentielles à sa réussite, indispensables à sa durée. M. Guizot les définit admirablement, quand il dit : « A aucun des pouvoirs qu'elle met en présence elle n'accorde les plaisirs d'une domination sans partage et sans péril. Elle leur impose à tous, même à celui qui prévaut, le travail continu des alliances obligées, des ménagements mutuels, des transactions fréquentes, des influences indirectes, et d'une lutte sans cesse renouvelée avec des chances sans cesse renaissantes de succès et de revers. C'est à ce prix que la monarchie constitutionnelle assure, en définitive, le triomphe des intérêts et des sentiments du pays, obligé lui-même à la modération dans ses désirs, à la vigilance et à la patience dans ses efforts. » (Discours sur l'histoire, etc., p. 8.)

En ne sortant jamais de ce cercle régulier, le peuple belge semble avoir mérité l'éloge que le même écrivain fait du peuple (page 79) anglais : « Au milieu des plus ardentes luttes politiques, et même des violences où il a tantôt suivi, tantôt poussé ses chefs, il s'est toujours, dans les circonstances suprêmes et décisives, contenu ou replié dans le ferme bon sens qui consiste à reconnaître les biens essentiels qu'on veut conserver, et à s'y attacher invariablement, en supportant les inconvénients qui les accompagnent, ou en renonçant aux désirs qui pourraient les compromettre. Ce bon sens... est l'intelligence politique des peuples libres. » (Discours sur l'histoire, p. 73).

Si diverses qu'aient été les situations, les hommes n'ont pas manqué, ni au sein du pouvoir ni au sein du Parlement, pour conjurer tous les dangers, pour surmonter tous les obstacles. Des ministres ont tenu le portefeuille, qui étaient dignes de présider à la direction des affaires d'un plus grand pays ; des orateurs ont fait entendre, à la tribune, une parole qui méritait de trouver un retentissement plus étendu. A peu d'exceptions près, pouvoir législatif et pouvoir exécutif se sont montrés mûrs pour le régime représentatif, capables de le conserver et de le faire grandir.

Tout modeste que soit le théâtre sur lequel ces faits se sont passés et ces hommes se sont produits, la pratique du système représentatif en Belgique a été bienfaisante à l'intérieur et non sans honneur aux yeux de l'étranger. Dans notre amour pour la liberté, dans nos aspirations à tous les progrès moraux et matériels, nous n'avons été ni les fils indignes de nos pères, ni les contemporains inférieurs aux peuples qui nous entourent. Puisque ceux qui nous contemplent et nous envient peut-être nous rendent cette justice, pourquoi ne pourrions-nous pas nous faire à nous-mêmes cet aveu, non comme une stérile satisfaction à la vanité, mais comme un puissant appel à la persévérance ?

En effet, si de l'étude de notre situation politique et parlementaire, (page 80) l'on passe à l'examen des progrès moraux et matériels obtenus à l'aide de notre excellent régime constitutionnel, que de motifs aussi pour le préférer à tout autre ! La liberté contenue et réglée est, pour ainsi dire, l'arbre bienfaisant qui a porté tant de fruits d'or : instruction publique et privée dans tous ses degrés ; belles-lettres renaissantes et beaux-arts florissants ; monuments réparés avec goût ; chemin de fer établi avant aucun autre sur le continent et étendant, chaque jour, ses fécondes branches ; routes construites sur une vaste échelle ; canaux creusés et cours de rivières améliorés ; industrie et commerce se développant dans des proportions inespérées ; perfectionnements agricoles et défrichements poursuivis avec succès ; revenu public suivant la progression du bien-être général. Voilà, en quelques mots, nos titres de nationalité : voilà pourquoi nous pouvons porter fièrement notre nom de Belges, en face même des grands peuples qui nous entourent !

Mais, à côté de ce légitime orgueil pour le bien que nous avons fait, pour les progrès que nous avons réalisés, il faut placer l'aveu de nos fautes, afin de les éviter à l'avenir, si c'est possible. Chacun de nos grands partis politiques a commis, à des degrés différents, des erreurs, soit pendant sa possession du pouvoir, soit pendant ses luttes pour y parvenir. Ces fautes consistent ou dans l'action, c'est-à-dire dans le tort d'avoir fait des actes qui ne devaient pas être faits ; ou dans l'abstention, c'est-à-dire dans la négligence qu'on a mise et la crainte à laquelle on a cédé, en n'abordant pas des mesures, dont l'intérêt du pays demandait la réalisation. Ces dernières, ces fautes par abstention, sont de beaucoup les plus nombreuses. Dans le cours de ces études, nous tâcherons d'établir le boni et le mali de chaque bilan.

2. Composition des ministères sous le gouvernement provisoire et sous la régence

Avant d'entamer l'examen des actes législatifs, nous croyons nécessaire de mentionner la composition des différents ministères, car les ministres font, indirectement du moins, partie (page 81) du pouvoir législatif, puisque l'article 64 de la Constitution prescrit que : « Aucun acte du Roi ne peut avoir d'effet, s'il « n'est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s'en rend responsable. » Nous désignerons généralement, comme c'est l'usage, les ministères par la date de leur nomination. Pour qu'on puisse saisir, dans leur ensemble, toutes les combinaisons ministérielles depuis notre émancipation politique, nous remonterons rapidement jusqu'à l'origine des pouvoirs en Belgique.

Au début des révolutions, d'importantes mesures sont prises avec le concours de fonctionnaires d'un rang modeste, soit que les grandes ambitions n'aient pas eu le temps de se produire, soit qu'elles ne l'aient pas osé. Deux jours après sa formation, le Gouvernement provisoire assuma tous les pouvoirs : l'urgence des circonstances, le salut de la patrie le voulaient ainsi ; - Salus populi suprema lex esto. Un comité central, sorte de pouvoir dirigeant, fut formé dans son sein (MM. De Potter, Charles Rogier, Sylvain Van de Weyer, le comte Félix de Mérode. M. Alex. Gendebien leur est adjoint le 10 octobre 1831. Pasinomie, 3e série, t. I, pp. 5 et 23). Le Gouvernement provisoire conserva ces pouvoirs sans limites jusqu'au 11 novembre 1830, jour où il les remit au Congrès national. Le lendemain, cette assemblée manifesta le désir, la volonté même que le pouvoir exécutif lui fût conservé, jusqu'à ce qu'on y eût autrement pourvu.

M. Coghen et, plus tard, M. Ch. de Brouckere furent les chefs du comité des finances. Le 10 octobre 1830, M. Tielemans est appelé aux fonctions de chef du comité de l'intérieur, en remplacement de M. Nicolaï, membre du Gouvernement provisoire, qui lui-même avait succédé à M. le baron de Stassart. M. A. Gendebien, adjoint comme cinquième membre au comité central, est chargé, en qualité de commissaire général, de présider le comité de la justice. (page 82) Le 16 octobre 1830, M. Isidore Plaisant est nommé aux fonctions d'administrateur général de la sûreté publique. Ce département ministériel fut supprimé par arrêté du 3 mars 1831 et ses attributions passèrent ensuite au Département de l'Intérieur. Un comité diplomatique est formé, le 18 octobre 1830 : il se compose de MM. Sylvain Van de Weyer, membre du Gouvernement provisoire, président ; comte d'Arschot ; comte de Celles ; Destriveaux et Nothomb, députés au Congrès. Le 30 octobre 1830, la démission de M. le colonel Jolly, chef du comité de la guerre, est acceptée, M. Goblet lui succède. Les administrateurs généraux, ou chefs des divers comités, furent les ministres du Gouvernement, pendant cette période de transition.

Le décret du Congrès du 24 février 1831, nomme M. Érasme, baron de Surlet de Chokier Régent de la Belgique. Le 25 du même mois, le Gouvernement provisoire dépose entre les mains du Congrès le pouvoir exécutif (TH. JUSTE, Histoire du Congrès national, t. 1, p. 292, Proclamation du Gouvernement provisoire).

Le premier ministère du régent (26 février 1831) est composé de la manière suivante : Guerre, Goblet ; Finances, Ch. de Brouckere ; Affaires étrangères, Sylvain Van de Weyer ; Justice, A. Gendebien ; Intérieur, Tielemans.

L'élection du régent ne s'était point faite sans contestation. Elle fut, pour ainsi dire, à l'insu des candidats, l'indice de la formation des partis. Au premier tour de scrutin, sur 170 votants, M. Surlet de Chokier obtint 51 voix ; M. de Gerlache, 51 voix ; M. de Stassart, 50 voix. Au second tour, M. de Surlet eut 63 voix ; M. de Gerlache, 62 ; M. de Stassart, 43. Au scrutin de ballottage, M. de Surlet fut nommé par 106 voix contre 61 restées fidèles à M. de Gerlache. Comme un hommage rendu à ses services et à son mérite et, peut-être plus encore, comme une compensation offerte à ses amis, (page 83) un arrêté du 27 février 1831, contresigné par tous les ministres, nomma M. de Gerlache, président du conseil des ministres, sans dérogation à l'article 103 de la Constitution. C'était donc une position purement honorifique, à laquelle des mésintelligences le firent bientôt renoncer. Le 7 mars suivant, le chef du cabinet se retira.

Quatre ministres ayant donné leur démission et celle de M. de Brouckere ayant été refusée, le second ministère du régent fut formé par les arrêtés des 23, 24 et 27 mars 1831. Il se composait de : MM. Ch. de Brouckere, aux Finances ; Etienne de Sauvage, à l'Intérieur ; Barthélemy, à la Justice ; d'Hane de Steenhuyse, à la Guerre ; Lebeau, aux Affaires étrangères. Le 28, M. Paul Devaux, après avoir refusé le portefeuille des Affaires étrangères, est nommé ministre d'État, avec voix au conseil. Il n'accepte pas le traitement de 10,000 florins qui lui avait été alloué, pendant son absence : rare exemple et digne commencement d'une longue carrière de dévouement désintéressé ! (TH. JUSTE, ouvrage cité, t. II, p. 75.) Le 16 juin 1831, le général de Failly avait remplacé le colonel d'Hane au Département de la Guerre, et le 30 du même mois, M. A. Duvivier avait été chargé, ad interim, du portefeuille des Finances, que M. Ch. de Brouckere avait déposé.

3. Le premier ministère du Roi (24 juillet 1831)

Le premier ministère du roi date de l'arrêté du 24 juillet 1831 : il subit bientôt de nombreux remaniements. On sait qu'à cette époque il n'y avait que cinq départements ministériels. Voici comment ils furent occupés » : (Voir, aux Pièces justificatives, n°V, une statistique générale du mouvement ministériel, depuis 1830 jusqu'en 1852.)

Intérieur, MM. de Sauvage, continué dans ses fonctions ; Ch. de Brouckere, 3 août 1831 ; Th. Teichmann, ad interim, 16 août 1831 ; de Muelenaere, ad interim, 25 septembre 1831 ; Isidore Fallon, 12 novembre 1831 (il n'accepta (page 84) pas) ; chevalier de Theux, 21 novembre 1831 ;

Guerre ; M. le général de brigade, baron de Failly, continué dans ses fonctions ; M. le colonel d'artillerie, Ch. de Brouckere, 16 août 1831 ; comte Félix de Mérode, chargé intérimairement de la signature, 15 mars 1832 ; M. le général de division, baron Ëvain, 20 mai 1832 ;

Finances, M. Coghen ;

Affaires étrangères, de Muelenaere ; il donne sa démission, 12 novembre 1831 et il est chargé de l’interim ;

Justice, M. Raikem.

Sont nommés :

Membre du conseil des ministres, M. Lebeau, 4 août 1831 (il donne sa démission le 22 du même mois) ;

Ministres d'État, MM. Félix de Mérode, chevalier de Theux, de Muelenaere, 12 novembre 1831.

On le voit, ce ministère n'eut ni beaucoup d'homogénéité, ni beaucoup de stabilité. Cela s'explique, tout à la fois, par les difficultés des circonstances et la disette de capacités éprouvées à la pratique des affaires : peut-être plus encore par la fiévreuse mobilité de quelques hommes et les prudents calculs de quelques autres.

4. Les travaux de la chambre (I) : mode de promulgation des lois, réorganisation de l’armée, sûreté publique

Les collèges électoraux furent convoqués, le 29 août 1831, à l'effet d'élire cent deux représentants et cinquante et un sénateurs, nombres fixés par le décret du 3 mars 1831.

Plusieurs des deux cents membres du Congrès n'avaient quitté la vie privée qu'à regret et pour payer leur dette à la patrie en danger : ils s'empressèrent d'y rentrer, dès qu'ils le purent, contents de reprendre le soin de leurs intérêts personnels, effrayés peut-être de leur courte mais rude expérience des soucis et de la responsabilité de la vie publique. Vingt et un constituants entrèrent au Sénat, où les uns étaient appelés par leurs noms et leur fortune, les autres, par leur participation déjà ancienne à la Représentation nationale ; soixante et quinze trouvèrent place à la Chambre des Représentants et y portèrent, soit l'autorité de leur talent déjà éprouvé, soit le fruit de leur expérience. Des treize constituants ecclésiastiques (page 85), trois seulement, appartenant aux provinces flamandes, firent partie de cette première législature.

Les Chambres se réunirent le 8 septembre 1831 (Voir, aux Pièces justificatives, n°III, la composition de cette législature et des suivantes, jusqu'en 1848. Voir aussi, ibid., n°VIII, la composition des bureaux.). Le roi fit l'ouverture de cette première session législative (Voir le discours du Trône et les adresses, Moniteur des 9, 10 et 11 septembre 1831). Les adresses reflétaient, comme on devait s'y attendre, et la joie du pays, à l'avènement du roi, et ses amers regrets des humiliants désastres dont la patrie avait depuis naguère à gémir. Dès le début, une discussion s'établit sur la portée de l'art. 37 si clair de la Constitution : « A chaque session, chacune des Chambres nomme son président, ses vice-présidents et forme son bureau. » MM. de Robaulx et Gendebien prétendaient qu'en présence de cet article, il était loisible aux Chambres de renouveler leurs bureaux, quand elles le voudraient, pendant une même session. La Chambre décida, à bon droit, pensons-nous, par 44 voix contre 21, que le bureau serait nommé pour toute la durée de la session (Moniteur de 1831, n°89. En Prusse, le bureau définitif n'est nommé qu'après qu'un bureau provisoire a siégé quelque temps).

