(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
Le long chemin de la progression graduelle (9) - Le roi à la maison (10) - Nouveaux balais (16) - Délégués belges à la conférence de paix de La Haye (21) - Le Roi, le Congo et la session parlementaire (23)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 novembre 1907)
Bruxelles, 6 novembre 1907
Le « festina lente », qui a permis à la tortue de battre le lièvre, fait que la commission coloniale des XVII, - malgré, ou plutôt grâce à une lenteur qui est critiquée mais qui ne pourrait avoir pour seul mauvais effet que de ne pas faire venir très rapidement le projet Congo devant la Chambre, - la commission des XVII va, lentement mais sûrement, accomplir un travail qui va en s’améliorant. Le long chemin de cette progression graduelle permet à l'opposition de gagner du terrain sur ceux qui ont trop négligé les intérêts du pays pour les « solennels souhaits du Roi ». C'est un recul pas à pas, une concession pouce par pouce ; même si je crains maintenant aussi que le projet de loi ne soit pas adopté à l'unanimité avant d'être présenté à la Chambre ; je sais que, entre autres, le domaine royal est pour le moment une difficulté non résolue : ce qui est certain, c'est que le travail, le travail paisible et judicieux des membres de la commission, nous épargnera beaucoup de querelles inutiles, beaucoup de vantardises vaines, avec des résultats bien meilleurs, reposant sur des raisons très solides.
Non pas que toutes ses décisions doivent être acceptées comme parole évangélique. Un journal bruxellois l'a encore dit cette semaine. Vous savez que, dans l'esprit du projet gouvernemental, et accepté par la majorité en commission, notre future colonie devait être gouvernée par arrêtés royaux. Or, la constitution révisée en 1893 stipule que les éventuelles colonies belges seront gouvernées par des lois spéciales, et dans les commentaires suscités par la discussion de la révision, ce sont surtout des membres ou des amis du gouvernement actuel qui ont défendu le droit de la Chambre, la chambre législative, sans laquelle il n'y a pas de loi, dans les affaires coloniales. Ainsi, le ministre de Smet de Naeyer a déclaré : « C'est pour éviter toute contestation possible que la Constitution doit garantir à la loi la gestion de tout ce qui pourrait concerner un régime colonial. » Et M. Schollaert : « Il est certain que les colonies seront régies par des lois différentes de celles de la Belgique, et que des lois spéciales pourront y être appliquées. » Et M. Heynen, au nom de la commission de révision : « Les colonies ou possessions d'outre-mer que la Belgique pourrait acquérir seront gouvernées par des lois spéciales. »
On le voit : Plus royaliste que le Roi. En effet, peu de personnes dans la commission coloniale oseraient aujourd'hui aller aussi loin que ces messieurs gouvernementaux l'ont fait en 1893... Quant au changement, Virgile et mon professeur de poésie auraient dit : « Quantum mutati. » Quel changement, quelle déformation de la conscience parlementaire !... Certainement, des circonstances plus précises, une compréhension plus profonde des situations peuvent modifier la forme de ce que l'on considérait comme vrai. Mais traiter l'esprit de cette vérité, dans une question aussi bien définie que le principe d'une loi coloniale, de sorte qu'il devienne le contraire de ce qu'il était ; trouver aujourd'hui que les colonies doivent être gouvernées par des lois émanant du Parlement, et demain trouver que seul dans les arrêtés, exclusivement du roi et de l'un de ses ministres, sans aucune intervention parlementaire, se trouve le salut : comment appeler cela, comment l'expliquer par un changement des circonstances, sinon par la pression d'intérêts supérieurs et personnels ?
Mais je vous l'ai déjà souligné à plusieurs reprises : le droit finira par l'emporter. De plus en plus de terrain est gagné ; et lors des deux dernières séances de la commission coloniale, des sujets très importants ont été traités dans ce sens. Ils concernent principalement le système judiciaire et le conseil colonial.
Ainsi, le gouvernement avait proposé que « le roi puisse, pour des raisons de sécurité publique, interrompre le cours de la justice sur un territoire donné. » Le gouvernement lui-même a réalisé que son texte confirmerait trop un acte d'autocratie. Il s'est donc rallié à la modification proposée par M. Beernaert ; et maintenant, il est dit : « Le roi peut, pour des raisons de sécurité publique, confier l'exercice de la justice répressive à des tribunaux militaires », ce qui correspond à notre « état de siège ».
Là aussi, le gouvernement cède, quand il s'agit de déclarer : « Le roi peut conférer le pouvoir exécutif au gouverneur général » ; et l'assemblée adopte le contraire : « Seule une loi peut accorder l'exercice de droits souverains », tandis qu'une motion de M. Hymans précise l'objet d'une telle loi et en fixe les conditions : « Le roi peut, en cas d'urgence et si le sort de la colonie le requiert, accorder au gouverneur général le droit de suspendre temporairement l'application des arrêtés, règlements et décisions et de prendre lui-même des dispositions qui n'auront de validité que six mois, sauf s'ils sont confirmés par arrêtés. »
La séance d'hier a été entièrement consacrée à la discussion sur la composition du Conseil colonial. Vous savez que le gouvernement avait proposé de confier cette composition et sa suspension au seul Roi. Mais même M. Woeste s'est opposé à une telle mesure. Il a proposé : le Roi nomme six membres, la Chambre en nomme deux et le Sénat également deux.
