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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (janvier 1908)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

L’autre congrès [sur l’instruction obligatoire] (1) - Le Fonds Léopold (12)

L’autre congrès [sur l’instruction obligatoire]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 1er février 1908)

Bruxelles, 29 janvier 1908

L'autre congrès - veuillez voir ma chronique d'hier - n'a en réalité été rien d'autre que l'assemblée générale annuelle de la « Ligue de l'Enseignement » ; une assemblée générale qui n'était toutefois pas juste une simple réunion amicale de tous les membres d'une même société : ce qui y a été traité n'était pas de l'ordre interne ni de ses propres intérêts. Il s'agissait d'un sujet majeur : notre enseignement public et l'instruction obligatoire ; et l'ancien bourgmestre Buls, président de la « Ligue », y a prononcé un discours sur la dégradation de l'enseignement, appuyé sur des documents tels, sur des chiffres irréfutables tels, sur une argumentation aussi solide que la diffusion de ce discours - car il sera imprimé et distribué - qu’il convaincra à nouveau une masse d'électeurs lors des prochaines élections de la nécessité de l'instruction obligatoire. Je vous ai écrit en temps opportun de la manifestation extraordinaire, qui l'année dernière a fait affluer des centaines de milliers de Belges à Bruxelles pour exiger du Parlement l'enseignement obligatoire. Le nouveau discours de M. Buls augmentera encore le nombre de ces manifestants, et rafraîchira leur mémoire lorsqu'ils auront leur bulletin de vote en main...

Tout à l'heure, j'ai assisté à la séance de la Chambre. M. Woeste (qui ne veut pas prendre le repos nécessaire pour la guérison de son foie), répondant à ce qu'avait dit le camarade Vandervelde, a expliqué pourquoi lui et ses amis ne veulent pas entendre parler de l'instruction obligatoire. Deux de ses arguments sont très faibles : quelle sanction pénale allez-vous donner à votre loi, demande-t-il, et que faites-vous de la liberté des pères de famille ?

À la première question, la réponse est facile à donner : regardez ce qui se passe dans les pays où l'instruction obligatoire a été introduite ; si ce n'est pas suffisant, améliorez leur système de sanctions. Le fait que l'instruction obligatoire soit instaurée dans la plupart des États européens prouve bien qu'elle peut être introduite avec succès. Les situations existantes sont la meilleure réponse aux objections de M. Woeste.

Quant au droit des pères de famille : un père de famille n'a pas la liberté de maltraiter physiquement son enfant ; logiquement parlant, il n'a donc pas non plus le droit de le maltraiter mentalement, c'est-à-dire de le priver d'instruction. Au contraire : son privilège de père de famille lui impose des devoirs moraux, des devoirs d'amour. Il doit veiller à ce que son enfant soit aussi bien armé que possible dans la lutte pour la vie. Dans les limites de son pouvoir et de ses moyens, il a le devoir de protéger son enfant, et de lui fournir les moyens de maintenir et d'élargir sa place dans la vie, si cet élargissement peut lui être bénéfique sans nuire aux autres. C'est une obligation chrétienne que les catholiques n'ont certainement pas rejetée. Et quels sont maintenant les meilleurs outils de notre époque, sinon les moyens intellectuels ? Le temps n'appartient plus à celui qui est physiquement fort ; il est devenu la propriété de celui qui est intellectuellement formé. D'où, comme première condition pour une lutte et une défense égales : l'instruction obligatoire... On voit avec quels arguments dangereux M. Woeste se présente. Et même dans son parti, il est pratiquement seul à les soutenir.

Là où il n'est cependant pas seul, c'est lorsqu'il dit : l'instruction obligatoire entraîne un enseignement neutre. Nous, catholiques, ne voulons pas accepter que nos convictions les plus sacrées soient ignorées, mises en doute, ou même simplement tues devant nos enfants.

