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Frère-Orban le crépuscule 1878-1896
GARSOU Jules, VAN LEYNSELLE Henry - 1954

Jules GARSOU - Henry VAN LEYNSEELE, Frère-Orban le crépuscule 1878-1896

(Paru à Bruxelles en 1954, chez La  Renaissance du Livre)

Chapitre III. L’échange de vues. La rupture avec le Vatican

(page 59) Pendant que s'organise et que s'accentue l'opposition du clergé à la nouvelle loi scolaire, Frère-Orban, en sa qualité de Ministre des Affaires Etrangères, va mener avec le Vatican, une longue négociation qui aboutira finalement en juin 1880, à la suppression de la légation belge près le Saint-Siège.

Dans ses mémoires, Woeste a soutenu que Frère-Orban aurait tenté en vain de faire pression sur le Vatican pour l'amener se désolidariser de l'épiscopat belge et. que n'ayant point réussi à atteindre son but, il se serait moralement trouvé acculé à une rupture qu'originairement il ne désirait pas. Les faits ne confirment pas entièrement cette interprétation. La vérité est qu'en arrivant au pouvoir, Frère-Orban avait résolu de supprimer la légation belge près le Saint-Siège et que, dès le 21 juin 1878, il en avait avisé notre ministre, le baron Auguste d'Ancthan.

L'intransigeance du pape Pie IX, son hostilité à l'égard (page 60) des libertés constitutionnelles, l'appui qu'il avait apporté aux campagnes ultramontaines du clergé et d'une partie de la presse catholique avaient rallié nombre de libéraux à l'idée de mettre fin aux relations diplomatiques avec le Vatican. La disparition des Etats Pontificaux semblait d'ailleurs, à première vue, rendre inutile le maintien d'une légation auprès du Vatican. Frère-Orban estimait, en effet, que si, sous un régime concordataire - qui confère au gouvernement le droit de nommer les évêques et les curés tout en réservant au Souverain Pontife celui de leur donner l'institution canonique, - il était nécessaire d'avoir à Rome un agent diplomatique chargé de prévenir ou d'aplanir les difficultés afférentes à ces nominations, pareille représentation s'avérait inutile pour la Belgique, dont la Constitution exclut toute ingérence de l'Etat dans le domaine religieux.

Le projet du chef du gouvernement se heurta dès l'origine aux obiections du Roi, aux scrupules de la Reine, à l'opposition de Paul Devaux et à celle du Prince de Ligne, président du Sénat.

Fin juillet 1878, Frère-Orban déclarait encore à celui-ci qu'il se devait de persister dans sa résolution, étant lié la fois par son attitude antérieure et par ses engagements envers son parti.

Vraisemblablement averti des raisons qui avaient contribué à renforcer au sein de la gauche libérale l'idée de la suppression de la légation, le Pape Léon XIII, qui ne partageait nullement les préjugés de son prédécesseur à l'égard des libertés modernes, prit l'initiative de déclarer au baron d'Anethan qu'il déplorait la campagne que certains journaux menaient contre la Constitution Belge, si favorable (page 61) aux intérêts de l'Eglise, et l'autorisa communiquer cette désapprobation à son gouvernement. Une conversation de notre chargé d'affaires, M. Reusens, avec le cardinal Nina, permit à celui-ci de se rendre compte que le secrétaire d'Etat partageait entièrement les vues du pape.

Ces communications étaient de nature à exercer une influence sur la résolution de Frère-Orban. Si, grâce l'influence pontificale, il pouvait être mis fin à la campagne anticonstitutionnelle d'une partie importante de la presse catholique, le climat politique du pays s'en trouverait assaini. La preuve aurai été faite de ce que, même sous un régime non-concordataire, il pouvait être utile pour un gouvernement d'entretenir des relations diplomatiques avec le Vatican. Frère-Orban renonça provisoirement à son intention de rupture et décida de négocier. Une première satisfaction lui fut immédiatement donnée. Il reçut communication d'une circulaire du cardinal Nina aux nonces manifestant la volonté du pape de vivre en paix avec toutes les puissances et leur offrant la collaboration sincère de l'Eglise.