Après de longs débats et disputes sur autant de systèmes de nomination qu'il y a de membres de la commission, on a pris la décision... de ne pas encore prendre de décision. Mais il n'en est pas moins symptomatique de voir reconnaître universellement que le rôle du Conseil colonial est de contrôler le gouvernement royal au Congo ; tandis que rien n'est plus amusant que d'examiner la confusion de M. Woeste, qui adhère successivement à tous les systèmes pour ensuite s'en détacher rapidement... S'apercevrait-il de la fragilité du projet de loi de ses amis du gouvernement ? Tant mieux ! C'est chez M. Woeste le début de la sagesse quand il se rend compte qu'il est seul !
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 novembre 1907)
Bruxelles, 8 novembre 1907
Ne craignez pas que je commette le sacrilège de comparer Leopold II à un vulgaire citoyen, tenu par la loi de posséder un domicile fixe. Quand j'écris : « le Roi à la maison », ce n'est pas une indication que je lui refuserai le droit de se sentir chez lui aussi bien dans la villa du Cap-Ferrat, qu'il a humblement baptisée « Passable », que dans le palais de Bruxelles encore en cours de rénovation, ou dans le parc de Laeken avec toutes ses dépendances. Le roi est un grand voyageur, et pour les grands voyageurs, s'applique le cicéronien « Ubi bene, ibi patria ». Et ici, je dois faire une restriction : je ne veux en aucun cas reprocher à Leopold II de chercher parfois sa « patria » au-delà des frontières : comme cela se passe actuellement en Belgique, je comprends très bien que le Roi ne trouve guère son compte ici, et que sa perpétuelle jeunesse lui permette d'entreprendre d'autres voyages instructifs que des sorties à la mer, une visite au Musée d'Anvers, ou un voyage jusqu'à la Grotte de Han : les seules curiosités de notre patrie. Le Roi, qui peut dire à M. Beernaert, son intime ennemi : « Mon cœur ne peut se résoudre à vieillir », et : « Être malade est une erreur ; je ne mourrai que par inadvertance »; le Roi, qui possède encore toute la vigueur, tout le dynamisme, tout le panache de notre troisième Grand Vieillard : le citoyen Edmond Picard, qui porte ses soixante-dix ans avec plus de vigueur que nombre de jeunes hommes leurs « deux petites croix », comme disent nos paysans ; je ne peux que trop admirer Leopold II, dans toute sa grandiose obstination, - même si je regrette que cette obstination soit parfois préjudiciable à la Belgique, - pour ne pas trouver tout à fait naturel qu'il cherche à l'extérieur, je veux dire : en dehors de cette Belgique qui n'est pour lui qu'un grand entrepôt, un peu de plaisir et de distraction, un air un peu plus pur, et qu'il aille, dans des contrées qui lui plaisent mieux que la plaine monotone flamande, les collines banales du Brabant, la suie des vilaines régions minières et les arbustes des Ardennes, se construire un petit nid, chercher un « chez soi », « où il pourrait dormir en paix et être libre ».
Ainsi, lorsque je dis : « Le Roi à la maison », cela n'implique aucun reproche, pas plus que cela ne serait ironique. Je le dis avec simplicité, et avec la joie intime d'un enfant qui voit son père rentrer le samedi soir après une semaine de travail loin de la maison et se précipite pour le prendre dans ses bras...
Nous l'avons donc de nouveau parmi nous, à Bruxelles. Et pour que tout le monde le sache, il a, lui qui préfère habituellement l'anonymat d'une automobile, revêtu son grand uniforme de général en chef ; à son grand maréchal de la cour, il aurait dit : « D'Oultremont, faites de votre mieux : nous allons éblouir les foules » ; il a fait atteler son plus beau carrosse de cour « à la Daumont » ; et... un quart d'heure plus tard, il roulait triomphalement, par l'Avenue Louise, vers la Forêt de Soignes ; et les passants se demandaient ce qui se passait ; si l'ouverture de l'exposition universelle de 1910 avait été avancée peut-être ; ou si le Roi commençait à vieillir, renonçant aux voyages et délaissant les pompes modernes de l'automobile au profit de la vieille carrosserie dorée du carrosse royal ?... Pendant ce temps, Leopold II riait sous cape, et murmura à l'oreille de d'Oultremont : « Voyez-vous comme ils sont épatés ? » Et hier, il est reparti dans le même appareil ; et entre-temps, il a fait appeler le ministre de Trooz, pour discuter un peu avec lui. Et maintenant, tout le monde le sait : le roi n'était pas venu nous rendre visite en passant, pour voir comment se portait le palais, ou quel aspect avait la Forêt de Soignes en automne : il était venu en vrai roi, pour discuter et régler les affaires du pays avec le chef du gouvernement en des circonstances très difficiles ; et pour que tout le monde le sache, il s'était montré dans toute la solennité imposante qui convient à un souverain régnant et puissant.
