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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (juin 1907)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

La politique hier et demain [au sujet de la proposition Cooremans] (4) - La proposition Coremans et le peuple (16) - Le jeu sur la scène [débats parlementaires sur le projet de loi Coremans] (23) - Fin du prologue [débats parlementaires sur la proposition Coremans] (23) - Discussion approfondie de la proposition Coremans (25) - Le premier vote de la proposition Coremans (26) - En résultat [la proposition Coremans] (30)

La politique hier et demain [au sujet de la proposition Cooremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 juin 1907)

Bruxelles, 1er juin 1907

La politique belge des derniers jours et des jours à venir tourne autour de deux lits de malades : la goutte du ministre de Trooz est la planche de salut (pardonnez-moi cette métaphore osée mais non anti-parlementaire), par laquelle la droite tente d'atteindre un champ de réconciliation concernant la proposition Coremans ; la pneumonie inattendue et douloureuse de M. Beernaert, qui aurait pu coûter la vie au ministre de 78 ans à un moment crucial - heureusement il se rétablit, - une situation qui non seulement préoccupait la politique intérieure belge, mais aurait également eu des répercussions défavorables sur la commission des traités belgo-néerlandais et la conférence de paix de La Haye en cas de dénouement défavorable.

Pauvre proposition Coremans ! Ou plutôt - car la loi sera adoptée de toute façon ! -: pauvre droite coincée entre deux fagots de foin : le clergé et le peuple flamand qui lui est favorable. Car c'est à cela qu'elle se réduit : faire plaisir aux électeurs flamands et déplaire aux évêques, ou vice-versa. Si les évêques sont délaissés en faveur de l'électorat catholique fidèle, vous pouvez imaginer l'accueil que recevra Woeste de la part de l'archevêque ! Si les établissements d'enseignement catholiques obtiennent ce qu'ils demandent, alors le lion flamand se réveille, et Woeste pourrait bien y laisser sa peau. Je ne veux pas parler ici spécifiquement de M. Charles Woeste ; mais je le cite comme symbole de la vieille droite, et en même temps comme tête de Turc représentative, sur laquelle tombent tous les coups, y compris ceux des jeunes catholiques, loin d'être apprivoisés parce que Helleputte porte un habit ministériel, et même, pour ainsi dire, plus audacieux à cause de cela ; des jeunes catholiques qui - voyez ce que votre correspondant d'Anvers a écrit sur la grande réunion il y a quelques jours - sont déterminés à briser tous les obstacles plutôt que de céder et de reculer.

Et avec raison. Après tout, ce sont eux seuls qui peuvent assurer un avenir à leur parti et encore quelques années de gouvernement. Ils sont également le seul groupe au sein de leur parti à inspirer confiance, même aux non-catholiques. Jeunes et parfois impulsifs, ils ont l'honnêteté et la franchise de la jeunesse insouciante. Cela peut être plus difficile à attribuer à des hommes d'État âgés et très avisés comme Beernaert et Helleputte, qui ont appris, de leur longue expérience parlementaire, la tolérance quand il le faut et la fermeté quand il le faut; mais le fait qu'ils se soient mis à la tête de soldats parfois imprudents mais courageusement honnêtes pour conquérir leur parti et lui insuffler une nouvelle vie, plaide en faveur de ces derniers. Et le fait que les anciens catholiques finiront par abandonner même les astuces politiques les plus éprouvées en faveur de leur obstination arbitraire, voilà ce qui fait frémir le symbole Woeste, car cela ne favorise ni l'unité ni le prestige du catholicisme belge.

Mais les jeunes catholiques se soucient très peu de cela. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est la justice ; et tant qu'ils ne seront pas corrompus par la politique, nous ne pouvons que les applaudir. Maintenant, ils poursuivent courageusement leur travail contre les arguments de Woeste concernant la proposition Coremans. Rejetant l'argument de son inconstitutionnalité comme ridicule, ils attirent surtout l'attention sur la nécessité de la réforme telle que Coremans la propose.

Un hebdomadaire, « Hooger Leven », organe des jeunes professeurs et étudiants catholiques de l'université de Louvain, a ouvert une enquête dans les établissements d'enseignement moyen où la direction est assurée par le clergé, et qui, lors des examens et des diplômes, ont les mêmes droits que les écoles officielles, où la loi est en vigueur depuis 24 ans. La situation dans ces établissements ecclésiastiques, même après les recommandations épiscopales, peut être déduite de la lettre insérée dans le « Hooger Leven », que je reproduis ici et qui est caractéristique de l'esprit qui règne dans la direction de ces écoles :

« Gand, 16 mai 1907.

« Cher Monsieur le Rédacteur en chef,

« Parmi les collèges qui ne suivent pas les prescriptions de Mgr Mercier, on trouve presque les mêmes établissements dans tous les journaux.

« Je n'ai jamais vu mentionnée l'institution St.-Amand (dirigée par les Frères des écoles chrétiennes), et pourtant...

« Je me souviens encore de la fois où on nous a interdit de porter le Lion flamand sur notre veste. Sur le revers de notre col, nous pouvions en porter autant que nous voulions, disait le Directeur, "ainsi que tous les portraits de nos divinités flamandes", ajouta très malicieusement un frère.

« Je me souviens encore de la fois où nous devions chanter "De Vlaamsche Leeuw" pour je ne sais plus qui ou quoi. En flamand ? Oh là là, ce serait "trop vulgaire" : le très cher Frère Pro-Directeur s'est aimablement chargé de faire une traduction française et, que nous le voulions ou non, nous devions chanter « Le fier Lion Flamand" !

« Mais revenons au sujet.

« Dans votre numéro de dimanche dernier, vous donnez également la liste des établissements qui restent sourds aux prescriptions de Mgr Mercier. St-Amand a encore été oublié parmi les établissements gantois. La situation dans cette école ne peut et ne doit plus être cachée. Jugez, d'après la conversation que j'ai eue avec l'un des enseignants, comment on juge le flamand là-bas. (N'oubliez pas que St.-Amand est l'école où les gens de la haute société et les fils de nos riches bourgeois reçoivent leur éducation...)

« -Révérend Frère, j'ai ici un hebdomadaire, « Hooger Leven » - un excellent journal, hein ! - (Il rit et marmonne en haussant les épaules "Quel petit journal de province est-ce ? »

« -Un excellent petit article y est consacré à la situation du flamand dans nos collèges...

« -Vous voilà encore avec vos trucs.

« -Excusez-moi... et dans lequel il est clairement démontré à quel point nous nous soucions peu des prescriptions de Mgr Mercier.

« -Eh bien, où voulez-vous en venir ?

« - Voici, Frère, je voudrais savoir comment vous appliquez les prescriptions de Monseigneur.

« - De Mgr Mercier ?

« - Oui.

« - Voici ce que je pense. Mgr Mercier est certainement un homme instruit ; je lui dois tout le respect ; mais en ce qui concerne sa lettre, je dois avouer franchement que je n'ai jamais pris la peine de la lire.

« - Ah bon ! (Ici, je lui explique un peu cette lettre.)

« - Mgr Mercier est libre de faire ce qu'il veut dans les écoles où il a quelque chose à dire. Ce droit, je ne le lui conteste pas, mais qu'il vienne chez nous donner des ordres, je ne l'accepte pas.

« - Mgr ne le fait pas ; mais je pensais que les Jésuites, les Jésuites, et d'autres encore...

« -Les Jésuites aussi ! Ah ah !!

« - Excusez-moi, laissez-moi dire... que les Jésuites, les Jésuites, et autres se sont engagés à considérer comme un honneur et un devoir d'appliquer également ces prescriptions dans leurs établissements.

« - "Des blagues, des blagues !" (n.d.T : en français dans le texte) Je sais pour ma part que nous ne suivrons jamais ces prescriptions dans nos établissements. Ecoutez bien. Toute cette ferveur flamande exagérée ne mène à rien. Nous n'avons jamais eu de plaintes ici selon lesquelles nous n'apprenions pas assez le flamand, mais bien le contraire. »

« Et voulez-vous, Monsieur le Rédacteur en chef, connaître cette situation ?

« J'en ai déjà parlé dans mon introduction. Ajoutez-y ceci :

« 1. Jamais une seule prière en flamand !

« 2. Toujours parler français dans la cour, au risque d'écrire l'article du règlement 50 à 100 fois (selon que l'enseignant est francophile) : "§ III art. 24. Pendant les récréations, tous les élèves sont tenus de parler français, etc. »

« 3. Cours de flamand. Deux heures par semaine. Et s'il n'y a pas assez de temps pour expliquer ou préparer les mathématiques, le temps est pris sur le cours de flamand.

« 4. Littérature flamande en rhétorique même, insignifiante, parfois donnée en français.

« 5. Une académie littéraire. Interdiction stricte de faire quoi que ce soit en flamand, même d'aborder quelque chose sur la langue flamande (l'interdiction a été donnée à l'auteur à l'époque).

« Voilà à quoi se résume la situation du flamand à l'Institut St.-Amand, École moyenne catholique.

« J.D.B. Ancien élève de St-Amand. »

Ab uno disce omnes ! - Et pour de telles écoles, où l'on traite ainsi les droits de la langue du pays et de la majorité des Belges, on ose encore invoquer le grand principe de la liberté d'enseignement, là où, je le répète, ils ont les mêmes droits, et même, sous un gouvernement catholique, la certitude de voir la plupart de leurs élèves nommés à des postes dans l'administration, de préférence aux garçons des écoles officielles soumis à un programme strict.

