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Du gouvernement représentatif en Belgique (1830-1848)
VANDENPEEREBOOM Ernest - 1856

Ernest VANDENPEEREBOOM, Du gouvernement représentatif en Belgique (tome premier)

(Paru à Bruxelles, en 1856, chez Libraire polytechnique d’Augistre Decq)

Huitième session (1837-1838) (gouvernement de Theux)

1. Le renouvellement partiel des chambres

(page 281) Les élections pour renouvellement de la moitié de la Chambre des Représentants eurent lieu le 15 juin 1837 (Note de bas de page : Elles comprenaient la série composée des provinces d'Anvers, Brabant, Flandre occidentale, Luxembourg et Namur). Elles furent marquées par une intervention directe et pour ainsi dire officielle du clergé. Les journaux reproduisirent la circulaire qu'adressa aux curés de son diocèse monseigneur l'archevêque de Malines (Moniteur de 1837, n°157). Et telle est, chez l'homme doux, la force des bons instincts, qu'ils laissent leur trace même sur les actes qui sortent le plus de son caractère. C'est ainsi que ce prélat, tout en formulant cet ordre de combat, si on peut s'exprimer ainsi, entrevoyait les dangers de la lutte, dans laquelle il lançait des subalternes qui pouvaient outrepasser sa volonté, soit par un excès de zèle, soit par un désir de parvenir. Aussi disait-il : « Nous vous avertissons de procéder avec beaucoup de sagesse et de circonspection... Vous ne vous occuperez donc pas, en chaire, d'affaires politiques : vous vous (page 282) abstiendrez de tout ce qui peut rendre qui que ce soit odieux, ou l'offenser en aucune manière. » Inutiles avis ; vaines précautions ! Mille faits sont là pour prouver que, néanmoins, sont tombées de la chaire de vérité bien des paroles offensantes, bien des calomnies même, quelquefois poursuivies devant les tribunaux et réprimées par eux (Note de bas de page : Voir, « Belgique judiciaire », et autres recueils judiciaires, condamnations pour calomnies. Nous avions fait un relevé de toutes ces condamnations, avec l'indication des dates et celle des tribunaux devant lesquels elles avaient été prononcées. Mais nous avons cru qu'il valait mieux ne pas les insérer ici, pour ne pas réveiller des souvenirs, fâcheux pour les auteurs de ces abus réprimés, tristes pour tout le monde. Nous avons sacrifié le désir de paraître exact à la convenance de rester modéré) ; le plus souvent dévorées en silence...

Les élections ramenèrent à la Chambre deux vétérans parlementaires : M. Angillis, qui avait évincé M. Verrue, à Courtrai ; M. Delanghe, qui l'avait emporté, à Ypres, sur M. Jules Malou. Le premier, honnête et droit jusqu'au scrupule, ferme et convaincu jusqu'à l'obstination ; le second, n'ayant pas poursuivi, dans son âge mûr, le brillant avenir ouvert à sa jeunesse et qui, par ce renoncement à l'ambition, avait su fortifier son indépendance et épurer son caractère.

Douze membres nouveaux étaient entrés, cette fois, à la Chambre. M. Rogier eut les honneurs d'une double élection : que n'en a-t-il eu toujours la moitié ! (Voir, Pièces justificatives, t. II, n°III, la composition de la Chambre, en octobre 1837.)

Cette huitième session s'ouvrit le 5 octobre 1837 et fut close le 14 juin 1838 ; elle dura donc ainsi un peu plus de huit mois. Le statu quo de nos affaires extérieures en éloigna les débats politiques. Ce fut une véritable session d'affaires.

Les lois sur le tarif des douanes et sur les impôts d'accise et la discussion des budgets devaient absorber toute l'attention du Parlement. L'immense développement de notre commerce (page 283) et de nos industries et les exigences du Trésor justifiaient cette sollicitude. Mais les lois d'instruction, annoncées depuis près d'un an, ne devaient pas encore être discutées. Si les jeunes nations ont le devoir de régler les mesures d'intérêt matériel, c'est à la condition de ne pas négliger non plus les questions de l'ordre moral et les besoins de l'intelligence. Or, quoi de plus urgent à résoudre que le mode à suivre pour mettre en action l'article 17 de notre Constitution, qui n'avait pas été voté pour rester une lettre morte ?

