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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (janvier 1907)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Notre neutralité (9) - Réouverture [des séances de la Chambre des représentants] (27)

Notre neutralité

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 janvier 1907)

Bruxelles, 8 janvier 1907

Je me souviens comment, dans l'un de nos zoos, un vieux lion malade devait être abattu. La bête n'était pas un agneau ; une plaie suppurante dont elle souffrait ne la rendait guère encline, par ailleurs, à la politesse ou même à la tranquillité rassurante. Il n'y avait donc guère à penser à s'approcher de près pour lui donner, avec toute certitude, la balle efficace qui l'enverrait ad patres, sans déviation, en plein cœur. Alors, on eut l'idée suivante. On affama d'abord l'animal, puis on le fit défiler à travers une série de cages, de plus en plus petites, jusqu'à ce qu'il parvienne, guidé par l'odeur, à une toute petite cage, à peine assez grande pour un chien d'eau de taille moyenne, mais où l'on gardait un magnifique steak de cheval à sa disposition. L'animal se jeta dessus ; la trappe de la cage se referma et le pauvre lion, incapable de bouger dans son étroit logement, fut abattu par un ancien explorateur du Congo, qui prétendait avoir déjà chassé des lions...

Je vous raconte cette anecdote, non pas parce que je la trouve si extraordinairement intéressante - oh non ! - mais parce qu'elle illustre bien la situation de la Belgique, avec notre neutralité accordée généreusement par les puissances. Car, à en juger par certains journaux, cette neutralité, garantie par les puissances, ne serait pour nous qu'un appât, qui donnerait à ces mêmes puissances le pouvoir de nous abattre et de nous dépecer encore mieux.

Oh, je n'accuse personne ! Mais je sais que la Belgique a plus d'une fois été exposée aux ambitions conquérantes de ses voisins - en 1848, notamment, quand une poignée de soldats français ont pensé pouvoir tout simplement envahir notre pays - et que nous n'avons pas manqué de menaces. Cependant, nous avons maintenant nos forts sur la Meuse ; bientôt nous aurons les nouvelles fortifications autour d'Anvers, et... cela nous a coûté assez cher pour nous donner l'assurance que nous pouvons désormais dormir sur nos deux oreilles...

Non, des gouvernements des grandes nations, qui nous ont généreusement assuré la neutralité de notre territoire et ont juré, nous n'avons pour l'instant rien à craindre. Mais avec les politiciens des journaux, c'est différent ; car il ne se passe pas un mois sans qu'ils trouvent le moyen de nous inquiéter pour notre neutralité par tel ou tel arrangement qui, selon eux, apporterait la paix éternelle à l'Europe, ou une plus grande prospérité, ou simplement un aspect plus beau sur la carte. Tous ces Napoléons de chambre rêvent de donner à l'Europe, qui gît là depuis près d'un siècle quasi inchangée, une nouvelle répartition. Ils estiment qu'il est grand temps que le Holstein, l'Alsace-Lorraine et la Belgique changent de propriétaire, et souhaitent apporter quelques modifications nécessaires de leur propre chef. Que la Belgique doive sacrifier son indépendance pour cela, cela importe peu évidemment. Après tout, on a le droit de reprendre ce que l'on a donné, n'est-ce pas ? Et la neutralité belge est un cadeau des puissances... Encore une fois, bien sûr, en dehors des gouvernements compétents, on trouve des utopistes pour proposer un nouveau partage de la carte du monde. Un magazine français a jugé bon de donner place à leurs plans ; et si la paix mondiale n'est pas désormais établie pour toujours, per saecula saeculorum, ce ne sera de toute façon pas de ma faute, puisque je contribue à cet édifice en apportant ma pierre.

