(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
Encore le Congo II (1 juillet) - Encore le Congo III (8 août) - Encore le Congo IV (9)<- Encore le Congo V (11) - Encore le Congo VI (18) - Encore le Congo VII (21) - Encore le Congo VII (23)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 1 juillet 1908)
Bruxelles, 28 juin 1908.
Oh, malheureuse période des concombres qui mûrissent ! Malheureuse période, qui ne permet pas de laisser les vêtements se débarrasser de l'air politique au bord de la mer ; qui impose au journaliste le devoir, « qui l'attache au rivage », de s'enfermer, quatre jours par semaine, juste après le déjeuner, dans la tribune de presse d'un Parlement somnolent, sans même la promesse d'une nouvelle sensationnelle ou d'un discours percutant. Au contraire, il est menacé d'un travail forcé prolongé sans espoir de conclusion rapide. Imaginez : la semaine dernière, il y avait encore 14 orateurs inscrits ; aujourd'hui, par une jalousie que je ne saurais expliquer, leur nombre a grimpé à plus de quarante. Cela signifie quarante discours identiques pour ou contre, avec pour seul résultat possible une conclusion que tout le monde connaît depuis des mois. C'est une épidémie d'éloquence douteuse, comme si une nouvelle espèce de mouche tsé-tsé avait inoculé à nos « honorables » à la fois une frénésie de paroles et une maladie du sommeil. Il n'y a pas encore de danger de mort ; mais des préoccupations pour la santé, nationale aussi bien qu'individuelle, se posent tout de même. Si ces messieurs les députés veulent s'empoisonner eux-mêmes, c'est leur affaire ; mais forcer de pauvres reporters à respirer pendant plus de trois heures par jour l'air vicié de leurs discours, voilà qui n'est pas seulement dangereux pour eux, mais aussi pour le public, qui doit ensuite avaler des comptes rendus venimeux et des nouvelles pessimistes — ce qui ne peut être bénéfique aux affaires de l'État. Il existe bien un remède qui pourrait guérir tout le monde : des séances à huis clos. Vous verriez combien cela ferait des merveilles contre la logorrhée ! Cependant, la Constitution interdit ce remède ; et bien qu'on soit actuellement assez laxiste avec les propositions inconstitutionnelles à la Chambre, je parie que celle-ci serait rejetée à l'unanimité.
Encore une semaine passée dans la torpeur des discours, sans le moindre frisson pour agiter les nerfs des plus ardents partisans ou opposants au Congo. Ce ne sont plus que des échos dilués — dans la mesure où un son peut être dilué. En trois jours, trois discours. Ce qui nous promet encore quarante jours de séance, soit une douzaine de semaines, ou environ quatre mois de débat. Cela nous mènerait jusqu'en octobre, et pour la première fois depuis 1830, nous n'aurions pas eu de vacances parlementaires... Si le pays ose encore se plaindre de ses représentants !
Tout cela est bien moins comique qu'on ne le pense : nous avançons à reculons. Du discours de M. Hoyois, on avait espéré qu'il apporterait un peu de clarté aux revendications des jeunes catholiques. Car vous savez que M. Hoyois est devenu leur capitaine, peut-être grâce à son allure martiale. En effet, si dans la « Belle Hélène » d'Offenbach, il y a un rôle de Mars — ce que j'ignore —, M. Hoyois y serait tout désigné. Non seulement son nom, mais aussi son apparence, son attitude, et même sa voix évoquent l'image d'un molosse particulièrement féroce. Plus d'une fois, on a proposé à la Chambre de lui offrir une muselière d'honneur. Je suis convaincu qu'il existe dans le commerce des modèles qui conviendraient parfaitement à M. Hoyois. Cela l'empêcherait d'aboyer, voire de mordre, comme il en a l'habitude, et comme il l'a encore montré dans son discours sur le Congo cette semaine. Cela aurait pu être amusant, surtout pour nous, qui n'avions rien à craindre de loin, si ce n'était que M. Hoyois, dans sa fureur habituelle, manque tellement de nuances. Il n'y a rien de plus ennuyeux qu'un jeune premier qui fait toujours ses déclarations d'amour avec les mêmes gestes. Hoyois joue toujours le traître comme ce jeune premier : il ne connaît pas les nuances. C'est pourquoi il en devient écœurant : on ne sait pas encore ce qu'il va dire — bien que l'on soit sûr que ce ne sera rien de spécial —, mais on sait déjà trop bien comment il va le dire, et aussi quel effet cela aura sur la gauche.
C'est la même chose avec M. Woeste, qui a également pris la parole, bien sûr dans un genre différent. M. Woeste, lui, est fidèle à la bonne tradition. Il représente ici, pour ainsi dire, le Théâtre français au milieu d'une bande de disciples d'Antoine ou même de simples bouffons. Il est même bien meilleur que ceux qui s'efforcent désespérément d'être « classiques » dans leur diction et leurs gestes, comme M. Hymans, par exemple. Car M. Woeste appartient encore au bon vieux temps, lorsque cette solennité, cette emphase mesurée, ce rythme périodique, cette généralisation des faits et cette banalité du raisonnement flottaient dans l'air, agissant comme une atmosphère sur la Chambre. Les autres, comme M. Hymans, ont dû l'apprendre ; ils ne le respirent pas ici, et en souffrent, malgré tous leurs efforts...
Woeste, lui, évolue très facilement dans les limites de la tradition, certes dans toute sa grisaille, mais aussi avec sa distinction. Et il y a encore quelques années, on pouvait être sûr que ce formalisme quelque peu neutre, hérité, impersonnel, portait des idées puissantes, originales, surtout obstinément réfléchies. M. Woeste était un excellent politicien de politique intérieure. Maintenant, hélas, il y a beaucoup à redire. M. Woeste vieillit, est malade, et reste obsédé par l'idée que rien n'ira bien s'il ne s'en mêle pas. Là où « la gangrène froide » se retirait, qui rendait parfois son éloquence si retenue dans sa fureur, aussi mordante que de l'eau-forte, ne laissant que l'habitude du geste, le squelette d'une rhétorique minutieuse – même la diction s'est relâchée, devenant, sous la volonté du locuteur, métallique, comme un ressort défectueux – la force de la pensée, le machiavélisme des arguments, la logique modeste mais triomphante des conclusions se sont également étiolés. M. Woeste conserve encore l'amour, qui est précieux, de la généralisation. Mais cette généralisation ne repose plus sur les faits, sur la réalité, sur la nécessité. Et ainsi, M. Woeste est en un sens tout aussi ennuyeux que M. Hoyois, bien que de manière différente. M. Hoyois est le Jocrisse qui reçoit toujours les mêmes coups de bâton sous les mêmes pirouettes ; M. Woeste est le noble père qui répète toujours le même sermon sur le même ton ; et, bien que les mots de son rôle changent parfois, la manière dont ils sont prononcés est telle que l’on ne s’en aperçoit même pas – pas même les acteurs eux-mêmes. Et il faut vraiment tendre l'oreille pour percevoir ce nouveau son qui se perd dans l'ancienne modulation de la voix.
C'est ce que j'ai fait, et le résultat est : pour M. Woeste, nihil, toujours la même chose, une affirmation apparemment convaincante que tout est parfait et qu'il faut avoir un mauvais caractère pour oser prétendre le contraire ; pour M. Hoyois, que les revendications des Jeunes Catholiques se sont déjà réduites à de pieux souhaits dont eux-mêmes n'attendent pas grand-chose... Que cela doit être pénible pour M. Beernaert d'avoir pris la parole avant les élections, et de voir maintenant la défense de son obstination confiée à un bouledogue comme Hoyois, qui réduit et abaisse tout à de la propagande électorale et des manœuvres politiciennes locales ! D'autres Jeunes Catholiques viendront encore prendre la parole, jouissant de plus d'autorité et d'une meilleure écoute à la Chambre. Mais l'intervention de M. Hoyois a été une erreur, du point de vue de leur position.
Quant au socialiste Royer, qui s'est exprimé contre, il n'y a pas grand-chose à dire de plus que pour le vieux M. Delvaux, libéral, qui s'est exprimé en faveur : ni l'un ni l'autre n'ont apporté de nouvelles informations. Ils n'ont fait que gaspiller une séance et demie, chose qu'ils portent sans doute à la légère, mais qui leur est également reprochée sans distinction dans la tribune de presse, gardienne des prérogatives nationales.
