(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
La Fondation de la Couronne Congolaise, société anonyme (10) - Le Domaine de la Couronne - Société Anonyme et la Presse (12) - Le projet de loi coloniale (26) - Effet-retour (29)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 septembre 1907)
Bruxelles, 7 septembre 1907)
Le « Bulletin officiel de l'État du Congo » apporte à l’instant aux Belges bienveillants concernant leur future colonie une... rafraîchissante surprise.
Vous vous rappelez que prochainement – en octobre – une session parlementaire extraordinaire doit décider de la prise en charge par la Belgique de l'État Indépendant du Congo. Le ministre de Trooz, lorsqu'il agissait en tant que premier ministre, avait promis une solution satisfaisante ; toute hésitation devait se transformer en conviction grâce à des arrangements conciliants ; le Congo devait devenir nôtre, sinon un Eldorado immédiat, du moins une possession très agréable et prometteuse, qui nous libérerait de tout souci. Nous pouvions, dans la mesure où cela est possible, dormir sur nos deux oreilles : de nouvelles charges certes, mais quelle compensation ! Tout fonctionnerait comme sur des roulettes bien huilées. Nous obtenions un territoire à exploiter... à voler !...
Même ceux qui voyaient une objection dans le Domaine de la Couronne seraient rassurés. La région que le roi Léopold s'était réservée comme propriété personnelle, en dehors de toute ingérence de l'État, lors de la cession du Congo – pas moins d'un sixième de l'ensemble du territoire, onze fois plus grand que la Belgique et situé dans la région la plus riche – n'échapperait pas complètement à leur contrôle. Cela ne serait ni une entrave, ni un concurrent parasite pour la colonie. Et nous verrions comment, grâce à ce que cela rapporterait, les arts et l'industrie prospéreraient dans la mère patrie ! Car tel était l'accord conclu depuis toujours : les revenus de la Fondation de la Couronne reviendraient entièrement à la Belgique, à condition, bien sûr, que Léopold II en soit laissé le maître absolu.
On attendait donc le mois d’octobre ; et, puisque la prise en charge était de toute façon inévitable, puisqu'on faisait face à un ultimatum inévitable, même les socialistes parlementaires cédaient en partie. Bien sûr, il y eut des querelles au sein du parti ; mais le camarade Vandervelde a tenu bon : nous ne pouvons faire autrement, bien sûr à condition d’avoir toutes les garanties nécessaires, que de reprendre le Congo. Et cela alla même si loin qu’il menaça de démissionner de son poste de député si le parti ne lui laissait pas la liberté d’action dans ce qu’il jugeait inévitable.
Ces garanties nécessaires devaient naturellement être fournies par le Domaine de la Couronne. Et que voyons-nous aujourd’hui ?
Le dernier bulletin officiel de l'État Indépendant du Congo nous apporte un décret, signé le 20 juillet dernier, autorisant le secrétaire d'État à conclure un accord avec la Fondation de la Couronne et quelques fidèles acolytes du Roi-Souverain, concernant la création d'une société, sous le nom de « Société pour le développement des territoires du lac Léopold II ». L'État Indépendant du Congo accorde à cette société certains droits ; entre autres : elle peut organiser des loteries...
On voit où cela mène : le Domaine de la Couronne, que je considère comme propriété personnelle, qui ne serait pas héréditaire pour la famille du propriétaire, devient une société qui ne peut être dissoute par l'État repreneur tant qu'elle obéit aux lois de la juridiction qui l'a fondée, et ces lois sont conformes à celles du repreneur – ce qui est le cas entre la Belgique et l'État du Congo.
La conséquence : le Domaine de la Couronne, sous une nouvelle forme et conservé en dehors de toute discussion, malgré le Parlement belge, échappant au contrôle de ce Parlement, qui ne conserve comme seul droit que l’approbation d’un bilan annuel.
Léopold II a mis ses moutons au sec !
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 septembre 1907)
Bruxelles, 10 septembre 1907
À la fin et durant les plus beaux jours des vacances ; au moment où toute l'attention disponible est tournée vers les tristes événements à Anvers : pouvait-on mieux choisir le moment ? La garde rapprochée du roi, qui avec une grossière ruse a de nouveau sauvé l’autocratisme belgo-congolais par le domaine de la Couronne, sujet de discorde pour la reprise, en le transformant en une Société Anonyme inattaquable, avait toutes les chances de réussir : la Chambre en repos, la politique en sommeil, tout l'intérêt pour une agitation douloureuse...
