Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (juillet 1907)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Feu d'artifice trempé par la pluie (12) - Semaine de la kermesse (23)

Feu d'artifice trempé par la pluie

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 juillet 1907)

(Paru le 13 juillet 1907)

Il est remarquable, à une époque où la lutte pour la vie a fait du courage et de la persévérance des vertus cardinales, de constater qu'une des maladies nerveuses les plus répandues est la peur sous toutes ses formes. La phobie à mille têtes est l'une des manifestations les plus recherchées et les plus aimées d'un tempérament raffiné. Celui qui n'a pas sa phobie est moins qu'ordinaire : il est simplement vulgaire. Et, puisque c'est nécessaire, puisque les conditions de vie l'exigent, personne n'échappe à la tension, à l'absence d'équilibre. Ainsi, lorsqu'on ne remarque aucune autre maladie nerveuse, il est encore des plus simples de prétendre à une phobie : phobie de l'éclair ou de la faim, de la pluie ou de la soif. Celui qui craint de trouver une fin malheureuse sous les roues d'une automobile souffre d'agoraphobie ; celui qui ne trouve pas nécessaire de se baigner deux fois par jour est un hydrophobe ; et celui qui juge inutile de se laisser griffer par le chat de sa tante est, avec ce mépris, devenu digne de l'appellation d'ailurophobe. Que dire ? On dira que c'est toujours une bonne chose d'apprendre un peu de grec pour échapper à la phobie de la maladie....

La Chambre belge a aussi sa phobie, mais il n'a pas encore été trouvé de nom grec pour celle-ci, bien que nous possédions parmi nos représentants du peuple quelques hellénistes éminents. Pourtant, ce mal n'est pas nouveau ; il est même endémique et chronique ; il réapparaît chaque année, au moment des moissons, et alors c'est une éternuement et une quinte de toux considérables ; l'injection de nouveau sang populaire sain a peu aidé ; le spectre rouge - un remède homéopathique - a aggravé le phénomène ; et jusqu'à présent, nos patients du Parlement n'ont trouvé qu'un seul palliatif, une seule pommade adoucissante : appeler la maladie "ad calendas graecas" (aux calendes grecques)...

En réalité, elle ne disparaît pas ; mais le patient parvient facilement à l'autosuggestion qu'il en est libéré pour un temps ; et alors il se remet à agir comme une personne normale : il raisonne presque logiquement, ses paroles ne sont pas du tout insensées, et il échappe presque entièrement à l'apparition épileptique d'une danse de Saint-Guy particulière, qui semble indépendante des accès de la maladie.

Comment nommer cette maladie de la chambre, comment la décrire ? Elle réapparaît chaque fois qu'il s'agit de réparer des "griefs flamands", de reconnaître la légitimité des revendications flamandes, de ratifier par la loi l'égalité du néerlandais avec le français. Et alors, c'est une agitation et des convulsions, une confusion des sens et une désobéissance des membres, une perte incompréhensible de toute volonté, physique comme morale. Certains malades sont comme possédés ; d'autres pensent qu'en faisant de légères concessions, ils apaiseront la maladie ; ils s'inoculent avec son agent pathogène le plus virulent et pensent alors être protégés ; ils se bercent d'illusions : « ce ne sera pas si grave » ; - mais cela ne sert à rien : la maladie est contagieuse au point que même les journalistes de la tribune de presse sont infectés. Car le bacille de cette maladie, à peine remarqué ailleurs, fait rage dans la Chambre, est même visible à l'œil nu, comme un choléra. Innocent dans le monde extérieur, il est dans la Chambre agressif et mordant comme une mauvaise fourmi. Et ce bacille de la phobie flamande - comment traduire cela en grec ? - s'appelle Edward Coremans.

Depuis plus de six semaines, il travaille à nouveau notre deuxième Chambre, et j'ai rempli des colonnes pour vous décrire les ravages qu'il a commis ou inspirés. Cette fois, ce sont encore trois jours de fureur paroxystique : on nous avait promis que ce serait le dernier ; et en effet : le dernier, - mais, hélas, avec un résultat différent de celui que nous avions espéré...