2. Le vote des budgets

Afin de sortir du système vicieux des crédits provisoires, en adoptant les budgets avant l'ouverture de l'exercice, le ministère avait promis de devancer l'époque légale de la convocation des Chambres. Il tint parole, puisqu'elles se trouvèrent réunies un mois plus tôt qu'à l'ordinaire. Mais, cette fois encore, il n'y eut pas de discours du Trône. Le Ministre des Finances s'en excusa, dans un discours du 7 octobre, de la manière suivante : « Ceci explique l'absence d'une ouverture solennelle des Chambres, qui eût occasionné l'emploi de beaucoup de temps pour la rédaction et la discussion de l'adresse en réponse au discours du trône, qu'aucun événement important, quant à la Belgique, ne rendait d'ailleurs indispensable. » Malgré ces explications, nous n'en blâmons pas moins cette infraction aux usages parlementaires et cela pour les motifs que nous avons déjà exposés en pareille occurrence. (Tome I, livre V, p. 223.)

Le premier objet dont s'occupa la Chambre, fut un crédit pour le service de santé. M. Dumortier voulait poursuivre les investigations par l'enquête : il fut seul de son avis ; on jugea qu'il fallait en finir avec cette question irritante. La loi fut admise par 56 voix contre 1 et 7 abstentions (Loi du 13 novembre 1837). Puis, on adopta, sans discussion et à l'unanimité, une loi de crédit de (page 284) 10 millions, pour la construction de chemins de fer et routes pavées (Loi du 12 novembre 1837.)

La discussion des budgets ne présenta pas d'incidents graves. Celui de l'intérieur donna lieu à cette proposition : « Rechercher si la bibliothèque de Louvain n'est pas la propriété de l'Etat, afin de l'annexer à la bibliothèque nationale. » C'était une représaille de ce que la Chambre avait fixé ailleurs qu'à Bruxelles l'école militaire, en haine de l'université libre. Une commission avait été nommée pour examiner cette question ; mais avant le vote, M. de Theux, habile tacticien parlementaire, avait fait admettre que la commission aurait à rechercher toutes les collections d'arts et de sciences du pays, qui pourraient être la propriété du gouvernement. Dès lors, les travaux de cette commission étaient frappés de stérilité : car, comment effectuer une enquête si vaste, et d'ailleurs quel danger pouvait-il y avoir pour Louvain, quand chaque localité était elle-même menacée ?

Au budget de la Justice, on admit le principe d'un nouveau Palais de justice à Bruxelles, en accordant un premier cinquième de 400,000 francs, pour l'intervention de l'Etat. Par cette décision, trois millions étaient alloués pour cette construction : deux millions du Gouvernement et un million, par moitié, entre la ville et la province. Des débats mesquins et personnels firent échouer, au conseil communal, ce magnifique projet. On s'afflige quand on pense à ce déplorable résultat. Mais, ce n'était là qu'un premier oubli des intérêts de la capitale. On verra, plus tard, que le rejet du projet d'annexion des faubourgs est venu combler la mesure des mécomptes et des fautes. (Note de bas de page : Le refus par le conseil communal d'un subside pour le nouveau Palais de Justice et le rejet par la Chambre du projet d'annexion des faubourgs (1853-1854) nous paraissent être deux erreurs, deux empêchements au développement et à la splendeur de la capitale de la Belgique. Voir pour le refus par le conseil communal des propositions relatives au Palais de Justice, « Moniteur » de 1840, n°180-194.)

