Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (novembre 1907)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Le Flamand et la cour d'assises du Brabant (7) - Le traité d'annexion [du Congo] (15) - La Chambre et l'annexion (21)

Le Flamand et la cour d'assises du Brabant

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 7 décembre 1907)

Bruxelles, 5 décembre 1907

Dans un essai publié l'année dernière dans la revue « Vlaanderen », dont le « Nieuwe Rottendamsche Courant » a reproduit des extraits, Aug. Vermeylen a décrit, d'après ses propres observations, comment un Flamand ne connaissant pas le français est traité devant la cour d'assises du Brabant. Jusqu'à hier, la loi imposait que les réquisitions et plaidoiries soient exclusivement en français; ainsi, ceux qui ne maîtrisaient pas le français - sur une population de 853 430 habitants dans l'arrondissement de Bruxelles, 340 635 ne connaissent que le flamand ou ne l'utilisaient que comme seconde langue, mal comprise, limitée à peu de mots pour peu de concepts, souvent déformée, ne servant qu'aux besoins quotidiens - et ils sont 294 901 dans ce cas, de sorte qu'il n'y a que 144 723 francophones exclusifs, un chiffre certainement contestable - ; ceux donc, qui en tant que Flamands, représentant sept huitièmes de la population, pensaient avoir le droit d'être jugés et condamnés dans leur propre langue, la seule qu'ils puissent réellement comprendre, restaient sur leur faim : la loi ordonnait qu'ils soient jugés en français, exclusivement en français, et que la langue de moins d'un huitième de la population, dont il n'est même pas sûr qu'ils la comprennent exclusivement, soit dominante et légitime.

Ici, on ressortait naturellement la vieille plaisanterie : peu importe la langue dans laquelle on finit derrière les barreaux ! Ce à quoi on pourrait répondre par une question : Qui sait si l'utilisation d'une autre langue ne l'aurait pas empêché de finir derrière les barreaux ? Se défendre, même pour un coupable, est essentiel; a fortiori, il faut donner à celui qui est peut-être innocent les moyens de se défendre. Et que le régime français sous lequel nous ployions nous privait de ces moyens, la pratique l'a trop souvent prouvé.

L'essai de Vermeylen en donnait un exemple typique. Un vieil homme difforme est accusé du meurtre de sa femme devant une cour d'assises française, devant un jury ne connaissant pas le flamand - ou ayant le droit de ne pas le connaître, ce qui revient au même. L'homme était-il coupable ? Peu importe : il avait le droit de se défendre, et cette défense était : « Ik heb het gedaan met een goed gedacht » - Le président, ne comprenant pas le flamand, fait traduire les mots ; et la traduction est : « J'ai fait le coup de propos délibéré », - donc avec préméditation.

Quiconque connaît un peu le flamand sait que cette traduction est absurde. « Met een goed gedacht » ne peut en aucun cas signifier « avec préméditation ». Et pourtant, que voyons-nous ? Le président, le ministère public, et, par conséquent, le jury ne comprenant pas le flamand, trouvent dans cette traduction, qui peut-être dit le contraire de ce que racontait ce pauvre homme mal articulé, une raison, un argument pour le condamner. Et le pauvre homme aura beau protester ; il pourra clamer son innocence : n'est-il pas écrit officiellement : « J'ai tué délibérément » ? et cette traduction erronée, faite par un traducteur assermenté - probablement un homme de bonne foi, mais qui peut se tromper malgré le serment prêté, surtout lorsqu'il s'agit de rendre dans des mots français, avec toute la formalité française, un dialecte très particulier, pauvre et limité - ne le livre-t-elle pas sans recours aux mains du geôlier ? Sans recours, puisque toute la procédure judiciaire, de haut en bas, dans l'arrondissement de Bruxelles, est calquée sur ce modèle.

Voilà une preuve que le Flamand est traité de manière injuste dans son propre pays, une preuve que la loi de 1889, qui stipule que tout accusé a le droit d'être jugé dans sa propre langue - un droit qui de fait, pour les Flamands, n'existe plus en Wallonie - que cette loi, même dans la partie flamande du pays, est une lettre morte pour un Flamand.