Un des premiers projets, dont eurent à s'occuper les Chambres, fut celui qui concernait la sanction et la promulgation des lois. (Loi du 19 septembre 1831, adoptée, à la Chambre, par 65 voix contre 2 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1831, n°95-98). L'art. 1er en détermine le mode. « La sanction est le consentement donné à la loi par le roi, comme exerçant une partie du pouvoir législatif ; la promulgation est l'ordre d'exécuter et de publier la loi, donné par le roi, dans (page 86) l'exercice du pouvoir exécutif ; elle diffère essentiellement de la publication, qui n'est que le mode par lequel la loi est portée à la connaissance des citoyens et, par conséquent, son insertion au Bulletin officiel, laquelle est censée lui donner une entière publicité. » (Pasinomie, 3e série, t. II, p. 150). La publication est nécessaire pour rendre la loi exécutoire, aux termes de l'art. 1er du Code civil. Il était inutile de parler ici du contreseing du ministre, indispensable, d'après l'art. 64 de la Constitution. Suivant l'art. 2, les lois seront insérées au Bulletin officiel, aussitôt après leur promulgation (Malgré cette prescription, qui aurait dû être applicable aux arrêtés royaux, il arrivait que des ministres retardaient l'insertion de ces arrêtés. L'art. 4 de la loi du 28 février 1845 a autorisé certaines exceptions, et dispensé, dans quelques cas, de la publicité), avec une traduction flamande et allemande pour les communes où l'on parle ces langues, le texte français demeurant néanmoins seul officiel. L'art. 3 rend les lois obligatoires, dans tout le royaume, le onzième jour après celui de leur promulgation, à moins que la loi n'en ait autrement disposé. (Voir, au tome II, livre VIII, les modifications apportées à la loi du 19 septembre 1831 par celle du 28 février 1843. VALETTE et BENAT SAINT-MARSY, Traité de la confection des lois, p. 202, principes qui doivent régler cette matière).

La rude leçon du passé avait fait penser aux dangers de l'avenir. Par diverses lois du 22 septembre 1831, les Chambres accordèrent au gouvernement le rappel sous les drapeaux des miliciens de la levée de 1826 et un crédit de 10,000,000 de florins pour les dépenses de la guerre : elles autorisèrent le roi, tout à la fois, et à prendre des officiers étrangers au service de l'État et à démissionner, sans traitement ni pension, certaines catégories d'officiers peu recommandables.

Le Gouvernement provisoire avait, par son décret du 22 octobre 1830, ouvert un emprunt volontaire de 5,000,000 de florins. Le Congrès, par la loi du 8 avril 1831, avait autorisé le Gouvernement (page 87) à contracter un emprunt de 12,000,000 de florins. Un premier emprunt forcé fut ouvert par la loi du 21 octobre 1831. Plus tard, le gouvernement fut autorisé à établir un second emprunt forcé, jusqu'à concurrence de 48,000,000 de florins (loi du 16 décembre 1831) ; ensuite, à lever une armée de trente mille hommes (loi du 4 juillet 1832) ; enfin à prendre quelques mesures de circonstances (loi du 6 octobre 1831, réparation des polders. Loi du 7 octobre 1831, dépôts d’armes de guerre). Ce qui aurait dû être fait plus tôt, pour nous épargner de grands désastres, l'était, en ce moment ; de manière à prouver aux yeux de tous que rien ne nous coûterait pour maintenir notre indépendance, si chèrement achetée, si rudement éprouvée, au moment même où le roi était venu lui apporter son loyal et ferme appui.

Un projet de loi, concernant des mesures de sûreté publique à l'égard des étrangers, fut présenté. Dirigé contre des tentatives coupables et récentes, il contenait des dispositions d'une rigueur extrême. Mais, dans la discussion à la Chambre des Représentants (Moniteur de 1831, n°121 à 124), il rencontra une vive opposition et subit des modifications si profondes, qu'il fut retiré par le ministère. Après des époques d'une liberté sans limites, il est difficile d'obtenir d'assemblées, constituées nouvellement et placées sous l'impression des aspirations du moment, des mesures préventives, même contre la licence et les complots.

5. Les principales dispositions des règlements de la chambre et du sénat

La Chambre et le Sénat discutèrent presque simultanément leurs règlements respectifs. Dans les assemblées délibérantes, le règlement d'ordre intérieur a une grande importance : car, ce sont ses dispositions qui servent de frein à la majorité, de sauvegarde à la minorité et, si l'on peut s'exprimer ainsi, de boussole aux discussions. Le règlement de la Chambre des Représentants fut adopté le 6 octobre 1831, celui du Sénat le (page 88) 19 du même mois (Le Sénat introduisit, depuis, quelques changements dans son règlement. Voir Moniteur de 1840, n°360, 361, 362 et de 1841, n°80. La Chambre modifia son règlement, en séance du 21 décembre 1843. Voir Manuel à l'usage des membres de la Chambre, pp. 71 et 141. Supplément, pp. 1 et 6). Leurs prescriptions sont à peu près identiques ; elles ne diffèrent que sur un seul point essentiel, celui de l'abstention.

L'article 29 du règlement de la Chambre est ainsi conçu : « Tout membre qui, présent dans la Chambre lorsque la question est mise aux voix, s'abstient de voter, sera invité par le président, après l'appel nominal, à faire connaître « les motifs qui l'engagent à ne pas prendre part au vote. » L'article 31 du Sénat prescrit : « Tout membre présent dans la Chambre, lorsque la question est mise aux voix, est tenu de voter, à moins qu'il n'en soit dispensé par l'assemblée « pour les motifs qu'il expose.

« Si, après que ces motifs n'auront pas été admis, il s'obstine à ne pas voter, ou s'il sort, son suffrage sera ajouté à celui de la majorité des autres membres présents.

« Le vote doit être pur et simple ; il s'exprime par oui et non. »

Ainsi, d'un côté, le devoir de voter et le droit de s'abstenir sont laissés à la discrétion de chaque membre : de l'autre côté, le devoir de voter est prescrit et le droit de s'abstenir est laissé à la décision de l'assemblée. Des deux dispositions, la dernière est évidemment la plus sage. La différence de formule vient, sans doute, de ce que le Sénat aura profité de la discussion très vive qui eut lieu à la Chambre des Représentants sur le droit d'abstention. L'article 29 n'y fut admis que par 33 voix contre 25.

Les comptes rendus du Moniteur de cette époque sont fort brefs. Nous y trouvons ce qui suit : « Ce dernier article (29) est le seul qui ait donné lieu à quelques discussions. Vivement (page 89) attaqué par MM. Destouvelles, d'Elhoungne et Dellehaye, il a été défendu par MM. Leclercq, Lebeau, Devaux et Nothomb, comme utile pour forcer les membres à voter, acte qu'ils considèrent comme un devoir dont on ne peut se dispenser, en acceptant le mandat de représentant. Deux épreuves ont été douteuses quand on a voulu voter sur l'article dont la rédaction appartient à M. Lebeau. » (Moniteur de 1831, n°108).

Ces dispositions réglementaires sont très-importantes, car elles tranchent la grave question du quorum nécessaire pour qu'une loi soit votée. Examinons ce point, au double point de vue de ce qui se fait ailleurs et de ce qui est prescrit chez nous.

Aux États-Unis, tout membre présent, au moment où une question est posée, doit émettre son vote, à moins que l'assemblée, pour des raisons spéciales, ne l'en dispense. » (Rules, art. 42.) « Une majorité de chaque Chambre suffira pour traiter les affaires ; mais un nombre moindre que la majorité peut s'ajourner de jour en jour, et être autorisé à forcer les membres absents à se rendre aux séances, par telles pénalités que chaque Chambre pourra établir. » (Constitution, art. 1er, section V, § 1er).

En Angleterre, le quorum de la Chambre des lords est fixé à trois pairs. On s'y abstient si peu, qu'on y vote même par procuration (proxy), en cas d'absence. Le duc de Wellington, inspirant une grande confiance, était souvent chargé de nombreuses procurations. Le quorum de la Chambre des communes d'abord fixé à 40 membres, l'a été depuis à 20. Les votes sont publiés et exprimés par les mots yea et nay. En cas de doute du speaker, ou à la demande d'un membre, on procède par division, c'est-à-dire que ceux qui veulent voter d'une manière sortent de l'enceinte, les autres y restent. Quatre vérificateurs, choisis par moitié dans chaque opinion par l'orateur, comptent les membres de chaque catégorie et (page 90) font connaître le résultat de cette opération. On s'y abstient si peu aussi, que Hatsell dit : « Si les membres ont par inattention ou par quelque autre cause, négligé de sortir avant que la porte fût fermée, il n'est plus à leur option de voter comme ils veulent, ils sont comptés comme votant avec ceux qui sont restés dans la Chambre.» (Recueil des présidents de la Chambre des communes). Ceux qui veulent ou qui doivent s'absenter font ce qu'on appelle « pair of » ; ce qui consiste à faire annoncer qu'un tel membre se fût prononcé pour, tel autre membre contre, les noms mis en regard.

En France, l'article 16 de la Charte prescrivait : « Toute loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux Chambres.» La Chambre des Députés a, par tous ses règlements, reconnu la nécessité de la présence de la majorité : la Chambre des Pairs, au contraire, a fixé un quorum inférieur à la moitié plus un. Mais, dans aucune des dispositions réglementaires, il n'est question d'abstention, les membres étant présents.

Nous avons parcouru les nombreux règlements des assemblées législatives de France ; partout nous avons rencontré ou le vote public, ou le vote secret ; mais pas un mot, pas une allusion à ce droit de s'abstenir, si légèrement admis et si largement pratiqué chez nous. (VALETTE et BENAT SAINT-MARSY, ouvrage cité, passim).

La loi fondamentale des Pays-Bas (1815) portait : « Art. 103. Les membres des États-Généraux votent par appel nominal et à haute voix. » Le règlement d'ordre de la seconde Chambre ne dit rien du mode de votation, ni du droit d'abstention.

Dans la discussion du règlement du Congrès national de 1830 (Pasinomie, 3e série, t. I, p. 80), il n'a pas été question d'abstention et, en fait, on s'abstenait fort rarement, au sein de cette assemblée. Dans la (page 91) séance du 17 décembre 1830, M. Le Hon s'écriait : « Un membre du Congrès doit voter, ou donner sa démission ! »

L'article 38 de notre Constitution porte : « Toute résolution est prise à la majorité absolue des suffrages : ... aucune des deux Chambres ne peut prendre de résolution « qu'autant que la majorité de ses membres se trouve réunie.» L'article 39 dit : « Les votes sont émis à haute voix ». Une abstention est-ce un vote, est-ce un suffrage ? La Constitution veut la présence de la moitié des membres plus un ; c'est de la présence réelle et vivante qu'il s'agit : ceux qui s'abstiennent s'écartent de la résolution, ils font les morts. Autant vaudrait s'en aller et laisser son chapeau sur son banc. La Constitution a pensé que la majorité des législateurs est nécessaire pour former la loi ; les règlements permettent que ce soient les minorités qui les fassent. En effet, à 55 membres, la Chambre est compétente ; le Sénat l'est à 28. Supposons, dans la première de ces assemblées, 20 abstentions (cela s'est vu), 18 votent pour la loi, 17 contre. Voilà des dispositions légales admises par le sixième seulement d'une assemblée, où l'on a envoyé 108 membres pour faire les lois du pays. Est-ce là se conformer à l'esprit des articles 38 et 39 ? Pour y être fidèle, il faudrait, pensons-nous, si non abolir, du moins restreindre fortement le droit d'abstention, dont on abuse chaque jour davantage.

A ces considérations constitutionnelles contre l'abstention, viennent se joindre des considérations morales. L'abstention n'est-elle point un acte (si on peut appeler acte l'absence et la négation de l'action) d'égoïsme ? Celui qui s'abstient ne dit-il pas implicitement à son collègue ? « Voisin, le fardeau est un peu lourd pour mes épaules, charge-le sur les tiennes. » Lisez les motifs d'abstention et vous verrez qu'un de ceux qu'on allègue est presque toujours assez prépondérant pour qu'on dise plutôt oui que non et vice-versa, et que, par conséquent, s'abstenir n'est pas seulement peu courageux, mais aussi peu (page 92) logique. C'est quelquefois presque un aveu d'inintelligence. Après une discussion qui avait absorbé de nombreuses séances à la Chambre et au Sénat, un membre de cette dernière assemblée donna pour motif de son abstention : « qu'il n'était pas suffisamment éclairé ! » (Moniteur de 1839, n°88 (acceptation du traité)). L'abstention devient, chez quelques membres, un mal chronique. Des représentants s'abstiennent dix et vingt fois durant une même session ! Quand on voit une hésitation si constante, on est, malgré soi, porté à penser à la malheureuse position, que Buridan a illustrée par sa célèbre comparaison.

Un abus s'est introduit, qui rend la discussion générale plus longue et plus confuse, c'est celui-ci : Le § 4 de l'article 18 dispose : « La parole sur est exclusivement accordée aux orateurs qui auraient des amendements à proposer. » II arrive que, pour gagner un tour de parole, un orateur propose un amendement insignifiant qu'il développe dans la discussion générale. Or, c'est là un procédé contraire à l'article 40 qui dit : « La discussion générale portera sur le principe et sur l'ensemble de la disposition. » II est donc permis de déposer des amendements, quand on le juge convenable : mais on ne devrait être admis à les développer que lors de la discussion des articles, et ainsi il y aurait chance d'avoir des développements moins étendus (Voir Annales parlementaires, 1846-1847, p. 247, les observations faites à cet égard par M. Liedts, alors président de la Chambre).