Cette objection est sérieuse. Remplacer ou interpréter un dogme religieux par un dogme scientifique qui, à l'école primaire, de par la nature même de la chose, est présenté de manière superficielle, peut en effet conduire à des conceptions très erronées ; c'est un danger qu'il faudrait chercher à éviter. Que les pères de famille catholiques craignent de voir leurs enfants renier la religion transmise, dont on leur tait la signification et la valeur, pour des vérités qui leur sont présentées de manière superficielle, ou qu'ils ne peuvent comprendre ou expliquer pleinement dans leur jeune esprit, est très compréhensible : tout le monde sait à quel point les phénomènes physiques ou physiologiques peuvent être mal interprétés et compris, même par des personnes relativement instruites. Ajoutez à cela la douleur de sentir un fossé se creuser entre soi et son enfant... Une telle crainte de l'enseignement neutre chez les croyants, à qui même la possibilité d'une comparaison est refusée, ne doit pas surprendre, et les libéraux doivent avoir un... devoir libéral de respecter ceux qui pensent et ressentent ainsi.

Maar - ligt niet in de aanvankelijke redeneering de door te hakken, of eenvoudig te ontwarren, knoop? Wie zegt, dat ‘leerplicht brengt onzijdig onderwijs mee’ een noodzakelijk postulaat is? Zelfs de werkelijkheid komt het tegenspreken. Want zie: in de Athenea, waar het onderwijs in feite onzijdig, of beter gezeid: meer-gevorderd wetenschappelijk is, worden er, voor wie ze volgen willen, lessen in godsdienst - moraal, apologetiek, dogmatiek - gegeven. Ik heb den leeraar in godsdienst van één dier gestichten in eene groote, bij uitstek liberale stad, gekend: nooit heeft hij over zijne leerlingen geklaagd, wél integendeel. De ouders, die het wenschten, konden daar dus door één der verstandigste priesters van het bisdom aan hunne kinderen degelijk godsdienstonderwijs laten geven. Zou een dergelijke maatregel niet op het lager onderwijs, bij het regiem van leerplicht, kunnen worden toegepast? En bovendien: leerplicht impliceert toch de noodwendigheid niet, dat de ouders hunne kinderen naar een bepaalde, neutrale school zouden zenden! Het onderwijs is in België vrij, en - katholieke scholen zijn er toch in hoeveelheid!... 't Benige wat men vraagt is: stuur uw kind naar school: het is uw plicht; maar naar wélke school ge het zendt gaat ons niet aan...

Me dunkt: voor katholieke wetgevers, die in den grond tegen leerplicht niet kunnen zijn - behalve eenige verouderde geesten - ligt daar stof voor een wetsontwerp. Zij moesten inzien dat het onvoorzichtig is het initiatief van eene wet over Leerplicht aan de oppositie over te laten: zoolang zij nog eene meerderheid in de kamer hebben, moesten zij er aan hechten zich bij Leerplicht, die er dan toch komen moet, de voordeelen, die zij wenschen en noodig achten te verzekeren.

Mais la solution ne se trouve-t-elle pas dans le postulat de départ, qu’il suffit de résoudre ou de démêler ? Qui a dit que « l’instruction obligatoire entraîne un enseignement neutre » était un postulat nécessaire ? Même la réalité le contredit. Car voyez : dans les athénées, où l'enseignement est en fait neutre, ou mieux dit : plus avancé scientifiquement, des cours de religion - morale, apologétique, dogmatique - sont donnés pour ceux qui veulent les suivre. J'ai connu le professeur de religion de l'un de ces établissements dans une grande ville, éminemment libérale : il ne s'est jamais plaint de ses élèves, bien au contraire. Les parents qui le désiraient pouvaient donc faire donner à leurs enfants un enseignement religieux solide par l'un des prêtres les plus sages du diocèse. Une mesure similaire ne pourrait-elle pas être appliquée à l'enseignement primaire sous le régime de l'instruction obligatoire ? De plus, l'instruction obligatoire n'implique pas nécessairement que les parents doivent envoyer leurs enfants dans une école neutre particulière ! L'enseignement est libre en Belgique, et il y a une quantité d'écoles catholiques !... La seule chose que l'on demande est : envoyez votre enfant à l'école : c'est votre devoir ; mais l’école à laquelle vous l'envoyez ne nous regarde pas...

Il me semble que pour les législateurs catholiques, qui fondamentalement ne peuvent pas être contre l'instruction obligatoire - sauf quelques esprits vieillissants - il y a là matière à un projet de loi. Ils doivent comprendre qu'il est imprudent de laisser l'initiative d'une loi sur l'instruction obligatoire à l'opposition : tant qu'ils ont encore une majorité à la chambre, ils doivent s'attacher à s'assurer, avec l'instruction obligatoire, les avantages qu'ils souhaitent et jugent nécessaires.