Demander à partir de là la flamandisation totale de la justice dans l'arrondissement de Bruxelles serait bien sûr un pas de géant. Il faut être assez accommodant pour préserver tous les droits de la défense : mieux vaut être défendu en français, et bien défendu, qu'en flamand, et mal. Un Flamand ne connaissant pas le français peut parfaitement choisir un avocat qui le comprend bien, mais qui ne plaiderait pas forcément en flamand. L'éducation de la jeunesse est encore telle ici, que la classe aisée préfère mépriser le flamand, même dans l'enseignement. Il faut donc, pour le moment du moins, laisser une certaine marge d'interprétation. Imposer que toute la procédure judiciaire dans l'arrondissement de Bruxelles soit exclusivement et inconditionnellement en flamand aurait donc été prématuré, à l'exception de la question de principe. Car le changement souhaité dans une affaire pendante devait être la reconnaissance de la validité d'un principe : avec les principales conséquences de ce principe : un président et un jury flamands ; l'assurance donc d'une direction compréhensive et d'un jugement compréhensif de l'affaire, garanti au principal intéressé : l'accusé.

Car c'est de cela qu'il s'agit. Tous ceux qui ont pu observer combien une affaire d'assises est parfois peu impartiale, et combien... un jury désemparé de classe moyenne, non versé en droit, doit faire face à des questions souvent complexes, comprendront qu'il n'est que juste de demander que les membres, que la cour comprennent ce qui leur est soumis, et que tous les obstacles, y compris ceux de la traduction assermentée, soient éliminés, sans même parler des droits de l'accusé.

M. Van der Linden, le tenace, bileux, jaloux et si honnête représentant flamand de Bruxelles, avait déposé il y a deux ans déjà un projet de loi en ce sens : une double liste de jurés, une flamande et une française, serait établie ; et : si l'accusé parle flamand, la poursuite pénale - tout en préservant, bien entendu, tous les droits de la défense - se ferait en flamand. Ce projet de loi a été adopté hier en première lecture avec l’approbation d’une grande majorité. C'est un vrai soulagement, pour tous ceux qui pensent librement, de savoir que les Flamands ont encore fait un pas en avant, non seulement dans le domaine de leur droit, mais aussi de la justice...

Dire que cela s'est fait sans difficulté serait faux. Il aurait été trop étonnant que les Wallons n'aient pas mis de bâtons dans les roues. Ainsi, les restrictions au projet de double liste de jurés ont été nombreuses. On a mis en doute la signification judiciaire du jury tel qu'il existe actuellement; - et ils avaient peut-être raison. Mais en conclure qu'un jury dont tous les membres seraient flamands serait de ce seul fait inférieur, c'est une conclusion que nous préférons laisser à ceux qui la tirent : il nous semble au contraire logique de penser qu'un tel jury comprendrait beaucoup mieux la mentalité flamande particulière d'un accusé et serait donc plus à même de juger avec justice et finesse.

D'autres arguments contre le projet ont été encore plus facilement réfutés, de sorte que M. Van der Linden a triomphé sans difficulté, - du moins pour ce qui est de l'adoption de son projet. Les pauvres Flamands de l'arrondissement de Bruxelles - et je n'en connais pas qui soient moins bien placés pour la stricte reconnaissance de leurs droits, se tenant entre une population wallonne et une administration régionale systématiquement anti-flamande ; et je ne parle même pas du peuple lui-même, qui doit servir une bourgeoisie francisée et lutter contre l'audace wallonne - les Flamands de Bruxelles et des environs de Bruxelles doivent encore une fois remercier M. Van der Linden : pour quiconque sait combien il est difficile d'obtenir ici ce qui ailleurs semble aller de soi, il est de notre devoir de rendre hommage à ces personnes qui, sans bruit, mais avec une persévérance tenace, poursuivent et accomplissent cette simple chose : la logique.


Le traité d'annexion [du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 15 décembre 1907)

Bruxelles, le 13 décembre 1907

Je ne voulais pas vous écrire au sujet du traité d'annexion entre la Belgique et l'État indépendant du Congo, qui a été déposé au bureau de la Chambre la semaine dernière, selon les mandataires du Roi des Belges et ceux du Souverain des Congolais sous les meilleures conditions, sans avoir personnellement entendu l'avis des personnes bien informées sur ce traité. J'ai consulté plusieurs personnes compétentes et écouté quelques discussions parlementaires. Le résultat de mes recherches n'est ni très encourageant pour les signataires du traité, ni réjouissant pour les Belges, qui devront de toute façon finir par prendre en charge cette colonie africaine.