Il s'agit bien sûr des relations d'amitié mutuelle entre la France et l'Allemagne, des relations qui, malheureusement, traînent le boulet de l'Alsace-Lorraine : un Lasciate ogni speranza tant qu'on n'a rien trouvé pour donner une compensation à la France sans rien enlever à l'Allemagne... Maintenant, il y a un petit pays, appelé la Belgique, et qui est habité par un peuple dont la moitié ne fait que se quereller avec l'autre moitié. Cette première moitié est constituée de hurluberlus qu'on appelle les Flamands, et l'autre moitié de fainéants qu'on appelle les Wallons. Maintenant, la combinaison est la suivante : et si nous avions l'honneur de transformer ces Wallons en Français ? Bien sûr, nous ne les confierions pas à l'Allemagne, qui a déjà son lot de mécontents. Mais nous les réunirions avec les Hollandais, tandis que mère Germania accueillerait le grand-duché de Luxembourg comme un État libre dans son giron, ainsi que la parcelle de terre belge qui abrite toujours une population germanophone. Et pour les provinces d'Alsace et de Lorraine : chacune récupérerait la sienne, selon la langue....

Ne trouvez-vous pas que ce petit plan est vraiment beau ? Et quel dommage que nous ne puissions pas le réaliser d'un coup !...

Bien sûr, tout cela n'est que bavardage sans importance tant que cela ne vient pas des puissances elles-mêmes. Et même alors, tout ne se passerait pas comme sur des roulettes. Plus d'une fois, notre neutralité, même officiellement, a été menacée, sans que l'on ose vraiment mettre ces menaces à exécution. Même dans les années critiques des années 1840, lorsque, dix ans à peine après la proclamation de notre indépendance encore fragile, nous étions sous le contrôle moral, voire plus que moral, de la France, et que Guizot, craignant une « prussification » de la Belgique face à l'attitude des Flamands, avait cru devoir dire aux Belges qu'il mettrait « des obstacles efficaces » si l'Allemagne continuait de nous menacer de germanisation par la voie flamande : même alors, la Belgique n'a pas tremblé, et surtout pas les Flamands, qui savaient bien qu'ils ne pouvaient compter que sur leurs propres forces et sans l'intervention de l'Allemagne. Nous n'aurions donc pas non plus prêté attention à la dernière nouveauté des messieurs régulateurs des États, si ce n'était que la mouvance flamande est invoquée comme argument pour la séparation des deux parties de la Belgique.

Quand comprendra-t-on enfin que 1° la lutte flamande n'est pas dirigée contre les Wallons et consiste uniquement en un effort pour leur propre développement logique, c'est-à-dire à travers leur propre langue sur leur propre territoire ; que 2° les Flamands ne sont absolument pas des fauteurs de division, conscients que leur union avec les Wallons est une véritable bienfait pour leur industrie ; que 3° leur mouvement est bel et bien nationaliste, qui se réjouit de voir également la Wallonie chercher sa propre conscience, puisée aux sources de la tradition populaire et de l'art populaire... La différence de race n'entraîne pas nécessairement la haine mutuelle, surtout chez des personnes ayant des intérêts communs. Et autant que je sache, le Mouvement flamand - devenu parfois un sujet de discorde uniquement par la mauvaise volonté des Wallons - n'a jamais mis en danger l'autonomie et l'intégrité territoriale de la Belgique...

Quand cela sera-t-il enfin compris à l'étranger, et quand aura-t-on un regard compréhensif et sympathique envers le Flamand - tout comme envers les Tchèques et les Finlandais ?

Oui, je sais bien qui est responsable de cette incompréhension ; je pourrais en dire long sur la manière dont nous sommes présentés à l'étranger. Mais je préfère me taire, car on pourrait tirer de mes paroles la conclusion que je suis l'instigateur de cette nouvelle séparation de notre pays au profit de la France et de l'Allemagne.

Et cela, je ne le souhaite absolument pas !


Réouverture [des séances de la Chambre des représentants]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 janvier 1907)

Bruxelles, 24 janvier 1907

Est-ce le résultat du froid ? Car notre Chambre des Représentants ressemble bien à l'agréable domicile de quelques marmottes hivernantes.