Le Fonds Léopold

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 février 1908)

Brussel, 10 février 1908

Je ne vous en ai pas encore parlé. Pas sans raison. Vous raconter simplement le fait brut, qui peut-être, et même probablement, apporte la solution finale de la question du Congo, une solution satisfaisante comme beaucoup le pensent : cela aurait été trop facile. J'ai donc voulu en faire un peu plus, je suis allé voir des députés de diverses tendances et compétences, j'ai parlé à des personnes qui peuvent savoir ce que pense le Roi - bien que ces personnes soient dangereuses - et le résultat est que...

Mais laissez-moi d'abord vous dire ce que ce « Fonds Léopold » est censé être. Les érudits, naïfs comme tous les érudits, diront : C'est le fil d'Ariane. Lisez : c'est le chemin qui nous sort du labyrinthe congolais. - Les gens pratiques, unilatéraux comme ils le sont, déclareront : De l'argent que nous promettons, sans savoir où nous allons le trouver ! - Les mécontents demanderont : Qu'est-ce qui a changé ? - Ceux de bonne volonté, qui aspirent à un renouveau, soupireront : Enfin, peut-être...

Voici ce qui se passe : Il serait convenu entre la Belgique et le Souverain de l'État libre du Congo, que le Domaine de la Couronne, par annexion, serait cédé à la Belgique ; bien sûr (le Roi l’exigerait) avec compensation. Et cette compensation serait : la création d'un fonds, qui rapporterait autant que probablement le Domaine de la Couronne ; ce revenu servirait à fin0ancer les projets de Sa Majesté. Le changement serait donc le suivant le Domaine de la Couronne n'est pas soustrait du patrimoine africain de la Belgique. La gestion de la colonie n'a plus rien à craindre d'une administration distincte sans supervision d'un « État dans l'État ». L'intégralité des revenus, y compris ceux des mines encore à exploiter, reste immédiatement pour la Belgique. Et, aux yeux des puissances : l'esclavage déguisé ne devra plus être toléré contre le gré de la nation.

En revanche, la question éternelle se pose : serons-nous obligés, avec ce nouveau fonds, d'obéir à la volonté de Léopold II ? Donnera-t-il des ordres et nous... paierons-nous ? Devons-nous faire face au déficit colonial pour satisfaire un caprice royal ? Et ensuite : quelle est l'étendue de ce fonds ? Est-il permanent ? Se transmet-il aux héritiers directs du Roi - comme apanage - et à son successeur ? - Mais alors, le Fonds Léopold ne serait qu'un simple changement de nom, financièrement parlant, du domaine de la Couronne. Le gain pour la Belgique serait purement moral et administratif. Avec les nécessités que le Congo va créer pour nous, et qui sont imprévisibles, nous nous demandons, avec un tel accord, si l'entreprise dans laquelle nous nous engageons peut apporter ce que nous en attendons.

Car, au fond, quelle que soit la signification civilisationnelle de la Belgique, lors de la reprise, il s'agit pour nous de savoir si nous faisons « une bonne affaire ». On ne se charge pas d'une colonie quand on est un petit pays, désarmé et naïf - car en matière de politique coloniale, nous sommes encore très novices - à moins d'être sûr que l'on peut en tirer quelque chose. On ne devient pas une « puissance coloniale » juste pour le titre.

On pense d'abord à l'avenir, et à sa sécurité. On pense aussi au passé, qui a été un investissement financier, un investissement de force, un investissement à vie, qui jusqu'à présent n'a rapporté que peu ou rien... Certes, nous obtenons ceci : le Roi renonce à ses droits souverains, entièrement, complètement ; mais... il exige de ne rien perdre en réalité. Léopold II est un homme fin et pratique, qui ne s'attache pas aux mots et aux apparences. Il est un roi moderne, et j'ai eu le plaisir de le constater à plusieurs reprises... Il reste entendu qu'il demande très peu pour sa personne et son trésor personnel ; mais il est également certain qu'il ne connaît aucune humiliation lorsqu'il s'agit de satisfaire son obstination par tous les moyens.