Avec le libéral Van Marcke, c'est tout de même un peu mieux : il a clairement démontré que le point central du débat est la question des concessions, un point vers lequel semble se diriger la discussion pour l'avenir, et qui, comme je vous l'ai déjà écrit, est aussi d'une importance capitale pour la Belgique d'un point de vue financier. Leur maintien fait obstacle au libre-échange et va à l'encontre du traité de Berlin. La question est désormais de savoir si nous allons racheter ces concessions, ce qui nous coûterait 2 à 300 millions, ou les reprendre aux concessionnaires, ce qui est notre droit.
Cette question, selon le Livre gris, avait été soulevée par l'Angleterre. La Belgique y avait répondu de manière très ambiguë, et vous vous rappelez sûrement comment, au moment de la reprise des discussions sur le Congo, cette réponse incomplète avait été évoquée comme motif de suspension du débat, alors qu'on avait également trouvé très étrange que, depuis le 24 avril, toute correspondance avec l'Angleterre ait été interrompue... Il semble que le gouvernement ait jugé opportun de lever la menace d'une nouvelle opposition des anti-congolais, en raison de son attitude singulière et ambiguë concernant les concessions, puisqu'il a maintenant soudainement reçu des nouvelles d'Angleterre, et que ces nouvelles, par pure coïncidence, concernent les concessions.
Voilà la plus récente rumeur. Il est probable qu'elle repose sur un fond de vérité. Le contenu de ce nouveau document anglais reste toutefois incertain. Certains disent que l'Angleterre demande des éclaircissements sur le libre-échange, et donc sur le maintien des concessions. D'autres estiment que le Foreign Office ne fait que donner son approbation à la conduite de nos ministres – ce qui est plutôt surprenant, et il faudrait que cela soit écrit noir sur blanc pour que cela soit cru en Belgique. En attendant, un journal anversois, qui s'inspire des paroles de l'un de nos ministres les plus sympathiques, écrit :
« L'Angleterre a été mal informée sur les concessions et n'exige pas ce que certains députés pensent. Il est tout à fait inexact que les trois cinquièmes des terres aient été concédés. Le gouvernement disposera de bien plus de la moitié du Congo — plus de 1,500,000 hectares — qu'il pourra allouer aux commerçants et aux comptoirs sur demande. On verra bien combien viendront s'inscrire. Peut-on vraiment imaginer que les sociétés qui y travaillent actuellement, qui cultivent la terre, qui récoltent, qui pratiquent le troc, quitteraient soudainement le Congo ? Il faudrait bien les remplacer, n'est-ce pas ? Car on ne peut tout de même pas exiger que les vastes territoires du Congo restent en friche... Mais reprendre les concessions à leurs détenteurs pour les attribuer à d'autres, voilà qui serait tout à fait ridicule... »
Ainsi parle le journal d'Anvers. Je le cite par souci d'impartialité. Il en ressort clairement pour tout le monde que : 1) L'État ne dispose au Congo que d'une partie du territoire ; 2) sur l'autre partie, il n'a pas de juridiction garantissant la liberté du commerce et protégeant les droits des autochtones ; 3) le maintien des concessions dans leur forme actuelle va donc à l'encontre de l'acte de Berlin. Et l'argument des terres en friche est bien faible ; tandis que l'octroi de terres confisquées à de nouveaux concessionnaires ne pourrait se faire sans imposer de nouvelles obligations à ces derniers. Cela est évident et n'excuse pas le maintien des concessions existantes, tout le monde le reconnaîtra...
Voilà où en sont les choses. J'aurais voulu ajouter ici un mot sur une autre question qui flotte dans l'air : l'usage des langues dans l'administration de la colonie. Mais cela sera pour une prochaine lettre.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 août 1908)
Bruxelles, le 5 août 1908
Dans cette vallée de larmes terrestre, il n'est pas encore habituel, ni banal, de considérer la maladie comme une bénédiction. Cela peut parfois servir de consolation pieuse pour ceux qui sont souffrants ; cependant, la plupart des gens préfèrent jouir de leur robuste santé. En général, je fais partie de la grande majorité qui préfère ne pas se sentir malade. Le mois dernier cependant, bien que j’aie été indisposé de manière tenace, je n’ai pas trouvé cela si désagréable, voire bienvenu, car cela m’a permis d’échapper pour un temps au Parlement et aux débats sur le Congo, et m’a contraint à prendre des vacances – certes non agréables, mais tout de même des vacances – que je n’aurais probablement pas pu savourer autrement, grâce à nos députés.
Car il est désormais clair : en plus des millions bien connus, le Congo nous coûte aussi les vacances parlementaires. Les représentants du peuple « connaissent leur devoir », et il semble que nos sénateurs, sous l’influence de je ne sais quel sérum, brûlent d'impatience de montrer leur zèle... Tout cela nous mène sûrement jusqu’en octobre. Et c'est pourquoi je suis content, et je considère cela comme une bénédiction, d’avoir été malade et d’avoir ainsi pris des vacances, juste au moment où on en était encore à la discussion générale, pour me rétablir à temps pour le début de l'examen des articles, c'est-à-dire lorsque cela devient plus intéressant, plus concret, plus rigoureux.
Car nos honorables membres montrent enfin qu’ils peuvent être pratiques. Le débat n’en pâtit pas, au contraire. Et les concessions que j'avais prévues, de la part du roi et du gouvernement, nous offriront peut-être une loi coloniale tout à fait acceptable. Du moins, ce qui a été voté jusqu'à présent est plutôt encourageant, à condition que l’on considère la colonisation comme un mal nécessaire auquel nous ne pouvons plus échapper.
Le Nieuwe Rotterdam Courant a fidèlement et précisément rendu compte, en mon absence, de ce qui s'est passé. Permettez-moi de revenir brièvement sur ce sujet, et de vous indiquer la signification de ce qui a été voté jusqu’à présent.
L'article 1 de la charte se lisait comme suit dans le projet (nous reproduisons le texte officiel) : « Le Congo belge a une personnalité distincte de celle de la métropole. « Il est régi par des lois distinctes. « L'actif et le passif de la Belgique et l'actif et le passif de la colonie restent séparés. »
Ce texte soulève naturellement plusieurs questions. Jusqu’où s’étend, notamment, la « personnalité » de la colonie ? Et comment interpréter son autonomie financière ?
Le premier point a été vivement débattu au sein de la Commission des XVII à l’époque. Initialement, cela ne figurait pas dans le projet du gouvernement. Là où il était prévu que chaque année le roi établirait le budget des recettes et dépenses, l’opposition a conduit à l’ajout de l'amendement suivant : « Toute possession coloniale de la Belgique est une personne morale distincte de la métropole. » Le terme « personne morale » a cependant été rejeté par la Commission. « Ce concept semblerait n’être applicable qu’à une notion ou une institution de droit privé », déclare M. de Lantsheere dans son rapport. Le terme « personnalité », sans autre précision, semblait mieux correspondre aux vues de la Commission, dans le sens où cette disposition légale entraînerait une séparation absolue entre l’actif et le passif de la Belgique et ceux du Congo.
Le ministre Renkin, futur ministre des Colonies, a précisé encore davantage la notion de « personnalité » dans son discours du 22 juillet : la colonie a une personnalité civile, mais son territoire fait entièrement partie du territoire national. En conséquence, aucune loi belge ne peut s’appliquer au Congo, sauf après une loi spéciale. L’acte de prise en charge annule toutes les lois spéciales antérieures.
Sur ce point, la Chambre s'est accordée avec le gouvernement. Ainsi, les deux premiers alinéas de l'article ont été adoptés.
En ce qui concerne l’autonomie financière, le gouvernement a rencontré moins de succès et a même été contredit par ses meilleurs alliés.
