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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (avril 1907)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

La deuxième lecture de la loi minière (11) - La deuxième lecture de la loi minière (12) - La deuxième lecture de la loi minière. La chute du ministère ? (13) - La deuxième lecture de la loi minière Le ministère démissionne (14) - La crise ministérielle (16) - La loi minière retirée (16) - Le retrait de la loi minière (17) - La crise [politique] (19) - La crise. Comment sera-t-elle résolue ? (20) - La crise [politique] (26) - La crise [politique] (27) - La crise [politique] (28) - La crise [politique] (30)

La deuxième lecture de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 11 avril 1907)

Bruxelles, 9 avril 1907

Une journée importante au Parlement : la décision de savoir si, oui ou non, le ministère tombera... C'est du moins ce que pense le public nombreux qui remplit les tribunes, de la tribune présidentielle aristocratique à la tribune publique démocratique, plein d'attente et de Schadenfreude, plein de curiosité pour ce qui va se passer et désireux de voir l’inévitable se produire assez rapidement.

Ce public - des moines et des officiers, des baronnes et des flâneurs, des diplomates et des mendiants - peut rentrer chez lui pour le moment déçu : ce n'est pas encore arrivé ; ce ne sera pas pour demain, et peut-être que cela n'arrivera jamais, du moins pas si rapidement.

Le gouvernement essaie de gagner du temps. Le gouvernement agit comme si rien ne s'était jamais passé, comme s'il n'y avait jamais eu rien à faire. Le gouvernement a eu la gentillesse d'oublier légèrement et joyeusement qu'il avait été momentanément renié par ses propres amis ; et, généreusement, il a pardonné, à condition que tout le monde soit sage à l'avenir.

Car c'est l'impression qui se dégage de la séance écoulée : la paix a été conclue entre les anciens et les jeunes cléricaux, tandis qu'une unité semble également régner à gauche, parmi les libéraux anciens et progressistes.

Cette impression sera-t-elle confirmée ? Les rumeurs sont-elles fondées, qui parlent d'un remaniement léger du ministère, où un jeune catholique aurait sa place, ce qui expliquerait la restauration de la paix ? Est-il vrai que de cette manière le ministère de Smet se serait sauvé ? Alors notre porte-parole catholique, qui, dans l'interview que je vous ai donnée le 31 mars, parlait de la forte unité de son parti, n'aurait que peu erré ; - tout comme M. de Smet aurait montré qu'il était un excellent psychologue en achetant sa sécurité personnelle sur son siège de premier ministre en cédant à la vanité de ses frères ennemis.

Comme je vous l'ai dit : les ministres ont l'air heureux aujourd'hui. Le ministre Van den Heuvel a un petit signe de tête amical pour son camarade Furnémont. Le ministre van der Bruggen semble en aussi bonne santé que dans ses meilleurs jours. Et même le ministre Francotte, pour l'industrie - l'homme qui a récemment servi de bouc émissaire - n'a jamais été aussi peu nerveux. Le ministère a l'air familial et convivial ; il reçoit avec le sourire les conseils de M. Woeste ; écoute avec bienveillance la plaisanterie qui flotte sur les lèvres amusées de M. Renkin, du fauteuil présidentiel jusqu'à l'endroit où siège M. Van Brussel, le député agricole de Stekene ; échange des signes de tête complices avec le noble et amical M. de Ponthière, qui, par formalité, s'opposera ensuite.

Toutes sortes de rumeurs circulaient ; un farceur avait parlé d'une déclaration ministérielle ; les moins optimistes avaient raconté que tout ce qui n'était pas directement lié à la loi minière serait mis de côté, cette loi qui devait être discutée en deuxième lecture aujourd'hui, lors de la réouverture après les vacances de Pâques ; ainsi, elle serait soumise au vote bientôt, décidant du sort du ministère.

Et... ce fut une séance de mardi ordinaire. On a, pendant une bonne demi-heure, tiré au sort les commissions, puis les ministres ont, avec l'indifférence habituelle, sous le bourdonnement d'une chambre peu intéressée, lu leurs réponses aux questions posées ; le ministre van der Bruggen a aimablement présenté une proposition de loi peu importante ; ensuite, le ministre de Smet, digne et provocateur, est venu faire de même, et a rempli de joie le cœur de M. Louis Franck en demandant les crédits nécessaires pour le port d'Anvers ; et ensuite, après une heure et demie de conversation, on a commencé paisiblement la deuxième lecture de la loi minière.

Et pas de haussement de voix, pas de jurons. même en présence de Monsieur Demblon. On remarque qu'à un moment donné, la gauche socialiste se lève comme un seul homme et se retire dans une salle adjacente pour discuter entre eux. Que s'est-il passé ? Mystère.

Pendant ce temps, on vote sur le maintien d'un conseil d'hygiène dans les mines ; il est rejeté sur proposition du gouvernement - aurait-il une aversion pour la propreté ? - et... les jeunes catholiques du groupe Helleputte votent fraternellement avec le ministère, contre les socialistes, auxquels se sont joints tous les libéraux. Ce vote est-il révélateur et devons-nous désormais nous attendre à un retour aux oppositions traditionnelles droite contre gauche ? Retournons-nous à notre ancienne chambre, avec ses douze voix de majorité cléricale ?

Tout le monde remarque l'absence de Monsieur Helleputte. A-t-il été abandonné par ses amis ? Et Hymans n'est pas là non plus. Et les membres encourageants Vandervelde et Janson sont toujours malades.

On vote à nouveau sur le maintien des « terrils » inesthétiques et malsains, ces tas de terre et de scories que l'on trouve à l'entrée des mines. Et encore le même phénomène : droite contre gauche. Est-ce que cela va continuer ainsi ? Les jeunes catholiques ont-ils perdu courage, ou sera-t-il révélé que leur conciliation a été récompensée par un siège ministériel ? Serait-ce la raison pour laquelle l'ancienne gauche libérale s'est détachée des vieux catholiques ? Mais qui sait ?

Pour l'instant, les grandes questions économiques liées au projet de loi ne sont pas abordées. On dit que le gouvernement proposerait de nouveaux amendements que le groupe Helleputte pourrait accepter. On dit... On dit tellement de choses ! Alors qu'il n'y a qu'une seule chose de sûre : le comte de Smet de Naeyer veut sauver son gouvernement à tout prix. Et il a l'air si confiant que l'on n'ose pas douter de son succès. Mais est-il certain que Monsieur Helleputte abandonnera soudainement son entêtement avec humilité ? Ou est-ce Monsieur Helleputte à qui le nouveau siège ministériel sera cédé ?

C'est devenu un jeu de conjectures et... d'erreurs, un pari comme aux courses de chevaux, - où seuls les jockeys savent qui gagnera. Pendant ce temps, Monsieur Joris Helleputte est vivement soutenu par le magazine estudiantin de Louvain « Ons Leven », et le journal hebdomadaire des professeurs de Louvain « Hooger Leven » prend le relais de l'éloge. On rappelle que Monsieur Helleputte est un Gantois, l'un de ces Gantois que l'autre Gantois, l'empereur Charles Quint, a accusés d'avoir des « têtes dures’. Dont la tête sera la plus dure maintenant, celle de Helleputte, ou celle de Smet de Naeyer, également un Gantois ?

La ville de Gand doit être fière de voir le sort du pays dépendre de la détermination de ses deux enfants


La deuxième lecture de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 avril 1907)

Bruxelles, le 11 avril 1907

On dit chez nous que les belles chansons ne durent pas longtemps, et il n'y a pas de proverbe qui convienne mieux au caractère de notre peuple belge, je veux dire à la fois à notre caractère flamand et à notre caractère wallon. La tranquillité et la persévérance tenaces ne sont pas de mise chez nous, mais bien l'entêtement fougueux, un entêtement qui cède au moindre compromis et laisse place au dévouement.

Ce que je vous ai annoncé avant-hier sur la nouvelle attitude de la Chambre, sur le probable changement d'opinions, sur la réconciliation à droite et l'unité retrouvée à gauche, n'a pas été contredit par la deuxième séance après les vacances de Pâques. Les jeunes catholiques semblent avoir perdu leur bel enthousiasme ; les nobles intentions économiques semblent avoir cédé la place ; il y a, pour ainsi dire, une tendre émotion après la querelle d'avant Pâques. On semble se retrouver mutuellement de nombreuses qualités, comme le font les amoureux qui ont été longtemps séparés par des disputes... Ou est-ce la paresse des vacances qui persiste dans les membres ? Non, non : c'est parce que nous sommes Belges, et que les belles chansons ne durent pas longtemps.

La deuxième séance s'est donc déroulée également dans le calme. On a discuté finement sur des points de détail. Mon Dieu, que nous avons de juristes astucieux dans notre Chambre ! Même parmi les socialistes, la distinction est florissante ; et c'est un plaisir et un réconfort de constater que, quel que soit le parti au pouvoir, nous ne manquerons jamais de ministres de la Justice excellents.

Mais la vie ardente, qui donne également un sens organique riche à une loi pour l'avenir ; ce combat avec des armes robustes ; cette passion de la conviction ; cette fureur de la défense : le soleil printanier des jours de vacances les a transformés en sentiments élégiaques, en tendresse idyllique.

Et nous avons vu comment Arthur Verhaegen, l'alter ego de Helleputte, lui aussi un Gantois, serrait la main du ministre malheureux Francotte, comme s'il voulait lui donner du courage ; nous avons vu comment le ministre de Trooz, à qui la tâche de former un nouveau gouvernement était attribuée par de mauvaises rumeurs, cherchait à apaiser les rumeurs en montrant son dévouement aimant envers M. de Smet de Naeyer ; nous avons vu, dans un colloque amical, comment les camarades Anseele et Furnémont tentaient d'adoucir les sentiments du seul récalcitrant parmi les libéraux, le mécontent M. Huysmans ; nous avons vu comment le comte de Smet reprenait sévèrement le ministre Francotte, quand ce dernier osait défier les opposants dans sa tête, et ainsi contrecarrer la réconciliation ; nous avons vu... que n'avons-nous pas vu ? Nous avons vu que Pieter Daens s'était fait couper les cheveux, ce qui pourrait bien signifier : je laisse tomber, puisque j'ai choisi de ressembler à un Samson rasé.

Et encore une fois, comme lors de la première séance, les jeunes de droite ont voté systématiquement avec le gouvernement ; même M. Helleputte, qui est entré brièvement dans la salle, comme un politicien dilettante.

Cependant, il y a maintenant des rumeurs sérieuses en circulation. Tout ce qui se passe ne serait qu'apparence, une courtoisie adressée par l'opposition consciente à droite et à gauche au ministère vacillant. Ainsi, l'unité à droite et à gauche ne serait qu'une feinte, et la discussion des questions brûlantes mettrait en évidence la querelle entre les partis de manière encore plus aiguë. Cette discussion ferait mieux ressortir que lors de la première lecture, que cette loi minière renforce la politique de classe à droite comme à gauche. Tous les libéraux - industriels, ou parents d'industriels, ou la plupart des capitalistes industriels - voteraient comme un seul homme avec les grands actionnaires de droite contre la motion Helleputte, qui, si elle était adoptée, trouverait bien sûr le soutien des socialistes et d'autres intellectuels, des professeurs de Louvain, et quelques anciens ministres du parti catholique, qui, avec leur portefeuille ministériel, n'auraient pas pour autant perdu tout espoir de reconquérir leur siège ministériel, - et ainsi, hier déjà, nous avons vu l'ancien ministre Cooreman s'asseoir avec un sourire satisfait dans son vieux fauteuil...

D'autre part, on raconte que les socialistes cherchent un compromis pour la motion sur le flamand dans les mines, qui satisferait également les Wallons de ce parti, en plus du groupe Helleputte.

Et c'est reparti pour les calculs et les décomptes ; on pèse et on mesure ; on conjecture et on devine. Quel sera le résultat ? Des deux côtés, on est trop affirmatif, comme si on détenait la vérité. Et ceux qui ont beaucoup d'expérience secouent la tête : les belles chansons ne durent pas longtemps.

Alors, attendons, n'est-ce pas ? Surtout que cette politique est vraiment un passe-temps amusant.


La deuxième lecture de la loi minière. La chute du ministère ?

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 13 avril 1907)

Bruxelles, 11 avril.

On ne s'y attendait jamais si tôt. C'est comme une météorite qui est tombée sur nos têtes. Le gouvernement devait triompher, disaient même les opposants. Et en effet : un compromis semblait avoir été trouvé ; les mécontents semblaient avoir été apaisés ; un général « embrassons-nous, Folleville » de la droite devait conclure la crise ministérielle sur une apothéose du cabinet de Smet de Naeyer.

Je vous ai déjà dit comment les séances publiques de la Chambre ces deux derniers jours semblaient indiquer une réconciliation bienveillante. Mais en coulisses, ce n'était pas aussi paisible. On remarquait une certaine tension ; on voyait bien que devant les yeux du pays, on jouait une comédie : un spectacle émouvant avec M. Woeste dans le rôle du père noble, M. Francotte dans le premier rôle dramatique, et où l'on ne s'attendait pas du tout à un traître. Mais même les coulisses connaissaient l'émotion : depuis que je vous ai écrit la dernière fois, les journaux ont rapporté que la droite, à l'exception de quelques Helleputtiens qui refusaient de plier, avait adopté en secret une motion à une écrasante majorité, où M. van Cleemputte, encore un Gantois, - cette loi pourrait certainement être appelée la loi des Gantois ! - sauvait le gouvernement en déclarant : « Le gouvernement prévoit que la durée du travail quotidien ne nuira pas à la santé des travailleurs. » M. Beernaert avait bien été furieux ; M. Verhaegen avait souligné que des milliers de travailleurs avaient exigé la limitation légale de la durée du travail ; mais le gouvernement s'était soumis à la motion de Cleemputte, sauveur du ministère, et avait même fait davantage : le comte de Smet de Naeyer avait déclaré solennellement que si la Chambre ne votait pas cette brave motion, le gouvernement se sentirait obligé de démissionner.

Il n'y a pas longtemps, M. de Smet avait déclaré avec assurance : j'attends le vote au Sénat. Maintenant, il posait brutalement la question de confiance. Ce serait plier ou rompre ; et... cela serait bien sûr de plier. La droite vaincue ne ressentirait de soulagement que si elle votait docilement avec le ministre. M. de Smet pouvait se frotter les mains : la situation était sauvée.

Il n'avait cependant pas prévu le coup. Et le coupable était M. Beernaert. - M. Beernaert joue un grand jeu cette année. C'est lui qui a contrecarré les plans d'annexion des Congophiles. Cette fois, il préfère faire tomber un ministère plutôt que de permettre qu'une mesure démocratique, qui découle logiquement de toute une législation catholique, soit étouffée.

Lors de la séance d'aujourd'hui, qui vient de se terminer dans l'étonnement des amis du gouvernement, il a déclaré expressément que le pays ne voulait rien d'autre que la réglementation légale de la durée du travail, déjà adoptée par la loi sur le repos dominical. Il a déposé une nouvelle motion : « Pour empêcher l'abus de la force de travail, et en l'absence d'une loi spécifique sur cette question, un arrêté royal, sur avis du Conseil des mines, du Conseil supérieur des mines et des sections compétentes des conseils de l'industrie et du travail, fixera le nombre d'heures de travail quotidien autorisé dans les mines exploitées du bassin nord. »

Et M. Beernaert n'a pas eu à chercher bien loin son argumentation : le bassin de la Campine est lié à celui de la Ruhr et des Pays-Bas ; et là-bas, la limitation légale de la durée du travail a été introduite. Cette limitation a également été adoptée en France, et le dernier discours du trône anglais l'annonce : preuve qu'elle ne peut en aucun cas nuire à l'industrie charbonnière. - D'ailleurs, le gouvernement n'a-t-il pas le devoir de poursuivre son propre travail commencé ? Lorsque M. Beernaert a eu l'honneur, en 1886, de présenter la première loi sur les travailleurs en tant que premier ministre, la droite l'a suivi à l'unanimité ; et maintenant... - Bien sûr, le gouvernement, sous la direction de M. van Cleemputte, veut garantir la santé des travailleurs des mines ; mais il refuse de reconnaître la limitation du temps de travail, première condition de la santé des personnes qui gagnent leur pain quotidien à 30 degrés de chaleur et avec une ventilation insuffisante ! Et le ministère ne parle pas de liberté : en '86, en '89, plus tard encore, le gouvernement était en faveur de l'intervention ; aujourd'hui, il adopte une sensibilité pleine de compassion pour ces pauvres ouvriers, à qui il ne veut en aucun cas enlever leur liberté de travailler ou de se reposer pour rien au monde, ce qui serait vraiment touchant si ce n'était pas un masque de l'égoïsme de classe....

Ainsi parlait M. Beernaert, dont le succès commence à inquiéter le gouvernement. Le ministre Francotte, livide et nerveux, lui coupe la parole : il se contredit et se fait réprimander par son collègue Van den Heuvel. Le comte de Smet de Naeyer croise les bras comme Napoléon, fronçant les sourcils, plongé dans une réflexion profonde. M. Woeste, les traits aiguisés, écrit lentement et méthodiquement une lettre, avec l'attention d'un clerc de notaire. C'est ainsi que M. Woeste agit toujours lorsqu'un orage approche...

Mais M. van Cleemputte secoue sa crinière grise : il s'est promis à lui-même ; il a promis à ses amis : il sera le Terre-Neuvien, le chien d'eau sauveur du ministère.

Pauvre défenseur de la patrie ! M. van Cleemputte est imprudent ; de voir Helleputte causer amicalement avec Beernaert, et comment Lantsheere et Verhaegen, à droite et à gauche, donnent le mot d'ordre, le rend irritable et agressif ; il devient nerveux et grossier ; il devient vulgaire comme un simple socialiste. Et c'est avec un rire général qu'il explique qu'il déteste la réglementation qui n'admet aucun changement lorsque de nouvelles conditions de travail le demandent, que si le principe de la limitation est bon, la grande différence dans la nature et dans la fatigue des travaux différents contredit une durée de travail générale comme mesure raisonnable ; que donc différents cas nécessitent des réglementations particulières et que personne mieux que le contremaître, sous la surveillance des inspecteurs du travail, ne peut y pourvoir... Mais il prêche, M. van Cleemputte avec ses grands gestes, non pas dans le désert, mais au milieu d'une confusion où même le chef d'orchestre d'un orchestre symphonique double deviendrait sourd.

Le gouvernement semble loin d'être satisfait. Ce n'est pas du tout ce qu'il espérait. Ça aurait pu être beaucoup plus beau. Heureusement, le brillant M. Woeste est là...

Hélas, le brillant M. Woeste vieillit ; il vieillit beaucoup. Ce qui était autrefois de la finesse est devenu de l'apathie ; ce qu'il gagnait autrefois par la bravoure, il veut maintenant le maîtriser par la dignité et la pondération d'un grand-père.

Et aujourd'hui, il passe une journée particulièrement malheureuse. À titre d'explication, il s'embarque dans des considérations historiques. « C'est de l'archéologie ! », lui lance M. Demblon. Mais M. Charles Woeste ne s'en soucie guère : « Je n'ai pas encore eu l'occasion de répondre à la réponse de M. van Cleemputte », dit-il ; et... sa voix flotte comme un bateau sur une mer déchaînée. - « Vous êtes un phonographe ! », reprend M. Demblon. Et malheureusement, c'est vrai à tous égards : avec une voix nasillarde que je ne souhaite à personne, M. Woeste ne fait que répéter tous les arguments bien connus...

Son ennemi juré, Pieter Daens, prend des notes fiévreuses. On frémit à l'idée qu'il va répondre à la réponse de M. Woeste concernant la réponse de l'honorable van Cleemputte. Mais heureusement, M. Denis est là pour lui interdire catégoriquement ; et...

M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail, prend la parole. Le moment est solennel. On entendrait une mouche voler, si nous étions dans la saison des mouches. Et dans des termes dignes, le ministre déclare que le gouvernement, sans réserve, approuve la motion de Cleemputte.

Attente anxieuse. Le ministre Van den Heuvel tripote sa moustache ; le comte de Smet semble de plus en plus profond ; le ministre van der Bruggen est devenu apoplectique comme une dinde en colère : le général Cousebant oscille gracieusement d'une jambe à l'autre.

Le président Schollaert met brusquement les deux motions aux voix. Par assis et levé, la motion de van Cleemputte est rejetée. Le gouvernement reçoit un coup de massue sur la tête. Par appel nominal, la motion de Beernaert est adoptée par 76 voix contre 70 et trois abstentions. La consternation du gouvernement devient stupéfaction. M. Woeste, soudainement avec une tête de homard dont le nez serait une pince, se précipite comme s'il y avait encore quelque chose à sauver. Mais - il est trop tard, hélas... Et maintenant ?...

M. de Smet l'a déclaré expressément : si la limitation légale est de nouveau votée lors de la deuxième lecture, le gouvernement n'aura d'autre choix que de démissionner...

Le gouvernement a la parole !


La deuxième lecture de la loi minière Le ministère démissionne

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 14 avril 1907)

Bruxelles, 12 avril 1907

Une séance parlementaire telle que nous n'en avons pas vécu ces dernières années; « la Chambre à son meilleur », m'a dit un député socialiste : un compliment qui, sur de tels lèvres, n'est pas dénué de signification ! Quel tumulte, mon Dieu ! Quelle virtuosité dans les insultes ; quelle passion comme celle des rapaces autour d'un morceau de viande ; quelle confusion indescriptible, presque grandiose !... Et pour conclure en beauté les festivités : la déclaration du ministère selon laquelle il avait demandé au Roi de lui accorder sa démission.

Avant même que le président Schollaert n'ait prononcé le sacro-saint : « La séance est ouverte », un murmure continu tel une lointaine houle marine ; ces garnements de socialistes s'efforcent de contenir leur exubérance ; je vois des sourires moqueurs sur les lèvres libérales ; Monsieur Hymans, je ne sais pourquoi, - pense-t-il que son tour est venu d'enfiler la veste ministérielle dorée ? - se promène nerveusement comme une lionne affamée, distribuant des grognements ici et là ; Monsieur Beernaert, imperturbable, se déplace tranquillement, le cou courbé, comme s'il était prêt à prendre le fardeau d'Atlas sur ses épaules, tirant et tripotant son long nez charnu. Le président Schollaert a l'air flétri et triste, comme s'il avait passé la nuit dehors, sous la pluie. Et le ministère ? Le comte de Smet de Naeyer agit déjà depuis hier comme un Napoléon à Sainte-Hélène ; le petit général Cousebant d'Alkemade se tient seul dans un coin, comme un enfant boudeur ; il semble régner une immense agitation entre les ministres Liebaert et Van den Heuvel et le rapporteur de la loi minière, le charmant Monsieur Versteylen, ce qui semble déplaire au chef du gouvernement à la mode napoléonienne ; Monsieur de Trooz a l'air blasé ; le baron van der Bruggen est corpulent ; et le baron de Favereau est insignifiant. - Et Monsieur Helleputte brille comme une nouvelle pièce de nickel ; et Monsieur Woeste est pâle comme de la chair d'esturgeon.

Dès le début, le jeu est lancé ; le président Schollaert, peut-être abasourdi par l'importance du jour et de l'acte, délibérément et avec une malice perfide, disent les socialistes, menant son propre jeu de manière inattendue et sans préparation préalable, a soumis au vote la motion sur la durée de travail de huit heures, plutôt que de la faire voter par appel nominal, comme quelques membres, un peu tard malheureusement, l'avaient souhaité. Résultat : la motion est rejetée. Imaginez les protestations de soixante-dix gorges bien exercées, la cacophonie de soixante-dix trompettes aux sons différents, les miaulements de soixante-dix chats dont les queues sont nouées ensemble ! Monsieur Schollaert reste impassible comme la statue de Rhamsès II ; il refuse obstinément de revenir sur le vote. On lui fait remarquer que de toute façon il est invalide, puisque le texte flamand de la motion n'a pas été lu : Monsieur Schollaert reste inflexible comme un taureau empaillé. Le ministre Francotte déclare aimablement qu'il ne voit aucune objection à un nouveau vote ; Monsieur Schollaert est inflexible comme un Torquemada. Et Monsieur Helleputte, son beau-frère, est totalement d'accord avec lui. - Ironie du sort : la motion sur la durée de huit heures rejetée avait été proposée par le bon Monsieur Helleputte lui-même !

La Chambre se calme un instant ; elle reprend son souffle. Le rejet de la reconnaissance légale de la journée de huit heures n'est pas si grave en fin de compte : le principe de la limitation de la durée de travail est acquis ; le reste, dit Monsieur Denis, viendra tout seul.

Car maintenant, c'est au tour de Monsieur Denis, socialiste, de prendre la parole. Monsieur Denis était partisan de l'exploitation publique ; trompé, comme tout le pays, par un gouvernement pressé, il insiste désormais pour obtenir une réserve publique bien assurée... Mais Monsieur Denis parle pour lui-même ; même ses amis ne l'écoutent pas. Ajoutez à cela que sa voix, sinon celle d'une carpe, tout au plus celle d'un agneau nouveau-né, entendue du fond de la forêt où on l'a amenée, peut être comparée, bien que Monsieur Denis y veille avec une sollicitude touchante, à une flamme vacillante dans l'orage tumultueux d'une Chambre agitée ! - Monsieur Denis s'énerve ; la Chambre semble ne pas le remarquer. Et pour aggraver les choses, Monsieur Denis, pour se consoler, voit même sa motion être rejetée !...

On enchaîne rapidement avec quelques articles de moindre importance ; on semble impatient de voir la tête du comte de Smet lorsqu'il lira sa déclaration.

Cependant, la question importante de l'usage du néerlandais dans les mines est encore soulevée. Heureusement, Monsieur Louis Franck a trouvé un compromis qui devrait satisfaire tout le monde, et ainsi éviter de longues disputes. Vous vous souvenez que le gouvernement avait fait adopter par la Chambre une proposition selon laquelle tous les ingénieurs des mines, quel que soit le lieu où ils exercent, seraient tenus de connaître le néerlandais ; allant plus loin que Monsieur Helleputte, qui le jugeait nécessaire uniquement pour les mines du Limbourg, ce qui était juste car la connaissance de notre langue dans les mines wallonnes est de peu d'utilité, et les mineurs flamands qui y travaillent actuellement, tous originaires du sud-est de la Flandre et des provinces d'Anvers et de Limbourg, préféreraient naturellement travailler dans leur propre région et ainsi économiser les frais de déplacement hebdomadaires. La motion Helleputte imposait déjà un fardeau indéniable à nos ingénieurs des mines. La plupart d'entre eux sont wallons, nés dans les actuelles régions houillères. S'ils veulent collaborer avec les Flamands, qui vont désormais se tourner vers l'exploitation minière, cela exigera d'eux une étude approfondie du néerlandais, en plus des autres matières de leur profession. S'ils refusaient de se consacrer à cet apprentissage : ils pouvaient rester chez eux et laisser la place aux Flamands. Mais il serait injuste d'exiger de chaque ingénieur des mines, même s'il préfère ne pas être affecté en dehors de la Wallonie, qu'il possède une connaissance approfondie du néerlandais, y compris dans le domaine technique.

Monsieur Franck, un flamingant reconnu mais un flamingant d'après la « Critique du Mouvement Flamand » de Vermeylen et un adepte de la conception économique de ce Mouvement, comme elle est défendue d'abord dans « Van Nu en Straks » et aujourd'hui encore dans « Vlaanderen » ; Monsieur Frank a jugé bon d'adopter, avec quelques modifications légères, l'amendement Helleputte comme sien. Et de manière véritablement élégante, même pour un Anversois, il a exposé et défendu son point de vue, qui a été soutenu par deux Wallons, le libéral Neujean et le socialiste Destrée, deux francophiles déclarés. On pensait donc pouvoir attendre une approbation à l'unanimité, et Monsieur Franck - Lodewijk, comme l'appellent les dames - pensait déjà à la couronne de lauriers de son premier succès parlementaire -, lorsque nous avons vu, qui le croirait ? lors du vote, Monsieur Helleputte renier son propre enfant, rencontrer une attitude malveillante chez les têtes brûlées du vieux Flamingantisme, ce qui est vraiment irritant, et le ministère s'abstenir de voter. La motion est cependant adoptée, avec une large majorité - 105 voix contre 41 - et le pays flamand peut se réjouir de savoir que dans notre nouveau bassin houiller - une exploitation libre, pas publique - les droits de sa langue seront respectés,... à condition, bien sûr, que les Flamands exigent la surveillance nécessaire.

Une motion plutôt ridicule de Monsieur Davignon exige la connaissance de l'allemand par les ingénieurs travaillant au Luxembourg. Ils peuvent bien être une vingtaine ou une trentaine. Pourquoi ces vingt ou trente ne connaîtraient-ils pas l'allemand ?.... On trouve cela acceptable, et on passe au vote sur le projet de loi dans son ensemble.

Et maintenant, quelque chose se produit, que le plus fin auteur de comédie ne pourrait pas imaginer ; quelque chose que moi, que vous, que personne ne croirait s'il n'y avait assisté ; ce quelque chose, c’est que, à l'exception du serein Monsieur de Favereau qui vote « oui », tout le ministère vote contre le projet de loi qu'il a lui-même présenté. Cela s'est produit aujourd'hui, le 12 avril, à 17 heures 32 ; et c'est peut-être unique dans l'histoire du parlementarisme.

Les messieurs les plus avisés étaient Messieurs Woeste, Begerem, Cooreman, van Cleemputte, le multimillionnaire Warocqué, qui se sont abstenus. Mais le ministère, je le répète parce que c'est incroyable, était parmi les 32 opposants, qui, contre les 94 votes en faveur, voulaient rejeter la loi, plutôt que parmi les abstentionnistes, qui, par leur attitude, désapprouvaient la politique de Helleputte, mais souhaitaient quand même reconnaître les bonnes intentions du gouvernement. Mais le gouvernement a préféré déclarer que rien de ce qu'il avait proposé et qui avait été approuvé ne méritait d'être accepté comme loi.

Quand un gouvernement en arrive là, il ne possède plus qu'une seule force : celle de tomber.

Le gouvernement est donc tombé : d'une voix faible, le comte de Smet de Naeyer a déclaré que lui et ses collègues voulaient rentrer chez eux. Et sans aucune protestation de la part de la Chambre, ils l'ont fait, en rang serré, portefeuille sous le bras, comme les soldats de Köpenick.

Ainsi s'est déroulée cette séance remarquable....

Quand je suis sorti, j'ai rencontré un groupe sympathique. En tête, marchait, souriant sardoniquement, le ministre Van den Heuvel ; après lui, entre deux amis compatissants, citronné et grisonnant depuis hier, l'ex-ministre Francotte, et à l'arrière, le visage déformé par des tics nerveux, l'ex-ministre de Smet de Naeyer, à côté de l'ex-ministre Liebaert, qui, soutenu par sa femme, avait l'air désespéré.

Et j'ai aussi rencontré un catholique, que j'ai regardé avec des yeux interrogateurs. Sa réponse fut : « Suis-je Léopold II, roi des Belges ? Lui seul sait où vivent les futurs ministres ! »

Et j'ai rencontré aussi un libéral flamand à côté d'un socialiste wallon, et leur réponse unanime - ça ressemblait au célèbre duo de la "Muette de Portici" -: « Pas d'autre solution que : la dissolution de la Chambre. » Maintenant, la parole est au Roi....


La crise ministérielle

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 avril 1907)

Bruxelles, 13 avril 1907

Le ministère De Smet de Naeyer a-t-il plongé le pays dans le désarroi ? Difficile à dire. Leur démission n'a pas été ressentie comme un coup dur pour le pays. Ce n'étaient pas des méchants ministres, dont le départ aurait soulagé le pays d'un poids. Le comte De Smet était parfois nerveux et autoritaire, et le ministre De Favereau excellait dans l'art de rappeler aux étrangers que la Belgique souhaitait rester un petit pays humble et reconnaissant, même envers les nations les plus modestes. Le général Cousebant savait parfaitement comment faire des économies militaires en vidant les casernes. Mais ces détails étaient négligeables par rapport à un fait : le pays pouvait compter sur la loyauté du ministère De Smet envers le roi.

C'était une consolation et une assurance. Le pays était heureux de pouvoir compter sur ses ministres pour cela ; il pouvait dormir sur ses deux oreilles : le gouvernail de l'État était entre de bonnes mains.

Par ailleurs, le ministre des finances n'a jamais volé le pays ; le ministre de l'éducation n'a jamais envisagé d'introduire l'obligation scolaire de sa propre initiative ; le ministre des beaux-arts n'a jamais pensé à autre chose qu'à l'agriculture ; le ministre des chemins de fer ne s'est jamais préoccupé des trains en retard : que pourrions-nous souhaiter de plus ? Les ministres étaient pacifiques et agréables à fréquenter ; aucun d'entre eux ne voulait se faire passer pour un aigle intellectuel ; aucun d'entre eux n'avait d'autre ambition que de conserver son portefeuille. Et pourtant, en toute sincérité : nous avions là un groupe de travailleurs laborieux et obstinés, qui, bien qu'ils ne distinguaient pas toujours l'utile du futile et dont le regard n'était pas assez large pour embrasser l'étendue de leur champ de travail, exécutaient leur tâche acceptée avec conscience et persévérance... Ce n'est pas un chant de « Gloire aux vaincus », car il implique la désapprobation de ce qui a été accompli ; mais c'est la reconnaissance de la manière têtue et fidèle dont cela a été fait. Ces ministres ont été les victimes de leur soumission à la volonté étrangère. Ils ont osé n'accomplir leur tâche qu'à travers les yeux d'autrui. Ils étaient de bons ouvriers d'une cause souvent mauvaise. Ils méritaient presque notre sympathie.

Pourtant, le pays les voit partir sans déplaisir. Et aussi la presse ; même, indéniablement, celle qui est amicale.

La raison est toujours la même : le ministère était... « usé ». Dans un pays comme la Belgique, qui aime la diversité, même les choses les plus belles deviennent ennuyeuses si elles ne se terminent pas assez vite. Le meilleur ministère, comme le cabinet démissionnaire, qui fonctionne pendant onze années d'affilée, agit comme tout le Ring des Nibelungen joué d'un seul tenant. Personne n'oserait contester que c'est très beau, voire avouer que cela pourrait être raccourci. Mais on respire quand même, une fois que c'est terminé. De même, le pays respire à nouveau. Voir chaque jour le comte De Smet de Naeyer avec sa belle raie dans les cheveux, sa barbe soignée et ses mains de prêtre blanches prendre place dans la deuxième rangée de bancs, au coin droit de l'allée centrale, ce n'est pas un spectacle qui, s'il est répété constamment, procure de nouvelles émotions. C'est rassurant, apaisant, tout ce que vous voulez : ce n'est ni choquant, ni excitant. Et notre époque vit de l'inattendu, de l'excitant, du stimulant nerveux. « Il nous faut du nouveau, même s'il n'y en a plus dans le monde ». Et si le roi appréciait peut-être de temps en temps rencontrer la noble et agréable figure du ministre toujours serviable, pour le juge et le chef de l'opinion publique appelé journaliste, même pour celui à qui la politique ministérielle ne déplaisait pas du tout, le spectacle quotidien de ce comte imposant était devenu comme la soupe quotidienne du convalescent gastronomique.