Il était difficile pour M. Woeste de lutter contre de tels arguments. Il trouva bien un peu d'aide auprès de M. Versteylen, un homme bien intentionné, qui appellera cette année une année malheureuse : il a en effet été rapporteur pour la loi minière, et a beaucoup souffert des attaques des opposants au comte de Smet de Naeyer, que son âme repose en paix. Mais M. Versteylen n'est pas à la hauteur, par exemple, de son collègue Delbeke ; de même qu'aucun mensonge, d'ailleurs, n'est à la hauteur de la vérité nue. Cette vérité nue est défendue dans la Chambre belge par des chevaliers bien armés. Et cela inquiétait Woeste, habitué à plus de discipline. Heureusement, il y avait la goutte, la charmante goutte de M. de Trooz, l'homme de tous les sacrifices. Elle permet à M. Woeste, cette goutte, de faire les manœuvres nécessaires pour obtenir un compromis. M. Woeste n'a jamais douté de lui-même, et c'est toujours sa force. Mais maintenant, il pourrait bien se casser le nez contre un mur plus dur. Et « qui se casse le nez, se casse le visage", dit-on chez nous... Vous verrez que M. Woeste se vengera sur la goutte de M. de Trooz.

L'autre malade de cette semaine, le ministre d'État Beernaert, a suscité beaucoup plus d'intérêt que le ministre de Trooz et sa goutte. Le ministre d'État Beernaert est en effet une personnalité d'une bien plus grande importance que notre gros premier ministre. C'est avec un cœur serré qu'on a appris la nouvelle : Beernaert était mourant. Avec la mort dans l'âme, je suis allé le voir chaque jour - M. Beernaert est presque mon voisin. Après le troisième jour, son médecin, qui est aussi le mien (oui, oui !), a pu me rassurer ; grâce à une constitution exceptionnellement robuste, le malade guérirait. Heureusement : le 8 juin, il devait présider la commission belgo-néerlandaise ; quelques jours plus tard, il devait se rendre à La Haye pour la conférence de paix - dont il a beaucoup parlé alors qu'il délirait - et où il voulait jouer un rôle, notamment en ce qui concerne la question du désarmement.

Sera-t-il votre invité ? On craint que non, même s'il est plein de courage et de confiance. On n'a pas pu l'empêcher de travailler de temps en temps au discours qu'il doit prononcer à la conférence ; et il faudra sûrement beaucoup d'efforts pour le convaincre que rester à la maison serait préférable.

En ce qui concerne la réunion d'ouverture de la commission de rapprochement belgo-néerlandaise : celle-ci a été reportée jusqu'au 15, en raison de l'état de santé de M. Beernaert. Ce que ces messieurs se diront entre eux est un secret... que je vais vous révéler. D'abord, ils iront ensemble déposer des fleurs sur la tombe de Jan van Rijswijck, le grand Flamand, non : Néerlandais. Et ensuite, en l'absence des journalistes, ils discuteront de toutes sortes de choses, également en secret... dont je vous donnerai fidèlement compte, pas seulement des « communications à la presse », mais comme je les ai... - mais non : mon secret restera secret !

Entre-temps, je vous communique un document que même les membres belges de la commission n'ont pas encore reçu. Il s'agit du "Programme" des travaux, accompagné d'un "Projet de règlement", proposé par les Hollandais, et qui, pour notre plus grande joie, rompt notamment avec l'idée selon laquelle, pour la diplomatie comme pour l'art culinaire, le français est la seule langue d'usage possible, une notion, inventée, je crains, par Talleyrand, le diplomate gourmet ; l'article 6 de ce « Projet de règlement » dit en effet : « Tant dans les réunions que dans la correspondance, il y aura une égalité totale pour l'usage de la langue néerlandaise ou française. » Bravo !

Voici maintenant le « Programme » proposé, qui, comme vous le voyez, est plus large que celui proposé par le secrétariat belge et que vous avez communiqué :

1. Unité dans les tarifs postaux, télégraphiques, téléphoniques et ferroviaires ;

2. Égalité de taxation pour les entreprises exerçant leur activité dans les deux pays.

3. Législation du travail.

4. Problème de la classe moyenne.

5. Droit d'auteur.

6. Reconnaissance réciproque des preuves d'examens néerlandais et belges ainsi que des preuves de compétence.

7. Exequatur des décisions judiciaires.

8. Questions relatives à la navigation, à la réglementation des ports, aux associations de navigation.

9. Questions agricoles. Eventuellement.

10. Politique commerciale.

Voilà le programme ambitieux, où toute action défensive commune a été judicieusement écartée, qui sera soumis aux membres de la commission belge mardi après-midi... après que les lecteurs du N.R.C. l'auront déjà connu depuis vingt-quatre heures.

Je ne peux pas clore cette lettre sans avoir mentionné un fait politique qui pourrait avoir de grandes conséquences et en aura peut-être.

Lors des élections de 1904, à Termonde, le libéral Van Damme et le tristement célèbre démocrate-chrétien Plancquaert avaient présenté ensemble leur candidature pour un siège, après un accord devant témoins, selon lequel celui qui obtiendrait le plus de voix siégerait à la Chambre pendant trois ans, pour céder son siège au deuxième pendant la quatrième année. Le sort a favorisé M. Van Damme ; il est donc allé trôner sur le cuir vert, et... n'a pas fait grand-chose de plus que cela. Mais voici que sa troisième année est écoulée, et Plancquaert veut prendre sa place. « Loin de là », dit Van Damme, « je suis bien ici ! »

Bien sûr, M. Plancquaert trouve cela mal élevé, et toute sa formation avec lui. Et maintenant, elle, la formation, a pris la décision suivante publiquement :

1. Le Parti populaire chrétien décide de faire photographier l'accord conclu avec M. Van Damme, qui l'a signé en tant que représentant du parti libéral. La photographie sera distribuée dans l'arrondissement de Termonde, ainsi qu'à la Bourse de Gand, de Bruxelles et d'Anvers.

2. Les élus du Parti populaire chrétien à la Chambre et aux conseils municipaux reçoivent l'ordre express de prendre immédiatement position contre les libéraux et les socialistes, sauf dans les questions qui concernent directement des lois favorables au peuple.

3. Les votes obtenus par le Parti populaire chrétien dans le pays doivent être considérés comme allant à l'encontre de la gauche.

Quand on pense maintenant que le Parti populaire chrétien dispose de quelque 50 000 voix, qui sont ainsi perdues pour l'opposition, on comprend comment M. Van Damme sera accueilli au sein de son parti !

Grâce à l'intervention de M. Plancquaert, les socialistes ont obtenu un siège à Courtrai : le premier dans le pays flamand ; maintenant que le Parti populaire chrétien se retire, ils perdent ce siège sans aucun doute. De même pour les libéraux à Termonde, après la « trahison » de Van Damme. Conséquence : deux sièges gagnés pour les cléricaux. Et tout cela à cause de la mesquinerie de gens qui trouvent facile de gagner quatre mille francs en venant chaque jour écouter le doux Hoyois ou l'insupportable Denis. Oh, la politique !


La proposition Coremans et le peuple

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 juin 1907)

Bruxelles, 14 juin 1907

Après Anvers, un meeting à Gand et un meeting à Bruxelles. Après les deux villes sœurs - la troisième, Bruges en éveil, a d'autres préoccupations importantes pour le moment - la demi-sœur ostentatoire, francisée, mais fondamentalement bienveillante et véritablement flamande participe également : Bruxelles ne pouvait pas rester à l'écart, surtout maintenant que la lutte pour et contre le projet de loi Coremans semble vouloir tourner autour de son bilinguisme.

Même pour ceux qui peuvent garder leur sang-froid, pour ceux qui renoncent à toute ferveur et placent un regard critique au-dessus d'un cœur chaleureux ; pour le journaliste objectif, un tel meeting, en tant qu'expression de la psychologie populaire, en tant que champ d'étude de la force populaire, est un spectacle vraiment important. Votre correspondant anversois vous a raconté dans quelques lettres comment le glas avait retenti sur la ville de l'Escaut, un glas dont le battement semblait bientôt se transformer en triomphe, à mesure que l'enthousiasme des orateurs retentissants et des auditeurs avides montait. Le caractère généreux, sain et riche d'Anvers, celui de l'Escaut et du polder, et aussi celui de Rubens et Benoit, a appris la largesse généreuse et la joie décorative avec assurance, peut-être au détriment de la profondeur et de l'intimité - le caractère anversois ne peut douter de la victoire imminente. Et le meeting était donc moins une défense acharnée des droits du peuple : c'était déjà à l'avance la célébration de la victoire, confirmée avec une telle certitude, proclamée avec une conscience joyeusement virile, que l'ennemi, craintif, pouvait bien ranger ses armes.

C'était différent à Gand : ici on lutte pour le plaisir de lutter ; beaucoup plus ici, on lutte pour le combat lui-même que pour l'espoir de victoire. Le Gantois est un insurgé, un révolté. Il peut savoir que la cause est mauvaise, que le résultat sera défavorable : il continuera quand même, continuera à se battre avec une obstination qui n'est nullement, comme on pourrait le penser, la frénésie du désespoir, ou inversement, le désir de butin ou de récompense, mais simplement la satisfaction d'une impulsion naturelle, l'expression d'un trait de caractère ancestral. L'empereur Charles reprochait aux Gantois leurs « têtes dures » ; lui-même était un Gantois têtu et l'a montré plus d'une fois dans sa combativité.

Un meeting - ce microcosme de toutes les joies et colères humaines - est donc quelque chose de particulier à Gand. Ici, pas de certitude joyeuse, généreuse, ouverte : des poings serrés et des dents grinçantes ; pas de musique de rue ample et ondulante : des cris rauques et des jurons. Quand on chante le Lion des Flandres ici, ce n'est pas pour la mélodie vive et entraînante, mais pour les « chaînes et les cris » et les crinières agitées et les griffes déchirantes.

Ajoutez à cela que le véritable peuple est constitué d'ouvriers d'usine, nourris, imprégnés de socialisme rageur et révolté, et en plus, il faut le dire, très mal payés ; tandis que le docker anversois gagne de l'argent comme de la boue, et est conscient de son pouvoir, sans qu'il ait besoin de prouver ce pouvoir. Cela seul vous indique pourquoi et en quoi une assemblée populaire à Gand diffère d'une assemblée populaire à Anvers.