Le roi a donc parlé avec le ministre de Trooz. Ce qu'ils se sont dit entre eux, je ne peux évidemment pas le répéter mot pour mot : je n'étais pas là. Mais notre servante a une nièce, dont la fille fréquente un valet de chambre royal. Et par ce canal, j'ai appris certaines choses que je vous rapporte, bien entendu avec toutes les réserves nécessaires, car je n'ai rien entendu de mes propres oreilles. M. de Trooz, dont la voix, comme celle d'une trompette de jouet, s'infiltre très facilement par les trous de serrure, aurait parlé de la manière suivante :
Monsieur de Trooz, dont la voix, qui résonne comme celle d'une petite trompette d'enfant, pénètre très facilement par les trous de serrure, aurait dû parler en ces termes :
« Sire, ça ne va pas bien ; ça ne va vraiment pas bien du tout. Notre ennemi Beernaert ne fait rien d'autre que de se réjouir en se frottant les mains. Il est tellement content qu'il a offert un banquet aux membres de la commission belgo-hollandaise, où, Sire, vos banquets paraîtraient bien modestes en comparaison. Et les vins ! Moi, de Trooz, qui ai mon mot à dire là-dessus, je n'en bois pas deux fois par an. Et à l'un des Hollandais, qui lui demandait des nouvelles des travaux de la XVIIe, il a répondu : « Ça va très bien, merci. » - Et ces travaux, Sire ! Les suivez-vous ? Moi-même, je ne les dirige pas, voyez-vous ; ce n'est pas moi qui vous pousse petit à petit dans le coin ; je suis simplement heureux de ne pas être dans cette XVIIe, car je ne voudrais pas avoir cela sur la conscience : tous ces droits à la nation et pour vous, presque rien de plus que le domaine royal et les mines de charbon...
« Le domaine royal ! Avez-vous vu qu'ils commencent à s'en mêler à l'étranger aussi ? La « Frankfurter Zeitung » par exemple. Elle ose dire franchement : le but des hommes politiques belges doit être de contrecarrer l'activité de la société que vous avez fondée autour du lac Léopold II, et de conserver le domaine royal pour l'État du Congo. Et c'est, dit-il, aussi dans l'intérêt de l'Allemagne, qui a intérêt à voir le Congo annexé, mais uniquement dans les meilleures conditions pour la Belgique.... Ne dirait-on pas que ces gens ont plus confiance dans la Nation que dans vous, Sire ? Il est absolument nécessaire, dit la « Frankfurter Zeitung », que vous vous soumettiez à la volonté de vos ennemis de la commission coloniale ; car si vous rendez impossible pour la Belgique de prendre le contrôle du Congo, - en restant attaché, par exemple, au domaine royal, - cela pourrait avoir les conséquences les plus néfastes : l'hégémonie anglaise en Afrique confirmée par une nouvelle colonie franco-anglaise : le Congo, que la France a le droit de préemption, mais qu'elle partagerait amicalement avec l'Angleterre.... Cela serait désagréable pour l'Allemagne, semble-t-il.
« Et l'Angleterre semble également ne pas apprécier que le Congo reste sous un régime absolutiste. Les puissances qui ont signé l'Acte de Berlin attendent plus pour les populations indigènes d'un gouvernement populaire et ouvert en plein jour que ce qu'elles n'osent espérer de vous, Sire. Que pensez-vous de cette prétention ? N'est-ce pas suffocant ? Étouffez-vous, Sire ? »
Mais Sire ne s'étouffait pas, restant à sourire de manière ambiguë. Après un moment, le ministre de Trooz continua :
« Et dans le pays, ça ne va pas mieux. Woeste, notre ami Woeste, qui avait déjà pris les devants, n'a actuellement plus d'énergie qu'un mollusque que je ne nommerai pas. Il fricote presque avec l'ennemi. Lui, qui avait promis solennellement de soutenir la merveilleuse proposition que vous avez bien voulu nous soumettre, nous, humbles et reconnaissants ministres de Votre Majesté, il laisse notre projet de loi être piétiné, et il est sur le point de le transformer en tapis pour sa propre bamboche.... Et pire encore : dans le ministère lui-même, ce n'est pas la tranquillité. Quelqu'un voulait s'en aller. D'autres nous rendent ridicules. Je ne demande pas mieux que de rester aussi longtemps que possible, vous le savez, Sire ; cela ne sera donc pas ma faute, si une crise imminente... »
À ce moment, Léopold II sortit de son impassibilité royale :
« Une crise, une crise ! Mais êtes-vous fou, de Trooz ? Auriez-vous envie de me clouer de nouveau sur mon trône belge pendant trois semaines, sans même une escapade sur la Riviera, comme en avril ? »
... Sur ce, semble-t-il, la conversation a pris fin...
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 novembre 1907)
Brussel, 13 novembre 1907
Nous avons donc une fois de plus contribué à ouvrir la session parlementaire pour 1907-08. Par un temps très agréable, nos députés et sénateurs se sont réunis à nouveau pour quelques mois, dans le but de se distraire ou de s'occuper agréablement, sous prétexte de servir l'État, ses institutions et ses nécessités... Et à la Chambre - je n'étais pas présent au Sénat, faute du don d'omniprésence - la séance d'ouverture a été plutôt faible, et je ne vous la décrirais certainement pas si un mot, ici et là, n'avait pas été prononcé de manière très officielle et revêtant une importance particulière pour le pays et son avenir.
Je ne m'étendrais donc pas sur le fait que le président Schollaert n'a été reconduit à la tête de l'assemblée que par une faible majorité. On semble oublier que M. Schollaert a souvent fait preuve de beaucoup de prudence, d'autorité et, dans la plupart des cas, d'une véritable impartialité en tant que président, pour se rappeler que son attitude lors du deuxième vote sur la loi minière et lors de son retrait suite au arrêté royal entraînant la démission du ministère, n'était peut-être pas entièrement justifiable, même si M. Schollaert plaidait dans les deux cas la méprise et la surprise. Quoi qu'il en soit, la gauche s'est largement abstenue lors de sa réélection en tant que président.