Les journaux belges ont publié, sous une forme résumée, le traité d'annexion ainsi que la note explicative à leur intention. Ce document - je parle de la note pour la presse - est indéniablement tendancieux ; il suscite des soupçons inutiles ; il insiste trop sur certains points pour convaincre immédiatement ; par certains aspects délibérés, il peut étouffer un enthousiasme possible ; il aurait été préférable de laisser la note explicative seule s'exprimer, car elle ne cherchait pas à exercer une pression immédiate, sauf par la présentation habile de faits favorables. Cette note aurait facilement pu être omise, car elle suscite nécessairement des doutes même chez les personnes impartiales. L'impartialité exige donc de la mettre de côté et de nous tourner directement vers l'exposé des motifs et le traité d'annexion pour voir si et comment les débats parlementaires de l'année dernière et le travail de la commission des XVII ont influencé ce groupe de six mandataires. Ce traité et cet exposé - certains journaux l'appellent un prospectus - ne peuvent donc être traités qu'avec prudence : les documents sur lesquels repose les éléments probants n'ont été remis aux membres de la Chambre qu'hier ; et dans une affaire où l'examen personnel est légitime, il est d'une grande importance de tirer ses propres conclusions des arguments présentés et de pouvoir les comparer avec ceux du gouvernement. Cela nous a été difficile jusqu'à présent. J'ai donc préféré rester silencieux jusqu'à aujourd'hui.

Une question de principe se pose d'abord : dans quelle mesure la Belgique a-t-elle, en dehors du testament royal, un droit immédiat sur le Congo ? Car, n'est-ce pas, beaucoup de choses en dépendent ; tout cela détermine si des conditions restrictives doivent être acceptées ou non ; cela détermine le degré de refus et de gratitude ; cela fixe la véritable relation entre les deux parties. Si la Belgique possède des droits plus grands que ceux de l'offre royale, la Belgique a des raisons de se plaindre, et même davantage ; cela remet en question la grandeur, la générosité et la beauté de l'acte royal ; et cela détermine surtout jusqu'où le donateur a la liberté d'imposer des « conditions solennelles ». Et si les textes prouvent maintenant que la Belgique possède effectivement ces droits, il est alors crucial de tester les termes de la note explicative et du traité par rapport à ces droits et de voir dans quelle mesure l'autosatisfaction est méritée ou justifiée.

La Belgique possède ces droits en tout cas : la loi d'août 1890 permet à l'État indépendant du Congo d'emprunter vingt-cinq millions sans intérêt pendant dix ans, à condition que la Belgique ait le droit, six mois après l'échéance, de prendre possession de l'État libre avec ses biens, droits et avantages, et que l'État du Congo ne puisse conclure aucune nouvelle convention ou emprunt sans l'accord du gouvernement belge. Et en 1901, une nouvelle déclaration a été faite : tant que la Belgique n'aura pas réclamé les intérêts ou le capital des millions empruntés, elle aura un droit inconditionnel à l'annexion.

Confirmation donc par les textes de droits inaliénables et inconditionnels ; preuve aussi de l'illégalité des exigences royales. La note explicative continue néanmoins à imposer, entre autres, la conservation du domaine de la couronne comme condition, avec une défense, certes, de cette conservation, douce comme le miel et... collante comme la glu, sur laquelle je reviendrai bientôt.

Ainsi, les droits des Belges sont ignorés. Non seulement la note veut les méconnaître : elle parle des « obligations » qu'un futur « pacte des pouvoirs publics avec l'œuvre que le Roi a entreprise seul en 1885 » entraîne. Cela devient encore plus beau dans l'esprit des rédacteurs de l'exposé des motifs : nous, la Belgique, n'avons aucun droit ; lorsque nous avons prêté notre bel argent sans intérêt, rien ne nous a été accordé en retour ; mais au moment où le Roi, à qui nous avons donné en 1885 la permission de porter également la couronne du Congo - sans que cela nous coûte rien, bien sûr - au moment où Léopold II daignerait nous choisir comme gestionnaire du Congo en tant que compagnon prêteur, qui assumerait seul la responsabilité, il allait de soi que nous devions supporter toutes les obligations, toutes les obligations ?

Ces deux faits caractérisent la note explicative : la Belgique doit être reconnaissante à un Roi qui veut bien transférer sur elle la responsabilité de ses charges et dettes congolaises.