Il ne faut donc pas dire que le pays se soit profondément senti affecté par le dernier acte de la politique royale : septembre offrait, après des semaines affreuses, des jours trop merveilleux pour qu'un orage politique puisse troubler ce bain d'air béni. Même à Anvers, lisait-on, le soleil remplissait tous les esprits - bien que ce ne soit pas pour longtemps. Par ailleurs, depuis 1901, année au cours de laquelle la proposition de reprise faite par Beernaert avait suscité une certaine agitation, la Belgique et sa population sont fatiguées de la question du Congo. Il y eut un léger réveil de l'opinion publique lorsque la proposition fut à nouveau discutée à la fin de l'année dernière : ce n'était cependant rien de plus que le geste du dormeur se retournant de l'autre côté. Le peuple continua de dormir ; la lutte faisait rage uniquement au Parlement et dans la presse, qui s'est révélée en partie aveuglément acquise aux idéaux royaux. Cela n’en rendait pas la lutte moins intense : les hommes politiques de tous bords comprenaient l'ampleur de leur responsabilité. Si en 1901 la reprise avait été retardée de cinq ans, en 1906 ils voyaient ce qu’ils avaient perdu avec ce délai : de nouvelles concessions offertes, de nouveaux engagements pris, une méthode d'exploitation qui, tout en appauvrissant la future colonie, n'attirait nullement l'admiration du monde civilisé ; de grands projets, engloutissant des millions belges, restés inachevés ; de nouvelles dettes contractées, qui retomberaient sur le cou des Belges : non, l'État Indépendant du Congo n'était pas devenu plus riche, ni plus désirable en ces cinq années. Raison de plus pour les politiciens clairvoyants de veiller à ce que la meilleure partie du Congo, le Domaine de la Couronne, n'échappe pas entièrement à la Belgique, du moins pas sans un certain contrôle belge.
Le roi, bien qu’il ait fait décréter ses exigences de préservation personnelle comme de simples « souhaits solennels », n’en tenait pas moins fermement sa position, jusqu'à ce que, lors de sa première apparition comme chef de cabinet, le ministre de Trooz promette une satisfaction générale pour la fin octobre. On entendit alors ici et là la nouvelle que Léopold II consentirait à vendre le domaine de la Couronne à la Belgique ; avec les vingt-cinq millions, sans enfants prêtés par la Belgique à l'État du Congo, un tel achat aurait fait de l'argent propre du Congo un véritable cadeau royal ! On hésitait donc, même parmi les partisans du Congo ; et il apparaissait clairement qu'il fallait trouver autre chose pour apprivoiser et contraindre la résistance qui se fondait sur l'objection du domaine de la Couronne à céder.
Et ce moyen a été trouvé : on a supprimé le domaine de la Couronne... en le transformant en Société Anonyme. Plus encore : on a permis qu’elle émette des actions avec des primes ; des loteries seraient organisées parmi les actionnaires, et ainsi, le petit capital belge ferait ce que l'État belge redoutait : il rachèterait le domaine de la Couronne, tandis que la prétendue société en conserverait l'usufruit. Une fois de plus, le Roi-Souverain a vaincu l’arbitraire parlementaire et la passivité publique, non sans en tirer profit lui-même...
Et comment notre pays a-t-il accueilli ce tour de passe-passe, certes très astucieux, mais néanmoins quelque peu grossier ? Je vous l'ai déjà dit, le peuple belge, qui depuis longtemps a renoncé à avoir un avis sur la reprise, bien qu’il se montre plutôt réticent, - le peuple belge souhaite désormais profiter sans être dérangé d’un beau mois de septembre après tout le froid et toute la pluie d’août.
Quant à la presse : à quelques exceptions près, le ton général est : stupéfaction. Stupéfaction chez les amis du Congo comme chez les opposants. Chez les amis du Congo, une stupéfaction presque honteuse, silencieuse ; chez les opposants, une stupéfaction qui se transforme en colère ou en un geste sévère de désapprobation.
Bienveillant, « Le Matin » fait exception. Il est simplement heureux que cela se termine. Et il écrit : « La question de la Fondation de la Couronne est résolue, et, que la Chambre le veuille ou non, elle restera, puisque la Belgique, en reprenant le Congo, devra respecter tous les contrats conclus par le gouvernement congolais ».