Pourtant, le président réélu a précisément concocté une sauce pour les adversaires les plus farouches de la politique gouvernementale - dont on lui reprochait, par son abstention de vote, d'être un partisan trop attaché -, une sauce dont ils se lèchent encore les doigts, même s'ils pensent devoir dissimuler leur satisfaction derrière le prétendu « bien balayer avec de nouveaux balais ». Oui, le discours d'ouverture, le discours officiel de M. Schollaert, ressemblant presque à un discours du trône, contient, prononcées avec force, des paroles qui ont certainement été bien accueillies tant par le camarade Vandervelde que par M. Beernaert, tant par Hymans que par Janson. Est-ce le prélude à la « grande nouvelle » que l'on nous promet depuis quelques jours, dont certains journaux font état et dont je parlerai plus tard ?... Mais permettez-moi de commencer dès le début.
Il y a quelques semaines déjà, on disait : « La reprise de l'État indépendant du Congo ne sera pas discutée lors de cette session. Cependant, le traité de reprise est globalement prêt, mais il y a encore quelques obstacles qui retardent sa présentation. »
J'ai cherché des informations, et voici ce que j'ai découvert : Nous pouvons considérer le traité comme prêt, mais il ne sera certainement pas discuté très rapidement, car... Entre-temps, Léopold II s’est rendu officiellement à Bruxelles. Il a conféré avec le ministre de Trooz. Il semble qu'il ait secrètement convoqué d'autres personnes. Il occupe même le Palais de Bruxelles, comme s'il y restait pour une longue période... Et la Chambre est ouverte, et le président réélu Schollaert, ami et collaborateur du ministère qui a présenté le projet de loi autocratique, médiateur entre le Roi et le ministère lorsqu'il s'est agi de former un nouveau gouvernement, laisse solennellement échapper les paroles prophétiques suivantes avec force de sa bouche.
« Bientôt, vous devrez, avec une totale indépendance, sans autre préoccupation que le bien-être de notre patrie, examiner la question sérieuse des conditions de reprise du Congo. Notre Roi a ouvert de nouveaux horizons au pays. Nous aborderons avec une énergie sans préjugés, avec la conscience de notre droit, avec le sentiment de notre honneur national, le problème le plus important auquel la législation belge ait jamais été soumise... Ensemble et d'un commun accord, conscients uniquement de notre qualité de Belges, nous rechercherons la solution la plus avantageuse pour le développement du bien-être moral et matériel des autochtones, ainsi que pour l'accroissement de notre prospérité nationale. »
Un tel discours inattendu ne manquait pas de susciter l'étonnement. Ne donnait-il pas satisfaction même aux critiques anglais concernant les mauvais traitements infligés aux Noirs ? Ne parlait-il pas de l'annexion comme d'un fait accompli, étant donné que, en ignorant la formalité de la reprise, des mesures d'aménagement étaient déjà évoquées ?
Certains disaient : « Nouveaux balais... » - Mais ce serait méconnaître grandement la prudence de monsieur Schollaert que de le croire capable d'une telle supercherie et de brouiller les pistes, au moment où nous allons être confrontés à une terrible question d’existence, au moment où le Roi lui-même séjourne dans le pays, et où l'assertion du président Schollaert ne sera certainement pas passée inaperçue... Imprudence ? Non. - Fourberie ? Mais les mots sont si expressifs, les expressions si choisies, si précises et si sans équivoque, que le premier trompé ici serait certainement le président Schollaert, s'il s'avérait qu'il avait voulu tromper le Parlement !
Il ne restait qu'une seule explication : renoncement, de la part du Roi, aux droits qui lui étaient les plus chers... Et en effet, il était rapporté que Léopold II cherchait à se débarrasser de toutes ses possessions congolaises ; il en avait soudain assez ; il punirait l'ingratitude de son pays par son indifférence, en retirant sa main du Congo, il retirait sa main de la Belgique.
Et il y avait plus : lui, le Roi, renoncerait au Domaine de la Couronne... C'était déjà trop incroyable pour être vrai. Il y avait plusieurs interprétations de la nouvelle. Vous en avez partagé une : le Roi conserverait le domaine de la Couronne, mais paierait un certain pourcentage à la Belgique sur le produit du caoutchouc. Une autre interprétation allait encore plus loin : le Roi abandonnerait en quelque sorte son intérêt dans le domaine de la Couronne, en confiant son exploitation à l'État ; l'État garderait 3,50 francs par kilogramme de caoutchouc ; le reste appartiendrait au Roi ; le traité ne serait signé que pour cinq ans, après quoi l'État aurait le droit de le résilier... C'était encore plus beau : ce n'était pas l'État, mais le Roi qui recevrait maintenant 3,50 francs par kilo de caoutchouc ; la plus grande partie, quant à elle, reviendrait à la Belgique ; Léopold II laisserait en outre entièrement la gestion du domaine de la Couronne à la discrétion de la Belgique, et renoncerait même à tous les droits souverains sur le Congo... Et enfin l'apothéose : il aurait été proposé au Roi de céder entièrement le domaine de la Couronne à la Belgique, moyennant une nouvelle liste civile de 3,5 % sur son rendement...