Le ministère était usé. Et malgré la panégyrique dans le journal ministériel, « Le Journal de Bruxelles », qui salue les démissionnaires avec une « reconnaissance attristée », le sentiment secret de toute la presse de droite est clairement exprimé dans l'article d'adieu hypocrite du « XXe Siècle » de Helleputte : « Une crise n'est pas toujours un mal mortel... Elle est parfois un mal bienfaisant, comme les furoncles qui préservent parfois d'une maladie dangereuse.... Le cabinet De Smet de Naeyer était plein de mérites. Mais il a eu tort de durer onze ans. Le passage des années a été fatal ici. » Et « Le Patriote » console les démissionnaires avec la philosophie suivante : « Mais il est bien que vous soyez partis maintenant ; car avec un projet de loi comme celui que vous étiez sur le point de préparer pour l'annexion du Congo, vous auriez quand même échoué ; et cela aurait été pire. »

Les journaux de l'opposition ne sont évidemment pas moins explicites. Le vieux et digne « Indépendance Belge » dit jovialement : « Un peu de repos ne fera pas de mal au sieur De Smet ; à moins qu'un changement brusque dans son mode de vie ne soit préjudiciable à sa santé. » « La Dernière Heure », un journal de la jeune tendance Hymans, tape joyeusement sur le « bouc émissaire », comme elle appelle le comte De Smet ; avant la déclaration ministérielle, elle écrivait : « Monsieur De Smet attendra sans aucun doute le Sénat, le Roi, Mme de Thèbes, la fin de la lune rousse et la réconciliation entre MM. Woeste et Beernaert, pour savoir s'il doit vraiment partir », et « si le Roi répond qu'il est vraiment dommage de lui gâcher la fin de ses vacances sur la Côte d'Azur en le forçant à venir résoudre une crise prématurée à toute allure, alors Monsieur De Smet restera ».... Après le alea iacta soupirant du Premier ministre, La Dernière Heure poursuit : « Si le cabinet De Smet de Naeyer tombe effectivement, il mourra comme il a vécu : sans gloire ni grandeur... Nous parlons au conditionnel, car pour croire au départ définitif de monsieur De Smet, nous devrons d'abord assister à la nomination de son successeur. »

« Le Petit Bleu » est indulgent : « Monsieur De Smet de Naeyer quitte le gouvernement au moment où les questions les plus graves ont été posées au Parlement, laissant à ceux qui ont voulu sa chute une situation qu'ils auront beaucoup de mal à démêler. De telles considérations serviront sûrement de consolation - il faut se contenter de peu - pour un homme qui s'était tranquillement jugé indispensable à la tête du pays. » Et enfin, dans le « Peuple » socialiste : « Messieurs De Smet et compagnie ont vécu ; ce n'est pas un grand ministère qui tombe, c'est un régime d'égarement qui prend fin.... Monsieur De Smet s'en va, car, sans prestige ni autorité du côté droit, il n'est plus en mesure d'imposer à la majorité les vues et les ordres du Roi, souverain du Congo... La crise, fondamentalement, n'existe pas entre monsieur De Smet et la majorité de droite, elle est entre le Roi et le Parlement. »

Ce dernier point est malheureusement très éloigné de la vérité. Le Roi n'aura pas non plus la tâche facile lors de la formation d'un nouveau cabinet. S'il choisit comme chef quelqu'un de la droite docile, le gouvernement se retrouvera dans la même position vis-à-vis de la Chambre que le ministère De Smet, et bien sûr, avec les mêmes conséquences. Si un membre des jeunes catholiques est intégré au cabinet, le Roi introduira lui-même le loup dans la bergerie du Congo. S'il met en place un cabinet d'affaires en dehors du Parlement : il sera désarmé face à des questions comme le projet de loi Coremans, la modification du système électoral municipal, les fortifications d'Anvers, et toujours, la question du Congo. Et il y a un mois déjà, je vous ai signalé que, en dehors des catholiques, aucun parti n'était capable pour l'instant de fournir un ministère. Car qui oserait gouverner avec une Chambre qui, sur le plan économique, est divisée comme suit : 21 jeunes catholiques (y compris P. Daens), 30 libéraux et 30 socialistes, contre 70 cléricaux et 14 libéraux : une division dans les partis qui ne les mènerait pas même à une majorité, puisque cette majorité serait toujours de quelques voix seulement....

Parmi les candidats au poste de Premier ministre, on cite en premier lieu le président Schollaert, le sénateur Descamps-David et... le comte Paul de Smet de Naeyer. Oui, le même comte De Smet qui a démissionné hier !... Et pourquoi pas ? Monsieur De Smet a l'oreille du Roi, il connaît ses intentions secrètes concernant le Congo, il sait où la politique royale veut en venir. Avec une équipe ministérielle rajeunie, il pourrait encore, pendant les quelques mois qui nous séparent des nouvelles élections, figurer comme chef de cabinet ! D'autant plus qu'il préfère être un fidèle serviteur de son maître plutôt que de se cacher dans une honte mesquine....

Monsieur Schollaert a trouvé des sympathies dans tous les partis du Parlement. C'est un homme courtois, qui habille la volonté avec urbanité ; une main de fer dans un gant de velours, sinon toujours une pensée impartiale derrière un front serein. On l'aime bien, même à gauche. Il jouit de l'estime du Roi, et est le beau-frère de monsieur Helleputte, ce qui peut-être lui est utile.

Hier soir, après sa démission, le président Schollaert a dîné à l'Hôtel des Boulevards - vous auriez pu choisir un meilleur endroit, monsieur le président - très agréablement avec le sénateur Descamps-David. On en a déduit que le baron Descamps était un troisième candidat. Ce sénateur est aussi décoratif que décoré. C'est un poète, qui a un jour emprunté le titre « Africa » à un poème latin de Francesco Petrarca pour le placer au-dessus d'un épopée française à caractère comique. Le Roi n'a probablement pas lu l'œuvre ; mais le titre lui a suffi pour savoir qu'il avait en le sénateur Descamps-David un admirateur et un complice. Et pour cela, il voudrait maintenant le récompenser avec un petit ministère...

Une fin de ministère : car quel que soit celui de ces trois hommes qui arrive à sa tête, son gouvernement ne pourra pas durer longtemps. Les raisons sont énoncées ci-dessus : le Roi ne peut pas rester sans en tenir compte sérieusement. Acceptera-t-il la prémisse d'un ministère qui, avec de nouvelles élections, sera très probablement à nouveau renversé ? Ou préférera-t-il demander d'abord au pays un nouveau Parlement, pour ensuite, en fonction de la composition de ce Parlement, former un cabinet solide et viable ?

Le Roi, au-dessus des partis politiques, est un monarque énergique et résolu. Espérons qu'il consultera uniquement sa fermeté de caractère et son désir du bien-être durable du pays.


La loi minière retirée

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 avril 1907)

Bruxelles, 14 avril 1907

Dernières nouvelles : le comte De Smet de Naeyer n'a pas voulu partir sans une vengeance. On nous informe qu'hier soir, un arrêté royal, daté du 11 avril - un jour donc avant le vote sur la loi - mais incontestablement rédigée après le vote, retirant le projet de loi sur les mines du Limbourg, a été communiqué aux présidents de la Chambre et du Sénat. Le « Journal de Bruxelles » raconte ainsi le retrait : « Maintenant que les intérêts économiques sont sauvegardés par les concessions accordées et qu'une commission d'enquête a été instituée dans le but de s’informer sur les abus existants, le Cabinet n'a pas voulu maintenir le projet de loi qu'il avait déposé, d'autant plus que les modifications apportées en dénaturent l'esprit et le rendent inacceptable dans l'intérêt général. »

Cet arrêté royal, en fait une décision ministérielle, explique pourquoi les ministres ont voté « non ». Elle n'est pas plus belle pour autant. Car, mis à part le fait qu'elle ne modifiera en rien l'esprit qui anime la Chambre et, bien au contraire, montre l'amertume et le ressentiment que le ministère nourrit à l'égard des précieux amis de la jeune droite, un tel arrêté n'est vraiment pas digne des hommes sérieux que constituait le Cabinet, et dont nous aurions pu attendre qu'ils ne souillent pas leur démission par un acte de ressentiment puéril.

Car qu'ont-ils gagné ? Pas que la Chambre, qui a exprimé deux fois son intention de manière explicite, renoncerait à ses précédentes décisions et les renierait pour une troisième fois ; mais seulement ceci : tout le temps passé à discuter de la loi minière - une année entière ! - a été perdu en pur gaspillage. La Chambre, qui a un agenda surchargé, a perdu son temps à un projet de loi qui n'existe même plus.... Il n'appartient pas au Roi de dire : Vois, ce qui nous séparait a été écarté ; tu peux donc nous réembaucher, nous ou nos amis en tant que ministres ?

Mais Sa Majesté, qui n'aura signé que pour faire un dernier plaisir au comte De Smet, se souviendra que, bien que la décision des ministres sortants ait détruit le travail que la Chambre a accompli après des mois de discussion, cette Chambre n'en a pas moins exprimé à deux reprises, avec la décision impartiale qui donne à cette loi minière une importance au-dessus de toute politique, sa volonté, la volonté du pays.

Un trait de plume de Monsieur De Smet de Naeyer, souscrit avec une trop grande indulgence par le Roi, peut avoir contourné la décision de la Chambre : l'esprit qui a dicté cette décision ne peut être noyé dans des flots d'encre.


Le retrait de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 17 avril 1907)

Bruxelles, 14 avril 1907

Un des membres du ministère démissionnaire a donné dans un journal clérical une explication du retrait du projet de loi minière.

Rien de plus simple que la mesure que nous avons prise - dit cette déclaration officieuse. Jeudi soir (11 avril), après l'adoption de l'amendement Beernaert, le Cabinet a télégraphié au Roi que le projet de loi sur les mines, élaboré et présenté par le gouvernement, avait subi des modifications importantes, et que, par conséquent, le Cabinet demandait au Roi de signer un arrêté retirant le projet de loi, que le gouvernement ne pouvait plus considérer comme le sien. Le Roi a immédiatement accédé à la demande : encore le même soir, l'arrêté royal est parti. Samedi soir, il nous est parvenu et ce matin, il est paru au Moniteur.

L'arrêté est daté du 11 avril - poursuit la déclaration officieuse - donc un jour avant le vote de la Chambre sur toute la loi. Cela semble étrange aux yeux de certains. En fait, ce n'est pas du tout étrange. L'adoption de l'amendement Beernaert a eu lieu le 11 avril : c'est l'adoption de cet amendement, et non le vote sur l'ensemble du projet, qui a conduit au retrait du projet de loi. Si le vote sur l'amendement Beernaert avait eu lieu quelques jours avant le vote final sur l'ensemble du projet, alors l'arrêté de retrait aurait pu être lu à la Chambre. Puisque cela n'a pas été le cas et que l'arrêté ne nous est pas parvenu avant hier soir, son inclusion dans le Moniteur remplace la communication au Parlement.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 19 avril 1907)

Les journaux belges continuent de parler abondamment du retrait du projet de loi sur les mines. Ce dernier acte du ministère De Smet occupe davantage les esprits du pays que la question de savoir qui prendra le pouvoir. Et cela ne se limite pas à une simple désapprobation. Des voix se font entendre pour demander le retrait de l’arrêté de retrait.

Les groupes libéraux et socialistes de la Chambre se sont réunis hier simultanément au bâtiment de la Chambre. Les deux réunions se sont tenues informées du déroulement des débats. Il était question du retrait de la loi sur les mines. Les deux réunions se sont conclues par l'adoption de longues motions. Les socialistes mettent particulièrement l'accent dans leur motion sur le travail précieux qui a conduit à de nombreuses dispositions utiles pour les travailleurs, que le ministère De Smet a anéanti d'un coup. Cette conduite effrontée a été entreprise dans le but d'entraver une réforme en faveur de la classe ouvrière, disent les socialistes.

Dans la motion des libéraux, on exprime surtout l'indignation face à la manière pitoyable dont le gouvernement s'est soustrait à la critique de la représentation nationale. Le gouvernement a laissé parler et voter la Chambre sur un projet de loi qui n'existait plus. La Chambre a été tenue dans l'ignorance d'un événement important et n'a donc pas pu exprimer sa désapprobation. Le groupe libéral qualifie cela d'atteinte à la dignité du parlement.

Paul Janson consacre un article au retrait du projet de loi sur les mines, qui aboutit également au retrait de l’arrêté de retrait. Janson met en garde à juste titre contre l'implication du Roi dans ce débat. L’arrêté royal retirant le projet est également signé par les ministres. Les ministres sont responsables, le Roi est totalement couvert.

Que dit l’arrêté ? Il est explicitement indiqué que les ministres sont chargés d'en informer la représentation nationale. Les ministres ne l'ont pas fait. On peut donc en conclure, selon Janson, avec l’arrêté en main, que les ministres ont gardé leur silence insultant envers le parlement sans que le Roi ne le sache. Il n'y a qu'une seule façon de réparer cette offense, et c'est de retirer à nouveau l’arrêté de retrait. Chaque nouveau ministère sera confronté à cette nécessité, quelle que soit sa couleur politique.

D'autres protestations contre l’arrêté de retrait sont également à prévoir.

Concernant la résolution de la crise, un des hommes politiques catholiques démocratiques a pris position. Celui-ci a déclaré que les catholiques de gauche ne siégeraient dans un ministère que sous deux conditions, à savoir : l'indépendance du cabinet par rapport à la personne du Roi et une autre orientation en matière de politique sociale et coloniale : en ce qui concerne les colonies, une certaine influence de la représentation nationale, peu importe son ampleur, tant qu'elle est exercée de manière indépendante ; en ce qui concerne le social, un retour au programme catholique de 1886 et pas de dérive vers l'école de Manchester pure, comme l'a fait De Smet.

On dit également que Beernaert aurait une liste complète de ministres prête à être présentée au Roi, si celui-ci devait lui en faire la demande.


La crise. Comment sera-t-elle résolue ?

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 20 avril 1907)

Bruxelles, 18 avril 1907

Lorsque le comte De Smet de Naeyer, en partant avec un geste de colère trop léger et inconsidéré, a contrecarré toute l'efficacité de la loi (car tout indique que l’arrêté royal n’aura été signé qu'après le vote final ; et la preuve en est que les ministres ont voté sur cette loi alors qu'ils l'avaient retirée la veille : un acte si illogique qu'il ne devrait même pas être imputé à nos ministres démissionnaires) lorsque le comte De Smet a vu une douce vengeance dans le fait de rendre inutile tout ce qui avait été voté, il pouvait difficilement imaginer que cet acte aurait de telles conséquences. On l'a qualifié de coup d'État, de gifle au visage de la Chambre, d'acte de tyrannie, dont la constitutionnalité est douteuse. Cela a suscité une agitation dans tout le pays. Les socialistes y ont vu une occasion bienvenue pour faire de la propagande républicaine. Pour les libéraux, c'était un bienvenu tremplin qui leur permettait de dire, sur le dos des ministres vaincus, que désormais seul un ministère libéral est possible. Et même les catholiques - comme cela s'est encore produit hier à Mons - ont ouvertement exprimé leur regret que les ministres démissionnaires aient cru devoir recourir à cet arrêté royal.

Car maintenant, il est bien établi : ce n'est pas le Roi lui-même, mais l'ancien ministère seul qui est responsable de cet arrêté. En effet, s'il est vrai que le Roi l'a signé de sa propre initiative depuis sa villa de Cap-Ferrat - vous savez qu'elle s'appelle humblement « Passable » - après le vote de l'amendement Beernaert, le onze donc, on sait cependant que les ministres ne l'ont reçu que le treizième avril, donc après le vote sur toute la loi. Ils auraient donc encore pu, de toute façon, ne pas le signer. Ne pas le faire, c'était préserver leur dignité ; le faire, c'était couvrir de leur responsabilité ce qui, légalement daté, était en fait une offense à la Chambre. Et les anciens ministres ont choisi cette dernière option.

D'autre part, si c'est des ministres eux-mêmes que vient l'initiative de l’arrêté, et non du Roi, alors il est étrange qu'ils aient continué à discuter d'une loi retirée et à participer au vote de cette loi ; tout aussi étrange, dans ce cas, est le fait qu'une décision prise à Bruxelles le soir du 11 avril soit signée à « Passable » le même soir et qu'il faille encore deux jours complets pour qu'elle revienne à Bruxelles.

Et enfin, dernier fait accablant : les ministres ont eux-mêmes proposé le report des travaux de la Chambre, alors qu'ils savaient que l’arrêté royal leur enjoignait d'en informer la Chambre. À moins que Sa Majesté, sur simple indication télégraphique des ministres, n'ait pris sa décision ? Vous voyez que je choisis l'hypothèse la plus favorable. Mais même dans ce cas, le fait demeure : des ministres votent sur une loi qu'ils savent retirée ou du moins proposée à être retirée. Leur seule attitude logique aurait donc été de s'abstenir...

Vous voyez que l'ancien ministère n'obtient pas l'honneur de son acte. Et il en porte lui-même les mauvaises conséquences. Car, il ne fait aucun doute que, en attendant de nouvelles élections qui, si elles ne changent pas la majorité, en donneront du moins l'apparence et en partie l'orientation de la Chambre, la meilleure solution pour le Roi serait de former un nouveau ministère De Smet, avec quelques forces modifiées, dont une ou deux Helleputtiens conciliables. Ce ministère verrait très probablement la loi minière, adoptée à la Chambre, et rejetée au Sénat : de ce côté, M. De Smet trouverait donc satisfaction. D'un autre côté, il aurait pu retarder les débats de la commission du Congo et repousser la proposition d'une loi coloniale jusqu'au moment où une nouvelle Chambre réclamerait un nouveau Cabinet : et cela aurait également été une mort honorable. En ce qui concerne la loi Coremans : le nouveau Cabinet n'était pas obligé de reprendre les amendements de l'ancien ; il aurait pu rester neutre, et... la honte d'une éventuelle défaite aurait été laissée à M. Coremans seul ; et ainsi, le ministère catholique se serait préparé une sortie honorable, sans tache.

Maintenant, le comte De Smet de Naeyer, par son malheureux arrêté, a non seulement contrecarré tout cela ; non seulement il s'est rendu impossible - car vous pouvez imaginer comment il serait reçu à la Chambre ! - mais il a même rendu la vie ministérielle impossible à ses amis, le cas échéant. Car le Roi trouvera-t-il encore des éléments prêts pour un tel ministère intérimaire parmi les anciens catholiques ? C’est douteux : personne n'osera se présenter devant une Chambre où la loi minière, reprise soit par la gauche, soit par la jeune droite, naturellement source de débats beaucoup plus violents, aboutira inévitablement à une nouvelle crise. Car la situation est la suivante : l'acte du comte De Smet a poussé toute hostilité à son paroxysme. Et se risquer dans une cage pleine de lions en colère, quand on n'est pas un dompteur confirmé...

On sait pourquoi un ministère de jeunes catholiques est impossible, pas plus que de libéraux ou de socialistes. Que faire alors ? La dissolution, dit toute la gauche. Mais le Roi, après l’arrêté signé par lui et montrant ainsi son désapprobation et son aversion pour la législation sociale, qui trouve de plus en plus d'adeptes dans notre Chambre et qui, lors d'une réélection, en enverrait certainement encore plus au Parlement ; le Roi dans ces circonstances consentira-t-il à une dissolution du Parlement ? Ce serait peu logique ; à moins que le Roi, comme l'exprime explicitement la gauche, ne retire son décret contesté ! Mais a-t-on oublié l'entêtement royal ?...

Quelqu'un me chuchote à l'oreille : « La solution ? Abdication de Léopold II, devenant désormais Roi de la paisible Côte d'Azur ! » - Je ris. Mon contradicteur, quelqu'un qui sait de quoi il parle, reprend, très sérieux : « Écoutez mes paroles »....

Pendant ce temps, Léopold II est arrivé cette nuit à Laeken-Bruxelles. Au moment où je vous écris, il n'a encore reçu personne au palais. On raconte seulement, par tout le monde, que son ennemi personnel, le Premier ministre Auguste Beernaert, se promène avec un ministère tout prêt dans sa poche. Mais qui connaît les secrets des poches de monsieur Beernaert ?

...Je suis allé faire un tour dans les différents ministères ; ces messieurs fonctionnaires ont l'air aussi affairés et sont aussi négligents au fond que quand rien n'était arrivé. Je pose quelques questions : « Qu'appréhendez-vous ? » Réponse : « Qu'est-ce que je craindrais ? » - Question : « Qu'espérez-vous ? » Réponse : « Le meilleur »... Ces messieurs sont de nature diplomatique. Aucun changement à attendre, par ailleurs. Ces messieurs sont bien assis sur leurs fauteuils rembourrés ; et puissant est celui qui pourrait changer cela !....

Seul au ministère du Travail et de l'Emploi, il y a un peu de changement, un peu d'agitation ; le chef du cabinet de l'ancien ministre Francotte, également directeur général, a demandé sa démission. Je ne sais pas si cela doit être lié au vote de la loi minière. Je sais seulement, et de source sûre, que les collaborateurs du ministre Francotte ne sont pas mécontents du retrait de la loi, et ce pour la raison suivante : le texte adopté en deuxième lecture est stupide dans certaines parties, et un nouveau projet de loi pourrait apporter un texte meilleur. Par exemple, il est stupide de parler du néerlandais dans les mines. Nous pensions, comme tout le monde en Flandre et aussi en Wallonie, que la motion Franck était l'expression de la raison saine, et que son vote répondait à une nécessité stricte. Nous nous trompions, parce que nous ne savions pas que le corps des ingénieurs des mines fonctionne comme l'armée : on avance en fonction du nombre d'années de service, en rapport avec les postes disponibles. Et ainsi, il peut arriver qu'un Wallon, par ce jeu de chaises musicales immuable, se retrouve malgré lui dans le Limbourg. Logiquement, et seulement logiquement, la proposition gouvernementale était donc d'imposer à chaque ingénieur des mines, Wallon ou Flamand, la connaissance de la langue technique néerlandaise de l'exploitation minière ; tandis que la proposition Franck aurait perpétué une situation difficile.

Mais, voyez-vous, cela aurait dû être su, et cela aurait été le devoir du ministre Francotte de mettre le pays au courant de l'organisation du corps des ingénieurs des mines. Cependant, M. Francotte est un homme désordonné, et les clients qu'il avait en tant qu'avocat liégeois semblent en être bien conscients.

Son attitude molle devant la Chambre, lors de la discussion de sa propre proposition de loi, a été la cause profonde de la défaite ministérielle. On m'assure que la proposition de loi était bien préparée, y compris en ce qui concerne la limitation de la durée du travail ; il aurait été facile, dit-on, de concilier les points de vue du gouvernement avec ceux de M. Beernaert. Mais cela nécessitait une documentation minutieuse de la part de M. Francotte. Cela lui a été demandé : il l'a méprisée. Et le ministère est tombé.... Qui le remplacera ? C'est toujours une question.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 avril 1907)

Rien de nouveau concernant la crise. Monsieur de Trooz fait son tour. Il a rendu visite longuement à Woeste, il a parlé avec le roi, il a eu une entrevue avec Beernaert. Un fonctionnaire des affaires intérieures a été surpris en train de rendre visite à Monsieur Vandenpeereboom et Monsieur Carton de Wiart est entré au ministère de l'intérieur, mais il n'a pas parlé directement avec le ministre lui-même.

Beernaert semble être disposé à apporter son aide dans la formation du nouveau gouvernement. On lui prête ces mots, adressés à Monsieur de Trooz : nous sommes prêts à collaborer avec les autres membres de la droite, mais nous avons nos conditions. Les hommes du gouvernement actuel doivent abandonner leur politique personnelle et intolérante. Cette attitude leur enlève la sympathie de tous. Les désaccords ne se limitent pas seulement aux mines.

Monsieur Beernaert aurait déclaré que même le Roi serait disposé à faire quelques concessions dans la question coloniale.

Des rumeurs circulent selon lesquelles non seulement de Trooz passerait du vieux au nouveau gouvernement, mais probablement aussi Liebaert, van der Bruggen et le général Cousebant.

Le « Journal de Bruxelles » en appelle à l'unité du parti catholique. Monsieur de Trooz doit réussir, affirme le journal clérical, si nos mandataires comprennent leur tâche. Que les catholiques de différentes tendances se comprennent. C'est aussi ce que souhaiterait le pape Pie.

La gauche proteste encore jour après jour contre le retrait du projet de loi sur les mines.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 avril 1907)

Monsieur de Trooz parcourt les routes à la recherche de ministres. C'est un voyage long et ardu.

Pendant ce temps, les vieux et les jeunes groupes du parti clérical se blâment mutuellement pour la crise. Woeste, dans le Courrier de Bruxelles, souhaite que l'unité de la droite soit rétablie, mais il met en garde les jeunes cléricaux, affirmant qu'ils ne doivent pas avoir l'audace d'imposer à la majorité du parti clérical une solution aux problèmes sociaux qui semble être socialiste. Woeste estime que la minorité du parti clérical doit se plier à la majorité tant qu'elle n'est pas elle-même devenue majoritaire. « Commencez par élaborer votre programme et faites-le adopter par notre parti dans son ensemble. »

Peut-être que de Trooz est en train de réussir à rapprocher quelque peu les deux groupes de la droite, mais la presse n'en fait pas beaucoup état pour l'instant.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 28 avril 1907)

Ministre de Trooz... nous pourrions sans problème publier le même article sur la crise belge plusieurs jours de suite. Le ministre de Trooz recherche des ministres, la presse de droite n'est pas unanime. À gauche, on estime impossible de former un gouvernement viable à partir de la droite sans sacrifier de grands principes. « Dissolvez la Chambre ! » conseille l'un. « Ce n'est pas nécessaire », dit l'autre.

Ce sont à peu près les principaux rapports qui reviennent quotidiennement. On annonce que le roi est attendu à Paris samedi. Cela pourrait indiquer la fin imminente de la crise.

Le ministre de Trooz ne peut faire un pas sans qu'une nuée de journalistes ne l'entoure. Il est difficile pour M. de Trooz de varier la façon dont il se débarrasse de ces disciples, difficile chaque fois qu'il sort d'une porte et se retrouve entouré de vingt têtes curieuses, de rester aimable. « Je suis ravi de vous voir, messieurs, mais je n'ai rien à vous dire. » Et après avoir dit ces mots, le ministre s'éloigne. Ou encore hier, lorsqu'il a rendu visite au roi et est tombé nez à nez avec les journalistes : « Si le roi avait su que vous seriez tous là, il aurait certainement demandé à vous saluer. »


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 avril 1907)

Le roi Léopold a passé ce dimanche à Paris, et le ministre de Trooz a pris un peu de repos après sa longue chevauchée ; il a dîné à Louvain avec sa famille. Ce matin, il est reparti, soupirant. Chaque jour rapproche la solution, mais combien de jours nous séparent aujourd'hui de cette solution ? Personne ne le sait, pas même M. de Trooz. Accordons-lui ses soupirs. Presque chaque jour, dans presque tous les journaux, on peut lire une liste des membres du prochain ministère. Cette liste comporte chaque jour des noms différents. Et toujours de nouvelles visites sont effectuées, toujours de nouvelles discussions ont lieu.

Une réunion représentant diverses sociétés catholiques a adopté une motion à Bruxelles, qui contraste vivement avec les motions par lesquelles les libéraux et les socialistes terminent leurs réunions ces jours-ci. Woeste présidait cette réunion catholique. La réunion a déclaré que les catholiques voyaient partir avec tristesse le ministère de Smet, qui avait servi le pays pendant si longtemps.

Le retrait de la loi minière reste une occasion évidente de tenir des réunions et d'adopter des motions détaillées. Les étudiants libéraux de Bruxelles n'ont pas tardé à critiquer sévèrement le dernier acte du ministère démissionnaire. La motion des étudiants libéraux de Bruxelles a dû toucher le cœur de Smet.

Pauvres étudiants bruxellois, qui, lorsqu'ils sont ensemble, n'ont rien de mieux à faire que de parler de politique.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 2 mai 1907)

Plusieurs journaux annoncent que la fin de la crise est proche. Mais ils ne fournissent pas suffisamment de preuves pour étayer cette opinion. En revanche, il y a des rapports qui expriment le point de vue opposé. Le comte de Limbourg Stirum, qui figurait sur la liste de M. de Trooz pour les affaires étrangères, en est de nouveau tombé. Il s'est rendu hier chez de Trooz et lui a déclaré qu'il renonçait finalement. Le comte semble craindre les coûts que suppose le fait de détenir le portefeuille des affaires étrangères. À juste titre, les journaux soulignent que de Limbourg Stirum aurait dû y penser immédiatement lorsque de Trooz lui a offert une place au gouvernement. Le général Hellebaut s'est déclaré prêt à devenir ministre de la guerre. Les personnes désormais mentionnées comme « acceptées » sur la liste sont : de Trooz lui-même, Descamps, Liebaert, Helleputte, Renkin, Hellebaut et Delbeke. Cela ne signifie pas que ces messieurs figureront nécessairement sur la liste définitive. Les protectionnistes ont de sérieuses objections contre Delbeke, et le nom de Delbeke empêche d'autres noms d'apparaître sur la liste. Il est possible que Delbeke soit écarté si de Trooz peut faire une belle prise en le sacrifiant. Et l'on parle encore de la création d'un ministère de l'agriculture distinct, un dixième ministère. Cela semble absurde d'augmenter le nombre de postes alors qu'il est presque impossible de trouver des candidats pour les anciens postes.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 3 mai 1907)

Le ministre de Trooz est maintenant officiellement chargé de former un gouvernement. Hier, il était déjà tôt au palais pour informer le roi de ses visites à domicile au cours des dernières semaines. En quittant le roi, il a déclaré à sa fidèle escorte de journalistes : « Le roi m'a chargé de former un nouveau gouvernement : c'est tout ce que je peux vous dire. » Le formateur du gouvernement est alors retourné à la formation du gouvernement. Trouver un ministre des affaires étrangères est particulièrement difficile. Pendant ce temps, de jeunes et ardents libéraux belges continuent inlassablement d'adopter des motions regrettant le retrait du projet de loi sur les mines par le ministère de Smet.


De nouveaux ministres

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 mai 1907)

Monsieur de Trooz a réussi. Il est devenu président du Conseil des ministres et ministre de l'Intérieur. Dans le gouvernement de Smet, de Trooz était également en charge de l'Intérieur. De Smet s'occupait des finances. Les finances sont maintenant confiées à Liebaert, qui gérait jusqu'ici les chemins de fer. De Trooz et Liebaert ont migré du ministère de Smet au ministère de Trooz. Liebaert avait une mauvaise réputation en tant que ministre des chemins de fer. Le trafic ferroviaire est en désordre depuis des années en Belgique. Ainsi, le ministère de Trooz est supérieur au ministère de Smet, car Liebaert n'a plus son mot à dire sur le fonctionnement des trains. Reste à savoir si Liebaert sera meilleur que de Smet pour gérer les finances publiques.

Les autres ministres sont nouveaux. Tout d'abord, Hubert pour l'agriculture, le travail et l'industrie. Hubert est sénateur, mais il n'a jamais été une figure de premier plan. Davignon, qui prend en charge les affaires étrangères, est également peu connu du public. Il ne pouvait certainement pas invoquer l'objection financière de Limbourg Stirum, car Davignon est extrêmement riche. Il était jusqu'ici député de Verviers.

Tous deux, Hubert et Davignon, sont des partisans fidèles de Woeste.

Descamps-David est en charge des arts et des sciences. Descamps-David est un juriste talentueux, connu également à l'étranger en tant qu'expert en droit international. Il n'a jamais eu d'autorité à la Chambre.

Renkin et Helleputte font partie des jeunes catholiques qui ont renversé le ministère de Smet. Renkin est chargé de la justice et Helleputte des chemins de fer.

Delbeke est membre du conseil communal d'Anvers. Il restera à Anvers ; un ministre des chemins de fer donc.

Le général Hellebaut est le successeur de Cousebant van Alkemade.

Le ministère sera accueilli avec satisfaction et une rhétorique apaisante du côté droit, tandis que le côté gauche réagira avec moquerie et dérision.

Nous attendons avec impatience le programme du ministère de Trooz, écrit le libéral « Etoile Belge », qui baptise le cabinet du nom de « cabinet du mois de Marie ». Si nous ne nous trompons pas, écrit le journal, ce sera le dernier ministère clérical. Si ce gouvernement tombe avant les prochaines élections, il ne sera plus suffisant de former un gouvernement clérical par le biais de la coalition, mais une intervention plus radicale sera nécessaire, ce qui pourrait coûter la vie à la mère et à l'enfant.

Et le « Peuple » écrit : Il est possible que le nouveau groupe de ministres fasse de son mieux pour donner l'impression qu'un nouveau cap sera pris.

Mais nous nous réservons le droit de qualifier la politique de ce gouvernement de bric-à-brac et de chamailleries, issus de cette coalition de fortune, d'ambiguë ; ces personnes ne chercheront jamais à faire des réformes en faveur des travailleurs que pour empêcher la libération complète du prolétariat. Il incombe au prolétariat de les renverser bientôt pour enfin inaugurer l'ère de la véritable démocratie.

Le « XXe Siècle », l'organe de Helleputte et des catholiques démocrates, parle du ministère de Trooz comme d'un travail admirablement accompli. Enfin, ce qui semblait impossible s'est réalisé. Les deux factions du parti clérical sont représentées dans le même ministère. Tout le côté droit se réjouit et demain, tout le pays catholique se réjouira. Le cabinet de Trooz est le cabinet de la concentration catholique.

Le « XXe Siècle » a raison. C'est un gouvernement de concentration catholique, dans la mesure où les deux factions du parti catholique y sont représentées. Mais cette démonstration extérieure d'unité pourra-t-elle mener à une action concertée, autre chose qu'une pause concertée ? C'est ce que personne n'attend. La gauche ne s'y attend pas, et il y aura aussi peu de personnes sérieuses du côté droit qui croient sincèrement en la possibilité d'une telle unité.

On est curieux de savoir quel genre de pièce diplomatique sera le programme gouvernemental.


Le nouveau ministère

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 5 mai 1907)

Bruxelles, 3 mai 1907

Je vous apporte les petits pois fraîchement sortis de leur cosse, la nouveauté tout juste éclose de sa coque ; depuis quelques heures, nous avons, bien que le Moniteur ne fasse l'annonce officielle que demain, un ministère ; plus une collection hypothétique de noms : un ministère de chair et d'os, un ministère de neuf hommes solides, dont quatre Julius et un Auguste. Nous avons attendu vingt jours ce ministère ; en compensation, nous avons un ministre de plus que sous le gouvernement de Smet de Naeyer ; il semble même que nous en aurons deux. Nous avons donc toutes les raisons d'être satisfaits ; aucune préoccupation politique ne viendra désormais entraver une bonne digestion ; le pays peut dormir sur ses deux oreilles : pas de dissolution de la Chambre qui impose aux électeurs le fardeau d'un second tour ; plus d'allers-retours interminables de ministère en ministère pour les misérables reporters, qui peuvent enfin souffler ; last but not least : plus d'inquiétude derrière le noble front de monsieur de Trooz, désormais et enfin premier ministre, et plus d'angoisse dans son cœur à la pensée : « Suis-je vraiment de trop, comme de le pronostiquent de mauvais faiseurs de calembours en plaisantant avec sous mon nom ? ... »

Admettez-le : il était temps que cela se termine. Oh, je sais bien : la fin de la crise n'annonce pas la fin du mauvais temps, ce qui aurait pu être plus directement important pour les fruits du verger ; d'autres ministres ne nous donneront probablement pas des contrôleurs de tram plus courtois, et ce n'est pas parce que le baron poète Descamps-David prend la tête des beaux-arts que les cantates pour le prix de Rome seront plus lyriques... Pourtant, personnellement, je suis content que cela se termine ; cela empêchera désormais monsieur Woeste de répondre à ma question : « Comment va la crise ? », par : « Très bien, et vous ? » ; ce qui n'était pas sans me blesser légèrement. Et d'autres personnes - je ne parle même pas des nouveaux ministres eux-mêmes - se réjouiront de la solution, depuis le roi Léopold, qui pourra enfin retourner définitivement dans son royaume sur la côte d’azur, où les citrons fleurissent, jusqu'à la cuisinière de monsieur de Trooz. Pauvre femme, elle a eu du mal ces derniers jours ! Tout ce qui était ministre potentiel était invité à la table de monsieur de Trooz, et, comme cette cuisinière est attachée à sa bonne réputation et ose se vanter d'être un cordon bleu, monsieur Helleputte y a même mangé à deux reprises, probablement en partie pour embêter sérieusement son bon ennemi Trooz.

Quoi qu'il en soit, de telles concessions, culinaires et autres, ont finalement amené le rusé monsieur de Trooz à former un ministère ; et je vous le dis franchement, moi qui suis en dehors de la politique, un ministère qui, dans les circonstances données, ne pouvait guère être meilleur. Non pas que, en essence et en intentions, il soit particulièrement homogène : à côté du manchestérien de Trooz, on trouve l'interventionniste Helleputte, en face d'un certain nombre de collègues protectionnistes, il y a le partisan de la libre importation Delbeke ; monsieur Renkin est si peu convaincu par les principes financiers et administratifs de monsieur Liebaert qu'on a jugé bon de lui confier la justice. Mais n'est-il pas clair que le programme commun de ces hommes, qui pensent très différemment, sera un programme de réconciliation, et surtout, de concession aux idées plus récentes qui ont fait chuter l'ancien ministère ? Nous savons de source sûre que monsieur Helleputte a accepté un portefeuille uniquement sur la base d'engagements fermes en matière de régulation du travail et de gestion du Congo ; en matière de régulation du travail, il a le soutien des nouveaux ministres Renkin et Davignon ; en ce qui concerne le Congo, il est certes seul, mais - et c'est important pour un ministère nouveau-né attaché à la vie - il a la grande majorité de la Chambre de son côté ; et il est d'ailleurs acquis, comme on l'assure avec raison, que Léopold II aurait accepté que certains administrateurs du Congo soient élus par les chambres et que le budget colonial, divisé en budget extraordinaire et « métropolitain », soit voté pour la dernière partie par le Parlement.