3. L’organisation de l’école militaire

(page 285) La discussion de loi organique de l'école militaire fut longue et vive par deux motifs : le premier, c'était que les propositions du Gouvernement étaient exagérées ; le second, c'est qu'une question d'enseignement s'y rattachait. L'enseignement a toujours été le noli me tangere de la Chambre. Quand on y touche, la confiance se resserre ; un frisson de crainte et de suspicion se manifeste partout. Voyez quels efforts pour les universités ; quels retards pour l'enseignement primaire ; quels labeurs pour l'enseignement moyen ! Nous avons déjà vu que la Chambre avait rejeté un crédit pour un hôpital militaire, que le Gouvernement voulait annexer à cet établissement.

Dans le projet actuel, il s'agissait de branches très nombreuses et d'un personnel exorbitant ; c'était une troisième université de l'Etat et, à notre sens, deux sont déjà de trop. Mais quel était le motif véritable de l'opposition ? Le voici : on craignait que les professeurs de l'école militaire ne devinssent des professeurs de l'université libre ; que les cours de Bruxelles ne grandissent, au détriment des cours de Louvain. Quelques libéraux de Gand et de Liège, espérant de profiter des dépouilles de la capitale, s'associèrent aux catholiques, chez qui la jalousie contre leur rivale libre était plus grande encore que leur antipathie contre les universités de l'Etat. C'était ainsi que, dans la séance du 25 novembre 1836, la Chambre avait décidé, par 42 voix contre 56, que l'école serait établie « dans une place de guerre. »

Mais le Sénat souleva une objection à cette disposition, puisée dans l'article 68 de la Constitution ainsi conçu : « Le Roi commande les forces de terre et de mer... » Or, beaucoup d'élèves (art. 2) font partie de l'armée ; donc le pouvoir législatif ne peut pas lier le pouvoir royal. » On modifia l'art. 1er et l'on dit : « il sera (page 286) établi dans le royaume une école militaire. » Cet amendement fut vivement discuté au Sénat et ne fut admis que par 24 voix contre 20. Cette doctrine est très contestable.

En présence de l'art. 68 de la Constitution, on peut placer l'art. 17, dont le § 2 s'exprime ainsi : « L'instruction publique, donnée au frais de l’Etat, est également réglée par la loi. » Nous pensons que les Chambres pouvaient dire constitutionnellement : « l'école sera placée dans une place de guerre, » sans violer l'art. 68, dont il résulte seulement, que le Roi a sous son commandement les élèves appartenant à l'armée, auxquels il donne des ordres, en vertu du pouvoir conféré par cet article. Mais placée sur ce terrain, cette question ne pouvait pas, sans danger, faire l'objet d'un conflit entre le Sénat et la Chambre. Aussi cette dernière fît-elle sagement, en n'insistant pas sur ce point.

L'institution de l'école militaire a, sans contredit, produit de très bons fruits pour l'armée. Elle a fourni un grand nombre d'officiers instruits, particulièrement dans les armes spéciales. Après de longues discussions, la loi fut adoptée, mais non sans une forte opposition. (Loi du 18 mars 1838 adoptée, à la Chambre, par 40 voix contre 29 ; au Sénat, par 23 voix contre 20. Moniteur de 1837, Rapport de M. de Puydt, n°85 à 88, 90. Discussion, n°325 à 335, 339, 340 ; de 1838, n°5 à 70. Voir Arrêté royal du 15 avril 1840 et « Exposé de la situation, etc., 1841-1851 », t. III, pp. 164, 556, 569, 645.)