Mais à peine l'atmosphère était-elle éclaircie qu'un incident vint la troubler. Le Bien Public, qui était à la « pointe » de la lutte anticonstitutionnelle fêtait le vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. Les éléments d'extrême-droite, qui, presque seuls s'étaient associés à cette manifestation, envoyèrent un télégramme au Pape et celui-ci répondit qu'il comptait sur la complète union du vaillant journal avec la presse catholique belge pour la défense des vrais principes religieux et sociaux.

Le Vatican semblait ainsi approuver les idées du journal ultramontain, Ce qui était en contradiction avec ses (page 62) récentes assurances. A la suite d'une nouvelle négociation, le Saint-Siège précisa sa position. Il était prêt à blâmer absolument les attaques contre les institutions du pays, mais il se trouvait dans l'impossibilité d'engager les catholiques à s'abstenir de discuter les lois soumises au Parlement. Tout au plus, pouvait-il leur recommander à cet égard la sagesse, la prudence, la modération. C'était indiquer au gouvernement belge que celui-ci ne pouvait compter sur une intervention décisive du Vatican dans la lutte scolaire qui se préparait et que, tout au plus, le pape n'exercerait son influence que par des conseils.

Agissait-il dans le sens annoncé ? Frère-Orban dut se poser la question, lorsqu'en décembre 1878, il lut dans la Gazette de Liège que Léon XIII aurait déclaré à l'évêque de Namur : « Continuez d'être ferme. »

La publication, fin décembre, d'une lettre pastorale, datée du 7 décembre, accrut d'autant plus sa méfiance que la presse catholique affirma qu'elle avait été très favorablement accueillie au Vatican. Cependant, le15f janvier 1879, M. Reusens, après une entrevue avec le secrétaire d'Etat, démentait ce dernier fait.

Pourtant, la Papauté maintenait ses réserves quant à la question scolaire, et c'est en vain que Frère-Orban lui fournit sur la portée de la loi, et spécialement sur les droits que l'article 4 réservait au clergé, toutes les explications désirables.

En mars 1879, malgré une intervention à la Chambre de Janson, hostile au maintien, fût-ce provisoire, de la légation, Frère-Orban persista à ne pas mettre fin à « l'échange de vues » et le Roi le félicita vivement de cette décision. Les démarches nouvelles de notre chargé d'affaires restèrent cependant sans influence sur l'attitude du clergé (page 63) en matière scolaire. Le Pape se refusait à intervenir par voie d'autorité dans la manière dont les catholiques estimaient devoir défendre leurs intérêts moraux et religieux. Par contre, le secrétaire d'Etat faisait savoir à notre ministre qu'il avait chargé le nonce, Mgr Vanutelli, de faire parvenir des conseils de modération aux évêques et n'avait permis à personne de se servir du nom et de l'autorité du pape pour attaquer le projet de loi.

Une nouvelle lettre pastorale, publiée après l'adoption de la loi par le Sénat, donna lieu à une nouvelle protestation de Frère-Orban.

En gardant le silence, le Saint-Père paraissait approuver les évêques. Il devait donc les désavouer, s'il entendait rester fidèle à ses promesses. Mais le Vatican ne parut pas disposé entrer dans ces vues et il expliqua l'intransigeance de la lettre pastorale par le fait que les instructions modératrices transmises au nonce n'étaient pas parvenues à l'épiscopat quand celui-ci avait pris son initiative.

Après examen de la lettre pastorale, le secrétaire d'Etat fit savoir que la partie essentielle de ce document ne contenait pas une défense absolue de fréquenter les écoles officielles, en sorte qu'elle semblait assez modérée, laissant la porte ouverte à des accommodements pratiques chaque fois que l'éducation morale et religieuse des enfants ne se trouvait pas mise en péril. Il ajoutait que les douloureuses appréhensions du clergé et de l'épiscopat pourraient bientôt disparaître si le gouvernement, conformément aux engagements pris, avait soin d'éloigner des écoles tout ce qui pourrait blesser le sentiment religieux des catholiques et s'il promettait de continuer exercer une influence pacificatrice.

(page 64) Frère-Orban, tout en se réjouissant de cette communication qui semblait indiquer que l'attitude du Vatican, différente en cela de celle des évêques, dépendrait de la manière dont la loi sur l'enseignement primaire serait appliquée, fit remarquer dans sa réponse que la campagne des évêques et de la presse catholique contre la loi allait s'accentuant. Il signala que les évêques s'étaient réunis à Malines pour rédiger les instructions aux curés relativement à l'exécution de la loi et que, s'ils s'étaient ajournés au 28 juillet, ils ne paraissaient toutefois pas disposés à abandonner leur attitude intransigeante.