L'article 6 des deux règlements renferme des dispositions identiques, en ce qui concerne l'élection des vice-présidents, qui sont nommés par bulletins de liste : l'usage admet que celui qui obtient le plus grand nombre de voix est le premier vice-président. Or, cette manière d'opérer ne détermine pas assez clairement la volonté de l'assemblée ; elle peut donner lieu à des manœuvres de partis, que l'on fait passer pour des (page 93) préférences personnelles ; elle provoque parfois des démissions fâcheuses pour l'assemblée, quoique inévitables pour les personnes blessées. C'est ce qui a failli arriver à la Chambre et ce qui est arrivé au Sénat (Élection de M. Delfosse, au commencement de la session 1850-1851 ; élection du comte de Renesse, du 8 novembre 1854). Les représentants ont changé leur règlement, à cette occasion, en établissant deux scrutins.

Une lacune dans le règlement, ou du moins un abus dans l'usage est le suivant ; l'article 46 dispose : « Quoique la discussion soit ouverte sur une proposition, celui qui l'a faite peut la retirer ; mais si un autre membre la reprend, la discussion continue. » Or, il est arrivé qu'une proposition faite par un membre d'un parti, était retirée, dans la prévision d'un échec ; un membre du parti opposé, voulant la reprendre, sauf à voter contre, ainsi que ses amis, on lui contesta ce droit : on prétendit, dans la Chambre et dans la presse, que cette conduite n'était pas sérieuse (Voir Moniteur de 1835, n°256. M. Rogier reprend la proposition, faite par la section centrale, de prohiber l'entrée des cotons étrangers. Il a pour but de faire condamner cette hérésie économique ; il en est empêché par la question préalable. La même prohibition s'est reproduite plusieurs fois depuis). C'est là une très-grande erreur. Quand un membre fait une proposition, il doit prévoir toutes les chances bonnes ou mauvaises : s'il est battu, il n'avait qu'à se taire. Mais, il peut être très-important pour l'opinion, dans un débat politique, pour beaucoup de personnes, dans un débat d'intérêts matériels, de savoir ce que les Chambres pensent de telle ou telle question produite. Une proposition retirée par son auteur, peut être représentée par lui ou ses adhérents, le lendemain, quand ses partisans sont plus nombreux, ses adversaires moins exacts. Une proposition repoussée est affaiblie pour longtemps. Il y a la même différence entre elles, qu'il y a, en temps de guerre, entre un ennemi qui opère sa retraite et celui qui est pris ou mis hors (page 94) de combat. En Angleterre, c'est l'assemblée qui décide si une proposition, une fois produite, peut ou ne peut pas être retirée. C'est là une prescription très-sage et très-prudente.

Une disposition du règlement de la Chambre a été, principalement dans ces derniers temps, abrogée par l'usage. C'est la suivante : Art. 12. « Sauf le cas d'urgence, le commencement des séances est fixé à midi. » Or, non-seulement il n'y a plus jamais urgence, mais même beaucoup trop de séances ne commencent qu'à deux heures, pour se terminer à quatre heures et demie, ce qui ne donne que deux heures de discussion utile. Ne devrait-on pas fixer, généralement, l'ouverture de la séance à une heure ? Le travail des sections pourrait se faire convenablement : les travaux des Chambres seraient plus accélérés et, partant, les sessions plus courtes. A tout cela, il n'y aurait rien à perdre pour personne (La session de 1855-1856 a présenté une aggravation de cette infirmité. Beaucoup de séances furent fixées à trois heures, pour être closes à quatre heures et demie…).

Les art. 45 du règlement de la Chambre et 43 de celui du Sénat sont à peu près semblables ; ils disposent :

« Lorsque des amendements auront été adoptés, ou des articles d'une proposition rejetés, le vote sur l'ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où les derniers articles de la proposition auront été votés.

« Il s'écoulera au moins un jour entre ces deux séances.

« Dans la seconde, seront soumis à une discussion, et à un vote définitif, les amendements adoptés et les amendements rejetés.

« Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont interdits. »

De la combinaison des art. 39, 41 et 43 du règlement du Sénat, il résulte qu'un projet non amendé subit, au sein de (page 95) cette assemblée, deux lectures ; un projet amendé trois lectures. A la Chambre des Représentants, au contraire, pour une loi non amendée, on se borne à une seule lecture ; et à deux seulement, pour une loi amendée. N'y a-t-il pas ici une lacune, dans le règlement de la Chambre ? On ne peut plus y discuter, ni y voter définitivement, lors de la seconde lecture, que les amendements adoptés, les articles rejetés, ou les nouveaux amendements, qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. Et, comme la loi est votée immédiatement après cette seconde discussion, il se peut qu'il y ait des articles, déjà définitivement admis, qui ne cadrent plus avec les nouveaux amendements et qui passent inaperçus. Une troisième lecture permettrait les changements de rédaction, que l'on néglige séance tenante et qui seraient inspirés, dans le silence du cabinet, soit au Gouvernement, soit à des membres de l'assemblée. Le style de nos lois, qui laisse souvent à désirer, deviendrait ainsi plus précis et plus correct. En Angleterre, aucun bill n'est adopté, qu'après trois lectures (Voir, pour les formalités de ces trois lectures, VALETTE, etc., ouvrage cité, p. 130).

Il était autrefois d'usage à la Chambre, et il l'est encore au Sénat, sans que les règlements le prescrivent, que les rapports, même ceux qui sont destinés à être imprimés et distribués, soient lus in extenso. C'est là une formalité inutile pour l'assemblée et fatigante pour celui qui est la cause involontaire de cette perte de temps. « Time is money» est un adage vrai pour le riche sénateur, comme pour le plus pauvre représentant.

On autorise parfois l'insertion au Moniteur de discours, après que la clôture est prononcée : cela ne devrait pas être. Si la Chambre ne se croit pas assez instruite, elle doit entendre le discours ; si la discussion est épuisée, l'insertion n'est qu'une satisfaction personnelle. Les débats font autorité, parce qu'ils sont contradictoires. Un discours inséré, restant (page 96) sans réplique, ne devrait pas trouver place dans les documents parlementaires et usurper ainsi une importance officielle qu'il n'a pas.

Enfin, il est deux abus introduits dans nos Chambres par l'usage ; ce sont la longueur exagérée de la discussion de l'adresse, la prolixité excessive de certains débats. En Angleterre, la réponse au discours du Trône est présentée par un membre du parti ministériel (dans ce pays, on ne rougit pas de ce nom) et soutenue par un de ses collègues de la même opinion : un ou deux membres de l'opposition y répondent. Il est rare que l'adresse n'y soit pas votée en une seule séance. En Belgique, cette discussion dure, parfois, huit jours (en 1832). Ces longs débats se conçoivent à l'avènement d'un nouveau ministère et dans des circonstances exceptionnelles, mais ils ne devraient pas se généraliser. Au Parlement anglais, sur les questions capitales, les chefs de file de chaque parti prennent seuls la parole (Note de bas de page : Le grand plan financier, le système libéral des céréales et la réforme douanière, présentés par sir Robert Peel, furent adoptés eu quelques séances). Dans les Chambres belges, on a vu des discussions durer quatre-vingt-douze jours (Les discussions de la loi communale ont absorbé, à la Chambre, ce nombre de séances) et les mêmes orateurs y prendre une large part (Note de bas de page : Dans la discussion de la loi d'organisation de l'École militaire, M. de Puydt s'exprima ainsi, en séance du 4 décembre 1837 : « M. Dumortier a parlé trente-cinq fois : il a parlé jusqu'à sept fois sur la même question. » Nous croyons l'accusation exagérée ; nous n'avons compté qu'une vingtaine de fois). Sur toute question, même la plus importante, il y a cinq ou six grands arguments pour, cinq ou six fortes raisons contre. Imaginez-vous donc dix à quinze membres de chaque opinion venant vous répéter ces arguments sur tous les tons. Pensez qu'après la brillante improvisation du membre le plus éloquent, arrive la (page 97) lecture monotone de tout un manuscrit du membre le plus obscur. Il y a peu de supplices comparables à cette audition prolongée. Il est difficile d'imaginer une formule, à insérer dans un règlement, contre une pareille intempérance de langue, une telle incontinence de parole : la liberté de la tribune s'y oppose. C'est à la discrétion des membres et, au besoin, à la sagesse de l'assemblée qu'il faut en demander le remède. L'âge, d'ailleurs, nous donnera cette sobriété de langage : nous sommes, en Belgique, de jeunes parlementaires et la jeunesse, de sa nature, est babillarde.

En Espagne, c'est encore pis que chez nous. C'est ce qui fit dire à Donoso Certés : « Les Gouvernements représentatifs vivent de discussions modérément longues ; les discussions interminables les tuent ! » M. Varnier, parlant du même excès, en France, l'appela un prurit oratoire.

Aux États-Unis, il fut fait d'inutiles efforts, pendant bien des années, pour mettre un frein à la prolixité des orateurs. Ce ne fut que le 13 juin 1842, qu'on parvint à introduire dans le règlement (art. 34), cette disposition : « Aucun membre ne pourra parler plus d'une heure sur une question, soit dans la Chambre, soit en comité. » Une heure peut paraître trop à ceux qui ignorent que, chez ce peuple ardent et énergique, de fougueux orateurs n'étaient fatigués de parler qu'après plusieurs séances. On a fait la part du feu.

Une des causes de la longueur des discussions, en Belgique, est qu'on y tolère la lecture de discours écrits. Ce que les nouveaux membres ne savent pas assez, ou apprennent trop tard, c'est que parler d'abondance est vingt fois plus facile que lire. Quand vous lisez, votre esprit n'est qu'à moitié occupé par ce travail presque mécanique ; vous avez encore tout le temps de vous laisser distraire par tout ce qui se passe autour de vous. Quand vous parlez d'abondance, vous êtes, au contraire, tout entier à l'enfantement de votre idée, à l'enchaînement de vos pensées. L'interruption, dans ce cas, vous (page 98) ranime, au lieu de vous abattre. Ce qu'il faut, d'ailleurs, à un discours parlementaire, ce n'est pas la phrase, c'est l'idée : ce n'est pas la déclamation, c'est la démonstration, la preuve ; - Res, non verba. Sachez votre sujet, soyez convaincu, et quelque imparfaite que soit votre parole, elle fera vingt fois plus d'effet que la lecture d'un manuscrit, si accentuée et si colorée qu'elle puisse être.

« Voulez-vous, disait Benjamin Constant, en démontrant les abus des discours écrits, voulez-vous que nos assemblées représentatives soient raisonnables ? Imposez aux hommes qui veulent y briller la nécessité d'avoir du talent. » - « La méthode des discours écrits est vicieuse en elle-même, disait Mirabeau ; elle ne fera jamais des hommes de force dans une assemblée politique ; elle favorise l'inertie de la pensée ; et, comme l'habitude de se faire porter, elle jette dans l'engourdissement et dans l'indolence. » En Angleterre et aux États-Unis, il n'est pas permis de lire un discours écrit.

Le chapitre VII (art. 82 et 83) du règlement de la Chambre contient des dispositions relatives à la commission de comptabilité. « Elle vérifie et apure tous les comptes. » Elle devrait donc tenir lieu de Cour des comptes, à l'égard des dépenses de la Chambre, et, en fait, il n'en est rien. Le chiffre le plus élevé du budget parlementaire est celui des indemnités mensuelles (Voir Pièces justificatives, n°VII, Quelques détails, un aperçu des dépenses de la Chambre) dues aux représentants en vertu de l'art. 52 de la Constitution. Or cette dépense, on le conçoit, peut difficilement être contestée, par des collègues à des collègues. D'un autre côté, le grand-contrôleur de toute la comptabilité publique, le collège de la Cour des comptes, émanation de la Chambre, ne peut porter sur elle ce regard scrutateur et sévère qu'il n'épargne pas aux ministres eux-mêmes : juge-t-on, critique-t-on (page 99) sa mère ? Il n'existe donc aucun contrôle sérieux sur ce point : il s'ensuit que la conscience et la délicatesse de chaque membre sont les juges souverains, en cette matière.

Du reste, les articles du règlement, généralement bien conçus, sont fidèlement observés dans leur ensemble. Outre ces règlements d'ordre intérieur des deux Chambres, il existe un règlement provisoire pour la publication des comptes rendus de la Chambre des Représentants, arrêté le 22 janvier 1847 (Manuel, supplément, p. 6). Voici son origine. Il arrivait à des membres d'ajouter à leurs discours, en revoyant l'épreuve, ces mots : « (on rit) » ou bien : « (marque générale d'assentiment.) » Ils se prêtaient ainsi un succès d'esprit, ou une autorité de langage, qui n'avaient pas existé en réalité. Ce narcissisme un peu osé (qu'on nous pardonne le mot) fut signalé par M. Henri de Brouckere (Annales parlementaires, 1846-1847, p. 517) : il donna naissance au règlement, dont nous venons de parler. Son art. 5 porte : « Tout bruit, tout signe d'approbation ou d'improbation seront uniformément indiqués par le mot : Interruption. » La conséquence en fut que le compte rendu n'offrit plus, parfois, la physionomie réelle du débat et que celui-ci perdit un peu de sa couleur ; mais, en revanche, il en résulte que des orateurs coquets ne peuvent plus appliquer à leurs discours un fard emprunté.

Un point qui n'est pas prévu par ce règlement, et que MM. les questeurs pourraient faire observer, est le suivant. Quand deux membres du même nom siègent simultanément à la Chambre, les Annales parlementaires indiquent, naturellement, leurs prénoms. Mais si l'un d'eux vient à quitter la Chambre, on ne met plus que le nom tout court. Parfois le membre, momentanément éloigné, recouvre son siège et alors les deux prénoms reviennent. Les lecteurs des Annales (page 100) - nous avouons qu'ils doivent être rares - sont souvent déroutés et ne savent auquel des deux membres il faut attribuer une opinion émise à une date reculée et qui ne porte que l'indication homonyme : on n'a pas toujours présent à la mémoire si, à telle époque, c'était M. A. N... ou B. N... qui faisait partie de la Chambre. C'est ce qui est arrivé pour les de Brouckere, les Dubus, les Vuylsteke et pour d'autres. De là des confusions, des méprises, causées par les sosies parlementaires. Il serait facile, dans ce cas, de continuer à ajouter le prénom du membre resté seul à la Chambre, comme on le faisait du temps qu'il y en avait deux du même nom. Ce ne serait qu'un mot de plus aux Annales qui en contiennent tant d'autres, moins utiles parfois. Et puis, ce serait conforme à ce principe : « Chacun son bien, » et à cet autre : « Il est toujours permis de sortir d'indivision. » MM. les Questeurs sont trop soigneux, M. le directeur du Moniteur est trop exact pour ne pas nous pardonner cette observation de pure forme.