Jusqu'ici, l'esprit qui anime l'exposé des motifs n'est pas impartial, on en conviendra. Le texte du traité d'annexion est-il formulé de manière plus favorable ?

La motion, soutenue le 14 décembre dernier par la grande majorité de la Chambre - une victoire, écrivais-je alors, pour ceux qui n'aiment pas acheter un chat dans un sac, et à laquelle le gouvernement a humblement acquiescé ; le travail de la commission des XVII, où tous les droits du pays ont été défendus avec une obstination digne, qui a toujours gagné du terrain face aux souhaits royaux ; le texte de la loi coloniale qui en a résulté, où la question du domaine de la couronne a été réservée pour de plus amples discussions à la Chambre, et qui était rédigé de manière à ce que des personnes impartiales puissent le juger logique et complet : tout cela nous laissait espérer un compromis de la part des rédacteurs du traité d'annexion. Il s'agissait ici de montrer de la bonne volonté. Il est donc surprenant de lire dans le traité l'incroyable article IV, qui stipule ce qui suit :

« La date à laquelle la Belgique commencera à exercer ses droits souverains sera fixée par arrêté royal. Les recettes et les dépenses de l'État indépendant du Congo seront, à partir du 7 janvier 1908, à la charge de la Belgique. »

Avec, en annexe, cet « arrangement provisoire » :

« A partir du 1er janvier 1908, aucune dépense ne sera effectuée par l'État indépendant du Congo sans notification au Ministre des Finances de Belgique. »

Si la date précipitée pour le transfert de la comptabilité peut sembler étrange - dans quatorze jours seulement tout cela devrait être réglé ! -, plus étrange encore est le texte de l'arrangement provisoire, et c'est ici surtout que nous percevons une attitude réticente et méfiante des rédacteurs du traité.

En effet, lorsque l'annexion du Congo a été proposée en 1895, il y avait également un article du traité qui régissait la comptabilité. Il était alors stipulé qu'aucune dépense ne serait effectuée ou autorisée par l'État indépendant du Congo sans l'autorisation du ministre belge des finances.

Aujourd'hui, il n'est plus question d'autorisation - une autorisation qui devrait pourtant exister, puisque c'est la Belgique qui paiera ! Aujourd'hui, le Congo se contente de notifier ses dépenses ultérieurement. La Belgique devra, dans quatorze jours seulement, assumer toutes les charges - sans même une surveillance possible dans ce délai de quatorze jours. Le Congo, en profitant de ce manque de surveillance, pourra faire ce qu'il veut : il n'aura pas besoin de demander d'autorisation ; il lui suffira de notifier plus tard les dépenses ou transactions commerciales effectuées ; car il n'est même plus question des engagements à prendre, ce qui permet de les traiter en dehors de toute surveillance ou approbation.

On voit quel esprit se cache sous le miel du traité : toujours la même politique autocratique, cette fois-ci sous une couche de sirop brillant.

Cette couche de sirop doit aussi nous faire avaler la pilule de la Fondation de la Couronne. Telle qu'elle est posée maintenant, comme il ressort des addenda distribués hier, elle mérite d'être examinée de plus près. Maintenant, il est dit : le Domaine de la Couronne, tel que défini en 1896 et 1901, subsiste. Il a une personnalité juridique ; il reste une fondation coloniale, existant sous la protection d'une législation distincte de celle du pays d'origine ; il n'échappe ni aux lois de police ni aux lois fiscales ; l'État nommera trois des six administrateurs du Domaine de la Couronne et exercera un contrôle sur ces administrateurs ; la fondation est permanente ; cependant, les biens immobiliers ne lui sont pas inaliénables, à condition que le fondateur approuve la vente.

Voilà pour la Fondation de la Couronne elle-même. Nous retiendrons seulement ceci : la Belgique a le droit, si le Roi y consent, de racheter le Domaine de la Couronne par parties. Si ce droit est un privilège, cela reste une question. Si les 29 millions de biens immobiliers en Belgique, qui appartiennent à la Fondation, et qui reviendraient à l'État lors de la reprise, sont une compensation pour les vastes étendues de terres que nous assurons en permanence au Roi, cela reste une deuxième question, car ils doivent être considérés comme le remboursement des avances faites par la Belgique au Domaine de la Couronne. Mais beaucoup plus important est le fait que le droit de rachat doit nécessairement devenir un fardeau pour la Belgique. Vous savez que la colonie doit subvenir à son propre budget. Or, nous lisons que les revenus, tant qu'ils resteront entre les mains du Roi, doivent entre autres servir à entretenir des œuvres philanthropiques, scientifiques et artistiques. Pendant ce temps, le budget congolais, dont nous sommes responsables, pourrait être en déficit. Ce qui nous oblige inévitablement à utiliser de l'argent belge pour racheter les biens immobiliers du Domaine de la Couronne, afin de combler le déficit éventuel. Voilà l'avantage que nous avons à reprendre le Congo, tel qu'il est actuellement proposé, avec la conservation du Domaine de la Couronne ; voilà pourquoi le Parlement y réfléchira sûrement à deux fois avant de voter pour le traité tel qu'il est rédigé.