Mais quelle température aussi ! Un ours polaire - animal qui pourtant ne craint pas le moindre refroidissement de l'atmosphère - en attraperait un rhume ; et un explorateur de l'Antarctique, que j'ai rencontré hier, m'a assuré que les impressions achetées sur les icebergs là-bas ne rivalisent en aucun cas avec celles, acquises depuis quelques jours par les oreilles et les nez des Bruxellois. Moins quinze degrés, indique mon thermomètre ce matin ; et dans les Ardennes, il est descendu jusqu'à moins dix-huit virgule cinq. Des gens avec une mémoire forte et beaucoup de confiance en eux affirment que quelque chose de tel ne s'était pas produit dans notre pays depuis 1887. Des vieilles femmes tombent mortes dans la rue ; - heureusement pas toutes - et les chiens errants de nuit, d'habitude cyniquement indifférents aux changements de temps, tremblaient et gémissaient cette nuit, raides contre les montants de porte, implorant du regard les rares passants - dont moi-même - d'essayer une seule de leurs clés dans la serrure... C'était touchant ; mais la température était impitoyable, et - qui sait combien de chiens morts de froid la capitale aura à déplorer demain matin...

Cependant, je voulais vous parler de la réouverture de la Chambre, et si je me suis permis ici une petite digression, c'est uniquement parce que cette réouverture a été aussi froide que l'atmosphère extérieure. On sent qu'aucune amitié chaleureuse ne lie la majorité de nos députés les uns aux autres. Ou est-ce le souvenir des quatre semaines de vacances bénies, des oies de Noël dévorées et des repas du Nouvel An savourés, du farniente, loin de toutes les préoccupations de l'État, dans le giron de la famille, des promenades émouvantes à travers la région natale ; - est-ce de tels souvenirs qui ont rendu les plus belliqueux de nos législateurs aussi pondérés à cette réouverture que des moines méditatifs, et nos lutteurs les plus fougueux aussi pensifs que des vieillards réfléchis ? Quoi qu'il en soit : notre Parlement est comme une cloche à fromage aérée, où une vingtaine de membres, immobiles comme des mouches en digestion, écoutent peu, perdus dans leurs pensées, la voix douce et monotone du professeur socialiste Hector Denis - ne vous laissez pas tromper par son prénom héroïque - qui récite sereinement et d'un front serein des statistiques.

Non, il n'y a pas du tout d'animation ; c'est la torpeur de l'indifférence comme dans une classe où, pour des lycéens amoureux, le professeur dévoile les beautés de la trigonométrie....

Pourtant, le sujet de Monsieur Denis est loin d'être sans importance. Il concerne la prospérité matérielle et spirituelle de près de deux provinces belges. Du débat en cours dépend dans tous les sens du terme un avenir meilleur pour une partie de la Flandre jusqu'ici négligée et en retard. Car il s'agit des mines nouvellement découvertes dans le Limbourg. C'est une nouvelle richesse et son exploitation qui préoccupe monsieur Denis et occupe le reste de la Chambre...

La situation est la suivante : comme je vous l'ai écrit le 8 août, l'État a préféré, au lieu de l'exploitation directe - qui, en dehors de tout bénéfice, aurait permis au pays de surveiller la manière dont le travail serait mené et le traitement réservé au personnel, et qui aurait assuré que le bénéfice de notre richesse inattendue ne tomberait pas entre des mains étrangères - ; au lieu de l'exploitation directe, l'État a donc choisi d'accorder des concessions dans le nouveau bassin minier, dans un certain cas, où une part importante a été cédée au découvreur du gisement de charbon, André Dumont, - une cession qui a eu lieu avant même qu'une nouvelle loi minière, dictée par les nouvelles conditions, ne soit votée.

