(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
[L'annexion du Congo] Vers la solution ? (18) - [L'annexion du Congo] Vers la solution ? II (24) - [L'annexion du Congo] Vers la solution ? III (2) - Exit le père Tack (26)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, 18 avril 1908)
Bruxelles, 16 avril 1908
Cela fait maintenant deux jours que cela dure. Pendant deux sessions, j'ai goûté à l'amère satisfaction d'une perte de temps inutile et ennuyeuse — surtout pour le Parlement (pour ma part, j'ai pris l'habitude de perdre mon temps), mais une satisfaction amère qui reste très personnelle : une satisfaction dans l'invariablement comique de ce jeu de marionnettes, une satisfaction amère néanmoins, car dans une circonstance comme celle-ci, on aurait pu se libérer un instant du poids de la routine et, puisque chacun y aspire, éviter tout ce bavardage futile là où il s'agit de savoir si, oui ou non, nous allons annexer le Congo, ou si nous allons nous laisser annexer par le Congo.
Une perte de temps ennuyeuse. Ennuyeuse pour le pays ; également ennuyeuse pour ceux qui assistent fidèlement aux séances. Car encore une fois, ce n'était que des discours creux, des exposés sérieux et solennels de ce que tout le monde sait déjà, l'affirmation insistante de ce que plus personne n'ignore : toute l'éloquence parlementaire dans sa forme la plus banale, selon les recettes les plus éprouvées, mais sans autre but que, peut-être, de faire perdre du temps.
Ni M. Schollaert, ni M. Woeste, ni M. de Broqueville, ni M. Cousot — relisez ce qui vous a été communiqué — n'ont rien dit de nouveau. Lorsque le camarade Bertrand a fait frissonner la salle, ce n'était pas à cause de nouvelles atrocités congolaises : c'était à propos de la vie que mènent les pauvres miséreux dans les logements ouvriers bruxellois et... souffrent, une vie qui conduit inévitablement à la plus grande immoralité : ceci en lien avec le fait que l'on veut bien dépenser 16 millions pour le domaine royal à Laeken, mais que l’on ne veut pas consacrer un sou des 46 millions demandés par le roi pour des « travaux utiles » à ces logements ouvriers.
On parle donc, juste pour parler : l'art pour l'art de la politique. Cela prouve-t-il que l'on veut absolument perdre du temps pour en gagner ? Voyons cela de plus près.
On vous a fait savoir que, dès mercredi, la paix entre la droite et la gauche était signée. Les socialistes avaient promis de mettre fin à toute obstruction, à condition que le gouvernement ne bâillonne pas le débat, et que les élections ne le concluent pas. Le gouvernement avait cédé : on siégerait jusqu'au 9 mai, et, si aucune solution n’était trouvée à ce moment-là — ce qui est peu probable car près de cinquante orateurs sont inscrits ! — on continuerait calmement, « à l’aise », comme on dit en flamand occidental, après les élections... C’était donc excellent, et le gouvernement avait compris que l'annexion du Congo était une affaire sérieuse, à ne pas sacrifier au caprice du roi, qui, jusqu'au 24 mai, pouvait compter sur des défenseurs fidèles et des « annexionnistes » convaincus, et ne pas se plier à la volonté du pays, qui s’exprimerait le 24 mai et pourrait apporter un changement défavorable à la politique royale. Bien que cela ne soit pas très probable, et bien qu'il serait souhaitable de régler la question immédiatement, avec une concession explicite de l'autorité supérieure là où il y a encore un blocage — et tout laisse à penser que cette concession serait accordée, même à contrecœur, pour sauver la situation — il serait bon, je le répète, d’y mettre fin : « mieux vaut un oiseau dans la main que dix dans le ciel », pensaient le roi et son ministère, puisqu’ils pouvaient encore compter sur une majorité...
Et pourtant, avec une extrême volonté de conciliation, on a cédé au désir de la gauche avec une touchante unanimité : les élections n'accéléreraient ni ne retarderaient les débats ; on préférerait renoncer aux vacances plutôt qu'à une discussion approfondie ; et, que le Congo soit rejeté ou annexé, chacun, pour ou contre, pourrait, à l'instar de Pilate, se laver les mains en toute innocence... Ainsi fut décidée et solennellement conclue cette affaire.
