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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (mars 1908)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

M. Rudelsheim et l'alliance belgo-néerlandaise

M. Rudelsheim et l'alliance belgo-néerlandaise

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 mars 1908)

Bruxelles, 28 mars 1908

J'ai encore assisté hier soir à un exemple divertissant de la manie de critique de certains Flamands. Est-ce parce que toute action entraîne une réaction que l'enthousiasme flamingant a progressivement créé une école de critique incessante et d'obstruction systématique ? Quoi qu'il en soit, nos lions flamands ont toujours côtoyé et compté parmi leurs meilleurs amis des personnes qui, dans les moments de plus grande ferveur, savaient leur donner un coup de pied aux orteils ou un coup de poing aux reins. Si le mouvement flamand a commencé à accomplir un travail plus sérieux et à s'étendre dans un esprit plus économiquement général, cela peut très bien être attribué aux sceptiques, aux pessimistes, et aux pinailleurs, qui ont su ramener les idéalistes trop ambitieux un peu plus près de la terre et ont servi de contrepoids à l'autre bord de la balance, où se tenaient les esprits gonflés de vent... Ce facteur d'obstruction est d'une importance capitale dans la psychologie du flamingantisme : c'est ce groupe de modérés qui nous a permis d'entrer dans certains cercles hostiles et de promouvoir la justice. Ce groupe était gantois ; le baron sceptique de Maere, l'homme à qui la Flandre doit tant, en était l'un des membres les plus effacés, peut-être, mais assurément des plus influents ; le sombre et noble Julius Vuylsteke en a longtemps été le leader ; et aujourd'hui, il est principalement représenté par le jovial et corpulent Paul Fredericq : l'apparence d'indulgence et de tolérance qu'il présente dissimule néanmoins un esprit très affûté, très objectif, très bien documenté, et très critique ; une méfiance gantoise se cache sous une franchise flamande, et le rire le plus éclatant peut être l'expression du sarcasme le plus mordant.

Le Dr. Maarten Rudelsheim appartient à cette école gantoise. Cosmopolite par ailleurs, né de parents hollandais, établi à Anvers, il n'est Flamand que par hasard. Ni lien de cœur, ni lien de sang. Seulement, et dans une large mesure, un amour intellectuel, une sympathie intellectuelle, accompagnés d'un penchant tout aussi marqué pour la critique, pour couper les cheveux en quatre, qu'il a conservé de son cosmopolitisme d'origine. Rudelsheim observe avec un regard perçant, de haut, jusque dans les profondeurs. Il a des aperçus pénétrants, et une imagination – une imagination orientale, mais disciplinée et systématisée par la rigueur scientifique allemande – qui complète ce que ses seules observations peuvent suggérer. Il embrasse la vie flamande, même s'il ne la domine pas ; son esprit vit dans le Mouvement Flamand : il ne vit pas du Mouvement Flamand. Et c'est là la force du Dr. Rudelsheim, qui a appris à Gand auprès du professeur Paul Fredericq la méthode critique la plus éprouvée : il est Flamand par choix, non par nature profonde et ancestrale.

Hier, le Dr. Rudelsheim a parlé ici – dans un local indigne de telles réunions, il faut le dire, alors qu'il y a bien mieux à Bruxelles – de l'accord belgo-néerlandais. Je lis à l'instant dans votre journal du soir les quelques lignes que vous y consacrez. Je souhaitais y ajouter quelques réflexions, ne serait-ce que pour souligner combien certaines notions sont tenaces et combien les hommes qui les croient inventées leur sont attachés. Si j'étais un philosophe du XVIe siècle, j'écrirais ici peut-être : Speculum vanitatis ; cependant, notre psychologie du XXe siècle nous a appris davantage de tolérance, et nous n'appelons plus cela de la vanité lorsqu'une personne s'accroche à des idées qu'elle s'est forgées, même si la réalité les fait vaciller et s'effondrer : nous savons à quel point le processus de séparation physiologique des dépôts mentaux est lent ; et il est bien naturel, après tout, d'aimer particulièrement ses enfants lorsqu'ils sont malades...