D'autre part, monsieur Delbeke est là pour protester contre un protectionnisme agricole excessif ; et le chef de cabinet de Trooz, loin d'avoir le caractère obstiné de son prédécesseur de Smet de Naeyer, préférera plier que rompre ; - le chef de cabinet Trooz, qui tient à son siège comme un échelon à une jambe sanguinolente (pour le dire énergiquement) ; le chef de cabinet de Trooz, qui a mis vingt jours de casse-tête et vingt nuits de soucis pour rassembler les hommes de bonne volonté nécessaires, dont un Helleputte et un Davignon, pour ne pas mentionner Renkin et Hubert, convaincus interventionnistes aussi, en un ministère présentable : le chef de cabinet de Trooz, blasé mais ambitieux, ne pouvait concilier ces opinions divergentes que par un programme de grandes concessions, là où l'habileté ne pouvait être une monnaie courante et où seuls les textes précis pouvaient être acceptables.

N'oublions pas que le ministre de Trooz, avec son collègue Liebaert, appelé parmi ses amis le Lion de la couronne verte, porte la responsabilité du malheureux arrêté royal, provoqué entre autres par le vote du ministre Renkin, et que le ministre Helleputte a qualifié de « violation des privilèges parlementaires, sans aucune justification possible » : une responsabilité que ces deux derniers, aussi indulgents soient-ils, ne voudront certainement pas assumer devant une Chambre justement irritée, à moins que les deux ministres que l'ancien cabinet nous a légués n'aient prouvé leur mea culpa par une pénitence adéquate et leur culpabilité par une rétribution tangible. Car, même si l'acceptation d'un portefeuille ministériel peut faire oublier beaucoup de choses, et que la conscience d'un homme politique peut être opportuniste, l'acceptation d'un portefeuille avec la certitude de devoir le rendre demain ne convient même pas aux plus sacrificiels, et pour ceux qui ne sont pas étrangers à notre Chambre, le choix entre des caractères comme celui d'Helleputte et même de Renkin, et celui de de Trooz et de Liebaert n'est pas discutable.

Nous pouvons donc nous attendre à une intéressante proclamation du cabinet pour mardi prochain, jour probable de la réouverture de la Chambre. Dès à présent, on peut dire que ceux qui ne sont pas trop enragés dans l'opposition seront satisfaits ; - même si la palinodie de Trooz, même pour ceux qui, généreusement, pourraient la considérer comme un retour du fils prodigue, n'est bien sûr pas plus belle, et même si l'on s'attend à ce que, en cas de satisfaction insuffisante, monsieur Helleputte puisse avoir sa part de pommes pourries... Attendons cependant, et, pour être franc, espérons que les déclarations du nouveau gouvernement pourront nous assurer que, en attendant de nouvelles élections qui pourront et vont changer beaucoup de choses, la Belgique ne soit pas gouvernée de manière trop autocratique, trop réactionnaire, trop indigne....

Pendant ce temps, la presse d'opposition, qui espérait la suspension des séances parlementaires et la réélection du Parlement, regarde d'un mauvais œil le nouveau gouvernement. « Le Petit Bleu » ne voit dans cette combinaison qu'une mine de discordes, même s'il reconnaît aux membres la plupart des qualités personnelles. « L'Étoile Belge » estime que nous avons affaire au dernier des gouvernements cléricaux, - ce qui est aussi notre avis, - dans le sens où un gouvernement suivant exclurait tous les catholiques conservateurs. « Le Peuple » est d'avis que nous avons affaire à un gouvernement de fausse démocratie, d'arrivisme, de fausses concessions, appelé à disparaître aussi vite qu'il est apparu. En même temps, le « Journal de Bruxelles » accueille les nouveaux ministres avec un panégyrique.... de la part du comte de Smet de Naeyer ; le « Courrier de Bruxelles » de Woeste prêche à nouveau la soumission des convictions personnelles à la volonté de la majorité, ce qui témoigne de sa crainte des nouveaux ministres catholiques progressistes ; et « Le XXe Siècle », le journal d'Helleputte, bien sûr, chante les louanges et exprime son enthousiasme dans un style dithyrambique plutôt agréable...

Mais j'ai oublié de vous présenter nos nouveaux maîtres.

Voici le bien connu de Trooz, le premier Julius, qui, vous le reconnaissez, peut être considéré comme le César du groupe actuel de neuf hommes. Ce nom romain est d'ailleurs justifié par un profil quelque peu néronien, seulement brisé par la barbe plus germanique. L'entrée en scène du ministre de Trooz est pleine d'esprit et de dignité, d'autres disent pleine d'arrogance. Il salue avec grâce, gesticule avec majesté, et seulement quand il ouvre la bouche, on crie « au secours ! », car monsieur de Trooz a une voix de trompette d'enfant éclatée. Il n'a jamais fait d'études supérieures, ce qui l'a jusqu'à présent désigné pour diriger notre enseignement public. Cela, je me hâte de le dire, n'enlève rien à la grande intelligence parlementaire de monsieur de Trooz : il est, si nécessaire, un combattant spirituel et redoutable, sait saisir un mot qui vole et en faire un... poussin mort-né, est un escrimeur avec des éclairs de fleurets fulgurants, pas toujours vains, et sait mieux que quiconque... mettre du vin dans son eau. Je vous ai parlé de l'excellence de sa cuisinière : dès son plus jeune âge, monsieur de Trooz raffolait des pâtés et des gâteaux ; ils ont su adoucir sa force de conviction, quand la pilule était trop amère ; ils ont su adoucir sa volonté comme du miel ; ils ont transformé son fiel et son vinaigre en anis et en jus de baies. Dans des circonstances comme celles-ci, où il fallait être doux, à la tête de la taverne ministérielle, monsieur de Trooz était l'homme qu'il fallait.

À l'avenir, monsieur de Trooz ne dirigera que les affaires intérieures ; ce fin gourmet a assuré une bonne digestion des affaires publiques du pays. L'enseignement public passe, avec les beaux-arts, à un nouveau ministère dirigé par Edward, baron Descamps, « membre de plusieurs sociétés savantes », qui a en commun avec Pétrarque d'avoir fondé une « Afrique » ; un homme avec d'innombrables décorations, de nombreuses bonnes idées, et une connaissance juridique immense, que vous avez pu admirer au-dessus de la Meuse à La Haye, en 1899, lors de la Conférence de la paix.

Presque pas décoré du tout est monsieur Renkin, mais lui aussi s'appelle Julius. « In hoc signo vinces », a-t-il dit ; et en effet : du démocrate obstiné, il a su fléchir son caractère dur jusqu'à la souplesse d'une âme ministérielle. Car monsieur Renkin - une grande intelligence pratique, il faut le dire - connaît l'amertume douce de la pénitence auto-imposée. Sa ténacité, qui n'a pourtant jamais failli à la reddition totale, a su trouver les sentiers épineux qui l'ont mené sous le sourire rarement bienveillant de monsieur Charles Woeste. La récompense ne tarde pas à venir. Le buisson d'épines porte des roses : le ministre Renkin, d'Ixelles, régnera sur le maquis des procédures.

Et le ministre Liebaert (Julius ; et pour Mesdames : Julianus) ? Il a de beaux favoris, et une longue carrière derrière lui. D'abord ministre des finances ; on l'a trouvé trop sévère : il est passé à l'industrie ; on l'a trouvé trop sévère : il est passé aux chemins de fer. Il s'est finalement avéré être le plus fort (après le ministère de Smet, bien sûr !) dans le domaine financier. Il promet de le gérer enfin selon le goût de chacun.

Monsieur Davignon, l'homo novus des affaires étrangères, s'appelle également Julius, et a cette particularité d'avoir les cent mille francs de revenu exigés par le ministère qu'il a accepté. On sait peu de choses de lui par ailleurs ; ce n'est d'ailleurs pas si peu. Il est, en outre, presque aussi chauve que monsieur Joris Helleputte. Ces derniers mois, j'ai eu plusieurs occasions de vous présenter ce courageux et souriant Gentilhomme, et je me demande en vain ce que je pourrais trouver de ridicule chez lui, sauf peut-être sa ténacité politique. Et qui sait si son portefeuille ministériel ne l'a pas déjà guéri de cette particularité !

Il me reste à présenter : monsieur Hubert, dont personne ne sait ce qu'il a jamais fait pour être placé à la tête de notre industrie ; monsieur Delbeke (Auguste), qui a une belle moustache et un aspect charmant, et dont nous attendons que la veste ministérielle des travaux publics lui aille bien ; et enfin le général décoratif Hellebaut, avec sa tête bienveillante et authentiquement anversoise, qui semble être un vrai soldat, pas un bureaucrate, et qui est considéré dans l'armée comme un bon père. Il est remarquable que l'agriculture soit oubliée dans le ministère. Quel emmental ces rats veulent-ils faire de notre fromage ministériel reste encore inconnu. Mardi, nous en saurons un peu plus....


Prélude

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 mai 1907)

Bruxelles, 7 mai 1907

La Muse de l'Histoire n'a pas été avare cette année pour la Belgique. Les jours historiques ne feront pas défaut en 1907 : les amateurs de tout type d'événements historiques trouveront leur compte dans notre Parlement. La première apparition du Prince Albert au Sénat dans un registre élevé ; la posture de certains anciens ministres dans un registre plus ordinaire ; celle, récemment, du chef de cabinet de Trooz dans un registre grotesque ; - le Rubicon franchi par les Jeunes Catholiques ; la traversée de la Bérésina par la politique royale du Congo ; le Salamis de la loi sur les Mines, suivi par la déclaration smetienne « L'Etat, c'est moi » : quel champ de comparaison pour la sympathique jeunesse étudiante !

Et quel nom aura la journée d'aujourd'hui, la journée brûlante d'aujourd'hui, où la chaleur des mots menaçait de se transformer en actions, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner ? Une Austerlitz ? Un Waterloo ? Le ministère succombera-t-il entre les Thermopyles socialistes ? Est-ce la défaite inévitable, ou le Cunctator Julius, que nous avons comme nouveau maître d'école, remportera-t-il la victoire ? Ses chances sont minces ; pour l'instant, cependant, il peut toujours se rappeler les mots de François Ier... « Rien n'est perdu, sinon l'honneur » ; et là - la dignité est-elle vraiment une question secondaire pour un ministre ? - il peut encore tirer les ficelles pendant longtemps ; du moins aussi longtemps que la nation, attendant les élections légales, le lui permettra...

Mais laissez-moi vous raconter avec ordre tout ce qui s'est passé.

Il est presque deux heures. On peut voir que c'est un jour extraordinaire, surtout par le nombre de dames qui remplissent toutes les tribunes, à l'exception malheureusement de celle de la presse. Pauvres femmes, quel courage elles ont montré ! Depuis ce matin, huit heures, elles attendent, semble-t-il, l'ouverture des portes. Tiens bon, Cornélia, mère des Gracques ; plie, Thomyris, reine des Amazones ; et même toi, Lysistrata, qui as trouvé le moyen d'assurer la paix ; ici, vous avez trouvé vos maîtresses en courage héroïque... Même là-haut, c'est animé. Toute la presse, nationale et étrangère, est présente. Un confrère hollandais s'est fait raser la moustache pour l'occasion ; un confrère anglais perd à un moment donné son flegme et applaudit avec les socialistes ; je suis assis entre le très maigre représentant de « L'Avenir du Borinage » de Mons et le très gros de « Vooruit » de Gand...

Une heure cinquante. M. Beernaert entre. Je ne peux pas dire qu'il sautille comme une ballerine, mais sa démarche est presque aussi légère que celle d'une jeune sauterelle. Est-ce le printemps ?... À peine assis, M. Renkin, le premier parmi les nouveaux ministres à entrer dans la salle, se précipite vers lui avec inquiétude, comme s'il savait que M. Beernaert était gravement malade... Après lui, le sympathique Delbeke prend gravement sa place et commence à écrire une lettre importante, probablement ses premières impressions, pour Madame, les enfants et la postérité.

Une heure cinquante-sept. Un huissier apporte, titubant sur ses jambes, le président Schollaert, le bureau, les autres ministres et l'essaim des membres. Le général Hellebaut, avec de magnifiques gants aussi blancs que ses cheveux, s'assoit à côté du sanglant Verhaegen. Helleputte se trompe, va d'abord vers son ancien banc, puis se précipite vers son siège de ministre. De Trooz serre chaleureusement la main du pâle Francotte. Et le comte de Smet de Naeyer, abandonné, reste, tout aussi perplexe, debout au milieu de la salle, comme un perdant.

Et alors, le drame commence.

Très doucement, presque timidement, presque poliment, l'ami Furnémont commence par une petite référence au règlement. Le président Schollaert a-t-il, en effet, fait voter le 12 avril dernier sur un projet de loi retiré secrètement la veille par l'ancien ministre ? Le président Schollaert savait-il que l’arrêté royal avait été pris ? Si tel est le cas, ce n'était pas gentil de sa part de laisser débattre la Chambre ! Le président Schollaert ne le savait-il pas ? Alors c'était vraiment très impoli de la part de ses amis du ministère de le traiter ainsi, et il se joindra certainement à la gauche pour proposer une censure à ce ministère malveillant...

Vous pouvez voir la tête du président Schollaert d'ici. Il n'attendait pas qu'on s'adresse directement à lui. Il cherche un moyen de diversion dans de jolis mots, brodant des variations sur le thème : je n'ai connu l’arrêté royal que le 13 avril, tout comme vous, je suis donc innocent, mais est-ce une raison pour ennuyer le gouvernement...

À gauche, la colère s'embrase. Vraie ou feinte ? Peu importe : magnifiquement joué. Le gros Dr. Terwagne secoue tout son corps dans un magnifique gilet de velours. Le brillant Lorand répète comme un leitmotiv : « Lâcheté et hypocrisie ! » Destrée prononce un discours passionné et imposant : « On vous a fait jouer un rôle de marionnette, monsieur le président ; votre dignité personnelle est aussi en jeu que celle de la nation. Ne soyez plus le vassal du parti clérical ; placez-vous enfin au-dessus des partis ; devenez notre véritable président ! »

Et Vandervelde poursuit : « Comment, monsieur le président, le comte de Smet de Naeyer vous gifle-t-il au visage ? Il vous traite comme si vous n'existiez pas ? Lui, votre ami, vous laisse, en tant que président de la Chambre, dans l'ignorance de ses actes ministériels ? Les ministres nous ont fait jouer une comédie, et vous étiez le metteur en scène réticent ? Et vous ne seriez pas d'accord avec nous pour protester !? »

Schollaert bafouille ; De Trooz, protecteur, veut intervenir : « Je vais vous dire ce que le nouveau gouvernement va faire... »

« Non, crie-t-on à gauche, justifiez d'abord les actes de l'ancien gouvernement ! Des excuses, des excuses ! » Les huées deviennent tumultueuses, la colère est désormais réelle. L'ami Demblon est perché sur le bras de son siège, prophétisant ; sa femme le regarde avec admiration depuis une tribune. Maintenant, Janson veut prendre la parole : des acclamations tonitruantes à gauche, mais cette fois-ci, des hurlements à droite comme tous les jaguars d'Amérique.

« A bas la calotte » s'amuse à dire avec délectation Monsieur Capelle. Janson quitte sa place, monte à la tribune...

Et là, quelque chose d'indescriptible se produit. Comment cela s'est-il passé ? Quelle en a été la cause ? Soudain, au milieu de l'hémicycle, quelqu'un de droite se trouve face à face avec quelqu'un de gauche, nez à nez. Les partisans affluent des deux côtés. Maroille et Vandervelde servent de garde du corps à Janson. On se prépare à se battre. La cloche électrique ne peut étouffer les hurlements. C'est stupéfiant et grandiose....

Le gouvernement, le bureau et la droite se retirent. Il est 14 heures 42, heure de Greenwich...

Les socialistes se frottent les mains : Schollaert est tombé dans le piège. Ils ont montré au sieur de Trooz qu'ils n'avaient rien perdu de leur vigueur.

Pendant ce temps, alors que ses amis sont partis, le comte de Smet reste tranquillement dans la salle de séance, discutant avec le gros millionnaire Warocqué, aussi calmement que si cela ne le concernait pas. Vandervelde fait un prêche aux libéraux réunis, s'adressant surtout à Monsieur Huysmans : Nestor, le cocher grec de Gérenè, persuadant Agamemnon, le roi tout-puissant... Quand soudain Delbastée, le secrétaire socialiste de la Chambre, entre en trombe et apporte la nouvelle incroyable : pouvez-vous croire que ce diable de de Trooz profite de la trêve pour lire, devant les vieux messieurs du Sénat, avec dignité et amabilité, un communiqué ?.... Des gens chanceux, ceux qui savent pousser l'inconscience si loin !

Et le voilà, l'inconscient, qui revient prêter ses larges épaules aux coups de bâton socialistes. Et la comédie reprend son cours. Schollaert, lui, a trouvé quelque chose : il est interdit, par appel au règlement, d'interrompre un ministre qui lit un communiqué.

C'est stupéfiant. Surtout pour Monsieur Janson, qui a lui-même été interrompu par le ministre, qui n'avait absolument pas la parole. Mais Monsieur Schollaert est têtu, il accorde la parole au Premier Ministre, et les mots suivants retentissent dans toute l'assemblée :

« Le ministre du Travail et de l'Industrie vient de déposer sur le bureau du Sénat le projet de loi sur les mines tel qu'il est sorti de la Chambre. »

D'abord : stupeur ; puis, rires homériques. Non, on n'attendait pas une telle impudence : un ministre qui présente au Sénat une loi qui l'a fait tomber devant la Chambre et qu'il a rejetée comme pernicieuse par arrêté royal !

Et maintenant, je renonce à vous donner d'autres descriptions de ce qui se passe. Comment Monsieur de Trooz n'a pas sombré, je ne comprends pas. Au contraire, il essaie, avec sa voix ennuyeuse de trompette pour enfants, d'expliquer la position du précédent gouvernement : le 12 avril, il ne pouvait pas déclarer, avant le vote sur la loi minière, que cette loi avait été retirée, car la Couronne s'était immiscée dans le débat, et qu'il ne voulait pas intervenir avant un vote définitif, susceptible de modifier les choses.

« Des excuses », demande-t-on à gauche. De Trooz : « On ne doit pas présenter des excuses quand on est dans son droit. »

Et malheureusement, il n'y a personne parmi les cléricaux pour applaudir à cela...

Mais voici Janson, le lion wallon, qui monte à la tribune sous les applaudissements. Dans un langage énergique, il dénonce le comportement ministériel, montre ce qu'il contient d'hypocrisie, de faux-semblants. Et c'est un discours magnifique, un morceau de rhétorique parlementaire classique. Non, nous ne voulons pas d'une politique d'autocratie et d'intimidation. Nous ne voulons pas qu'un projet de loi touchant des questions sociales profondes soit enfoui après le vote, pour se moquer de la nation, du Parlement, même du président bienveillant de la Chambre. Le projet de loi est à nouveau présenté au Sénat ? Mais plus grande est la vilenie de celui qui l'ose... trop longtemps ce jeu a duré : l’arrêté royal doit être retiré ; les ministres qui l'ont signé, et qui ont osé se représenter devant la Chambre, doivent rentrer chez eux.... Applaudissements tonitruants... tandis que Monsieur de Trooz, à qui ces paroles étaient principalement adressées, après une petite promenade hors de la salle, reprend sa place confortable...

Il est cinq heures. La séance se termine, on se disperse, tandis que la plupart des socialistes se dirigent vers le nouveau ministre Helleputte, lui souhaitant la première victoire qu'il a remportée sur l'ancienne droite et le ministère.

Bon signe pour le chef de cabinet de Trooz : il y a un membre sympathique dans son ministère... à moins que cette sympathie ne le rende furieux maintenant... Mais bon, tant qu'on reste assis sur son siège !


Épilogue du prologue

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 mai 1907)

Bruxelles, 8 Mai 1907

Desinens in piscem... Cela s'est terminé en queue de poisson, et même pas des plus éclatants.

Ah, ces feux de paille belges ! On pense : cela va devenir un incendie de forêt. Maintenant, la colère est vraiment allumée. L'indignation est réelle. Les consciences sont réveillées. Oui ! tactique, stratégie : des coups de feu en l'air, des feux de joie, des fusées avec de beaux globes étincelants. Et ensuite : des plaines mortes, une nuit noire. Le rideau est tombé ; les acteurs se reposent ; chacun peut rentrer chez lui satisfait.

À part un beau morceau de rhétorique parlementaire, cela s'est passé aujourd'hui comme lors d'une joyeuse fête de famille. Il y a bien eu, un moment, quelques querelles comme cela arrive parfois entre cousins. Mais à part ça : le calme après la tempête. Et c'était émouvant de voir à quel point le ministère, que l'on allait démolir, que l'on allait fracasser, qui devait être réduit en miettes comme un arbre frappé par la foudre, comment ce misérable ministère est ressorti frais et sain d'esprit, vivant comme après une douche, certes violente, mais finalement pas désagréable. Vraiment, Monsieur de Trooz ne peut pas se plaindre : il aurait pu avoir un sort pire et s'en montrer reconnaissant.

C'est Monsieur Woeste qui a ouvert le feu. Ou plutôt : non, car il n'y avait plus de feu : toute la poudre avait été tirée hier déjà, et Monsieur Woeste est venu mettre un baume sur d'éventuelles blessures. Maintenant, Monsieur Woeste n'est plus du tout l’admirable médecin qu'il était autrefois. Certes, il est toujours plein de soins pour ses malades ; Messieurs de Trooz et Schollaert bénéficient à nouveau de son traitement amical. Mais ses adversaires, les artificiers juste en face de la porte, voient bien qu'il applique le baume à côté de la blessure et que les remèdes administrés sont tirés du mauvais flacon. Les meilleurs médecins, quand ils vieillissent... D'ailleurs, à quoi servent les meilleurs pansements, si la jambe est en bois ? Ainsi, Monsieur Woeste a parlé et parlé ; on l'a écouté bien peu, et la seule approbation qu'ont trouvée ses paroles attirant l'attention vient de l'ami Destrée, qui a résumé le discours par un bien placé : « Omnia serviliter ».

Et Monsieur Woeste dépose naturellement une motion de confiance dans un gouvernement qui n'a même pas encore déclaré où il voulait aller.

Beaucoup plus intéressante, bien sûr, est la réponse de M. Vandervelde à celle de Woeste. Habile et subtil, il analyse la psychologie du nouveau gouvernement ; il décrit l'embarras de Monsieur de Trooz, qui avait le choix : se rendre impossible et retirer le projet de loi, ou devenir ridicule et représenter la loi. Et Monsieur de Trooz a choisi d'être ridicule, et... de rester ministre. Heureusement : nous obtiendrons donc la loi de toute façon, et rien n'a changé ; sauf ceci, et c'est sérieux : l’arrêté royal de retrait est une épée de Damoclès qui continuera de planer sur la Chambre ; Monsieur de Trooz a contribué à limiter partiellement la liberté de la Chambre ; et cela doit être dénoncé. Ainsi parle Monsieur Vandervelde, s'adressant à un Monsieur de Trooz qui n'est même pas assis dans son propre banc. « Il est en dessous », affirme Furnémont. Cela ne devient pas plus beau !

Grandes attentes pour Monsieur de Smet de Naeyer. Hélas, grande déception, quand il a expliqué pourquoi il a agi comme il l'a fait. Pauvre comte... de Mi-Carême, dit un confrère à côté de moi. Et en effet : on pourrait craindre pour la logique du comte de Smet. Son système de défense : blâmer les autres. « Mes adversaires ne valent pas la peine que je leur réponde. » C'est facile, efficace et clair. En ce qui concerne le nouveau ministère : Monsieur de Smet a-t-il son mot à dire ? Que de Trooz fasse ce qu'il veut : le comte de Smet lave ses mains dans du sang innocent.

Monsieur Renkin, ministre de la Justice, prend sa tâche plus au sérieux. Il est subtil, juridiquement fin, spirituel. Où serait la loi si elle n'avait pas été retirée ? Devant le Sénat. Et où est-elle maintenant ? Devant le Sénat. Alors pourquoi se plaindre encore ? Mais c'est précisément le fait du retrait de la loi qui lui est répondu. Et c'est le nœud qu'il veut démêler, et cela, malgré toute l'ingéniosité de ses explications juridiques, ce n'est pas si facile.

Et maintenant, c'est Monsieur Hymans. Monsieur Hymans, qui consacre sa vie à l'étude de l'histoire du libéralisme, a été formé dans les annales parlementaires d'une époque révolue. Outre quelques anciens députés, il est le seul représentant à pouvoir composer un discours selon toutes les règles traditionnelles de la rhétorique parlementaire. Et il a l'avantage sur ceux qui le peuvent aussi bien que lui - un Beernaert, un Woeste, dans leurs bons jours un Huysmans - d'être jeune, tout comme Vandervelde, tout comme Furnémont, tout comme... Paul Janson, cette éternelle jeunesse de cœur et d'esprit. Monsieur Hymans est jeune avec mesure ; il sait tempérer sa vivacité nerveuse, le fond de son élan intellectuel, par le sens et la connaissance de l'art oratoire très particulier que tout candidat à la Chambre devait étudier avant même de songer à conquérir un siège.

Et aujourd'hui, nous avons eu un bel exemple de cela. Ce n'était pas la fureur, l'impétuosité enragée de Janson, ni même l'agilité confiante de Vandervelde. Mais c'était un argument implacable ; une accélération magistrale de piques de plus en plus profondes. C'était une accusation argumentée, une construction incontestable qu'on devait admirer, et... qui est restée froide. Monsieur de Trooz en a pris pour son grade. Pas le public. C'était un feu négatif, une lueur glaciale. Et c'est très bien lorsque cela concerne la discussion d'une loi. Il s'agissait ici de dénoncer le comportement de personnes indignes ; et cela ne correspond pas à la nature de Monsieur Hymans, il n'est pas assez impitoyable pour cela.

Et après ?

Ensuite, on a voté sur le blâme de Janson, qui a bien sûr été rejeté, tandis que la motion de Woeste a été adoptée, de sorte que le nouveau gouvernement peut dormir sur ses deux oreilles. Desinens in piscem...


Débat parlementaire

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 mai 1907)

Pieter Daens, le frère du prêtre Daens, a attaqué le gouvernement hier à la Chambre. Il a reproché au précédent cabinet de s'être mal comporté envers la Chambre concernant les forts d'Anvers et d'avoir offensé le Parlement en retirant la loi minière. En revanche, le ministère de Smet n'a rien fait pour les ouvriers qui continuent à effectuer un travail d'esclave pour des salaires de misère. Et les impôts ont augmenté.

Que pouvons-nous attendre du nouveau gouvernement ? Il ne nous apportera pas le suffrage universel. Il y a quinze ans - se lamentait le chrétien-démocrate Pieter Daens - il y a quinze ans, les démocrates-chrétiens comptaient un certain nombre d'excellents hommes parmi eux, tous désireux de réformer le droit de vote ; ils ont renié leurs convictions passées.

Les évêques et Monsieur Woeste ont fait s'envoler le bel espoir des années passées, et ceux qui osent encore rester sur une position démocrate-chrétienne sont persécutés dans leur vie privée. On les laisse mourir de faim. Et pourtant, les nouvelles idées triompheront. Récemment, on en a eu une indication lorsque 19 catholiques ont voté en faveur de l'amendement Beernaert, avec les socialistes.

Pieter Daens a conclu par un discours adressé aux deux ministres démocrates Renkin et Helleputte. Il leur a demandé s'ils voulaient bien faire de leur mieux pour convaincre tout le ministère et le parti clérical de soutenir le suffrage universel. Qu'ils se soustraient donc à l'influence pernicieuse de Monsieur Woeste, le malfaiteur qui se réjouit maintenant pendant que son ennemi, le prêtre Daens, gît pauvre et abandonné sur son lit de mort.

Plus tard dans la journée, Woeste a beaucoup parlé. Il a nié que les divergences d'opinion parmi les catholiques aient une quelconque importance. Ancienne droite et nouvelle droite, ce ne sont que des mots, a déclaré Woeste. Nous sommes des conservateurs. Nous sommes les démocrates dans le vrai sens du terme.

La gauche riait souvent pendant que Woeste parlait, et Pieter Daens n'a pas pu s'empêcher de crier à un moment donné : « Mais tais-toi donc, homme ! », ce qui a provoqué de nouveaux éclats de rire.

Woeste a riposté vivement et a exprimé son opinion sur divers problèmes politiques. Concernant le service militaire obligatoire, il a dit que cela menait au programme des socialistes et à la dissolution des armées. Il a vivement loué l'excellence de l'enseignement privé.

« Qu'est-ce que tout cela a à voir avec la déclaration gouvernementale ? », a crié Franck.

Woeste est revenu sur la déclaration gouvernementale et a déclaré que toute la droite approuvait cette déclaration. Il a conclu par une description des belles perspectives ouvertes par l'arrivée du ministère de Trooz.


Débat parlementaire

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 17 mai 1907)

L'opposition et le ministère se sont affrontés hier. Le principal porte-parole de l'opposition était le libéral Hymans, tandis que pour le gouvernement, c'était surtout Renkin, le ministre de la Justice. Ce que le gouvernement a avancé comme défense a été principalement résumé par le ministre Renkin lorsqu'il a déclaré : « Sachez simplement que nous (les ministres et la droite) sommes d'accord. Les détails viendront plus tard. »

Le ministre Renkin se trouvait dans une position difficile. On lui reprochait de la gauche d'avoir, en tant qu'ancien démocrate, vendu son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.

En guise de défense, Renkin a déclaré que chaque homme d'État est confronté, dans sa vie, à des faits qui ne laissent pas ses convictions intactes. Au fond, ma position n'a pas changé. Je reste fidèle aux idéaux de ma jeunesse, mais dix années de travail parlementaire m'ont montré que parfois, dans l'intérêt général, il faut sacrifier certaines préférences personnelles.

la gauche : Ah !

Le ministre : Je n'oublie pas que je viens du peuple.

Le socialiste Furnémont : C'est bien cela, vous venez du peuple, vous auriez dû y rester.

Hymans a montré qu'il n'y avait aucune idée exprimée, aucun plan communiqué dans toute la déclaration ministérielle. Tout ce qu'on peut y lire, c'est que l'enseignement libre sera encouragé, ce qui signifie que des sommes considérables seront données aux écoles des couvents. Détruire l'enseignement public, laisser l'Église dominer l'école, tel est l'objectif du ministère de Trooz.

Il y a cependant dans le ministère des partisans du service militaire obligatoire, de l'obligation scolaire, du suffrage universel, comme par exemple M. Renkin. Va-t-il essayer de réaliser ces idéaux de sa jeunesse ? Ou les a-t-il tous jetés par la fenêtre en entrant au gouvernement ? Dans ce cas, il n'attend que l'amertume.

Quant à nous, a poursuivi Hymans, nous continuerons le combat et viendra un jour où les paysans que vous avez enchaînés se libéreront. Alors ce sera la fin de votre existence sans gloire.


La proposition de loi Coremans devant la Chambre

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 mai 1907)

Bruxelles, 18 mai 1907

« C'était au printemps, c'était au mois de mai », comme le dit la chanson ; nous avons définitivement laissé l'hiver derrière nous ; le Théâtre de la Monnaie est fermé ; l'été arrive : le Concours Hippique nous apporte les nouveaux toilettes pour dames - sur lesquels je reviendrai plus tard - ; tout respire la joie : la crise ministérielle est résolue et le nouveau gouvernement a fait preuve de sa résilience face au flot de malédictions - encore assez faible et creux - de l'opposition ; et maintenant, il ne manque plus qu'une seule chose pour nous, journalistes, être parfaitement heureux : les vacances parlementaires, en d'autres termes.

Mais la Chambre a trop souffert des commentaires de la presse ces derniers temps pour nous permettre d'être parfaitement heureux ; elle préfère elle-même, après une session pourtant très chargée et agitée, poursuivre le travail d'esclave, dans la sueur de son front et dans la fournaise de l'éloquence parlementaire, plutôt que de nous accorder le droit d'aller voir les feuilles de hêtre pousser dans la forêt de Soignes...

La Chambre poursuit donc courageusement son travail, et c'est la proposition de loi Coremans sur l'usage du néerlandais dans l'enseignement secondaire libre qui doit en faire les frais.

Pauvre proposition de loi Coremans ! Alors qu'elle ne vise à rien d'autre que d’imposer aux établissements d'enseignement libre, qui ont les mêmes droits que l'enseignement officiel, les mêmes exigences, elle a rencontré les pires oppositions et arrive à l'ordre du jour au pire moment.

Elle ne fait pourtant que confirmer et compléter la loi de 1883 sur l'enseignement officiel moyen. Cette loi de 1883 a été adoptée à l'unanimité, à deux voix près. Donc, toute la Chambre était alors d'avis qu'il était juste de permettre à chaque Belge de la partie flamande du pays, par voie légale, d'utiliser couramment le néerlandais dans un certain nombre de matières, grâce à une utilisation rationnelle de la langue maternelle, et de donner aux Wallons le privilège d'apprendre suffisamment la deuxième langue officielle pour pouvoir rivaliser à armes égales avec leurs compatriotes flamands dans la compétition pour les postes gouvernementaux. Tout le monde avait considéré la loi de 1883 comme une bénédiction, et c'était bien le cas, pratiquement lorsqu'elle prescrivait la connaissance des termes techniques des mathématiques, des sciences naturelles et de la chimie dans les deux langues, pédagogiquement lorsqu'elle imposait le néerlandais comme langue véhiculaire pour l'étude de l'allemand et de l'anglais. Il n'y avait rien à perdre, tout à gagner. Les Wallons n'avaient pas à se plaindre : de telles prescriptions ne s'appliquaient qu'à la partie flamande du pays. Et on peut dire sans exagération que si le niveau intellectuel de la bourgeoisie flamande a augmenté ces dernières années et parmi les jeunes générations, c'est grâce à la loi de 1883.

Maintenant, Monsieur Coremans demande seulement - comme je vous l'ai déjà souligné plusieurs fois - que ce qui est loi pour l'enseignement officiel le devienne aussi pour l'enseignement libre, qui a les mêmes droits en matière d'homologation des diplômes et d'accès aux emplois publics. Il était donc logique que les mêmes obligations soient imposées ; et ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu attendre de 1883 à 1907, soit 24 ans, pour le comprendre.

Mais il ne faut pas attendre des parlementaires qu'ils raisonnent logiquement. Ils ne connaissent qu'une logique : celle du courant d'opinion temporaire d'une partie de la population belge.

Et maintenant, l'opinion, toujours aussi déraisonnable, du pays wallon est farouchement anti-flamande. La cause : la disposition, dans la loi sur les mines votée mais retirée, proposée par le gouvernement, selon laquelle chaque ingénieur des mines devrait connaître le néerlandais. Je vous ai récemment écrit que cette mesure créait une situation qui était la seule bonne, la seule nécessaire. En Wallonie, on ne pensait pas ainsi ; les ingénieurs des mines wallons voulaient bien être nommés dans les nouvelles mines du Limbourg flamand, mais ils considéraient que l'obligation de connaître la langue des mineurs était une exagération flamande. Des réunions ont été organisées. On a non seulement protesté, mais aussi menacé. Les Wallons, prétendaient-ils, qui habitaient la partie la plus riche du pays, avaient aussi le droit de dicter leur loi ; ils possédaient ce qui faisait la richesse du pays : les mines de charbon et l'industrie ; ils avaient donc aussi le droit de refuser de se plier à une législation favorable aux Flamands. Ils ne songeaient pas cependant que, lorsque les mines seraient exploitées dans le Limbourg, ce pouvoir passerait naturellement à la partie flamande du pays, que son industrie textile et son horticulture seraient également enrichies par la présence d'un bassin houiller, d'une industrie métallurgique, et qu'en outre, un port comme celui d'Anvers serait là. Ajoutez à cela que la population flamande double par rapport à la population wallonne ; et demandez-vous ensuite : qui aura une domination incontestée en Belgique dans un avenir très proche ?

Mais les Wallons ne raisonnent pas ainsi. Ils rejettent toute question de principe, ne voient pas que la justice et la raison exigent que tous les ingénieurs des mines connaissent le néerlandais ; ils se positionnent sur un terrain pratique, fragile et infondé, en prétendant qu'un ingénieur des mines n'a rien à voir directement avec le travailleur, et se targuent d'une supériorité qui est douteuse, et de toute façon temporaire.

Je devais ouvrir cette parenthèse pour vous expliquer l'amertume wallonne, la rage contre tout ce qui est flamand, telle qu'elle se manifeste actuellement. Je ferme maintenant la parenthèse, et je reviens à la loi Coremans.