Une lacune existe dans les règlements des deux assemblées, c'est celle de la marche à suivre relativement aux rapports officieux que la Chambre et le Sénat pourraient avoir entre eux. Ces sortes de conférences existent, en Angleterre, de longue date : elles ont épargné ou aplani bien des conflits et des difficultés. Elles sont admises aussi en Amérique et conduite d'après un règlement commun, nommé Joint Rules. Ces dispositions prévoient le cas d'un amendement adopté par une Chambre et rejeté par l'autre Chambre : une conférence est proposée, et là on s'efforce de terminer le différend. « C'est ordinairement à l'occasion d'amendements, dit Jefferson, que des conférences sont demandées ; mais elles peuvent l'être dans tous les cas où il y a différence d'opinion entre les deux Chambres. Cependant la demande doit toujours en être faite par la Chambre qui a la pièce entre les mains. » La loi espagnole du 19 juillet 1837 prescrit les conférences, en cas de modifications ou de désapprobations partielles d'un (page 101) projet par l'une des deux Chambres. Là, les rapports étaient une règle, en ce cas (VALETTE et BENAT SAINT-MARSY, Traité de la confection des lois, p. 191). Peut-être, si on avait eu recours à ce moyen, nous n'aurions eu ni le premier rejet de la loi des successions par le Sénat, ni la dissolution de cette assemblée, qui a été la suite de ce refus.

Une question réglementaire - et constitutionnelle à notre sens - est contestée ; c'est la suivante : Un ministre, non représentant, peut-il présenter des amendements ? Cette question a été souvent débattue, sans recevoir de solution formelle (Voir Annales parlementaires, comptes-rendus des séances des 4 décembre 1837, 27 mars 1847, 5 novembre et 24 décembre 1852). En pratique, le ministre, ne faisant pas partie de la Chambre, priait un collègue représentant de signer l'amendement, ou bien l'assemblée admettait l'amendement, la question de régularité restant réservée. Or, comme il peut arriver qu'un ministère entièrement extra-parlementaire existe, il convient d'examiner ce point.

Quatre articles constitutionnels, quatre articles réglementaires peuvent être invoqués ici. La Constitution dit, art. 26 : « Le pouvoir législatif s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des Représentants et le « Sénat ; » art. 27 : « L'initiative appartient à chacune « des trois branches du pouvoir législatif ; » art. 42 : « Les Chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés ; » art. 88 : « Les « ministres n'ont voix délibérative, dans l'une ou dans l'autre Chambre, que quand ils en sont membres. Ils... doivent être entendus quand ils le demandent. » Le règlement porte : art. 18 : « La parole sur est exclusivement réservée aux orateurs qui auraient des amendements à proposer, lesquels amendements ils devront déposer sur le bureau, en quittant la tribune ; » art. 34 : « Chaque membre a le (page 102) droit de faire des propositions et de présenter des amendements ; » art. 42 : « Les amendements sont rédigés par écrit et déposés sur le bureau ; » art. 43 : « La Chambre ne délibère sur aucun amendement si, après avoir été développé, il n'est appuyé au moins par cinq membres. » Nous ne trouvons, dans ces articles, qu'une seule prescription qui puisse faire supposer que les ministres, non représentants, n'ont pas le droit d'amendement ; c'est l'article 88 constitutionnel, « Les ministres n'ont voix délibérative, etc. » Or, on sait que, dans le langage légal, ces mots s'appliquent au droit de voter et non à celui de proposer ou de discuter (Voir, Loi communale, ce qui était prescrit pour les bourgmestres, nommés hors du conseil : ils avaient voix délibérative, c'est-à-dire qu'ils proposaient, sans pouvoir voter).

Nous trouvons dans le raisonnement, plus d'un motif pour admettre ce droit. D'abord, l'initiative appartient aux trois branches du pouvoir législatif : cette initiative doit être entière et non mutilée, pour le Roi représenté par ses ministres, comme pour les Chambres. Or, s'il était vrai que le Roi ne pût plus présenter d'amendements, une fois la discussion engagée, il en résulterait que son droit d'initiative serait plus circonscrit que celui du Parlement. Supposons des mesures proposées en vue des circonstances ; le Gouvernement, juge responsable des nécessités du moment, ne pourrait proposer des amendements, commandés par les événements et d'une nécessité urgente. Cette prescription ne serait pas seulement peu rationnelle, mais elle serait inefficace ; car le ministre peut immédiatement retirer le projet en discussion, et séance tenante, présenter un autre projet, renfermant son amendement. Il atteindrait ainsi le même but, mais avec plus de lenteur et des retards peut-être dangereux. Que l'on exige que cette proposition, extra-parlementaire, si on le veut, mais, suivant nous, non inconstitutionnelle, doive être appuyée, (page 103) imprimée, et au besoin, renvoyée aux sections, ou à la section centrale, pour examen, nous le voulons bien ; mais que l'on conteste à un ministre non représentant le droit de présenter un amendement, cela ne nous paraît ni nécessaire, ni utile pour une assemblée qui a le droit de rejeter cette proposition.

On peut faire cette objection : La Constitution, le règlement parlent des amendements présentés par des membres de l'assemblée ; ils ne disent rien des amendements venant de ministres non représentants ou non sénateurs. Or, en raisonnant ainsi, on oublie que ce droit d'amendement a été expressément concédé à nos Chambres, en 1831, parce que, ailleurs et antérieurement, il a été expressément dénié à d'autres assemblées législatives. - L'article 95 de la Constitution de l'an III ne donnait pas au Conseil des Anciens le droit d'amendement ; la Constitution du 22 frimaire an VIII imposait au Tribunal l'alternative d'admettre ou de repousser la loi, sans l'amender ; l'acte additionnel du 23 avril 1815, portait que si les amendements proposés par la Chambre des Représentants n'étaient pas admis par le Gouvernement, l'assemblée était tenue de voter purement et simplement sur la loi ; la Loi fondamentale des Pays-Bas de 1815 ne concédait le droit d'amendement à aucune des deux Chambres. C'est à cause de ces précédents qu'on a formellement inscrit, dans la Constitution, le droit qu'auraient nos Chambres d'amender les lois. Mais de ce qu'on ne dit rien du même droit qu'aurait le Roi, par ses ministres quels qu'ils soient, il ne se peut inférer que ce droit n'existe pas pour lui. Nous croyons qu'un tel déni ne serait ni conforme au plein exercice de son droit d'initiative, ni efficace, puisqu'il pourrait être éludé par le retrait du projet et la présentation d'un projet amendé ; ni utile aux assemblées, puisqu'elles ont toujours le pouvoir de rejeter les amendements proposés. Qu'un pouvoir soit jaloux de ses droits, rien de mieux ; mais il ne doit pas les exagérer, en restreignant les droits d'un pouvoir, dont le concours est nécessaire (page 104) pour que des projets, de quelque part qu'ils viennent, soient transformés en lois.

Ce qui précède amène une autre remarque. Il arrive souvent qu'un ministre vient dire : « D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer tel projet de loi. » S'exprimer ainsi, c'est employer une formule inconstitutionnelle. Les projets de lois sont signés par le Roi, en vertu de son droit d'initiative, comme étant l'une des branches du pouvoir législatif ; mais ils sont contresignés par le ministre et présentés par lui, comme seul responsable. Chateaubriand blâmait, d'une manière absolue, la présentation des projets de loi par ordonnance royale ; il disait : « Les ministres apportent aux Chambres leur projet de loi dans une ordonnance royale. « Cette ordonnance commence par la formule : « Louis, par la grâce de Dieu, etc. » Ainsi, les ministres sont forcés de faire parler le Roi à la première personne ; ils lui font dire qu'il a médité dans sa sagesse leur projet de loi, qu'il l'envoie aux Chambres dans sa puissance ; puis surviennent des amendements qui sont admis par la couronne, et la sagesse et la puissance du Roi reçoivent un démenti formel. Il faut une a seconde ordonnance pour déclarer encore, par la grâce de Dieu, la sagesse et la puissance du Roi, que le Roi (c'est-à-dire le ministère) s'est trompé. » (Monarchie selon la Charte, chap. VI).

Benjamin Constant disait relativement à la même pratique : « Placer le nom du Roi dans la discussion d'un projet de loi, c'est faire sortir tout à fait le pouvoir royal de sa sphère, c'est l'appeler dans la mêlée de toutes les opinions. Tandis que la Constitution veut que les ministres soient responsables pour le Roi, c'est vouloir que le Roi soit responsable pour les ministres » (Cours de politique constitutionnelle). D'après notre droit constitutionnel, nous concevons un projet de loi signé par le Roi ; nous ne comprenons pas un ministre (page 105) venant dire, à la tribune, que c'est « d'après les ordres du « Roi, » que ce projet est déposé. Les Chambres ne sont saisies que de propositions ministérielles, et ce qui le fait bien voir, c'est le rude accueil que ces projets rencontrent parfois. « Dans le Parlement anglais, la proposition des lois appartient à chaque membre ; lorsqu'un ministre propose un bill, ce « n'est pas au nom du Gouvernement, mais en son nom et comme membre de la Chambre à laquelle il appartient. » (Opinion de M. JOLLIVET, citée par VALETTE, Traité, etc., p. 66).

6. L’acceptation du traité des 24 articles

Nous arrivons, à présent, à l'un des actes les plus douloureux de notre Révolution, à l'une de ces cinq journées où, selon l'expression de M. Nothomb, « la question d'être ou ne pas être a été débattue. » Dans la séance du 24 octobre 1831, M. de Muelenaere, Ministre des Affaires étrangères, exposa à la Chambre et au Sénat comment la conférence de Londres en était venue à formuler les 24 articles du 15 octobre 1831, bases du traité de séparation entre la Belgique et la Hollande (THONISSEN, la Belgique, t. 1, pp. 192-209. DUMORTIER, la Belgique et les vingt-quatre articles, et aussi Observations complémentaires, passim. NOTHOMB, Essai, etc., passim).

Cette communication excita une vive émotion dans les deux assemblées ; mais, comme ces articles stipulaient certaines cessions de territoires et que, aux termes de l'art. 68 de la Constitution, « nulle cession de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, » le Gouvernement présenta, le lendemain, un projet de loi d'autorisation. L'exposé des motifs reconnaissait franchement l'étendue des sacrifices, mais il établissait fermement aussi la nécessité de s'y soumettre. La Chambre, ayant décidé que la discussion aurait lieu en comité secret, s'occupa de cette importante question les 26, 27, 28, 29, 30 et 31 octobre. Quelques discours publiés par le Moniteur et par d'autres journaux peuvent donner une idée de la vivacité des débats. Celui de M. Nothomb, aussi (page 106) remarquable par la forme que par le fond, démontre clairement l'impossibilité du refus. Dans une allocution d'une touchante et vraie éloquence, celle qui part d'un cœur vivement ému, M. Jaminé prononça, pour ainsi dire, le suprême adieu de cette cruelle séparation. Dans la séance du 1er novembre, la Chambre autorisa le Gouvernement à accepter le traité : 59 membres votèrent pour, 38 contre. Dans la séance du 3 novembre, le Sénat donna la même autorisation par 35 voix contre 8. (Moniteur de 1831, n°135-137. THONISSEN, la Belgique, etc., t. 1, pp. 229-241. Voir Moniteur de 1831, n°144, les explications de M. de Gerlache, admises par la Chambre, à propos d'une lettre adressée par M. Pirson, et dans laquelle le président était violemment attaqué. Loi du 7 novembre 1831).

(Note de bas de page : A la chambre, ont voté pour : MM. Barthélemy, Goblet, Van Innis, de Terbecq, Lefebvre, Ullens, de Muelenaere, de Theux, W. de Mérode, Raymaeckers, Dugniolle, Coppieters, Verhaegen, Lebègue, Lebeau, Brabant» Pirmez, Dumont, Dewitte, Duvivier, Poschet, Delehaye, Ch. Vilain XIIII, Mesdach, Vuylsteke, Mary, Cols, Dellafaille, Thienpont, F. de Mérode, Vanderbelen, Hye-Hoys, de Nef, Morel Danheel, H. Vilain XIIII, Le Hon, Verdussen, Fallon, Van Meenen, de Sécus, Osy, Polfvliet, de Roo, Dautrebande, Milcamps, Legrelle, de Woelmont, Jonet, Coghen, Olislagers, Devaux, Boucqueau de Villeraie, Bourgeois, Raikem, Van den Hove, Serruys, Desmanet de Biesme, Angillis et de Gerlache. Ont voté contre : MM. Vergauwen, C. Rodenbach, d'Huart, Jaminé, Corbisier, d'Hoffschmidt, Rogier, Pirson, Dams, Gelders, Watlet, Jamme, Leclercq, H. de Brouckere, Julien, Tiecken de Terhove, Destouvelles, de Haerne, Blargnies, Gendebien, E. De Smet, Domis, Lardinois, de Meer de Moorsel, Jacques, Séron, Ch. Coppens, Fleussu, Davignon, Berger, Dubus, Hélias d'Huddeghem, A. Rodenbach, Dumortier, de Robaulx, Liedts, Goethals et d'Elhoungne. Se sont abstenus : MM. Nothomb et Rouppe. Absents : MM. Ch. de Brouckere, de Foere et Zoude (de Saint-Hubert).