Un meeting a donc aussi eu lieu à Gand - un meeting avec Anseele ! Vous le connaissez au moins de réputation : une figure puissante, certainement le plus fort agitateur de Flandre, véritable tribune du peuple, qui ferait tout pour le peuple, et obtient donc tout du peuple. Calomnié par certains et, plus modéré, accusé par d'autres d'une ambition indéniable, il est resté pour le peuple, inébranlable, un grand frère de confiance. Au Parlement, où ce Gantois robuste et brutal représente Liège, délicate, polie et espiègle, en tant que socialiste, il est peu à peu devenu, aux côtés de compagnons élevés et cultivés comme Jules Destrée - une nature mystique, extraordinairement aristocratique - et un patricien comme Emiel Vandervelde, une figure de second plan, une étoile secondaire qui scintille parfois avec un éclat plus que normal, mais qui, lors de débats sérieux et de dégustation juridique fine de « distinguo », occupe naturellement une place subordonnée. Mais il faut le voir dans son élément, parmi les ouvriers gantois, ou face aux employeurs gantois. Alors il tonne avec sa voix puissante, il éclaire avec les arguments les plus surprenants, alors il y a dans son expression de force un tel humour colossal ou une telle colère gigantesque que cet homme devient vraiment quelque chose de plus qu'un être humain ordinaire : il est l'un de ces porteurs de pouvoir, l'un de ces surhommes qui, en dehors du bien et du mal, sont le pivot autour duquel tourne un monde.

Je n'exagère nullement : voir Anseele dans la basse et sordide salle Valentino à Gand, régnant sur ses hommes, les électrisant par tout son être, par sa tête hirsute, pâle et dure qui se rejette impérieusement en arrière ; par le geste tic de rage, qui repousse sans cesse et sans cesse pince-nez en place ; et aussi, il ne faut pas l'oublier, par un discours très approfondi, loin d'être superficiel ; quiconque a vu Eduard Anseele (« Notre Eedje » disent les socialistes gantois) ainsi, et l'a entendu rugir dans son puissant et imagé dialecte gantois : rassurez-vous, il en emporte chez lui une impression pour de longs jours.

Lors du dernier meeting à Gand, il a été excellent, compte tenu du projet de loi à défendre. Ceux qui connaissent Anseele craignaient une déception ou un effet négatif sur le peuple. Anseele, en effet, n'est pas un flamingant orthodoxe. Il avait dit un jour : d'abord l'estomac, puis le cerveau. Le peuple doit manger, puis seulement savoir. C'était brutal et, dans sa terrible vérité, peu noble. Et on craignait donc que le meneur populaire ne vienne avec toutes sortes de réserves, et ne parle en faveur de la loi que parce que la discipline du parti le lui imposait. Mais Anseele n'a pas fait de réserves : il a démontré avec force comment ce projet repose sur le droit, la nécessité et la saine démocratie. Et autour de cette thèse, sa richesse d'images a tourné comme une roue de feu autour de son axe pétillant d'étincelles, de sorte que c'était magnifique, et aussi appréciable pour les natures plus profondes et plus raisonneuses. Le catholique Coremans doit une chandelle au socialiste Anseele : il a dépensé assez de feu pour lui.

À Bruxelles, hier soir, c'était naturellement encore différent. Le véritable peuple, bien que flamand encore, indestructiblement flamand, et la vieille bourgeoisie, loin d'être aussi francisée qu'on le prétend, où même l'élément wallon de la capitale a beaucoup moins d'emprise qu'on ne pourrait le craindre - les chiffres des dernières statistiques sont d'ailleurs éloquents : dans l'arrondissement de Bruxelles, sur 883 430 habitants, 635 554 sont des Flamands, dont 340 653 ne connaissent que le flamand - le peuple et la bourgeoisie de Bruxelles échappent néanmoins à l'influence directe du mouvement flamand. Cela tient naturellement à de nombreuses raisons : le peuple ne connaît pas la solidarité professionnelle, n'a pas le sentiment global d'être négligé, ni la volonté de revendiquer des droits. Car Bruxelles n'est pas une ville industrielle ; les divers membres de la classe ouvrière n'ont apparemment pas de besoins communs, et donc ne formulent pas de larges exigences communes. L'ouvrier bruxellois, qu'il soit en principe socialiste ou antisocialiste, est par nature individualiste ; car à Bruxelles, on ne trouve pas, comme à Gand, des tissages employant plus de trois mille ouvriers, ni un port qui, comme à Anvers, occupe toute une population. D'où, bien sûr, une fragmentation du sentiment de solidarité et une aversion pour l'action commune avec un objectif précis. D'où aussi l'indifférence à l'égard de ce qui pourrait rapprocher cet objectif en tant que moyen. Le mouvement flamand pourrait être l’un de ces moyens ; du moins il pourrait, en tant qu'expression démocratique, susciter un sentiment de communauté parmi les ouvriers se sentant flamands. Cela n'arrive pas ici, justement parce que les intérêts particuliers de chacun sapent l'intérêt général ; et c'est ainsi qu'on ne peut guère s'attendre à voir toute la population ouvrière de Bruxelles se lever pour l'idéal flamand, comme cela se produit à Anvers et à Gand dès que l'intérêt commun du peuple, de la classe ou même de la profession le rend nécessaire.

En ce qui concerne la bourgeoisie, elle se compose à Bruxelles principalement de commerçants, bien plus que d’industriels. Un industriel, par la nature même de son activité, est facilement conduit à interagir avec les classes inférieures ; son champ de travail intellectuel est plus vaste, car il doit maintenir un équilibre entre lui-même et ceux qu’il utilise comme force de travail ; il est confronté à des problèmes qu’il doit résoudre, et parmi ces problèmes, la question du mouvement flamand peut présenter un intérêt, même si celui-ci est d’un ordre inférieur. L’homme est, du moins, contraint à un certain travail intellectuel.

Il n'en est pas ainsi, on le comprend, du commerçant : simple acheteur et vendeur d'une certaine marchandise. Non un producteur qui doit réfléchir aux conditions de production ; seulement un consommateur qui ne se soucie que de son propre profit, et qui a le droit de se désintéresser des fluctuations sociales. Ajoutez à cela que Bruxelles, pour l’ouvrier comme pour le bourgeois, est une ville de luxe, pleine de distractions, pleine de dispersion de la pensée ; une ville cosmopolite de surcroît, qui se préoccupe plus des étrangers qui l’enrichissent que de sa propre nature nationale. Cela explique pourquoi le mouvement flamand ici est limité à un cercle d'intellectuels : enseignants, étudiants, fonctionnaires ; et aussi pourquoi le cercle relativement restreint de ces intellectuels se montre si amer et si acharné contre ces deux muraille de Chine : l'indifférence de la population, qui a du mal à les suivre, et le sarcasme de la presse française peu encourageante, qui se moque volontiers de ces « originaux », préfère ne pas discuter leurs arguments, et les passe sous silence quand ils apparaissent sérieusement armés de paroles et d'arguments solides.

C'était encore le cas hier. Il y a, indiscutablement, un désaccord entre la représentation populaire et la presse. Depuis des années, l’obéissance du public et des députés à la volonté de la presse quotidienne de haut niveau a diminué et s’est relâchée. Cette année, cette année politique entière, il y a eu plus qu’un relâchement : il y a eu désaccord. Nos députés ont prouvé combien ils étaient indépendants de l’opinion publique, telle que prônée par les journaux. En ce qui concerne le Congo, en ce qui concerne la loi sur les mines, il y avait un véritable fossé ; de plus, au Parlement, de violentes accusations ont été portées contre une certaine partie de la presse. Et maintenant, de nouveau en ce qui concerne le projet de loi Coremans : les représentants, de quelque parti qu'ils soient, refusent catégoriquement de danser au son des airs préconisés ; personne à la Chambre n’ose radicalement briser les principes de la loi, comme cela se fait dans certains journaux : d'où, naturellement, la colère du côté des journaux, et le silence ou la dérision de ceux qui osent être trop insistant en tant que Flamand conscientisé.

Cela a été le cas pour la réunion d’hier : annoncée uniquement par des circulaires et quelques journaux flamands, qui n’ont aucune influence sur la plus grande partie de la population, on pouvait s'attendre à ce que seuls quelques apôtres prêchent dans le désert devant des bancs vides ; d’autant plus que la soirée, après deux jours de pluie, était magnifique, et que le local était situé près du grand boulevard très fréquenté.

Eh bien : cela a surpassé les attentes les plus audacieuses, comme on dit ; une salle comble, et un enthousiasme considérable. Cela vaut bien que je vous décrive une telle salle.

Lieu de l'action : la grande salle de la Brasserie Flamande, - surtout flamande parce que des vues anciennes de la ville y sont peintes sur les murs. Beaucoup de lumière ; beaucoup de monde ; par la fenêtre ouverte : un phonographe qui claironne et hurle et beugle, avec la voix de Pulcinella, qui voulait jouer le ténor héroïque. Je vais me tenir à l’arrière, où règne encore une certaine fraîcheur ; dans une brume de fumée de cigare, je vois au loin le paysage coloré d’un petit théâtre ; une scène arcadienne, seulement gâchée par une longue table stupide et un certain nombre d’hommes laids en tenue sombre. La veille, j'avais vu comment, sur cette même scène, un petit homme maigre, qui était professeur de dzjoe-dzjitsoe, avait en 57 secondes, bien comptées, à moitié étranglé un boxeur géant. C'est apparemment le dernier mot de ce que l’on appelle le sport ; je ne peux pas trouver cela beau, parce que cela ne dure pas assez longtemps, et qu’au bout du compte, le vaincu reste tout de même en vie. J'ai donc pris beaucoup plus de plaisir à la réunion flamingante : on ne s'y battait qu'avec des mots, qui n'étaient pas toujours dangereux ; et, bien que cela ait peut-être duré un peu trop longtemps cette fois-ci, j'ai eu au moins de la valeur pour mon argent, puisque personne n'avait à payer d'entrée.

Sérieusement, et comme je vous l'ai déjà dit : une bonne réunion, satisfaisante. Pas tellement à cause des orateurs et des discours, mais à cause de la preuve fournie ici que même à Bruxelles, le projet de loi Coremans est ressenti comme une nécessité organique. Le peuple, et le comportement du peuple : telle a été la signification de cette réunion ; et il était réjouissant de voir comment le public nombreux s’est comporté : très réceptif, avec un enthousiasme compréhensif, avec une conviction digne.