Celle-ci était donc inattaquable du point de vue de la logique ; rien ne pouvait lui être reproché, sinon d'avoir tardé trop longtemps, son acceptation étant un acte de simple bon sens.

Mais... il y avait le Mouvement Wallon furieux ; les agitateurs avaient incité le peuple à refuser sa voix à tout député qui soutiendrait encore une concession flamande ; le plus grand affront qu'on puisse adresser à l'ancien ministre Francotte était de l'appeler "Van Francotte".

Les députés, et notamment les catholiques wallons, qui n'ont déjà pas grand-chose à perdre, sentaient leurs sièges parlementaires vaciller sous eux ; la proposition de loi Coremans devait être rejetée à tout prix.

On trouva quelqu'un pour prendre la direction des opposants : le Flamand Charles Woeste, qui haïssait le flamand ; et un argument fut invoqué : l'allégation d'inconstitutionnalité de la proposition de loi.

Que M. Woeste se soit empressé de prendre en charge cette tâche est compréhensible. M. Woeste est autant le représentant des évêques belges et d'une partie du clergé régulier belge - alors que les Bénédictins et les Dominicains sont nettement démocratiques, la plupart des Jésuites et des Joséphistes, deux ordres enseignants, sont nettement réactionnaires - que de la bonne population d'Alost. Vous savez, par les lettres que je vous ai écrites à ce sujet auparavant, comment les évêques ont cherché à éviter la loi proposée par Coremans. Ils souhaitaient exclure toute ingérence de l'État dans leurs écoles, réglementer l'enseignement qui y était dispensé selon leur bon vouloir, et, bien qu'ils conservent volontiers tous les privilèges de l'enseignement officiel, ne pas se voir imposer d'obligations. Et voici ce qu'ils ont inventé : une circulaire précédait la loi, et souscrivait au principe, sinon à toute son application. Ainsi, on pouvait tourner la loi, qui n'était en fait plus nécessaire. Et même les collèges jésuites, qui ne relèvent normalement pas de la surveillance épiscopale, trouveraient bien un moyen de bloquer le vote de la loi...

Les catholiques flamands, cependant, pensaient différemment. Ils ne demandaient pas si la flamandisation des établissements d'enseignement ecclésiastique était un fait accompli : ils exigeaient une loi, une reconnaissance légale d'un principe qui, on ne le dit pass le dire assez, découle naturellement d'une situation qui prévaut dans les écoles officielles depuis 24 ans.

Mais que peuvent bien faire les catholiques flamands contre M. Woeste, lorsque les intérêts des évêques et le nombre de sièges des cléricaux, dont la majorité est déjà si fragile, sont en jeu ? Les évêques ne veulent pas entendre parler de la loi : La proposition doit être rejetée ! Les Wallons menacent de boycotter les députés qui feraient des concessions ? Il faut donner raison aux Wallons, puisqu'ils ont la mainmise sur certains sièges catholiques...

Et dans sa haine pour le flamand, M. Woeste a trouvé l'argument ultime contre le projet de loi : il était contraire à la constitution.

De quelle manière ? D'une manière assez curieuse ? M. Woeste - et avec lui une partie de la presse libérale francophone - se fonde sur l'article 17, qui garantit la liberté d'enseignement, et sur l'article 23, qui ne permet à la loi de déterminer l'usage des trois langues nationales que dans le cas des actes de l'autorité publique et des affaires judiciaires. M. Woeste a donc, selon la lettre immédiate de la constitution, raison, lorsqu'il estime qu'on ne devrait pas imposer une langue véhiculaire spécifique à l'enseignement libre.

Cependant, sa ligne de raisonnement ne contredit-elle pas quelque peu l'esprit de la constitution ? Pour commencer, l'enseignement dit « libre » est-il vraiment si libre que cela ? Pour être admis dans une université d'État, vous devez prouver avoir suivi les sept classes d'un établissement qui a enseigné les matières du programme officiel pour l'enseignement moyen, à moins de vous soumettre à un examen portant sur ces mêmes matières, évalué par un jury composé d'enseignants officiels et non officiels. Cela constitue l'unité dans l'enseignement ; tout cela est indéniablement une restriction de la liberté que l'on prétend défendre ici. Car cela est clair : quoi qu'on vous ait enseigné dans votre collège épiscopal, que ce soit le chinois ou la peinture à l'aquarelle : vous êtes contraint de connaître telles et telles matières, dans les limites établies par le programme officiel. Cela va donc non seulement à l'encontre du fondement de la liberté d'enseignement, mais cela détermine même dans une certaine mesure l'esprit de l'enseignement. Il n'est par exemple pas permis à un seul enseignant de l'enseignement moyen « libre » de faire disparaître le troisième livre de géométrie de Legendre ou l'histoire des Assyriens sous prétexte qu'ils ne sont pas nécessaires ; son explication de certains phénomènes naturels peut différer de celle prescrite par le programme officiel : il doit s'y conformer ; il ne lui est pas permis de retirer Xénophon ou Virgile de son enseignement, même s'il préfère les lire avec ses élèves ; et s'il préfère consacrer vingt heures à l'explication des Écritures, il est néanmoins obligé d'expliquer l'utilisation et les beautés des tables logarithmiques.

Personne ne considère maintenant cette restriction indéniable comme une violation de la Constitution. Car ce que la Constitution entend par « liberté d'enseignement » est beaucoup moindre : « Vous pouvez enseigner ce que vous voulez et comme vous le voulez, vous avez le droit d'enseigner. » Et il est donc tout à fait naturel que, dans le cadre d'un programme imposé, les meilleures méthodes pédagogiques soient prescrites, celles qui produisent les meilleurs résultats pratiques.

Ceci est l'une des nombreuses interprétations des dispositions constitutionnelles qui contredisent l'affirmation de M. Woeste en ce qui concerne la « liberté d'enseignement ». En ce qui concerne l'enseignement en néerlandais, cela n'a que peu à voir avec ce que l'article 23 de la Constitution évoque. Il ne peut être question ici de la validité judiciaire de la langue utilisée, comme le prévoit le texte constitutionnel. On prescrit le néerlandais dans l'enseignement. Pourquoi ? Parce que cela est utile du point de vue pédagogique et pratique, et parce que cela permet encore de s'exprimer de manière la plus authentique possible dans sa propre langue maternelle, même si elle est à moitié oubliée...

Mais tout cela ne constitue-il pas des digressions inutiles ? Si l'on veut défendre une liberté absolue d'enseignement, au sens de : liberté d'enseigner, c'est-à-dire la liberté pour chacun de diffuser ses idées comme bon lui semble, alors il aurait fallu commencer par laisser les enseignants officiels libres. On ne l'a pas fait ; on a cherché les meilleurs moyens d'enseignement, puis on les a imposés par la loi de 1883 aux écoles officielles à l'unanimité. Maintenant, on refuse de recommander légalement ces mêmes meilleurs moyens aux établissements d'enseignement libres, où ils réaliseraient pourtant une égalité de situation qui profiterait surtout aux élèves de ces établissements !... Mais non : il vaut mieux perpétuer l'inégalité des obligations, au bénéfice des collèges épiscopaux, pourvu que les droits restent égaux : tel est l'unique objectif de M. Woeste. Et le fait qu'il se taille un manteau de Constitution pour couvrir cet objectif trop évident est une blague qu'il fait bien trop souvent pour qu'on puisse la prendre au sérieux...

Déjà deux jours se sont écoulés depuis que la proposition de loi Coremans a été discutée à la Chambre. Le libéral De Vigne, les cléricaux de la Walle et Delbeke qui plaident en sa faveur ont pour l'instant eu facilement le dessus sur les arguments mesquins et subtils de Woeste. Le véritable débat sur la loi n'a pas encore commencé. Attendons plutôt le moment où le texte lui-même sera discuté. Attendons surtout avec sérénité le résultat final. La loi sera très probablement adoptée sur le texte de Coremans, grâce à l'opposition. Et une fois de plus, nous pourrons constater à quel point la droite est fragile, cherchant en vain, lors d'une réunion hier, un compromis.


Le projet Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 31 mai 1907)

Hier, Versteylen, député catholique de Turnhout, a pris la parole contre le projet Coremans relatif à l'usage obligatoire du néerlandais dans les écoles secondaires libres. Il a combattu le projet au nom de la liberté. Il a déclaré que la liberté d'enseignement y était entravée et que seul un système de liberté de langage pouvait permettre le développement du pays. Il a qualifié le projet de nuisible et d’anticonstitutionnel.

Le libéral Giroul a immédiatement fait remarquer que Versteylen devrait alors également s'efforcer d'abolir la loi de 1883 régissant l'usage du néerlandais dans les écoles publiques, car le projet-Coremans ne veut rien de plus pour les écoles libres que ce que la loi de 1883 prévoyait pour les écoles publiques.

Versteylen a été critiqué de toutes parts.

« Et voilà un député du Campine ! » s'est exclamé Verheyen.

Pieter Daens a crié en flamand : « N'avez-vous pas honte, en tant que Flamand, de parler ainsi ? »

Mais Versteylen a continué à critiquer le projet Coremans. Il a argumenté que le projet était antidémocratique.

Voici comment Versteylen en est arrivé à cette conclusion : les enfants des riches ne sont pas touchés par la loi, car ils peuvent aller à l'école en Wallonie, mais les enfants pauvres de Flandre devront dorénavant fréquenter uniquement des écoles flamandes.

Versteylen part donc du principe que c'est une sorte de catastrophe pour les enfants du peuple d'être éduqués en flamand.

Daens et Demblon ont reproché à Versteylen d'avoir retourné sa veste après que les évêques ont exprimé leur désapprobation du projet. Ils lui ont reproché de combattre le projet parce qu'il sonnerait le glas des écoles jésuites françaises. Les enseignants jésuites français devraient déménager en Wallonie.

Hoyois, catholique, a estimé que le projet Coremans visait l'enseignement catholique. Il a mis en garde les Wallons contre le Flamand. Le Flamand prend tout le pays en otage. Bientôt, en Belgique, aucun simple pompier ne pourra être nommé s'il ne parle pas le flamand. Je dis aux Wallons : Prenez garde, prenez garde.

« La Dame Blanche vous regarde », a crié Terwagne.

Le débat sur la proposition Coremans se poursuivra mercredi prochain.


La politique hier et demain [au sujet de la proposition Cooremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 juin 1907)

Bruxelles, 1er juin 1907

La politique belge des derniers jours et des jours à venir tourne autour de deux lits de malades : la goutte du ministre de Trooz est la planche de salut (pardonnez-moi cette métaphore osée mais non anti-parlementaire), par laquelle la droite tente d'atteindre un champ de réconciliation concernant la proposition Coremans ; la pneumonie inattendue et douloureuse de M. Beernaert, qui aurait pu coûter la vie au ministre de 78 ans à un moment crucial - heureusement il se rétablit, - une situation qui non seulement préoccupait la politique intérieure belge, mais aurait également eu des répercussions défavorables sur la commission des traités belgo-néerlandais et la conférence de paix de La Haye en cas de dénouement défavorable.

Pauvre proposition Coremans ! Ou plutôt - car la loi sera adoptée de toute façon ! -: pauvre droite coincée entre deux fagots de foin : le clergé et le peuple flamand qui lui est favorable. Car c'est à cela qu'elle se réduit : faire plaisir aux électeurs flamands et déplaire aux évêques, ou vice-versa. Si les évêques sont délaissés en faveur de l'électorat catholique fidèle, vous pouvez imaginer l'accueil que recevra Woeste de la part de l'archevêque ! Si les établissements d'enseignement catholiques obtiennent ce qu'ils demandent, alors le lion flamand se réveille, et Woeste pourrait bien y laisser sa peau. Je ne veux pas parler ici spécifiquement de M. Charles Woeste ; mais je le cite comme symbole de la vieille droite, et en même temps comme tête de Turc représentative, sur laquelle tombent tous les coups, y compris ceux des jeunes catholiques, loin d'être apprivoisés parce que Helleputte porte un habit ministériel, et même, pour ainsi dire, plus audacieux à cause de cela ; des jeunes catholiques qui - voyez ce que votre correspondant d'Anvers a écrit sur la grande réunion il y a quelques jours - sont déterminés à briser tous les obstacles plutôt que de céder et de reculer.

Et avec raison. Après tout, ce sont eux seuls qui peuvent assurer un avenir à leur parti et encore quelques années de gouvernement. Ils sont également le seul groupe au sein de leur parti à inspirer confiance, même aux non-catholiques. Jeunes et parfois impulsifs, ils ont l'honnêteté et la franchise de la jeunesse insouciante. Cela peut être plus difficile à attribuer à des hommes d'État âgés et très avisés comme Beernaert et Helleputte, qui ont appris, de leur longue expérience parlementaire, la tolérance quand il le faut et la fermeté quand il le faut; mais le fait qu'ils se soient mis à la tête de soldats parfois imprudents mais courageusement honnêtes pour conquérir leur parti et lui insuffler une nouvelle vie, plaide en faveur de ces derniers. Et le fait que les anciens catholiques finiront par abandonner même les astuces politiques les plus éprouvées en faveur de leur obstination arbitraire, voilà ce qui fait frémir le symbole Woeste, car cela ne favorise ni l'unité ni le prestige du catholicisme belge.

Mais les jeunes catholiques se soucient très peu de cela. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est la justice ; et tant qu'ils ne seront pas corrompus par la politique, nous ne pouvons que les applaudir. Maintenant, ils poursuivent courageusement leur travail contre les arguments de Woeste concernant la proposition Coremans. Rejetant l'argument de son inconstitutionnalité comme ridicule, ils attirent surtout l'attention sur la nécessité de la réforme telle que Coremans la propose.

Un hebdomadaire, « Hooger Leven », organe des jeunes professeurs et étudiants catholiques de l'université de Louvain, a ouvert une enquête dans les établissements d'enseignement moyen où la direction est assurée par le clergé, et qui, lors des examens et des diplômes, ont les mêmes droits que les écoles officielles, où la loi est en vigueur depuis 24 ans. La situation dans ces établissements ecclésiastiques, même après les recommandations épiscopales, peut être déduite de la lettre insérée dans le « Hooger Leven », que je reproduis ici et qui est caractéristique de l'esprit qui règne dans la direction de ces écoles :

« Gand, 16 mai 1907.

« Cher Monsieur le Rédacteur en chef,

« Parmi les collèges qui ne suivent pas les prescriptions de Mgr Mercier, on trouve presque les mêmes établissements dans tous les journaux.

« Je n'ai jamais vu mentionnée l'institution St.-Amand (dirigée par les Frères des écoles chrétiennes), et pourtant...

« Je me souviens encore de la fois où on nous a interdit de porter le Lion flamand sur notre veste. Sur le revers de notre col, nous pouvions en porter autant que nous voulions, disait le Directeur, "ainsi que tous les portraits de nos divinités flamandes", ajouta très malicieusement un frère.

« Je me souviens encore de la fois où nous devions chanter "De Vlaamsche Leeuw" pour je ne sais plus qui ou quoi. En flamand ? Oh là là, ce serait "trop vulgaire" : le très cher Frère Pro-Directeur s'est aimablement chargé de faire une traduction française et, que nous le voulions ou non, nous devions chanter « Le fier Lion Flamand" !

« Mais revenons au sujet.

« Dans votre numéro de dimanche dernier, vous donnez également la liste des établissements qui restent sourds aux prescriptions de Mgr Mercier. St-Amand a encore été oublié parmi les établissements gantois. La situation dans cette école ne peut et ne doit plus être cachée. Jugez, d'après la conversation que j'ai eue avec l'un des enseignants, comment on juge le flamand là-bas. (N'oubliez pas que St.-Amand est l'école où les gens de la haute société et les fils de nos riches bourgeois reçoivent leur éducation...)

« -Révérend Frère, j'ai ici un hebdomadaire, « Hooger Leven » - un excellent journal, hein ! - (Il rit et marmonne en haussant les épaules "Quel petit journal de province est-ce ? »

« -Un excellent petit article y est consacré à la situation du flamand dans nos collèges...

« -Vous voilà encore avec vos trucs.

« -Excusez-moi... et dans lequel il est clairement démontré à quel point nous nous soucions peu des prescriptions de Mgr Mercier.

« -Eh bien, où voulez-vous en venir ?

« - Voici, Frère, je voudrais savoir comment vous appliquez les prescriptions de Monseigneur.

« - De Mgr Mercier ?

« - Oui.

« - Voici ce que je pense. Mgr Mercier est certainement un homme instruit ; je lui dois tout le respect ; mais en ce qui concerne sa lettre, je dois avouer franchement que je n'ai jamais pris la peine de la lire.

« - Ah bon ! (Ici, je lui explique un peu cette lettre.)

« - Mgr Mercier est libre de faire ce qu'il veut dans les écoles où il a quelque chose à dire. Ce droit, je ne le lui conteste pas, mais qu'il vienne chez nous donner des ordres, je ne l'accepte pas.

« - Mgr ne le fait pas ; mais je pensais que les Jésuites, les Jésuites, et d'autres encore...

« -Les Jésuites aussi ! Ah ah !!

« - Excusez-moi, laissez-moi dire... que les Jésuites, les Jésuites, et autres se sont engagés à considérer comme un honneur et un devoir d'appliquer également ces prescriptions dans leurs établissements.

« - "Des blagues, des blagues !" (n.d.T : en français dans le texte) Je sais pour ma part que nous ne suivrons jamais ces prescriptions dans nos établissements. Ecoutez bien. Toute cette ferveur flamande exagérée ne mène à rien. Nous n'avons jamais eu de plaintes ici selon lesquelles nous n'apprenions pas assez le flamand, mais bien le contraire. »

« Et voulez-vous, Monsieur le Rédacteur en chef, connaître cette situation ?

« J'en ai déjà parlé dans mon introduction. Ajoutez-y ceci :

« 1. Jamais une seule prière en flamand !

« 2. Toujours parler français dans la cour, au risque d'écrire l'article du règlement 50 à 100 fois (selon que l'enseignant est francophile) : "§ III art. 24. Pendant les récréations, tous les élèves sont tenus de parler français, etc. »

« 3. Cours de flamand. Deux heures par semaine. Et s'il n'y a pas assez de temps pour expliquer ou préparer les mathématiques, le temps est pris sur le cours de flamand.

« 4. Littérature flamande en rhétorique même, insignifiante, parfois donnée en français.

« 5. Une académie littéraire. Interdiction stricte de faire quoi que ce soit en flamand, même d'aborder quelque chose sur la langue flamande (l'interdiction a été donnée à l'auteur à l'époque).

« Voilà à quoi se résume la situation du flamand à l'Institut St.-Amand, École moyenne catholique.

« J.D.B. Ancien élève de St-Amand. »

Ab uno disce omnes ! - Et pour de telles écoles, où l'on traite ainsi les droits de la langue du pays et de la majorité des Belges, on ose encore invoquer le grand principe de la liberté d'enseignement, là où, je le répète, ils ont les mêmes droits, et même, sous un gouvernement catholique, la certitude de voir la plupart de leurs élèves nommés à des postes dans l'administration, de préférence aux garçons des écoles officielles soumis à un programme strict.

Il était difficile pour M. Woeste de lutter contre de tels arguments. Il trouva bien un peu d'aide auprès de M. Versteylen, un homme bien intentionné, qui appellera cette année une année malheureuse : il a en effet été rapporteur pour la loi minière, et a beaucoup souffert des attaques des opposants au comte de Smet de Naeyer, que son âme repose en paix. Mais M. Versteylen n'est pas à la hauteur, par exemple, de son collègue Delbeke ; de même qu'aucun mensonge, d'ailleurs, n'est à la hauteur de la vérité nue. Cette vérité nue est défendue dans la Chambre belge par des chevaliers bien armés. Et cela inquiétait Woeste, habitué à plus de discipline. Heureusement, il y avait la goutte, la charmante goutte de M. de Trooz, l'homme de tous les sacrifices. Elle permet à M. Woeste, cette goutte, de faire les manœuvres nécessaires pour obtenir un compromis. M. Woeste n'a jamais douté de lui-même, et c'est toujours sa force. Mais maintenant, il pourrait bien se casser le nez contre un mur plus dur. Et « qui se casse le nez, se casse le visage", dit-on chez nous... Vous verrez que M. Woeste se vengera sur la goutte de M. de Trooz.

L'autre malade de cette semaine, le ministre d'État Beernaert, a suscité beaucoup plus d'intérêt que le ministre de Trooz et sa goutte. Le ministre d'État Beernaert est en effet une personnalité d'une bien plus grande importance que notre gros premier ministre. C'est avec un cœur serré qu'on a appris la nouvelle : Beernaert était mourant. Avec la mort dans l'âme, je suis allé le voir chaque jour - M. Beernaert est presque mon voisin. Après le troisième jour, son médecin, qui est aussi le mien (oui, oui !), a pu me rassurer ; grâce à une constitution exceptionnellement robuste, le malade guérirait. Heureusement : le 8 juin, il devait présider la commission belgo-néerlandaise ; quelques jours plus tard, il devait se rendre à La Haye pour la conférence de paix - dont il a beaucoup parlé alors qu'il délirait - et où il voulait jouer un rôle, notamment en ce qui concerne la question du désarmement.

Sera-t-il votre invité ? On craint que non, même s'il est plein de courage et de confiance. On n'a pas pu l'empêcher de travailler de temps en temps au discours qu'il doit prononcer à la conférence ; et il faudra sûrement beaucoup d'efforts pour le convaincre que rester à la maison serait préférable.

En ce qui concerne la réunion d'ouverture de la commission de rapprochement belgo-néerlandaise : celle-ci a été reportée jusqu'au 15, en raison de l'état de santé de M. Beernaert. Ce que ces messieurs se diront entre eux est un secret... que je vais vous révéler. D'abord, ils iront ensemble déposer des fleurs sur la tombe de Jan van Rijswijck, le grand Flamand, non : Néerlandais. Et ensuite, en l'absence des journalistes, ils discuteront de toutes sortes de choses, également en secret... dont je vous donnerai fidèlement compte, pas seulement des « communications à la presse », mais comme je les ai... - mais non : mon secret restera secret !

Entre-temps, je vous communique un document que même les membres belges de la commission n'ont pas encore reçu. Il s'agit du "Programme" des travaux, accompagné d'un "Projet de règlement", proposé par les Hollandais, et qui, pour notre plus grande joie, rompt notamment avec l'idée selon laquelle, pour la diplomatie comme pour l'art culinaire, le français est la seule langue d'usage possible, une notion, inventée, je crains, par Talleyrand, le diplomate gourmet ; l'article 6 de ce « Projet de règlement » dit en effet : « Tant dans les réunions que dans la correspondance, il y aura une égalité totale pour l'usage de la langue néerlandaise ou française. » Bravo !

Voici maintenant le « Programme » proposé, qui, comme vous le voyez, est plus large que celui proposé par le secrétariat belge et que vous avez communiqué :

1. Unité dans les tarifs postaux, télégraphiques, téléphoniques et ferroviaires ;

2. Égalité de taxation pour les entreprises exerçant leur activité dans les deux pays.

3. Législation du travail.

4. Problème de la classe moyenne.

5. Droit d'auteur.

6. Reconnaissance réciproque des preuves d'examens néerlandais et belges ainsi que des preuves de compétence.

7. Exequatur des décisions judiciaires.

8. Questions relatives à la navigation, à la réglementation des ports, aux associations de navigation.

9. Questions agricoles. Eventuellement.

10. Politique commerciale.

Voilà le programme ambitieux, où toute action défensive commune a été judicieusement écartée, qui sera soumis aux membres de la commission belge mardi après-midi... après que les lecteurs du N.R.C. l'auront déjà connu depuis vingt-quatre heures.

Je ne peux pas clore cette lettre sans avoir mentionné un fait politique qui pourrait avoir de grandes conséquences et en aura peut-être.

Lors des élections de 1904, à Termonde, le libéral Van Damme et le tristement célèbre démocrate-chrétien Plancquaert avaient présenté ensemble leur candidature pour un siège, après un accord devant témoins, selon lequel celui qui obtiendrait le plus de voix siégerait à la Chambre pendant trois ans, pour céder son siège au deuxième pendant la quatrième année. Le sort a favorisé M. Van Damme ; il est donc allé trôner sur le cuir vert, et... n'a pas fait grand-chose de plus que cela. Mais voici que sa troisième année est écoulée, et Plancquaert veut prendre sa place. « Loin de là », dit Van Damme, « je suis bien ici ! »

Bien sûr, M. Plancquaert trouve cela mal élevé, et toute sa formation avec lui. Et maintenant, elle, la formation, a pris la décision suivante publiquement :

1. Le Parti populaire chrétien décide de faire photographier l'accord conclu avec M. Van Damme, qui l'a signé en tant que représentant du parti libéral. La photographie sera distribuée dans l'arrondissement de Termonde, ainsi qu'à la Bourse de Gand, de Bruxelles et d'Anvers.

2. Les élus du Parti populaire chrétien à la Chambre et aux conseils municipaux reçoivent l'ordre express de prendre immédiatement position contre les libéraux et les socialistes, sauf dans les questions qui concernent directement des lois favorables au peuple.

3. Les votes obtenus par le Parti populaire chrétien dans le pays doivent être considérés comme allant à l'encontre de la gauche.

Quand on pense maintenant que le Parti populaire chrétien dispose de quelque 50 000 voix, qui sont ainsi perdues pour l'opposition, on comprend comment M. Van Damme sera accueilli au sein de son parti !

Grâce à l'intervention de M. Plancquaert, les socialistes ont obtenu un siège à Courtrai : le premier dans le pays flamand ; maintenant que le Parti populaire chrétien se retire, ils perdent ce siège sans aucun doute. De même pour les libéraux à Termonde, après la « trahison » de Van Damme. Conséquence : deux sièges gagnés pour les cléricaux. Et tout cela à cause de la mesquinerie de gens qui trouvent facile de gagner quatre mille francs en venant chaque jour écouter le doux Hoyois ou l'insupportable Denis. Oh, la politique !


La proposition Coremans et le peuple

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 juillet 1906)

Bruxelles, 14 juin 1907

Après Anvers, un meeting à Gand et un meeting à Bruxelles. Après les deux villes sœurs - la troisième, Bruges en éveil, a d'autres préoccupations importantes pour le moment - la demi-sœur ostentatoire, francisée, mais fondamentalement bienveillante et véritablement flamande participe également : Bruxelles ne pouvait pas rester à l'écart, surtout maintenant que la lutte pour et contre le projet de loi Coremans semble vouloir tourner autour de son bilinguisme.

Même pour ceux qui peuvent garder leur sang-froid, pour ceux qui renoncent à toute ferveur et placent un regard critique au-dessus d'un cœur chaleureux ; pour le journaliste objectif, un tel meeting, en tant qu'expression de la psychologie populaire, en tant que champ d'étude de la force populaire, est un spectacle vraiment important. Votre correspondant anversois vous a raconté dans quelques lettres comment le glas avait retenti sur la ville de l'Escaut, un glas dont le battement semblait bientôt se transformer en triomphe, à mesure que l'enthousiasme des orateurs retentissants et des auditeurs avides montait. Le caractère généreux, sain et riche d'Anvers, celui de l'Escaut et du polder, et aussi celui de Rubens et Benoit, a appris la largesse généreuse et la joie décorative avec assurance, peut-être au détriment de la profondeur et de l'intimité - le caractère anversois ne peut douter de la victoire imminente. Et le meeting était donc moins une défense acharnée des droits du peuple : c'était déjà à l'avance la célébration de la victoire, confirmée avec une telle certitude, proclamée avec une conscience joyeusement virile, que l'ennemi, craintif, pouvait bien ranger ses armes.

C'était différent à Gand : ici on lutte pour le plaisir de lutter ; beaucoup plus ici, on lutte pour le combat lui-même que pour l'espoir de victoire. Le Gantois est un insurgé, un révolté. Il peut savoir que la cause est mauvaise, que le résultat sera défavorable : il continuera quand même, continuera à se battre avec une obstination qui n'est nullement, comme on pourrait le penser, la frénésie du désespoir, ou inversement, le désir de butin ou de récompense, mais simplement la satisfaction d'une impulsion naturelle, l'expression d'un trait de caractère ancestral. L'empereur Charles reprochait aux Gantois leurs « têtes dures » ; lui-même était un Gantois têtu et l'a montré plus d'une fois dans sa combativité.

Un meeting - ce microcosme de toutes les joies et colères humaines - est donc quelque chose de particulier à Gand. Ici, pas de certitude joyeuse, généreuse, ouverte : des poings serrés et des dents grinçantes ; pas de musique de rue ample et ondulante : des cris rauques et des jurons. Quand on chante le Lion des Flandres ici, ce n'est pas pour la mélodie vive et entraînante, mais pour les « chaînes et les cris » et les crinières agitées et les griffes déchirantes.

Ajoutez à cela que le véritable peuple est constitué d'ouvriers d'usine, nourris, imprégnés de socialisme rageur et révolté, et en plus, il faut le dire, très mal payés ; tandis que le docker anversois gagne de l'argent comme de la boue, et est conscient de son pouvoir, sans qu'il ait besoin de prouver ce pouvoir. Cela seul vous indique pourquoi et en quoi une assemblée populaire à Gand diffère d'une assemblée populaire à Anvers.

Un meeting a donc aussi eu lieu à Gand - un meeting avec Anseele ! Vous le connaissez au moins de réputation : une figure puissante, certainement le plus fort agitateur de Flandre, véritable tribune du peuple, qui ferait tout pour le peuple, et obtient donc tout du peuple. Calomnié par certains et, plus modéré, accusé par d'autres d'une ambition indéniable, il est resté pour le peuple, inébranlable, un grand frère de confiance. Au Parlement, où ce Gantois robuste et brutal représente Liège, délicate, polie et espiègle, en tant que socialiste, il est peu à peu devenu, aux côtés de compagnons élevés et cultivés comme Jules Destrée - une nature mystique, extraordinairement aristocratique - et un patricien comme Emiel Vandervelde, une figure de second plan, une étoile secondaire qui scintille parfois avec un éclat plus que normal, mais qui, lors de débats sérieux et de dégustation juridique fine de « distinguo », occupe naturellement une place subordonnée. Mais il faut le voir dans son élément, parmi les ouvriers gantois, ou face aux employeurs gantois. Alors il tonne avec sa voix puissante, il éclaire avec les arguments les plus surprenants, alors il y a dans son expression de force un tel humour colossal ou une telle colère gigantesque que cet homme devient vraiment quelque chose de plus qu'un être humain ordinaire : il est l'un de ces porteurs de pouvoir, l'un de ces surhommes qui, en dehors du bien et du mal, sont le pivot autour duquel tourne un monde.

Je n'exagère nullement : voir Anseele dans la basse et sordide salle Valentino à Gand, régnant sur ses hommes, les électrisant par tout son être, par sa tête hirsute, pâle et dure qui se rejette impérieusement en arrière ; par le geste tic de rage, qui repousse sans cesse et sans cesse pince-nez en place ; et aussi, il ne faut pas l'oublier, par un discours très approfondi, loin d'être superficiel ; quiconque a vu Eduard Anseele (« Notre Eedje » disent les socialistes gantois) ainsi, et l'a entendu rugir dans son puissant et imagé dialecte gantois : rassurez-vous, il en emporte chez lui une impression pour de longs jours.

Lors du dernier meeting à Gand, il a été excellent, compte tenu du projet de loi à défendre. Ceux qui connaissent Anseele craignaient une déception ou un effet négatif sur le peuple. Anseele, en effet, n'est pas un flamingant orthodoxe. Il avait dit un jour : d'abord l'estomac, puis le cerveau. Le peuple doit manger, puis seulement savoir. C'était brutal et, dans sa terrible vérité, peu noble. Et on craignait donc que le meneur populaire ne vienne avec toutes sortes de réserves, et ne parle en faveur de la loi que parce que la discipline du parti le lui imposait. Mais Anseele n'a pas fait de réserves : il a démontré avec force comment ce projet repose sur le droit, la nécessité et la saine démocratie. Et autour de cette thèse, sa richesse d'images a tourné comme une roue de feu autour de son axe pétillant d'étincelles, de sorte que c'était magnifique, et aussi appréciable pour les natures plus profondes et plus raisonneuses. Le catholique Coremans doit une chandelle au socialiste Anseele : il a dépensé assez de feu pour lui.

À Bruxelles, hier soir, c'était naturellement encore différent. Le véritable peuple, bien que flamand encore, indestructiblement flamand, et la vieille bourgeoisie, loin d'être aussi francisée qu'on le prétend, où même l'élément wallon de la capitale a beaucoup moins d'emprise qu'on ne pourrait le craindre - les chiffres des dernières statistiques sont d'ailleurs éloquents : dans l'arrondissement de Bruxelles, sur 883 430 habitants, 635 554 sont des Flamands, dont 340 653 ne connaissent que le flamand - le peuple et la bourgeoisie de Bruxelles échappent néanmoins à l'influence directe du mouvement flamand. Cela tient naturellement à de nombreuses raisons : le peuple ne connaît pas la solidarité professionnelle, n'a pas le sentiment global d'être négligé, ni la volonté de revendiquer des droits. Car Bruxelles n'est pas une ville industrielle ; les divers membres de la classe ouvrière n'ont apparemment pas de besoins communs, et donc ne formulent pas de larges exigences communes. L'ouvrier bruxellois, qu'il soit en principe socialiste ou antisocialiste, est par nature individualiste ; car à Bruxelles, on ne trouve pas, comme à Gand, des tissages employant plus de trois mille ouvriers, ni un port qui, comme à Anvers, occupe toute une population. D'où, bien sûr, une fragmentation du sentiment de solidarité et une aversion pour l'action commune avec un objectif précis. D'où aussi l'indifférence à l'égard de ce qui pourrait rapprocher cet objectif en tant que moyen. Le mouvement flamand pourrait être l’un de ces moyens ; du moins il pourrait, en tant qu'expression démocratique, susciter un sentiment de communauté parmi les ouvriers se sentant flamands. Cela n'arrive pas ici, justement parce que les intérêts particuliers de chacun sapent l'intérêt général ; et c'est ainsi qu'on ne peut guère s'attendre à voir toute la population ouvrière de Bruxelles se lever pour l'idéal flamand, comme cela se produit à Anvers et à Gand dès que l'intérêt commun du peuple, de la classe ou même de la profession le rend nécessaire.

En ce qui concerne la bourgeoisie, elle se compose à Bruxelles principalement de commerçants, bien plus que d’industriels. Un industriel, par la nature même de son activité, est facilement conduit à interagir avec les classes inférieures ; son champ de travail intellectuel est plus vaste, car il doit maintenir un équilibre entre lui-même et ceux qu’il utilise comme force de travail ; il est confronté à des problèmes qu’il doit résoudre, et parmi ces problèmes, la question du mouvement flamand peut présenter un intérêt, même si celui-ci est d’un ordre inférieur. L’homme est, du moins, contraint à un certain travail intellectuel.

Il n'en est pas ainsi, on le comprend, du commerçant : simple acheteur et vendeur d'une certaine marchandise. Non un producteur qui doit réfléchir aux conditions de production ; seulement un consommateur qui ne se soucie que de son propre profit, et qui a le droit de se désintéresser des fluctuations sociales. Ajoutez à cela que Bruxelles, pour l’ouvrier comme pour le bourgeois, est une ville de luxe, pleine de distractions, pleine de dispersion de la pensée ; une ville cosmopolite de surcroît, qui se préoccupe plus des étrangers qui l’enrichissent que de sa propre nature nationale. Cela explique pourquoi le mouvement flamand ici est limité à un cercle d'intellectuels : enseignants, étudiants, fonctionnaires ; et aussi pourquoi le cercle relativement restreint de ces intellectuels se montre si amer et si acharné contre ces deux muraille de Chine : l'indifférence de la population, qui a du mal à les suivre, et le sarcasme de la presse française peu encourageante, qui se moque volontiers de ces « originaux », préfère ne pas discuter leurs arguments, et les passe sous silence quand ils apparaissent sérieusement armés de paroles et d'arguments solides.

C'était encore le cas hier. Il y a, indiscutablement, un désaccord entre la représentation populaire et la presse. Depuis des années, l’obéissance du public et des députés à la volonté de la presse quotidienne de haut niveau a diminué et s’est relâchée. Cette année, cette année politique entière, il y a eu plus qu’un relâchement : il y a eu désaccord. Nos députés ont prouvé combien ils étaient indépendants de l’opinion publique, telle que prônée par les journaux. En ce qui concerne le Congo, en ce qui concerne la loi sur les mines, il y avait un véritable fossé ; de plus, au Parlement, de violentes accusations ont été portées contre une certaine partie de la presse. Et maintenant, de nouveau en ce qui concerne le projet de loi Coremans : les représentants, de quelque parti qu'ils soient, refusent catégoriquement de danser au son des airs préconisés ; personne à la Chambre n’ose radicalement briser les principes de la loi, comme cela se fait dans certains journaux : d'où, naturellement, la colère du côté des journaux, et le silence ou la dérision de ceux qui osent être trop insistant en tant que Flamand conscientisé.