(Au sénat, ont voté pour : MM. Vander Straten, Degorges, Legrand, de Guchtenere, Du Bois, Puissant, d'Arschot, d'Oultremont, de Peuthy, E. de Robiano, de Jonghe, J. d'Hooghvorst, Léopold Lefebvre, de Neve, de Baré de Comogne, de Man d'Hobruge, H. de Mérode, de Mooreghem fils, d'Andelot, Van den Hecke, Piers de Raveschot, de Pélichy, de Conninck, Van den Steen, de Sécus, de Stockhem, de Snoy, de Rouvroy, Vilain XIIII, de Quarré, Dupont, de Mooreghem père, de Stassart, de Cartier d'Yves, de Rodes et de Ghelcke. Ont vote contre : MM. Peyts, de Rouillé, de Schiervel, de Loe, Biolley, F. de Robiano, d'Ansembourg et Lefebvre-Meuret. Se sont abstenus : MM. Thorn et de Méan.)

(page 107) Pendant les débats, comme après la décision, une partie de la presse se montra hostile et presque menaçante. Quelque opposition se manifestait aussi parmi les populations. Mais le mécontentement était loin d'être aussi général et de se produire par des scènes de violence, comme à l'époque de la discussion des dix-huit articles. Le pays commençait à comprendre que le sacrifice, quelque pénible qu'il fût, était inévitable. C'est ce que démontre M. Nothomb, dans son célèbre Essai, quand il résume la question en ces termes : « Les dix-huit articles avaient été pour la diplomatie le contrecoup des « journées de Septembre, les vingt-quatre étaient le résultat des journées d'août. Il n'y avait qu'une question à examiner ; celle de la nécessité. Tout était secondaire à côté de cette haute considération. Placée en face d'une loi européenne, la Belgique devait-elle accepter ces conditions d'existence, ou les rejeter ? Les Belges devaient-ils répondre : Nous voulons périr ensemble, ou vivre ensemble ? Ce mouvement eût été beau, généreux, sublime ; mais existait-il une alternative ? Pouvait-on espérer de vaincre l'Europe et de vivre ensemble ? Ou bien, la question n'était-elle pas plutôt de savoir s'il fallait périr tous ou quelques-uns ? Ce n'est pas Rome qui se jeta dans le gouffre pour sauver Curtius. Menacé d'un grand malheur, l'individu peut dire : « Je consens à mourir plutôt que de me soumettre, mais, pour les nations, la première loi, c'est d'être, c'est de se conserver. Exiger de la Belgique qu'elle résistât à l'Europe, c'était lui imposer le suicide social. A Dieu ne plaise que je veuille insulter à de justes regrets ; j'ai eu ma part de ces grandes douleurs ; le souvenir en restera dans ma (page 108) mémoire, ineffaçable ; mais, il faut qu'on le sache, la nécessité absout. » (NOTHOIIB, Essai, chap. XIV, p. 203).

M. de Carné porte, sur les vingt-quatre articles, le jugement suivant : « Que l'on compare les bases de séparation du 20 et 27 janvier 1831 et le traité du 15 octobre 1831, et l'on verra tout ce que la Belgique avait gagné, malgré le mal heur de ses armes et les imprudences de sa tribune... Accuser d'impuissance le cabinet qui assura à la Belgique une situation assez favorable pour que la Hollande persistât sept années à refuser d'accéder aux vingt-quatre articles, et que pour qu'elle ne s'y décidât, en 1839, que sous le coup d'une ruine imminente, c'est assurément faire preuve ou de beaucoup de mauvaise foi, ou de beaucoup d'ignorance. » (Études sur l'histoire, etc., t. II, p. 163).

Celui qui, après plus de vingt-quatre ans, médite sur ces discussions, ne peut s'abstenir de payer un juste hommage aux hommes politiques qui, bravant l'impopularité, ont eu le courage de faire taire leurs affections, pour n'écouter que les lois de la nécessité et le salut de la patrie. Mais on ne saurait être trop indulgent pour ceux, auxquels leur ardent patriotisme et leur attachement à leurs frères ont fait émettre un avis moins prudent. Pour ce vote, comme pour tous ceux qu'on émet, dans les assemblées délibérantes, pendant les fiévreuses péripéties des révolutions, il faut tenir compte, en les appréciant, des entraînements et des passions de ces époques et ne pas les juger seulement avec la quiétude des temps réguliers et la certitude des résultats acquis.

7. La commission d’enquête sur les causes et les auteurs des revers de la campagne d’août 1831

Après le droit d'accuser les Ministres, la Chambre des Représentants n'a pas d'action plus forte contre le pouvoir exécutif que le droit d'enquête (Constitution belge, art. 40). De là suit le devoir de ne manier cette arme qu'avec la plus (page 109) grande prudence ; car, si elle n'atteint pas celui vers lequel on la dirige, elle peut blesser celui qui la tient. Dans la séance du 24 septembre 1831, treize membres déposèrent la proposition suivante (Note de bas de page : Le nombre treize ne fut pas plus heureux, dans nos assemblées parlementaires, qu'il ne l'avait été au Congrès. Les auteurs de cette tentative, qui échoua, étaient : MM. Dumortier, C. Rodenbach, l'abbé de Haerne, Brabant, de Meer de Moorsel, Watlet, A. Rodenbach, Dellafaille, Vuylsteke, Morel-Danheel, Poschet, Eugène de Smet, F Vergauwen): « Une enquête sera faite sur les causes et les auteurs de nos revers dans la dernière campagne. » (Voir, THONISSEN, La Belgique, etc., t. I, chap. II, III et IV, pp. 43-149. DE GERLACHE, Histoire du royaume des Pays-Bas, t. II, p. 219). Malgré une certaine opposition, la proposition fut admise par 63 voix, 5 membres s'étant abstenus. La commission fut composée de sept représentants nommés au scrutin.

Avant de commencer sa mission, la commission voulut assurer ses pouvoirs et, à cette fin, un de ses membres vint donner lecture d'un projet de loi, applicable non-seulement à l'enquête actuelle, mais aussi à toutes les enquêtes à ordonner par la Chambre. Les pouvoirs demandés étaient très-étendus. Délégation du mandat à des membres de la commission et à des fonctionnaires de l'ordre judiciaire, administratif ou militaire, à l'effet de procéder à des investigations ; droit de compulsoire dans les dépôts publics et dans les archives des départements ministériels ; tous les fonctionnaires doivent fournir des renseignements ; le défaut d'obtempérer à une demande de compulsoire, de renseignement ou de communication de pièces, sera passible d'une amende de 100 florins, au maximum., par jour de retard ; droit de citation de témoins, pouvoir d'imposer le serment, contrainte par corps, sans appel ni recours en cassation ; les opérations de la commission ne pourront être arrêtées ni par l'ajournement, ni par la clôture des Chambres ; telles étaient les dispositions du projet. Ce Code de procédure et l'enquête elle-même (page 110) furent attaqués et défendus, avec talent, pendant quatre orageuses séances (Moniteur belge n°168-171. THONISSEN, la Belgique, etc., t. I, pp. 215-221). Le 1er décembre, la prise en considération fut rejetée par 48 voix contre 31 ; trois membres s'étaient abstenus. Le lendemain, deux membres de la commission, MM. Leclercq et Bourgeois, envoyèrent à la Chambre des lettres annonçant que, par suite de la résolution prise la veille, ils renonçaient à prêter leur concours à l'enquête. Ainsi s'évanouit cette tentative, inspirée par les intentions les plus patriotiques, mais promettant peu de résultats utiles.

Voici comment M. Nothomb apprécie le but et la portée de cette proposition. « On a demandé quelles étaient les causes des désastres du mois d'août ; sans porter une accusation individuelle, on a proposé de faire une enquête générale. Les causes cependant n'étaient un secret pour aucun homme réfléchi, et ne seront pas un secret pour l'histoire. J'en ai déjà signalé une, la surprise. Il faut chercher les autres dans l'état même du pays : les incertitudes politiques, le relâchement de tous les liens sociaux, la confiance excessive inspirée par nos succès de septembre, le mépris de toute science stratégique, le défaut de traditions, l'absence de hautes capacités militaires, les provocations d'une presse absurde ou malveillante, voilà les circonstances qui ont assuré, en août, aux Hollandais unis et disciplinés, une supériorité momentanée sur les Belges, surpris, désunis et indisciplinés ; le courage individuel est resté sans reproche. A qui faut-il faire un crime de cette situation intérieure qui se retrouve partout au sortir d'une révolution ? A personne, ou à tout le monde. » (NOTHOMB, Essai, chap. XII, p. 189). L'écrivain ajoute cette note : « L'armée belge a éprouvé à Louvain, en 1831, le sort qu'une autre armée révolutionnaire y avait éprouvé en 1793 : qu'on lise, dans les Mémoires de Dumouriez, les détails de la capitulation de Louvain, à la suite de la bataille de Neerwinden, t. II, chap. VIII et IX..

(page 111) Deux causes principales ont fait avorter le projet de la commission d'enquête : la première était l'exagération des pouvoirs qu'elle demandait (« Voir, HALLAM, Histoire constitutionnelle, t. IV, chap. XV, mode de l'exercice du droit d'enquête au Parlement anglais) ; la seconde était le traité des vingt-quatre articles et son adoption par les Chambres ; c'est-à-dire l'éclaircissement de l'horizon politique. Peut-être aussi la majorité de la Chambre avait-elle pensé que, dans la vie des nations comme dans celle des individus, il est des fautes auxquelles il ne faut songer, que pour ne plus les commettre.

Signalons ici, en passant et comme souvenir législatif, qu'on discuta longuement, tant à la Chambre qu'au Sénat, la question de savoir si ces assemblées, invitées par M. le Ministre de l'Intérieur, se rendraient au Te Deum pour l'anniversaire du Roi, en corps ou par députation. Cette discussion pouvait être considérée comme le dernier écho de l'opposition que la candidature du prince Léopold avait, dans le principe, rencontrée au Congrès (Note de bas de page : M. l'abbé de Haerne disait : « Nous savons enfin par la diplomatie que nous pouvons choisir un prince qui ne rencontre aucune sympathie dans la nation, tant sous le rapport religieux que sous le rapport politique. » (HUYTTENS, « Discussions », t. III, p. 185.)). Elle était, plus encore, inspirée par un scrupule exagéré pour la liberté de tous les cultes ; car M. Charles Vilain XIIII, faisant comprendre que la Chambre ne devait se prononcer officiellement pour aucune croyance, disait : « Il n'y a pas de décision à prendre… La liberté des cultes est garantie par la Constitution. Des ministres d'un culte veulent faire célébrer un service en mémoire de tel ou tel événement : permis à eux. Mais la Chambre ne peut prendre autrement que comme une notification la lettre qui lui annonce la célébration du service, et elle n'a rien à décider, à moins qu'un de ses membres (page 112) ne fasse une proposition. » Le lendemain, « après une discussion assez longue et très-animée, la Chambre décide qu'il sera écrit à M. le Ministre de l'Intérieur qu'il n'y aura séance publique, le 16, qu'après le Te Deum, afin que les députés qui le trouveront à propos puissent s'y rendre. » La discussion, au Sénat porta aussi sur la convenance de ne se prononcer pour aucun culte (Moniteur de 1831, n°179-180). La proposition de se rendre au Te Deum, par députation, n'y fut admise, que par 17 voix contre 13.

8. De quelques questions d’ordre constitutionnel

Le Gouvernement avait présenté un projet de loi (loi du 26 décembre 1831) portant quelques modifications à la composition des conseils de milice. L'art. 3 portait : « Le Roi peut annuler les décisions, autres que celles relatives à des défauts corporels, prises par les députations des états, en matière de milice, lorsqu'elles sont contraires aux lois. » D'après la loi de 1817, il n'y avait pas d'appel déterminé ; mais, en fait, on en appelait quelquefois au Gouvernement. Or, ici, on attribuait légalement au Roi la décision en dernier ressort. Dans la discussion, on établit clairement que cette décision devait appartenir à la Cour de cassation, seule capable d'établir l'unité de jurisprudence, seul pouvoir constitutionnel apte à connaître des pouvoirs en pareille matière. En présence de cette opposition, le Gouvernement demanda l'ajournement et retira l'article 3. La lumière fut lente à se faire : ce ne fut qu'en 1849 que ces recours furent attribués à la Cour de cassation.

Les dispositions de la Chambre étaient trop guerrières pour que le ministère n'obtînt pas, sans peine, l'autorisation de prolonger le service du premier ban de la garde civique mobilisée, jusqu'à la conclusion de la paix avec la Hollande (loi du 29 décembre 1831. Moniteur de 1831, n°198-199). Par suite de cette loi, des citoyens, dont plusieurs avaient fait volontairement (page 113) partie de ce corps, restèrent près de deux ans sous les armes. Tel était le patriotisme, à cette époque, que nul ne se plaignit de ce service rendu à l'indépendance du pays, quoiqu'il imposât de lourds sacrifices à un grand nombre de familles.

Une question très-délicate de droit constitutionnel fut soulevée par M. Osy, dans la séance du 29 décembre 1831. Ce membre demanda si M. de Theux, ayant accepté les fonctions de Ministre de l'Intérieur, ad interim, « ne cessait pas de siéger à la Chambre.» (C. B., art. 36) ? On lui répondit que ce ministre n'avait accepté le portefeuille qu'intérimairement et sans traitement ; que dès lors, ses fonctions n'étant que provisoires et non salariées, il n'était point assujetti à faire renouveler son mandat (Note de bas de page : La même question fut soulevée, à propos de l'arrêté royal du 26 mai 1832, nommant M. Goblet plénipotentiaire près la Conférence de Londres. Après une longue discussion, on posa cette question : « Y a-t-il lieu de considérer M. Goblet comme membre de la Chambre ? » Elle fut résolue affirmativement par 55 voix contre 18 (Moniteur de 1832, n°152-153). Cette réponse ne soutient pas l'examen. En effet, en soumettant à une réélection immédiate le membre des Chambres qui accepte des fonctions salariées par l'État, qu'a voulu la Constitution ? Deux choses : la première qu'il ne pût se servir de son mandat pour obtenir ces fonctions ; la seconde qu'il ne pût se servir de ces fonctions, pour obtenir un nouveau mandat. Ainsi, supposons un représentant, ayant froissé ses électeurs par la manière dont il aura saisi un portefeuille ministériel, par exemple : il acceptera le ministère ad interim et sans traitement, certain d'être nommé définitivement et rétribué, quand il le voudra. Puis, il se servira de sa position pour ramener à lui, par des actes favorables aux localités et aux personnes, l'opinion de son district. Et enfin, quand sa conduite parlementaire sera un peu oubliée ou absoute par ses électeurs radoucis, il se fera, tout d'un coup, (page 114) nommer définitivement, rétribuer et réélire. Et de cette manière, le mauvais ministre réhabilitera le mauvais représentant. Toutes les arguties du monde ne peuvent rien contre ces simples vérités, et on s'étonne que des hommes d'un esprit élevé aient pu les méconnaître. L'obligation de la réélection vient de la nature des fonctions conférées, tout autant que de la disposition d'esprit ou d'intention du représentant qui les accepte. C'est à la fois une arme contre le Gouvernement qui voudrait se faire corrupteur, et contre le député qui se laisserait corrompre.