« Concernant la dette de l’État, le système permet à la colonie de contracter des emprunts non garantis, tout comme il pourrait y avoir des emprunts que la Belgique choisirait de garantir », explique le rapport. En d'autres termes : la Belgique n'est pas obligée de garantir ces emprunts, mais des lois spéciales peuvent apporter un soutien. Cela concerne la dette future de la colonie, qui pourrait être couverte ou non par la métropole. Mais qu'en est-il de la vieille dette, celle d’avant la prise en charge, qui il y a deux ans n’était que de 41 millions et qui aujourd'hui s'élève à 114 millions ? La thèse du gouvernement est la suivante : en prenant le Congo sous notre responsabilité, nous devenons héritiers de ses actifs comme de ses passifs. Nous devons donc payer l'ancienne dette. Toutefois, cela n'est que partiellement vrai, puisque la gestion du Congo, séparée de celle de la Belgique, conserve bien ses actifs, et devrait donc également prendre en charge ses passifs. De plus, si la Commission des XVII, sans opposition du gouvernement à l’époque, confirme que le patrimoine de la Belgique et celui du Congo restent distincts, alors son intention a toujours été de les maintenir ainsi.
C'est également l'interprétation de nul autre que l’ancien ministre Begerem, soutenu en cela par l'autorité d’un Woeste qui a déclaré : « La Belgique n'est pas responsable de la dette ancienne ni de la nouvelle dette du Congo », et qui a finalement vu son amendement adopté, stipulant : « Le service de la dette congolaise incombe exclusivement à la colonie, sauf si une loi en décide autrement. »
Cela représente un premier revers pour le gouvernement, mais aussi une première garantie pour la Belgique. Que quelqu'un comme Woeste veuille en assumer la paternité est particulièrement révélateur.
Quant à l’article deux, il a fait l’objet de moins de débats. On pourrait même le trouver très restreint, si l'on perd de vue la particularité du cas. Cet article stipule : « Tous les habitants de la colonie jouissent des droits établis par les articles 7, paragraphes 1 et 2, à 16, paragraphe 1, 21, 22 et 24 de la Constitution belge - avec l'ajout dans les articles 9, 10, 11 et 22 des mots “ou décret” après le mot “loi”. « Les Belges et les étrangers appartenant à des nations civilisées jouissent des droits civils établis par la législation de la colonie, mais leur statut personnel reste régi par leurs lois nationales. « Les indigènes de race africaine, tant ceux de la colonie que ceux des régions voisines, ainsi que les étrangers qui leur sont assimilés par décret, sont soumis à la législation susmentionnée et à leurs coutumes nationales, pour autant que celles-ci ne contreviennent pas aux lois et décrets et ne portent pas atteinte à l’ordre public. En ce qui les concerne, les droits réels et la liberté personnelle seront réglementés par des lois dans un avenir proche. »
Je ne vais pas m’attarder à vous recopier les articles de la Constitution mentionnés dans le premier alinéa. Sachez simplement que cela inclut la liberté de la presse, le droit d'association, l'égalité des langues nationales, pour les Blancs comme pour les Noirs, bien que cela soit soit exclu - le législateur pourrait en décider autrement -, soit ignoré en principe. Déjà, au sein de la Commission des XVII, cette première section a été âprement discutée. Non sans difficulté, ils sont parvenus au texte très restrictif que vous voyez ci-dessus. Vous raconter l’historique de ce processus prendrait trop de temps ; il suffit de dire que, lors de l'élaboration, la législation néerlandaise a largement servi de modèle : dans un projet de loi détaillé présenté à l’époque, la loi organique pour les Indes néerlandaises (2 septembre 1854) et celle pour le Suriname (1868) ont été largement pillées, et l’expérience acquise au fil du temps doit également justifier pour nous les limites imposées par le projet.
Plus tard, il a été jugé inutile de répéter en termes explicites les articles constitutionnels applicables, et c'est ainsi que la première section de l'article 2 de la charte a vu le jour, sans qu’une modification sournoise, apportée en dehors de la Commission des XVII, ne soit introduite. Cette Commission avait en effet confirmé dans son texte l'égalité des langues - article 23 de la Constitution. Or, dans le texte du gouvernement, cette disposition disparaît soudainement. Vous pouvez imaginer que ce fait, d’abord signalé par la Vlaamsche Gazet, a été relevé avec une certaine agitation lors des discussions de ces derniers jours à la Chambre. Comme on pouvait s'y attendre, un amendement du gouvernement lui-même, précisé par un sous-amendement du député Bruynincx, est venu tout remettre en ordre : comme vous l'avez rapporté en temps voulu, l’usage des langues est libre ; des lois ou décrets spéciaux réglementeront les droits des Belges et des indigènes dans un délai de cinq ans ; ce qui est d’intérêt général sera publié en néerlandais et en français, les deux ayant un caractère officiel.
Quant à la liberté de la presse et au droit d’association, vous pouvez imaginer qu'ils n'ont pas été rejetés sans protestation de la part des socialistes et des libéraux. La première section de la proposition du gouvernement, avec l’ajout de la disposition relative à l’usage des langues, a donc été intégralement maintenue et approuvée. La deuxième section également. La troisième aussi, après que de nombreux amendements socialistes et radicaux, relatifs à la protection des orphelins et au travail des Noirs, à l’abolition du travail forcé imposé par l’État ou les sociétés, aux droits d’occupation des indigènes, à la collecte des impôts par la participation forcée aux travaux publics ou à la mise sous séquestre de la liberté personnelle, ont été rejetés après de vifs débats.
Avec l'article trois, concernant les devoirs et droits du Gouverneur Général, les débats ont été plus calmes. Un seul amendement, proposé par le voyageur du Congo Vandervelde, réclamant la protection du Gouverneur Général sur la propriété foncière des Noirs, a été présenté et rejeté.
Nous en sommes maintenant à l'article 4, et… encore une fois, ce n'est pas sans heurts. L'article 4 stipule qu'une Commission permanente de sept membres, exclusivement nommée par le Roi, « est chargée, sur l’ensemble du territoire de la colonie, de veiller à la protection des indigènes et à l’amélioration de leurs conditions de vie morale et matérielle. »
La discussion sur cet article n'est pas encore totalement terminée. J'y reviendrai après le vote...
Voilà où en sont les choses. On peut dire qu'il y a eu quelques avancées. Puissions-nous continuer ainsi !
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 août 1908)
Bruxelles, 6 août 1908
Ce n’est pas sans un certain orgueil, ni sans se vanter d’une victoire loin d’être aisée, que le gouvernement a présenté un résumé habile du nouveau Livre gris, contenant les échanges entre l’Angleterre, les États-Unis et la Belgique sur le Congo, que vous avez annoncé, et qu'il a porté à la connaissance du pays. Ce Livre gris semble en effet inclure une concession importante de la part de l’Angleterre, et M. Davignon, notre ministre des Affaires étrangères, doit se voir, non sans un peu de surprise, mais avec beaucoup de satisfaction personnelle, comme un diplomate très habile et très fin, maintenant qu'il semble avoir attendri, voire dompté Sir Edward Grey, qui était plutôt tenace – comme on attendrit un steak en le martelant.
Oh, je ne vais pas renouveler les subtilités de certains journaux hostiles au Congo, ni chercher à interpréter plus dans les mots du ministère britannique des Affaires étrangères que ce qu’un œil humain innocent peut lire. Je ne veux voir ni ruse, ni ambiguïté dans quelque chose qui, au fond, n’est rien de plus que logique et équitable. Sur le point dont il se vante tant, le gouvernement a effectivement remporté une victoire, une victoire qui, au fond, ne prouve que le sens de la justice, et rien de plus, de la part de l’Angleterre. Car je crois à la bonne foi et au sens de l'équité du gouvernement britannique, lorsqu'il écrit :
« Le cabinet de Londres n’insiste pas sur la fixation d’une date pour l’abolition de l’impôt en travail, à condition que des mesures soient prises sans délai pour améliorer le sort des indigènes et que leur liberté de disposer des produits naturels de leurs terres soit reconnue dans l’interprétation des concessions actuelles ou futures. »
On voit bien que l’Angleterre admet simplement qu’une question difficile, comme celle de l’impôt en travail, ne peut pas être résolue d’un coup. Cela n’enlève en rien le droit qu'elle estime avoir d’intervenir à sa guise, et lorsque cela lui semblera bon. Ainsi, c'est seulement un répit pour la Belgique, sans que le fardeau soit allégé d’une manière ou d’une autre.
Cependant, il y a bien pire dans le Livre gris. En laissant de côté la question de l'arbitrage, sur laquelle un désaccord persiste également, il y a la question fondamentale elle-même, à savoir la contestation du droit des puissances signataires de l’Acte de Berlin à se mêler des affaires du Congo.