Mais c'est avec « l'Étoile », « le Petit Bleu » et « l'Indépendance » que commence la douloureuse surprise : le premier reste muet comme une carpe ; le second annonce simplement la nouvelle décision ; et le troisième n'a absolument aucun avis.
Un peu remis de la surprise, « la Chronique » tente de tout arranger : maintenant qu'il n'y a plus de Fondation de la Couronne, la tâche du Gouvernement et du Parlement est grandement facilitée, estime-t-elle. Et « le XXe Siècle » - qui, hélas ! nous devait annoncer la défection du ministre Helleputte, autrefois le plus fervent défenseur des droits belges au Congo - va plus loin : « La nouvelle société affaiblit, plutôt que de renforcer, le Domaine de la Couronne », dit-elle ; et en effet : si le roi est difficile à attaquer, une société l’est bien plus encore. Mais si cette société n’a rien à se reprocher, juridiquement parlant : que faire alors ?...
Les ennemis de la reprise sont plus sévères : « On a créé une arme », dit posément « la Gazette », « qui permettra d’établir une puissance terrifiante dans l'État. Nous ne disons pas que cela se produira. Nous constatons simplement que cela pourra se produire ».
Et « Le Patriote », plus sévère : « Le roi-souverain confie à quelques personnes de son entourage, à titre personnel, pour une durée indéterminée, ce Domaine de la Couronne, où les Noirs ont été le plus exploités, et dont les revenus, comme le roi et M. de Smet de Naeyer l’ont dit il y a un an, étaient indispensables à la Belgique pour administrer le Congo sans ouvrir la bourse. Le Parlement, par sa motion de décembre 1906, a déclaré que la Belgique ne voulait pas en entendre parler, qu'elle souhaitait faire ce qu'elle voulait du Domaine de la Couronne. Le roi-souverain répond en livrant pour toujours le Domaine de la Couronne à quelques amis intimes. Cinq sixièmes du Congo sont ainsi perdus, ou grevés de charges... ».
Mais c'est dans « La Dernière Heure » que la colère devient redoutable ! Avec véhémence, mais avec des arguments irréfutables, le journal libéral de M. Hymans démontre comment nous avons encore été dupés par la camarilla congolaise.
Cela mènera-t-il à la victoire de la camarilla ? Nous attendons avec impatience la session parlementaire d’octobre.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 septembre 1907)
Bruxelles, 24 septembre 1907
Il y a quatorze jours, nous apprenions, avec ou sans la connaissance du gouvernement belge - nous parlons des ministres -, par le Bulletin Officiel du Congo, la méthode qui ferait d'un domaine de la Couronne contesté une société anonyme inattaquable par un décret devant être exécuté avant la fin d'octobre, au moment (oh, confiance en l'impartialité du parlement !) où la question de la reprise devait obtenir une solution définitive devant la Chambre.
Quelques jours plus tard, nous apprenions que le domaine de la Couronne usait de son droit, d'une manière dont la discrétion n'échapperait à personne, pour choisir parmi les mines congolaises six d'entre elles à usage personnel, et commençait à s'approprier la première, dont l'exploitation avait donné de bons résultats, en attendant patiemment que les cinq autres mines prouvent leur rentabilité.
Toutes les bonnes choses se passant par trois, nous avons maintenant lu le dernier projet de loi modifié par le gouvernement, qui devait définir et confirmer les droits belges sur le Congo en cas de reprise, et, selon la justice belge, gérer notre future colonie sous contrôle belge.
Je vous ai répété depuis décembre 1906, lors de la nomination de la commission de 17 membres pour étudier la question, et plus tard lorsque M. Helleputte a rejoint le nouveau gouvernement, que nous pouvions attendre le meilleur de l'attitude indépendante de la Chambre, qui avait courageusement résisté au ministère de Smet de Naeyer et aux subtilités du brillant ministre Van den Heuvel, et de la conviction sincère du chef des jeunes catholiques.
Nous avons bien vu quelque temps plus tard que, pour des enquêtes supplémentaires, des plénipotentiaires étaient nommés par le Roi des Belges pour entrer en négociation avec d'autres plénipotentiaires du Souverain de l'État Indépendant du Congo ; la double personnalité de Léopold II, ici dans un rôle contradictoire, semblable au marionnettiste qui fait jouer le bourreau après la victime innocente avec une voix redoublée, provoquait autant de colère que de sourire.