Mais cela a dû se faire sans que le roi en eut connaissance, car il me revient maintenant, de la bouche de quelqu'un qui est bien informé, que M. Schollaert veut revenir sur son... erreur. On ne suspendra pas les travaux le 9 mai ; nos « honorables » ne se rendront pas, insouciants et sans souci, au marché aux chevaux de Gand — tout le pays y va — pour choisir de nouveaux étalons pour tirer le char de l'État ; on continuera à travailler, et tout sera prêt avant les élections. Telles sont les intentions encore à moitié secrètes de M. le Premier ministre. Je n’ai évidemment pas lu le télégramme venant de la Côte d’Azur qui l’a fait revenir sur sa première décision, celle de l'ensemble de la Chambre, et je ne sais pas non plus si la position de la gauche et des membres de droite, qui sont en faveur d’un débat prolongé, ne poussera pas M. Schollaert à juger prudent de ne pas lire à haute voix ce télégramme que je n’ai pas encore pu voir... Je vous rapporte la rumeur courante — non, le murmure flottant ; et je serais presque tenté de dire qu'il ne contient que la vérité, si je ne craignais la prudence de notre chef de cabinet, qui a peut-être déjà envoyé un télégramme en réponse, ou qui pourrait bien le faire après avoir senti battre, dans le pouls de ses amis, la peur ou la fièvre...
Quoi qu'il en soit, les sections, convoquées pour voter le budget extraordinaire, où les 45 millions de cadeaux pour le roi étaient déjà inscrits, se sont pour l’instant bien comportées. Là où le cadeau n’a pas été refusé, on a demandé une division. Cela montre tout de même le sérieux et l’indépendance de nos représentants du peuple : d’abord voir si nous annexerons le Congo et à quelles conditions ; ensuite, seulement, parler de cadeaux de reconnaissance...
Et c’est tout à fait juste !
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, 24 avril 1908)
Bruxelles, 23 avril 1908
Que le pays se rassure : le Congo n'a pas encore été annexé. Bien au contraire, il semble de moins en moins probable qu’on prenne une décision pour secouer la lenteur parlementaire et avancer concrètement. Étrange ! Au début, la droite voulait tout régler avant les élections de mai et faire de l'annexion votée un atout électoral. Cependant, elle ne voulait pas être seule à voter l'annexion – preuve qu'elle ne considère pas cela comme une si excellente idée ! – et, lorsqu'il est apparu que la gauche ne voulait pas suivre, un compromis a été trouvé. Monsieur Schollaert, notre Premier ministre, a accepté une proposition de l'opposition unie, qui demandait un débat aussi large que possible, même si cela devait se prolonger après les élections. Il a même consenti à suspendre les sessions parlementaires à partir du 9 mai pour la campagne électorale. Tout le monde fut surpris et satisfait lorsque la rumeur a couru que Schollaert allait revenir sur sa décision et voulait conclure immédiatement. Cela n’a pas été démenti ; on a seulement demandé : « Mais n’est-ce pas ce que tout le monde veut ? ». Dans les journaux favorables à l’annexion du Congo, il fut même question que la plupart des orateurs renoncent à prendre la parole, laissant seuls les chefs de groupe et quelques indépendants comme Georges Lorand s’exprimer. Et – tout le monde se plia à ce qui était devenu un souhait même pour les plus récalcitrants : en finir une bonne fois pour toutes.
Tout le monde le savait : Léopold II avait, selon les puissances internationales, exagéré. Il était devenu impossible de le laisser en tant que souverain du Congo, comme cela avait été publiquement affirmé à la Chambre des communes. Nous, les Belges, étions donc confrontés à un double problème, un dilemme délicat mais inévitable : soit nous annexions le Congo, avec toutes les incertitudes et les difficultés que cela implique, soit nous serions entraînés dans un conflit international imminent, risquant de tout perdre, y compris les millions empruntés et les sacrifices de nos compatriotes.
Beaucoup, à gauche, et quelques-uns à droite encore à convaincre, s’étaient résignés : mieux vaut quelque chose que rien. D’autant plus que le gouvernement ferait probablement des concessions extrêmes – le roi y a tout intérêt – et que nous pourrions compter sur la bienveillance des puissances, fatiguées de la situation actuelle.
Un pari risqué – mais tout de même préférable à une perte assurée. Et tout le monde, sauf quelques-uns, était heureux que cette affaire ennuyeuse soit bientôt réglée – sans parler des fonctionnaires du Parlement, épuisés par la surcharge de travail due aux séances doubles et aux réunions prolongées, sans autre perspective que… des vacances annulées...