La discussion n'eut pas de suite, mais, le lendemain, un arrêté contresigné par M. de Muelenaere, Ministre de Affaires étrangères, nommait définitivement M. de Theux Ministre de l'Intérieur, et le collège électoral de Hasselt était convoqué. Il y avait alors des hommes d'État, qui ne songeaient pas à la possibilité d'une loi des incompatibilités, qui n'est qu'une loi préventive contre la corruptibilité de l'élu : comme il y a aujourd'hui des gens qui ne pensent pas à la nécessité, prochaine peut-être, d'une loi répressive contre la corruption de l'électeur. Une loi d'interprétation de la Constitution pourrait seule fixer le point qui vient de nous occuper.

9. Les travaux de la chambre (II) : liste civile du Roi, première proposition d’organisation de l’instruction publique

M. Dumortier et quelques autres membres (MM. Dumortier, Delehaye, L. Dellafaille, E. de Smet, baron Osy et Cols) ayant, en vertu de leur droit d'initiative, déposé un projet de loi relatif à la liste civile, la Chambre l'admit en séance du 24 ; le Sénat dans celle du 28 février 1832. La loi (loi du 28 février 1832. Moniteur de 1832, n°33-36, 61-62) statue que : « A dater du jour de l'inauguration du Roi, la liste civile est fixée à la somme annuelle de 1,300,000 florins (soit en francs 2,751,322-75). Les habitations royales (palais de Bruxelles et d'Anvers et château de Laeken) sont mis à la disposition du Roi, à charge par la liste civile de pourvoir à leur entretien et à leur ameublement. »

(page 115) Si l'on compare le montant de cette liste civile à celui des dotations annuelles d'autres chefs de monarchies constitutionnelles, on doit reconnaître que, toute proportion gardée, celle du Roi des Belges est modeste. Elle se ressent de notre position financière à cette époque et plus encore de la date rapprochée de notre révolution, faite, en partie, pour avoir un Gouvernement à bon marché. » Le Roi eut le bon goût, ou, pour mieux dire, le patriotisme d'empêcher son Gouvernement de tenter aucun effort pour faire augmenter le chiffre. Désintéressement d'autant plus louable, qu'il savait que cette loi n'était pas transitoire, car l'art. 77 de la Constitution porte : « La loi fixe la liste civile pour la durée de chaque règne. »

MM. Séron et de Robaulx déposèrent aussi une proposition, « pour qu'un enseignement gratuit fût établi. » Dans la discussion pour la prise en considération, on vit que les antécédents politiques des auteurs de la proposition et le rude langage qu'ils employèrent pour la développer firent naître de fortes préventions chez un grand nombre de membres de l'assemblée. Les débats se ressentirent de cette préoccupation : ils dégénérèrent bientôt en accusations violentes et en récriminations acerbes. Ce fut une discussion à côté plutôt que sur la question. La prise en considération fut rejetée par 53 voix contre 24., dans la séance du 26 janvier 1832 (Moniteur e 1832, n°27-32).

Nous venons de dire les motifs apparents de ce résultat. Il faut y ajouter l'engagement pris par le Gouvernement de hâter les travaux de la commission, chargée d'élaborer un projet de loi sur l'instruction publique. D'ailleurs, ce n'est pas par l'initiative d'un ou de plusieurs membres de la Législature que se formulent les grandes lois organiques. Ce ne fut que dix ans plus tard, en 1842, que M. Nothomb, Ministre de l'Intérieur, parvint à faire passer cette loi, et, pour en arriver là, il n'eut pas de trop de toute son habileté et de toute sa force.

(page 116) Il est impossible, toutefois, de ne pas louer hautement les intentions et les efforts des deux auteurs de la proposition ; de ne pas blâmer sévèrement ceux qui, cette fois comme si souvent après, ont retardé la solution de cette importante question, l’instruction du peuple. On a perdu dix années, c'est-à-dire l'espace de temps, pendant lequel une même génération peut s'instruire. Or, dans cet intervalle, que de communes sans écoles, que d'écoles existantes mal dirigées ; en un mot, combien d'enfants des deux sexes privés d'instruction ! Que la responsabilité de ce retard aille et reste à ceux qui l'ont causé. Nous verrons, en son temps, quels ils furent.

10. Le marché Hambrouck

La proposition d'une enquête sur les revers du mois d'août, venait à peine d'échouer, qu'une nouvelle accusation fut dirigée contre le Ministère de la Guerre, Cette fois il s'agissait du trop fameux marché Hambrouck. Il est regrettable, au plus haut point, que de pareils débats entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif doivent se renouveler si souvent ; car l'un ou l'autre, tous les deux quelquefois, peuvent y perdre de leur autorité et de leur considération. La pratique du régime représentatif enseigne que ce n'est pas par action directe, comme commissions d'enquête et accusations de ministre, mais par voie de discussion et de critique que de telles causes doivent ordinairement se vider. Le législateur blâme et attaque, le Ministre explique et se défend, l'opinion publique juge. Il faut avoir en main des preuves irrécusables de culpabilité pour agir autrement. Quoi qu'il en soit, la Chambre fut saisie, en séance du 20 janvier 1832, par M. Jullien, d'une proposition tendante à la « nomination d'une commission, chargée d'examiner si et jusqu'à quel point le marché Hambrouck est onéreux au pays et pour faire ensuite telle proposition qui serait jugée convenable. » Les débats s'ouvrirent, le 22 février suivant, par la lecture d'un Mémoire, faite par le Ministre de la Guerre, M. Charles de Brouckere. Tout en réunissant les qualités de la franchise et (page 117) de la hardiesse, cette défense ne manque pas d'habileté : le plaidoyer de l'avocat perce sous les explications de l'administrateur (Moniteur de 1832, supplément du n°55).

M. de Brouckere disait, en finissant : « J'ai pour moi, comme citoyen, le témoignage de ma conscience ; comme militaire, l'approbation de tous les généraux ; comme ministre, je veux savoir si j'ai conservé ou perdu la confiance de la Chambre. » Cela n'empêcha pas M. A. Rodenbach de taxer l'acte ministériel de légèreté et de turbulence ; » M. Lardinois de l'appeler : « une grande faute administrative. » Un seul ministre, M. de Theux, vint, à la fin de la discussion, timidement en aide à son collègue violemment accusé. Les griefs de l'accusation étaient : l'absence d'adjudication publique, le haut prix accordé à l'entrepreneur, la longue durée (quinze mois) de l'entreprise. Les moyens de la défense furent : la difficulté des circonstances, la baisse inattendue du prix des denrées comprises dans la ration, l'urgence, car la guerre était imminente ! La cause entendue, la Chambre avait à se demander quels résultats pouvait amener la nomination d'une commission. La résiliation du contrat ? Il n'appartenait qu'aux tribunaux de la prononcer. La mise en accusation du Ministre ? Elle n'était dans l'esprit que d'un petit nombre de membres. La réduction du crédit ? C'était l'affaire du budget.

Aussi, après cinq séances remplies de tristes débats, la proposition de la nomination d'une commission fut repoussée, dans la séance du 2 mars, par 61 voix contre 17 : MM. Charles et Henri de Brouckere s'étaient abstenus (Moniteur de 1832 n°55, 62-65). THONISSEN, la Belgique, etc., t. II, pp. 125-126). Certes, c'est un grand malheur pour un Ministre d'avoir à soutenir de telles attaques ; mais il lui reste des consolations quand, à des époques aussi difficiles, l'habileté de l'administrateur a seule été (page 118) mise en question et que la probité du citoyen est sortie du combat, sauve de tout reproche, à l'abri même de tout soupçon !

Quant à nous, nous ne pouvons que gémir en pensant à ce que, depuis vingt-cinq ans, nous ont coûté ces mots : « La guerre est imminente ! » Cette fausse prédiction fut l'excuse de toutes les fautes d'administration ; elle fut le prétexte de toutes les exagérations de dépense (Note de bas de page : Voir aux Pièces justificatives, n°IX, tableau indiquant toutes nos dépenses pour l'armée, depuis 1830 jusqu'en 1854. Ces chiffres, mis en regard de nos ressources annuelles, en disent plus que ne pourraient le faire nos raisonnements. Nous prions le lecteur d'y jeter un coup d'œil). Certes, tant que durèrent nos différends sérieux avec la Hollande, tant que les grandes puissances ne nous eurent point reconnus définitivement, il était patriotique, il était nécessaire de voter toutes les sommes utiles pour la défense de notre nationalité menacée. Mais, depuis la reconnaissance de notre neutralité, depuis même nos arrangements pacifiques avec nos anciens associés, on n'a cessé de nous dire : « La guerre est imminente ! La neutralité véritable est une neutralité armée. Si vis pacem, para bellum... etc., etc. » C'est-à-dire, que c'est devant de grandes phrases, plutôt que devant de grands dangers que nous avons voté des sommes exorbitantes aux budgets de la guerre. Si nous avions consacré tout ce que, depuis un quart de siècle, nous avons payé en trop pour nous armer contre un ennemi extérieur qui n'arrive jamais, nous aurions chassé de chez nous un ennemi intérieur qui s'y installe tous les jours davantage - la misère des classes ouvrières.

Avec les économies raisonnables sur le budget de la guerre, que de canaux creusés, que de routes pavées, que d'écoles établies, que de lavoirs et de bains publics érigés, que de cités ouvrières construites, que d'hospices ruraux ouverts, que de rentes de vieillesse inscrites ! Mais au lieu d'être la jeune nation la mieux organisée du monde, la Belgique a préféré être le peuple neutre le plus fortement armé. Si nous parlons, en (page 119) passant, de cette erreur chronique, c'est pour la déplorer stérilement ; car les opposants savent, par expérience, ce qu'on gagne à vouloir aider à la redresser.

11. La discussion des budgets

Jusqu'ici le Gouvernement avait marché à l'aide de crédits provisoires : il dut bien entrer dans la voie régulière, celle des crédits budgétaires. La discussion des budgets, dans les temps ordinaires, est une très-grosse affaire pour un ministère. Mais nous ne savons quel nom donner à la discussion de ces premiers budgets, qui occupa plus de quarante séances (Moniteur de 1832, n°68-125). Ce fut, tour à tour, un écho de la révolution, car ceux qui venaient de renverser une dynastie n'y regardèrent pas à deux fois pour réduire en poussière des propositions ministérielles : une confusion comme celle de la tour de Babel, car, tout en parlant la même langue, on ne se comprenait souvent pas : un cours d'enseignement mutuel, car beaucoup de membres novices critiquaient des mesures et des chiffres, dont il fallait leur démontrer l'absolue nécessité. On pourrait dire que ce fut une bataille, car plusieurs membres y furent blessés et l'un d'eux y perdit, si ce n'est la vie, ou moins son portefeuille.

M. Dumortier, ayant mis sa plume alerte et vive au service de son humeur un peu guerroyante contre le Gouvernement, avait rédigé un rapport très-sévère. M. Coghen, Ministre des Finances, y répondit par une sorte de Mémoire à consulter, vrai factum des bureaux (Moniteur de 1832, supplément du n°69) : et ainsi les plaintes amères du fonctionnaire rédacteur, qui n'auraient pas dû dépasser le seuil du cabinet ministériel, vinrent retentir à la tribune nationale. De là, tempête parlementaire, quasi-blâme de la Chambre, quasi-amende honorable du Ministre. Ce dernier laissa, pendant deux jours, aller la discussion de son budget sans y assister : le bruit de sa démission fut annoncé par le président de la Chambre, en séance du 31 mars. M. Coghen (page 120) reparut enfin, puis donna lecture d'un arrêté royal nommant deux commissaires, chargés de soutenir la discussion.

Le budget de la guerre subit de nombreuses, quoique peu importantes réductions. Le marché Hambrouck fut encore l'objet du blâme le plus sévère. A la suite de ces incidents, M. Ch. de Brouckere vint annoncer, à la séance du 15 mars 1832, que sa démission était acceptée. Il défendit néanmoins son budget, au Sénat, en qualité de commissaire royal.

Ce jeune ministre quitta le pouvoir après avoir déployé au milieu des circonstances les plus critiques, cette activité et cette énergie, que vingt-cinq ans de travaux n'ont pas amorties encore. Peu d'hommes ont parcouru une carrière aussi variée, aussi accidentée et cependant aussi couronnée de succès. S'il eut le malheur de se trouver à la tête de grandes administrations, de vastes entreprises, dans des moments où les événements, déroutant beaucoup de prévisions, amenaient de fâcheux sinistres ; ce fut sa bonne fortune de sortir de toutes ces difficultés, non sans honneur, grâce à ce mélange de grandes qualités et de loyale comme d'adroite brusquerie qui forment le fond de ce caractère exceptionnel, les traits distinctifs de cette personnalité remarquable.

Au budget de l'intérieur, M. de Theux fut attaqué avec une grande vivacité : il y fut question du chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne, de manière à retarder cette grande et utile entreprise plutôt qu'à l'avancer. La discussion de tous ces budgets mit en évidence cette vérité, que ce n'est qu'une certaine pratique du régime représentatif qui peut enseigner aux assemblées parlementaires à ne pas dépasser leur droit d'opposition, et aux Ministres constitutionnels à ne pas faillir à leur devoir de résistance.