4. Les lois de douanes (tarif général, sucres) et la loi sur les débits de boissons

Les sucres sont, pour un Etat qui n'a pas de colonies, un objet éminemment imposable. Mais des intérêts considérables du commerce et de l'industrie sont ici engagés, et c'est pour ce motif que cette question a fréquemment et longuement occupé le pouvoir législatif. Le chiffre du rendement fixé à des taux trop bas, les fraudes nombreuses et sur une vaste échelle, les perfectionnements des procédés de raffinage, enfin les développements de la fabrication du sucre de betteraves, (page 287) telles sont les causes multiples, pour lesquelles le Trésor n'a jamais perçu de cet impôt ce qu'il voulait et ce qu'il aurait dû en retirer. On eût évité bien des remaniements et bien des mécomptes, si on avait adopté, dès le principe, le système anglais, le travail en entrepôt. Quoi qu'il en soit, la nécessité d'une loi nouvelle était évidente, puisque le produit, - qui avait été, en 1832 et 1833, de près de 1,900,000 francs, en 1834 et 1835, de plus de 1,300,000 francs, - était tombé, en 1836, à 186,890 francs ; et, en 1837, à 119,682 francs seulement (Note de bas de page : Le plus haut produit de l'impôt des sucres fut celui de 1848, s'élevant à 3,818,000 francs.). Les dispositions présentées et admises réformaient quelques abus et devaient relever les recettes : mais elles étaient bien loin d'être suffisantes, au point de vue fiscal. Les nombreuses modifications, qui ont été introduites depuis dans cette partie de notre législation, le prouvent surabondamment. Nous n'insistons pas, parce que bientôt nous rencontrerons de nouveau cette question.

Les modifications à apporter à notre tarif de douanes avaient deux causes : la première était les changements apportés au tarif français par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ; la seconde était le grand développement que des droits trop élevés donnaient à la fraude, sans avantage pour l'industrie et au grand détriment du Trésor. Présenté le 14 avril 1836, le projet avait longuement occupé la Chambre, pendant la dernière session, sans qu'on pût l'adopter. Les discussions furent reprises, et avant d'arriver à leur terme, elles absorbèrent en tout trente-cinq séances de la Chambre (Loi du 8 février 1838, adoptée, à la Chambre, par 54 voix contre 12 ; au Sénat, par 25 voix contre 3. Moniteur de 1837, n°336 à 365 ; de 1838 n°1 à 34) ; et cependant, il ne s'agissait que de changer onze articles principaux, avec les subdivisions, une quarantaine dans l'ensemble (Bonneteries, boissons distillées, chicorée, draps, ouvrages en terre, pierres, produits chimiques. tissus (tulles, batistes, tissus de soie), tissus et étoffes de laine ; verreries, vins.)

Nous avons (page 288) déjà dit que sir Robert Peel avait obtenu, en quelques jours, de la Chambre des Communes son grand plan financier et douanier, ce dernier comprenant plusieurs centaines d'articles. Il est vrai que, chez nous, il s'agissait de porter les premiers coups de cognée à la prohibition et aux droits ultra-protecteurs, à l'ombre desquels dormaient paisiblement de nombreux intérêts, toujours prêts à se réveiller pour se défendre unguibus et rostro. La prohibition sur les tissus de laine fut levée, à partir du 1er janvier 1839, et remplacée par un droit de 250 francs par 100 kilogrammes, pour les draps et casimirs, et de 180 à 125 francs pour les autres étoffes de laine. M. le sénateur Biolley, ce prince de l'industrie, tout en regrettant que la France eût omis de lever elle-même la prohibition, n'eut pas le mauvais goût, ni la fausse pensée de dire, comme dans l'autre enceinte, que Verviers serait ruiné par la loi (Note de bas de page : Nous extrayons du discours de M. Biolley le passage suivant, qui permettra de comparer Verviers de cette époque (1838) avec Verviers d'aujourd'hui. « Les produits de l'industrie drapière peuvent s'élever annuellement à 25 millions de francs. Elle occupe presque exclusivement l'arrondissement de Verviers et une partie de celui de Liége ; 50,000 ouvriers y sont employés ; 183 fabricants, 68 machines à vapeur représentant une force de 513 chevaux, nombre de roues hydrauliques donnent la vie à cette industrie, dans laquelle 75 millions de francs sont engagés, tant en bâtiments qu'en mécaniques et capital roulant. » (Séance du 18 mars 1838.)). La prohibition sur les verreries et la gobeleterie fut aussi abolie. Quels flots de larmes de sang on versa sur la ruine de cette industrie ! Que Charleroy réponde aujourd'hui à ces faux prophètes. Les droits de douane sur les vins furent abaissés à 2 francs par hectolitre : or on sait que c'est le droit d'accise qui forme la principale charge et le grand produit de cet article. Mais ce qui troubla le plus le sommeil des ministres, ce furent les bonnets de coton. A l'article bonneterie, on fit une espèce d'enquête, et l'on alla jusqu'à demander l'expulsion (page 289) d'un étranger, accusé d'avoir donné de faux renseignements. A vrai dire, il faut être indulgent envers ceux qui se sont laissés aller, en cette circonstance, à quelques commérages, puisqu'il s'agissait de l'article tricots. Heureusement, il ne fut pas question, comme en 1835, de visites domiciliaires. Une bonne disposition de la loi, au point de vue de la réciprocité, c'est que le taux de l'impôt devait être renforcé de toute la valeur des primes d'exportation accordées à l'étranger, sur certains articles compris au présent tarif. Quelque douces que fussent ces modifications douanières, elles ne furent cependant pas acceptées sans peine (Loi du 7 avril 1838, adoptée, à la Chambre, par 36 voix contre 21 ; au Sénat, par 27 voix contre 1. Arrêté royal de la même date. Moniteur de 1837, n°293 à 347 ; 1838, n°38 à 77.)