Cela a été le cas pour la réunion d’hier : annoncée uniquement par des circulaires et quelques journaux flamands, qui n’ont aucune influence sur la plus grande partie de la population, on pouvait s'attendre à ce que seuls quelques apôtres prêchent dans le désert devant des bancs vides ; d’autant plus que la soirée, après deux jours de pluie, était magnifique, et que le local était situé près du grand boulevard très fréquenté.

Eh bien : cela a surpassé les attentes les plus audacieuses, comme on dit ; une salle comble, et un enthousiasme considérable. Cela vaut bien que je vous décrive une telle salle.

Lieu de l'action : la grande salle de la Brasserie Flamande, - surtout flamande parce que des vues anciennes de la ville y sont peintes sur les murs. Beaucoup de lumière ; beaucoup de monde ; par la fenêtre ouverte : un phonographe qui claironne et hurle et beugle, avec la voix de Pulcinella, qui voulait jouer le ténor héroïque. Je vais me tenir à l’arrière, où règne encore une certaine fraîcheur ; dans une brume de fumée de cigare, je vois au loin le paysage coloré d’un petit théâtre ; une scène arcadienne, seulement gâchée par une longue table stupide et un certain nombre d’hommes laids en tenue sombre. La veille, j'avais vu comment, sur cette même scène, un petit homme maigre, qui était professeur de dzjoe-dzjitsoe, avait en 57 secondes, bien comptées, à moitié étranglé un boxeur géant. C'est apparemment le dernier mot de ce que l’on appelle le sport ; je ne peux pas trouver cela beau, parce que cela ne dure pas assez longtemps, et qu’au bout du compte, le vaincu reste tout de même en vie. J'ai donc pris beaucoup plus de plaisir à la réunion flamingante : on ne s'y battait qu'avec des mots, qui n'étaient pas toujours dangereux ; et, bien que cela ait peut-être duré un peu trop longtemps cette fois-ci, j'ai eu au moins de la valeur pour mon argent, puisque personne n'avait à payer d'entrée.

Sérieusement, et comme je vous l'ai déjà dit : une bonne réunion, satisfaisante. Pas tellement à cause des orateurs et des discours, mais à cause de la preuve fournie ici que même à Bruxelles, le projet de loi Coremans est ressenti comme une nécessité organique. Le peuple, et le comportement du peuple : telle a été la signification de cette réunion ; et il était réjouissant de voir comment le public nombreux s’est comporté : très réceptif, avec un enthousiasme compréhensif, avec une conviction digne.

Une série d’orateurs, dont je vous épargnerai les noms insignifiants. Je dois cependant m’arrêter à deux d’entre eux : Léonce du Catillon et Frans Reinhard.

Léonce du Catillon : sous ce nom élégant, la figure robuste, brutale, loin d’être docile, d’un paysan rebelle. Il ne parle pas sans que cela ressemble à une dispute ; quand il veut être très poli, on dirait qu’il va vous gifler ; et quand il rit, cela vous transperce la chair comme si on en tranchait des lamelles. Journaliste libéral, il ne renie en rien son passé de chrétien-démocrate, lorsqu'il parcourait toute la Flandre avec Hector Plancquaert pour soulever les paysans - de la même chair et du même sang que lui - contre le gouvernement clérical, leur parlant avec des mots et des sentiments qu'ils pouvaient comprendre, et rêvait qu'en étant profondément flamand, gentil et respecté, aimé et peut-être un peu craint, il serait porté par ses compatriotes à une place d'honneur à la Chambre, - où, homme cultivé et même très doué poète, il n'aurait pas fait plus mauvaise figure que tel ou tel. Cependant, il s'est trompé : les circonstances ne l'ont pas aidé ; peut-être découragé, il est devenu plus docile. Mais il a encore des poings redoutables et une voix rauque et enthousiaste !

Contrepartie et figure opposée : le petit nerveux, agité et regardant nerveusement, fixement, gesticulant fiévreusement, Frans Reinhard. Ce n'est pas l'expression d'une force naturelle, d'un geste instinctif, d'un rugissement sensuel : c'est une passion intellectuelle, une indignation contre l'injustice, une passion purement intellectuelle pour tout ce qui concerne, blesse ou peut promouvoir la Flandre. Cet homme est peut-être le meilleur de nos défenseurs flamands, car il est le plus consciemment obstiné, l'exagérateur par conviction, le fanatique calculé, qui ne reculerait devant rien de ce qui se dresse sur son chemin. Cet homme est vraiment admirable, bien que beaucoup pensent qu'il est étrange et anormal selon la logique courante. Mais il faut le répéter : celui-ci a suffisamment de conscience pour être de la race des vainqueurs. S'il ignore les erreurs de nombreuses actions du flamingantisme, c'est pour mieux faire ressortir tout ce qui en est bon et élevé ; s'il combat l'individualisme de la littérature flamande récente, c'est parce qu'il sait que cela détourne d'un idéal commun. On peut trouver ce moyen naïf : il est beau par l'esprit clair et pourtant ardent qui, dans son idéalisme calculé, ne veut rien d'autre que la grandeur de la Flandre, à laquelle on peut bien sacrifier quelques rimes.

Ce n'est pas pour ce qu'ils ont dit et proclamé au public hier que je vous ai présenté ces deux personnes. Bien au contraire ; le plus grand défaut de cette réunion a été que les orateurs se sont si peu souciés du caractère pratique et direct de leur sujet, et se sont contentés de s'égarer dans les détails et de se pavaner sur la grande place, sans parler des banalités de tout le flamingantisme. Le malheur ici était qu'aucun vrai politicien, aucun parlementaire n'avait été invité comme orateur. Louis Franck et Henderickx à Anvers, Anseele à Gand : c'étaient les gens que l'on écoutait, parce qu'on savait que leur attitude flamande devait être modifiée, tempérée, ajustée selon les exigences de la politique générale et de la législation pratique. Pas comme les théoriciens, qui montent un cheval de bataille apprivoisé, avec une petite cravache éprouvée et des éperons dont on connaît l'effet piquant, et qui, parcourant toujours le même chemin, oublient instinctivement les fossés et les haies.

Non, ce n'est pas pour ce qui a été dit que cette réunion dans la capitale était importante : c'est bien plus pour le fait qu'un public nombreux et bien informé a applaudi avec enthousiasme une décision très pratique.

Cette ordre du jour, adoptée à l'unanimité par l'assemblée, porte sur la question de savoir si Bruxelles doit oui ou non obéir à la loi pro-flamande. La question est délicate : la loi proposée touche surtout une jeunesse bourgeoise francisée, qui aurait du mal à se plier à un régime flamand direct, sans mesure transitoire. La réunion d'hier a donc proposé : 1. Les garçons qui ont reçu une éducation flamande antérieure, ou dont la langue de communication habituelle est le flamand, seront soumis à l'intégralité du régime de la loi de '83 ; 2. ceux dont l'éducation antérieure était en français recevront au moins six heures d'enseignement en néerlandais par semaine.

Cette mesure me semble excellente : c'est une solution modérée et équitable à une question difficile, et je crois qu'en l'adoptant, la Chambre garantirait un acte bon et loyal.

En ce qui concerne le mouvement, l'agitation provoquée par la loi Coremans dans le pays, en dehors du Parlement, cela ne s'arrêtera évidemment pas là : la fermentation est grande partout, surtout à Louvain. Lentement mais sûrement, la volonté populaire s'affirme. La Chambre doit en tenir compte, si elle veut être honnête.

Ce n'est pas pour ce qu'ils ont dit et proclamé au public hier que je vous ai présenté ces deux personnes. Bien au contraire ; le plus grand défaut de cette réunion a été que les orateurs se sont si peu souciés du caractère pratique et direct de leur sujet, et se sont contentés de s'égarer dans les détails et de se pavaner sur la grande place, sans parler des banalités de tout le flamingantisme. Le malheur ici était qu'aucun vrai politicien, aucun parlementaire n'avait été invité comme orateur. Louis Franck et Henderickx à Anvers, Anseele à Gand : c'étaient les gens que l'on écoutait, parce qu'on savait que leur attitude flamande devait être modifiée, tempérée, ajustée selon les exigences de la politique générale et de la législation pratique. Pas comme les théoriciens, qui montent un cheval de bataille apprivoisé, avec une petite cravache éprouvée et des éperons dont on connaît l'effet piquant, et qui, parcourant toujours le même chemin, oublient instinctivement les fossés et les haies.

Non, ce n'est pas pour ce qui a été dit que cette réunion dans la capitale était importante : c'est bien plus pour le fait qu'un public nombreux et bien informé a applaudi avec enthousiasme une décision très pratique.

Cet ordre du jour, adoptée à l'unanimité par l'assemblée, porte sur la question de savoir si Bruxelles doit oui ou non obéir à la loi pro-flamande. La question est délicate : la loi proposée touche surtout une jeunesse bourgeoise francisée, qui aurait du mal à se plier à un régime flamand direct, sans mesure transitoire. La réunion d'hier a donc proposé : 1. Les garçons qui ont reçu une éducation flamande antérieure, ou dont la langue de communication habituelle est le flamand, seront soumis à l'intégralité du régime de la loi de 1883 ; 2. ceux dont l'éducation antérieure était en français recevront au moins six heures d'enseignement en néerlandais par semaine.

Cette mesure me semble excellente : c'est une solution modérée et équitable à une question difficile, et je crois qu'en l'adoptant, la Chambre garantirait un acte bon et loyal.

En ce qui concerne le mouvement, l'agitation provoquée par la loi Coremans dans le pays, en dehors du Parlement, ne s'arrêtera évidemment pas là : la fermentation est grande partout, surtout à Louvain. Lentement mais sûrement, la volonté populaire s'affirme. La Chambre doit en tenir compte, si elle veut être honnête.


Le jeu sur la scène [débats parlementaires sur le projet de loi Coremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juin 1907)

Bruxelles, 20 juin 1907

La mèche est enfin allumée : depuis quelques semaines, il y a de l’agitation autour de la proposition de loi Coremans, agitation accompagnée de bruit, ce qui ne rend pas la situation moins plaisante. Pour ceux qui connaissent bien la situation flamande, il est toujours amusant de voir et d’entendre combien même les représentants du peuple flamand en savent peu ; et on en rirait volontiers de bon cœur - en inversant presque les mots de Figaro - si ce n’était que ce fait est profondément regrettable.

Car, bien que l’on soit tenté de se moquer de l'ignorance flagrante de la situation nationale de la plupart des députés belges, et pas seulement wallons, cela reste offensant pour notre peuple, déplorable pour notre présent et notre avenir, au point que la moquerie tourne rapidement en colère, ou au moins en ressentiment ou en irritation. Même ceux qui ont de bonnes intentions, qui prétendent servir la Flandre en reconnaissant ses droits, montrent parfois une incompréhension ahurissante ou sont si étonnamment faibles dans leur défense des revendications populaires, qu’on en vient à penser : « Si seulement cet homme se taisait ! », tant le résultat visé est maladroit.

Et si c’est ainsi pour ceux qui se disent amis du mouvement flamand, que dire de ses ennemis ! Il est stupéfiant de voir à quel délire argumentatif peut mener une haine wallonne, et à quelle colère absurde peut pousser le mépris d’un gentilhomme flamand de la campagne. Surtout quand un peu d’huile est versée sur ce feu depuis Paris, comme l’a fait récemment, avec toute son incompétence et une autosatisfaction frôlant l’irresponsabilité, Jules Claretie dans « Le Temps » ; dans cet article, il considère le néerlandais comme une sorte d’espéranto qui chercherait à remplacer le français en Belgique, et se demande « si nous sommes fatigués d’entendre notre capitale être appelée « petit Paris » et préférerions en faire un « petit Berlin » » : des arguments contre la loi Coremans que chacun reconnaîtra pour leur gravité profonde et leur validité incontestable, et qui, bien sûr, feront taire irrévocablement les Flamands ! Surtout lorsque les élucubrations de M. Claretie ne servent qu’à l’élévation et la recommandation d’un cercle de haineux anti-flamands endurcis - principalement des soi-disant « intellectuels » et grands industriels qui, avec un mépris extrême pour le peuple et ses droits, veulent faire triompher le français sur la langue nationale dans tous les grands centres flamands, avec une obstination féroce, par le biais de conférences, de brochures et de cours : à savoir l’Association flamande pour la vulgarisation de la langue française, qui, de par ses moyens de propagande de bas niveau et son rare talent pour l’injure, a bien mérité le nom que lui ont donné les Flamands raisonnables, celui d’« association vulgaire », et qui, à part ses propres membres - et, comme on dit chez nous, « les louanges de soi-même puent » - ne trouve plus de défenseurs qu’au-delà des frontières, - même en Hollande, hélas, où, trompés par les apparences et mal informés, feu le professeur Van Hamel pensait devoir prendre leur défense.

Cette Association compte maintenant aussi quelques membres à la Chambre : des messieurs vaniteux, qui résistent mal aux invitations flatteuses ; aucun d’entre eux, cependant, pour autant que je sache, n’a ouvert la bouche en séance publique, à part pour un murmure approbateur ou un « Très bien » sérieusement réfléchi. Gardent-ils leurs forces pour le coup final, ou est-ce la discipline de parti qui les retient ?

Je connais un seul d’entre eux qui s’est ouvertement avancé pour les droits des Flamands, lors de la réunion de Gand dont je vous ai fait le compte-rendu la semaine dernière : c’est Anseele, qui autrefois, étrangement, allait main dans la main avec l’évêque de Gand et le maire libéral de Gand pour cette petite besogne peu démocratique ; mais qui semble maintenant être parvenu à une meilleure compréhension des besoins populaires.

Je connais d’autres « vulgarisateurs » parmi les libéraux, qui ont jusqu’à présent gardé le silence ; mais je pense également savoir que dans un parti qui compte trois des meilleurs défenseurs de la proposition de loi, Louis Franck, De Vigne et Persoons, et dont un membre, l’échevin de Bruxelles, Buyl, a fait sienne la proposition concernant Bruxelles, issue de la réunion qui s’y est tenue - voir ma lettre du 14 courant - probablement après amendement pour la définition de Bruxelles, la majorité votera pour, bien qu’il y ait eu, entre autres, des objections répétées de Paul Hymans, qui a souvent montré une indépendance et une clairvoyance considérables lors de réunions de groupe.

Quoi qu’il en soit, les véritables opposants à la loi, ceux qui ne veulent même pas d’amendement modérateur, et qui s’opposent expressément à ce que le flamand défende sa vie et ses droits en Flandre, sont encore rares parmi les membres de la gauche. On en trouve la plupart à droite, et il est amusant de voir comment la « coalition inaltérable de toutes les forces » annoncée par le ministre de Trooz dans sa déclaration initiale, se révèle extrêmement fragile et plus qu’instable un mois plus tard.

Parmi ces opposants - permettez-moi de vous les présenter rétrospectivement - un noble flamand, député du Limbourg-Stirum, a particulièrement intéressé par son raisonnement et la déformation de sa logique. Le comte de Limbourg est presque un cas psychiatrique. Il entre dans une rage folle lorsqu’on lui prouve qu’il prend sa fantaisie pour la réalité.

Un autre opposant de droite : le remarquable M. Hoyois. Oh, je souhaiterais que vous puissiez rencontrer M. Hoyois, car il a une moustache imposante et une voix d’une profondeur étonnante. Il est belliqueux et combatif, et possède une qualité indispensable à un parlementaire : il est le clown - au sens shakespearien du terme - de son parti. C’est l’homme à qui l’on confie des rôles bouffons et qui les joue de manière tragiquement sérieuse. Ce député est, dans sa gravité affichée, une figure comique. Cette facette est bien sûr soulignée par les partis opposés ; et M. Hoyois est alors très surpris de ne pas être pris aussi sérieusement - aussi sérieusement, par exemple, que le rôle paternel de Woeste - et alors il se fâche et arbore une expression et une voix comme le Maure de Venise.

Au fond, c’est un homme sincère, un défenseur honnête de ses idéaux. Seulement, il n’est pas un parlementaire. C’est un de ces hommes qui, dans une ville de province, peuvent rendre d’immenses services à leur parti. Il a une éloquence grossière et une ténacité brutale. Mais au Parlement, il faut - et c’est peut-être regrettable - autre chose : de la ruse et de la flexibilité, de la vivacité et de la dialectique ; ce sont des qualités innées, qu’on n’apprend pas ; et M. Hoyois ne les possède tout simplement pas. Mais il aspire à les acquérir ; il sent bien ce qui lui manque, et aimerait dissimuler ce manque, et par là devient tout simplement ridicule. Ainsi, il a voulu se présenter comme un fin politicien dans l’affaire en cours. Pour mieux combattre le flamand, il a utilisé un moyen éprouvé : il l’a loué et honoré, a parlé de notre littérature, et de l’utilité pour les Wallons de connaître le néerlandais, pour en arriver ensuite, par une voie facile, aux clichés de tout fransquillonisme : les excès flamingants et autres. - Cette méthode était empruntée à d’excellents modèles ; mais il suffisait que Hoyois la suive pour, par sa grossièreté, montrer combien une telle phraséologie manquait de substance, et combien l’argumentation était pauvre. Et ainsi, M. Hoyois, indigné, s’exposa encore une fois au ridicule, qu’il y a à se forcer et à souffrir de la mégalomanie parlementaire, d’autant plus qu’il racontait brutalement des absurdités prouvant qu’il n’avait pas la moindre notion des situations et ne comprenait même pas le néerlandais qu’il avait tant loué.

Un troisième partisan apparent était M. Carton de Wiart. J'ai déjà eu l'honneur de vous le présenter comme un esprit astucieux bien que nullement génial, et comme une personnalité habile bien que manquant de puissance. M. Carton de Wiart, fut d'abord démocrate chrétien, mais devenu catholique, surtout depuis que son frère est devenu secrétaire particulier du Roi ; c’est un avocat qui a suffisamment confiance en lui-même pour penser qu'il est réellement un grand avocat ; et, en général, un homme que l'on peut, avec un mot typiquement bruxellois, qualifier de "suffisant", parce qu'il sait si bien que, comme politicien, avocat et même romancier, il mérite d'être qualifié de « brillant ». M. Carton de Wiart a pensé qu'il pouvait tirer une nouvelle force de preuve et formuler un nouvel argument « du mur chinois classique de la séparation flamande », de l'argument de l'âme belge et du talon d'Achille du bilinguisme bruxellois, pour empêcher, par amour de Dieu, cette conséquence terrible de la proposition de Coremans : l'ingérence légale dans l'enseignement libre catholique.

Ceux qui savent ce que la paradoxale âme belge d'Edmond Picard contient en fait de vérité, et qui, par des années de fréquentation, comprennent ce que signifie le bilinguisme bruxellois - un bilinguisme qui, dans les dernières générations de bourgeoisie et d'aristocratie, semble effectivement tendre vers une prédominance française, mais qui est en réalité si profondément flamand, si originellement brabançon et puissant, même dans les couches sociales supérieures, qu'il aspire à toute expression de vie à s'exprimer en flamand, à la civilisation néerlandaise comme la seule naturelle - ceux qui sont capables d'évaluer la valeur de tels arguments, sans aucun préjugé, auront bien compris ce que M. Carton de Wiart cherchait à faire : plaire au gouvernement actuel.

Le gouvernement actuel, en la personne de son oiseau en chef, de Trooz, présente en effet une proposition contre celle de M. Coremans ; cette proposition a été clarifiée par les amendements des messieurs Segers, Biart, De Winter et Van Reeth, tous de droite, qui concluent : quiconque aura terminé ses études secondaires en dehors d'une école officielle devra passer un examen spécial en néerlandais pour être nommé dans une institution privée, cet examen devant être passé en néerlandais ; à moins que son diplôme de sortie, délivré par une institution située dans la partie flamande du pays, ne témoigne que, outre le néerlandais, l'allemand et l'anglais, deux autres cours ont été enseignés en néerlandais.

Voilà les modifications auxquelles le gouvernement a adhéré. On en voit les conséquences : 1. les institutions libres échappent à la surveillance légale ; 2. elles obtiennent, en dehors de toute intervention légale, le droit de délivrer des certificats dont personne ne peut légalement vérifier ou confirmer le contenu. Et cela est proposé par des personnes qui prétendent être les amis sincères des Flamands, à commencer par le ministre de Trooz lui-même, qui brise ainsi le travail de ses propres amis politiques, lesquels, en 1884, je crois, ont supprimé le « graduat » scientifique, qui permettait à quiconque, sans garantie d'études antérieures, d'accéder à l'enseignement supérieur.

Non seulement les catholiques, mais aussi les libéraux critiquent, dans leurs organes, le projet de loi Coremans et cherchent des moyens de contourner la loi. Car il ne faut pas oublier que les institutions libérales, surtout dans la capitale, seront également affectées par la nouvelle loi. Cette recherche est pénible et conduit à des résultats étranges. Ceux obtenus par le raisonnement du « Petit Bleu » sont intéressants : le « Petit Bleu » affirme dans l'un de ses derniers numéros que la loi de 1883 est mauvaise, car dans les universités, tous les cours sont donnés en français, de sorte que l'enseignement en néerlandais de certaines matières au niveau secondaire est illogique et constitue une perte de temps. Cet argument repose sur une fausseté. Je ne sais pas comment cela se passe dans les universités libres de Bruxelles et de Louvain, ou à l'université d'État de Liège ; mais je sais par expérience qu'à celle de Gand, les matières principales des départements de philologie germanique et de sciences historiques sont enseignées en néerlandais, du moins en grande partie, et que les étudiants venant d'institutions libres de niveau secondaire sentent très bien comment la loi de 1883, sous laquelle l'enseignement dans les écoles officielles se déroulait, les retarde. C'est déjà un excellent argument pour la loi actuelle.

Mais là où le « Petit Bleu » devient vraiment intéressant, c'est quand il se rapproche des exigences flamandes extrêmes et considère la création d'une université flamande à Gand comme la conséquence logique du mouvement flamand. Le journal propose en effet - je traduis librement :

1. L'université de Gand sera dédoublée : dans toutes les facultés, il y aura une section flamande, où la langue d'enseignement sera le néerlandais, et une section française avec les mêmes conditions ; les étudiants seront libres de s'inscrire dans l'une ou l'autre section.

2. Les mêmes mesures pour les institutions d'enseignement secondaire d'État, avec enseignement obligatoire du français ou du néerlandais comme deuxième langue, selon que l'institution est située en Flandre ou en Wallonie.

3. Les institutions libres ont le droit, en dehors de toute intervention, d'adopter le régime flamand ou wallon.

4. Pour l'approbation des diplômes, il est exigé que le néerlandais ait été une matière obligatoire.

En regardant la loi Coremans, ce qui est principalement important est ce que j'ai mis sous tertio : cela répond pleinement aux souhaits des évêques, car cela défend des intérêts identiques. Mais ce qui est de grande importance pour les Flamands est contenu dans le primo, qui ne fait rien de moins que soutenir le principe de l'université flamande, presque sous la forme proposée par le professeur Paul Fredericq : le dédoublement des cours ; combattu par les Flamands, car il apporte également un doublement des coûts ; mais néanmoins considéré comme une reconnaissance du caractère légitime et logique des revendications flamandes en matière d'université, et également soutenu comme tel par le professeur Fredericq.

Et c'est là que toute logique, même en passant par des détours pro-français, doit mener. Maintenant, le « Petit Bleu » pense bien qu'un tel double système mènerait à la victoire des sections françaises, tant dans l'enseignement supérieur que dans l'enseignement secondaire, ce qui pourrait bien tourner autrement, selon notre conviction ; surtout cela apporterait un double personnel enseignant et un double jury, et donc aussi des coûts doubles et des difficultés doubles. Mais ce qui nous concerne est la reconnaissance inattendue d'un droit supérieur, où un autre droit moins significatif nous est refusé. Et cela méritait d'être noté.

Car une telle reconnaissance ne pèse-t-elle pas contre les déclarations ridicules de l'académicien Claretie, reprises et approuvées par le « Petit Bleu », dans lesquelles il est dit, ce qui est préoccupant pour les capacités intellectuelles du vieil administrateur du Théâtre Français : « En vérité, je regrette le temps où La Fille de Madame Angot ne risquait pas d'être jouée seulement en flamand », et « La France permet aux compatriotes de Coremans d'étudier au Conservatoire national (de Paris), fondé depuis plus de cent ans, sans se soucier de savoir s'ils sont Flamands ou Wallons, et les accepte à la seule condition qu'ils abandonnent un peu de leur accent pour interpréter nos poètes. »

Que les pro-français aient besoin de tels arguments étranges pour justifier leur aversion pour le projet de loi Coremans, nous le regrettons à leur place ; et nous les préférons lorsqu'ils viennent nous déclarer : « vous, les Flamands, avez droit à un enseignement entièrement flamand, dans les écoles secondaires comme dans les universités. »


Fin du prologue [débats parlementaires sur la proposition Coremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juin 1907)

Bruxelles, 21 juin 1907

Un jour plus tôt que prévu, hier, la discussion générale sur la proposition de loi Coremans a pris fin. Cette séance de clôture n'a pas apporté beaucoup de nouveautés, après le discours du catholique Henderickx, tout ce qui pouvait être dit de probant avait déjà été exprimé, et même Coremans n'a pas pu y ajouter grand-chose. Il n'était donc pas particulièrement remarquable hier : son argumentation n'a pas été très surprenante, bien que l’orateur ait montré qu'il était resté le débatteur piquant, incisif, voire agressif d'autrefois. Pourquoi se serait-il donné la peine d'ailleurs ? Après Franck, après De Vigne, après surtout J. Delbeke et Henderickx, seule une vieille argile pouvait encore être façonnée dans une nouvelle forme. Maintenant, M. Coremans était bien un habile sculpteur, comme auparavant et toujours : il avait sa propre vision et son propre empreinte digitale ; mais il avait à travailler une matière depuis longtemps connue. Ainsi, son discours était surtout significatif, non pas tant pour son contenu que pour la manière dont le sage homme aux cheveux gris, dont le visage ne trahit jamais s'il est sérieux ou plaisantin, a su le servir et le mettre en valeur.

Il en va de même pour Anseele, dont l'honnêteté sans détour, la grande liberté de pensée et de défense dans cette affaire, comme je vous l'ai écrit hier, méritent d'être louées. Son discours, qui a martelé avec des coups de marteau brutaux la nécessité de la proposition de Coremans dans les esprits, étincelait à nouveau de cet humour très particulier, vraiment gantois, certes grossier, mais presque grandiose à la manière de Rabelais, qui constitue le meilleur de son talent oratoire, aux côtés du frissonnant et tonitruant de son indignation. Cette fois, il s'agissait - je ne résiste pas à l'envie de vous communiquer ce petit exemple de l'esprit spécifiquement gantois - de l'examen que, sur proposition de M. Segers et autres, chaque élève d'un établissement libre pour l'enseignement moyen devrait passer pour obtenir un certificat flamand et qui serait délivré par un jury désigné par chaque établissement, sans intervention ni supervision de l'État. « De tels examens, nous les connaissons », a raillé Anseele.. « On bourre les garçons de flamand juste pour l'examen lui-même ; après l'examen, tout est vite oublié. Une telle connaissance ne devient jamais organique. Ainsi, j'ai appris à mon perroquet à chanter "O, van den Peereboom !" (une chansonnette gantoise moqueuse sur l'ancien ministre). Eh bien : votre examen est un examen de perroquet ! » En dehors de cela, la séance n'a pas apporté grand-chose de plus qu'un discours maladroit de M. Wauwermans : la énième répétition des objections au projet de loi, et Augusteyns et le fermier de Bruxelles ont expliqué pourquoi ils voteraient pour. Mais l'atmosphère de la Chambre n'était pas chaleureuse, malgré le mois de juin. On sentait bien que les chances de Coremans diminuaient ; même ses amis craignent une défaite ; une fragmentation, une réduction de la reconnaissance de la justesse de ses demandes est du moins redoutée lors du vote. Et c'est surtout Bruxelles en tant que ville flamande qui sera la pierre d'achoppement.

Et une telle chose est vraiment regrettable. Peu importe ce que peuvent dire les statistiques - et je vous ai récemment donné un exemple de la manière dont les chiffres prouvent que Bruxelles est une ville vraiment flamande - aussi vrai que cela puisse être, et comme chacun peut le constater chaque jour que tout ce qui est intime, profond, naturellement originel de la capitale est flamand - et j'espère pouvoir vous donner bientôt quelques exemples concrets : l'apparence est contre la réalité. Dans une ville opulente comme Bruxelles, on voit surtout la surface, le brillant, l'éclatant. Le caché, en l'occurrence le caractère véritablement populaire, le fondement sur lequel la ville construit son caractère, l'intérieur qui est l'axe de toute la vie urbaine, reste méconnu, voire ignoré. On ne voit pas le flamand de Bruxelles ; on ne le ressent pas dans la vie quotidienne ; donc - raisonnent ainsi les politiciens aveugles ou rusés - l'authenticité flamande de Bruxelles n'existe que comme un curiosum amusant. On ne pense pas que cette conception est non seulement fausse, qu'elle ignore l'essence du peuple et tue ainsi toute vie originale, toute activité primitive, toute énergie naturelle ; qu'elle détruit la résilience originale au profit d'une indolence qui favorise toutes les influences négatives ; on ne voit que cette conquête : la naissance d'une « âme belge », avec le français comme langue d'expression - et quel français !

Le projet de loi Coremans aurait pu contribuer à maintenir le caractère flamand de Bruxelles ; il aurait pu éveiller la conscience flamande chez les générations nouvelles, il aurait pu rapprocher les classes supérieures du peuple par une meilleure connaissance de la langue populaire, - ce qui reste toujours à souhaiter.

Aucun des partis n'en a voulu. Les catholiques sont particulièrement divisés sur ce point. Les socialistes voteront pour le projet de loi, avec des réserves concernant Bruxelles. Et les libéraux semblent vouloir s'unir pour soutenir un amendement qui vient confirmer l'idée selon laquelle Bruxelles n'est pas seulement une ville bilingue - ce qui peut être vrai - mais chacun a le droit de se prononcer pour ou contre un régime d'enseignement flamand - ce qui est un véritable désastre, si l'on considère l'indifférence de la population et l'esprit de vanité d'une ville mondiale qu’on appelle « le petit Paris ». Car c'est là que mène précisément l'amendement Buyl, qui stipule : chacun sera enseigné dans la langue qu'il utilise le plus. Et tous ceux qui vivent à Bruxelles savent bien comment chacun ici tient à montrer qu'il parle français.

Chaque concession flamande est une défaite. Vous avez pu constater dans ma lettre d'hier comment notre langue a été traitée jusqu'à présent en matière d'éducation. Nous devions nous enorgueillir de nous opposer à tout ce qui pouvait perpétuer un statu quo malheureux. Seules quelques personnes semblent en être conscientes à la Chambre. On préfère suivre les intérêts partisans.

Que le traitement ultérieur du projet de loi Coremans me guérisse de mon pessimisme !


Discussion approfondie de la proposition Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 25 juin 1907)

Bruxelles, 22 juin 1907

La discussion générale sur la proposition de Coremans a été fermée hier, et on a commencé à l'analyser article par article, amendement par amendement : une réflexion qui sera d'autant plus importante que les opposants devront montrer plus spécifiquement où va leur politique, jusqu'où va leur sincérité lorsqu'ils parlent de leur amour pour les Flamands, et dans quelle mesure leur position est déterminée et modifiée par l'intérêt général ou des avantages particuliers.

Hier, je vous ai écrit comment les partisans de la proposition perdaient peu à peu courage et confiance, surtout en ce qui concerne la reconnaissance de Bruxelles comme ville flamande. Car on doute moins que la proposition de Coremans ne l'emporte sur les deux autres propositions que qu'elle soit adoptée sans cette mutilation : Bruxelles, bilingue, sera gouvernée par des dispositions légales spéciales qui la sépareront du reste du pays, et elle perdra ainsi de plus en plus son caractère distinct, au profit d'un cosmopolitisme uniformisateur et affaiblissant. Cette crainte s'est avérée plus que jamais fondée lors des discussions d'hier,.

Car tout tournait principalement autour de la motion Buyl. Je vous en ai parlé plusieurs fois et je vous ai également dit qu'elle correspondait presque exactement à la proposition opportuniste de la réunion flamande qui a eu lieu récemment à Bruxelles, une proposition qui, plutôt que de voir le système Coremans entièrement rejeté, abandonnait Bruxelles moyennant certaines conditions légales. Je peux maintenant vous donner le texte de M. Buyl en traduction :

« Dans la ville de Bruxelles et dans les communes avoisinantes, la loi de 1883 sera applicable aux certificats délivrés aux personnes dont la langue maternelle ou la langue courante est le flamand.

« Les certificats délivrés à ces personnes, dont le français est la langue maternelle ou la langue courante, attesteront que les titulaires ont suivi avec succès un cours de flamand d'au moins six heures par semaine (auparavant, il était question de quatre heures). »

M. Buyl, député libéral d'une partie de la côte flamande, mais également échevin de la grande et prestigieuse banlieue d'Ixelles, l'une des parties les plus habitées et les plus aristocratiques de l'agglomération bruxelloise ; défenseur connu des droits des Flamands, mais aussi partisan dévoué, prêt à faire de légères concessions en faveur de camarades de parti qui pensent différemment ; défenseur de ses idéaux, mais tout autant partisan de l'unité politique, espérait, par son amendement, obtenir satisfaction auprès des libéraux et les amener à voter à l'unanimité en faveur de la proposition Coremans, ainsi mutilée.

Il n'a réussi que partiellement ; et ceux qui pensaient que l'ensemble de la gauche libérale adopterait son point de vue étaient hier terriblement déçus.

Il est incompréhensible, incroyable et profondément regrettable de constater à quel point certains opposants à la législation flamande s'opposent avec acharnement à une instruction ultérieure, sinon du néerlandais, du moins en néerlandais.

Ce qui les pousse à résister à cela, ce qui les pousse à empêcher que même les Wallons, voire les bilingues, aient la possibilité de s'approcher d'une civilisation plus large grâce à l'enseignement en néerlandais, serait incompréhensible pour quiconque ne sait pas combien l'esprit français, la culture française et les méthodes d'éducation françaises sont profondément enracinés ici. Toutes les générations qui ont atteint un niveau de développement intellectuel élevé il y a une vingtaine d'années sont tellement imprégnées de latin, par la voie française, sont si imprégnées de la manière de penser française, ont si bien formé leur goût et leur jugement selon le modèle français, qu'une crainte instinctive, un rejet organique de toute autre culture les ont définitivement détournées de tout ce qui n'est pas français. Certes, ils ne négligeront ni l'érudition allemande ni l'influence anglaise ; cependant, se livrer à des influences ou à des œuvres d'esprit allemandes ou anglaises est physiquement presque impossible pour eux ; - quelque chose que ni la propagande allemande mal comprise ni le flamingantisme mal compris n'ont réussi à améliorer. Et c'est ainsi qu'il est compréhensible, bien que, rationnellement parlant, pas du tout justifiable, que des personnes comme Hymans et Janson, qui reconnaissent volontiers les droits des Flamands, s'indignent lorsqu'on leur demande de mettre effectivement en œuvre ces droits. Et c'est ainsi qu'il est également explicable qu'ils n'acceptent pas même ce que Buyl avait proposé, et qu'ils divisent leur parti avec un autre amendement, qui ressemble à peu près à ce qui suit :

« Ceux qui n'ont pas satisfait aux exigences de la loi de 1883 devront passer un examen, composé des épreuves suivantes :

« 1°. Traduction orale en français d'un texte néerlandais ;

« 2°. Traduction, sans dictionnaire, d'un texte français en néerlandais ;

« 3°. Un interrogatoire oral en néerlandais sur l'une des matières suivantes : histoire, géographie, chimie, botanique et physique, telles qu'elles apparaissent au programme de rhétorique ou de la classe scientifique supérieure, au choix de l'interrogé. »

On voit la tendance : si l'amendement Buyl accordait déjà un privilège excessif à ceux qui voulaient se considérer comme francophones, il réservait toutefois pour la section flamande l'ensemble du programme scolaire officiel, qui prévoit l'enseignement en néerlandais de l'histoire et de la géographie, considérées ensemble comme une seule matière, et des sciences naturelles, c'est-à-dire la zoologie, la botanique, la physique et la chimie. Maintenant, Messieurs Hymans ne veulent même plus de cela, même pour les sections flamandes : il suffira que le candidat, selon la méthode du perroquet dont Anseele parlait avant-hier, apprenne une petite partie - celle du niveau le plus élevé - de seulement l'une de ces matières par cœur, pour avoir le droit, en cas de succès, au même diplôme que les élèves des écoles officielles du pays flamand, même ceux qui avaient auparavant suivi un cursus de développement français, ont dû conquérir à la sueur de leur front. Cela ne peut pas être considéré comme autre chose que comme un manque de logique...