Vous savez que l'Angleterre base son intervention sur l'article 34 de cet Acte, qui dit : « La puissance qui, dès maintenant, veut prendre possession d’un territoire sur les côtes occidentales de l’Afrique, en dehors des possessions existantes, ou qui, sans en avoir encore, veut en acquérir, ou qui prendrait un protectorat, devra accompagner l’acte correspondant d’une notification aux puissances signataires de cet acte (de Berlin), pour permettre à ces États de soulever, le cas échéant, leurs objections. »
Maintenant, Sir Edward Grey dit : « La Belgique, en reprenant le Congo, est dans une telle situation. »
« Vous vous trompez complètement », répond le ministre Davignon.
Je ne vais pas essayer de déterminer lequel des deux a raison. Mais je veux simplement souligner que lorsque le gouvernement assure qu'il n'y a absolument aucune différence de point de vue entre Londres et Bruxelles, c'est un peu exagéré. Si l'Angleterre a fait une concession équitable, elle ne renonce en aucun cas à une politique qui, pour nous, est loin d'être rassurante, mais qui nous garantit en même temps une administration congolaise honnête et respectueuse des traités.
Excusez-moi de continuer à vous entretenir assez longuement sur la question congolaise. Loin d’être un Deus ex machina destiné à rétablir l'équilibre journalistique en cette période estivale, l’examen actuel, article par article, du projet de loi en cours présente un intérêt qui devrait même faire oublier l’ennui des longues et fastidieuses séances parlementaires. Cet intérêt ne concerne pas seulement la Belgique, et ce n’est ni en tant que patriote belge ni en tant que correspondant extrêmement consciencieux de Belgique que je viens vous ennuyer avec une telle lecture pendant cette chaleur d’août ; c’est bien plus en tant qu'historien politico-éthique, dans la mesure où un journaliste peut s’attribuer un tel titre, car il s’agit ici de montrer comment une charte coloniale est élaborée au début du XXème siècle, à un moment où l’on ne fonde plus de colonies parce qu’il n’y a plus de terres disponibles, et également à un moment où diverses courants sociaux traversent l’Europe, où la notion de conquête et d'appropriation laisse place à des sentiments d'égalité humaine et de droit individuel. Il ne s’agit plus seulement de sentiments, mais aussi de la science ethnographique, qui met en garde contre tout jugement trop hâtif sur les valeurs de civilisation et la supériorité européenne.
Hier, j’ai quitté la Chambre des représentants au moment où l'on votait l'article 8, pour rattraper mon retard et vous écrire sur la discussion des articles 1 et 2. Aujourd’hui, je vois dans les journaux et j'ai encore entendu de mes connaissances politiques hier que l'on veut vraiment avancer ; ainsi, en une seule séance, quatre articles importants ont été adoptés, et avec un tel empressement, la nouvelle proposition de report, présentée et défendue par le camarade Destrée, est apparue tout à fait inutile et presque risible, d'autant plus que son argument – le nouveau Livre gris – aurait pu reporter la discussion à jamais.
Nous en étions donc restés au vote sur le texte du gouvernement concernant l’article 3. L’article 4, malgré une vive opposition, a subi le même sort. Je vous en ai donné le contenu : sept membres seront nommés à une commission permanente, sous la présidence du procureur général, par le roi, parmi des personnes – selon la Commission des XVII, y compris des non-Belges – résidant sur le territoire de la colonie, et dont la fonction ou l'activité les rend particulièrement aptes à veiller aux conditions de vie morale et matérielle des indigènes ; chaque année, ils feront rapport au roi sur les mesures à prendre pour le bien-être des indigènes ; individuellement, ils auront aussi le droit de porter plainte.
Cet article, en partie inspiré par l'intervention des missionnaires chrétiens (notamment catholiques romains), était surtout contesté parce que la nomination serait entièrement faite par le roi, et qu'une telle commission, qui existait en fait depuis 1896 mais avait produit très peu de résultats, ne promettait pas grand-chose. Lorand avait donc proposé une autre idée : seulement quatre membres, nommés à moitié par la Chambre et le Sénat, qui enverraient des inspecteurs. Son texte n'a pas tenu face à celui du gouvernement, qui a été adopté.
L’article 5, dans le texte provisoire, disait : « Le roi exerce le pouvoir législatif par le biais de décrets, sauf en ce qui concerne les sujets qui sont ou seront régis par la loi.
« Les décrets sont pris sur proposition du ministre des Colonies.
« Un décret n'est contraignant qu'après sa publication. »
Le ministre Renkin a précisé hier : « Le pouvoir législatif est donc exercé au Congo par les ministres responsables (décrets), par le Parlement (lois), et par le gouverneur général (ordonnances). »
Il a également accepté un amendement pour rassurer davantage, qui disait : « Les tribunaux n’appliqueront aucun décret contraire à la loi », tandis que la discussion a clairement montré que les décrets pouvaient être annulés par des lois, mais jamais l'inverse. Un amendement de Vandervelde souhaitait que le Conseil colonial exerce le pouvoir judiciaire. Hymans a fait remarquer à quel point cela serait inconstitutionnel, et aussi dangereux, car cela permettrait au ministre de fuir toute responsabilité et de se cacher derrière le conseil. Ainsi, le système du gouvernement, qui, comme il est dit dans l'exposé des motifs du projet de loi initial, visait à « la plus grande autonomie coloniale possible », formulé comme suit : « Le pouvoir législatif dans les possessions coloniales de la Belgique appartient au roi », sans plus, devait plier sous la pression d’une majorité parlementaire, et le roi ne détiendrait le pouvoir législatif que dans la mesure où la Chambre le permettrait.
La question de savoir dans quelle mesure il existe une distinction entre pouvoir législatif et exécutif n'a pas été tranchée. Quant au pouvoir exécutif, l’article 6, ainsi rédigé, a été adopté sans opposition : « Le pouvoir exécutif appartient au roi.
« Il s'exerce par le biais de règlements et de décisions.
« Les cours et tribunaux n'appliquent les règlements et décisions que dans la mesure où ils sont conformes aux lois et aux décrets.
« Un règlement ou une décision générale n’est contraignant qu'après sa publication. »
Pendant que j'écris ces lignes, la discussion de l’article 7 est en cours. Celui-ci stipule : « Un acte du roi n’est valide que s’il est contresigné par un ministre, qui en est ainsi responsable. »
Sous les dispositions antérieures du projet de loi, cet article avait donné lieu à une discussion très importante au sein de la commission des XVII. Comment comprendre la responsabilité ministérielle ?
À qui s’appliquait-elle ? Que validait-elle ?
Aujourd'hui, le gouvernement et la commission sont convenus d’instaurer au Congo un système où ces questions seront résolues selon le droit constitutionnel belge.
Cependant, un fait est survenu depuis, qui a exigé une définition plus précise de la responsabilité ministérielle et du droit royal : les trois millions annuels du Fonds Léopold, qui, par un acte supplémentaire, sont attribués au roi à titre de compensation ; M. Hymans a donc déposé un amendement stipulant que ces fonds ne pourraient être utilisés qu'avec la signature d’un ministre.
Cet amendement a été repris par le gouvernement, dans le sens où la première clause de l’article est devenue :
« Un acte du roi n’est valide que s’il est contresigné par un ministre. Les dépenses sur le fonds de cinquante millions sont soumises à cette disposition. »
Ainsi, pas un centime du Fonds Léopold ne pourra être dépensé sans que le ministre soit responsable et que la législation soit reconnue.