Une série d’orateurs, dont je vous épargnerai les noms insignifiants. Je dois cependant m’arrêter à deux d’entre eux : Léonce du Catillon et Frans Reinhard.

Léonce du Catillon : sous ce nom élégant, la figure robuste, brutale, loin d’être docile, d’un paysan rebelle. Il ne parle pas sans que cela ressemble à une dispute ; quand il veut être très poli, on dirait qu’il va vous gifler ; et quand il rit, cela vous transperce la chair comme si on en tranchait des lamelles. Journaliste libéral, il ne renie en rien son passé de chrétien-démocrate, lorsqu'il parcourait toute la Flandre avec Hector Plancquaert pour soulever les paysans - de la même chair et du même sang que lui - contre le gouvernement clérical, leur parlant avec des mots et des sentiments qu'ils pouvaient comprendre, et rêvait qu'en étant profondément flamand, gentil et respecté, aimé et peut-être un peu craint, il serait porté par ses compatriotes à une place d'honneur à la Chambre, - où, homme cultivé et même très doué poète, il n'aurait pas fait plus mauvaise figure que tel ou tel. Cependant, il s'est trompé : les circonstances ne l'ont pas aidé ; peut-être découragé, il est devenu plus docile. Mais il a encore des poings redoutables et une voix rauque et enthousiaste !

Contrepartie et figure opposée : le petit nerveux, agité et regardant nerveusement, fixement, gesticulant fiévreusement, Frans Reinhard. Ce n'est pas l'expression d'une force naturelle, d'un geste instinctif, d'un rugissement sensuel : c'est une passion intellectuelle, une indignation contre l'injustice, une passion purement intellectuelle pour tout ce qui concerne, blesse ou peut promouvoir la Flandre. Cet homme est peut-être le meilleur de nos défenseurs flamands, car il est le plus consciemment obstiné, l'exagérateur par conviction, le fanatique calculé, qui ne reculerait devant rien de ce qui se dresse sur son chemin. Cet homme est vraiment admirable, bien que beaucoup pensent qu'il est étrange et anormal selon la logique courante. Mais il faut le répéter : celui-ci a suffisamment de conscience pour être de la race des vainqueurs. S'il ignore les erreurs de nombreuses actions du flamingantisme, c'est pour mieux faire ressortir tout ce qui en est bon et élevé ; s'il combat l'individualisme de la littérature flamande récente, c'est parce qu'il sait que cela détourne d'un idéal commun. On peut trouver ce moyen naïf : il est beau par l'esprit clair et pourtant ardent qui, dans son idéalisme calculé, ne veut rien d'autre que la grandeur de la Flandre, à laquelle on peut bien sacrifier quelques rimes.

Ce n'est pas pour ce qu'ils ont dit et proclamé au public hier que je vous ai présenté ces deux personnes. Bien au contraire ; le plus grand défaut de cette réunion a été que les orateurs se sont si peu souciés du caractère pratique et direct de leur sujet, et se sont contentés de s'égarer dans les détails et de se pavaner sur la grande place, sans parler des banalités de tout le flamingantisme. Le malheur ici était qu'aucun vrai politicien, aucun parlementaire n'avait été invité comme orateur. Louis Franck et Henderickx à Anvers, Anseele à Gand : c'étaient les gens que l'on écoutait, parce qu'on savait que leur attitude flamande devait être modifiée, tempérée, ajustée selon les exigences de la politique générale et de la législation pratique. Pas comme les théoriciens, qui montent un cheval de bataille apprivoisé, avec une petite cravache éprouvée et des éperons dont on connaît l'effet piquant, et qui, parcourant toujours le même chemin, oublient instinctivement les fossés et les haies.

Non, ce n'est pas pour ce qui a été dit que cette réunion dans la capitale était importante : c'est bien plus pour le fait qu'un public nombreux et bien informé a applaudi avec enthousiasme une décision très pratique.

Cette ordre du jour, adoptée à l'unanimité par l'assemblée, porte sur la question de savoir si Bruxelles doit oui ou non obéir à la loi pro-flamande. La question est délicate : la loi proposée touche surtout une jeunesse bourgeoise francisée, qui aurait du mal à se plier à un régime flamand direct, sans mesure transitoire. La réunion d'hier a donc proposé : 1. Les garçons qui ont reçu une éducation flamande antérieure, ou dont la langue de communication habituelle est le flamand, seront soumis à l'intégralité du régime de la loi de '83 ; 2. ceux dont l'éducation antérieure était en français recevront au moins six heures d'enseignement en néerlandais par semaine.

Cette mesure me semble excellente : c'est une solution modérée et équitable à une question difficile, et je crois qu'en l'adoptant, la Chambre garantirait un acte bon et loyal.

En ce qui concerne le mouvement, l'agitation provoquée par la loi Coremans dans le pays, en dehors du Parlement, cela ne s'arrêtera évidemment pas là : la fermentation est grande partout, surtout à Louvain. Lentement mais sûrement, la volonté populaire s'affirme. La Chambre doit en tenir compte, si elle veut être honnête.

Ce n'est pas pour ce qu'ils ont dit et proclamé au public hier que je vous ai présenté ces deux personnes. Bien au contraire ; le plus grand défaut de cette réunion a été que les orateurs se sont si peu souciés du caractère pratique et direct de leur sujet, et se sont contentés de s'égarer dans les détails et de se pavaner sur la grande place, sans parler des banalités de tout le flamingantisme. Le malheur ici était qu'aucun vrai politicien, aucun parlementaire n'avait été invité comme orateur. Louis Franck et Henderickx à Anvers, Anseele à Gand : c'étaient les gens que l'on écoutait, parce qu'on savait que leur attitude flamande devait être modifiée, tempérée, ajustée selon les exigences de la politique générale et de la législation pratique. Pas comme les théoriciens, qui montent un cheval de bataille apprivoisé, avec une petite cravache éprouvée et des éperons dont on connaît l'effet piquant, et qui, parcourant toujours le même chemin, oublient instinctivement les fossés et les haies.

Non, ce n'est pas pour ce qui a été dit que cette réunion dans la capitale était importante : c'est bien plus pour le fait qu'un public nombreux et bien informé a applaudi avec enthousiasme une décision très pratique.

Cet ordre du jour, adoptée à l'unanimité par l'assemblée, porte sur la question de savoir si Bruxelles doit oui ou non obéir à la loi pro-flamande. La question est délicate : la loi proposée touche surtout une jeunesse bourgeoise francisée, qui aurait du mal à se plier à un régime flamand direct, sans mesure transitoire. La réunion d'hier a donc proposé : 1. Les garçons qui ont reçu une éducation flamande antérieure, ou dont la langue de communication habituelle est le flamand, seront soumis à l'intégralité du régime de la loi de 1883 ; 2. ceux dont l'éducation antérieure était en français recevront au moins six heures d'enseignement en néerlandais par semaine.

Cette mesure me semble excellente : c'est une solution modérée et équitable à une question difficile, et je crois qu'en l'adoptant, la Chambre garantirait un acte bon et loyal.

En ce qui concerne le mouvement, l'agitation provoquée par la loi Coremans dans le pays, en dehors du Parlement, ne s'arrêtera évidemment pas là : la fermentation est grande partout, surtout à Louvain. Lentement mais sûrement, la volonté populaire s'affirme. La Chambre doit en tenir compte, si elle veut être honnête.


Le jeu sur la scène [débats parlementaires sur le projet de loi Coremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juin 1907)

Bruxelles, 20 juin 1907

La mèche est enfin allumée : depuis quelques semaines, il y a de l’agitation autour de la proposition de loi Coremans, agitation accompagnée de bruit, ce qui ne rend pas la situation moins plaisante. Pour ceux qui connaissent bien la situation flamande, il est toujours amusant de voir et d’entendre combien même les représentants du peuple flamand en savent peu ; et on en rirait volontiers de bon cœur - en inversant presque les mots de Figaro - si ce n’était que ce fait est profondément regrettable.

Car, bien que l’on soit tenté de se moquer de l'ignorance flagrante de la situation nationale de la plupart des députés belges, et pas seulement wallons, cela reste offensant pour notre peuple, déplorable pour notre présent et notre avenir, au point que la moquerie tourne rapidement en colère, ou au moins en ressentiment ou en irritation. Même ceux qui ont de bonnes intentions, qui prétendent servir la Flandre en reconnaissant ses droits, montrent parfois une incompréhension ahurissante ou sont si étonnamment faibles dans leur défense des revendications populaires, qu’on en vient à penser : « Si seulement cet homme se taisait ! », tant le résultat visé est maladroit.

Et si c’est ainsi pour ceux qui se disent amis du mouvement flamand, que dire de ses ennemis ! Il est stupéfiant de voir à quel délire argumentatif peut mener une haine wallonne, et à quelle colère absurde peut pousser le mépris d’un gentilhomme flamand de la campagne. Surtout quand un peu d’huile est versée sur ce feu depuis Paris, comme l’a fait récemment, avec toute son incompétence et une autosatisfaction frôlant l’irresponsabilité, Jules Claretie dans « Le Temps » ; dans cet article, il considère le néerlandais comme une sorte d’espéranto qui chercherait à remplacer le français en Belgique, et se demande « si nous sommes fatigués d’entendre notre capitale être appelée « petit Paris » et préférerions en faire un « petit Berlin » » : des arguments contre la loi Coremans que chacun reconnaîtra pour leur gravité profonde et leur validité incontestable, et qui, bien sûr, feront taire irrévocablement les Flamands ! Surtout lorsque les élucubrations de M. Claretie ne servent qu’à l’élévation et la recommandation d’un cercle de haineux anti-flamands endurcis - principalement des soi-disant « intellectuels » et grands industriels qui, avec un mépris extrême pour le peuple et ses droits, veulent faire triompher le français sur la langue nationale dans tous les grands centres flamands, avec une obstination féroce, par le biais de conférences, de brochures et de cours : à savoir l’Association flamande pour la vulgarisation de la langue française, qui, de par ses moyens de propagande de bas niveau et son rare talent pour l’injure, a bien mérité le nom que lui ont donné les Flamands raisonnables, celui d’« association vulgaire », et qui, à part ses propres membres - et, comme on dit chez nous, « les louanges de soi-même puent » - ne trouve plus de défenseurs qu’au-delà des frontières, - même en Hollande, hélas, où, trompés par les apparences et mal informés, feu le professeur Van Hamel pensait devoir prendre leur défense.