Que croire de tout cela ?... J'ai parlé hier à des politiciens très sérieux, qui m'ont répondu : « Qui sait ? Le moment, l'évolution des événements, l'opinion publique, tout semble défavorable aux exigences du Roi. Il ne fait aucun doute qu'une solution satisfaisante doit être trouvée. Est-ce que la forme quadruple de cette nouvelle est le présage d'un arrangement, tel qu'il peut également être prédit par les paroles masculines et résolues de monsieur Schollaert ?... Attendons jusqu'en janvier ; alors nous saurons certainement où cela nous mène. »
D'autre part, un « Congophobe » m'a dit : « Toutes ces nouvelles : des sornettes et des balivernes. Nous voulons être absolument maîtres dans notre colonie. Aucune demi-mesure n'est concevable ici ; des arrangements à l'amiable ne sont pas envisageables, sauf par nous. À droite comme à gauche, l'opposition est d'avis qu'il ne peut être question de reprise si tous les droits de la métropole ne sont pas préservés et respectés. C'est la ligne de conduite que nous ne choisissons pas de dévier. La question est suffisamment sérieuse pour être traitée sérieusement et strictement. Nous avons tout le temps, et nos adversaires devront bien admettre que notre cause est trop bonne pour que nous ne l'emportions pas. »
C'est ainsi que se présente la question du Congo au début d'une session qui décidera de notre avenir en tant que puissance coloniale. Les paroles présidentielles étaient pleines de promesses. Que prédisent ces promesses ? Les rumeurs sont si inattendues et si étranges, la manière dont elles sont accueillies si méfiante, le tout si incertain et si précipité, que cela ne me viendrait certainement pas à l'esprit de le prédire. Attendons donc - et en attendant, pour passer le temps agréablement, partageons ce qui se dit parmi les gens....
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 novembre 1907)
Bruxelles, 19 novembre 1907
On ne manquera pas de vous informer que, après une « fausse entrée » de la semaine dernière, c'est seulement aujourd'hui que la Chambre a finalement tenu sa « grande première ». Les députés, pas encore débarrassés de leurs habitudes de vacances, s'étaient accordé une semaine supplémentaire de congé dès le premier jour de la session. Ce n'était rien de plus qu'une mesure pour mesurer la hauteur du soleil, tâter le sol, respirer l'air pour se prémunir ou se rassurer contre les dangers de la politique. Tel Antée, les membres de la Chambre étaient venus voir si le terrain allait céder, s'ils allaient rebondir après la chute. L'expérience a dû être satisfaisante : cet après-midi sur le terrain politique élastique, Messieurs Vandervelde et Davignon, Woeste et Beernaert, ont dansé la première quadrille parlementaire.
Et ce fut une belle séance d'ouverture. Non pas que les quatre partenaires soient d'une force égale : le camarade Vandervelde est un danseur plus léger que le ministre très correct mais très froid Davignon, et chacun sait que Beernaert sait tourner avec beaucoup plus de grâce et d'élégance que Woeste, qui reste raide sinon contraint, solennel sinon glacial. Nous avons donc apprécié les courbettes et les révérences, et si la danse n'a pas rapporté grand-chose à certains danseurs - Woeste et Davignon, notamment, dont le temps en tant que premiers danseurs est définitivement révolu - et... un peu de vent et de poussière dans la salle, les spectateurs semblaient visiblement amusés ; et, comme je l'ai dit : cela a été un bel échauffement pour l'ouverture...
Vous saurez déjà qu'il s'agissait de l'attitude des délégués de la Belgique lors de la Conférence de La Haye pour la paix. L'un des délégués, M. Beernaert, avait laissé en plan ses collègues, l'ancien ministre Van den Heuvel et notre ambassadeur le baron Guillaume, lors de la question de la cour obligatoire ou de l'arbitrage. Ou plutôt, M. Beernaert avait refusé de donner sa voix et son approbation au gouvernement belge, qui exigeait que ses représentants rejettent l'arbitrage obligatoire aux côtés de l'Allemagne. M. Beernaert avait présenté sa démission, était retourné de La Haye à Bruxelles. Ce n'est que lorsque le gouvernement lui a permis de décliner toute responsabilité dans la question et de maintenir toute liberté de jugement lors du vote, qu'il est retourné à la Conférence et au soixante-quatrième banquet de la paix.
Il y avait donc apparemment eu des désaccords au sein de la délégation belge. Le gouvernement avait en outre imposé une opinion sur l'arbitrage obligatoire qui avait été combattue par l'un de ses délégués, le doyen, celui qui avait le plus d'expérience. Le très curieux Vandervelde voulait en savoir plus à ce sujet, et aujourd'hui il a attaqué le ministre embarrassé des Affaires étrangères, M. Davignon, qui ne pouvait certainement pas être ravi que les vacances se terminent si rapidement...
Et avant même que Schollaert n'ouvre la session, on a vu deux des champions entrer ensemble sur le champ de bataille : le camarade Vandervelde, de plus en plus dégarni, et Beernaert, qui s’agite beaucoup et a l'air contrarié. Vandervelde, secouant les épaules, et G. Helleputte, souriant et zélé, prennent la place de Beernaert. Mais même lui, peut-être allait-il implorer la grâce de Davignon, est rabroué... Maintenant c'est Woeste qui entre, maigre et petit à côté du général Hellebaut, à qui il demande probablement aide et assistance dans un cas d'urgence... Pieter Daens remet une pétition au ministre Renkin. Le ministre Delbeke entre en veston matinal : on peut commencer.
Et l'éloquence de Vandervelde coule comme la lumière de la lune sur un toit de chaume.