Demain, je vous écrirai ce qu’il adviendra de cet article.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 11 août 1908)
Bruxelles, le 8 août 1908
Quand je suis allé hier après-midi à la Chambre, je me suis livré, au plus profond de mes pensées et dans la mesure où la chaleur me le permettait, à un monologue intéressant ; je me disais avec une profonde réflexion :
« Se pourrait-il que — après l’obscur incendie fumant des délibérations générales, qui, comme du bois humide, continuait de couver sans fin dans de gros nuages noirs et semblait ne jamais vouloir s’éteindre — l'enthousiasme avec lequel la Chambre a soudainement entrepris la discussion des articles, après les sages paroles de M. Schollaert en réponse à la proposition de renvoi rejetée de notre camarade Destrée, soit en réalité un simple feu de paille ?... Hier encore, le ministre Renkin, dans le journal du soir qui a le privilège de recevoir ses confidences, félicitait les socialistes pour leur comportement actuel : une obstruction réduite au minimum, juste assez pour montrer qu’ils sont toujours en vie ; ils n'ont exigé l’appel nominal lors des votes que pour des questions de principe ou pour empêcher un vote dans une Chambre qui n'était pas en nombre. Peut-on être plus sage ? — C'est certainement l'approche des vacances qui flotte dans l'air : en attendant la remise des prix, tous les enfants sont sages à l’école, et même si les socialistes n'ont rien à attendre comme prix (ce qui est déjà beaucoup), hormis les félicitations du gouvernement — qui, ce faisant, suit la pédagogie moderne —, l’habitude ancienne de l’école est encore enracinée en eux : après tout, ils sont encore si jeunes ! »
Ainsi je philosophais et méditais en gravissant les quelque soixante-dix marches qui devaient me mener, entre des murs escarpés, à la tribune de la presse, quand, arrivé en haut, j'entendis qu'il se passait quelque chose qui était loin de ressembler à une discussion calme : là, en bas, dans l’hémicycle, où nos honorables membres siègent, c'était un véritable tohu-bohu digne des meilleurs jours ; Anseele faisait des gestes si exagérés avec ses bras qu'on craignait qu’ils ne s’envolent ; la voix de Demblon tonnait comme une trompette romaine ; tout le corps du petit Smeets tremblait d'indignation feinte et de combativité amusante ; Schollaert restait impassible, dans ses plus beaux effets ministériels ; et l'intervention pleine de dignité de Franck prouvait encore une fois quel ministre en devenir (je parle d’une espérance que Franck, et non le pays, nourrit) le pParlement possède en lui... Hélas, mon illusion de tout à l’heure fut bientôt dissipée par la réalité. Nos ingrats socialistes ne se sont pas montrés sensibles aux compliments ministériels : ils mordent la main qui les flatte. L'agitation systématique, devenue une seconde nature pour eux, ne pouvait pas les laisser tranquilles plus de quarante-huit heures ; l'air orageux avait fait bouillir leur cerveau ; et bientôt, leur esprit malveillant leur fournit une nouvelle raison d'obstruction : le vote du budget extraordinaire. On avait en effet décidé, avant de se séparer en mai, de voter ce budget lors de cette session également extraordinaire ; cependant, il n'avait pas été décidé si cela devait se faire avant ou après la discussion sur le Congo. Maintenant, les socialistes veulent interrompre le débat sur le Congo et voter d'abord le budget, avec pour argument — plausible — qu'il y a déjà eu des dépenses à ce sujet. Le gouvernement veut maintenir l'ordre du jour, mais promet néanmoins expressément que l'on ne se séparera pas sans avoir décidé du budget extraordinaire. Cette irascibilité mutuelle n'a d'autre conséquence que celle de devoir... siéger également le matin, une conséquence qui est déplorable, car un tel surmenage met gravement en péril la qualité des délibérations sur un sujet aussi sérieux que la Charte du Congo...
Voilà à quoi mène l'obstruction, alors que la situation pourrait pourtant devenir plaisante, avec cette discussion rapide, profonde et remarquablement pertinente des articles. La passion intellectuelle de Renkin, défendant son projet chéri ; l'olympisme timide du toujours battu Hector Denis ; la bienveillance de Beernaert, maintenant qu’il voit que tout va dans son sens ; l’opportunisme solennel même de l’infléchissable Woeste, autrement monotone et ennuyeux ; la courtoisie de Mechelynck et la conduite parlementaire digne, mais quelque peu maigre, de Hymans, empêchent que cette discussion juridique, ce pinaillage sur des textes légaux qui n’intéressent le grand public que par le principe qu’ils défendent, n'ait un caractère aride ou ennuyeux. On se rend compte, maintenant que seuls des experts parlent, qu'un souffle de vie donne à chaque mot sa signification précise et sa force drastique ; plus de déclamations ni de lieux communs, plus d'éloquence destinée aux habitants de Zoetenaye ou de Deigné-Adseux, aussi bien que leurs représentants puissent s'exprimer : ici, il y a quelque chose de profondément vivant, avec la passion de ce que l’on veut obstinément. Cela serait certainement très fatigant si cela devait durer. Et que dirait l'étranger d'un Parlement belge qui prend soudain son travail aussi au sérieux !
Dans les circonstances actuelles, c'est cependant une bénédiction, car le travail avance non seulement relativement vite, mais reste aussi très solide. Ainsi, nous pourrons souffler d’ici quelques semaines, peut-être, si les socialistes finissent par comprendre qu’ils ne gagnent rien avec leur obstruction, si ce n'est des séances supplémentaires nuisibles, car malgré tout ce qu’ils pourront faire, le Congo sera, dans cette session encore, définitivement acquis...
Mais permettez-moi de revenir à l'article 7, qui était en discussion lorsque je vous ai écrit ma dernière lettre.
Comme vous vous en souvenez peut-être, il est libellé ainsi : « Un acte du roi n’a d’effet que s’il est contresigné par un ministre. Les dépenses sur le fonds de cinquante millions sont soumises à cette disposition. »
Comme je vous l'ai dit, la deuxième phrase est inspirée d’un amendement de M. Hymans, qui exigeait la signature du ministre avant que les dépenses ne soient engagées. L'ambiguïté du texte gouvernemental réside dans le fait que cette signature peut être apposée après que la dépense a déjà été effectuée, et que si un désaccord survient entre le roi et le ministre à ce sujet, et que ce dernier démissionne pour se dégager de toute responsabilité, la position du roi vis-à-vis du parlement pourrait conduire à une situation d’illégalité. Lorsque M. Hymans dit : « Le roi ne peut disposer des cinquante millions, dont le gouvernement reconnaît le caractère budgétaire, qu’après la signature d’un ministre », cela signifie évidemment plus que : « Les dépenses sur les 50 millions, comme les décrets, sont contresignées par le ministre », sans exclure le danger que je mentionne ci-dessus. Il est clair que le pouvoir du ministre est limité, tandis que sa responsabilité reste la même. Un acte illégal du roi ne peut être empêché, seulement puni par le refus d’allouer la prochaine annuité — quand il est trop tard et que l’argent est gaspillé... La question n'est évidemment pas de savoir si cela se produira : lors de l'élaboration d'une loi, aucune possibilité ne doit être exclue. L'ambiguïté du texte gouvernemental était donc une raison suffisante pour le rejeter. Néanmoins, on ne saurait trop insister sur la concession extraordinaire faite ici par le roi : elle constitue en quelque sorte une raison de passer outre à la légère nuance entre les deux textes.
Après le vote et l’approbation du texte du gouvernement, on passe à l'article 8 : « Aucun droit de douane ou impôt ne peut être introduit, ni aucune exonération fiscale accordée, si ce n’est par décret. Le décret ne devient contraignant qu’après l’adoption du budget. »
La dernière phrase compense le caractère autocratique que la première aurait pu avoir. Elle rend donc caducs les amendements de Denis et Mechelynck, qui demandaient l'application de l'article 110 et ainsi soumettaient tout impôt à une loi. Le gouvernement témoigne en outre de sa flexibilité et de son souci des indigènes en adoptant l’amendement suivant de Hoyois : « Le gouverneur, ainsi que les fonctionnaires ayant obtenu l’autorisation, peuvent temporairement exonérer les indigènes de l’impôt », une mesure qui mérite certainement d’être louée. Le texte complet est ainsi adopté, et on entame la discussion de l'article 9 très important, dont les principaux paragraphes sont libellés ainsi : « La monnaie d’or et d’argent est en circulation au Congo dans les mêmes conditions qu’en Belgique », et « Il est loisible au Roi de frapper une monnaie spéciale en cuivre pour la colonie ; cette monnaie n’a pas cours en Belgique. »
Quelques membres, dont Wauwermans, auraient préféré que seule la monnaie belge soit admise à la circulation. Les autres pays de l'Union latine ne bénéficieraient évidemment pas du refus de leur monnaie dans les vastes territoires du Congo. D’autre part, la Convention monétaire de 1865 ne lie aucun des États signataires en ce qui concerne ses colonies. Plusieurs pays exercent cette liberté. La position du gouvernement est donc qu'il n'est nullement opposé à la frappe d'une monnaie propre au Congo, mais qu'il ne veut pas limiter celle-ci à la monnaie congolaise et belge, pour diverses raisons politiques, morales et économiques. Cette opinion est partagée par la Chambre.