Comme preuve des dispositions conciliantes de gouvernement dans l'application de la loi - et en ce faisant il répondait directement à la dernière communication du cardinal secrétaire d'Etat - il transmit aux gouverneurs de province le texte de la circulaire du Ministre de l'Inté- rieur où il était dit que toutes les mesures nécessaires devaient être prises pour faire à la religion et aux ministres des cultes la place qui leur était due. Il insistait, dès lors, sur l'urgence de l'action modératrice du Saint-Siège.

Le 22 juillet, le baron d'Anethan reçut du cardinal Nina l'assurance renouvelée que le Saint-Siège souhaitait l'apaisement du conflit ; mais le secrétaire d'Etat marquait aussi son extrême répugnance pour tout acte qui entraînerait un blâme public de la conduite des évêques. Le cardinal voyait dans leur attitude un zèle peut-être trop ardent, mais ne voulait pas aller « au-delà. » Ainsi, le Vatican se désolidarisait officieusement de l'épiscopat, mais n'entendait pas le faire ouvertement.

Dans le courant du mois d'août, la teneur des instructions au clergé fut révélée par une indiscrétion du journal (page 65) allemand, la Germania. A l'en croire, les évêques songeaient à aller jusqu'au refus des sacrements. Le baron d'Anethan ayant fait part de cette nouvelle au secrétaire d'Etat, celui-ci promit de se renseigner ; puis, quelques jours après, le 26 août, affirma que la nouvelle répandue par la Germania était complètement inexacte. Il ajouta même qu'il ne doutait pas que les évêques s'inclineraient devant le désir du Pape. Lors d'un nouvel entretien, dont le baron d'Anethan rendit compte le5S octobre, il fut plus net encore, déclarant que le Pape assistait avec regret à la lutte engagée entre l'épiscopat et le gouvernement du Roi. Revenant sur le point de vue doctrinal, et considérant celui des évêques comme inattaquable, il ajouta que les conclusions tirées de principes justes peuvent être conduites d'une manière inopportune et poussées trop loin et que tel lui paraissait le cas en l'espèce. Le pape se refusait blâmer ou à désavouer les évêques qui avaient agi dans la limite de leur droit strict et sous leur propre responsabilité ; mais il les engagerait à n'appliquer qu'avec une extrême réserve les instructions qu'ils avaient données aux curés ; en revanche, il espérait pouvoir attendre du gouvernement belge une application modérée de la loi.

Les intentions de l'épiscopat, telles qu'elles semblaient résulter de l'article de la Germania, avaient, d'autre part, atterré Woeste et Malou et, d'une manière générale, les élus catholiques. Au nom de ses amis politiques, Malou avait pris l'initiative d'écrire au Vatican et à l'archevêque pour mettre en lumière le danger de l'excommunication massive. L'archevêque, Mgr Dechamps, ne donna aucune suite cette démarche, pas plus qu'à la visite que lui fit une délégation parlementaire, et le nonce fut pareillement impuissant à modifier ses intentions.

(page 66) Le désaccord entre le Saint-Siège et l'épiscopat d'une part, entre les évêques et les parlementaires catholiques d'autre part allait permettre à Frère-Orban de contenir l'impatience croissante des libéraux hostiles au maintien de la Légation.

Le 17 octobre, Frère-Orban fit pressentir à notre ministre qu'il comptait faire état au Parlement de ses échanges de vues avec le Vatican.

Avisé du danger qui pouvait résulter pour lui de la divulgation des sentiments personnels du Saint-Père, l'archevêque de Malines écrivit le 2 novembre à Rome pour obtenir du Saint-Siège une déclaration qui démentirait l'existence d'un désaccord avec l'épiscopat. Le Vatican, fidèle à son attitude antérieure, s'émut à la pensée des révélations que Frère-Orban pourrait faire, et adressa, le 11 novembre, au nonce une note conforme au désir de Mgr Dechamps.

Le secrétaire d'Etat prenait sur lui de déclarer que les propos relatés dans la dépêche d'Anethan du 5 octobre ne reflétaient que ses opinions personnelles. Frère-Orban réagit avec énergie devant pareille manœuvre et obtint que la note du I11 novembre fût considérée comme non avenue. Le 17 novembre toutefois, il apprit que le cardinal Dechamps avait déclaré au rédacteur en chef du Journal de Bruxelles qu'il tenait une lettre du Pape prouvant que celui-ci était d'accord sur tous les points avec les évêques et qu'il désirait que M. Frère le sût.