Cette Association compte maintenant aussi quelques membres à la Chambre : des messieurs vaniteux, qui résistent mal aux invitations flatteuses ; aucun d’entre eux, cependant, pour autant que je sache, n’a ouvert la bouche en séance publique, à part pour un murmure approbateur ou un « Très bien » sérieusement réfléchi. Gardent-ils leurs forces pour le coup final, ou est-ce la discipline de parti qui les retient ?

Je connais un seul d’entre eux qui s’est ouvertement avancé pour les droits des Flamands, lors de la réunion de Gand dont je vous ai fait le compte-rendu la semaine dernière : c’est Anseele, qui autrefois, étrangement, allait main dans la main avec l’évêque de Gand et le maire libéral de Gand pour cette petite besogne peu démocratique ; mais qui semble maintenant être parvenu à une meilleure compréhension des besoins populaires.

Je connais d’autres « vulgarisateurs » parmi les libéraux, qui ont jusqu’à présent gardé le silence ; mais je pense également savoir que dans un parti qui compte trois des meilleurs défenseurs de la proposition de loi, Louis Franck, De Vigne et Persoons, et dont un membre, l’échevin de Bruxelles, Buyl, a fait sienne la proposition concernant Bruxelles, issue de la réunion qui s’y est tenue - voir ma lettre du 14 courant - probablement après amendement pour la définition de Bruxelles, la majorité votera pour, bien qu’il y ait eu, entre autres, des objections répétées de Paul Hymans, qui a souvent montré une indépendance et une clairvoyance considérables lors de réunions de groupe.

Quoi qu’il en soit, les véritables opposants à la loi, ceux qui ne veulent même pas d’amendement modérateur, et qui s’opposent expressément à ce que le flamand défende sa vie et ses droits en Flandre, sont encore rares parmi les membres de la gauche. On en trouve la plupart à droite, et il est amusant de voir comment la « coalition inaltérable de toutes les forces » annoncée par le ministre de Trooz dans sa déclaration initiale, se révèle extrêmement fragile et plus qu’instable un mois plus tard.

Parmi ces opposants - permettez-moi de vous les présenter rétrospectivement - un noble flamand, député du Limbourg-Stirum, a particulièrement intéressé par son raisonnement et la déformation de sa logique. Le comte de Limbourg est presque un cas psychiatrique. Il entre dans une rage folle lorsqu’on lui prouve qu’il prend sa fantaisie pour la réalité.

Un autre opposant de droite : le remarquable M. Hoyois. Oh, je souhaiterais que vous puissiez rencontrer M. Hoyois, car il a une moustache imposante et une voix d’une profondeur étonnante. Il est belliqueux et combatif, et possède une qualité indispensable à un parlementaire : il est le clown - au sens shakespearien du terme - de son parti. C’est l’homme à qui l’on confie des rôles bouffons et qui les joue de manière tragiquement sérieuse. Ce député est, dans sa gravité affichée, une figure comique. Cette facette est bien sûr soulignée par les partis opposés ; et M. Hoyois est alors très surpris de ne pas être pris aussi sérieusement - aussi sérieusement, par exemple, que le rôle paternel de Woeste - et alors il se fâche et arbore une expression et une voix comme le Maure de Venise.

Au fond, c’est un homme sincère, un défenseur honnête de ses idéaux. Seulement, il n’est pas un parlementaire. C’est un de ces hommes qui, dans une ville de province, peuvent rendre d’immenses services à leur parti. Il a une éloquence grossière et une ténacité brutale. Mais au Parlement, il faut - et c’est peut-être regrettable - autre chose : de la ruse et de la flexibilité, de la vivacité et de la dialectique ; ce sont des qualités innées, qu’on n’apprend pas ; et M. Hoyois ne les possède tout simplement pas. Mais il aspire à les acquérir ; il sent bien ce qui lui manque, et aimerait dissimuler ce manque, et par là devient tout simplement ridicule. Ainsi, il a voulu se présenter comme un fin politicien dans l’affaire en cours. Pour mieux combattre le flamand, il a utilisé un moyen éprouvé : il l’a loué et honoré, a parlé de notre littérature, et de l’utilité pour les Wallons de connaître le néerlandais, pour en arriver ensuite, par une voie facile, aux clichés de tout fransquillonisme : les excès flamingants et autres. - Cette méthode était empruntée à d’excellents modèles ; mais il suffisait que Hoyois la suive pour, par sa grossièreté, montrer combien une telle phraséologie manquait de substance, et combien l’argumentation était pauvre. Et ainsi, M. Hoyois, indigné, s’exposa encore une fois au ridicule, qu’il y a à se forcer et à souffrir de la mégalomanie parlementaire, d’autant plus qu’il racontait brutalement des absurdités prouvant qu’il n’avait pas la moindre notion des situations et ne comprenait même pas le néerlandais qu’il avait tant loué.

Un troisième partisan apparent était M. Carton de Wiart. J'ai déjà eu l'honneur de vous le présenter comme un esprit astucieux bien que nullement génial, et comme une personnalité habile bien que manquant de puissance. M. Carton de Wiart, fut d'abord démocrate chrétien, mais devenu catholique, surtout depuis que son frère est devenu secrétaire particulier du Roi ; c’est un avocat qui a suffisamment confiance en lui-même pour penser qu'il est réellement un grand avocat ; et, en général, un homme que l'on peut, avec un mot typiquement bruxellois, qualifier de "suffisant", parce qu'il sait si bien que, comme politicien, avocat et même romancier, il mérite d'être qualifié de « brillant ». M. Carton de Wiart a pensé qu'il pouvait tirer une nouvelle force de preuve et formuler un nouvel argument « du mur chinois classique de la séparation flamande », de l'argument de l'âme belge et du talon d'Achille du bilinguisme bruxellois, pour empêcher, par amour de Dieu, cette conséquence terrible de la proposition de Coremans : l'ingérence légale dans l'enseignement libre catholique.

Ceux qui savent ce que la paradoxale âme belge d'Edmond Picard contient en fait de vérité, et qui, par des années de fréquentation, comprennent ce que signifie le bilinguisme bruxellois - un bilinguisme qui, dans les dernières générations de bourgeoisie et d'aristocratie, semble effectivement tendre vers une prédominance française, mais qui est en réalité si profondément flamand, si originellement brabançon et puissant, même dans les couches sociales supérieures, qu'il aspire à toute expression de vie à s'exprimer en flamand, à la civilisation néerlandaise comme la seule naturelle - ceux qui sont capables d'évaluer la valeur de tels arguments, sans aucun préjugé, auront bien compris ce que M. Carton de Wiart cherchait à faire : plaire au gouvernement actuel.

Le gouvernement actuel, en la personne de son oiseau en chef, de Trooz, présente en effet une proposition contre celle de M. Coremans ; cette proposition a été clarifiée par les amendements des messieurs Segers, Biart, De Winter et Van Reeth, tous de droite, qui concluent : quiconque aura terminé ses études secondaires en dehors d'une école officielle devra passer un examen spécial en néerlandais pour être nommé dans une institution privée, cet examen devant être passé en néerlandais ; à moins que son diplôme de sortie, délivré par une institution située dans la partie flamande du pays, ne témoigne que, outre le néerlandais, l'allemand et l'anglais, deux autres cours ont été enseignés en néerlandais.

Voilà les modifications auxquelles le gouvernement a adhéré. On en voit les conséquences : 1. les institutions libres échappent à la surveillance légale ; 2. elles obtiennent, en dehors de toute intervention légale, le droit de délivrer des certificats dont personne ne peut légalement vérifier ou confirmer le contenu. Et cela est proposé par des personnes qui prétendent être les amis sincères des Flamands, à commencer par le ministre de Trooz lui-même, qui brise ainsi le travail de ses propres amis politiques, lesquels, en 1884, je crois, ont supprimé le « graduat » scientifique, qui permettait à quiconque, sans garantie d'études antérieures, d'accéder à l'enseignement supérieur.

Non seulement les catholiques, mais aussi les libéraux critiquent, dans leurs organes, le projet de loi Coremans et cherchent des moyens de contourner la loi. Car il ne faut pas oublier que les institutions libérales, surtout dans la capitale, seront également affectées par la nouvelle loi. Cette recherche est pénible et conduit à des résultats étranges. Ceux obtenus par le raisonnement du « Petit Bleu » sont intéressants : le « Petit Bleu » affirme dans l'un de ses derniers numéros que la loi de 1883 est mauvaise, car dans les universités, tous les cours sont donnés en français, de sorte que l'enseignement en néerlandais de certaines matières au niveau secondaire est illogique et constitue une perte de temps. Cet argument repose sur une fausseté. Je ne sais pas comment cela se passe dans les universités libres de Bruxelles et de Louvain, ou à l'université d'État de Liège ; mais je sais par expérience qu'à celle de Gand, les matières principales des départements de philologie germanique et de sciences historiques sont enseignées en néerlandais, du moins en grande partie, et que les étudiants venant d'institutions libres de niveau secondaire sentent très bien comment la loi de 1883, sous laquelle l'enseignement dans les écoles officielles se déroulait, les retarde. C'est déjà un excellent argument pour la loi actuelle.

Mais là où le « Petit Bleu » devient vraiment intéressant, c'est quand il se rapproche des exigences flamandes extrêmes et considère la création d'une université flamande à Gand comme la conséquence logique du mouvement flamand. Le journal propose en effet - je traduis librement :

1. L'université de Gand sera dédoublée : dans toutes les facultés, il y aura une section flamande, où la langue d'enseignement sera le néerlandais, et une section française avec les mêmes conditions ; les étudiants seront libres de s'inscrire dans l'une ou l'autre section.