Ou non, je me trompe : cela peut aller plus loin. Cela peut aller jusqu'à une négation totale de la justice ; cela peut aller jusqu'à la soustraction cynique de tout contrôle officiel d'un examen pourtant reconnu, mais un examen qui serait pris en charge par des jurys de colléges, en dehors de toute intervention de l'État.

C'est le système du monsieur Hoyois, apparemment adopté par la majorité de la droite.

Monsieur Hoyois n'a pas encore défendu sa proposition. Le jour où il le fera, on rira. Je vous promets d'en faire fidèlement rapport.


Le premier vote de la proposition Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 28 juin 1907)

Bruxelles, 26 juin 1907

J'ai assisté à une séance parlementaire des plus amusantes : amusante parce qu'elle a montré à quel point la confusion règne du côté droit, de plus en plus divisé, et l'a révélé dans des circonstances stupéfiantes ; amusante aussi pour la manifestation non dissimulée de regret et de mesquinerie, quand il s'agit des Wallons et des Belges francisés, conséquence logique de l'acceptation d'une loi existant depuis vingt-quatre ans. Car la séance d'hier a été plus qu'amusante : elle est révélatrice d'un état d'esprit, ou plutôt d'un état d'âme irraisonné, auquel même les députés les plus raisonnables ne sont pas parvenus à échapper. Et je n'ai pas été étonné que des collègues de la presse bruxelloise, francophones, généralement peu enclins à l'exagération flamande, et qui, souvent Wallons, dans leur franche sincérité, peu étouffée par le parlementarisme, ne cachent pas leur difficulté à digérer une proposition de loi comme celle de Coremans, je n'ai pas été étonné que même de tels opposants à la proposition en cours se soient étonnés d'un vote trop illogique, qui aurait dû découler d'une conviction mûrie, d'une sérieuse réflexion - et ce après trois semaines de débat... Mais revenons au sujet.

Il y a quelques jours, je vous écrivais comment les libéraux, à travers deux motions - celle de Buyl-Lepage et celle de Hymans-Janson - ont mutilé la proposition de loi, en arrachant Bruxelles de la législation générale et en créant pour l'avenir de la capitale une situation qui devait inquiéter les Flamands. Reconnaître Bruxelles comme une ville non flamande, ce n'était pas seulement ignorer la vérité statistique ; ce n'était pas seulement nier que le fondement de la population, que le fondement de la vie spirituelle de la population est originellement flamand : c'était empêcher que les générations futures le ressentent encore, le comprennent et le revendiquent. C'était non seulement creuser un fossé plus profond entre le peuple proprement dit et les classes supérieures : c'était creuser un nouveau fossé entre les couches plus anciennes et plus récentes de la bourgeoisie elle-même, qui n'avait commencé à se franciser que depuis une trentaine d'années. Et c'était plus encore : c'était un « déracinement », comme le dit Maurice Barrès ; c'était transplanter une terre ou un sol spirituel étranger ; c'était donc appauvrir, affaiblir toutes les forces originelles ; ce que l'on ressentirait certainement dans les fruits futurs. - Que le flamand Buyl se soit associé au franco-belge Lepage (échevin de l'enseignement de la capitale) pour une telle tâche peut s'expliquer par l'opportunisme politique, par le slogan du « mieux que rien ». Il avait d'ailleurs été précédé sur cette voie par le Grand Meeting populaire de Bruxelles, qui avait envoyé un ordre du jour en ce sens à la Chambre.

Un autre amendement, celui du catholique wallon Hoyois, allait encore plus loin. Non seulement Bruxelles, mais tout le pays flamand était soustrait au contrôle de l'État, et donc effectivement privé d'enseignement dans la langue maternelle, par une disposition qui disait : Nous admettons que dans les institutions libres du pays flamand, un enseignement en néerlandais est donné dans une certaine mesure ; mais savoir jusqu’où ira un tel enseignement, ne sera apprécié que par des personnes qui, en dehors de toute ingérence de l'État, appartiendront comme jurés à chaque institution individuelle. L'absurdité d'une telle mesure, pour ne pas utiliser de terme plus fort, saute aux yeux. Même du côté catholique, la réponse ne tarda pas à venir, et le brillant et courageux hebdomadaire « Hooger Leven » écrivit donc dans une lettre ouverte aux honorables députés :

« Un examen par un élève par ses propres enseignants est totalement inutile. Trois fois par an, l'élève participe à un concours ; de plus, à travers les interrogations de l'année, chaque enseignant connaît la valeur de chaque élève. À quoi servirait donc cet examen ? Volontairement ou non, l'enseignant ne serait pas juste, ou sa justice donnerait lieu à des résultats injustes. Supposez un élève qui répond malencontreusement mal ou bien. Que devrait faire l'examinateur, qui connaît les élèves ? Un tel enseignant veillera toujours à ce que l'examen soit adapté à l'enseignement qu'il dispense. S'il est maître des deux, quel garantie reste-t-il alors ? »

Un tel amendement, défendu avec une éloquence très particulière par M. Hoyois, ne pouvait que nous préparer à une séance parlementaire des plus divertissantes. Malheureusement, nous en avons été privés. M. Hoyois, qui devait aujourd'hui prononcer sa défense, non, celle de son amendement, a été remplacé par la verte Éminence, M. Woeste, qui était aussi ennuyeux qu'on ne peut l'être, et sous le creux de son pontificat, parmi les éclats d'interruptions, il pouvait à peine dissimuler son manque de conviction et son zèle pour servir - mal servir - les évêques.

C’est avec un discours de cette nature que la séance a été ouverte. C’est avec un discours de cette nature que la discussion sur la proposition de loi a également été close. Bien que le sujet ne fût pas épuisé, la Chambre a unanimement estimé qu'il était grand temps de mettre fin à ce traitement - et à cette maltraitance - de la question vitale pour le peuple flamand, et que le moment était venu de voter.

Et c’est maintenant que la plaisanterie a commencé ; c’est maintenant le moment où est née allait naître ; maintenant que la passion, trop longtemps contenue, allait éclater, que la raison être réduite au silence : maintenant que les passions de bas étage allaient commencer à parler. Oh, ce n'était pas que, objectivement parlant, cela cessait d'être amusant : c'était simplement une autre édition de ce qui avait été si souvent vu : la peur sous le fouet de la partialité politique, une noble façade masquant la crainte de paraître désagréable envers les bons camarades, un reniement cynique et presque jovial de ce que l'on avait soi-même défendu et proposé, un commandement supérieur préféré à sa propre conviction : la comédie parlementaire, qui finit par abandonner son masque fatigant pour se montrer dans toute sa nudité, même si elle en perd, hélas, son prestige...

Et cela commença avec le ministre Helleputte, qui accrocha à la boutonnière du ministre de Trooz la fleur de son adhésion, rejetant ainsi M. Coremans ; même s'il se hâtait de reconnaître, déclarait-il, que la proposition de ce dernier n'était en aucun cas anticonstitutionnelle.

C'est le lieutenant de Helleputte, Arthur Verhaegen, qui se rallia avec arrogance et colère à son collègue Hoyois.

C'est M. Henderickx, qui, au nom de M. Coremans, fit une malheureuse concession aux messieurs Buyl-Lepage, par un amendement similaire.

Et enfin : le vote.

Bien sûr, d'abord un peu de confusion. Sur quoi votera-t-on en premier ? - On se bouscule. Chacun veut être le premier à avoir sa part du gâteau royal : qui recevra la fève en premier ?

On vote sur la première partie de la proposition de Buyl, concernant les provinces où le régime flamand est maintenu. Elle est rejetée.

« Donc, l'amendement entier est caduc, » déclare le président Schollaert comme une sphinx oraculaire...

Une surprise générale, qui se transforme rapidement en jubilation du côté droit : les évêques sont sauvés, puisque le principe de la loi est ainsi déclaré caduc.

Mais pas du tout du côté gauche : on sent trop bien où se trouve l'arnaque et... on ne veut pas passer pour des dupes. Et M. Lorand fait une grimace furieuse, comme aux plus beaux jours ; et la tête chauve de Buyl lance des éclairs, tellement elle bouge vite.

Cependant, l'ange de la raison, Janson, veillait : il réussit à provoquer un nouveau vote, d'abord, logiquement, sur le principe même de la proposition de loi, en ce qu'elle détermine la date d'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Le vote est favorable à Coremans : la gauche vote pour, contre la majorité de droite. Des flamands connus, comme Van der Linden, s'abstiennent ; d'autres, comme le ministre Helleputte, votent contre : demain, la plupart des journaux flamands les appelleront "traîtres"...

La droite est furieuse, elle veut se venger. Et lors du deuxième vote, cette fois-ci sur le maintien des sections wallonnes en Flandre, elle vote mesquinement contre, alors qu'elle prouvait quelques minutes plus tôt, en approuvant le principe « flamand en Flandre ». Elle a rejeté l'usage imposé du néerlandais dans l'enseignement, maintenant elle rejette l'usage éventuel du français. Dans quelle langue sera-t-on alors enseigné ? Ô sainte logique !

Et pour l'amendement Buyl, concernant la capitale : le même phénomène !... Et pourtant, il n'a pas fait aussi chaud aujourd'hui, que cela aurait pu affecter le fonctionnement des cerveaux !...

Ou était-ce encore une de ces ruses pour entraver et bloquer le vote final de demain en faveur de toute la proposition de loi ? Voulait-on exaspérer les Wallons qui sont favorables aux Flamands, et ainsi provoquer un vote négatif ? Voulait-on pousser l'obstructionnisme jusqu'à l'exaspération ? Existent-ils encore seulement de tels moyens pour déposséder les Flamands de leurs droits, reconnus par des Wallons bienveillants et sincères ? Nous le verrons demain.

Mais que les agitateurs fassent bien attention ! Car, si le peuple flamand se lève, ils pourraient bien être ceux qui paieront les pots cassés !


En résultat [la proposition Coremans]

(Paru le 30 juin 1907)

Bruxelles, 28 juin 1907

« Il est scandaleux de délibérer comme nous le faisons ! »

Ces mots, prononcés hier par le Wallon Destrée, pourraient bien servir d'épigraphe à une discussion telle que nous l'avons vue, caractérisée par des basses préoccupations, une rancœur ouverte, voire une haine débridée comme nous n'en avons jamais rencontré. Manigances et machinations, confusion orchestrée, contradictions artificielles : aucun stratagème de la petite politique, aucune ruse des querelles de village, aucun piège des partis qui s'épient mutuellement n'ont été épargnés dans un Parlement qui semblait prendre plaisir à abandonner toute dignité et à renoncer à tout respect.

Et cela pour une proposition de loi qui, applicable aux écoles officielles, avait été adoptée il y a 24 ans à une majorité quasi unanime, à quelques voix près. Mais à l'époque, voyez-vous, cela ne concernait que les établissements officiels, où étaient surtout envoyés les enfants des classes moins favorisées et de la petite bourgeoisie. Ni les collèges catholiques, ni les « instituts » libéraux n'étaient menacés. Et comme, depuis lors, il était de bon ton d'envoyer les jeunes dans de tels collèges ou instituts pour échapper à la loi Coremans, une Chambre unanime a jugé logique et patriotique d'enseigner aux jeunes, au moins en partie, par le biais de la langue maternelle.

Le député Coremans était-il trop bien informé, trop clairvoyant, trop sûr d'une défaite, pour attendre des années avant de compléter la loi de 1883 sur l'enseignement moyen officiel par une autre loi identique sur l'enseignement non officiel ? En tout cas, il a tardé à le faire ; et quand il a finalement décidé de le faire, son projet de loi est resté pendant plusieurs années dans les cartons de la Chambre ; jusqu'à ce qu'enfin, pour une Chambre ennuyée et tendue, à la fin d'une session chargée et difficile, on procède à son examen, et...

Dans mes lettres précédentes, j'ai tenté de vous esquisser, d'une part, la signification de la proposition de loi, d'autre part, la manière dont cette signification a été reconnue ou niée. Cette signification est double : en principe, il s'agit de l'achèvement progressif d'une législation qui, sans porter atteinte à l'unité belge, vise à une égalité de fait entre Wallons et Flamands et à la reconnaissance de leurs devoirs et droits respectifs : dans son application, il s'agit d'imposer les mêmes obligations à ceux qui bénéficient des mêmes avantages.

La manière dont cette signification a été interprétée à la Chambre est quelque peu fantastique.

Je vous ai écrit sur les efforts déployés par les représentants des classes sociales supérieures, qu'ils soient de droite ou de gauche, pour empêcher une éventuelle prédominance de la langue populaire au profit du français. Avaient-ils peur qu'une connaissance plus approfondie de la langue maternelle n'entraîne des exigences sociales plus profondes, qu'elle ne suscite une prise de conscience accrue dans leurs propres cercles, qu'elle ne provoque des divisions dans leurs rangs, unis jusqu'alors par d'autres intérêts que ceux de la race et de l'origine ? Était-ce une haine irraisonnée envers ce qui est socialement inférieur ; une peur inconsciente, presque, de souillure, qui les empêchait de reconnaître la langue du peuple comme bonne pour leur propre langue ? La Belgique, pays, plus que tout autre, de la bourgeoisie toute-puissante, tant que le spectre rouge n'avait pas brandi le drapeau de la révolte, avait en outre, dans son méfiance envers tout ce qui était volonté populaire, assimilé activement tout ce qui était volonté populaire au socialisme actif. Et si le mouvement flamand rassemble maintenant plus d'éléments bourgeois que d'ouvriers, tout comme le jeune catholicisme et le radicalisme libéral, qui sont aussi des mouvements bourgeois, il se heurte tout autant que ces derniers au mur de refus de la bourgeoisie industrielle et financière, sans parler de la noblesse, qui refuse de sortir de sa dogmatique égocentrique et étroite.

Cette attitude dogmatique, qui exclut la connaissance et la pratique de la langue néerlandaise parce qu’inutile, et qui donne une interprétation très particulière et égoïste de la liberté d'enseignement - il est avec le code des accommodements -, était la motivation inconsciente qui a conduit tous les partis bourgeois de la Chambre au spectacle ridicule que nous avons vu. Il faut le dire : seuls les socialistes et une partie des jeunes catholiques ont su se comporter de manière logique et cohérente. Tous les autres, à de très rares exceptions près, ont obéi, soit à des impulsions inattendues de classe, de rang et de race, soit - et c'est bien pire - à des considérations et des calculs d'intérêt personnel ou de partisanerie ; ils ont sacrifié les intérêts nationaux à leur propre profit ; ils se sont montrés comme des députés peu dignes.

La séance d'hier, comme je vous l'avais laissé entendre, n'a pas été beaucoup moins folle que celle d'avant-hier. Les mêmes querelles, les mêmes tergiversations et les mêmes manœuvres sournoises ; la même colère pour la même ruse. Devrais-je vous les décrire ? Mais je tomberais toujours dans les mêmes répétitions.


Feu d'artifice trempé par la pluie

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 juillet 1907)

(Paru le 13 juillet 1907)

Il est remarquable, à une époque où la lutte pour la vie a fait du courage et de la persévérance des vertus cardinales, de constater qu'une des maladies nerveuses les plus répandues est la peur sous toutes ses formes. La phobie à mille têtes est l'une des manifestations les plus recherchées et les plus aimées d'un tempérament raffiné. Celui qui n'a pas sa phobie est moins qu'ordinaire : il est simplement vulgaire. Et, puisque c'est nécessaire, puisque les conditions de vie l'exigent, personne n'échappe à la tension, à l'absence d'équilibre. Ainsi, lorsqu'on ne remarque aucune autre maladie nerveuse, il est encore des plus simples de prétendre à une phobie : phobie de l'éclair ou de la faim, de la pluie ou de la soif. Celui qui craint de trouver une fin malheureuse sous les roues d'une automobile souffre d'agoraphobie ; celui qui ne trouve pas nécessaire de se baigner deux fois par jour est un hydrophobe ; et celui qui juge inutile de se laisser griffer par le chat de sa tante est, avec ce mépris, devenu digne de l'appellation d'ailurophobe. Que dire ? On dira que c'est toujours une bonne chose d'apprendre un peu de grec pour échapper à la phobie de la maladie....

La Chambre belge a aussi sa phobie, mais il n'a pas encore été trouvé de nom grec pour celle-ci, bien que nous possédions parmi nos représentants du peuple quelques hellénistes éminents. Pourtant, ce mal n'est pas nouveau ; il est même endémique et chronique ; il réapparaît chaque année, au moment des moissons, et alors c'est une éternuement et une quinte de toux considérables ; l'injection de nouveau sang populaire sain a peu aidé ; le spectre rouge - un remède homéopathique - a aggravé le phénomène ; et jusqu'à présent, nos patients du Parlement n'ont trouvé qu'un seul palliatif, une seule pommade adoucissante : appeler la maladie "ad calendas graecas" (aux calendes grecques)...

En réalité, elle ne disparaît pas ; mais le patient parvient facilement à l'autosuggestion qu'il en est libéré pour un temps ; et alors il se remet à agir comme une personne normale : il raisonne presque logiquement, ses paroles ne sont pas du tout insensées, et il échappe presque entièrement à l'apparition épileptique d'une danse de Saint-Guy particulière, qui semble indépendante des accès de la maladie.

Comment nommer cette maladie de la chambre, comment la décrire ? Elle réapparaît chaque fois qu'il s'agit de réparer des "griefs flamands", de reconnaître la légitimité des revendications flamandes, de ratifier par la loi l'égalité du néerlandais avec le français. Et alors, c'est une agitation et des convulsions, une confusion des sens et une désobéissance des membres, une perte incompréhensible de toute volonté, physique comme morale. Certains malades sont comme possédés ; d'autres pensent qu'en faisant de légères concessions, ils apaiseront la maladie ; ils s'inoculent avec son agent pathogène le plus virulent et pensent alors être protégés ; ils se bercent d'illusions : « ce ne sera pas si grave » ; - mais cela ne sert à rien : la maladie est contagieuse au point que même les journalistes de la tribune de presse sont infectés. Car le bacille de cette maladie, à peine remarqué ailleurs, fait rage dans la Chambre, est même visible à l'œil nu, comme un choléra. Innocent dans le monde extérieur, il est dans la Chambre agressif et mordant comme une mauvaise fourmi. Et ce bacille de la phobie flamande - comment traduire cela en grec ? - s'appelle Edward Coremans.

Depuis plus de six semaines, il travaille à nouveau notre deuxième Chambre, et j'ai rempli des colonnes pour vous décrire les ravages qu'il a commis ou inspirés. Cette fois, ce sont encore trois jours de fureur paroxystique : on nous avait promis que ce serait le dernier ; et en effet : le dernier, - mais, hélas, avec un résultat différent de celui que nous avions espéré...

Car encore une fois, la Chambre effrayée, à l'unanimité, a utilisé le remède éprouvé : « Ce n'est pas si urgent, n'est-ce pas ? Et nous et le pays pouvons bien encore attendre un peu ? ... Certainement, vos revendications légitimes flamandes existent ! Certainement, l'enseignement secondaire libre doit être soumis aux mêmes dispositions légales que l'enseignement officiel ! Et vous avez raison, virus flamand, de nous tourmenter encore un peu ! Mais si vous preniez des vacances ? Vous êtes vieux, virus Coremans, et une trop grande utilisation pourrait affaiblir votre pouvoir corrosif. Si vous vous reposiez un peu ?... Oh, comme nous vous accueillerons à bras ouverts lors de votre prochaine visite !... »

Et voilà comment cela s'est passé cet après-midi, à 14 heures 42 précises, dans la Chambre belge des représentants : devant un hémicycle où l'on entendait battre environ 140 cœurs patriotiques dans un silence solennel, le président Schollaert, avec des tremblements émotionnels dans la voix, a proposé, puisque tout le monde était d'accord que le projet de loi Coremans ne visait que le bien du pays, de le renvoyer à nouveau, avec tous les amendements, à une commission de neuf membres ; deux libéraux, deux socialistes et cinq catholiques. Et à l'exception des socialistes et des jeunes catholiques, toute la Chambre, y compris le ministère, à l'exception de M. Helleputte, s'est réjouie de ce soulagement si bienvenu et a applaudi comme des enfants à un spectacle de marionnettes, lorsque Pulcinella reçoit des coups de la maréchaussée...

Vous ai-je dit que M. Coremans a une tête de Pulcinella ? Ses ennemis le prétendent du moins...

Et voilà comment le peuple flamand a été trompé une fois de plus. Tous les moyens s'étaient révélés impuissants. Encore avant-hier, un flamingant authentique, M. Vanderlinden, pâle et maigre - un nouveau « traître » sur la liste flamande - avait repris à son compte la motion Hoyois, avec cette seule modification : le jury, qui devait passer les examens dans les institutions libres d'enseignement secondaire, compterait parmi ses membres un représentant du gouvernement. Mais M. Vandervelde, entre autres, avait combattu si vigoureusement cet amendement que la droite pouvait à nouveau s'attendre à une défaite. Il y avait plus : un amendement Destrée, qui soutenait le principe de la loi votée en première lecture, mais en retirait l'application à la Wallonie et, avec des dispositions spéciales, à la capitale, avait de grandes chances d'être adopté... On était désespéré. Et vous auriez dû voir aujourd'hui, avant le début de la séance, l'excitation du vieux Neujean et le zèle du chauve Buyl pour empêcher que la proposition Vanderlinden puisse obtenir un soutien.

Mais le président Schollaert avait trouvé la tangente ; Schollaert était encore le sage Cunctator. Et ils ont renvoyé à une nouvelle commission....

Cependant, nous avons ceci : la loi de 1883 sera également appliquée dans les institutions libres de Flandre ; cela ressort des « Annales parlementaires », si ce n'était pas évident des séances tumultueuses du Parlement. Mais que se passera-t-il à Bruxelles - presque le huitième de la population belge ! - ? Et avec les sections françaises en Flandre ? Et avec notre langue en Wallonie ?

La solution reste à trouver : une attitude orthodoxe, calme et virile de la Chambre l'aurait depuis longtemps apportée.

Mais être orthodoxe, et calme, et viril : comment y parvenir quand on souffre de phobie flamande ? ... Pauvre Parlement !

Et ainsi, encore une fois, le beau feu d'artifice a été trempé par la pluie...


Semaine de la kermesse

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 juillet 1907)

Bruxelles, 21 juillet 1907

Le dernier jour. - Dieu merci !

Je ne suis pas un pessimiste, ni un grognon. Je tire volontiers de chaque instant ce qu'il peut m'offrir de plaisirs. Mais lorsque ce plaisir est quasi nul, avec beaucoup de dorures en guise de décor, - quelque chose comme la description d'un canon : un vide entouré de beaucoup de bronze - alors je ressens le même sentiment que la souris placée sous la cloche d'une pompe à air : à chaque aspiration du levier, elle sent son atmosphère devenir de plus en plus rare ; et si cela peut initialement procurer une sensation agréable, cela doit nécessairement déboucher sur des impressions moins plaisantes...

Cette année, la kermesse bruxelloise a suivi le même chemin que la Chambre belge : much aso about nothing. Car c'est ce qu'il en a été dans notre Chambre belge ; maintenant qu’on touche au but - on tient séance du matin au soir pour expédier rapidement les budgets - et que c'est l'heure du bilan, il faut le constater : beaucoup d'agitation, beaucoup de disputes, beaucoup de tapage, - et aucun résultat. La question du Congo renvoyée à la célèbre commission des XVII ; la loi sur les mines débouchant sur une crise ministérielle ; la loi-Coremans également envoyée en commission, c'est-à-dire condamnée à une mort lente : voilà ce que nous avons vécu cette année bénie de 1907 avec notre système parlementaire ; la plus belle preuve, signée de sa propre main, que notre Chambre des représentants, dès qu'il s'agit de discuter des questions plus profondes d'importance nationale ou sociale, reconnaît son incompétence et préfère déléguer la responsabilité et ... les soucis funéraires aux commissions. Où est le temps où être représentant du peuple signifiait autre chose, et avait une signification plus élevée, que de toucher quatre mille francs par an sur le dos des contribuables !...

Je ne veux nullement comparer les organisateurs de nos « fêtes nationales » avec nos représentants du peuple. La différence est trop grande. En principe, les deux sont même opposés. Car ce que je reproche à nos députés, c'est de négliger une tradition excellente, à savoir celle qui profitait au pays, et c'est ce qui conduit nos organisateurs de kermesses à un travail de moindre qualité : ils s'attachent trop à la tradition. Et c'est justement cette attache au vieux programme des fêtes qui a rendu leurs célébrations ennuyeuses et insipides. Ô belles années des cortèges lumineux et des processions de pierres précieuses ! Vous avez été des points lumineux, des oasis dans le désert de la monotonie. Car c'est cela : à la kermesse bruxelloise, la tradition est devenue une routine ; tandis que dans notre Chambre belge, elle a cessé d'être un élément vital, un stimulant puissant...

Je dois dire que, cette année encore, j'ai ressenti cette joie intérieure lorsque la kermesse allait commencer. C'était il y a une semaine samedi. Je me promenais sur la Grand-Place, où, en soirée, l'un des premiers soleils d'été, dans un plaisir languissant, étirait ses derniers éclats d'orange sur les magnifiques façades de pierre gris-jaune et les dorures brunies des maisons des guildes et des hôtels de ville. Il y avait l'ardeur tranquille de chaque soirée de fête. Un sentiment de bonheur planait sur les maisons ; il y avait comme une attente de joie profonde. Un à un, les drapeaux commençaient à pendre aux fenêtres, les beaux étendards, orange et bleu et vert, que le talentueux Herman Teirlinck, poète et peintre décorateur, avait conçus sur commande de l'État. Et dans la lumière du soleil couchant, c'était beau à voir, ces couleurs finement choisies, teintées, qui se mettaient à flotter doucement au-dessus de la place. La vieille, magnifique place semblait se réchauffer dans le souvenir de très anciennes, très somptueuses fêtes. Et il y avait une douce magie aussi chez ceux qui voyaient cela, comme l'attente d'une population entière prête à célébrer un bel événement : ces tenanciers de tavernes zélés qui, comme un devoir solennel, soupiraient et peinaient à déployer leurs drapeaux, tandis que, sur un kiosque, quelques musiciens essayaient furtivement leurs instruments de cuivre, pour un concert d'ouverture chaleureux et toujours digne...

Mais les jours suivants : des défilés bruyants de toutes sortes de personnes ridiculement vaniteuses ; des jeux aquatiques sans joie ni sympathie de la part des spectateurs ; des réceptions à l'hôtel de ville par un bourgmestre qui connaît la fatigue du sourire conventionnel ; et puis, la foire désespérément nostalgique.

Je me suis donné la peine de me promener là-bas. J'ai vu les vainqueurs de Henley s'exprimer avec des mots dignes et des révérences. J'ai entendu trois mots d'un discours à l'hôtel de ville. Et pendant ce temps, même les citoyens les plus naïfs étaient allés au bois de la Cambre, où ils mangeaient du jambon et buvaient de la bière bock, et trouvaient cela divin, heureux d'avoir échappé à ce qu'ils considéraient depuis leur plus jeune âge comme quelque chose de sempiternel, quelque chose d'intouchable, qu'ils désignaient par : « c'est toujours la même chose"....

Car c'est cela qui a rendu toute cette foire aussi artificielle, aussi irritante : elle est restée inchangée, tandis que les sentiments, les opinions, les concepts de la population ne cessent de changer. La kermesse bruxelloise n'est plus de son temps. Comment la rendre à nouveau actuelle ? Le conseil communnal de Bruxelles ne m'a pas consulté ; et s'il le faisait, je serais peut-être terriblement embarrassé. Mais je constate simplement : il n'y a plus d'équilibre, plus d'harmonie entre la fête et le public de la fête.

Je le sais bien : il y a toujours l'ouvrier avec sa famille et le ketje, ainsi que le voleur à la tire et la bonne de la rue Haute marollienne. Il y a toujours les fêtards officiels, et, pour certains divertissements spéciaux, un public spécial. Mais ce qui manque, c'est : la communion. Une partie de l'amour pour la ville dans son expression la plus haute, dans son ambiance festive, se perd même chez les petits bourgeois. On a le sentiment qu'il y a quelque chose qui cloche, que la joie des vrais fêtards ne va pas sans une arrière-pensée ; on sait qu'il y a une incompatibilité entre les mœurs évolutives et le spectacle de fête proposé.

Et cela se voit surtout à la foire. Les forains sont bien plus pratiques que nos organisateurs officiels de kermesses. Plus de carrousel naïf, où un vieux cheval réglait son allure traînante de son pas boiteux : force motrice électrique maintenant, et la « sensation rare » d'être secoué et retourné dans quatre directions à la fois ; plus de tête de Jut pour tester votre force physique : un appareil électrique encore qui mesure votre résistance à je ne sais combien de volts ; plus de diseuse de bonne aventure : des installations spirites sous la garantie de la science ; et des cinématographes au lieu des boîtes à raretés... Car nous vivons à une époque de savoir et de soif de connaissance, une époque qui craint la tromperie et contrôle ses expériences... Je n'ai trouvé qu'un seul vieux manège à chevaux Boulevard Jamar, à la foire de Bruxelles ; il était éclairé par des lampes fumantes et malodorantes, et un petit orgue douloureusement laborieux accompagnait la rotation grinçante et crissante des chevaux indifférents et stupides. Le propriétaire devait être un homme insensé, pensais-je. Non : c'était un malin. Car je n'étais pas resté cinq minutes à regarder, que je vis l'élite de la littérature flamande arriver, monter le manège et payer cher pour avoir la joie de profiter de ce divertissement préhistorique...

Mais n'est-ce pas déjà la plus belle preuve que de tels divertissements désuets ne correspondent plus à nos conditions de vie actuelles, puisque les littéraires, êtres d'exception, paient cher pour pouvoir éprouver le fonctionnement d'une telle curiosité ?

Et maintenant, les festivités ordinaires de la capitale lors de la kermesse ne sont guère plus que... de vieux manèges à chevaux. Et si elles n'ont plus de succès auprès de la population, le conseil communal ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Partout, il a fondé des universités populaires, organisé des cours dans tous les domaines, rendu possible une éducation supérieure, même pour le commun des mortels. Comment peut-il alors encore espérer attirer cette population avec des fêtes nautiques et des montées à la perche ? Elles conviennent parfaitement à des gens qui sont assez élevés spirituellement pour redevenir spirituellement simples. Mais cela ne peut être attendu des « parvenus intellectuels » qu'il a élevés jusque dans les couches les plus basses de la population. Et c'est pourquoi il est souhaitable que les festivités des prochaines années atteignent un niveau plus élevé...

Seuls les artistes protesteront peut-être encore, et les pickpockets, et les servantes, et leurs chevaliers servants.

Mais de telles personnes comptent-elles vraiment ?...


La Fondation de la Couronne Congolaise, société anonyme

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 septembre 1907)

Bruxelles, 7 septembre 1907)

Le « Bulletin officiel de l'État du Congo » apporte à l’instant aux Belges bienveillants concernant leur future colonie une... rafraîchissante surprise.

Vous vous rappelez que prochainement – en octobre – une session parlementaire extraordinaire doit décider de la prise en charge par la Belgique de l'État Indépendant du Congo. Le ministre de Trooz, lorsqu'il agissait en tant que premier ministre, avait promis une solution satisfaisante ; toute hésitation devait se transformer en conviction grâce à des arrangements conciliants ; le Congo devait devenir nôtre, sinon un Eldorado immédiat, du moins une possession très agréable et prometteuse, qui nous libérerait de tout souci. Nous pouvions, dans la mesure où cela est possible, dormir sur nos deux oreilles : de nouvelles charges certes, mais quelle compensation ! Tout fonctionnerait comme sur des roulettes bien huilées. Nous obtenions un territoire à exploiter... à voler !...

Même ceux qui voyaient une objection dans le Domaine de la Couronne seraient rassurés. La région que le roi Léopold s'était réservée comme propriété personnelle, en dehors de toute ingérence de l'État, lors de la cession du Congo – pas moins d'un sixième de l'ensemble du territoire, onze fois plus grand que la Belgique et situé dans la région la plus riche – n'échapperait pas complètement à leur contrôle. Cela ne serait ni une entrave, ni un concurrent parasite pour la colonie. Et nous verrions comment, grâce à ce que cela rapporterait, les arts et l'industrie prospéreraient dans la mère patrie ! Car tel était l'accord conclu depuis toujours : les revenus de la Fondation de la Couronne reviendraient entièrement à la Belgique, à condition, bien sûr, que Léopold II en soit laissé le maître absolu.

On attendait donc le mois d’octobre ; et, puisque la prise en charge était de toute façon inévitable, puisqu'on faisait face à un ultimatum inévitable, même les socialistes parlementaires cédaient en partie. Bien sûr, il y eut des querelles au sein du parti ; mais le camarade Vandervelde a tenu bon : nous ne pouvons faire autrement, bien sûr à condition d’avoir toutes les garanties nécessaires, que de reprendre le Congo. Et cela alla même si loin qu’il menaça de démissionner de son poste de député si le parti ne lui laissait pas la liberté d’action dans ce qu’il jugeait inévitable.

Ces garanties nécessaires devaient naturellement être fournies par le Domaine de la Couronne. Et que voyons-nous aujourd’hui ?

Le dernier bulletin officiel de l'État Indépendant du Congo nous apporte un décret, signé le 20 juillet dernier, autorisant le secrétaire d'État à conclure un accord avec la Fondation de la Couronne et quelques fidèles acolytes du Roi-Souverain, concernant la création d'une société, sous le nom de « Société pour le développement des territoires du lac Léopold II ». L'État Indépendant du Congo accorde à cette société certains droits ; entre autres : elle peut organiser des loteries...

On voit où cela mène : le Domaine de la Couronne, que je considère comme propriété personnelle, qui ne serait pas héréditaire pour la famille du propriétaire, devient une société qui ne peut être dissoute par l'État repreneur tant qu'elle obéit aux lois de la juridiction qui l'a fondée, et ces lois sont conformes à celles du repreneur – ce qui est le cas entre la Belgique et l'État du Congo.

La conséquence : le Domaine de la Couronne, sous une nouvelle forme et conservé en dehors de toute discussion, malgré le Parlement belge, échappant au contrôle de ce Parlement, qui ne conserve comme seul droit que l’approbation d’un bilan annuel.

Léopold II a mis ses moutons au sec !


Le Domaine de la Couronne - Société Anonyme et la Presse

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 septembre 1907)

Bruxelles, 10 septembre 1907

À la fin et durant les plus beaux jours des vacances ; au moment où toute l'attention disponible est tournée vers les tristes événements à Anvers : pouvait-on mieux choisir le moment ? La garde rapprochée du roi, qui avec une grossière ruse a de nouveau sauvé l’autocratisme belgo-congolais par le domaine de la Couronne, sujet de discorde pour la reprise, en le transformant en une Société Anonyme inattaquable, avait toutes les chances de réussir : la Chambre en repos, la politique en sommeil, tout l'intérêt pour une agitation douloureuse...

Il ne faut donc pas dire que le pays se soit profondément senti affecté par le dernier acte de la politique royale : septembre offrait, après des semaines affreuses, des jours trop merveilleux pour qu'un orage politique puisse troubler ce bain d'air béni. Même à Anvers, lisait-on, le soleil remplissait tous les esprits - bien que ce ne soit pas pour longtemps. Par ailleurs, depuis 1901, année au cours de laquelle la proposition de reprise faite par Beernaert avait suscité une certaine agitation, la Belgique et sa population sont fatiguées de la question du Congo. Il y eut un léger réveil de l'opinion publique lorsque la proposition fut à nouveau discutée à la fin de l'année dernière : ce n'était cependant rien de plus que le geste du dormeur se retournant de l'autre côté. Le peuple continua de dormir ; la lutte faisait rage uniquement au Parlement et dans la presse, qui s'est révélée en partie aveuglément acquise aux idéaux royaux. Cela n’en rendait pas la lutte moins intense : les hommes politiques de tous bords comprenaient l'ampleur de leur responsabilité. Si en 1901 la reprise avait été retardée de cinq ans, en 1906 ils voyaient ce qu’ils avaient perdu avec ce délai : de nouvelles concessions offertes, de nouveaux engagements pris, une méthode d'exploitation qui, tout en appauvrissant la future colonie, n'attirait nullement l'admiration du monde civilisé ; de grands projets, engloutissant des millions belges, restés inachevés ; de nouvelles dettes contractées, qui retomberaient sur le cou des Belges : non, l'État Indépendant du Congo n'était pas devenu plus riche, ni plus désirable en ces cinq années. Raison de plus pour les politiciens clairvoyants de veiller à ce que la meilleure partie du Congo, le Domaine de la Couronne, n'échappe pas entièrement à la Belgique, du moins pas sans un certain contrôle belge.