C'est bien beau, pense-t-il, la conférence de La Haye. Conférence de paix ? Ah, allez donc, appelez-la plutôt conférence de guerre ! Car que font les quatre commissions ? Elles s'occupent d'arbitrage, de guerre terrestre, de guerre maritime et de réglementation maritime ! Certes, quelques décisions de moindre importance ont été prises. Mais lorsque le Tsar a convoqué la première conférence et qu'il s'agissait de réduire les armements et d'instaurer une cour d'arbitrage obligatoire, n'était-ce pas pour constater que malgré les conférences de paix, les dépenses militaires mondiales passeraient de six à neuf milliards ?
Eh bien, on a exprimé de pieux souhaits, mais d'autre part, on a voté de nouveaux crédits pour les navires cuirassés ; et en ce qui concerne l'arbitrage : où est la Belgique, où Descamps-David, tout comme Beernaert, initialement à la tête du mouvement, voit Descamps, au fur et à mesure qu'il devient chevalier puis baron, terminer en tant que ministre, fléchir et se retourner. Il commence par proposer en 1899 une nouvelle formule qu'on devrait appeler tribunal facultatif-obligatoire. En 1906, sa proposition est écartée à Londres lors du congrès interparlementaire, alors que Beernaert se tient aux côtés de Campbell-Bannerman pour défendre l'arbitrage obligatoire, aussi inconditionnel que possible. L'adhésion générale laissait entrevoir le meilleur pour la conférence de paix. On a également vu immédiatement l'Angleterre proposer avec le Portugal l'arbitrage obligatoire pour toutes les questions juridiques ne touchant pas à l'honneur des nations. L'Allemagne fait des difficultés ; la Belgique, par la voix du baron Guillaume, participe, de sorte que ledit baron, pour sa germanophilie, est immédiatement baptisé Guillaume II. Stead, bien informé, donne la raison : la Belgique n'est rien de plus qu'une colonie du Congo... Beernaert, cependant, ne veut plus participer. Il vient à Bruxelles. Vous connaissez la suite ; nous avons vu ceci : les délégués d'un pays officiellement séparés sur une question fondamentale...
On vote ; cinq pays sont contre la proposition : la Grèce, descendant des héros belliqueux de l'Iliade, l'Autriche-Hongrie qui suit l'Allemagne en raison de la Triple Alliance, l'Allemagne elle-même qui ne veut pas voir sa politique d'expansion contrecarrée, la Suisse pour des raisons peu compréhensibles, enfin la Belgique, « parce que », dit Guillaume II, « l'arbitrage obligatoire n'est pas acceptable lorsqu'il s'agit des intérêts vitaux du pays. »... Malgré cela, la mesure est adoptée avec une écrasante majorité ; mais l'Allemagne proteste, exige l'unanimité des voix ; l'Italie trouve une petite « combinazione » dans laquelle la question est détournée et on parle du « cœur de l'humanité », et cette fois, la Belgique est satisfaite, et le doux Van den Heuvel chante son approbation...
Et quelle est la leçon de tout cela ? Nous voyons les véritables pays libéraux : l'Angleterre, la France, les États-Unis exiger l'arbitrage obligatoire. Et en face ? L'Allemagne militariste, quelques États sans importance, et la Belgique, où aucun parti libéral n'est plus trouvé pour critiquer le gouvernement, la Belgique, qui ne connaît plus que deux partis, un pour et un contre le Congo ; car tout tourne désormais autour de cela, même dans cette question concernant la conférence de paix...
Mais a-t-on oublié la signification morale d'un vote sur une question comme l'arbitrage obligatoire ? A-t-on réfléchi à ce que cela signifie de refuser l'arbitrage obligatoire à un petit pays, impuissant, de surcroît neutre ? Ou le gouvernement est-il soudain devenu si belliqueux, le gouvernement avec son armée de remplaçants et ses casernes dépeuplées ? Non ; mais le Roi des Belges et ses ministres ont subi l'influence du souverain de l'État indépendant du Congo, qui n'aimerait pas voir un arbitre fourrer son nez dans ses affaires congolaises, au cas où des troubles éclateraient, par exemple, avec l'Angleterre... Car quelle autre explication donner ? Que l'Allemagne refuse, c'est regrettable, mais aux yeux de son gouvernement, peut-être nécessaire. Mais la Belgique ? C'est tout simplement ridicule ! - Je demande des comptes sur cette absurdité...
Ainsi va Vandervelde, avec force et insistance, sûr d'une victoire facile d'avance....
Car ce ne serait certainement pas le ministre Davignon qui le convaincrait de son tort. Le ministre Davignon ne le tente même pas. Il garde un visage digne et commence : « Quand le Tsar Nicolas II, en… » On s'attend à ce qu'on lui crie : « Passons le déluge ». Mais même cet effort n'est pas fait. On laisse monsieur Davignon lire tranquillement son rapport : retracer finement l'histoire de la conférence de paix ; déclarer avec conviction que la Belgique y a participé ; boire une gorgée d'eau quand il le faut ; trouver que l'arbitrage obligatoire sur les questions juridiques est impossible car cela pourrait soulever des questions politiques ; trouver que les textes sur lesquels on devait voter étaient obscurs, trop obscurs ; rendre hommage au baron Guillaume ; rendre hommage à monsieur Beernaert ; se rendre hommage à lui-même ; assurer qu'il n'a rien, rien, rien fait d'autre que son devoir...