On espérait cependant le meilleur d'un nouveau cabinet dont le principal représentant avait déclaré à « l'Osservatore Cattolico » de Milan : « Trop des nôtres ne voient que le Roi ; il est temps aussi de penser au Peuple, qui a aussi sa part dans le gouvernement. » Et ces paroles de M. Helleputte étaient considérées comme confirmées, plus tard, par des clins d'œil significatifs et l'air de satisfaction bien nourrie qui ne le quittait guère, et qui ne l’a pas quitté un seul instant depuis la semaine mémorable où il avait accompagné Léopold II à Bruges-Port de Mer et à Gand.
Oui, quelques optimistes attribuaient à l'inflexible courage de ses convictions l’arrêté royal concernant la société du domaine de la Couronne : la perte irrémédiable de la fondation de la couronne était la rançon par laquelle nous avons obtenu le droit de gouverner, aux côtés du Roi, comme il sied à un Etat constitutionnel, qui entreprend le risque de la colonisation à ses propres frais. Nous pensions ainsi obtenir un pouvoir, reconnu par l'ancien ministre Van den Heuvel lui-même, qui, dans son cours de droit public, selon l'un de ses anciens étudiants à Louvain, disait : « L'autorité royale a atteint sa limite ultime dans la société moderne ; il n'est pas permis d'y ajouter quoi que ce soit. » Le prix d'un tel droit : le sixième de l'ensemble du territoire congolais, et la meilleure partie de celui-ci, était élevé.
Nous pensions cependant aux années de fardeau, portées seules par Léopold II - bien qu'on puisse désormais critiquer sa seule gouvernance : le domaine de la Couronne, par exemple, n'avait jamais été soumis à un seul tribunal - et nous étions indulgents. Nous voulions payer cher notre liberté d'action, dans la mesure où elle nous est garantie par la constitution ; savoir que nous participerions à la gouvernance d'une colonie qui exposait notre peuple modeste à de nombreux dangers, dans la mesure de notre responsabilité, pouvait compenser la perte d'une partie du territoire. Le dernier décret du Roi-Souverain pourrait peut-être trouver une compensation dans le projet de loi colonial du gouvernement.
Et que nous apprend ce projet de loi, distribué depuis quelques jours ?...
Chez nous, lorsqu'un voleur de poules veut piller un poulailler la nuit, il doit d'abord apprivoiser le chien de garde. Et il a pour cela un moyen excellent : il prend un sabot ou un bloc creux, et entre le cuir et la mâchoire, il fixe un morceau de poumon de bœuf rôti. Le préparatif est jeté au chien. Ce dernier, attiré par l'odeur de la viande, s'efforce de tirer la friandise de l'étroit espace du sabot, puis de la déchirer en morceaux digestes... Et pendant ce temps, le voleur gagne du temps...
M. Helleputte est ministre suppléant de l'agriculture, et connaît peut-être, à ce titre, les pratiques des voleurs de poules d'Orient. Sinon, il est assez malin, avec ses collègues ministres, pour l'apprendre. Car ce projet de loi est comme un poumon de bœuf pris entre le cuir et le sabot, et nous sommes le chien de garde dupé.
Déclarons tout de suite, avec enthousiasme, que le poumon de bœuf offert sent bon : le projet gouvernemental laisse à nos représentants du peuple le droit complet de questionner sur tout ce qui concerne la gestion coloniale. Le ministre de Smet de Naeyer avait décrété : vous ne pourrez interroger le ministre des colonies qu'une fois par an. Le ministre de Smet est maintenant en tort ; et s'il devient ministre des colonies - ce qui n'est pas impossible, - il devra répondre à chaque fois, chaque mardi, selon le désir des interrogateurs curieux, tout comme son collègue des chemins de fer sur la température des tuyaux de chauffage en hiver, et celui de la justice sur la coupe des moustaches et des barbes des officiers de justice.
Mais jusqu'où s'étend ce droit d'interpellation, c'est une autre question. Car écoutez les résolutions suivantes :
\1. Le pouvoir exécutif - c'est-à-dire le Roi seul - décide de la conclusion de prêts et de l'octroi de concessions. Une telle décision doit être signée par tous les ministres, mais... la Chambre ne connaîtra l’arrêté qu'après sa publication. Premier obstacle à l'ingérence parlementaire, sauf après un fait accompli et irréversible.