Car encore une fois, la Chambre effrayée, à l'unanimité, a utilisé le remède éprouvé : « Ce n'est pas si urgent, n'est-ce pas ? Et nous et le pays pouvons bien encore attendre un peu ? ... Certainement, vos revendications légitimes flamandes existent ! Certainement, l'enseignement secondaire libre doit être soumis aux mêmes dispositions légales que l'enseignement officiel ! Et vous avez raison, virus flamand, de nous tourmenter encore un peu ! Mais si vous preniez des vacances ? Vous êtes vieux, virus Coremans, et une trop grande utilisation pourrait affaiblir votre pouvoir corrosif. Si vous vous reposiez un peu ?... Oh, comme nous vous accueillerons à bras ouverts lors de votre prochaine visite !... »

Et voilà comment cela s'est passé cet après-midi, à 14 heures 42 précises, dans la Chambre belge des représentants : devant un hémicycle où l'on entendait battre environ 140 cœurs patriotiques dans un silence solennel, le président Schollaert, avec des tremblements émotionnels dans la voix, a proposé, puisque tout le monde était d'accord que le projet de loi Coremans ne visait que le bien du pays, de le renvoyer à nouveau, avec tous les amendements, à une commission de neuf membres ; deux libéraux, deux socialistes et cinq catholiques. Et à l'exception des socialistes et des jeunes catholiques, toute la Chambre, y compris le ministère, à l'exception de M. Helleputte, s'est réjouie de ce soulagement si bienvenu et a applaudi comme des enfants à un spectacle de marionnettes, lorsque Pulcinella reçoit des coups de la maréchaussée...

Vous ai-je dit que M. Coremans a une tête de Pulcinella ? Ses ennemis le prétendent du moins...

Et voilà comment le peuple flamand a été trompé une fois de plus. Tous les moyens s'étaient révélés impuissants. Encore avant-hier, un flamingant authentique, M. Vanderlinden, pâle et maigre - un nouveau « traître » sur la liste flamande - avait repris à son compte la motion Hoyois, avec cette seule modification : le jury, qui devait passer les examens dans les institutions libres d'enseignement secondaire, compterait parmi ses membres un représentant du gouvernement. Mais M. Vandervelde, entre autres, avait combattu si vigoureusement cet amendement que la droite pouvait à nouveau s'attendre à une défaite. Il y avait plus : un amendement Destrée, qui soutenait le principe de la loi votée en première lecture, mais en retirait l'application à la Wallonie et, avec des dispositions spéciales, à la capitale, avait de grandes chances d'être adopté... On était désespéré. Et vous auriez dû voir aujourd'hui, avant le début de la séance, l'excitation du vieux Neujean et le zèle du chauve Buyl pour empêcher que la proposition Vanderlinden puisse obtenir un soutien.

Mais le président Schollaert avait trouvé la tangente ; Schollaert était encore le sage Cunctator. Et ils ont renvoyé à une nouvelle commission....

Cependant, nous avons ceci : la loi de 1883 sera également appliquée dans les institutions libres de Flandre ; cela ressort des « Annales parlementaires », si ce n'était pas évident des séances tumultueuses du Parlement. Mais que se passera-t-il à Bruxelles - presque le huitième de la population belge ! - ? Et avec les sections françaises en Flandre ? Et avec notre langue en Wallonie ?

La solution reste à trouver : une attitude orthodoxe, calme et virile de la Chambre l'aurait depuis longtemps apportée.

Mais être orthodoxe, et calme, et viril : comment y parvenir quand on souffre de phobie flamande ? ... Pauvre Parlement !

Et ainsi, encore une fois, le beau feu d'artifice a été trempé par la pluie...


Semaine de la kermesse

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juillet 1907)

Bruxelles, 21 juillet 1907

Le dernier jour. - Dieu merci !

Je ne suis pas un pessimiste, ni un grognon. Je tire volontiers de chaque instant ce qu'il peut m'offrir de plaisirs. Mais lorsque ce plaisir est quasi nul, avec beaucoup de dorures en guise de décor, - quelque chose comme la description d'un canon : un vide entouré de beaucoup de bronze - alors je ressens le même sentiment que la souris placée sous la cloche d'une pompe à air : à chaque aspiration du levier, elle sent son atmosphère devenir de plus en plus rare ; et si cela peut initialement procurer une sensation agréable, cela doit nécessairement déboucher sur des impressions moins plaisantes...