Et ensuite, dans l'indifférence générale, le ministre Davignon se rassied, heureux d'être débarrassé de ces trente-deux pages de texte de machine à écrire. Mais cette indifférence calme se transforme soudainement en frayeur quand on voit Woeste se lever et commencer : « Quand le Tsar Nicolas II, en... »
Car même monsieur Woeste juge nécessaire de recommencer l'historique de la question. Et voilà : monsieur Woeste est, pour une fois, d'accord avec son compagnon Vandervelde. Non, les conférences de la paix n'ont pas donné ce qu'on en attendait. Pourquoi ? Parce que je n'étais pas là, pense monsieur Woeste, et mon ami Beernaert l'était. Mais monsieur Woeste n'émet pas cette opinion personnelle ; il reste sur le point d'interrogation comme une danseuse sur la pointe des pieds, et n'examine que la position des délégués belges. Et, cela va de soi : Beernaert a tort, et les deux autres ont raison. Car voyez... Et ici, monsieur Woeste commet l'erreur la plus grossière qui soit : il défend l'idée que la Belgique aurait effectivement tort d'accepter l'arbitrage si un différend avec une autre puissance concernant le Congo devait éclater. Il donne ainsi raison à Vandervelde, lorsque celui-ci soupçonnait quelque chose de louche dans les affaires congolaises et disait que la Belgique était désormais à considérer comme une colonie congolaise. Et une fois de plus, monsieur Woeste prouve, dès qu'il sort du cadre étroit de la politique belge, qu'il ne peut rien faire d'autre que radoter et balbutier et mettre ses propres amis dans le pétrin...
Ils ne sont donc apparemment pas satisfaits de lui, ses amis. De Trooz parcourt la salle, ses petites mains sur son ventre, le regardant de temps en temps avec des regards las et désapprobateurs. Verhaegen, rouge comme une dinde, tambourine nerveusement. Les autres, comme convenu, donnent un avant-goût du silence de la tombe lorsque monsieur Woeste a fini de déclamer...
Mais l'attention va renaître comme un dormeur sur qui on aurait versé un seau d'eau, lorsque monsieur Beernaert, mordant et sarcastique, mais avec une certaine compassion bienveillante dans la voix, commence à parler.
Comment ça, les conférences de la paix n'ont jamais rien accompli ? Mais même le parlement belge n'a jamais absorbé autant de travail ! Nous y avons siégé jusqu'à sept heures par jour, Messieurs... - Que l'armement n'ait pas diminué ? Mais l'Angleterre, la puissante Angleterre a fait des propositions en ce sens ; et n'est-ce pas symptomatique ? - Et l'arbitrage obligatoire ? Mais oubliez-vous l'ingérence du droit dans ce qui était jusqu'à présent laissé à la discrétion de chaque peuple ; et estimez-vous cela si mince ?... Certes, nous n'avons pas souhaité qu'une fenêtre soit ouverte, permettant à l'opinion publique de jeter un coup d'œil à l'intérieur. Et c'est ce qui rend monsieur Woeste furieux ; mais cela l'a aussi empêché de voir ce qui a été accompli de grand... - Monsieur Woeste a parlé très légèrement de l'arbitrage. Il pense que je veux soumettre tous les cas possibles à l'arbitrage obligatoire. Mais c'est une erreur ; personne n'ira aussi loin ; chacun reconnaît que lorsque l'honneur de la nation est en jeu, l'arbitrage obligatoire doit se taire. Il y a donc des cas d'ordre politique qui excluent cette obligation. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas exister, que la loi du progrès exige qu'elle existe, surtout là où elle peut exister. Elle existe d'ailleurs dans cent cas, comme, entre autres, depuis 1864 pour les postes. La Belgique trouvait cela très bien à l'époque. Maintenant, en 1907, on vote contre à La Haye...
Que le Congo ait quelque chose à voir avec ce changement d'attitude ? Je ne le crois pas, puisqu'il existe un traité entre l'Angleterre et le Congo qui inclut l'arbitrage.
Que la Belgique aurait été entraînée par l'Allemagne dans cette affaire ? Tout d'abord : la Belgique a exprimé son opinion avant que l'Allemagne ne le fasse. Et puis, quel intérêt la Belgique aurait-elle à rouler dans la farine l'Allemagne ? Il y a peu à espérer de l'aide allemande dans un conflit avec l'Angleterre concernant le Congo...
Je reviendrai sur cette question lorsque le projet de loi relatif à la Convention de La Haye sera discuté. Alors je défendrai l'opinion qui est la mienne, à savoir que les petits pays, comme le nôtre, ont surtout intérêt à ce que les principes de l'arbitrage obligatoire triomphent....
Sous les applaudissements nourris, monsieur Beernaert mit ainsi fin à un débat d'autant plus important pour ceux qui savaient que monsieur Vandervelde avait été entièrement documenté sur la question par monsieur Beernaert. La répartition des rôles en ressortait d'autant mieux dans toute sa subtilité ; le plaisir en était doublé ; la comédie prenait ainsi une signification plus fine...
Et, comme après chaque drame, une farce est habituelle, après ces longs discours, nous avons eu un épilogue plein d'esprit. Vandervelde ne voulait pas déposer de motion de blâme, car il était sûr de la voir rejetée par la majorité cléricale ; il proposait donc simplement de passer à l'ordre du jour. Woeste également, mais pour une raison opposée. De même pour Hymans, auquel Huysmans s'est rallié, car il n'avait pas encore de jugement mûr sur la question. Et donc, on allait se quitter en bons amis, quand Janson a déclaré avec tout ce sarcasme qu'il n'était pas satisfait. Il ne voulait pas passer sous silence « la honte infligée par la Belgique à la conduite du ministre »... On allait donc voter une motion de désapprobation. Mais Beernaert s'est retiré ; tous ceux qui pensaient comme lui dans son parti l'ont suivi, et lors du décompte final, il s'est avéré que sur 166 membres, seuls 64 étaient présents... Et tout s'est donc terminé par « et le loup mangea le petit chaperon rouge » des contes pour enfants....