Par fas et nefas. Car, bien que Beernaert et Hymans semblent actuellement favorables à l'accord et que le journal anglais "Standard" l'approuve, il reste encore à voir où le Roi veut en venir et si nous devrons le suivre partout. On ne sait pas encore dans quelle mesure le parlement sera consulté. Il n'est pas clair si, en tant que pays constitutionnel, nous serons soumis à des ordres inconstitutionnels. Que sera-t-il financé par ce fonds ? Dans quelle mesure aurons-nous un contrôle dessus ? Le Roi, riche de notre argent, de l'argent qui nous est légitimement attribué par l'abolition du Domaine de la Couronne, exécutera-t-il ses volontés sans aucun contrôle et sans critique constructive ? Voilà la question actuelle.

Si nous savions que seules des œuvres d'utilité reconnue, à des moments où le trésor public n'en souffre pas trop, seraient entreprises par ce Fonds Léopold - un fonds de réserve, une épargne pour les jours difficiles et les années de vaches maigres - ce serait parfait. Tout le monde souhaite l'amélioration de l’Alléeeverte et, peut-être aussi - ce dernier point dépend de la nature de chacun - la réhabilitation du quartier des Marolles. La question de savoir si Bruxelles doit devenir une grande ville anonyme par l'abolition de tout ce qui est typiquement bruxellois, à l'exception de la Grand-Place, peut être débattue et obtenir l'approbation de certains. Si le fonds doit donc servir à réaliser ce qu'une majorité souhaite : très bien ; et - disons-le avec joie - ce serait la solution, la fin enfin... pour recommencer avec d’autres soucis...

Mais : en sommes-nous là ?...

Je suis, comme je vous l'ai dit, allé chercher conseil. Et je vous l'avoue humblement : c'est comme si j'avais interviewé les habitants d'un aquarium. Tout d'abord, il n'y a encore rien d'officiel, et tout dépend de la formule. Cela, maintenant, est attendu des deux côtés : la formule. Avant de la connaître, ni les partisans ni les opposants ne montrent leurs crocs. Il y a bien quelques murmures ; ces murmures se terminent par des regards interrogateurs : que va-t-il se passer ? - La semaine prochaine, nous en saurons peut-être un peu plus, ce qui nous rapprochera de la solution....

Entre-temps, personne ne semble prêter attention aux indigènes eux-mêmes. Ils ne prennent pas en compte ce que les Noirs pensent des civilisateurs blancs. Cette opinion ne semble d'ailleurs pas être favorable, que ce soit les Belges qui gouvernent ou Boula Matari - ainsi appellent-ils Léopold II - qui les gouverne. Voici cette opinion, peu encourageante pour nous, telle que le père I. Struyf l'a consignée :

Le chant des Anciens

(Les anciens sont rassemblés sur la place du village et les enfants rient et jouent.)

Les anciens dirent ainsi : Vous, les enfants, la joie avec laquelle vous avez été élevés et soignés, plus tard, vous la verrez. Ils viennent, les hommes qui sont blancs ; ils sont aussi blancs que notre farine de manioc. Ce jour-là, lorsqu'ils arriveront, nous, les anciens, serons éteints et morts. Vous resterez et vous verrez cela.

Les enfants dirent ainsi : Et ces hommes, d'où viennent-ils ?

Les anciens dirent ainsi : Eh, nous ne le savons pas, entendez-vous !

D'autres anciens dirent ainsi : Entendez-vous, ils viennent d'Europe.

Les enfants dirent ainsi : Eh bien, cet Europe, où est-ce ? Le lieu, où est-ce ?

Les anciens montrèrent avec leur doigt, ainsi : Le lieu, là-bas derrière les montagnes, où le soleil se couche.

Les enfants dirent ainsi : Et lorsqu'ils arrivent ici, que viennent-ils faire ?

Les anciens dirent ainsi : Ce pays, le nôtre, ils viennent le tuer.

Nos parents sont morts. Eux, les Blancs, ont pris notre pays. Ce que nos anciens racontaient, nous l'avons vu. Nous, les enfants, nous sommes restés, nous sommes tombés dans des fléaux de toute sorte. Les Blancs, ne les avons-nous pas vus ? Ainsi nos anciens n'ont pas menti, ils ont dit la vérité.

Avec de telles traditions, les esprits peu résilients de nos futurs auditeurs sont nourris. N'est-il pas vrai que, avec tout ce qui s'ajoute, cela est peu encourageant pour les Belges ? C'est pourquoi : qu'on ne nous complique pas la tâche avec le, peut-être inévitable, Fonds Léopold plus qu'il n'est nécessaire !