Car même si la situation internationale est excellente, même si la situation financière est très satisfaisante, même si le maintien des concessions accordées ne sera pas un obstacle à une bonne gestion ; même si le Roi, en tant que fondateur du Congo, a le droit de prendre pour son usage personnel, celui de sa famille, l'entretien des collections et des biens belges qu'il a constitués, les 1,095,000 francs de revenus congolais - un droit qu'il serait mesquin de lui refuser - : la grande préoccupation doit rester la responsabilité que nous assumons, et qui est tellement alourdie par le maintien du Domaine de la Couronne. Et c'est pourquoi il est impossible que la Belgique envisage l'annexion avec maintien de la Fondation de la Couronne sans avoir les garanties suivantes : une surveillance totalement publique ; le rachat des biens immobiliers autorisé par le Roi à un prix qui ne pèse pas trop sur la Belgique ; que les revenus de la Fondation de la Couronne soient publiquement utilisés pour des œuvres connues, afin que tout marchandage, comme celui avec le bureau de presse, soit impossible. - De telles conditions, réduites au minimum, doivent pouvoir être exigées par le pays s'il veut avoir confiance en l'avenir. Sans accord sur ces points, il ne peut être question d'annexion avec maintien du Domaine de la Couronne. Et telle sera sans doute l'opinion de la Chambre.

Car je vous ai dit que j'avais mené une petite enquête. Le résultat est défavorable à la politique royale. La proposition de loi soumettant le traité d'annexion à la Chambre, et qui n'est pas susceptible d'amendement, sera certainement rejetée.

Et alors ?

Oui, alors tout devra être recommencé pour la troisième fois, à moins que la rumeur répandue à la Chambre, selon laquelle on peut compter sur la flexibilité royale, ne contienne une part de vérité. Mais où serait alors la rigidité royale ? Dans la nécessité de céder à la Belgique, dit-on. Nécessité pour qui, pour quoi ?... Attendons de voir les délibérations.


La Chambre et l'annexion

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 décembre 1907)

Bruxelles, 19 décembre 1907

Ce que j'avais prédit il y a quelques jours s'est réalisé : toute l'aile gauche libérale, réunie hier, a rejeté à l'unanimité - une unanimité d'autant plus heureuse qu'elle était inattendue - le traité d'annexion entre la Belgique et le Congo. Le même sort attend naturellement les socialistes. Il ne faudra donc que quelques voix à droite - et elles seront sans aucun doute trouvées - et le Roi apprendra pour la troisième fois la volonté du pays, qui veut bien reprendre le Congo, mais ne souhaite pas être annexé par le Congo... Voici la motion adoptée par les libéraux. Elle répète, vous remarquerez, les arguments que j'ai avancés contre le traité.

« Considérant que la motion de conciliation de la Chambre, votée le 14 décembre 1906 par l'unanimité de l'aile gauche libérale et de la droite, acceptée par le gouvernement et discutée avec lui, établit :

« Que la Belgique possède le droit d'annexion sur le Congo, non seulement en raison de la lettre royale du 5 août 1889, mais aussi en raison de l'accord du 5 juillet 1890 et de la loi de 1901, qui en maintient le principe ;

« Que ce droit est inconditionnel ;

« Considérant que le gouvernement a déclaré explicitement que l'accord d'annexion n'a d'autre objectif que d'effectuer le transfert et de prescrire les moyens d'exécution ;

« Considérant que le traité subordonne l'annexion à des conditions qui limitent la souveraineté belge face à la colonie et méconnaît le droit de la Belgique à l'annexion du Congo, tel qu'il a été solennellement assuré à la Chambre ;

« L'aile gauche libérale estime, confirmant la motion du 14 décembre 1906, nécessaire, avant que la commission des XVII ne commence l'examen du traité, de réserver expressément le droit absolu de la Belgique, confirmé le 14 décembre 1906 par l'unanimité de la Chambre et du gouvernement. »

Cela nous montre clairement quelle sera l'attitude de tous les membres libéraux de la commission des XVII, même ceux qui défendaient encore les demandes royales, lors des discussions sur le traité et du vote. L'attitude des socialistes ne laisse pas non plus de doute. Ainsi, le résultat ne fait aucun doute.