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 novembre 1907)
Bruxelles, 20 novembre 1907
Ne pensez pas que j'ai écrit ce titre pour vous montrer quelles belles allitérations on peut trouver en néerlandais [n.d.t. : Koning, Kongo en kamerzittijd] : ce sont les circonstances, qui appellent plus à la gravité qu'à la plaisanterie, qui réunissent ces trois mots, indissociables dans la politique belge du jour.
Je vous ai écrit que nous avons eu l'honneur et le plaisir de passer toute une semaine avec le roi Léopold à Bruxelles. Cet honneur et ce plaisir, accrus par le fait que notre Roi semblait prendre plaisir à se faire carrossier dans les rues de sa bonne ville de Bruxelles « à la Daumont », n'étaient pas sans espoir. Les journaux et certaines personnes bien informées n'ont pas manqué de donner forme à cet espoir. Les choses les plus incroyables nous ont été promises, et je n'ai pas manqué de vous en rendre compte. Que cet espoir ait été complètement vain et sans fondement, cela a été contredit par le fait que le roi Léopold avait eu de longues conversations avec le chef de cabinet de Trooz. J'ai été en mesure de vous révéler le secret de ces conversations. Tout le monde savait d'ailleurs que le but de la visite du Roi dans la capitale était de s'informer et de se rassurer sur ce qui se rapporte au Congo. La splendeur de son apparition, si inhabituelle, parmi nous était la meilleure preuve qu'il tenait à affirmer clairement qu'il était venu pour les affaires du pays. Cela allait plus loin : il a été officiellement communiqué que le Roi souffrait de ce que l'on appelle à Anvers le « pootje », à Gand « les bestioles », et à Bruges « les petits problèmes », et ce que l'on appelle en bon néerlandais « la goutte » ; et n'était-ce pas un signe merveilleux de son intention de servir le bien-être du pays, que, malgré une maladie qui l'obligeait impérativement à rester à Paris sous les yeux de son médecin personnel français, le Roi soit venu à Bruxelles pour discuter très sérieusement avec celui qui le remplaçait à la tête du gouvernement, avec le rondouillard, désabusé et audacieux de Trooz?... Ses sujets l'ont constaté et ils ont presque jubilé. Léopold II allait-il enfin murmurer avec Jan Frans Willems : « Mon pays n'est pas trop petit pour moi » ? La maladie l'avait-elle convaincu de la « vanité des vanités » du monde à tel point qu'il avait tourné le dos aux pompeux du Sud, venant apporter à son peuple la joyeuse nouvelle : « soyez heureux dans votre mariage avec le Congo; moi, le père de la mariée, je me contente de la perspective de votre bonheur, sans, comme un véritable beau-père congolais, demander autant de têtes de bétail, autant de mesures de riz et autant de poules vivantes en compensation pour ma fille » ? - Car ces grands enfants de Belges avaient vraiment osé le croire : Léopold II vient vraiment pour y mettre fin; la Chambre va rouvrir; le travail de la Commission des XVII touche à sa fin; le traité de reprise est prêt et nous est promis pour bientôt; le ministère a cédé : il est temps de voter...
Mais vous avez bien deviné : soudain le Roi ressent les petits problèmes attaquer son talon gauche plus violemment que jamais; les bestioles mordent comme après une longue famine; le « pootje », rouge et enflé, menace d'éclater. Il doit retourner auprès de son médecin parisien, et... a visité hier au Grand Palais le « Salon de l'Automobile », assis lui-même dans son teuf-teuf, prouvant ainsi que ses préoccupations concernant la colonie du Congo s'étaient évanouies pour de bon.
Et en effet : le traité de reprise n'est pas déposé à la Chambre; encore une fois on entend dans les coulisses de la Chambre : « Ce ne sera pas pour cette année »; le ministre de Trooz hausse désespérément les épaules devant les députés interrogateurs, et son valet de chambre me fait savoir : « Léopold II a par erreur mis le traité dans sa poche, il doit être maintenant à Paris, qui sait entre quelles mains! »...
Personnellement, je n'ai pas confiance en les valets de chambre. « Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre », dit Voltaire; et moi-même, je ne peux croire que le premier ministre, après avoir cédé à la commission des XVII, ne soit pas autant convaincu de son honnêteté qu'il n'aurait pas défendu les droits et les exigences du pays devant le Roi; je suis convaincu qu'il a lutté pied à pied, soutenu par quelques-uns de ses collègues, contre les concessions faites par le Roi ou plutôt par ses amis auxquels il avait donné permission, concédant du terrain à l'opposition; je mettrais ma main au feu qu'il a dû dire : « Sire, j'ai promis, dans quelques jours, de présenter le traité de reprise avec tous les comptes nécessaires et les papiers; il a été, selon ma conscience, rédigé pour votre bien autant que pour celui du peuple, par les plénipotentiaires; je ne doute pas que vous serez disposé à le soutenir avec nous, puisqu'il ne fait rien d'autre que de faire de votre héritage à l'avance un véritable héritage royal. »
Voilà ce que j'imagine de monsieur de Trooz. Hier cependant, il se promenait dans la Chambre avec un visage, avec un visage... Je devrais ici citer Dante, concernant les âmes du purgatoire. Mais pardonnez-moi : je ne me souviens pas des mots pour le moment...