Cette année, la kermesse bruxelloise a suivi le même chemin que la Chambre belge : much aso about nothing. Car c'est ce qu'il en a été dans notre Chambre belge ; maintenant qu’on touche au but - on tient séance du matin au soir pour expédier rapidement les budgets - et que c'est l'heure du bilan, il faut le constater : beaucoup d'agitation, beaucoup de disputes, beaucoup de tapage, - et aucun résultat. La question du Congo renvoyée à la célèbre commission des XVII ; la loi sur les mines débouchant sur une crise ministérielle ; la loi-Coremans également envoyée en commission, c'est-à-dire condamnée à une mort lente : voilà ce que nous avons vécu cette année bénie de 1907 avec notre système parlementaire ; la plus belle preuve, signée de sa propre main, que notre Chambre des représentants, dès qu'il s'agit de discuter des questions plus profondes d'importance nationale ou sociale, reconnaît son incompétence et préfère déléguer la responsabilité et ... les soucis funéraires aux commissions. Où est le temps où être représentant du peuple signifiait autre chose, et avait une signification plus élevée, que de toucher quatre mille francs par an sur le dos des contribuables !...

Je ne veux nullement comparer les organisateurs de nos « fêtes nationales » avec nos représentants du peuple. La différence est trop grande. En principe, les deux sont même opposés. Car ce que je reproche à nos députés, c'est de négliger une tradition excellente, à savoir celle qui profitait au pays, et c'est ce qui conduit nos organisateurs de kermesses à un travail de moindre qualité : ils s'attachent trop à la tradition. Et c'est justement cette attache au vieux programme des fêtes qui a rendu leurs célébrations ennuyeuses et insipides. Ô belles années des cortèges lumineux et des processions de pierres précieuses ! Vous avez été des points lumineux, des oasis dans le désert de la monotonie. Car c'est cela : à la kermesse bruxelloise, la tradition est devenue une routine ; tandis que dans notre Chambre belge, elle a cessé d'être un élément vital, un stimulant puissant...

Je dois dire que, cette année encore, j'ai ressenti cette joie intérieure lorsque la kermesse allait commencer. C'était il y a une semaine samedi. Je me promenais sur la Grand-Place, où, en soirée, l'un des premiers soleils d'été, dans un plaisir languissant, étirait ses derniers éclats d'orange sur les magnifiques façades de pierre gris-jaune et les dorures brunies des maisons des guildes et des hôtels de ville. Il y avait l'ardeur tranquille de chaque soirée de fête. Un sentiment de bonheur planait sur les maisons ; il y avait comme une attente de joie profonde. Un à un, les drapeaux commençaient à pendre aux fenêtres, les beaux étendards, orange et bleu et vert, que le talentueux Herman Teirlinck, poète et peintre décorateur, avait conçus sur commande de l'État. Et dans la lumière du soleil couchant, c'était beau à voir, ces couleurs finement choisies, teintées, qui se mettaient à flotter doucement au-dessus de la place. La vieille, magnifique place semblait se réchauffer dans le souvenir de très anciennes, très somptueuses fêtes. Et il y avait une douce magie aussi chez ceux qui voyaient cela, comme l'attente d'une population entière prête à célébrer un bel événement : ces tenanciers de tavernes zélés qui, comme un devoir solennel, soupiraient et peinaient à déployer leurs drapeaux, tandis que, sur un kiosque, quelques musiciens essayaient furtivement leurs instruments de cuivre, pour un concert d'ouverture chaleureux et toujours digne...

Mais les jours suivants : des défilés bruyants de toutes sortes de personnes ridiculement vaniteuses ; des jeux aquatiques sans joie ni sympathie de la part des spectateurs ; des réceptions à l'hôtel de ville par un bourgmestre qui connaît la fatigue du sourire conventionnel ; et puis, la foire désespérément nostalgique.