Et le gouvernement ?

L'ensemble du gouvernement, y compris malheureusement le ministre Helleputte, a signé le projet de traité. On parle donc d'une question de Cabinet, ou d'une démission du Cabinet.

Poser la question de Cabinet serait bien la plus mesquine et arbitraire des actions que l'on pourrait imaginer de la part du ministère. Comment, parce que quelques portefeuilles ont été confiés aux Jeunes Catholiques dans le gouvernement, ces Jeunes Catholiques devraient-ils céder sur la question du Congo et courber l'échine ? Ce serait, de plus, transformer la question en une affaire de parti, en une action politique, et rien de plus. Le ministère de M. de Trooz serait-il si mesquin, par un loyalisme mal compris, pour faire d'une affaire où tout l'avenir de la Belgique est en jeu un acte de clique, la soumettre à la discipline de parti et au césarisme gouvernemental ?

Si le traité est rejeté par la Chambre, il est probable que le ministère démissionnera. Qui s'en plaindra ? À part les ministres eux-mêmes, personne. Même le parti catholique sait qu'il gagnerait en cas de changement de ministère, car le ministère resterait presque certainement catholique. Ce ne serait qu'une défaite pour M. Woeste. Mais ne voit-on pas de plus en plus comment, même dans son propre parti, M. Woeste est considéré comme une « quantité négligeable », ou du moins comme un vieillard très respecté, mais déjà un peu assoupi ? Quelle différence, par exemple, avec M. Beernaert, que tout le monde écoute encore ! Et quelle indication pour la composition d'un probable nouveau ministère, où l'arrogant et blasé de Trooz serait écarté !

Si le traité est rejeté par la Chambre, il est probable que le ministère démissionnera. Qui s'en plaindra ? À part les ministres eux-mêmes, personne. Même le parti catholique sait qu'il gagnerait en cas de changement de ministère, car le ministère resterait presque certainement catholique. Ce ne serait qu'une défaite pour M. Woeste. Mais ne voit-on pas de plus en plus comment, même dans son propre parti, M. Woeste est considéré comme une « quantité négligeable », ou du moins comme un vieillard très respecté, mais déjà un peu assoupi ? Quelle différence, par exemple, avec M. Beernaert, que tout le monde écoute encore ! Et quelle indication pour la composition d'un probable nouveau ministère, où l'arrogant et blasé de Trooz serait écarté !

Et maintenant, une nouvelle question : que fera la Chambre si le traité d'annexion est rejeté ? La réponse peut être double : le Sénat accepte ce que la Chambre rejette ; et alors nous pourrons assister à un joli jeu de balle, avec une convention voyageant d'un côté à l'autre. Ou bien : le Sénat vote comme la Chambre. Et alors il y a une subdivision dans la réponse : soit tout est recommencé l'année prochaine, ou dans deux ans, ou dans dix ans. Soit la Belgique, consciente de ses droits, rejette le traité, mais déclare, par-dessus la tête du Roi, annexer le Congo. Car c'est, n'est-ce pas ?, son droit inaliénable, proclamé et confirmé à cinq reprises.

Certains Congophiles insinueront peut-être : si la Chambre rejette le traité, le Roi reprendra ses droits et vendra le Congo à la France, qui a le premier droit d'achat. Mais cette déclaration repose sur une inexactitude, puisque la loi de 1901 accorde inconditionnellement le droit d'annexion à la Belgique. Si le Roi ignore ce droit, s'il passe outre la loi de 1901, alors il viole son serment constitutionnel, et est donc déchu comme souverain...

Que va-t-il se passer ? Que suivra-t-il au rejet assuré du traité ? ... Chi lo sa ? - Pour l'instant, retenons ce fait unique : le pays maintient de plus en plus ses droits. Quel plus bel éloge pourrait-on faire à une monarchie constitutionnelle ?