Le roi, bien qu’il ait fait décréter ses exigences de préservation personnelle comme de simples « souhaits solennels », n’en tenait pas moins fermement sa position, jusqu'à ce que, lors de sa première apparition comme chef de cabinet, le ministre de Trooz promette une satisfaction générale pour la fin octobre. On entendit alors ici et là la nouvelle que Léopold II consentirait à vendre le domaine de la Couronne à la Belgique ; avec les vingt-cinq millions, sans enfants prêtés par la Belgique à l'État du Congo, un tel achat aurait fait de l'argent propre du Congo un véritable cadeau royal ! On hésitait donc, même parmi les partisans du Congo ; et il apparaissait clairement qu'il fallait trouver autre chose pour apprivoiser et contraindre la résistance qui se fondait sur l'objection du domaine de la Couronne à céder.

Et ce moyen a été trouvé : on a supprimé le domaine de la Couronne... en le transformant en Société Anonyme. Plus encore : on a permis qu’elle émette des actions avec des primes ; des loteries seraient organisées parmi les actionnaires, et ainsi, le petit capital belge ferait ce que l'État belge redoutait : il rachèterait le domaine de la Couronne, tandis que la prétendue société en conserverait l'usufruit. Une fois de plus, le Roi-Souverain a vaincu l’arbitraire parlementaire et la passivité publique, non sans en tirer profit lui-même...

Et comment notre pays a-t-il accueilli ce tour de passe-passe, certes très astucieux, mais néanmoins quelque peu grossier ? Je vous l'ai déjà dit, le peuple belge, qui depuis longtemps a renoncé à avoir un avis sur la reprise, bien qu’il se montre plutôt réticent, - le peuple belge souhaite désormais profiter sans être dérangé d’un beau mois de septembre après tout le froid et toute la pluie d’août.

Quant à la presse : à quelques exceptions près, le ton général est : stupéfaction. Stupéfaction chez les amis du Congo comme chez les opposants. Chez les amis du Congo, une stupéfaction presque honteuse, silencieuse ; chez les opposants, une stupéfaction qui se transforme en colère ou en un geste sévère de désapprobation.

Bienveillant, « Le Matin » fait exception. Il est simplement heureux que cela se termine. Et il écrit : « La question de la Fondation de la Couronne est résolue, et, que la Chambre le veuille ou non, elle restera, puisque la Belgique, en reprenant le Congo, devra respecter tous les contrats conclus par le gouvernement congolais ».

Mais c'est avec « l'Étoile », « le Petit Bleu » et « l'Indépendance » que commence la douloureuse surprise : le premier reste muet comme une carpe ; le second annonce simplement la nouvelle décision ; et le troisième n'a absolument aucun avis.

Un peu remis de la surprise, « la Chronique » tente de tout arranger : maintenant qu'il n'y a plus de Fondation de la Couronne, la tâche du Gouvernement et du Parlement est grandement facilitée, estime-t-elle. Et « le XXe Siècle » - qui, hélas ! nous devait annoncer la défection du ministre Helleputte, autrefois le plus fervent défenseur des droits belges au Congo - va plus loin : « La nouvelle société affaiblit, plutôt que de renforcer, le Domaine de la Couronne », dit-elle ; et en effet : si le roi est difficile à attaquer, une société l’est bien plus encore. Mais si cette société n’a rien à se reprocher, juridiquement parlant : que faire alors ?...

Les ennemis de la reprise sont plus sévères : « On a créé une arme », dit posément « la Gazette », « qui permettra d’établir une puissance terrifiante dans l'État. Nous ne disons pas que cela se produira. Nous constatons simplement que cela pourra se produire ».

Et « Le Patriote », plus sévère : « Le roi-souverain confie à quelques personnes de son entourage, à titre personnel, pour une durée indéterminée, ce Domaine de la Couronne, où les Noirs ont été le plus exploités, et dont les revenus, comme le roi et M. de Smet de Naeyer l’ont dit il y a un an, étaient indispensables à la Belgique pour administrer le Congo sans ouvrir la bourse. Le Parlement, par sa motion de décembre 1906, a déclaré que la Belgique ne voulait pas en entendre parler, qu'elle souhaitait faire ce qu'elle voulait du Domaine de la Couronne. Le roi-souverain répond en livrant pour toujours le Domaine de la Couronne à quelques amis intimes. Cinq sixièmes du Congo sont ainsi perdus, ou grevés de charges... ».

Mais c'est dans « La Dernière Heure » que la colère devient redoutable ! Avec véhémence, mais avec des arguments irréfutables, le journal libéral de M. Hymans démontre comment nous avons encore été dupés par la camarilla congolaise.

Cela mènera-t-il à la victoire de la camarilla ? Nous attendons avec impatience la session parlementaire d’octobre.

Le projet de loi colonial

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 septembre 1907)

Bruxelles, 24 septembre 1907

Il y a quatorze jours, nous apprenions, avec ou sans la connaissance du gouvernement belge - nous parlons des ministres -, par le Bulletin Officiel du Congo, la méthode qui ferait d'un domaine de la Couronne contesté une société anonyme inattaquable par un décret devant être exécuté avant la fin d'octobre, au moment (oh, confiance en l'impartialité du parlement !) où la question de la reprise devait obtenir une solution définitive devant la Chambre.

Quelques jours plus tard, nous apprenions que le domaine de la Couronne usait de son droit, d'une manière dont la discrétion n'échapperait à personne, pour choisir parmi les mines congolaises six d'entre elles à usage personnel, et commençait à s'approprier la première, dont l'exploitation avait donné de bons résultats, en attendant patiemment que les cinq autres mines prouvent leur rentabilité.

Toutes les bonnes choses se passant par trois, nous avons maintenant lu le dernier projet de loi modifié par le gouvernement, qui devait définir et confirmer les droits belges sur le Congo en cas de reprise, et, selon la justice belge, gérer notre future colonie sous contrôle belge.

Je vous ai répété depuis décembre 1906, lors de la nomination de la commission de 17 membres pour étudier la question, et plus tard lorsque M. Helleputte a rejoint le nouveau gouvernement, que nous pouvions attendre le meilleur de l'attitude indépendante de la Chambre, qui avait courageusement résisté au ministère de Smet de Naeyer et aux subtilités du brillant ministre Van den Heuvel, et de la conviction sincère du chef des jeunes catholiques.

Nous avons bien vu quelque temps plus tard que, pour des enquêtes supplémentaires, des plénipotentiaires étaient nommés par le Roi des Belges pour entrer en négociation avec d'autres plénipotentiaires du Souverain de l'État Indépendant du Congo ; la double personnalité de Léopold II, ici dans un rôle contradictoire, semblable au marionnettiste qui fait jouer le bourreau après la victime innocente avec une voix redoublée, provoquait autant de colère que de sourire.

On espérait cependant le meilleur d'un nouveau cabinet dont le principal représentant avait déclaré à « l'Osservatore Cattolico » de Milan : « Trop des nôtres ne voient que le Roi ; il est temps aussi de penser au Peuple, qui a aussi sa part dans le gouvernement. » Et ces paroles de M. Helleputte étaient considérées comme confirmées, plus tard, par des clins d'œil significatifs et l'air de satisfaction bien nourrie qui ne le quittait guère, et qui ne l’a pas quitté un seul instant depuis la semaine mémorable où il avait accompagné Léopold II à Bruges-Port de Mer et à Gand.

Oui, quelques optimistes attribuaient à l'inflexible courage de ses convictions l’arrêté royal concernant la société du domaine de la Couronne : la perte irrémédiable de la fondation de la couronne était la rançon par laquelle nous avons obtenu le droit de gouverner, aux côtés du Roi, comme il sied à un Etat constitutionnel, qui entreprend le risque de la colonisation à ses propres frais. Nous pensions ainsi obtenir un pouvoir, reconnu par l'ancien ministre Van den Heuvel lui-même, qui, dans son cours de droit public, selon l'un de ses anciens étudiants à Louvain, disait : « L'autorité royale a atteint sa limite ultime dans la société moderne ; il n'est pas permis d'y ajouter quoi que ce soit. » Le prix d'un tel droit : le sixième de l'ensemble du territoire congolais, et la meilleure partie de celui-ci, était élevé.

Nous pensions cependant aux années de fardeau, portées seules par Léopold II - bien qu'on puisse désormais critiquer sa seule gouvernance : le domaine de la Couronne, par exemple, n'avait jamais été soumis à un seul tribunal - et nous étions indulgents. Nous voulions payer cher notre liberté d'action, dans la mesure où elle nous est garantie par la constitution ; savoir que nous participerions à la gouvernance d'une colonie qui exposait notre peuple modeste à de nombreux dangers, dans la mesure de notre responsabilité, pouvait compenser la perte d'une partie du territoire. Le dernier décret du Roi-Souverain pourrait peut-être trouver une compensation dans le projet de loi colonial du gouvernement.

Et que nous apprend ce projet de loi, distribué depuis quelques jours ?...

Chez nous, lorsqu'un voleur de poules veut piller un poulailler la nuit, il doit d'abord apprivoiser le chien de garde. Et il a pour cela un moyen excellent : il prend un sabot ou un bloc creux, et entre le cuir et la mâchoire, il fixe un morceau de poumon de bœuf rôti. Le préparatif est jeté au chien. Ce dernier, attiré par l'odeur de la viande, s'efforce de tirer la friandise de l'étroit espace du sabot, puis de la déchirer en morceaux digestes... Et pendant ce temps, le voleur gagne du temps...

M. Helleputte est ministre suppléant de l'agriculture, et connaît peut-être, à ce titre, les pratiques des voleurs de poules d'Orient. Sinon, il est assez malin, avec ses collègues ministres, pour l'apprendre. Car ce projet de loi est comme un poumon de bœuf pris entre le cuir et le sabot, et nous sommes le chien de garde dupé.

Déclarons tout de suite, avec enthousiasme, que le poumon de bœuf offert sent bon : le projet gouvernemental laisse à nos représentants du peuple le droit complet de questionner sur tout ce qui concerne la gestion coloniale. Le ministre de Smet de Naeyer avait décrété : vous ne pourrez interroger le ministre des colonies qu'une fois par an. Le ministre de Smet est maintenant en tort ; et s'il devient ministre des colonies - ce qui n'est pas impossible, - il devra répondre à chaque fois, chaque mardi, selon le désir des interrogateurs curieux, tout comme son collègue des chemins de fer sur la température des tuyaux de chauffage en hiver, et celui de la justice sur la coupe des moustaches et des barbes des officiers de justice.

Mais jusqu'où s'étend ce droit d'interpellation, c'est une autre question. Car écoutez les résolutions suivantes :

\1. Le pouvoir exécutif - c'est-à-dire le Roi seul - décide de la conclusion de prêts et de l'octroi de concessions. Une telle décision doit être signée par tous les ministres, mais... la Chambre ne connaîtra l’arrêté qu'après sa publication. Premier obstacle à l'ingérence parlementaire, sauf après un fait accompli et irréversible.

\2. Le Conseil colonial, composé de neuf membres, est exclusivement nommé par le Roi... La conscience et le sens de la justice de ces membres du conseil sont certainement hors de doute. Personne ne doutera de leur indépendance. Dommage qu'ils ne puissent être nommés parmi les membres du Parlement - ce qui, en termes de liens entre la métropole et la colonie, aurait pu être utile ; que le Roi puisse les révoquer de leur mandat ; et qu'ils délibéreront sous la direction du ministre des colonies : des moyens, on le reconnaît, qui entravent la liberté et le jugement.

Voici les principales nouveautés apportées par le projet de loi du gouvernement à l'ancien projet royal. Elles nous conduisent à la conclusion suivante :

La Chambre a le droit d'interpeller le ministre des colonies ; elle peut même refuser d'accepter son budget. Mais, même blâmé par la Chambre, tout arrêté colonial reste un fait inéluctable : prêts et concessions se font, malgré sa colère et ses objections, sans elle. Le budget colonial reste hors du vote de la Chambre. Tout : législation, administration, jusqu'à la magistrature, est entre les mains du Roi et des neuf conseillers, qu'il dirige et... brise, s'ils ne sont pas dociles...

Oui, nous allons manger du poumon de bœuf. Il sent bon, même si - nous le savons à l'avance - il est coriace. Mais le voleur de poules, qui est malin, a bien fixé le cuir au sabot. Tirez donc, dents belges, attirées par l'odeur : vous arriverez trop tard, si vous vous pensiez appelées à plus que... renifler...

Mais que dira la Chambre le mois prochain ?


Effet-retour

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 29 septembre 1907)

Bruxelles, 27 septembre 1907

Le projet de loi coloniale, récemment dévoilé par le gouvernement et dont j'ai souligné il y a quelques jours la ruse trop évidente, a placé nos ministres dans une situation peu enviable. Le pays n'est pas satisfait ; la presse n'est pas satisfaite ; la commission des XVII n'est pas satisfaite ; - et il est à craindre que les ministres eux-mêmes ne restent pas longtemps satisfaits, sans parler du Roi qui, depuis longtemps déjà, n'est plus satisfait de son peuple, et en fournit des preuves abondantes.

Pauvre gouvernement ! Son sort n'est vraiment pas enviable. Un précédent cabinet se déclare vaincu lorsqu'il voit l'absolutisme tout-puissant lutter inutilement contre une Chambre qui veut respecter la volonté populaire et préserver sa propre dignité ; un nouveau cabinet, où l'un des premiers et des plus ardents défenseurs des droits nationaux doit représenter l'opposition congolaise, subit cependant une telle pression de la part de son souverain qu'il se trouve placé dans des circonstances inextricables, tel Oedipe face au Sphinx, confronté au dilemme inévitable : se plier à la volonté supérieure, ou... éclater.

Éclater est une activité désagréable ; les intérêts personnels d'amis indispensables viennent ajouter à la pression ; il faut, par ailleurs, annexer, sinon la perte de la future colonie hantera éternellement leur conscience et souillera leur nom. Alors, autant obéir au roi souverain et subir l'opprobre de la génération actuelle pour peut-être, plus tard, recevoir la couronne du martyr sur la tête et bénéficier de l'hommage et de l'estime des descendants à perpétuité.

Mais d'un autre côté, il y a encore le Parlement ; et comment M. Helleputte pourrait-il oublier qu'il a été le défenseur le plus obstiné de ses droits et de ses revendications ? Comment son honnêteté pourrait-elle braver tout remords et brûler ce que son esprit a adoré ? Comment pourrait-il avaler ses propres paroles comme du pain sec et indigeste, comme un pain de seigle aigri qui pèserait lourdement sur son estomac : « tout pouvoir émane du peuple ; le Roi gouverne par la volonté du peuple, et le peuple a autant de droit que lui dans le gouvernement »....

La nécessité de naviguer et de manœuvrer ! Être responsable envers le souverain autant qu'envers le peuple ! Pauvre gouvernement qui devait satisfaire tout le monde et qui n'avait que cet inconvénient : promettre de satisfaire tout le monde !

En tant que chroniqueur fidèle de notre histoire coloniale, je me dois de vous faire part des péripéties du présent projet de loi. Son histoire est édifiante et lucrative. Mais vers quelle fin elle conduit reste pour le moment un mystère. Nous sommes entre deux écueils ; ni le Parlement ni le Roi ne veulent céder. La volonté populaire semble gagner du terrain ; le gouvernement voit ses partisans devenir de jour en jour plus rares. Deux amis du Congo, l'ancien ministre libéral Graux et le sénateur libéral Wiener, avaient été sollicités par le Roi en tant que partisans, le premier en tant que représentant belge dans la grande et comique commission, où des délégués du Roi des Belges devaient négocier avec des délégués du Souverain du Congo État libre sur des points litigieux, le second en tant qu'administrateur de la nouvelle société du domaine royal. Lorsqu'ils ont appris ce qui était attendu d'eux, ils ont refusé de répondre à l'invitation flatteuse. D'autre part, on a vu un autre pro-Congo, et parmi les plus obstinés : le député Huysmans, voter avec les opposants au sein de la commission des XVII sur un point qui visait à réduire le pouvoir du Roi dans la future colonie...

Tout cela n'est ni agréable ni encourageant pour Léopold II. Mais ceux qui connaissent l'entêtement royal ne craignent pas qu'il cède pour si peu. Le roi libre et absolu de l'État indépendant du Congo préfère conserver des droits aussi grands et illimités en tant que roi constitutionnel de la colonie du Congo. Le pays reprenant toutes les obligations ; celui qui est responsable de toutes les responsabilités ; le pays qui, avec un système militaire insuffisant, sans marine marchande, encore moins de flotte de guerre, peut s'opposer aux désirs indéniables de mains beaucoup plus puissantes ; la Belgique, qui tient néanmoins à conserver ce qu'elle a conquis avec du sang belge et de l'argent belge, et qui souhaite voir préservés tant de capitaux qui ne rapportent déjà aucun bénéfice et qui seraient inévitablement perdus en cas de non-reprise ; la Belgique, les meilleurs esprits de Belgique, même dans l'entourage du roi, ne veulent pas donner suite aux exigences royales ; surtout et encore moins après ce signe de méfiance : la transformation définitivement perdue du domaine royal en société, et après cet acte peu scrupuleux : l'appropriation à titre personnel de la première mine d'or que l'on savait réellement rentable. Et le refus se manifeste dans la presse et dans la Commission des XVII, où, avant-hier, elles ont commencé à discuter du projet de loi ministériel...

Vous savez que, l'année dernière, lorsque la question a été débattue à la Chambre, Paul Janson a accusé sans ambages une partie de la presse d'être achetée par l'État indépendant. Nous nous attendions à une forte protestation : bien qu'elle ne soit pas intellectuellement élevée (nous parlons du niveau moyen), nous la jugions quand même honnête et libre. La protestation n'est pas venue ; l'attaque de Paul Janson est restée presque passée sous silence dans certains journaux ; et récemment, un journal a avoué qu'il s'était effectivement laissé... récompenser par l'État du Congo pour son zèle, avec la bagatelle mensuelle de cinq cents francs.

De telles publications ont alors naturellement préféré, sans commentaire, mais aussi - et c'est pire - sans approbation ni encouragement, simplement imprimer les amendements gouvernementaux.

Quant à l'autre presse, qui ne reçoit pas cinq cents francs par mois, ou qui les a refusés, et qui, quelle que soit son appartenance politique, sait être très virulente et aller droit au but, même si on peut lui reprocher de négliger un peu trop la reconstruction lorsqu'elle démolit, - je veux dire qu'elle accorde très peu d'importance aux moyens de conciliation amiable, pourtant inévitables et très souhaitables, - cette presse : « La Dernière Heure » comme « Le Patriote », « Le Peuple » comme « La Gazette », sans parler des journaux provinciaux et de la revue spécialisée « Le Mouvement Géographique », excellente et impartiale dans ses informations sur le Congo ; cette presse critique sévèrement le projet de loi gouvernemental et renforce de plus en plus l'opinion publique naissante, qui adopte incontestablement une position sans équivoque.

Je ne vais pas vous ennuyer avec des extraits. Les arguments peuvent être résumés en ces termes : l'État indépendant du Congo, agissant à sa guise, sous une autocratie illimitée, resterait en place, à une différence près, à savoir que la Belgique assumerait toutes les responsabilités ; la Belgique serait responsable devant les puissances européennes pour le Congo, mais le Congo gouvernerait lui-même sans ingérence belge. De plus, la Chambre belge ne serait même pas autorisée à voter sur le budget colonial, et elle n'aurait aucun pouvoir ni aucune influence sur les nominations du Conseil colonial, qui dépendrait uniquement du roi. Et en ce qui concerne le pouvoir d'enquête : il ne pourrait être exercé que sur des faits depuis longtemps accomplis et irrévocables.

Le Parlement est donc totalement impuissant ; le peuple est mis sous camisole de force. Mais il va de soi qu'il est responsable de ce qu'il connaît de près ou de loin.... Même la garantie, découlant du fait qu'aucun territoire ne pourra être cédé et aucune emprunt contracté sans décision du conseil des ministres tout entier, est faible pour la Belgique ; elle attribue à quelques-uns ce qui appartient à toute la nation, et encore une fois ; elle ne peut être discutée que lorsqu'elle est devenue une réalité irrévocable. La probabilité de ministres honnêtes, placés comme ils le sont entre le roi et le peuple, est bien sûr élevée. Cette honnêteté peut même être considérée comme un postulat. Cependant, le fait que le moindre désaccord entre le roi et un ministère récalcitrant puisse entraîner la dissolution du gouvernement est déjà une première pression, exercée involontairement sur la bonne volonté. Et le fait qu'un ministère ait généralement la majorité à la Chambre donne des atouts à une politique arbitraire. Une démission, même signée à contre-cœur par les ministres unis, peut être approuvée par un parti discipliné, qui constitue la majorité, et ainsi approuver la volonté du roi, alors que tout le pays sait que la démission était préjudiciable ou dangereuse. C'est, dans une logique graduelle, une victoire de l'autocratie sur le gouvernement populaire, sur le parlementarisme. - Et ainsi nous voyons toutes les garanties, apparemment fournies par le projet de loi, annuler elles-mêmes ce qu'elles étaient censées viser...

Ce n'est pas seulement la presse, mais aussi la Commission des XVII qui a rapidement commencé à protester ; et c'est M. Beernaert qui a osé sonner l'alarme.

Monsieur Beernaert est depuis longtemps un ennemi intime du roi Léopold. Ils osent ouvertement diverger d'opinion. Ni le Roi, qui reconnaît la grande autorité de Monsieur Beernaert, ni Monsieur Beernaert, qui reconnaît le puissant intellect du Roi, ne sont prêts à faire des compromis. Comme vous le savez mieux que moi, Monsieur Beernaert l'a récemment prouvé lors de la conférence de paix. Et maintenant, avec la même obstination silencieuse qui lui est propre.

La commission s'est donc réunie. Dès le début, la question a été posée par Monsieur Beernaert : le Cabinet était-il au courant du décret escamotant le Domaine royal ? Bien sûr, l'autre ennemi intime, Monsieur Woeste, a fait de la résistance, proposant de reporter la question. Mais lors du vote, le report a été rejeté, et le plus beau : le président Schollaert a voté avec Monsieur Beernaert.

Ensuite, on passe à l'examen du projet de loi. Au deuxième article, qui stipule que le pouvoir législatif est « exercé » par le Roi, de nouvelles protestations émergent. Et cette fois, même Monsieur Huysmans adopte une nouvelle lecture acceptée, selon laquelle le pouvoir législatif est « accordé » au Roi : une nuance qui implique une limitation du pouvoir royal, car elle suppose une éventuelle modification de la loi coloniale par la Chambre, mais qui est pratiquement insignifiante, car le Roi est toujours libre de refuser sa signature. Le fait que la commission ait adopté la nouvelle lecture, qui est néanmoins limitative dans l'esprit, est symptomatique...

Ensuite, on en vient au fameux article 8, qui soustrait le budget des colonies à la Chambre.

Ça a dû chauffer ! Et apparemment, on est loin d'être d'accord... Tout cela promet des moments peu agréables pour le Roi, et met le pays dans une attente anxieuse. Comment cela va-t-il se terminer ? Et quelle sera la réaction habituelle de la Chambre belge lorsque le débat commencera devant le Parlement ?


Circonstances compromettantes

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 1er octobre 1907)

Bruxelles, 28 septembre 1907

Bien que le gouvernement puisse compter, lors de la prochaine discussion du projet de loi coloniale à la Chambre, grâce au changement d'avis, ou du moins de comportement, du ministre Helleputte, sur l’appui quelques jeunes catholiques dissidents, autrefois fermement opposés, et ainsi espérer que sa proposition – autrement dit celle du Roi – recevra un meilleur accueil et plus de voix qu'en décembre dernier, il est certain cependant que dans le camp libéral – très divisé sur la question coloniale, comme vous le savez – les récents événements ont changé de nombreuses opinions. Le principe de la colonisation, l'avenir du Congo, avaient attiré de nombreux partisans à notre future province : ce que l'on en sait maintenant, ce qui se révèle à chaque instant, les moyens de persuasion utilisés, comment la confiance du peuple est exploitée, ont ouvert les yeux de beaucoup et refroidi beaucoup d'enthousiasmes.

Je vous ai dit hier comment deux libéraux, autrefois totalement alignés avec la politique royale, respectés de tous : Charles Graux, ministre d'État et ancien administrateur de l'Université libre de Bruxelles, et Maître Sam Wiener, un sénateur redouté et respecté, ont choisi de se soustraire à toute influence d'en haut ; comment un Huysmans, qui a tant fait pour faire passer le projet de loi en décembre, comment même le président Schollaert, qui a parfois eu beaucoup de mal à rester impartial lors de la même discussion, ont refusé de voter le report, lorsque M. Beernaert a proposé d’interroger immédiatement le gouvernement sur l’arrêté constituant le Domaine de la Couronne en société. De tels exemples, venant de tels hommes, parmi lesquels le plus fidèle ami du gouvernement, sont symptomatiques. Ils caractérisent une situation. Ils sont une leçon pour les entêtés et les têtes brûlées. Ils donnent le droit, quelle que soit l'opinion, de rester purement objectif dans la constatation et la discussion des faits : le public en apprendra plus dans un récit presque cinématographique que dans les attaques virulentes que certains journaux pensent devoir se permettre. Le fait brut frappera plus qu'un récit pompeux, tout comme le cadavre d'un ivrogne en apprend plus que tous les livrets de propagande antialcooliques du monde.

Car maintenant, ce n'est plus une presse étrangère, ce n'est plus la « Congo Reform Association » anglaise qui éveille notre méfiance et nous fait craindre mensonges et tromperies ; ce ne sont plus des chroniques des atrocités ou des listes de tortures provenant de sources intéressées, sans sanction ni preuve : maintenant, c'est un Bulletin officiel du Congo, maintenant c'est un arrêté royal, maintenant c'est une plainte devant la justice belge qui parlent. L'État du Congo lui-même nous fournit des preuves contre l'État du Congo. L'inconscience ou le cynisme poussé à l'extrême nous montrent la plaie purulente qu'on veut nous confier alors que nous la savons incurable. – Où cela mènera-t-il ? Quel sera le résultat ? Nous ne savons rien de plus : le souverain voit maintenant ses meilleurs soutiens se détourner. Une belle leçon pour ceux qui veulent être rois parmi les borgnes.

Je parlais tout à l'heure de plainte devant la justice. Cela concernait le dernier fait qui a encore plus ébranlé la confiance belge. L'histoire nous est communiquée aujourd'hui. Pour être complet, je vous la rapporte.

Vous savez que le principal argument en faveur du maintien du Domaine de la Couronne était que ses revenus devaient être exclusivement destinés à des fins artistiques, scientifiques, philanthropiques. La générosité du Roi ne voulait pas que ces revenus servent à autre chose qu'à l'embellissement et à l'ennoblissement de la Belgique. Cet argument était certes un peu extensible ; il était cependant suffisamment clair pour exclure tout usage personnel, surtout dans l'esprit de celui qui en bénéficiait. Si ma mère fait un gâteau et dit : « il est pour toi », mais en mange ensuite trois-quarts elle-même, je me dis : « Certes, tu as fait ce gâteau avec ta propre farine, ô mère, et cuit sur ton propre feu, mais... promesse faite, dette à acquitter, et qui ne la tient pas aura mauvaise réputation, comme dit le proverbe. » Et le peuple belge connaît la fierté légitime de son souverain pour sa belle et droite stature....

De plus, quand, cette semaine, la commission des XVII a refusé d'accepter comme chose jugée que le budget de la colonie soit exclu du vote des Chambres, la réponse a été : soyez très heureux d'être dispensés de ce souci ; le Domaine de la Couronne est là pour couvrir tout déficit.

Avec une garantie suffisante, on aurait donc pu accepter que le budget échappe à la surveillance : le Domaine de la Couronne, même en société, serait le fonds de réserve responsable. Et ce serait peut-être une consolation pour la Belgique.

Le Domaine de la Couronne aux larges épaules avait donc un double objectif : l'utile et l'agréable, l'utile-dulci de toutes les bonnes choses. La Belgique embellie, pleine de nouveaux bâtiments et d'institutions caritatives ; tous les littérateurs entretenus aux frais de l'État, tous les peintres décorés, tous les fous traités comme des princes héritiers, une dot princière pour chaque nouveau-né. Et en plus : toutes les dettes, même belges, de l'État du Congo réglées, toutes les nécessités pécuniaires couvertes, toutes les préoccupations financières écartées par des clins d'œil entendus : le Domaine de la Couronne paierait tout... La vision était belle ; mais : on allait presque y croire : onze fois la Belgique dans une immensité inépuisablement riche, et avec cela le sixième des meilleures mines d'or du Congo....

Mais il se trouve qu'un simple architecte bruxellois est créancier d’une somme due par le dit Domaine de la Couronne, et ne peut l'obtenir. L'affaire, au fond, nous laisse froids, nous ne sommes, Dieu merci, pas encore responsables. Mais là où nous dressons l'oreille, c'est quand l'architecte soumet à la justice, sur papier timbré, le détail des travaux à réaliser, restés impayés, ou suspendus sur ordre supérieur. Et parmi ces travaux figurent ceux destinés au plaisir intime du Roi, à Laeken et aux environs, et qui ne contribuaient en rien à la prospérité de la Belgique ou aux charges congolaises. Les revenus du Domaine de la Couronne payaient donc, ou négligeaient de payer - en principe, c'est la même chose, puisque la reconnaissance de dette existe contractuellement - ce qui n'avait d'autre utilité que d'être agréable et profitable à Léopold II, dans ses possessions personnelles belges.

Maintenant, je serais bien le dernier à prétendre que le Roi n'a pas le droit de faire ce qu'il veut de ses revenus. Mais il y a revenu et revenu, et si je fais la promesse solennelle à la Société pour l'amélioration de la race des lapins de Lovendeghem de verser vingt francs par an à sa caisse contre les catastrophes, j'engage une obligation morale que je ne respecte pas si j'utilise les dits vingt francs pour acheter un parapluie ou une bouteille de champagne pour mon usage exclusif.

Car, bien qu'il soit évident que les dépenses pour les plaisirs personnels du Roi ne ruineront pas le Domaine de la Couronne, l'utilisation d'une partie de ses revenus à une telle fin, après des promesses solennelles et répétées, ne peut qu'éveiller méfiance et déception, pour ne pas dire manque de confiance et colère. Et dans les circonstances actuelles, de telles pratiques relèvent d'une politique mauvaise et imprévoyante, sinon arbitraire et malveillante. Elles sont, pour les opposants, mais aussi pour les bienveillants, compromettantes, bien que légales. Car le droit cesse d'être droit lorsqu'il blesse la bonne foi.


Tournois silencieux

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 octobre 1907)

Bruxelles, 19 octobre 1907

Quand je vous ai parlé pour la dernière fois de la prise en charge du Congo - il y a déjà trois semaines, avant que la maladie ne me prive du plaisir de débattre avec vous - et que je prédisais non seulement un recul, mais aussi des concessions de la part du gouvernement et une résistance acharnée de l'opposition, comme expression de la volonté populaire, je ne pensais pas que les circonstances - les réunions répétées de la Commission des XVII et l'opinion publique qui se dessine à travers le pays - confirmeraient mes prédictions avec autant de force qu'elles l'ont fait. Il semble bien, comme je l'avais pressenti, que les arguments de ceux que je vais appeler, faute de mieux, des patriotes, par opposition à ceux qui sont principalement dévoués à la colonie et à ses maîtres actuels, finiront par percer les avancées du gouvernement en faveur du projet royal, sinon avec la dague répugnante du condottiere, du moins avec la persévérance d'une goutte d'eau qui, par son action répétée et rapide, finira par forcer la roche de la volonté supérieure à céder une petite cavité dont le pays pourra s'abreuver. Ce sont là des tournois silencieux, plus courtois que ce que la Chambre nous prépare certainement pour bientôt, mais où la froide politesse des adversaires repousse pas à pas le projet gouvernemental dans les limites de la justice, des discussions où une logique claire combat, réfute et triomphe progressivement des lois désuètes ou des réglementations adaptées à des circonstances très différentes ailleurs.

La commission, à son honneur, reconnaît la diversité des opinions parmi ses membres et que la Belgique fait face à une grande question : la colonisation, dans des circonstances très difficiles, d'un territoire très vaste, alors que la mère patrie peut ne pas être à la hauteur des responsabilités et doit donc s'assurer toutes les garanties possibles.

C’est clair : il n'est pas question de calquer une loi coloniale belge sur celle d'une autre nation ; des circonstances différentes exigent de nouvelles mesures, et alors que nous connaissons à peine ce que nous offrent ces territoires en tant que sources de richesse, nos précautions et notre prudence ne peuvent être trop grandes lorsqu'il s'agit d'assurer la surveillance, pour pouvoir, après expérience, introduire un régime colonial plus large ou plus restreint, adapté aux conditions.

Il est nécessaire de le répéter : même ce qui était excellent sous la domination absolue de Léopold II, en tant que Souverain de l'État Indépendant du Congo, peut échouer lorsque toute la nation légifère et doit supporter les conséquences de sa législation. Le Roi était libre d'interpréter ses promesses solennelles d'humanité et de civilisation, faites avant la conférence de Berlin, comme il le jugeait bon par la suite : nous n'étions pas responsables si cette interprétation n'était pas universellement acceptée. Cependant, si nous héritons de la colonie et de l'exécution de ces promesses, nous devons veiller à les réaliser non seulement pour satisfaire tout le monde dans notre pays et la colonie, mais aussi pour satisfaire les puissances européennes qui ont baptisé le Congo. La responsabilité d'un pays entier sous un régime parlementaire est différente, plus grande que celle d'un souverain absolu. C'est pourquoi il est nécessaire que nous ayons les plus grandes garanties, tout comme on ne peut reprocher à un nageur de se prémunir contre la noyade avec une solide ceinture de liège avant de se lancer dans des eaux inconnues - il peut toujours l'enlever une fois rassuré sur les courants et les profondeurs. De même, nous devons être prudents et ne pas nous contenter de demi-mesures et de demi-garanties.

Il est réjouissant de constater que, sinon le Roi, du moins les amis de ses porte-parole commencent à céder. Il est également encourageant de voir qu'ils utilisent moins l'argument : « notre projet est inspiré par les grandes puissances coloniales ; donc il est bon », ce qui plaide en faveur du bon sens, qui domine de plus en plus les partisans et les adversaires.

Un tel argument a en effet peu de valeur. Parce que l'Angleterre fait ceci, et les Pays-Bas font cela, cela ne prouve pas que les mêmes mesures auraient de bons résultats au Congo. Le Congo n'est pas du tout organisé, et encore moins connu, comme vos colonies et celles de l'Angleterre. C'est une erreur de penser que le même sujet appelle toujours le même verbe, et ceux qui raisonnent ainsi sont comme des téméraires qui pénétreraient dans les forêts vierges américaines sans armes parce que la forêt de Soignes en Brabant présente peu de danger de bêtes sauvages. On commence à comprendre que copier purement et simplement la législation étrangère est, pour le moins, un pari qui peut tout aussi bien mal tourner que bien se passer. Tout examiner soigneusement avant de légiférer, puis consulter l'expérience des autres nations pour adopter les mesures les plus efficaces ; écouter d'abord nos obligations envers l'humanité et l'honnêteté envers nous-mêmes, les puissances de la conférence de Berlin, et surtout envers les indigènes, et ensuite seulement écouter les voix de l'intérêt personnel, quelle que soit leur provenance : ce sont les motivations qui doivent guider notre législation sur la prise en charge du Congo, les seules qui peuvent sincèrement accomplir le « rendre à César », et assurer au Roi tout l'honneur et tous les profits qui lui reviennent, sans crainte de trop ou trop peu. C'est un plaisir et un spectacle réjouissant de constater que la commission des XVII reconnaît de plus en plus, bien sûr avec quelques réserves, mais généralement avec une bonne volonté louable, comment il convient d'agir, et qu'une solution rapide et digne des travaux des membres peut être attendue, où chacun recevra sa part, autant que possible humainement.