Il n'a pas été possible de voter sur l'article 10, concernant le budget colonial, faute d’un nombre suffisant de membres. Cela se fera mardi. J'y reviendrai alors.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 18 août 1906)
Bruxelles, 15 août 1908
Hier après-midi, vers quatre heures et demie, je me rendis à la Chambre pour écouter la fin de la séance et voir où en étaient les choses. À ma grande surprise, dans le large couloir menant à la tribune de la presse, je croisai un homme qui ne ressemblait en rien au huissier habituel, celui qui, avec sa bonhomie majestueuse et décorée, règne de manière paternelle sur la petite armée de journalistes. À la place de la moustache grise et pointue, soignée à la cosmétique, et du fier bouc, cet homme arborait une moustache en désordre et une barbe de deux jours. Au lieu de l’habit orné de boutons d’argent et de la belle chaîne dorée, il portait des manches de chemise retroussées et un tablier bleu délavé. Mais ce n’était pas le plus étonnant : plusieurs seaux d’eau décoraient le sol, et — le pire — les chaises en bois citronnier, qui nous offrent habituellement le confort de leurs assises autour des tables assorties en bois, avaient quitté le linoléum pour monter sur les tables afin de mieux exhiber l’harmonie de leurs lignes.
Craignant qu’un fou ait profité de l’absence de notre paternel huissier pour troubler le calme de notre mobilier journalistique, je l’interrogeai assez rudement : — « Que se passe-t-il ici ? » L’homme, qui tenait une peau de chamois en main et dépoussiérait les pieds d’une table, leva vers moi ses doux yeux gris, pleins de sagesse, et me répondit laconiquement, de manière sibylline, et, me sembla-t-il, avec une pensée symboliste, un peu comme un héros d’Ibsen : — « Nettoyage avant le grand ménage. » Je pensai en moi-même : c’est sûrement un anarchiste. Je me hâtai d’informer mes confrères de la presse... mais, à ma grande surprise, je trouvai la tribune vide. J’entendis, en contrebas dans l’hémicycle, quelques voix résonner creusement. Cinq ou six huissiers adoptaient des attitudes que je ne peux que désapprouver. L’un s’était permis de s’étendre sur le coussin qui reçoit habituellement M. Woeste, ministre d’État. Deux autres jouaient à la lutte, comme s’ils avaient pris des cours chez Demblon. Un quatrième frottait nonchalamment la table en acajou des greffiers. Un cinquième se regardait dans un petit miroir de poche, comptant soigneusement les poils de son menton. Et le sixième entonna, en mon honneur, un air perçant comme l’alarme d’un navire en détresse, en sifflant l’air de « Susse est mariée ! ».
De retour dans le couloir, l’homme à la peau de chamois me demanda nonchalamment : — « Avez-vous vu ? » Je dévalai les escaliers à la recherche d’explications. Comment cela, la séance ne se termine jamais avant cinq heures et demie, et tout est déjà désert ? Y a-t-il eu une catastrophe, un personnage important est-il décédé ? Le gouvernement a-t-il démissionné, ou le Roi a-t-il dissous le Parlement ? Ou bien l’air des vacances a-t-il eu raison des messieurs ? Je cherchai partout, mais je ne trouvai personne, même pas le grenadier habituel de garde... Je me précipitai alors dans une rédaction amie, espérant qu’on m’y révélerait le mystère... Ce qui, cher lecteur, me coûta quelques francs, un peu de temps, et même un léger mal de tête, puisque le mystère était en fait une bonne nouvelle inattendue, que nous autres journalistes étions en droit et en devoir de fêter entre nous.
La bonne nouvelle, vous la connaissez déjà par les télégrammes : la loi sur le Congo a été votée en première lecture. Encore une bonne semaine pour la deuxième lecture et le vote du budget extraordinaire, et ensuite nous aurons congé jusqu’en octobre... Vous pouvez imaginer quel poids a été levé du cœur des présents, tant des députés que des journalistes et du public, mais surtout du cœur des ministres, lorsque hier après-midi, à 16h16, heure de Greenwich, le président Cooreman prononça, dans une joyeuse tranquillité, les mots suivants : — « Messieurs, notre ordre du jour est épuisé. » (Renkin ajouta en lui-même : « Moi aussi »). « Quelqu’un désire-t-il encore la parole ? » Je ne sais pas si l’on a applaudi : je n’étais pas présent et j’ai oublié de le demander. Mais j’imagine bien que les soupirs de soulagement ont provoqué une brise semblable à celle qui souffle lorsque Euros et Notos se rencontrent au-dessus de la mer Morte, comme le raconte Homère...
Toute la loi a donc été votée : la meilleure preuve que tout le monde commençait à en avoir assez. Mais tout de même : quel « coup de collier » admirable, quelle tentative presque antiparlementaire d’en finir vite et bien, malgré une opposition insurmontable, une obstruction incarnée dans l’esprit et le cœur de certains socialistes. N’avons-nous pas encore entendu cette semaine Demblon parler pendant trois quarts d’heure des bienfaits et avantages du parlementarisme, considéré comme système abstrait, sans aucun lien avec le sujet en cours, et sans autre prétexte qu’une boutade du ministre Renkin ? Le lendemain, il se plaisait encore à lancer des insultes, abandonné même par ses amis. Il faut être d’une mauvaise foi rouillée dans l’âme pour oser encore agir ainsi. Heureusement, l’élan irrésistible de la Chambre, auquel même les partisans de Demblon ont dû céder, a triomphé, et nous avons eu le miracle de voir vingt et un articles de loi discutés et votés en trois jours — six séances ! Si seulement les vacances se profilaient toujours à la porte !
Il faut dire que plusieurs de ces articles n’ont pas suscité de discussion, étant considérés comme accessoires. Je les énumère rapidement : Ainsi, l’article 17, qui stipule : la justice est rendue au nom du Roi, et celui-ci a le droit de grâce et de réduction de peine ; L’article 17 bis : le Roi est représenté par un gouverneur et un ou plusieurs vice-gouverneurs ; L’article 19 : un ministère des colonies est établi ; le ministre des colonies est nommé et révoqué par le Roi ; il fait partie du Conseil des ministres (et, selon la discussion, il est payé par la Belgique) ; L’article 21 : concernant les compétences du conseil colonial (consultation sur chaque décret, sauf en cas d’urgence, et ce qui découle de son rejet ou de son approbation) ; L’article 22 : le conseil colonial demande au gouvernement toutes les informations qu’il juge utiles pour ses travaux. Il peut lui soumettre des propositions ; L’article 23 : le Roi conclut les traités concernant la colonie ; L’article 24 : les relations de la Belgique avec les puissances étrangères, en ce qui concerne la colonie, relèvent de la compétence du ministre des Affaires étrangères du Royaume.