2. Les mêmes mesures pour les institutions d'enseignement secondaire d'État, avec enseignement obligatoire du français ou du néerlandais comme deuxième langue, selon que l'institution est située en Flandre ou en Wallonie.

3. Les institutions libres ont le droit, en dehors de toute intervention, d'adopter le régime flamand ou wallon.

4. Pour l'approbation des diplômes, il est exigé que le néerlandais ait été une matière obligatoire.

En regardant la loi Coremans, ce qui est principalement important est ce que j'ai mis sous tertio : cela répond pleinement aux souhaits des évêques, car cela défend des intérêts identiques. Mais ce qui est de grande importance pour les Flamands est contenu dans le primo, qui ne fait rien de moins que soutenir le principe de l'université flamande, presque sous la forme proposée par le professeur Paul Fredericq : le dédoublement des cours ; combattu par les Flamands, car il apporte également un doublement des coûts ; mais néanmoins considéré comme une reconnaissance du caractère légitime et logique des revendications flamandes en matière d'université, et également soutenu comme tel par le professeur Fredericq.

Et c'est là que toute logique, même en passant par des détours pro-français, doit mener. Maintenant, le « Petit Bleu » pense bien qu'un tel double système mènerait à la victoire des sections françaises, tant dans l'enseignement supérieur que dans l'enseignement secondaire, ce qui pourrait bien tourner autrement, selon notre conviction ; surtout cela apporterait un double personnel enseignant et un double jury, et donc aussi des coûts doubles et des difficultés doubles. Mais ce qui nous concerne est la reconnaissance inattendue d'un droit supérieur, où un autre droit moins significatif nous est refusé. Et cela méritait d'être noté.

Car une telle reconnaissance ne pèse-t-elle pas contre les déclarations ridicules de l'académicien Claretie, reprises et approuvées par le « Petit Bleu », dans lesquelles il est dit, ce qui est préoccupant pour les capacités intellectuelles du vieil administrateur du Théâtre Français : « En vérité, je regrette le temps où La Fille de Madame Angot ne risquait pas d'être jouée seulement en flamand », et « La France permet aux compatriotes de Coremans d'étudier au Conservatoire national (de Paris), fondé depuis plus de cent ans, sans se soucier de savoir s'ils sont Flamands ou Wallons, et les accepte à la seule condition qu'ils abandonnent un peu de leur accent pour interpréter nos poètes. »

Que les pro-français aient besoin de tels arguments étranges pour justifier leur aversion pour le projet de loi Coremans, nous le regrettons à leur place ; et nous les préférons lorsqu'ils viennent nous déclarer : « vous, les Flamands, avez droit à un enseignement entièrement flamand, dans les écoles secondaires comme dans les universités. »


Fin du prologue [débats parlementaires sur la proposition Coremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juin 1907)

Bruxelles, 21 juin 1907

Un jour plus tôt que prévu, hier, la discussion générale sur la proposition de loi Coremans a pris fin. Cette séance de clôture n'a pas apporté beaucoup de nouveautés, après le discours du catholique Henderickx, tout ce qui pouvait être dit de probant avait déjà été exprimé, et même Coremans n'a pas pu y ajouter grand-chose. Il n'était donc pas particulièrement remarquable hier : son argumentation n'a pas été très surprenante, bien que l’orateur ait montré qu'il était resté le débatteur piquant, incisif, voire agressif d'autrefois. Pourquoi se serait-il donné la peine d'ailleurs ? Après Franck, après De Vigne, après surtout J. Delbeke et Henderickx, seule une vieille argile pouvait encore être façonnée dans une nouvelle forme. Maintenant, M. Coremans était bien un habile sculpteur, comme auparavant et toujours : il avait sa propre vision et son propre empreinte digitale ; mais il avait à travailler une matière depuis longtemps connue. Ainsi, son discours était surtout significatif, non pas tant pour son contenu que pour la manière dont le sage homme aux cheveux gris, dont le visage ne trahit jamais s'il est sérieux ou plaisantin, a su le servir et le mettre en valeur.

Il en va de même pour Anseele, dont l'honnêteté sans détour, la grande liberté de pensée et de défense dans cette affaire, comme je vous l'ai écrit hier, méritent d'être louées. Son discours, qui a martelé avec des coups de marteau brutaux la nécessité de la proposition de Coremans dans les esprits, étincelait à nouveau de cet humour très particulier, vraiment gantois, certes grossier, mais presque grandiose à la manière de Rabelais, qui constitue le meilleur de son talent oratoire, aux côtés du frissonnant et tonitruant de son indignation. Cette fois, il s'agissait - je ne résiste pas à l'envie de vous communiquer ce petit exemple de l'esprit spécifiquement gantois - de l'examen que, sur proposition de M. Segers et autres, chaque élève d'un établissement libre pour l'enseignement moyen devrait passer pour obtenir un certificat flamand et qui serait délivré par un jury désigné par chaque établissement, sans intervention ni supervision de l'État. « De tels examens, nous les connaissons », a raillé Anseele.. « On bourre les garçons de flamand juste pour l'examen lui-même ; après l'examen, tout est vite oublié. Une telle connaissance ne devient jamais organique. Ainsi, j'ai appris à mon perroquet à chanter "O, van den Peereboom !" (une chansonnette gantoise moqueuse sur l'ancien ministre). Eh bien : votre examen est un examen de perroquet ! » En dehors de cela, la séance n'a pas apporté grand-chose de plus qu'un discours maladroit de M. Wauwermans : la énième répétition des objections au projet de loi, et Augusteyns et le fermier de Bruxelles ont expliqué pourquoi ils voteraient pour. Mais l'atmosphère de la Chambre n'était pas chaleureuse, malgré le mois de juin. On sentait bien que les chances de Coremans diminuaient ; même ses amis craignent une défaite ; une fragmentation, une réduction de la reconnaissance de la justesse de ses demandes est du moins redoutée lors du vote. Et c'est surtout Bruxelles en tant que ville flamande qui sera la pierre d'achoppement.

Et une telle chose est vraiment regrettable. Peu importe ce que peuvent dire les statistiques - et je vous ai récemment donné un exemple de la manière dont les chiffres prouvent que Bruxelles est une ville vraiment flamande - aussi vrai que cela puisse être, et comme chacun peut le constater chaque jour que tout ce qui est intime, profond, naturellement originel de la capitale est flamand - et j'espère pouvoir vous donner bientôt quelques exemples concrets : l'apparence est contre la réalité. Dans une ville opulente comme Bruxelles, on voit surtout la surface, le brillant, l'éclatant. Le caché, en l'occurrence le caractère véritablement populaire, le fondement sur lequel la ville construit son caractère, l'intérieur qui est l'axe de toute la vie urbaine, reste méconnu, voire ignoré. On ne voit pas le flamand de Bruxelles ; on ne le ressent pas dans la vie quotidienne ; donc - raisonnent ainsi les politiciens aveugles ou rusés - l'authenticité flamande de Bruxelles n'existe que comme un curiosum amusant. On ne pense pas que cette conception est non seulement fausse, qu'elle ignore l'essence du peuple et tue ainsi toute vie originale, toute activité primitive, toute énergie naturelle ; qu'elle détruit la résilience originale au profit d'une indolence qui favorise toutes les influences négatives ; on ne voit que cette conquête : la naissance d'une « âme belge », avec le français comme langue d'expression - et quel français !

Le projet de loi Coremans aurait pu contribuer à maintenir le caractère flamand de Bruxelles ; il aurait pu éveiller la conscience flamande chez les générations nouvelles, il aurait pu rapprocher les classes supérieures du peuple par une meilleure connaissance de la langue populaire, - ce qui reste toujours à souhaiter.

Aucun des partis n'en a voulu. Les catholiques sont particulièrement divisés sur ce point. Les socialistes voteront pour le projet de loi, avec des réserves concernant Bruxelles. Et les libéraux semblent vouloir s'unir pour soutenir un amendement qui vient confirmer l'idée selon laquelle Bruxelles n'est pas seulement une ville bilingue - ce qui peut être vrai - mais chacun a le droit de se prononcer pour ou contre un régime d'enseignement flamand - ce qui est un véritable désastre, si l'on considère l'indifférence de la population et l'esprit de vanité d'une ville mondiale qu’on appelle « le petit Paris ». Car c'est là que mène précisément l'amendement Buyl, qui stipule : chacun sera enseigné dans la langue qu'il utilise le plus. Et tous ceux qui vivent à Bruxelles savent bien comment chacun ici tient à montrer qu'il parle français.

Chaque concession flamande est une défaite. Vous avez pu constater dans ma lettre d'hier comment notre langue a été traitée jusqu'à présent en matière d'éducation. Nous devions nous enorgueillir de nous opposer à tout ce qui pouvait perpétuer un statu quo malheureux. Seules quelques personnes semblent en être conscientes à la Chambre. On préfère suivre les intérêts partisans.

Que le traitement ultérieur du projet de loi Coremans me guérisse de mon pessimisme !


Discussion approfondie de la proposition Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 25 juin 1907)

Bruxelles, 22 juin 1907

La discussion générale sur la proposition de Coremans a été fermée hier, et on a commencé à l'analyser article par article, amendement par amendement : une réflexion qui sera d'autant plus importante que les opposants devront montrer plus spécifiquement où va leur politique, jusqu'où va leur sincérité lorsqu'ils parlent de leur amour pour les Flamands, et dans quelle mesure leur position est déterminée et modifiée par l'intérêt général ou des avantages particuliers.

Hier, je vous ai écrit comment les partisans de la proposition perdaient peu à peu courage et confiance, surtout en ce qui concerne la reconnaissance de Bruxelles comme ville flamande. Car on doute moins que la proposition de Coremans ne l'emporte sur les deux autres propositions que qu'elle soit adoptée sans cette mutilation : Bruxelles, bilingue, sera gouvernée par des dispositions légales spéciales qui la sépareront du reste du pays, et elle perdra ainsi de plus en plus son caractère distinct, au profit d'un cosmopolitisme uniformisateur et affaiblissant. Cette crainte s'est avérée plus que jamais fondée lors des discussions d'hier,.