Plus encore dans l'intérêt du Trésor que dans celui de la morale, une loi fut présentée frappant le débit des boissons distillées. L'impôt devait se payer par abonnement et par classe. Les débitants, au 1er janvier et au 1er juillet, payeraient suivant les villes, divisées en trois catégories, fr. 15, 12-50, 10 : ceux qui commenceraient à débiter dans le courant du deuxième et du troisième trimestres payeraient respectivement fr. 7-50, 6-25, 5. Dès le début de la discussion, M. le Ministre des Finances posa la question de savoir si l'impôt serait considéré comme direct ou indirect. M. Devaux proposa de dire : « Cet impôt ne sera pas compris dans le cens électoral. » 44 membres adoptent cette proposition, 24 la rejettent, 1 s'abstient. L'ensemble de la loi fut admis (Loi du 18 mars 1838, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 26 ; au Sénat par 21 voix contre 11. Moniteur de 1838, n°40 à 46, 48, 73, 74.).

Frapper les débitants de boissons distillées d'un abonnement, pour arrêter leur commerce immoral et puis, en raison de cet impôt, leur donner une capacité électorale, était illogique. On a changé postérieurement de manière (page 290) de voir à cet égard ; on a invoqué des considérations constitutionnelles, en disant que cet abonnement était un véritable impôt de patente. Au fond, la loi nouvelle a augmenté les ressources du Trésor (Note de bas de page : Dès la première année, cet impôt était estimé à 900,000 francs. Il était porté au budget de 1839, pour un million. En 1845 il produisit 978,319 francs.), mais elle n'a pas empêché l'effrayant accroissement de la consommation des boissons alcooliques, ce poison lent des classes inférieures. C'est à des remèdes autrement énergiques qu'il faudrait recourir, pour couper le mal dans sa racine.

5. La question de la réforme électorale

De nombreuses pétitions étaient parvenues à la Chambre, demandant la réforme électorale. Dans la séance du 16 février 1838, M. Dechamps lut un rapport sur cet objet (Moniteur de 1838, n°60.). Les réclamations avaient pour but de rectifier l'inégalité qui existait entre le cens électoral des villes et celui des campagnes. Elles variaient sur le mode de rectification. Le travail du rapporteur, digne de sa plume habile et exercée, était un peu trop empreint de ses préoccupations personnelles. Par suite de quelques observations, il fut résolu que les motifs invoqués par les pétitionnaires seraient analysés dans un bulletin (Moniteur de 1838, n°61). Le pétitionnement des villes avait été suivi de la démonstration peut-être moins spontanée, de quelques localités de la campagne demandant : « 1° Que la province fût divisée, en raison de sa population, en autant de districts électoraux qu'elle a de députés à nommer ; 2° que le cens, dans les cantons judiciaires composant un district électoral, fût fixé de manière que les cantons fussent représentés aux élections, proportionnellement à leur population respective , sans cependant que ce cens pût excéder 100 florins ni être moindre de 20 florins. » Le vote au canton y était indiqué (Note de bas de page : On voit que le vote au canton, qu'on invoqua naguère, est une arme tirée d'un vieil arsenal ; arme toujours prête, quand on doit entreprendre quelque campagne). Le (page 291) rapport concluait à rejeter les demandes des villes et celles des campagnes. Il proposait l'ordre du jour, tout en manifestant la préférence de la majorité de la section pour le projet de réforme des campagnes, parce que, disait le rapport, « la réforme qu'elles demandent est partielle et prudente, reposant sur les principes de la loi en vigueur et se tenant dans les bornes préservatrices de la Constitution. » La question de la réforme électorale sommeilla longtemps, se relevant parfois aux cris des partis, mais ne devant pleinement se réveiller et entrer dans les faits qu'au bruit de la tempête de 1848. Nous l'examinerons alors.