Tout cela n’apporte rien de nouveau ou d’inattendu : cela confirme pour le Congo ce qui se pratique dans la plupart des puissances coloniales. Il en va de même pour les articles 25, 26 et 27, qui, sans discussion significative, définissent la réciprocité de l’exercice de la justice entre la colonie et la métropole : exécution des actes authentiques en Belgique comme au Congo ; autorité de la chose jugée en matière civile et commerciale entre la Belgique et le Congo, sous certaines garanties pour la justice belge ; l’exequatur donné par le tribunal civil du lieu où l’exécution doit avoir lieu ; (article 25) ; - quiconque, poursuivi pour un crime commis dans la colonie, est trouvé en Belgique, sera jugé par les tribunaux belges selon la loi pénale coloniale, mais suivant les formes légales belges, à moins qu’il ne préfère, ou que le ministère public ne l’exige, être renvoyé à la juridiction coloniale ; quiconque, poursuivi pour un crime commis en Belgique, est trouvé dans la colonie, sera soumis à la justice belge ; les jugements en matière pénale des tribunaux belges ou coloniaux ont force de loi et sont exécutoires sur les deux territoires ; les peines de six mois peuvent, sur demande, être purgées en Belgique ; (article 26) ; - dans toutes les affaires, la signification des actes judiciaires et extrajudiciaires destinés à des personnes résidant ou ayant leur domicile dans la colonie, en Belgique, est soumise aux règles générales relatives à la signification des actes destinés à des personnes domiciliées à l’étranger. Et réciproquement. Toutefois, dans ce cas, c’est le ministre des colonies qui intervient à la place du ministre des Affaires étrangères. (article 27)
On pouvait s’attendre à ce que personne ne s’oppose à l’article 29 : « Outre le drapeau et le sceau de la Belgique, la colonie du Congo peut utiliser le drapeau et le sceau dont se servait l’État indépendant du Congo. » Tout aussi peu de protestations ont suscité les articles 30 et 31 : « Les décrets, règlements et autres actes en vigueur dans la colonie conservent leur force obligatoire, à l’exception des dispositions contraires à cette loi et qui sont abrogées », et : « Chaque année, un rapport sur la gestion de la colonie est présenté aux Chambres au nom du Roi. Ce rapport est joint au projet de budget. Il contient toutes les informations nécessaires pour tenir la représentation nationale informée de la situation politique, économique, financière et morale du Congo belge. »
Voilà ce qui a été voté sans discussion importante. Vous remarquez qu’il ne reste plus grand-chose. Mais ce qu’il reste à discuter — je veux dire : ce dont il me reste à parler pour que ce compte-rendu soit complet — est bien plus important, et a donné lieu à des discussions plus poussées. J’y reviendrai demain plus en détail : cette lettre devient trop longue, et elle est si peu rafraîchissante que je ne puis tempérer mon zèle que pour une vingtaine d’heures... Et alors, je vous raconterai aussi quelque chose à propos du flamand à la Chambre, et de la manière dont Demblon pense pouvoir traiter les journalistes. Car après Rome et Berlin, nous avons aussi notre « affaire de la presse parlementaire »... Est-ce que la Belgique, avec le Parlement qu’elle possède, pouvait rester en arrière ? Est-ce que Demblon pouvait rester en arrière par rapport à ses confrères injurieux de la Spree et du Tibre ?...
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 août 1908)
Bruxelles, 18 août 1908
Avant que la deuxième lecture de la loi sur le Congo, qui pourrait encore nous apporter des nouveautés, ne soit terminée, je veux continuer à utiliser la méthode qui a fait ses preuves il y a quelques jours. Après avoir éliminé les articles qui n’ont pas suscité de discussions, je vais maintenant faire de même pour ceux qui n’ont été modifiés que légèrement, afin de m’attarder enfin sur les débats importants.
Je vous ai déjà parlé des discussions provoquées par l’article 10. Il a finalement été adopté avec le texte du gouvernement, ainsi formulé : « Le budget des recettes et des dépenses de la colonie est établi chaque année par la loi.
« Au moins quatre mois avant le début de l’exercice, le ministère des Colonies fait imprimer le projet de budget et le distribue aux membres des Chambres législatives.
« Si les Chambres n’ont pas adopté le budget avant le 20 décembre de l’année précédant le début de l’exercice, le Roi fixe les recettes, règle la circulation monétaire et accorde, en cas d’urgence, les crédits provisoires nécessaires au ministère des Colonies. »
La dernière partie modifie de manière significative l’intention initiale du gouvernement, qui permettait au Roi d’ouvrir des crédits à la colonie tous les trois mois, jusqu’à décision de la Chambre ; la question de la circulation monétaire ou des transferts n’était pas abordée. M. Denis souhaitait également que les crédits provisoires, même en cas d’urgence, soient soumis à l’examen de la Chambre, mais cela fut rejeté.
L’article 11, qui est entièrement couvert par la législation existante, là où il pourrait poser des difficultés, a été adopté sans grande opposition. Il stipule principalement : « Les comptes généraux de la colonie sont approuvés par la loi, après examen par la Cour des comptes. »
Pour l’article 12, le gouvernement avait proposé le texte suivant : « La colonie ne peut contracter de prêt, garantir le capital ou les intérêts d’un emprunt, ni entreprendre des travaux avec des ressources exceptionnelles, sans y être autorisée par la loi. » Il a été ajouté : « Si les services coloniaux ou des dépenses exceptionnelles urgentes l’exigent, le Roi peut, sans autorisation préalable, renouveler ou maintenir en circulation des bons du Trésor portant intérêt, payables au plus tard dans les cinq ans. Ces bons du Trésor ne peuvent excéder dix millions de francs » (le gouvernement avait demandé quinze millions).
Je reviendrai bientôt sur l’article 13 concernant les concessions.
L’article 14, malgré l’opposition de M. Denis, qui voulait placer les tribunaux militaires sous l’autorité de la loi, a été adopté comme suit : « Les juridictions civiles et militaires sont établies par décret.
« Les magistrats du ministère public exercent leurs fonctions sous l’autorité du ministre des Colonies. »
Après quelques échanges sur la durée des fonctions, l’article 15 a également été adopté selon le texte de la commission, ainsi formulé :
« Les magistrats de carrière sont nommés et révoqués par le Roi. Ils ne peuvent être révoqués que sur proposition du gouverneur général, pour des raisons prévues par décret, et après avis conforme de la plus haute juridiction de la colonie. Après un stage ne dépassant pas trois ans, les magistrats de carrière sont nommés pour un mandat de dix ans. À l’issue de ce mandat, ils sont admis à la retraite. Ils peuvent toutefois être admis à la retraite avant la fin de la période de dix ans, soit à leur demande, s’ils ont huit ans de service dans la colonie, y compris le stage, soit pour des raisons de santé les empêchant d’exercer correctement leurs fonctions. Dans ce dernier cas, la mise à la retraite ne peut être prononcée qu’après avis conforme de la plus haute juridiction de la colonie. Les magistrats de carrière, une fois nommés à titre définitif, ne peuvent plus être déplacés sans leur consentement, sauf en cas de nécessité urgente et à titre provisoire. En cas de déplacement, ils reçoivent un salaire annuel au moins égal à celui attaché à leur ancien poste. Les salaires annuels, congés et pensions sont fixés par décret. »
J’ai retranscrit cet article long et surtout pratique dans son intégralité parce qu’il n’est nulle part stipulé que les magistrats congolais doivent être des Belges de naissance ; il me semble donc qu’à partir de maintenant, des étrangers pourraient être nommés. Avis à ceux qui, en Hollande, auraient envie de se mettre au service de la justice pour les Africains...
L’article 16 a également été adopté sans grand débat :
« L’administration ne peut empêcher, interdire ou suspendre le fonctionnement des cours et tribunaux.
« Toutefois, le Roi peut, pour des raisons de sécurité publique, dans un territoire donné et pour une durée déterminée, suspendre la juridiction des tribunaux civils et la remplacer par celle de la justice militaire. »
Les débats ont été bien plus intenses autour de l’article 18. Le texte du gouvernement stipulait dans son premier paragraphe :
« Le pouvoir exécutif ne peut déléguer l’exercice de ses droits souverains qu’à des personnes et organes subordonnés. Toutefois, jusqu’à ce qu’un décret en décide autrement, au plus tard le 1er janvier 1910, la délégation accordée par l’État indépendant du Congo au Comité spécial du Katanga reste en vigueur. »
Sur proposition de M. Mechelynck, le gouvernement a volontiers supprimé le mot « souverains » du premier alinéa. Cela ne changeait en rien le fond de l’article. Mais ce que le gouvernement n’a pas apprécié, c’est la véhémence avec laquelle M. Lorand a attaqué le privilège accordé au Comité du Katanga. Cette colère était pourtant justifiée. En effet, tout le monde sait que, quoi qu’on en dise, ce comité est entièrement sous la coupe de Boula-Matari, alias Léopold II... Mais la majorité de la Chambre n’a pas suivi la virulence de M. Lorand.
L’article 28 a également suscité peu de remarques, bien que les socialistes l’aient critiqué sur le principe, mais en abordant la loi par des détours. L’article était pourtant assez innocent. Il stipule :
« Les fonctionnaires et militaires belges, autorisés à accepter des fonctions dans la colonie, avant ou après l’annexion de celle-ci, conservent leur rang d’ancienneté et leur droit à promotion dans l’administration ou l’armée qu’ils ont temporairement quittée. »
Il ne reste plus que quelques articles de la plus haute importance, sur lesquels les discussions ont été longues : les articles 13, concernant les concessions, 20, sur le Conseil colonial, et l’article 24 bis, concernant l’usage des langues dans la colonie.