Je me suis donné la peine de me promener là-bas. J'ai vu les vainqueurs de Henley s'exprimer avec des mots dignes et des révérences. J'ai entendu trois mots d'un discours à l'hôtel de ville. Et pendant ce temps, même les citoyens les plus naïfs étaient allés au bois de la Cambre, où ils mangeaient du jambon et buvaient de la bière bock, et trouvaient cela divin, heureux d'avoir échappé à ce qu'ils considéraient depuis leur plus jeune âge comme quelque chose de sempiternel, quelque chose d'intouchable, qu'ils désignaient par : « c'est toujours la même chose"....

Car c'est cela qui a rendu toute cette foire aussi artificielle, aussi irritante : elle est restée inchangée, tandis que les sentiments, les opinions, les concepts de la population ne cessent de changer. La kermesse bruxelloise n'est plus de son temps. Comment la rendre à nouveau actuelle ? Le conseil communnal de Bruxelles ne m'a pas consulté ; et s'il le faisait, je serais peut-être terriblement embarrassé. Mais je constate simplement : il n'y a plus d'équilibre, plus d'harmonie entre la fête et le public de la fête.

Je le sais bien : il y a toujours l'ouvrier avec sa famille et le ketje, ainsi que le voleur à la tire et la bonne de la rue Haute marollienne. Il y a toujours les fêtards officiels, et, pour certains divertissements spéciaux, un public spécial. Mais ce qui manque, c'est : la communion. Une partie de l'amour pour la ville dans son expression la plus haute, dans son ambiance festive, se perd même chez les petits bourgeois. On a le sentiment qu'il y a quelque chose qui cloche, que la joie des vrais fêtards ne va pas sans une arrière-pensée ; on sait qu'il y a une incompatibilité entre les mœurs évolutives et le spectacle de fête proposé.

Et cela se voit surtout à la foire. Les forains sont bien plus pratiques que nos organisateurs officiels de kermesses. Plus de carrousel naïf, où un vieux cheval réglait son allure traînante de son pas boiteux : force motrice électrique maintenant, et la « sensation rare » d'être secoué et retourné dans quatre directions à la fois ; plus de tête de Jut pour tester votre force physique : un appareil électrique encore qui mesure votre résistance à je ne sais combien de volts ; plus de diseuse de bonne aventure : des installations spirites sous la garantie de la science ; et des cinématographes au lieu des boîtes à raretés... Car nous vivons à une époque de savoir et de soif de connaissance, une époque qui craint la tromperie et contrôle ses expériences... Je n'ai trouvé qu'un seul vieux manège à chevaux Boulevard Jamar, à la foire de Bruxelles ; il était éclairé par des lampes fumantes et malodorantes, et un petit orgue douloureusement laborieux accompagnait la rotation grinçante et crissante des chevaux indifférents et stupides. Le propriétaire devait être un homme insensé, pensais-je. Non : c'était un malin. Car je n'étais pas resté cinq minutes à regarder, que je vis l'élite de la littérature flamande arriver, monter le manège et payer cher pour avoir la joie de profiter de ce divertissement préhistorique...

Mais n'est-ce pas déjà la plus belle preuve que de tels divertissements désuets ne correspondent plus à nos conditions de vie actuelles, puisque les littéraires, êtres d'exception, paient cher pour pouvoir éprouver le fonctionnement d'une telle curiosité ?

Et maintenant, les festivités ordinaires de la capitale lors de la kermesse ne sont guère plus que... de vieux manèges à chevaux. Et si elles n'ont plus de succès auprès de la population, le conseil communal ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Partout, il a fondé des universités populaires, organisé des cours dans tous les domaines, rendu possible une éducation supérieure, même pour le commun des mortels. Comment peut-il alors encore espérer attirer cette population avec des fêtes nautiques et des montées à la perche ? Elles conviennent parfaitement à des gens qui sont assez élevés spirituellement pour redevenir spirituellement simples. Mais cela ne peut être attendu des « parvenus intellectuels » qu'il a élevés jusque dans les couches les plus basses de la population. Et c'est pourquoi il est souhaitable que les festivités des prochaines années atteignent un niveau plus élevé...

Seuls les artistes protesteront peut-être encore, et les pickpockets, et les servantes, et leurs chevaliers servants.

Mais de telles personnes comptent-elles vraiment ?...