6. La réorganisation du jury d’assises

L'article 98 de la Constitution dispose : « Le jury est établi en toute matière criminelle et pour délits politiques et de la presse. » Que n'a-t-on borné son action à ces derniers délits seulement ! C'est là une appréciation personnelle ; ce point fut fort controversé. M. Verhaegen disait : « Dans les affaires criminelles ordinaires, l'expérience nous a démontré qu'un coupable a tout à espérer du jury et qu'un innocent a tout à en redouter. Franchement, j'aimerais mieux être jugé par une Cour d'assises que par un jury.» (Moniteur de 1838, n°51)

M. Metz répliquait : " L'inhumanité, ou plutôt l'habitude de voir des coupables, est un danger dans les jugements. Les juges (soit dit sans offenser qui que ce soit) les juges ressemblent un peu à ce capitaine suisse qui, chargé sur le champ de bataille d'enterrer les morts, enterrait même les blessés, parce que, disait-il, si on les écoutait, il n'y aurait personne de mort. (On rit.) Je l'ai vu, et c'est pour cela que l'institution du jury me comptera toujours parmi ses plus chauds défenseurs, parce qu'elle n'offrira jamais le douloureux spectacle qui a affligé mes yeux ; j'ai vu un (page 292) magistrat, d'ailleurs un modèle de probité, respirer le parfum d'une rose, pendant qu'il condamnait un homme à la mort... » (Moniteur de 1838, n°51). Le décret du Congrès du 19 juillet et la loi du 3 mars 1832 avaient réglé la matière ; mais des changements étaient indiqués par la pratique et réclamés de toute part. Le projet occupa longuement la Chambre. Les modifications les plus importantes furent les suivantes (Loi du 13 mai 1838, adoptée, à la Chambre, par 72 voix contre 9 et 2 abstentions ; au Sénat, par 34 voix contre 4. Moniteur de 1838, n°52-76) : le vote secret, qui venait d'être adopté en France ; remède contre la faiblesse si commune de quelques jurés et contre l'influence possible de quelques autres ; l'élévation du cens, afin d'éloigner du jury les personnes ou peu intelligentes ou peu indépendantes ; l'épuration des listes, confiée à l'autorité judiciaire seule. M. Verhaegen avait demandé que le vote secret n'eût pas lieu pour les délits politiques et de la presse, et que tout juré, ne sachant ni lire ni écrire, fût rayé de la liste : ces propositions ne furent pas admises.

7. Les autres lois matérielles (pratiques commerciales, droits sur le café et sur le sel)

La Cour de cassation avait admis en principe que la loi sur les patentes était en opposition avec les défenses et les restrictions portées, par les règlements locaux, contre les ventes publiques à l'encan des marchandises neuves. Ces ventes se multipliant, les plaintes devinrent nombreuses. Les Chambres furent saisies d'un projet pour réprimer les abus en cette matière. L'utilité de la loi fut contestée. Les uns disaient : laissez vendre à vil prix, c'est favoriser le consommateur ; les autres répondaient : des escrocs, des banqueroutiers viennent inonder les marchés d'objets défectueux ou frauduleusement soustraits, qu'ils peuvent laisser pour ce que l'on offre, puisqu'ils ne leur coûtent rien ; en présence d'une telle concurrence, le détaillant honnête est ruiné, il ne pourra plus (page 293) payer sa patente ni ses autres contributions ; la concurrence régulière est assez grande, d'ailleurs, pour sauvegarder l'intérêt du consommateur. La Chambre admettant ces derniers motifs, adopta les dispositions proposées. (Loi du 24 mars 1838, adoptée à la Chambre, par 43 voix contre 16 ; au Sénat, par 26 voix contre 3 et 1 abstention. Moniteur de 1838, n°52 à 79.)