Car tout tournait principalement autour de la motion Buyl. Je vous en ai parlé plusieurs fois et je vous ai également dit qu'elle correspondait presque exactement à la proposition opportuniste de la réunion flamande qui a eu lieu récemment à Bruxelles, une proposition qui, plutôt que de voir le système Coremans entièrement rejeté, abandonnait Bruxelles moyennant certaines conditions légales. Je peux maintenant vous donner le texte de M. Buyl en traduction :

« Dans la ville de Bruxelles et dans les communes avoisinantes, la loi de 1883 sera applicable aux certificats délivrés aux personnes dont la langue maternelle ou la langue courante est le flamand.

« Les certificats délivrés à ces personnes, dont le français est la langue maternelle ou la langue courante, attesteront que les titulaires ont suivi avec succès un cours de flamand d'au moins six heures par semaine (auparavant, il était question de quatre heures). »

M. Buyl, député libéral d'une partie de la côte flamande, mais également échevin de la grande et prestigieuse banlieue d'Ixelles, l'une des parties les plus habitées et les plus aristocratiques de l'agglomération bruxelloise ; défenseur connu des droits des Flamands, mais aussi partisan dévoué, prêt à faire de légères concessions en faveur de camarades de parti qui pensent différemment ; défenseur de ses idéaux, mais tout autant partisan de l'unité politique, espérait, par son amendement, obtenir satisfaction auprès des libéraux et les amener à voter à l'unanimité en faveur de la proposition Coremans, ainsi mutilée.

Il n'a réussi que partiellement ; et ceux qui pensaient que l'ensemble de la gauche libérale adopterait son point de vue étaient hier terriblement déçus.

Il est incompréhensible, incroyable et profondément regrettable de constater à quel point certains opposants à la législation flamande s'opposent avec acharnement à une instruction ultérieure, sinon du néerlandais, du moins en néerlandais.

Ce qui les pousse à résister à cela, ce qui les pousse à empêcher que même les Wallons, voire les bilingues, aient la possibilité de s'approcher d'une civilisation plus large grâce à l'enseignement en néerlandais, serait incompréhensible pour quiconque ne sait pas combien l'esprit français, la culture française et les méthodes d'éducation françaises sont profondément enracinés ici. Toutes les générations qui ont atteint un niveau de développement intellectuel élevé il y a une vingtaine d'années sont tellement imprégnées de latin, par la voie française, sont si imprégnées de la manière de penser française, ont si bien formé leur goût et leur jugement selon le modèle français, qu'une crainte instinctive, un rejet organique de toute autre culture les ont définitivement détournées de tout ce qui n'est pas français. Certes, ils ne négligeront ni l'érudition allemande ni l'influence anglaise ; cependant, se livrer à des influences ou à des œuvres d'esprit allemandes ou anglaises est physiquement presque impossible pour eux ; - quelque chose que ni la propagande allemande mal comprise ni le flamingantisme mal compris n'ont réussi à améliorer. Et c'est ainsi qu'il est compréhensible, bien que, rationnellement parlant, pas du tout justifiable, que des personnes comme Hymans et Janson, qui reconnaissent volontiers les droits des Flamands, s'indignent lorsqu'on leur demande de mettre effectivement en œuvre ces droits. Et c'est ainsi qu'il est également explicable qu'ils n'acceptent pas même ce que Buyl avait proposé, et qu'ils divisent leur parti avec un autre amendement, qui ressemble à peu près à ce qui suit :

« Ceux qui n'ont pas satisfait aux exigences de la loi de 1883 devront passer un examen, composé des épreuves suivantes :

« 1°. Traduction orale en français d'un texte néerlandais ;

« 2°. Traduction, sans dictionnaire, d'un texte français en néerlandais ;

« 3°. Un interrogatoire oral en néerlandais sur l'une des matières suivantes : histoire, géographie, chimie, botanique et physique, telles qu'elles apparaissent au programme de rhétorique ou de la classe scientifique supérieure, au choix de l'interrogé. »

On voit la tendance : si l'amendement Buyl accordait déjà un privilège excessif à ceux qui voulaient se considérer comme francophones, il réservait toutefois pour la section flamande l'ensemble du programme scolaire officiel, qui prévoit l'enseignement en néerlandais de l'histoire et de la géographie, considérées ensemble comme une seule matière, et des sciences naturelles, c'est-à-dire la zoologie, la botanique, la physique et la chimie. Maintenant, Messieurs Hymans ne veulent même plus de cela, même pour les sections flamandes : il suffira que le candidat, selon la méthode du perroquet dont Anseele parlait avant-hier, apprenne une petite partie - celle du niveau le plus élevé - de seulement l'une de ces matières par cœur, pour avoir le droit, en cas de succès, au même diplôme que les élèves des écoles officielles du pays flamand, même ceux qui avaient auparavant suivi un cursus de développement français, ont dû conquérir à la sueur de leur front. Cela ne peut pas être considéré comme autre chose que comme un manque de logique...

Ou non, je me trompe : cela peut aller plus loin. Cela peut aller jusqu'à une négation totale de la justice ; cela peut aller jusqu'à la soustraction cynique de tout contrôle officiel d'un examen pourtant reconnu, mais un examen qui serait pris en charge par des jurys de colléges, en dehors de toute intervention de l'État.

C'est le système du monsieur Hoyois, apparemment adopté par la majorité de la droite.

Monsieur Hoyois n'a pas encore défendu sa proposition. Le jour où il le fera, on rira. Je vous promets d'en faire fidèlement rapport.


Le premier vote de la proposition Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 28 juin 1907)

Bruxelles, 26 juin 1907

J'ai assisté à une séance parlementaire des plus amusantes : amusante parce qu'elle a montré à quel point la confusion règne du côté droit, de plus en plus divisé, et l'a révélé dans des circonstances stupéfiantes ; amusante aussi pour la manifestation non dissimulée de regret et de mesquinerie, quand il s'agit des Wallons et des Belges francisés, conséquence logique de l'acceptation d'une loi existant depuis vingt-quatre ans. Car la séance d'hier a été plus qu'amusante : elle est révélatrice d'un état d'esprit, ou plutôt d'un état d'âme irraisonné, auquel même les députés les plus raisonnables ne sont pas parvenus à échapper. Et je n'ai pas été étonné que des collègues de la presse bruxelloise, francophones, généralement peu enclins à l'exagération flamande, et qui, souvent Wallons, dans leur franche sincérité, peu étouffée par le parlementarisme, ne cachent pas leur difficulté à digérer une proposition de loi comme celle de Coremans, je n'ai pas été étonné que même de tels opposants à la proposition en cours se soient étonnés d'un vote trop illogique, qui aurait dû découler d'une conviction mûrie, d'une sérieuse réflexion - et ce après trois semaines de débat... Mais revenons au sujet.

Il y a quelques jours, je vous écrivais comment les libéraux, à travers deux motions - celle de Buyl-Lepage et celle de Hymans-Janson - ont mutilé la proposition de loi, en arrachant Bruxelles de la législation générale et en créant pour l'avenir de la capitale une situation qui devait inquiéter les Flamands. Reconnaître Bruxelles comme une ville non flamande, ce n'était pas seulement ignorer la vérité statistique ; ce n'était pas seulement nier que le fondement de la population, que le fondement de la vie spirituelle de la population est originellement flamand : c'était empêcher que les générations futures le ressentent encore, le comprennent et le revendiquent. C'était non seulement creuser un fossé plus profond entre le peuple proprement dit et les classes supérieures : c'était creuser un nouveau fossé entre les couches plus anciennes et plus récentes de la bourgeoisie elle-même, qui n'avait commencé à se franciser que depuis une trentaine d'années. Et c'était plus encore : c'était un « déracinement », comme le dit Maurice Barrès ; c'était transplanter une terre ou un sol spirituel étranger ; c'était donc appauvrir, affaiblir toutes les forces originelles ; ce que l'on ressentirait certainement dans les fruits futurs. - Que le flamand Buyl se soit associé au franco-belge Lepage (échevin de l'enseignement de la capitale) pour une telle tâche peut s'expliquer par l'opportunisme politique, par le slogan du « mieux que rien ». Il avait d'ailleurs été précédé sur cette voie par le Grand Meeting populaire de Bruxelles, qui avait envoyé un ordre du jour en ce sens à la Chambre.

Un autre amendement, celui du catholique wallon Hoyois, allait encore plus loin. Non seulement Bruxelles, mais tout le pays flamand était soustrait au contrôle de l'État, et donc effectivement privé d'enseignement dans la langue maternelle, par une disposition qui disait : Nous admettons que dans les institutions libres du pays flamand, un enseignement en néerlandais est donné dans une certaine mesure ; mais savoir jusqu’où ira un tel enseignement, ne sera apprécié que par des personnes qui, en dehors de toute ingérence de l'État, appartiendront comme jurés à chaque institution individuelle. L'absurdité d'une telle mesure, pour ne pas utiliser de terme plus fort, saute aux yeux. Même du côté catholique, la réponse ne tarda pas à venir, et le brillant et courageux hebdomadaire « Hooger Leven » écrivit donc dans une lettre ouverte aux honorables députés :

« Un examen par un élève par ses propres enseignants est totalement inutile. Trois fois par an, l'élève participe à un concours ; de plus, à travers les interrogations de l'année, chaque enseignant connaît la valeur de chaque élève. À quoi servirait donc cet examen ? Volontairement ou non, l'enseignant ne serait pas juste, ou sa justice donnerait lieu à des résultats injustes. Supposez un élève qui répond malencontreusement mal ou bien. Que devrait faire l'examinateur, qui connaît les élèves ? Un tel enseignant veillera toujours à ce que l'examen soit adapté à l'enseignement qu'il dispense. S'il est maître des deux, quel garantie reste-t-il alors ? »

Un tel amendement, défendu avec une éloquence très particulière par M. Hoyois, ne pouvait que nous préparer à une séance parlementaire des plus divertissantes. Malheureusement, nous en avons été privés. M. Hoyois, qui devait aujourd'hui prononcer sa défense, non, celle de son amendement, a été remplacé par la verte Éminence, M. Woeste, qui était aussi ennuyeux qu'on ne peut l'être, et sous le creux de son pontificat, parmi les éclats d'interruptions, il pouvait à peine dissimuler son manque de conviction et son zèle pour servir - mal servir - les évêques.