\2. Le Conseil colonial, composé de neuf membres, est exclusivement nommé par le Roi... La conscience et le sens de la justice de ces membres du conseil sont certainement hors de doute. Personne ne doutera de leur indépendance. Dommage qu'ils ne puissent être nommés parmi les membres du Parlement - ce qui, en termes de liens entre la métropole et la colonie, aurait pu être utile ; que le Roi puisse les révoquer de leur mandat ; et qu'ils délibéreront sous la direction du ministre des colonies : des moyens, on le reconnaît, qui entravent la liberté et le jugement.
Voici les principales nouveautés apportées par le projet de loi du gouvernement à l'ancien projet royal. Elles nous conduisent à la conclusion suivante :
La Chambre a le droit d'interpeller le ministre des colonies ; elle peut même refuser d'accepter son budget. Mais, même blâmé par la Chambre, tout arrêté colonial reste un fait inéluctable : prêts et concessions se font, malgré sa colère et ses objections, sans elle. Le budget colonial reste hors du vote de la Chambre. Tout : législation, administration, jusqu'à la magistrature, est entre les mains du Roi et des neuf conseillers, qu'il dirige et... brise, s'ils ne sont pas dociles...
Oui, nous allons manger du poumon de bœuf. Il sent bon, même si - nous le savons à l'avance - il est coriace. Mais le voleur de poules, qui est malin, a bien fixé le cuir au sabot. Tirez donc, dents belges, attirées par l'odeur : vous arriverez trop tard, si vous vous pensiez appelées à plus que... renifler...
Mais que dira la Chambre le mois prochain ?
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 29 septembre 1907)
Bruxelles, 27 septembre 1907
Le projet de loi coloniale, récemment dévoilé par le gouvernement et dont j'ai souligné il y a quelques jours la ruse trop évidente, a placé nos ministres dans une situation peu enviable. Le pays n'est pas satisfait ; la presse n'est pas satisfaite ; la commission des XVII n'est pas satisfaite ; - et il est à craindre que les ministres eux-mêmes ne restent pas longtemps satisfaits, sans parler du Roi qui, depuis longtemps déjà, n'est plus satisfait de son peuple, et en fournit des preuves abondantes.
Pauvre gouvernement ! Son sort n'est vraiment pas enviable. Un précédent cabinet se déclare vaincu lorsqu'il voit l'absolutisme tout-puissant lutter inutilement contre une Chambre qui veut respecter la volonté populaire et préserver sa propre dignité ; un nouveau cabinet, où l'un des premiers et des plus ardents défenseurs des droits nationaux doit représenter l'opposition congolaise, subit cependant une telle pression de la part de son souverain qu'il se trouve placé dans des circonstances inextricables, tel Oedipe face au Sphinx, confronté au dilemme inévitable : se plier à la volonté supérieure, ou... éclater.
Éclater est une activité désagréable ; les intérêts personnels d'amis indispensables viennent ajouter à la pression ; il faut, par ailleurs, annexer, sinon la perte de la future colonie hantera éternellement leur conscience et souillera leur nom. Alors, autant obéir au roi souverain et subir l'opprobre de la génération actuelle pour peut-être, plus tard, recevoir la couronne du martyr sur la tête et bénéficier de l'hommage et de l'estime des descendants à perpétuité.
Mais d'un autre côté, il y a encore le Parlement ; et comment M. Helleputte pourrait-il oublier qu'il a été le défenseur le plus obstiné de ses droits et de ses revendications ? Comment son honnêteté pourrait-elle braver tout remords et brûler ce que son esprit a adoré ? Comment pourrait-il avaler ses propres paroles comme du pain sec et indigeste, comme un pain de seigle aigri qui pèserait lourdement sur son estomac : « tout pouvoir émane du peuple ; le Roi gouverne par la volonté du peuple, et le peuple a autant de droit que lui dans le gouvernement »....
La nécessité de naviguer et de manœuvrer ! Être responsable envers le souverain autant qu'envers le peuple ! Pauvre gouvernement qui devait satisfaire tout le monde et qui n'avait que cet inconvénient : promettre de satisfaire tout le monde !