A la suite d'une nouvelle démarche auprès du nonce, celui-ci fit savoir que les évêques avaient adopté une attitude plus conciliante, qu'ils avaient soumis au pape le projet de leurs instructions au bas clergé en les déclarant encore (page 67) sujettes à révision et que Léon XIII les avait renvoyées en disant qu'elles lui semblaient, en effet, devoir être corrigées mais qu'il laissait aux évêques « le soin d'agir suivant ce qu'ils reconnaitraient le plus favorable au bien de l'Eglise. » Selon le nonce, cette déclaration ne pouvait toutefois être considérée comme une approbation.

Ce fut dans ces conditions que s'ouvrit, le 18 novembre 1879, à la Chambre, un débat provoqué par le député libéral D'Elhoungne, qui avait prié le chef du gouvernement de s'expliquer, s'il le jugeait bon, sur l'état des rapports entre le gouvernement et le Saint-Siège. Frère- Orban fit un exposé très complet des pourparlers.

La tâche n'était pas aisée. Pour la droite, il avait à mettre en lumière la non-approbation par le Pape de l'attitude des évêques, cependant qu'il lui fallait démontrer au petit groupe radical que le maintien de la Légation avait provoqué des résultats positifs. A cet égard, il pouvait faire état de l'attitude très nette que le Saint-Siège avait prise concernant la campagne contre la Constitution. Il tira aussi argument de ce que le pape n'avait pas encouragé les catholiques dans leur intention de ne pas assister aux fêtes du cinquantenaire de l'indépendance nationale. Fort objectivement, et tout en reconnaissant que le Pape était adversaire de la sécularisation des écoles et qu'il était, à cet égard. doctrinalement d'accord avec l'épiscopat, il fit valoir que le chef de l'Eglise n'entérinait ni ses méthodes ni sa tactique. Il était pacifique, alors que les évêques étaient belliqueux.

Malou, qui intervint dans la discussion au nom de la droite, se trouvait dans une position fausse : il tenta de minimiser les divergences de vues entre le Saint-Siège et les (page 68) évêques bien que son intervention à Rome eût démontré qu'il en comprenait toute la gravité.

Le débat avait à peine pris fin dans les conditions les plus favorables pour Frère-Orban, que le Bien Public et d'autres journaux catholiques annoncèrent que des documents qui ne se trouvaient pas dans le portefeuille du ministre seraient prochainement publiés et montreraient la parfaite entente du Saint-Siège et des évêques.

Cette affirmation entraîna de la part de Frère-Orban une nouvelle demande d'explications.

Après s'être entretenu avec le secrétaire d'Etat, le baron d'Anethan fit savoir au ministre qu'on lui assurait que les documents dont avaient parlé les journaux catholiques n'existaient pas, qu'il existait uniquement des lettres du Pape dans lesquelles celui-ci blâmait la nouvelle loi d'enseignement, mais sans approuver les instructions épiscopales. En conclusion, le secrétaire d'Etat avait ajouté que le langage du Saint-Siège avait toujours été le même. Comme l'épiscopat, il désapprouvait la loi dans ses principes, mais il avait constamment recommandé le calme, la prudence et la modération. Cette déclaration, qui confirmait le point de vue qu'il avait exposé à la Chambre, donna satisfaction à Frère-Orban.

Quelques mois plus tard, celui-ci eut une fois de plus à justifier sa politique lorsqu'au cours de la discussion du budget des Affaires Etrangères, Janson se livra à une virulente attaque contre la duplicité du Saint-Siège. Ses explications convainquirent la Chambre et le crédit pour la Légation fut voté par la droite et la gauche presque unanimes. Seuls, huit députés, parmi lesquels sept députés libéraux de Bruxelles et Léon Defuisseaux, alors élu des libéraux (page 69) montois, émirent un vote négatif. Il y eut deux abstentions libérales.

En avril 1880, l'échange de vues reprit. L'épiscopat avait envoyé à Rome le chanoine Claessens, homme de confiance de l'archevêque, avec mission d'ébranler le crédit du nonce, Mgr Vanutelli qui, dans le conflit, n'avait cessé d'exercer une influence apaisante. Il devait l'accuser d'avoir laissé ignorer au Pape que la loi scolaire était l'œuvre de la franc-maçonnerie.