C’est avec un discours de cette nature que la séance a été ouverte. C’est avec un discours de cette nature que la discussion sur la proposition de loi a également été close. Bien que le sujet ne fût pas épuisé, la Chambre a unanimement estimé qu'il était grand temps de mettre fin à ce traitement - et à cette maltraitance - de la question vitale pour le peuple flamand, et que le moment était venu de voter.

Et c’est maintenant que la plaisanterie a commencé ; c’est maintenant le moment où est née allait naître ; maintenant que la passion, trop longtemps contenue, allait éclater, que la raison être réduite au silence : maintenant que les passions de bas étage allaient commencer à parler. Oh, ce n'était pas que, objectivement parlant, cela cessait d'être amusant : c'était simplement une autre édition de ce qui avait été si souvent vu : la peur sous le fouet de la partialité politique, une noble façade masquant la crainte de paraître désagréable envers les bons camarades, un reniement cynique et presque jovial de ce que l'on avait soi-même défendu et proposé, un commandement supérieur préféré à sa propre conviction : la comédie parlementaire, qui finit par abandonner son masque fatigant pour se montrer dans toute sa nudité, même si elle en perd, hélas, son prestige...

Et cela commença avec le ministre Helleputte, qui accrocha à la boutonnière du ministre de Trooz la fleur de son adhésion, rejetant ainsi M. Coremans ; même s'il se hâtait de reconnaître, déclarait-il, que la proposition de ce dernier n'était en aucun cas anticonstitutionnelle.

C'est le lieutenant de Helleputte, Arthur Verhaegen, qui se rallia avec arrogance et colère à son collègue Hoyois.

C'est M. Henderickx, qui, au nom de M. Coremans, fit une malheureuse concession aux messieurs Buyl-Lepage, par un amendement similaire.

Et enfin : le vote.

Bien sûr, d'abord un peu de confusion. Sur quoi votera-t-on en premier ? - On se bouscule. Chacun veut être le premier à avoir sa part du gâteau royal : qui recevra la fève en premier ?

On vote sur la première partie de la proposition de Buyl, concernant les provinces où le régime flamand est maintenu. Elle est rejetée.

« Donc, l'amendement entier est caduc, » déclare le président Schollaert comme une sphinx oraculaire...

Une surprise générale, qui se transforme rapidement en jubilation du côté droit : les évêques sont sauvés, puisque le principe de la loi est ainsi déclaré caduc.

Mais pas du tout du côté gauche : on sent trop bien où se trouve l'arnaque et... on ne veut pas passer pour des dupes. Et M. Lorand fait une grimace furieuse, comme aux plus beaux jours ; et la tête chauve de Buyl lance des éclairs, tellement elle bouge vite.

Cependant, l'ange de la raison, Janson, veillait : il réussit à provoquer un nouveau vote, d'abord, logiquement, sur le principe même de la proposition de loi, en ce qu'elle détermine la date d'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Le vote est favorable à Coremans : la gauche vote pour, contre la majorité de droite. Des flamands connus, comme Van der Linden, s'abstiennent ; d'autres, comme le ministre Helleputte, votent contre : demain, la plupart des journaux flamands les appelleront "traîtres"...

La droite est furieuse, elle veut se venger. Et lors du deuxième vote, cette fois-ci sur le maintien des sections wallonnes en Flandre, elle vote mesquinement contre, alors qu'elle prouvait quelques minutes plus tôt, en approuvant le principe « flamand en Flandre ». Elle a rejeté l'usage imposé du néerlandais dans l'enseignement, maintenant elle rejette l'usage éventuel du français. Dans quelle langue sera-t-on alors enseigné ? Ô sainte logique !

Et pour l'amendement Buyl, concernant la capitale : le même phénomène !... Et pourtant, il n'a pas fait aussi chaud aujourd'hui, que cela aurait pu affecter le fonctionnement des cerveaux !...

Ou était-ce encore une de ces ruses pour entraver et bloquer le vote final de demain en faveur de toute la proposition de loi ? Voulait-on exaspérer les Wallons qui sont favorables aux Flamands, et ainsi provoquer un vote négatif ? Voulait-on pousser l'obstructionnisme jusqu'à l'exaspération ? Existent-ils encore seulement de tels moyens pour déposséder les Flamands de leurs droits, reconnus par des Wallons bienveillants et sincères ? Nous le verrons demain.

Mais que les agitateurs fassent bien attention ! Car, si le peuple flamand se lève, ils pourraient bien être ceux qui paieront les pots cassés !


En résultat [la proposition Coremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 juin 1907)

Bruxelles, 28 juin 1907

« Il est scandaleux de délibérer comme nous le faisons ! »

Ces mots, prononcés hier par le Wallon Destrée, pourraient bien servir d'épigraphe à une discussion telle que nous l'avons vue, caractérisée par des basses préoccupations, une rancœur ouverte, voire une haine débridée comme nous n'en avons jamais rencontré. Manigances et machinations, confusion orchestrée, contradictions artificielles : aucun stratagème de la petite politique, aucune ruse des querelles de village, aucun piège des partis qui s'épient mutuellement n'ont été épargnés dans un Parlement qui semblait prendre plaisir à abandonner toute dignité et à renoncer à tout respect.

Et cela pour une proposition de loi qui, applicable aux écoles officielles, avait été adoptée il y a 24 ans à une majorité quasi unanime, à quelques voix près. Mais à l'époque, voyez-vous, cela ne concernait que les établissements officiels, où étaient surtout envoyés les enfants des classes moins favorisées et de la petite bourgeoisie. Ni les collèges catholiques, ni les « instituts » libéraux n'étaient menacés. Et comme, depuis lors, il était de bon ton d'envoyer les jeunes dans de tels collèges ou instituts pour échapper à la loi Coremans, une Chambre unanime a jugé logique et patriotique d'enseigner aux jeunes, au moins en partie, par le biais de la langue maternelle.

Le député Coremans était-il trop bien informé, trop clairvoyant, trop sûr d'une défaite, pour attendre des années avant de compléter la loi de 1883 sur l'enseignement moyen officiel par une autre loi identique sur l'enseignement non officiel ? En tout cas, il a tardé à le faire ; et quand il a finalement décidé de le faire, son projet de loi est resté pendant plusieurs années dans les cartons de la Chambre ; jusqu'à ce qu'enfin, pour une Chambre ennuyée et tendue, à la fin d'une session chargée et difficile, on procède à son examen, et...

Dans mes lettres précédentes, j'ai tenté de vous esquisser, d'une part, la signification de la proposition de loi, d'autre part, la manière dont cette signification a été reconnue ou niée. Cette signification est double : en principe, il s'agit de l'achèvement progressif d'une législation qui, sans porter atteinte à l'unité belge, vise à une égalité de fait entre Wallons et Flamands et à la reconnaissance de leurs devoirs et droits respectifs : dans son application, il s'agit d'imposer les mêmes obligations à ceux qui bénéficient des mêmes avantages.

La manière dont cette signification a été interprétée à la Chambre est quelque peu fantastique.

Je vous ai écrit sur les efforts déployés par les représentants des classes sociales supérieures, qu'ils soient de droite ou de gauche, pour empêcher une éventuelle prédominance de la langue populaire au profit du français. Avaient-ils peur qu'une connaissance plus approfondie de la langue maternelle n'entraîne des exigences sociales plus profondes, qu'elle ne suscite une prise de conscience accrue dans leurs propres cercles, qu'elle ne provoque des divisions dans leurs rangs, unis jusqu'alors par d'autres intérêts que ceux de la race et de l'origine ? Était-ce une haine irraisonnée envers ce qui est socialement inférieur ; une peur inconsciente, presque, de souillure, qui les empêchait de reconnaître la langue du peuple comme bonne pour leur propre langue ? La Belgique, pays, plus que tout autre, de la bourgeoisie toute-puissante, tant que le spectre rouge n'avait pas brandi le drapeau de la révolte, avait en outre, dans son méfiance envers tout ce qui était volonté populaire, assimilé activement tout ce qui était volonté populaire au socialisme actif. Et si le mouvement flamand rassemble maintenant plus d'éléments bourgeois que d'ouvriers, tout comme le jeune catholicisme et le radicalisme libéral, qui sont aussi des mouvements bourgeois, il se heurte tout autant que ces derniers au mur de refus de la bourgeoisie industrielle et financière, sans parler de la noblesse, qui refuse de sortir de sa dogmatique égocentrique et étroite.

Cette attitude dogmatique, qui exclut la connaissance et la pratique de la langue néerlandaise parce qu’inutile, et qui donne une interprétation très particulière et égoïste de la liberté d'enseignement - il est avec le code des accommodements -, était la motivation inconsciente qui a conduit tous les partis bourgeois de la Chambre au spectacle ridicule que nous avons vu. Il faut le dire : seuls les socialistes et une partie des jeunes catholiques ont su se comporter de manière logique et cohérente. Tous les autres, à de très rares exceptions près, ont obéi, soit à des impulsions inattendues de classe, de rang et de race, soit - et c'est bien pire - à des considérations et des calculs d'intérêt personnel ou de partisanerie ; ils ont sacrifié les intérêts nationaux à leur propre profit ; ils se sont montrés comme des députés peu dignes.

La séance d'hier, comme je vous l'avais laissé entendre, n'a pas été beaucoup moins folle que celle d'avant-hier. Les mêmes querelles, les mêmes tergiversations et les mêmes manœuvres sournoises ; la même colère pour la même ruse. Devrais-je vous les décrire ? Mais je tomberais toujours dans les mêmes répétitions.