12. Les complications internationales

Comme si ce n'était point assez de ces difficultés intérieures, le Gouvernement avait à lutter contre des dangers extérieurs sans cesse renaissants. Jamais le poids du pouvoir ne fut aussi lourd, car c'était un vrai travail de Sisyphe que les Ministres (page 121) avaient à supporter. Suspendues par les vacances de Pâques, les interpellations diplomatiques furent reprises à la rentrée, le 11 mai 1832 (Moniteur de 1832, n°134 et suiv.). au sujet de l'arrestation brutale par les Hollandais, sur le sol belge, de M. Thorn, gouverneur de la province de Luxembourg, qui avait été jeté déloyalement dans les prisons de la forteresse du Grand-Duché.

Le traité des vingt-quatre articles avait été ratifié purement et simplement par la France et l'Angleterre : la Prusse et l'Autriche y avaient attaché des réserves, en ce qui concerne les droits de la confédération germanique : la Russie ne l'acceptait que sauf les modifications à apporter aux art. 9, 12 et 13 2 (articles relatifs à l'Escaut, à la Meuse et à la dette) dans un arrangement définitif entre la Belgique et la Hollande.

Ainsi, notre nationalité, quoique paraissant avoir échappé à tous les dangers, était exposée à de nouvelles menaces, comme le navire qui, rentré au port, ressent, même dans cet abri, les secousses et les tempêtes du dehors.

Dans un exposé clair et habile, M. de Muelenaere, Ministre des Affaires étrangères, fit connaître l'état des négociations et les circonstances de l'affaire Thorn. La Chambre et le Sénat résolurent de faire des adresses au Roi, pour approuver le Gouvernement dans son refus d'accéder à aucune nouvelle négociation, avant qu'il fût donné un commencement d'exécution au traité principal et notamment à l'évacuation du territoire. Ces documents, rédigés dans des termes fermes mais prudents, furent comme une juste satisfaction accordée à l'opinion publique et un loyal appui donné au pouvoir exécutif (Moniteur de 1832, n°137-144).

13. Les travaux de la chambre (III) : jury d’assises, organisation monétaire, rayon des douanes, conseil des mines

Par son décret du 19 juillet 1831, le Congrès avait, aux termes de l'art. 98 de la Constitution, arrêté des dispositions relatives à l'organisation du jury. Des inconvénients s'étant manifestés dans son application, la Chambre et le Sénat y (page 122) apportèrent des modifications (Loi du 1er mars 1832, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 7 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1832, n°60-62, 63). Nous verrons plus tard cette partie de notre législation subissant de nouveaux et profonds changements (Loi du 15 mai 1838. Voir t. I, livre V.)

C'était pour le peuple un besoin révolutionnaire et pour les gouvernants une habile tactique de détruire, les uns après les autres, les souvenirs de notre ancienne union avec la Hollande. La nouvelle loi monétaire en fournit une excellente occasion, puisqu'elle devait mettre dans toutes les mains le signe matériel de notre indépendance et l'image chérie de notre Roi. Elle fut admise, après qu'elle eut été renvoyée à la Chambre légèrement amendée par le Sénat qui avait admis des pièces d'un quart de franc (Loi du 5 juin 1832. Moniteur de 1832, n°144-147, 151-156. Voir Exposé de la situation, 1841-1850, t. IV, p. 189-191, détails sur les quantités de pièces de chaque matière fabriquées de 1832 à 1851. Moniteur du 6 mars 1852, données sur le même objet.

La monnaie a été définie par Michel Chevalier dans ces termes : « Un instrument qui, dans les échanges, sert de mesure et par lui-même est un équivalent. » En Belgique, comme en France, l'unité monétaire est le franc, c'est-à-dire cinq grammes d'argent, au titre de neuf dixièmes de fin, avec une tolérance de trois millièmes en dehors et autant en dedans. Les pièces de monnaies d'argent sont d'un quart de franc, d'un demi-franc, d'un franc, de deux et de cinq francs : les pièces d'or sont de vingt et de quarante francs : les pièces de cuivre pur, sont de un, deux, cinq et dix centimes de franc (Les lois des 31 mars 1847 et 20 décembre 1850, et l'arrêté du 11 août 1854, déclarant la démonétisation des pièces d'or, en vertu de cette dernière, ont apporté des modifications nombreuses aux loi, titre, tolérance, coupures et métaux de la monnaie nationale : nous les mentionnerons en leurs temps et lieu). Le projet du Gouvernement donnait primitivement le nom de livre à l'unité monétaire.

(page 123) Les nombreux auteurs (Voir, au Dictionnaire d'économie politique de CH. COCQUELIN, au mot monnaie, une indication de nombreux ouvrages sur la matière) qui ont écrit sur la monnaie sont à peu près tous d'accord qu'il ne convient pas d'employer simultanément les deux métaux d'or et d'argent, parce que le rapport de la valeur de l'un à la valeur de l'autre est variable. « Prendre, dit Locke, pour mesure de la valeur commerciale des choses, des matières qui n'ont pas entre elles de rapport fixe et invariable, c'est comme si l'on choisissait pour mesure de la longueur un objet qui fût sujet à s'allonger ou à se rétrécir » (Further Considerations concerning raising the value of money, t. I, p. 73). Or, comme la découverte des mines d'or de la Californie, de l'Australie et d'autres contrées doit rendre moins fixes que jamais les rapports de valeur de l'or et de l'argent, il est de l'intérêt des pays qui peuvent le faire de prendre ce dernier métal pour unité monétaire. Michel Chevalier dit, en parlant de ces découvertes : «Voilà pourquoi le système monétaire des nations qui, comme la France, monnayent les métaux est, si l'on n'avise, menacée d'une perturbation très-grave qui bouleverserait, contre toute justice, des intérêts respectables, et, pour conclure, voilà pourquoi il y a lieu d'aviser sans plus de retard, en remaniant le système monétaire de la France3. » (Michel CHEVALIER, dans son remarquable article monnaie, au Dictionnaire de l'économie politique de Charles COCQUELIN). C'est ce que la Hollande a fait : c'est ce que nous venons de faire, en Belgique.

Que si l'on voulait, tout en adoptant l'argent comme unité monétaire, avoir néanmoins une monnaie d'or, comme plus portative et plus commode pour certains usages, il faudrait frapper des pièces de ce métal, ne portant aucune indication (page 124) de valeur, mais seulement celle du titre et du poids (« Nous croyons que le mal vient de l'assimilation absolue (des deux métaux) en vertu de laquelle on a inscrit sur la pièce d'or le nom de 20 francs... La Russie, qui avait commis la même erreur que nous, en inscrivant sur les impériales d'or qu'elles valaient 5 et 10 roubles d'argent, s'en est dégagée par l'ukase de juillet 1839. On peut garder les deux métaux, dans le mécanisme monétaire, sans adopter un rapport fixe de valeur entre eux. » (MICHEL CHEVALIER, Annuaire de l'économie politique de 1852, p. 515.) En Hollande aussi, depuis la démonétisation de l'or, on emploie des jetons de cette matière, portant la désignation du poids et du titre, mais point celle de la valeur. Dans les transactions, on les reçoit librement aux taux de la bourse). La valeur de cette monnaie auxiliaire serait fixée ou par le libre arbitre du public, ou mieux encore par des règlements d'administration publique, publiés périodiquement d'après le cours des lingots sur les principaux marchés. Mais une monnaie d'une valeur si mobile ne serait guère goûtée : elle manquerait son but principal, car il est reconnu que la monnaie d'or, ayant une valeur fixée par la loi, circulait fort peu, en Belgique ; mais qu'elle devenait la proie recherchée des thésauriseurs grands et petits et qu'elle formait ce qu'on appelle une pomme pour la soif. Enfin, tout considéré, le mieux est encore, dans les circonstances actuelles, d'avoir uniquement la monnaie d'argent et, comme valeurs portatives, des billets de banque de petites coupures toujours échangeables contre des espèces. Car, avec cette garantie, on peut appliquer à ces billets la formule de Ricardo « La monnaie, à l'état le plus parfait, est de papier. »

Sous l'empire des art. 162 et 177 de la loi du 26 août 1822 et de l'arrêté royal du 22 novembre de la même année, il existait un double rayon de douane ; système plus gênant pour l'industrie et le commerce qu'il n'était profitable au Trésor. Le Gouvernement proposa et les Chambres admirent la substitution d'un rayon unique à cette double enceinte réservée : (page 125) c'était un progrès. Mais on maintint des mesures très-sévères pour la répression de la fraude maritime et par les autres frontières. « Les préposés de la douane pourront, en outre, en cas de poursuite de la fraude, la saisir même en deçà du rayon, pourvu qu'ils l'aient suivie sans interruption. » (loi du 7 juin 1832, adoptée, à la Chambre, par 51 voix contre 9, et 4 abstentions ; au Sénat, par 36 voix contre 1. Moniteur de1832, n°151-160. Voir Pasinomie, 3e série, t. II, p. 356, les divers systèmes qui se sont succédé, en Belgique, quant au rayon de la douane, et l'indication des arrêtés pris en vertu de la présente loi. Voir aussi t. I, livre VII, les modifications admises pour la répression de la fraude).

En l'absence d'un conseil d'État, les demandes en maintenue de concessions de mines antérieures à la loi de 1810, restaient sans solution légale. Plusieurs projets furent présentés, mais ils mirent en éveil tant d'intérêts contraires que l'on finit, pour combler la lacune existante, par voter une loi ', instituant un conseil des mines provisoire, nommé par le Roi et composé d'un membre choisi dans chacune des deux Chambres, de trois jurisconsultes et de deux ingénieurs. Loi imparfaite, comme beaucoup de celles qui sont formulées d'urgence et qui ont un caractère transitoire. Qu'avaient à faire ici ces deux membres des Chambres ? (Loi du 1er juillet 1832. Moniteur de 1832, n°130-168. Voir Moniteur de 1831, n°126, un beau discours de M. Fallon, sur les concessions des mines).

14. La création controversée de l’Ordre Léopold

M. le comte Félix de Mérode avait accepté, par intérim, le portefeuille de la Guerre - acte ridicule, si, en ces temps où les ministres de la guerre faisaient défaut, ce n'avait été un noble dévouement (Note de bas de page : En séance du 21 janvier 1833 (Moniteur n°23), le colloque suivant s'établit sur le budget de la Guerre : « M. F. de Mérode : Il vaudrait mieux nommer une commission spéciale. Sans cela, je crois qu'un grand nombre de membres, après avoir examiné ce budget, n'en sauront pas plus que moi... - M. Dumortier : Vous avez cependant été Ministre de la Guerre. (On rit.) - M. F. de Mérode (souriant) : J'ai été effectivement Ministre de la Guerre quand les circonstances me faisaient un devoir d'accepter ces fonctions ; mais j'avoue que, malgré cela, je ne connais pas la comptabilité de ce « Département. » Naïf, mais noble langage !).

Il vint, en cette qualité, peut-être parce (page 126) que ses collègues titulaires n'osaient le faire eux-mêmes, présenter le projet de loi relatif à l'institution d'un ordre royal militaire et civil. Puisqu'il s'agissait de récompenser les services civils, aussi bien que ceux de l'armée, le projet aurait dû être signé par le Ministre de l'Intérieur.

Quoi qu'il en soit, ce ne fut pas un projet favorablement reçu par la Chambre, comme le prouve la discussion (Voir THONISSEN, la Belgique, etc., t ; II, pp. 81-92, appréciations sur ces débats ; Moniteur de 1832, n°189 et 197, lettres de MM. Van Meenen et de Foere, qui prouvent jusqu'à quel point cette question aigrissait les esprits les plus doux).

La section centrale admettait, par 5 voix contre 2, la constitutionnalité de la création d'un ordre civil. Mais lors des débats publics, MM. Fleussu, Van Innis, Liedts, Leclercq soutinrent fortement que notre pacte fondamental ne permettait pas cette institution. Ces deux derniers membres déposèrent des amendements à peu près identiques, excluant l'ordre civil. Celui de M. Leclercq étant mis aux voix, 38 membres l'adoptèrent, 33 le rejetèrent : au second vote, il fut écarté par 37 voix contre 35. M. Dumortier avait dit, dans la discussion : « Je déclare que jamais ma boutonnière ne sera salie d'un morceau de ruban ; car je pourrais craindre qu'on me confondit avec tant d'hommes, qui n'ont que l'emblème (du mérite), sans en avoir la réalité. » M. Liedts commençait son discours par ces mots : « Si on ne fait pas disparaître du projet l'ordre du mérite civil, je croirais violer la Constitution et me rendre parjure, en y donnant mon assentiment. » M. de Gerlache, partisan (page 127) de cet ordre s'exprimait ainsi : « Les décorations sont des signes et rien de plus : signes glorieux, si elles sont données au vrai mérite ; signes d'infamie, si elles sont le fruit de l'intrigue ou de honteux services ; signes ridicules, si la nullité les obtient par subreption. C'est une enseigne, si elle est menteuse, tant pis pour celui qui l'affiche : que justice se fasse ! » M. de Robaulx avait demandé : « Y aura-t-il des croix en diamant ?... »

Un amendement de M. Dubus aîné, tendant à exclure de l'ordre civil « les membres des Chambres, des conseils provinciaux et de l'ordre judiciaire, aussi longtemps qu'ils seront en fonctions, fut adopté par division et par assis et levés ; mais immédiatement après rejeté, dans son ensemble, par 58 voix contre 34. L'obligation pour les membres des Chambres, acceptant l'ordre civil, de se soumettre à une réélection, fut admise. C'est le seul frein appliqué à cet instrument d'influence gouvernementale. Une loi ne devrait-elle pas aussi ou proscrire totalement l'acceptation d'ordres civils étrangers par les membres des Chambres, ou tout au moins prescrire une élection nouvelle, en cas d'acceptation ? Ces distinctions viennent de gouvernements étrangers, parfois à l'occasion de traités de commerce. Le législateur accepte ou repousse les conventions internationales, suivant sa conviction : c'est là un acte de son mandat. Souvent, dans ces traités, on ne peut éviter des stipulations qui blessent des intérêts nombreux et considérables. N'est-il pas choquant pour les personnes lésées de voir un membre du Parlement accepter de l'étranger une récompense, pour être intervenu dans un acte qui leur cause perte et dommage ? Le désintéressement de ce membre ne doit-il pas leur paraître suspect ? L'obstacle, mis à la corruption pouvant venir de notre propre Gouvernement, devrait être posé pour la corruption, qu'un gouvernement étranger pourrait tenter. (Note de bas de page : Lors du traité avec la France (loi du 11 mars 1850), une croix de commandeur de l'ordre de la Légion d'honneur fut mise à la disposition du Gouvernement pour un membre de la Chambre des Représentants. M. Verhaegen, président, M. Delfosse, premier vice-président, déclinèrent cet honneur).