A propos d'une augmentation des droits d'entrée sur le café, on tenta d'amener la Chambre à une discussion sur la question des droits différentiels. M. de Theux écarta ce débat, disant qu'il n'était pas évident pour lui que ce système fût aussi bon qu'on le prétendait. Et cependant, il devait triompher plus tard, précédé des plus séduisantes illusions, mais suivi des plus fâcheux mécomptes. Cette retentissante innovation, fruit de l'enquête commerciale de 1841, fut inaugurée solennellement par la loi du 21 juillet 1844, puis presque entièrement détruite et sans grands efforts par la loi du 31 janvier 1852. En ce moment, le Gouvernement demandait une augmentation sur les droits d'entrée des cafés de fr. 3-76 en principal, ce qui portait le total de ce droit à 8 francs les 100 kilogrammes. La Chambre et le Sénat adoptèrent ce chiffre (Loi du 18 mars 1838, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 14 ; au Sénat, à l'unanimité moins une voix. Moniteur de 1838, n°53 à 79.). On avait dit que les importations décroîtraient sensiblement ; c'est le contraire qui fut vrai. De 1831 à 1837, l'importation la plus forte est celle de cette dernière année qui s'éleva à 21,000,000 kilogrammes.

Une proposition, due à l'initiative d'un membre (M. Vuylsteke), faite en 1837, n'ayant pas abouti, le Gouvernement présenta lui-même un projet, augmentant d'un droit modéré l'entrée des tabacs. On le voit, pendant que les événements épuisaient rapidement les caisses du Trésor, le Ministre des Finances, M. d'Huart, faisait résolument aussi de louables (page 294) efforts pour combler le vide. Cette fois, l'élévation du droit était combiné de manière à ne pas nuire au chiffre des importations. Il y a, en fait de droits de douanes, un juste milieu qu'il faut savoir garder, sous peine de tuer, comme on dit, la poule aux œufs d'or. Nous verrons plus tard, que cette sage limite a été dépassée, et qu'Anvers, qui tendait à devenir un grand marché pour les tabacs, s'est vu privé de cet avantage, sans profil pour les recettes de l'Etat. La loi actuelle ne souffrit pas grande opposition (Loi du 28 mai 1838, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 9 ; au Sénat, par 30 voix contre 4. Moniteur de 1838, n°118 à 143.).

Le Gouvernement avait aussi, dans le double but d'augmenter les recettes du Trésor et de répondre à de nombreuses demandes, déposé un projet, modifiant l'impôt sur le sel. Après d'assez longues discussions, la Chambre résolut négativement, par 46 voix contre 29 et 1 abstention, cette question : « Modifiera-t-on les bases du système actuel sur l'importation du sel, quant au lieux de déchargement ? » Les intérêts lésés de quelques grandes localités avaient amené ce résultat. Le Ministre, voyant son projet bouleversé, le retira le lendemain (Moniteur de 1838, n°81-85.).

La Chambre avait modifié le tarif sur l’entrée des fils de lin, mais le Sénat ajourna sa décision, sur cette question, déclarant ne pas avoir d'éléments suffisants de conviction (Moniteur de 1838, n°79 à 147.)