Que se passe-t-il maintenant ? Quel nouvel obstacle vient briser cet élan ? Deux jours de suite, nous avons vu que la droite semblait prendre plaisir à faire de l'obstruction et à faire perdre du temps, détournant le débat solennel sur le Congo à des fins de propagande électorale mesquine et indigne. Cela serait amusant, si ce n'était pas si dégoûtant. Tout le monde parle de « l'intérêt national » et de « questions au-dessus des luttes politiques ». Mais, en attendant, ils se chamaillent pour diviser les cheveux en quatre ; ils s'envoient des reproches à la figure ; ils posent des questions interminables au ministre, concernant la famille de tel garde-barrière ou le toit en ardoise de tel clocher d'église ; ils réclament des boutons en cuivre de meilleure qualité pour la maréchaussée et une allocation pour des bonbons pour leurs enfants ; toute une séance est consacrée à savoir si la nomination d'un échevin dans un village dont personne n’a jamais entendu parler a été faite correctement ; une autre séance – celle d’hier – à vérifier si, oui ou non, on a déclaré dans une autre localité que des miliciens belges seraient forcés de servir au Congo ; et la population de Sint-Martens-Leerne, près de la Lys, regardera avec admiration son député qui a publiquement dénoncé l’état déplorable des toilettes de l’école communale et osé défier le ministre à ce sujet. En un mot : la comédie électorale en pleine action, là où il avait été convenu de ne pas faire la moindre obstruction au débat « patriotique ».
Et mieux encore : Monsieur Vandervelde, contre Demblon, qui est furieux, déclare qu'il n'y a eu aucune violation de l'accord ; et il est remercié par le gouvernement… qui pousse tellement à une issue rapide !
Que se passe-t-il ?...
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, 26 avril 1908)
Bruxelles, 24 avril 1908
Obstruction, obstruction sur toute la ligne, rien que de l'obstruction... Malgré l'unanimité touchante avec laquelle tout le monde s'était accordé à ne pas mettre d'obstacles sur la route du débat sur le Congo, à agir de manière sérieuse et bienveillante pour l'avenir du pays, on continue à empêcher une conclusion rapide ou même un débat constructif et sans fioritures inutiles.
Les socialistes ont commencé par en accuser les catholiques. Mais que font-ils eux-mêmes avec toute cette question de référendum, sinon de l'obstruction organisée ? Car, en dehors du fait qu'une « consultation du corps électoral » est anticonstitutionnelle – « La Constitution dans son ensemble suppose un système parlementaire ; le législateur ne peut se faire remplacer par le peuple dans une fonction qui lui a été confiée par ce même peuple », a justement rappelé M. Neujean – que donnerait une telle consultation ? Le pays, qui, selon les socialistes eux-mêmes, est insuffisamment informé sur le Congo, n'a pas d'opinion éclairée sur l'annexion, ou plutôt : chacun a l’opinion de son propre groupe et de son propre intérêt. Cela s'est encore vu la semaine dernière à Anvers : le grand commerçant est pour, car il y voit une possible extension de ses affaires ; le docker est contre, car il a un esprit rebelle qui s'oppose à tout ce qui est établi par l'ordre existant. De jeunes avocats et de jeunes officiers sont pour, car un séjour de trois ans dans la colonie comme magistrat ou militaire pourrait peut-être leur préparer un bon poste dans la métropole ; mais les criminels, craignant des colonies pénitentiaires, et les miliciens, qui redoutent – à tort ou à raison – de devoir servir sous les tropiques, seront probablement contre. Et inutile de détailler ce que pense un riche financier cherchant un bon placement, ou un pauvre travailleur estimant qu'il paie déjà assez d'impôts.
Voilà, je peux vous l'assurer, l'état d'esprit du pays. Et c'est sur un tel jugement qu'on veut se baser ! N'est-il pas déjà assez désolant que tant de personnes siègent à la Chambre et aient droit de vote, alors qu’elles ont des intérêts personnels au Congo, et que, même si leur honnêteté n’est pas remise en cause, elles sont de fait exposées à un conflit d’intérêts ?
Non, nous ne pouvons pas croire que les socialistes aient sérieusement pris leur proposition de « consultation du corps électoral » – déjà rejetée par le Sénat, et qui, même si elle était approuvée par la Chambre, resterait vaine, se retrouvant à faire des allers-retours entre les deux chambres. Perte de temps, obstruction, rien de plus...