En tant que chroniqueur fidèle de notre histoire coloniale, je me dois de vous faire part des péripéties du présent projet de loi. Son histoire est édifiante et lucrative. Mais vers quelle fin elle conduit reste pour le moment un mystère. Nous sommes entre deux écueils ; ni le Parlement ni le Roi ne veulent céder. La volonté populaire semble gagner du terrain ; le gouvernement voit ses partisans devenir de jour en jour plus rares. Deux amis du Congo, l'ancien ministre libéral Graux et le sénateur libéral Wiener, avaient été sollicités par le Roi en tant que partisans, le premier en tant que représentant belge dans la grande et comique commission, où des délégués du Roi des Belges devaient négocier avec des délégués du Souverain du Congo État libre sur des points litigieux, le second en tant qu'administrateur de la nouvelle société du domaine royal. Lorsqu'ils ont appris ce qui était attendu d'eux, ils ont refusé de répondre à l'invitation flatteuse. D'autre part, on a vu un autre pro-Congo, et parmi les plus obstinés : le député Huysmans, voter avec les opposants au sein de la commission des XVII sur un point qui visait à réduire le pouvoir du Roi dans la future colonie...
Tout cela n'est ni agréable ni encourageant pour Léopold II. Mais ceux qui connaissent l'entêtement royal ne craignent pas qu'il cède pour si peu. Le roi libre et absolu de l'État indépendant du Congo préfère conserver des droits aussi grands et illimités en tant que roi constitutionnel de la colonie du Congo. Le pays reprenant toutes les obligations ; celui qui est responsable de toutes les responsabilités ; le pays qui, avec un système militaire insuffisant, sans marine marchande, encore moins de flotte de guerre, peut s'opposer aux désirs indéniables de mains beaucoup plus puissantes ; la Belgique, qui tient néanmoins à conserver ce qu'elle a conquis avec du sang belge et de l'argent belge, et qui souhaite voir préservés tant de capitaux qui ne rapportent déjà aucun bénéfice et qui seraient inévitablement perdus en cas de non-reprise ; la Belgique, les meilleurs esprits de Belgique, même dans l'entourage du roi, ne veulent pas donner suite aux exigences royales ; surtout et encore moins après ce signe de méfiance : la transformation définitivement perdue du domaine royal en société, et après cet acte peu scrupuleux : l'appropriation à titre personnel de la première mine d'or que l'on savait réellement rentable. Et le refus se manifeste dans la presse et dans la Commission des XVII, où, avant-hier, elles ont commencé à discuter du projet de loi ministériel...
Vous savez que, l'année dernière, lorsque la question a été débattue à la Chambre, Paul Janson a accusé sans ambages une partie de la presse d'être achetée par l'État indépendant. Nous nous attendions à une forte protestation : bien qu'elle ne soit pas intellectuellement élevée (nous parlons du niveau moyen), nous la jugions quand même honnête et libre. La protestation n'est pas venue ; l'attaque de Paul Janson est restée presque passée sous silence dans certains journaux ; et récemment, un journal a avoué qu'il s'était effectivement laissé... récompenser par l'État du Congo pour son zèle, avec la bagatelle mensuelle de cinq cents francs.
De telles publications ont alors naturellement préféré, sans commentaire, mais aussi - et c'est pire - sans approbation ni encouragement, simplement imprimer les amendements gouvernementaux.
Quant à l'autre presse, qui ne reçoit pas cinq cents francs par mois, ou qui les a refusés, et qui, quelle que soit son appartenance politique, sait être très virulente et aller droit au but, même si on peut lui reprocher de négliger un peu trop la reconstruction lorsqu'elle démolit, - je veux dire qu'elle accorde très peu d'importance aux moyens de conciliation amiable, pourtant inévitables et très souhaitables, - cette presse : « La Dernière Heure » comme « Le Patriote », « Le Peuple » comme « La Gazette », sans parler des journaux provinciaux et de la revue spécialisée « Le Mouvement Géographique », excellente et impartiale dans ses informations sur le Congo ; cette presse critique sévèrement le projet de loi gouvernemental et renforce de plus en plus l'opinion publique naissante, qui adopte incontestablement une position sans équivoque.