8. Les pensions militaires

Parmi les lois, dont l'article 139 de la Constitution proclame la nécessité et l'urgence, se trouvent (§ 10) « les lois relatives à l'organisation de l'armée, les droits d'avancement et de retraite... » Pour satisfaire à cette prescription, deux projets avaient été présentés : le premier, le 25 janvier 1832 ; le second, le 31 juillet 1835. Après bien des délais, cette question (page 295) fut résolue. Elle le fut d'une manière très avantageuse, trop avantageuse peut-être, pour l'armée. Mais la disposition (art. 2, § 3°) qui permet de mettre à la retraite les officiers qui ont 55 ans d'âge, a donné lieu à bien des applications abusives. Sans être justifiées par l'intérêt du service, elles étaient onéreuses pour le Trésor (Note de bas de page : Le chiffre des pensions militaires qui était, en 1837, de 1,520,000 francs (Rapport de la section centrale, 29 avril 1837) s'est élevé, au 1er janvier 1853, à 2,467,801 francs.), et elles ne faisaient que favoriser l'esprit de camaraderie et la soif immodérée d'avancement. Malgré ces imperfections la loi fut adoptée (Loi du 24 mai 1838, adoptée, à la Chambre, par les 55 membres présents ; au Sénat, par 19 voix contre 7. Moniteur de 1838, n°94 à 147.)

9. Les lois d’emprunt

Le Gouvernement avait déposé un projet de loi tendant à l'autoriser à contracter un emprunt de 180,000,000 de francs, ayant pour objet : 1° La conversion de la rente 5 p. c. ; 2° la continuation des travaux du chemin de fer, sans recourir à la ressource dangereuse des bons du Trésor émis dans des proportions trop fortes. La section centrale jugea la première opération inopportune, dans les circonstances où se trouvait le pays. Le Ministre des Finances se rallia à cette manière de voir, et le projet d'emprunt fut réduit à un capital de 37,000,000 de francs, destinés à la voie ferrée. La discussion s'égara ; car au lieu de porter sur la convenance et l'emploi de l'emprunt, elle alla se perdre dans des débats sur le coût et le mode d'exploitation. M. de Puydt proposa d'introduire dans la loi une disposition, par laquelle on affecterait 2,000,000 de francs à la construction des routes ordinaires. C'était une sorte de compensation pour les contrées où le chemin de fer ne passait pas encore, et, après tout, la meilleure application possible et la moins contestée de l'intervention de l'Etat. On décida de faire de cette proposition l'objet d'une loi séparée. Ces deux lois ne rencontrèrent pas d'opposition sérieuse ; (page 296) elles furent admises, dans les deux enceintes, à la presque unanimité (Loi du 25 mai 1838 (emprunt de 37 millions). Loi du 1er juin 1838 (2 millions pour routes). Moniteur de 1838, n°129 à 145).

Quelques lois de moindre importance furent encore votées. Loi fixant l'accise sur les alcools étrangers (20 mai 1838) ; loi relative aux frais de perception par l'État des revenus provinciaux et communaux (25 mai) ; loi autorisant le prélèvement sur l'encaisse de l'ancien caissier de l'État des sommes appartenant à des provinces, à des communes et à des particuliers (25 mai) ; loi qui augmente le personnel de quelques tribunaux et loi qui règle la procédure en cassation (25 mai).

10. L’adresse au Roi

Un seul acte politique émana des Chambres, dans le cours de cette session : ce furent des adresses présentées au Roi pour engager le Gouvernement à maintenir l'intégrité du territoire.

Cette manifestation eut plusieurs causes : d'abord, les démarches pacifiques de la Hollande avaient provoqué de nombreuses pétitions ; ensuite, la garnison de la forteresse de Luxembourg avait commis une nouvelle violation du territoire, en venant, à main armée, détruire un arbre de liberté et arracher le drapeau national à Strassen, territoire qui devait être cédé, d'après le projet de traité (Moniteur de 1838, n° 119 à 142). Les malheureux habitants de ces contrées ne pressentaient que trop l'approche du danger et l'imminence de l'holocauste !

Dès le 18 mai, la Chambre, qui ne se trouvait plus en nombre, avait cessé ses travaux ; elle se sépara plutôt par un sauve-qui-peut général, que par un ajournement régulier. La session fut close le 14 juin 1838.

Autant celle-ci avait été calme et remplie seulement de questions d'intérêts matériels, autant la suivante devait être accidentée et pleine d'événements politiques.