Obstruction aussi, même si cela concerne un fait regrettable : l’interpellation de Janson, qui aurait pu avoir lieu lors d'une séance du matin, d'autant plus qu'il avait été convenu que les séances de l'après-midi seraient exclusivement réservées au Congo.
Un fait regrettable : le député Augusteyns, d’Anvers – un homme brillant et un orateur passionné – est également directeur d’un orphelinat. Or, ce député Augusteyns a insulté le souverain de l’État indépendant du Congo lors d'une réunion publique, ce que les dames patronnant cet orphelinat ont mal pris, reprochant à l’administrateur Augusteyns d’avoir ainsi agi. D'où leur exigence qu'il démissionne de ses fonctions administratives... Cela donne un aperçu de la mentalité de certaines personnes, et de la manière dont on comprend la liberté de pensée chez nous. Le vieux paladin Janson a alors pris la défense de son jeune collègue de parti, exigeant du ministre – qui n'a en réalité rien à voir avec cette affaire et ne peut assumer aucune responsabilité à cet égard – qu'il rédige des lettres et qu'il use de son influence pour préserver la dignité parlementaire. Toute une séance de la Chambre a été perturbée pour une affaire… oui, pour une affaire qui, au fond, doit être réglée entre M. Augusteyns et le conseil d’administration de l'orphelinat, puisque M. Augusteyns, l’administrateur, cesse d’exister dès qu'il devient M. Augusteyns, le député, tout comme la chenille cesse d'exister une fois devenue papillon.
Le cas d'Augusteyns, papillon et chenille à tour de rôle, est sans doute très intéressant ; il est même pénible et passionnant ; mais... nous sommes en plein débat sur le Congo, nous en discutons depuis deux semaines déjà, et jusqu'à présent ? Beaucoup de bruit pour rien.
Non, ceux qui ont des yeux pour voir ne doutent pas d'une obstruction systématique des deux côtés. Mais pourquoi donc ? Par mauvaise volonté – ou simplement par habitude et inertie ?
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, 26 avril 1908)
Nous avons eu tout à l'heure une petite surprise qui fut presque une déception : le vieux monsieur Tack - il a près de 90 ans -, le doyen de nos ministres d'État et de nos députés, "papa Tack" comme chacun l'appelait de façon enfantine et en même temps protectrice ; le collègue respecté et aimé, malade depuis quelques mois, a fait un acte de sacrifice qui a dû lui demander beaucoup de courage et d'abnégation : plutôt que de faire perdre une voix à son parti, il démissionne, après plus de cinquante ans de mandat parlementaire, pour laisser la place à un certain M. Busschaert qui, mieux à même, le remplacera avantageusement.
Une déception. Même si nous commencions à nous habituer à son absence, c'est avec une certaine tristesse que nous pensons à ne plus le voir apparaître dans cette salle de réunion ; toujours l'un des premiers et jamais absent ; à contre-courant des habitudes démocratiques mal éduquées d'aujourd'hui, toujours vêtu d'un habit de soirée à l'ancienne et d'un nœud papillon blanc ; avançant sur ses jambes arquées, d'un pas court, vers sa place, où son corps s'enfonçait bientôt, et où, bientôt, son visage gris et rasé se nichait dans ses mains de vieillard frêle, s'endormant pour la sieste de midi que le bruit le plus intense ne devait pas perturber, sauf en cas de vote.
Un vrai "bon-papa" de cette grande famille, bon et enjoué, - qui cependant avait été un combattant redoutable dans les rangs catholiques, et qui se sentait parfois obligé de participer au combat. Ne l'avons-nous pas vu l'année dernière, quand il a été contraint de prononcer un discours incompréhensible pour tous ? Une impression douloureuse que ses meilleurs amis n'ont pas pu nous épargner. M. Tack était un têtu de la Flandre occidentale, attaché à ses convictions, même les moins appropriées.
Maintenant, il s'en va. On a réussi à le convaincre de passer le flambeau à un nouveau venu ; et... papa Tack quitte la scène. Puise-t-il longtemps encore dans ses souvenirs : celui qui a combattu vaillamment mérite un repos long et doux.
Maintenant, je crois que c'est M. Beernaert qui devient le doyen de la Chambre. Avec une éternelle jeunesse d'esprit, avec une force de travail inaltérée qui lui est propre, il ne cédera pas si facilement ce titre honorifique à son successeur - n'est-ce pas M. Woeste ? - Il l'a dit récemment : "Je ne mourrai que par inadvertance." Et on sait combien M. Beernaert est attentif à tout !