(page 128) L'ensemble de la loi ne réunit que 37 voix favorables : 35 s'opposèrent à son adoption. Elle fut admise, au Sénat, par 32 voix contre 2. Une seule voix de déplacée, à la Chambre, et l'ordre du mérite civil y était écarté (loi du 11 juillet 1832. Moniteur de 1832, n°183-194. Voir l'arrêté du 9 août 1832, qui détermine la forme des insignes ; l'arrêté du 8 novembre 1832, qui charge le Ministre des Affaires Étrangères de tout ce qui a rapport aux ordres).

D'après le projet, cet ordre devait porter le nom d'ordre de l'Union. Ce nom rappelait de si beaux souvenirs, il faisait naître de si chimériques espérances ! On substitua à cette dénomination proposée celle d'Ordre de Léopold, beaucoup plus convenable, surtout en ce qui concerne l'ordre militaire.

Chose remarquable ! le vote de cette distinction destinée à récompenser les services que l'on pourrait rendre à l'ordre de choses établi, précéda de plus d'un an l'institution de la Croix de Fer, ayant pour but de reconnaître les services rendus à la révolution.

Peu de projets ont rencontré une résistance aussi opiniâtre ; mais, il faut le dire, peu de lois sont aussi contraires si non à la lettre, du moins à l'esprit de la Constitution. Et encore, une heureuse application n'est-elle pas toujours venue corriger le vice originel. Ce pourrait être une utile distinction civique, si elle n'était donnée qu'au vrai mérite, reconnu par le grand nombre. L'accorder aux auteurs d'un livre utile ou d'une œuvre d'art éminente, à l'inventeur d'un perfectionnement en industrie, au fabricant hors ligne qui honore son pays par la beauté ou la masse de ses produits, aux magistrats et aux fonctionnaires blanchis dans la carrière, aux bienfaiteurs de l'humanité souffrante, certes, c'est faire œuvre qui honore (page 129) aussi bien le pouvoir qui donne que la personne qui reçoit. Mais en faire une menue monnaie pour payer des complaisances parlementaires ou des services électoraux : la donner comme une marque de courtoisie banale ou comme la prime d'une obsession fatigante, oh ! alors, c'est fausser toutes les promesses que le Gouvernement a faites pour obtenir ce séduisant moyen de pouvoir. Il en est, malheureusement, de certaines institutions, comme de certains cours d'eau qui perdent de leur pureté, en s'éloignant de leurs sources. (Note de bas de page : D'après la liste officielle publiée par l'Almanach royal, le nombre des décorations civiles et militaires conférées, depuis l'institution en 1832 jusqu'au 31 mars 1854,. est de 4,243... Dans la seule année de 1855, il a été accordé 175 décorations militaires, 302 décorations civiles...).

Les constituants des États-Unis ont été si soucieux de fermer la porte à toutes les voies de séduction ou de corruption, de quelque part qu'elles vinssent, qu'ils ont inscrit au dernier paragraphe de la section IX de leur Constitution, la prohibition suivante : « Les États-Unis ne conféreront pas de titre de noblesse ; et aucune personne, ayant une fonction de confiance ou rétribuée, ne pourra, sans l'autorisation du Congrès, accepter aucun présent, émolument, emploi, ou titre, de quelque nature que ce puisse être, d'aucun roi, prince, ou État étranger. » De là vient, qu'au milieu de leurs collègues, étincelants de nombreux insignes, les diplomates américains sont décorés, comme on dit de leurs poitrines nues. »

15. L’organisation du pouvoir judiciaire

Une des lois les plus importantes, dont les Chambres furent saisies, pendant cette session, fut sans contredit le projet d'organisation de l'ordre judiciaire. M. le Ministre de la Justice, satisfaisant au vœu du § 6 de l'art. 139 de la Constitution, le présenta à la Chambre le 19 septembre 1831. Sur la demande de M. Devaux, il fut envoyé aux cours, tribunaux et barreaux du royaume, pour qu'ils pussent faire (page 130) leurs observations, dans le mois. La Chambre nomma, dans son sein, une commission de neuf membres, pour examiner tous ces avis. M. Liedts fut chargé, en qualité de rapporteur, d'en opérer le dépouillement. Les limites de notre travail s'opposent à ce que nous entrions dans tous les détails des débats très-approfondis qui s'ouvrirent le 4 et finirent le 29 juin, ayant occupé dix-neuf séances. On peut consulter avec fruit les annotations claires et savantes, dont M. Isidore Plaisant, avocat général à la Cour de cassation, a accompagné cette loi, dans la Pasinomie (Pasinomie, t. II, pp. 465-484. Moniteur de 1832, n°15, 17, 24, 45 et 52, cinq lettres signées I. P. (Isidore Plaisant), et intitulées : Institutions judiciaires. THONISSEN, la Belgique, etc., t. II, pp. 252-256, entre dans quelques détails sur cette loi, et sur les désordres provoqués par certaines nominations).

En élaborant la loi, on devait respecter les grands principes suivants, décrétés par la Constitution : Indépendance du pouvoir judiciaire (art. 30) ; établissement d'une Cour de cassation et de trois Cours d'appel (art 95 et 104) ; publicité des audiences (art 96) ; rétablissement du jury en matières criminelles et pour les délits politiques et de la presse (art. 98) ; nomination directe des magistrats, autres que juges de paix, juges de tribunaux et officiers du ministère public, enlevée au roi (art. 99 et 101) ; inamovibilité des juges, étendue aux juges de paix (art. 100).

Le Gouvernement avait d'abord présenté un projet très étendu que la section centrale et lui-même jugèrent d'une réalisation difficile dans l'avenir, impossible dans le présent. Il le modifia et ce fut sur ce second travail que la section centrale présenta un contre-projet, auquel le Ministre se rallia en partie.

L'art. 6 donna lieu à une longue discussion. On maintint l'article qui interdit aux membres de la Cour de cassation, (page 131) aux officiers publies, greffiers et commis-greffiers près de cette Cour, d'être membres de l'une ou de l'autre Chambre, ou ministres.

Le principal motif de cette incompatibilité est puisé dans l'art. 90 de la Constitution, qui autorise la Chambre des Représentants à accuser les ministres et à les traduire devant la Cour de cassation, qui seule a le droit de les juger. Cette exclusion provient, pensons-nous, d'une profonde erreur ; elle est même un notable dommage pour le régime représentatif. La présence, au Parlement, de quelques membres de la Cour suprême eût pu apporter, aux discussions, de grandes lumières ; aux décisions, une forte autorité. En vingt- cinq ans, aucune accusation contre un ministre n'a été prononcée. S'il s'en présentait une, le membre de la Cour de cassation se récuserait comme accusateur-représentant, ou comme conseiller-juge et, dans ce cas, l'accusation serait décrétée et le jugement prononcé, sans son intervention, par ses collègues n'ayant pas le même motif de s'abstenir. Que si l'on craignait d'entraver les travaux de la Cour de cassation par l'absence momentanée de quelques-uns de ses membres, on pourrait déterminer le maximum de ceux qui seraient éligibles au Parlement. Nous ne voyons aucun empêchement constitutionnel à l'adoption de cette mesure, tandis que nous venons de signaler les avantages parlementaires qu'offrirait le retrait de cette imprudente déclaration d'incompatibilité (Voir au Moniteur de 1832, n°159, supplément, le discours de M. Lebeau qui combat victorieusement cette incompatibilité).

A l'art. 18, la section centrale, d'accord avec le Gouvernement, proposait, à l'instar de ce qui existe en France, l'institution d'une Chambre ou section de requêtes. Après trois jours de discussion, cette proposition fut rejetée, par 36 voix contre 36, et au second vote par 38 contre 37. Les magistrats et jurisconsultes, membres de la Chambre, se trouvaient des deux côtés, à peu près en nombre égal. Les principales (page 132) raisons alléguées pour obtenir ce résultat furent les suivantes : « Si le système d'une Chambre des requêtes établit une barrière qui préserve des tracasseries d'un plaideur obstiné, en débarrassant le défendeur du soin de repousser un pourvoi non fondé, il donne lieu à des longueurs, et il a surtout ce vice radical de faciliter l'existence simultanée de deux jurisprudences différentes entre la Chambre des requêtes et la Chambre civile et d'introduire ainsi la division dans la Cour, principalement chargée de maintenir l'unité dans l'exécution des lois. »

L'interprétation des lois par voie d'autorité et par le pouvoir législatif (Constitution belge, art. 28), est une mesure extrême employée, à défaut d'autres moyens légaux, pour fixer le sens véritable de la loi, s'il venait à être contesté. C'est l'application du principe : « Ejus est interpretari leges cujus est condere. » La discussion fut longue et approfondie sur ce point, et il en résulta que l'interprétation législative ne fut admise que lorsque la Cour de cassation aurait épuisé toute son autorité. - Aux termes de l'article primitif, il y avait lieu à interprétation, après la première cassation : aux termes de l'article adopté, il n'y a lieu à interprétation que « si la Cour annule le second arrêt, chambres réunies. »

La première nomination des présidents et des conseillers à la Cour de cassation et celle des présidents et conseillers des Cours d'appel, ainsi que des présidents et juges des tribunaux de première instance fut attribuée au Roi, après une forte discussion.

Dans la séance du 29 juin, l'ensemble de la loi fut adopté (loi du 4 août 1832, adoptée, à la Chambre, par 58 voix contre 18 ; au Sénat, par 29 voix contre 1. Moniteur de 1832, n°158-183, 190-192). Singulière coïncidence ! parmi ceux qui s'abstinrent de voter ces dispositions qui n'ont pas cessé de régir l'ordre judiciaire, (page 133) se trouvaient MM. de Gerlache et Leclercq : le premier, alors et aujourd'hui encore, premier président de la Cour de cassation ; le second, en ce moment, procureur général près de cette Cour suprême.

A notre sens, trois lacunes existent dans cette loi.

La première, c'est la mise à la retraite pour motif de grand âge ou d'infirmités graves. La seconde, c'est la suspension ou la démission, en cas d'inconduite notoire et scandaleuse. Il nous semble que ces deux facultés, données au Gouvernement par la loi et sous de fortes garanties en faveur des magistrats qui seraient passibles de l'une ou de l'autre mesure, ne seraient point contraires à la prescription constitutionnelle sur l'inamovibilité. La troisième, c'est la défense aux magistrats de siéger, quand leurs parents ou alliés rapprochés plaident comme avocats. Une loi disciplinaire, pour la magistrature, pourrait combler ces trois vides. (Note de bas de page : Le discours du Trône de la session 1840-1841, M. Leclercq étant Ministre de la Justice, s'exprimait ainsi : « La discipline judiciaire, quelque parfaite qu'elle soit, réclame, pour être à l'abri de toute atteinte, des dispositions dont la force obligatoire ne puisse pas être contestée. » La chute du Ministère ne permit pas de réaliser ce projet. La loi du 20 mai 1845 a prévu les cas d’infirmité grave et permanente).

L'organisation judiciaire réglée, il fallait fixer les traitements des magistrats. Ils le furent par la Chambre des Représentants à des chiffres qui parurent exagérés au Sénat. La loi dut être discutée une seconde fois et fut enfin admise avec des amendements (loi du 4 août 1832, adoptée, à la Chambre, par 44 voix contre 3 ; au Sénat, par 27 voix contre 4. Moniteur de 1832, n°190-204). En prenant en considération le temps et les frais des études qu'exige la carrière de la magistrature et la lenteur de l'avancement, on reste convaincu que la loi, loin de dépasser, n'a généralement pas atteint les chiffres d'un traitement convenable.

16. Conclusion

Avant la clôture, M. H. de Brouckere fut admis à développer (page 134) une proposition pour la suppression de la peine de mort (Moniteur de 1832, n°188). Depuis, l'honorable membre a fait de nouvelles tentatives qui, jusqu'à présent, n'ont pas abouti. Sur cette difficile question, beaucoup de législateurs sont de l'avis d'un écrivain - Alphonse Karr, pensons-nous, - qui disait : « Je suis pour la suppression de la peine de mort, à condition que ce soient ceux qui projettent des assassinats qui la réalisent ! »

Ouverte le 8 septembre 1831, cette première session fut close le 18 juillet 1832. Elle avait donc duré dix mois. Certes, elle ne fut pas stérile : des lois importantes, des discussions politiques absorbèrent beaucoup de temps. (Note de bas de page). Les autres lois adoptées, dans le cours de cette session de 1831-1832, sont : loi du 31 octobre 1831 qui autorise le Roi à permettre que des troupes étrangères traversent ou occupent le territoire ; loi du 15 décembre 1831 qui fixe les droits d'entrée des fers ; loi du 29 février 1832 qui porte des modifications au Code pénal, première disposition pour correctionnaliser certains crimes ; loi du 8 mars 1832 qui prolonge et modifie la force obligatoire des décrets sur la taxe des barrières ; lois du 19 juillet 1832 concernant l'admission des eaux-de-vie indigènes aux entrepôts et les concessions de péages).

Elle ne fut, cependant, pas exempte de certaines lenteurs, qui accompagnent toute mise en train. Le Sénat sembla surtout avoir voulu donner raison à ses nombreux adversaires. Souvent en nombre insuffisant pour délibérer, ou bien atteignant avec peine le nombre strictement légal, ses délibérations se ressentaient de ce peu de zèle. Mais heureusement ces débats n'établirent pas de fâcheux précédents, et nous retrouverons souvent le Sénat, par la solidité de ses travaux, à la hauteur de l'autre Chambre.