Ces articles donneront sans doute lieu à un nouveau débat lors de la deuxième lecture. Ils méritent donc une analyse plus approfondie — ce qui rendrait cette lettre, déjà bien sèche, encore plus longue et ennuyeuse. Permettez-moi donc de les aborder dans une lettre distincte, avant qu’ils ne soient de nouveau débattus à la Chambre.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 août 1908)
Bruxelles, 20 août 1908
Deux heures de l'après-midi : Pas de crise !
Voici la nouvelle, la toute dernière : le Cabinet reste en place.
Je m’effondre, fatigué, sur mon banc dans la tribune de presse. La matinée a été épuisante, pleine d’agitation ! Allait-on voir la menace d’hier se réaliser aujourd’hui ? Car il semble que deux ministres au moins étaient très en colère. Schollaert, devenu ministre par pur sacrifice personnel — et il faut reconnaître qu’il a joué un rôle très important entre le Roi et le Parlement — voyait tout à coup, à cause de la mauvaise volonté de Woeste (bien que cette mauvaise volonté soit pour une bonne cause !), tous ses efforts anéantis. L'attitude de la droite n'avait été ni reconnaissante ni encourageante pour le cabinet, et suivre l'impulsion de Woeste était significatif... Curieux cette vague de jeune catholicisme chez Woeste ! On ne savait vraiment pas comment l'expliquer. Car ce qu’on en disait dans un journal était vraiment trop mesquin pour être vrai : le ministre Davignon aurait donné un dîner à des personnes haut placées et invité Beernaert, mais pas Woeste. Woeste souffrirait-il de ce que l'on pourrait appeler « l'ingratitude de l’estomac » ? Sa vengeance serait toutefois bien cruelle... Je vous donne bien sûr cette anecdote pour ce qu'elle vaut...
Toute la matinée, donc, j’ai couru chercher des informations. Hier soir, je savais déjà que le Roi avait été averti par télégramme à Ciergnon, où il réside. Ce matin, il était déjà à Bruxelles. Pendant ce temps, les ministres avaient longuement débattu, et on disait que la crise était presque inévitable. Ensuite, ils sont allés dormir sur cette affaire, et ce matin, à dix heures, j'entends dire : quelques ministres proposent de suspendre provisoirement leur démission et de laisser la responsabilité au duo inattendu Woeste-Beernaert. Ce qui rappelle le lavage des mains de Ponce Pilate... À onze heures, Schollaert est reçu par le Roi. Prend-il un petit verre d’apéritif ? En tout cas, vers une heure, il réunit ses confrères autour de sa table. Ils ne mangent pas longtemps, mais bien. Je garde le menu à disposition de ceux qui voudraient rédiger une histoire de la gastronomie ministérielle... Ensuite, tous ces messieurs se rendent au palais royal. Pendant ce temps, je vais aussi déjeuner (ce qui n'a d'ailleurs pas grand-chose à voir avec la résolution de la crise). Et maintenant que je monte ici, le syndic de la presse bruxelloise, l’homme le mieux informé du pays, fait irruption dans la tribune et crie : pas de crise...
Je ne tire pas de conclusion. Je constate seulement que le Roi a fait un ultime sacrifice et que le ministre Schollaert a remporté un dernier triomphe. Je le dis sérieusement : je trouve cela beau et noble. Car, quoi que certains pensent, je ne crois pas à une fausse concession. Certes, l’article 1 va encore passer devant le Sénat, et le gouvernement pourra y défendre son point de vue contre celui de Woeste. Mais il serait absurde de rejeter l’action d’aujourd'hui et de déclencher un jeu de renvois sans fin qui n'aboutirait jamais à un résultat... Nous pouvons donc, je crois, dormir sur nos deux oreilles, dans la mesure où c’est possible. Et nous devons, en fin de compte, allumer un cierge pour le ministre Schollaert, à qui le pays doit toutes les concessions royales et une loi coloniale très acceptable...
Pendant que j'écris ces lignes, la salle en bas bourdonne comme un nid de frelons. J'entends les voix de Mechelynck et de Renkin comme celles de Corydon et Thyrsis dans la septième Églogue de Virgile. Je jette un coup d'œil en bas. La chambre a l’air paisible. Le président Cooreman déclare : « L'article premier est donc voté. » Bon sang, en sont-ils déjà là ?
Rappelons ce qui s'est passé ce matin : l'interpellation de Royer concernant l'agence de presse. Royer n’a pas été tendre, semble-t-il. Et le ministre Davignon, plutôt faible, car son principal argument ne tient pas : « Il n’a jamais été question d’acheter la presse. » La réponse est facile : et le journal bruxellois alors, qui a avoué toucher 500 francs par mois en... récompense pour ses opinions pro-congolaises ?... Néanmoins, la motion de Royer est rejetée. Voici le texte ; vous voyez qu'il aurait pu être voté par n'importe qui, même par le gouvernement belge qui n’a rien à voir avec celui du Congo :
« La Chambre, regrettant que l'État du Congo soit intervenu pour créer un dangereux émoi et une propagande subventionnée en Allemagne, estime souhaitable que, à l'avenir, la gestion de la colonie s'abstienne de telles pratiques ; "Que le crédit de 50 millions ne serve jamais à l’établissement de bureaux de presse en Belgique ou à l'étranger."
Et la Chambre a rejeté cela. Cela veut-il dire que le futur ministre des Colonies gardera toute liberté à ce sujet ?
***
Cinq heures et demie. En bas, ils applaudissent et crient si fort que c'en est assourdissant. Mais par-dessus les applaudissements, on entend encore le sifflement sur lequel Smeets fait valoir ses talents musicaux. Car c'est fait ; contre toute attente, après une discussion effrénée, une discussion comme les cent derniers mètres d'un jockey qui gagne d'une demi-longueur, une discussion comme une descente en toboggan, comme les torrents du Zambèze (on parle du Congo), une discussion irréfléchie et incontrôlable comme une boucle de montagnes russes, — après trois heures et demie de discussions intenses, les trente articles restants de la charte coloniale... ont été balayés, l'acte additionnel a été voté, et — nous sommes désormais en possession d'une colonie. (Car le Sénat, bien sûr, ne compte pas, n’est-ce pas ?)
Et pendant que l’enthousiasme déborde en bas et que certains simulent la colère, un sentiment étrange m’envahit. Je ne sais pas ce que c'est, mais je me sens comme un homme qui, après des années de prison, voit soudain la porte s'ouvrir devant lui. Il est libre. Devant lui s'ouvre le vaste monde. Et soudain, il est saisi par la peur et demande s'il peut rester en prison.
C’est ainsi que se sent le journaliste qui, pendant deux longues années, a respiré l'air du Congo dans cette chambre, et à qui, soudain... cette matière à articles est enlevée. Certes, il va enfin pouvoir respirer un air moins vicié. Cela va enfin devenir agréable. Il va enfin avoir les mains libres... Mais aussi : quels chemins inconnus va-t-il désormais emprunter ? À quoi vont servir à l’avenir son esprit combatif et sa perspicacité ? Pourquoi continuer à profiter de la confiance des députés amis ?... Et sur mes lèvres, s'adressant aux discussions sur le Congo qui viennent de s'achever, se pose la célèbre phrase : « Verweile doch, du bist so schön ! » (Reste donc, tu es si belle !)
En bas, cependant, retentit la voix pleine de mon compagnon Destrée, dans ses plus élégantes périodes. Le socialiste cède la place au littérateur qui, avec élégance et noblesse, remercie sincèrement le président Cooreman pour sa position impartiale dans sa tâche difficile au cours de ces longues et éprouvantes discussions. Et le bon président Cooreman est vraiment ému ; bien que je soupçonne une légère ironie dans son affirmation lorsqu'il félicite tout le monde, sans exception, pour sa modération et sa bonne volonté lors des discussions qui viennent de se terminer. Ce qui pousse mon camarade Demblon, qui est sérieux à ce sujet, à gonfler le torse...
Et quelle est la valeur réelle de la nouvelle loi ?
Mais je vous en prie : laissez-moi d'abord reprendre mon souffle et réfléchir. Je vous le répète : ce n’est pas sans un certain vertige que l’on passe soudain de la prison à l'air libre. D'autant plus que la discussion au Sénat me fournira amplement l'occasion d'une étude plus approfondie. Ce dont je vous ferai bien sûr part.