Frère-Orban fit sentir au Vatican, qu'à moins d'une modification prochaine dans la situation, son gouvernement ne pourrait s'arrêter « sur la pente des représailles. » Mais peu après, le Courrier de Bruxelles publia une lettre du pape à Mgr Dechamps, où Léon XIII louait la générosité qu'avaient manifestée les fidèles de Belgique afin « d'empêcher ou du moins d'atténuer les conséquences désastreuses de la nouvelle loi scolaire, complètement opposée aux principes et aux prescriptions de l'Eglise catholique. » Il devenait ainsi évident que, depuis le mois d'octobre 1879, des influences nouvelles agissaient sur le Pape.

Le baron d'Anethan laissait d'ailleurs entendre, le 30 avril, que Léon XIII ne paraissait plus tenir au maintien de la Légation et, quelques jours plus tard, il faisait parvenir une note du Saint-Siège datée du 3 mai. L'attitude du Vatican n'était plus celle qu'il avait adoptée l'année précédente alors qu'il affirmait sa volonté d'exercer une influence apaisante. Le Pape déclarait maintenant approuver la résistance des évêques à une loi « absolument condamnable » et, tout en disant qu'il ne cessait de travailler à l'apaisement, ajoutait qu'il était d'ailleurs vain de l'espérer aussi longtemps que la loi resterait ce qu'elle était. C'était faire entendre clairement (page 70) que l'intervention modératrice du Saint-Siège était désormais subordonnée à une modification de la loi.

Au cours des entretiens que Frère-Orban eut avec le nonce les 15 ct 31 mai, celui-ci lui laissait encore entrevoir que les instructions des évêques au clergé seraient modifiées probablement après les élections du 8 juin. Mais le ministre lui répondit que, dût-il même en être ainsi, les conséquences de la note du 3 mai n'en seraient pas effacées. De fait, quelques jours après l'envoi de sa note, Léon XIII avait demandé aux évêques de nouvelles concessions, et, le 14 mai, ceux-ci avaient quelque peu atténué la rigueur de leurs instructions antérieures.

Mais Frère-Orban ne pouvait se satisfaire de ce revirement partiel et, au demeurant, bien tardif. La note du 3 mai lui avait fait comprendre que, dans une certaine mesure, le Pape pouvait peut-être freiner la combattivité des évêques, mais qu'à moins d'une modification de la loi, il n'entrait pas dans ses intentions d'intervenir pour mettre fin à la campagne que le clergé menait contre le gouvernement.

Le Premier ministre tira de cette constatation la conclusion qu'elle imposait et, le 5 juin 1880, envoya au baron d'Anethan ses lettres de rappel. Le 9, jour de départ de celui-ci de Rome. le Cardinal Secrétaire d'Etat télégraphia pour demander le retrait de l'ordre de rappel. Frère- Orban décida alors de garder le contact avec le nonce, mais les pourparlers n'aboutirent à aucune résultat après que le Vatican eut refusé de communiquer les instructions nouvelles que l'épiscopat avait données au clergé. Le 28 juin, le nonce reçut ses passeports : la rupture était consommée.

Dès la session extraordinaire du mois d'août, Woeste (page 71) voulut interpeller à ce sujet le Ministre des Affaires Etrangères.

Sur la proposition de Janson, l'ajournement de l'interpellation à la session ordinaire de novembre fut décidé. Le débat se déroula à l'occasion de la discussion du projet d'adresse en réponse au discours du trône. Il fut long et passionné.

Accusé de duplicité par la droite, Frère-Orban se défendit avec vigueur. Il affirma que sacrifiant ses préférences personnelle, il avait, en négociant avec le Saint-Siège, cherché loyalement et de bonne foi, mais en vain, un terrain d'entente.

La gauche, unanime, l'appuya et rejeta par 63 voix contre 46 l'amendement présenté par la droite qui tendait à écarter du texte proposé par la Commission la phrase : « L'honneur et la loyauté du gouvernement belge, sa responsabilité devant le pays lui imposaient de rompre nos relations avec le Vatican » termes auxquels Frère-Orban attachait une importance toute particulière puisqu'ils constituaient l'approbation de la politique qu'il avait menée.