M. Rudelsheim reste un ardent opposant à une « Entente belgo-néerlandaise. » Nous l'avons également été. Nous avions, comme lui, peu de confiance dans les premiers promoteurs de cette idée. Leur programme aurait été dangereux s'il n'avait pas été ridicule. Aujourd'hui encore, ces premiers promoteurs parlent d'une alliance militaire, à un moment où les tensions sont vives dans certains États d'Europe occidentale, et où la Belgique s'engage dans l'aventure congolaise. Ces messieurs ont-ils une mission ? Sont-ils suspects ? Je rejette une telle hypothèse : ce sont des idéalistes qui, comme M. Rudelsheim, chevauchent leur « idée fixe. » Dois-je ajouter qu'ils sont de moins bons « cavaliers » ?...

Que reste-t-il, au fond, de l'autorité et de l'influence de ces hommes après qu'ils ont remis leur travail entre les mains, d'une part, du ministre d'État Beernaert, d'autre part, du Premier ministre Heemskerk, qui ont accepté de... non pas de réaliser leurs plans, mais de les « étudier » ; d'examiner ce qui, pour le bien des deux pays, pourrait être bénéfique ou condamnable ; d'explorer ce qui, avec l'aide non officielle – il serait imprudent et inopportun qu'elle le soit – mais officieuse des deux gouvernements, pourrait être réalisé et ce qui ne pourrait pas l'être.

Il n'est absolument plus question d'une alliance offensive et défensive : des hommes tels que Heemskerk et Talma, Beernaert et Helleputte ne s'y aventureront pas, et seraient les premiers à se débarrasser de ceux qui viendraient les importuner avec de tels projets. Quant à savoir si une union économique poussée est possible, cela dépend de l'avenir : les hommes d'État précités ont suffisamment d'expérience et de clairvoyance pour juger de l'opportunité de cette idée, et ni M. Baie ni personne d'autre ne fera avancer cette affaire d'un seul pas si les deux États y voient une impossibilité.

Cela signifie-t-il que le travail de la « Commission belgo-néerlandaise » se réduira à un banquet annuel, comme le prétend M. Rudelsheim ? Certainement pas : je sais que dans les six sous-commissions, on travaille très sérieusement ; je sais très précisément que bientôt un accord entre les deux États concernant les services postaux constituera une agréable surprise ; je sais que la question de l'exequatur des jugements est en cours d'étude approfondie et qu'elle trouvera certainement une solution ; je sais que la question du droit d'auteur du côté néerlandais fait l'objet d'une attention minutieuse ; enfin, je sais que la situation délicate, pour les Pays-Bas comme pour la Belgique, de la police vétérinaire aux frontières et tout ce qui en dépend, est en cours d'examen par des mains compétentes. Voilà une réponse aux doutes de M. Rudelsheim. Je l'assure que mes informations proviennent des meilleures sources. Comment alors ne se réjouirait-il pas avec nous, Flamands, que, peut-être bientôt, nous obtenions ce que nous demandons depuis le premier Congrès néerlandais, depuis 1849 ?...

Personne, bien sûr, ne nie que l'idée d'une union belgo-néerlandaise ait, dans le passé et jusqu'à hier encore, paru irréalisable ; personne ne conteste les faits qu'il a si soigneusement – quoique pas toujours impartialement – recensés, et qui démontreraient qu'une « Entente » est impossible. Mais si nous lui présentons des faits nouveaux, réels, bientôt vérifiables, qui réfutent son raisonnement par leur réalité : que dira-t-il alors ? Continuera-t-il à soupçonner M. Baie et ses collègues ? Mais ces messieurs ne sont plus que des secrétaires, qui ne peuvent rien faire d'autre que consigner ce que des hommes comme Beernaert et Heemskerk mèneront à bien. Pourquoi alors continuer à critiquer ? Pourquoi adopter l'attitude comme si l'accord belgo-néerlandais devenait une affaire personnelle ?

Mais M. Rudelsheim appartient au groupe des critiques de la mouvance flamande. Il est cependant dommage qu'une bonne qualité, poussée à l'extrême, se retourne contre elle-même. « Le mieux est l'ennemi du bien, » hélas, et bien que nous ne reprochions à M. Rudelsheim qu'un zèle fondé sur les meilleures intentions, nous estimons que ce zèle l'empêche de garder une vision claire des situations et de leur évolution.

Bientôt, l'avenir lui montrera que, dans son obstination entêtée, il avait tort. Nous ne doutons pas qu'un jour, il sera le premier à le reconnaître.