Je ne vais pas vous ennuyer avec des extraits. Les arguments peuvent être résumés en ces termes : l'État indépendant du Congo, agissant à sa guise, sous une autocratie illimitée, resterait en place, à une différence près, à savoir que la Belgique assumerait toutes les responsabilités ; la Belgique serait responsable devant les puissances européennes pour le Congo, mais le Congo gouvernerait lui-même sans ingérence belge. De plus, la Chambre belge ne serait même pas autorisée à voter sur le budget colonial, et elle n'aurait aucun pouvoir ni aucune influence sur les nominations du Conseil colonial, qui dépendrait uniquement du roi. Et en ce qui concerne le pouvoir d'enquête : il ne pourrait être exercé que sur des faits depuis longtemps accomplis et irrévocables.
Le Parlement est donc totalement impuissant ; le peuple est mis sous camisole de force. Mais il va de soi qu'il est responsable de ce qu'il connaît de près ou de loin.... Même la garantie, découlant du fait qu'aucun territoire ne pourra être cédé et aucune emprunt contracté sans décision du conseil des ministres tout entier, est faible pour la Belgique ; elle attribue à quelques-uns ce qui appartient à toute la nation, et encore une fois ; elle ne peut être discutée que lorsqu'elle est devenue une réalité irrévocable. La probabilité de ministres honnêtes, placés comme ils le sont entre le roi et le peuple, est bien sûr élevée. Cette honnêteté peut même être considérée comme un postulat. Cependant, le fait que le moindre désaccord entre le roi et un ministère récalcitrant puisse entraîner la dissolution du gouvernement est déjà une première pression, exercée involontairement sur la bonne volonté. Et le fait qu'un ministère ait généralement la majorité à la Chambre donne des atouts à une politique arbitraire. Une démission, même signée à contre-cœur par les ministres unis, peut être approuvée par un parti discipliné, qui constitue la majorité, et ainsi approuver la volonté du roi, alors que tout le pays sait que la démission était préjudiciable ou dangereuse. C'est, dans une logique graduelle, une victoire de l'autocratie sur le gouvernement populaire, sur le parlementarisme. - Et ainsi nous voyons toutes les garanties, apparemment fournies par le projet de loi, annuler elles-mêmes ce qu'elles étaient censées viser...
Ce n'est pas seulement la presse, mais aussi la Commission des XVII qui a rapidement commencé à protester ; et c'est M. Beernaert qui a osé sonner l'alarme.
Monsieur Beernaert est depuis longtemps un ennemi intime du roi Léopold. Ils osent ouvertement diverger d'opinion. Ni le Roi, qui reconnaît la grande autorité de Monsieur Beernaert, ni Monsieur Beernaert, qui reconnaît le puissant intellect du Roi, ne sont prêts à faire des compromis. Comme vous le savez mieux que moi, Monsieur Beernaert l'a récemment prouvé lors de la conférence de paix. Et maintenant, avec la même obstination silencieuse qui lui est propre.
La commission s'est donc réunie. Dès le début, la question a été posée par Monsieur Beernaert : le Cabinet était-il au courant du décret escamotant le Domaine royal ? Bien sûr, l'autre ennemi intime, Monsieur Woeste, a fait de la résistance, proposant de reporter la question. Mais lors du vote, le report a été rejeté, et le plus beau : le président Schollaert a voté avec Monsieur Beernaert.
Ensuite, on passe à l'examen du projet de loi. Au deuxième article, qui stipule que le pouvoir législatif est « exercé » par le Roi, de nouvelles protestations émergent. Et cette fois, même Monsieur Huysmans adopte une nouvelle lecture acceptée, selon laquelle le pouvoir législatif est « accordé » au Roi : une nuance qui implique une limitation du pouvoir royal, car elle suppose une éventuelle modification de la loi coloniale par la Chambre, mais qui est pratiquement insignifiante, car le Roi est toujours libre de refuser sa signature. Le fait que la commission ait adopté la nouvelle lecture, qui est néanmoins limitative dans l'esprit, est symptomatique...
Ensuite, on en vient au fameux article 8, qui soustrait le budget des colonies à la Chambre.
Ça a dû chauffer ! Et apparemment, on est loin d'être d'accord... Tout cela promet des moments peu agréables pour le Roi, et met le pays dans une attente anxieuse. Comment cela va-t-il se terminer ? Et quelle sera la réaction habituelle de la Chambre belge lorsque le débat commencera devant le Parlement ?