On ne peut rien changer à un fait accompli. M. Denis, même s'il regrettait que, selon lui, on ait agi avec légèreté, s'est donc abstenu de toute considération théorique pour... sauver ce qui pouvait encore l'être : le contrôle par le peuple belge sur ce qu'il aurait pu si facilement perdre. Et il a proposé, essentiellement, que toute concession d'une certaine importance ne soit accordée qu'avec l'approbation du Pouvoir Législatif - ce qui protégerait les intérêts nationaux -, et que, comme mesure de précaution, l'État ait le droit de racheter. Il a regretté qu'une partie des concessions relève de l'ancienne législation - datant de 1870 ! -, et que l'autre relève de la nouvelle : une situation ambiguë qui ne favoriserait ni l'unanimité ni la régularité judiciaire. Et enfin, il a souhaité qu'une partie du bassin minier du Campinois soit cédée à un groupe de travailleurs qui devront l'exploiter sur la base du collectivisme.

Mis à part ce dernier souhait - moins un coup de parti peut-être chez M. Denis qu'une demande sincère et honnête de l'idéologue peu pratique qu'il est -, dont la faisabilité est discutable après les exemples précédents dans d'autres pays, et qui a également été accueilli avec une indifférence polie mais ferme, nous ne pouvons que regretter le rejet de ses autres amendements. Car tout ce que M. Denis avait proposé dans l'intérêt général a subi un échec ; la possibilité de rachat : rejetée ; la supervision de la Chambre sur la cession des zones minières : rejetée ; et même la simple demande que les membres du conseil minier, qui donne des avis sur tous les aspects de l'industrie minière, soient désormais nommés non plus par le Roi, mais, pour garantir une plus grande impartialité, par la Représentation : renvoyée aux calendes grecques...

Il est extrêmement regrettable que la Chambre, dans des circonstances où l'avenir de tout le pays est en jeu, se soit laissée trop influencer par la politique partisane. L'intérêt national, ici plus que jamais, aurait dû faire taire les querelles partisanes et les théories partisanes. Il s'agit de la prospérité de toute une population, une prospérité que l'État aurait pu garantir, qu'il aurait pu superviser en tout cas, et qui maintenant, avec une exploitation privée, devient douteuse et non confirmée. Mais il y a plus : il y a l'intérêt de tout le pays, de l'avenir de la Belgique. Notre sol nous offre une nouvelle puissance mondiale ; grâce aux millions de tonnes de charbon que nous allons mettre sur le marché, nous obtenons une nouvelle influence sur l'industrie mondiale ; même si nous restons un petit pays, grâce à la richesse de notre sol, nous devenons une force qui, pacifiquement, nous maintient en équilibre avec les grandes nations... Et tout cela est négligé, sans grande considération, par des gens qui ont encore les vacances dans la tête...

Car le réveil doit encore venir. Serait-ce demain, jour où, dit-on, les modifications de la loi électorale communale seront discutées ? Allons-nous attendre jusqu'à l'examen de la proposition de loi de Coremans sur l'enseignement secondaire ? Nous attendons, un peu impatiemment. Car nous ne sommes plus habitués à une Chambre aussi calme que celle que nous avons vue ces deux derniers jours...

En parlant d'éducation : M. Woeste, qui est un homme assidu et qui tient à sa réputation de chef de parti, n'a pas passé ses vacances dans des rêveries vaines, dans un dolce far niente. Comme à chaque vacances, il a écrit un article, qui a de nouveau été publié dans « La Générale » ; cette fois-ci, il porte sur l'obligation scolaire. Et M. Woeste n'a rien dit de nouveau. Il a jonglé avec des chiffres - vous savez qu'ils disent tout ce que vous voulez -, il a disserté gravement sur le beau mot « liberté... »

Étrange liberté, celle de l'ignorance ! Surtout dans un pays où, parmi les conscrits, près de vingt pour cent ne peuvent pas distinguer un A d'un B, et où, dans certaines régions, la fréquentation scolaire est si peu surveillée qu'on a calculé une absence moyenne de 78 jours sur 247, soit un peu plus d'un tiers.

Pays heureux où personne n'est obligé de savoir lire ! Ou : pays pauvre...