Je ne vais pas entrer dans les détails du travail des trois dernières semaines : aussi considérable soit-il, il se perd parfois en petites choses de moindre importance. Je ne peux cependant pas vous cacher ce qui a été décidé sur certains points très particuliers.

Je vous ai déjà écrit que dans le texte de loi, les mots : « Le gouvernement est exercé par le Roi », ont été remplacés par : « Le gouvernement est délégué au Roi » ; un changement qui n'a pratiquement aucune conséquence, mais qui rappelle que tout pouvoir émane de la nation, ce qu'il est bon de rappeler parfois.

Plus important est la décision selon laquelle le Roi, qui gouverne par arrêtés, dont un ou plusieurs ministres sont responsables, ne pourra modifier ou altérer par aucun arrêté la loi organique de la colonie, tandis que le parlement reste libre de réviser ou d'amender cette loi organique comme il le juge approprié. En l'absence d'intervention immédiate dans le gouvernement congolais, et faute, hélas, de surveillance immédiate de ce gouvernement, la constitution coloniale reste entre les mains du peuple, sans aucune possible violation. C'est une garantie non négligeable.

Malheureusement, un vote a fait échouer un autre espoir légitime : nous ne verrons pas le budget de la colonie voté par le Parlement, - selon le souhait de la majorité de deux voix de la commission, mais pas encore selon ce que la Chambre proclamera comme loi... Nous perdons donc une grande garantie : nous connaîtrons le budget colonial, mais nous ne pourrons ni l'approuver ni le désapprouver qu'une fois qu'il sera trop tard. Certes, le Conseil Colonial le supervisera, mais... le Conseil Colonial est nommé uniquement par le Roi, et donc...

En revanche, la question des emprunts et des concessions de terres, ainsi que des concessions d'autre nature, a été résolue favorablement. Aucun emprunt supérieur à cinq millions, aucun travail public au-dessus de ce montant ne pourra être autorisé que par une loi spéciale votée par la Chambre. Ainsi, nous sommes protégés contre des responsabilités trop grandes. Il était certain que, peu importe que le budget de la colonie soit séparé de celui de la mère patrie, c'est la garantie de la Belgique qui serait invoquée pour les emprunts ou les grands travaux. Nous ne sommes donc exposés qu'à des responsabilités imprévues de moins de cinq millions, ce qui n'est pas si grave.

Les concessions de terres et de mines, ainsi que les concessions de chemins de fer, ne seront pas soumises à une loi spéciale. Elles seront cependant soumises à la supervision et à la décision du Conseil Colonial, et leur projet sera déposé trente jours au bureau de la Chambre avant d'être approuvé. Pas de surprise possible donc, et la possibilité d'écarter tout ce qui pourrait être inapproprié...

Jusqu'à présent, la commission a progressé dans ses délibérations votées. Les résultats obtenus ne sont pas négligeables. Reste effectivement en suspens la question du domaine de la couronne ; la pleine maîtrise de notre future possession n'est pas assurée : la constitution coloniale reste garantie par la volonté du Parlement sans aucune possible infraction ; les surprises financières pour la mère patrie responsable ont été en grande partie évitées, là où une autonomie coloniale en matière financière était certainement souhaitée ; et la supervision que nous aurons sur les sociétés exploitantes, qui pourraient demander de nouvelles concessions, est de nature à susciter le respect nécessaire chez les concessionnaires. Si nous pouvions obtenir que la Chambre vote avant la prise de contrôle la révision de tous les actes de concession, notre pouvoir, dans des limites strictement légales, augmenterait encore en excluant les pratiques indésirables et pourrait peut-être aussi apporter une lumière claire sur la transformation du domaine de la couronne en société.

Le travail de la commission est loin d'être complètement accompli. De nombreuses questions se posent encore, qui pour l'instant...

Quelle sera, par exemple, la relation avec les puissances de la Belgique neutre, détentrice du territoire non neutre du Congo ? Jusqu'où s'étendra la tutelle financière de la Belgique sur le Congo autonome en cas de créanciers éventuels ? Dans quelle mesure interviendrons-nous pour la régulation de la justice, et quelle sera la relation entre la justice congolaise et belge ?... La solution n'est pas encore trouvée. Le travail sérieux de la commission, bien qu'il rencontre parfois des réticences, doit néanmoins céder devant une majorité de personnes raisonnables et droites, nous permettant d'espérer, sinon le meilleur inatteignable, du moins une situation acceptable. Des tournois courtois et honnêtes comme ceux-ci sont plus prometteurs que des joutes acharnées comme celles que nous voyons à la Chambre. Espérons que la commission soumettra au Parlement une loi qu'il pourra voter avec un minimum de controverse pour un maximum de satisfaction générale.


Réconciliation

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 25 octobre 1907)

Bruxelles, 23 octobre 1907

La séance tenue hier par la commission parlementaire chargée d'examiner le projet de loi coloniale prouve une fois de plus que je n'avais pas tort de prédire, sinon une unanimité d'opinion parmi ses membres, du moins une attitude de réconciliation de part et d'autre. Cette attitude, de plus en plus affirmée, réjouira tout le monde ; elle prépare un résultat final qui, même s'il ne réalisera peut-être pas l'idéal, nous soulagera néanmoins de nombreux soucis et garantira de nombreuses certitudes ; et cela n'est déjà pas négligeable. D'autre part, l'édition bruxelloise d'un journal parisien exprime l'avis, sur des points très importants, d'une « personne bien placée » qui pourrait bien être un porte-parole du monde officiel congolais. Je reviendrai tout à l'heure sur ses déclarations, également très réconciliatrices.

Il est assez surprenant de voir M. Charles Woeste se présenter comme opposant au Roi-Souverain. N'est-ce pas la meilleure preuve que les défenseurs de la politique royale commencent à reconnaître leur propre impuissance face au droit et à la logique ?...

Je vous ai déjà écrit que le Conseil Colonial, chargé, aux côtés du Roi, de la gestion de la colonie, ne serait nommé que par le Roi, sans ingérence de l'État, du moins selon la proposition gouvernementale, dont M. Woeste est l'avocat habituel. Les conséquences néfastes d'une telle situation sont évidentes. Avant-hier encore, j'attirais votre attention sur la manière dont il rendait impossible toute surveillance à bien des égards. M. Charles Woeste l'a finalement compris et, tournant le dos au projet de loi qu'il avait le droit de défendre, il embrasse ce qu'il avait auparavant dénoncé. Pardonnez-moi cette métaphore audacieuse ; je voulais simplement dire, avec une nouvelle image, que M. Charles Woeste a rejoint l'ennemi, ou mieux encore, a jeté un pont sur le gouffre qui le séparait de l'ennemi pour - espérons-le ! - s'en rapprocher pacifiquement, pas à pas... M. Woeste trouve donc aussi injuste que le Roi nomme ceux qui sont chargés de contrôler ses actes en tant que gestionnaire de la colonie du Congo. Et hier, il a présenté une nouvelle proposition : le Conseil Colonial sera composé de dix membres, six nommés par le Roi, deux par le Sénat et deux par la Chambre. Cela ferait, en cas de conflit très probable, six contre quatre, ce qui n'est absolument pas « juste », comme on dit dans mon pays. Mais c'est, tout le monde en conviendra, un énorme pas en avant sur le chemin de la réconciliation, car cela garantirait une surveillance parlementaire ; et que M. Woeste prête son dos comme tremplin pour de nouveaux sauts est la meilleure preuve que le gouvernement accepte de capituler, et commence à reconnaître que le peuple a bien quelques droits sur sa future colonie... C'est un fait réjouissant : bien que la motion de M. Woeste n'ait pas encore été votée, le simple fait qu'il la propose est une garantie d'approbation de la part de tous les partisans du roi.

Une autre concession de M. Woeste : il reconnaît avec ses adversaires que nous devons être prudents dans l'octroi de concessions qui impliqueraient l'exercice de droits souverains. Il trouve dangereux de permettre de telles concessions uniquement par une loi : la Constitution interdit la délégation de droits souverains. Mais, comme l'a fait remarquer M. Beernaert : la Constitution belge ne s'appliquera pas au Congo. L'argument est irréfutable, il ne fait donc aucun doute que le gouvernement s'inclinera devant la motion qui exige qu'une loi spéciale soit requise pour l'octroi de chaque concession de ce type.

Le vote d'hier concernant l'organisation judiciaire est moins satisfaisant, bien qu'il contredise en partie le projet de loi gouvernemental. Vous savez que ce projet réservait au Roi le pouvoir de nommer les magistrats congolais et leur accordait le droit de révoquer leur mandat. Il est inutile de vous expliquer ici l'arbitraire qu'une telle mesure rendrait possible. La décision de la majorité de la commission n'a apporté que peu d'améliorations : le Roi conserve pour l'instant tous ses droits. Cependant, pour l'exercice sérieux de la justice, la décision de nommer tous les magistrats pour une période de douze ans, avec un droit à la retraite uniquement après douze ans de service, est importante. La garantie d'une meilleure administration de la justice que celle avec des juges nommés pour quelques années seulement, comme c'est actuellement le cas et comme l'association voulait le maintenir, est évidente ; étant donné que les décisions judiciaires du Congo sont exécutoires en Belgique, nous avions tout intérêt à assurer la présence de bons juges au Congo...

Voilà pour la commission. Permettez-moi de vous informer maintenant de l'avis probable du gouvernement sur trois questions très importantes, à en juger par les paroles de la « personne bien placée » mentionnée plus haut.

D'abord, bien sûr, la question de la transformation du domaine de la couronne en société : la question du jour, qui empêche beaucoup de voir avec confiance l'avenir de la Belgique en tant que puissance coloniale : un tiers, et le meilleur, de tout le territoire congolais retiré à l'État repreneur ; les six meilleures mines d'avance perdues : n'est-il pas surprenant qu'une certaine mécontentement soit né lorsqu'on a appris que le Roi, craignant un refus du Parlement, avait mis ses moutons à l'abri sous le toit de la « Société du lac Léopold II » ? Maintenant, cependant, la « personne bien placée » intervient et dit : la société a effectivement été créée, mais jusqu'à présent aucune concession ne lui a été accordée ; elle a bien un objectif, mais les moyens pour atteindre cet objectif dépendent de concessions qui doivent encore être faites...

La distinction est subtile. Et, tel que cela se présente actuellement avec la nomination des membres du Conseil Colonial, qui doivent délibérer sur l'octroi des concessions, comme décidé la semaine dernière par la Commission des XVII, la Belgique aurait, même si le domaine de la couronne restait au Roi, la possibilité de contrecarrer de nombreuses mauvaises intentions. Cependant, la difficulté réside dans le fait que la Belgique n'est pas encore en possession du Congo ; l'acte de fondation stipule que, quatre mois après le 20 juillet 1907, la société doit entrer en vigueur, c'est-à-dire commencer l'exploitation du territoire autour du lac Léopold II ; d'où il est facile de déduire que l'administration actuelle de l'État indépendant du Congo veillera certainement à ce que les concessions soient accordées avant la prise de contrôle. Ainsi, même si le principe de la fondation de la couronne est refusé par la Belgique repreneuse, nous risquons de perdre le territoire qu'elle occupe, ou du moins de le voir attribué sans notre consentement.

La déclaration de la « personne bien placée » a donc peu de signification pratique. En principe, cependant, elle indique qu'en cas de besoin, la Belgique aurait le droit de régler l'octroi des concessions, puisque c'est sur cette base qu'elle justifie la transformation du domaine de la couronne en société. La reconnaissance est importante : elle plaide pour le droit de ceux qui veulent que tout le pouvoir émane du pays possédant...

La deuxième question était : que se passe-t-il lors de la prise de contrôle avec les biens immobiliers que la fondation de la couronne possède en Belgique ? La réponse de la personne bien placée est : ces biens ont été donnés par Léopold II à l'État indépendant du Congo. L'intention du roi, logiquement, est de les transférer à la Belgique lors de la prise de contrôle...

Cette « intention » est précieuse. L'invraisemblance de cette intention, et en tout cas la faible possibilité de mise en œuvre, ressort du fait que le domaine de la couronne en Belgique comprend des propriétés payées qui ne sont destinées qu'à l'usage personnel du roi, et qu'il ne souhaite certainement pas voir passer sous la supervision de la Nation belge. La garantie du porte-parole repose donc uniquement sur une possibilité improbable, même si elle tentait de confirmer que la Belgique aurait tout à gagner à conserver le domaine de la couronne.

La troisième question touche directement à la conservation du domaine de la couronne. Et la réponse est : sans aucun doute, nous devrons le reconnaître ; mais, devenu une société, il sera soumis à la législation générale, et il n'est en aucun cas inaliénable, ce qui signifie que ses gestionnaires pourront le vendre en tout ou en partie.

On ressent ici encore l'ancien projet du Roi : voulez-vous ma propriété personnelle, achetez-la-moi ! Cependant, si l'on considère que l'État indépendant du Congo nous doit déjà environ 75 millions, sans compter les intérêts, on comprend comment une offre telle que celle de Léopold II est peu acceptable. On se demande également comment il pourrait encore être question de « don royal ». Si donc la transformation en société n'est qu'un moyen pour obtenir le paiement du domaine par la Belgique d'une autre manière, elle prouve, au lieu de la bonne volonté, une fois de plus la méfiance avec laquelle le Roi traite son pays, et bien que les déclarations de la « personne bien placée » soient indubitablement faites avec une intention réconciliatrice, l'explication de la manière d'agir du Congo lors de la discussion de la prise de contrôle, bien que nouvelle, montre tout autant que ses perspectives absolutistes restent les mêmes. Qu'elles ne soient cependant plus arrogantes, mais flatteuses, est caractéristique. De là à une plus grande soumission, il n'y a plus beaucoup de chemin à parcourir.


Élection au village

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 octobre 1907)

Bruxelles, 23 octobre 1907

Mes devoirs patriotiques et les exigences de la loi électorale - il faut résider trois ans dans la même communauté pour être électeur - m'ont rappelé dimanche dernier dans le petit village au bord de la Lys où j'avais autrefois vécu et passé les plus belles années de ma vie. Une partie du conseil communal devait y être réélue, et on m'avait averti que la lutte serait homérique. Ce serait cette fois animé, dans ce coin tranquille de terre, ce recoin perdu de la Flandre que personne ne connaît sinon parce que quelques artistes y résident. Cela faisait trop longtemps que tout se déroulait paisiblement ; une fois élu à « la Loi », on y restait pour toute la vie, assurant sa position avec autant de droit et de raison qu'un membre de l'Académie royale flamande. Mais maintenant, cela allait changer, il fallait que cela change : une opposition s'était formée, grognant si elle ne criait pas, se réunissant dans les auberges pour conspirer, critiquant bruyamment l'éclairage public et insinuant à mots couverts que l'échevin des travaux publics avait été soudoyé par l'entrepreneur du pavage du « Klein Kasseidje ». Cela devenait terrifiant. On voyait le bourgmestre froncer son visage joufflu de souci et d'inquiétude, tandis que le chef flamboyant et rouquin de l'opposition déclarait solennellement à qui voulait l'entendre que, s'il était élu, jamais les gendarmes ne viendraient plus troubler les braconniers et les pêcheurs nocturnes du village. Il y avait des hochements de tête préoccupés lorsque les finances communales étaient abordées. On souriait de façon moqueuse lorsqu'on parlait du zèle de certains échevins. On clamait que c'était scandaleux que, depuis dix siècles, le clocher de l'église était privé d'une horloge à laquelle il avait droit. On chuchotait que le sacristain s'était rendu coupable de concussion en fournissant l'huile de pierre pour l'église. Et on avait soudain découvert que l'enseignement était défectueux.

Voyait-on d'ailleurs cette chose terrible se produire : l'instituteur qui allait chaque dimanche au théâtre flamand de Gand, tandis que la bière des aubergistes locaux restait dans les caves à s'aigrir sans être bue ? Ne savait-on pas qu'il donnait des leçons grassement payées aux fils d'un châtelain, alors que les enfants de la seconde classe ignoraient même que le champ de leur père était un parallélogramme et qu'un hêtre bien formé pouvait se vanter du titre de cylindre ?

Ce n'étaient pas les seules plaintes contre l'administration communale en place : on criait que c'était une bande de radins ; bien sûr, d'un autre côté, on parlait de gaspilleurs d'argent qui avaient dilapidé les sous de la paroisse. Et ainsi, cent cinquante des deux cent soixante-dix électeurs, après de nombreux « petits voyages » à la bière, en étaient venus à penser qu'il y avait effectivement « quelque chose de pourri » dans l'administration du village au bord de la Lys ; s'ils avaient eu Ibsen comme lecture courante (mais l'enseignement est si arriéré !), ils auraient parlé d'un « cadavre à bord ». Maintenant, ils se contentaient d'aider énergiquement les leaders de l'opposition qui leur avaient ouvert les yeux - d'autres disaient que ces mêmes leaders jetaient au contraire de grandes quantités de sable dans ces mêmes yeux - ils se contentaient d'appuyer énergiquement en buvant des pintes ce qui leur semblait être des vérités incontestables. Il fallait un changement ; l'avenir était en jeu ; un déluge était imminent si cela continuait ainsi ; le vieux village devait connaître le progrès, s'il voulait être préservé de la ruine.

Voilà ce qu'on m'avait écrit : je craignais de trouver le village en effervescence, lorsque j'y suis arrivé, vendredi dernier. Je me trompais : tout avait conservé le calme d'autrefois. La salutation de Peetje Lauwaert était tout aussi gracieuse, le sourire de Treeze Verkerke tout aussi humble et amical qu'auparavant. Sur les basses plaines d'octobre, dans les champs où fumaient les petites maisons rabougries, je voyais les mêmes silhouettes au travail comme avant : on récoltait les dernières pommes de terre ; un semeur, en marchant, lançait rythmiquement les graines de seigle ; des femmes courbées coupaient des feuilles de navet ; et le soir, les longues traînées de fumée bleue des feux de pommes de terre s'étiraient à l'horizon infini leur ligne persistante... Les gens me parlaient : l'année, disaient-ils, avait été bonne, les épis pleins et la paille longue ; celui-ci avait eu son douzième enfant, celui-là sa vache était morte... C'était la vie simple d'autrefois, la même tranquillité amicale, la même beauté tendre que j'avais si souvent appréciée. Et je ne pouvais donc pas imaginer que cela changerait avec « la Loi » : avec mes souvenirs en tête, je voyais dans l'avenir comme dans le passé chaque conseiller se rendre à la réunion comme chaque mois : la chemise blanche fraîchement repassée, le costume en drap bien brossé, les chaussures épaisses où les cors aux pieds brillaient comme des miroirs noirs. Je les voyais s’y rendre, profondément pensifs ou souriants : le fermier Ivo avec ses six orteils et sa grande connaissance des bêtes, Nandje le menuisier avec sa parole lente et hésitante qui résonne comme un sifflement hésitant. Je voyais le petit échevin acariâtre, si naïvement satisfait de lui-même ; je voyais le bourgmestre, dégingandé qui ne sait quoi faire de ses mains ; je voyais le secrétaire nerveux et extrêmement poli. Et je les voyais tous, pour maintenant et pour toujours, assis à la réunion, hésitants et gênés par leur sens des responsabilités, surveillant la caisse communale avec soin et crainte. Et je ne pouvais pas imaginer que quelque chose avait changé, que quelque chose changerait, que quelque chose pouvait changer.

Cependant, lorsque je suis allé rendre visite à mes amis artistes le soir - je ne révélerai pas leurs noms - j'ai entendu que cette tranquillité n'était guère plus qu'un calme avant l'orage. Poorterken avait menacé son propre père avec son fusil pour lui faire comprendre que voter pour l'opposition était un devoir. Pierke Bakkers avait raconté désespérément que l'opposition donnerait le double de ce que Monsieur le Curé offrait aux pauvres gens comme lui ; et quelqu'un était devenu fou, complètement fou, si fou qu'il devait être surveillé jour et nuit, de peur qu'il ne tue son voisin, qu'il s'imaginait être le diable, à cause d'un morceau de caoutchouc que ce dernier avait touché...

Il y avait pire et plus inquiétant : de grands propriétaires terriens avaient averti leurs fermiers que, si l'opposition obtenait la majorité, le loyer serait augmenté. L'inquiétude et la colère grandissaient dans les esprits. Les esprits lents se mettaient à réfléchir ou à s'agiter. Extérieurement, on n'en voyait pas grand-chose : à l'intérieur, cela flambait.

Je m'en suis rendu compte plus tard, lorsque, pour me documenter, j'ai visité les « estaminets », accompagné de l'habitant de la ville qui agit comme premier opposant. Alors, j'ai vu qu'il y avait vraiment de l'agitation. Les têtes se rapprochaient ; on murmurait ; un juron montait, on criait bientôt : il fallait faire sauter tout cela ; ça ne pouvait pas continuer, ce serait explosif dimanche....

Dimanche est maintenant passé depuis trois jours déjà et... le changement a été très minime. Beaucoup de tension dans l'air de dimanche, vers le grand calme des nuages blancs qui flottaient au-dessus des champs non perturbés. Une hésitation, une peur de la bagarre annoncée, le soir, quand on aurait bu....

Ils allaient dignement, seuls ou en petits groupes mystérieux de trois ou quatre, vers l'école communale où l'on votait. Là aussi, calme tendu ; peu d'attention, sinon une attention craintive, pour le défi que l'opposition avait fait peindre sur une toile blanche : « Mille francs à celui qui peut prouver qu'il y a parmi les adversaires un athée ». Seules les auberges étaient un peu animées : on discutait des chances, on était inquiet, la loquacité bruyante de la veille était tombée en conversations presque monosyllabiques. Certains ivrognes commençaient leur tournée, entamant les discours profonds que le genièvre leur inspire... Et ainsi, midi arriva : un midi, apparemment, comme tous les dimanches, où d'abord on mangeait la viande de soupe aux carottes et on buvait un petit verre de bière, puis on faisait la sieste...

Je rencontre le premier candidat de l'opposition ; et à mon « alors ? », je vois un visage préoccupé, qui a perdu toute sa belle assurance énergique, flétri par les excès d'alcool des derniers jours, avec l'air fatigué de quelqu'un qui aurait passé de longues nuits au chevet d'un malade. Il hausse les épaules et répond : « Qu'est-ce que ça peut me faire ? Je veux simplement défendre mes principes, pas me mettre en avant ! » Et, la tête baissée sous le poids des soucis, il poursuit son chemin...

Peu à peu, la nuit d'octobre, froide et brumeuse, s'installe. Les ivrognes errent sur la route : ils sont les seuls à parler de l'élection. Une calme sournois s'installe partout ; dans tout le village, règne une indifférence hypocrite. Sous un masque de nonchalance dominicale, la curiosité de chacun se promène lentement de taverne en taverne. Et l'on demande : « Je vais prendre une bière ? » ; mais on dirait plutôt : « Quel sera le résultat «

Soudain, une nouvelle fuse comme un feu d'artifice : Nandje a une majorité de cent voix pour le poste d'échevin des travaux publics. Cela doit être vrai : le drapeau national est hissé sur la façade de chez Nandje. Sa maison est envahie : des verres sont servis ; la clique habituelle des buveurs est là ; la bonne nouvelle réclame soif, soif de genièvre...

Et maintenant, le résultat complet est bientôt connu : deux de chaque parti sont élus... Et l'orgie commence ; le passage de taverne en taverne devient une marche triomphale. Pour quelle raison je ne sais pas, mais on me souhaite aussi bonne chance ; ce qui me coûte quelques tournées...

Les élus se montrent généreux ; leurs soucis sont derrière eux ; leurs yeux brillent. Le premier candidat se montre humble : après tout, il savait bien qu'il ne pouvait être que élu. Les bandes envahissent les tavernes en hurlant. Poorterken répète en riant qu'en cas de défaite, il aurait tué son père ; Pierke Bakkers célèbre le futur radieux de la bienfaisance municipale avec une profusion de « gouttes ». Certains des ivrognes ambulants sont déjà allongés dans les coins en ronflant.

Ainsi dans la salle de taverne surchauffée, enfumée, maudite et criarde. Dehors, sous la pluie fine, mélancoliques comme des chiens mouillés, marchent deux gendarmes impuissants et très inutiles.

Plutôt que de vous servir des réflexions profondes sur les élections municipales des grandes villes, qui, par ailleurs, n'ont guère apporté de changement au pays et à la politique, je vous ai écrit sur l'élection dans mon village de la Lys.... Puissiez-vous bien vous en porter, gens, comme on dit.


Le long chemin de la progression graduelle

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 novembre 1907)

Bruxelles, 6 novembre 1907

Le « festina lente », qui a permis à la tortue de battre le lièvre, fait que la commission coloniale des XVII, - malgré, ou plutôt grâce à une lenteur qui est critiquée mais qui ne pourrait avoir pour seul mauvais effet que de ne pas faire venir très rapidement le projet Congo devant la Chambre, - la commission des XVII va, lentement mais sûrement, accomplir un travail qui va en s’améliorant. Le long chemin de cette progression graduelle permet à l'opposition de gagner du terrain sur ceux qui ont trop négligé les intérêts du pays pour les « solennels souhaits du Roi ». C'est un recul pas à pas, une concession pouce par pouce ; même si je crains maintenant aussi que le projet de loi ne soit pas adopté à l'unanimité avant d'être présenté à la Chambre ; je sais que, entre autres, le domaine royal est pour le moment une difficulté non résolue : ce qui est certain, c'est que le travail, le travail paisible et judicieux des membres de la commission, nous épargnera beaucoup de querelles inutiles, beaucoup de vantardises vaines, avec des résultats bien meilleurs, reposant sur des raisons très solides.

Non pas que toutes ses décisions doivent être acceptées comme parole évangélique. Un journal bruxellois l'a encore dit cette semaine. Vous savez que, dans l'esprit du projet gouvernemental, et accepté par la majorité en commission, notre future colonie devait être gouvernée par arrêtés royaux. Or, la constitution révisée en 1893 stipule que les éventuelles colonies belges seront gouvernées par des lois spéciales, et dans les commentaires suscités par la discussion de la révision, ce sont surtout des membres ou des amis du gouvernement actuel qui ont défendu le droit de la Chambre, la chambre législative, sans laquelle il n'y a pas de loi, dans les affaires coloniales. Ainsi, le ministre de Smet de Naeyer a déclaré : « C'est pour éviter toute contestation possible que la Constitution doit garantir à la loi la gestion de tout ce qui pourrait concerner un régime colonial. » Et M. Schollaert : « Il est certain que les colonies seront régies par des lois différentes de celles de la Belgique, et que des lois spéciales pourront y être appliquées. » Et M. Heynen, au nom de la commission de révision : « Les colonies ou possessions d'outre-mer que la Belgique pourrait acquérir seront gouvernées par des lois spéciales. »

On le voit : Plus royaliste que le Roi. En effet, peu de personnes dans la commission coloniale oseraient aujourd'hui aller aussi loin que ces messieurs gouvernementaux l'ont fait en 1893... Quant au changement, Virgile et mon professeur de poésie auraient dit : « Quantum mutati. » Quel changement, quelle déformation de la conscience parlementaire !... Certainement, des circonstances plus précises, une compréhension plus profonde des situations peuvent modifier la forme de ce que l'on considérait comme vrai. Mais traiter l'esprit de cette vérité, dans une question aussi bien définie que le principe d'une loi coloniale, de sorte qu'il devienne le contraire de ce qu'il était ; trouver aujourd'hui que les colonies doivent être gouvernées par des lois émanant du Parlement, et demain trouver que seul dans les arrêtés, exclusivement du roi et de l'un de ses ministres, sans aucune intervention parlementaire, se trouve le salut : comment appeler cela, comment l'expliquer par un changement des circonstances, sinon par la pression d'intérêts supérieurs et personnels ?

Mais je vous l'ai déjà souligné à plusieurs reprises : le droit finira par l'emporter. De plus en plus de terrain est gagné ; et lors des deux dernières séances de la commission coloniale, des sujets très importants ont été traités dans ce sens. Ils concernent principalement le système judiciaire et le conseil colonial.

Ainsi, le gouvernement avait proposé que « le roi puisse, pour des raisons de sécurité publique, interrompre le cours de la justice sur un territoire donné. » Le gouvernement lui-même a réalisé que son texte confirmerait trop un acte d'autocratie. Il s'est donc rallié à la modification proposée par M. Beernaert ; et maintenant, il est dit : « Le roi peut, pour des raisons de sécurité publique, confier l'exercice de la justice répressive à des tribunaux militaires », ce qui correspond à notre « état de siège ».

Là aussi, le gouvernement cède, quand il s'agit de déclarer : « Le roi peut conférer le pouvoir exécutif au gouverneur général » ; et l'assemblée adopte le contraire : « Seule une loi peut accorder l'exercice de droits souverains », tandis qu'une motion de M. Hymans précise l'objet d'une telle loi et en fixe les conditions : « Le roi peut, en cas d'urgence et si le sort de la colonie le requiert, accorder au gouverneur général le droit de suspendre temporairement l'application des arrêtés, règlements et décisions et de prendre lui-même des dispositions qui n'auront de validité que six mois, sauf s'ils sont confirmés par arrêtés. »

La séance d'hier a été entièrement consacrée à la discussion sur la composition du Conseil colonial. Vous savez que le gouvernement avait proposé de confier cette composition et sa suspension au seul Roi. Mais même M. Woeste s'est opposé à une telle mesure. Il a proposé : le Roi nomme six membres, la Chambre en nomme deux et le Sénat également deux.

Après de longs débats et disputes sur autant de systèmes de nomination qu'il y a de membres de la commission, on a pris la décision... de ne pas encore prendre de décision. Mais il n'en est pas moins symptomatique de voir reconnaître universellement que le rôle du Conseil colonial est de contrôler le gouvernement royal au Congo ; tandis que rien n'est plus amusant que d'examiner la confusion de M. Woeste, qui adhère successivement à tous les systèmes pour ensuite s'en détacher rapidement... S'apercevrait-il de la fragilité du projet de loi de ses amis du gouvernement ? Tant mieux ! C'est chez M. Woeste le début de la sagesse quand il se rend compte qu'il est seul !


Le roi à la maison

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 novembre 1907)

Bruxelles, 8 novembre 1907

Ne craignez pas que je commette le sacrilège de comparer Leopold II à un vulgaire citoyen, tenu par la loi de posséder un domicile fixe. Quand j'écris : « le Roi à la maison », ce n'est pas une indication que je lui refuserai le droit de se sentir chez lui aussi bien dans la villa du Cap-Ferrat, qu'il a humblement baptisée « Passable », que dans le palais de Bruxelles encore en cours de rénovation, ou dans le parc de Laeken avec toutes ses dépendances. Le roi est un grand voyageur, et pour les grands voyageurs, s'applique le cicéronien « Ubi bene, ibi patria ». Et ici, je dois faire une restriction : je ne veux en aucun cas reprocher à Leopold II de chercher parfois sa « patria » au-delà des frontières : comme cela se passe actuellement en Belgique, je comprends très bien que le Roi ne trouve guère son compte ici, et que sa perpétuelle jeunesse lui permette d'entreprendre d'autres voyages instructifs que des sorties à la mer, une visite au Musée d'Anvers, ou un voyage jusqu'à la Grotte de Han : les seules curiosités de notre patrie. Le Roi, qui peut dire à M. Beernaert, son intime ennemi : « Mon cœur ne peut se résoudre à vieillir », et : « Être malade est une erreur ; je ne mourrai que par inadvertance »; le Roi, qui possède encore toute la vigueur, tout le dynamisme, tout le panache de notre troisième Grand Vieillard : le citoyen Edmond Picard, qui porte ses soixante-dix ans avec plus de vigueur que nombre de jeunes hommes leurs « deux petites croix », comme disent nos paysans ; je ne peux que trop admirer Leopold II, dans toute sa grandiose obstination, - même si je regrette que cette obstination soit parfois préjudiciable à la Belgique, - pour ne pas trouver tout à fait naturel qu'il cherche à l'extérieur, je veux dire : en dehors de cette Belgique qui n'est pour lui qu'un grand entrepôt, un peu de plaisir et de distraction, un air un peu plus pur, et qu'il aille, dans des contrées qui lui plaisent mieux que la plaine monotone flamande, les collines banales du Brabant, la suie des vilaines régions minières et les arbustes des Ardennes, se construire un petit nid, chercher un « chez soi », « où il pourrait dormir en paix et être libre ».

Ainsi, lorsque je dis : « Le Roi à la maison », cela n'implique aucun reproche, pas plus que cela ne serait ironique. Je le dis avec simplicité, et avec la joie intime d'un enfant qui voit son père rentrer le samedi soir après une semaine de travail loin de la maison et se précipite pour le prendre dans ses bras...

Nous l'avons donc de nouveau parmi nous, à Bruxelles. Et pour que tout le monde le sache, il a, lui qui préfère habituellement l'anonymat d'une automobile, revêtu son grand uniforme de général en chef ; à son grand maréchal de la cour, il aurait dit : « D'Oultremont, faites de votre mieux : nous allons éblouir les foules » ; il a fait atteler son plus beau carrosse de cour « à la Daumont » ; et... un quart d'heure plus tard, il roulait triomphalement, par l'Avenue Louise, vers la Forêt de Soignes ; et les passants se demandaient ce qui se passait ; si l'ouverture de l'exposition universelle de 1910 avait été avancée peut-être ; ou si le Roi commençait à vieillir, renonçant aux voyages et délaissant les pompes modernes de l'automobile au profit de la vieille carrosserie dorée du carrosse royal ?... Pendant ce temps, Leopold II riait sous cape, et murmura à l'oreille de d'Oultremont : « Voyez-vous comme ils sont épatés ? » Et hier, il est reparti dans le même appareil ; et entre-temps, il a fait appeler le ministre de Trooz, pour discuter un peu avec lui. Et maintenant, tout le monde le sait : le roi n'était pas venu nous rendre visite en passant, pour voir comment se portait le palais, ou quel aspect avait la Forêt de Soignes en automne : il était venu en vrai roi, pour discuter et régler les affaires du pays avec le chef du gouvernement en des circonstances très difficiles ; et pour que tout le monde le sache, il s'était montré dans toute la solennité imposante qui convient à un souverain régnant et puissant.

Le roi a donc parlé avec le ministre de Trooz. Ce qu'ils se sont dit entre eux, je ne peux évidemment pas le répéter mot pour mot : je n'étais pas là. Mais notre servante a une nièce, dont la fille fréquente un valet de chambre royal. Et par ce canal, j'ai appris certaines choses que je vous rapporte, bien entendu avec toutes les réserves nécessaires, car je n'ai rien entendu de mes propres oreilles. M. de Trooz, dont la voix, comme celle d'une trompette de jouet, s'infiltre très facilement par les trous de serrure, aurait parlé de la manière suivante :

Monsieur de Trooz, dont la voix, qui résonne comme celle d'une petite trompette d'enfant, pénètre très facilement par les trous de serrure, aurait dû parler en ces termes :

« Sire, ça ne va pas bien ; ça ne va vraiment pas bien du tout. Notre ennemi Beernaert ne fait rien d'autre que de se réjouir en se frottant les mains. Il est tellement content qu'il a offert un banquet aux membres de la commission belgo-hollandaise, où, Sire, vos banquets paraîtraient bien modestes en comparaison. Et les vins ! Moi, de Trooz, qui ai mon mot à dire là-dessus, je n'en bois pas deux fois par an. Et à l'un des Hollandais, qui lui demandait des nouvelles des travaux de la XVIIe, il a répondu : « Ça va très bien, merci. » - Et ces travaux, Sire ! Les suivez-vous ? Moi-même, je ne les dirige pas, voyez-vous ; ce n'est pas moi qui vous pousse petit à petit dans le coin ; je suis simplement heureux de ne pas être dans cette XVIIe, car je ne voudrais pas avoir cela sur la conscience : tous ces droits à la nation et pour vous, presque rien de plus que le domaine royal et les mines de charbon...

« Le domaine royal ! Avez-vous vu qu'ils commencent à s'en mêler à l'étranger aussi ? La « Frankfurter Zeitung » par exemple. Elle ose dire franchement : le but des hommes politiques belges doit être de contrecarrer l'activité de la société que vous avez fondée autour du lac Léopold II, et de conserver le domaine royal pour l'État du Congo. Et c'est, dit-il, aussi dans l'intérêt de l'Allemagne, qui a intérêt à voir le Congo annexé, mais uniquement dans les meilleures conditions pour la Belgique.... Ne dirait-on pas que ces gens ont plus confiance dans la Nation que dans vous, Sire ? Il est absolument nécessaire, dit la « Frankfurter Zeitung », que vous vous soumettiez à la volonté de vos ennemis de la commission coloniale ; car si vous rendez impossible pour la Belgique de prendre le contrôle du Congo, - en restant attaché, par exemple, au domaine royal, - cela pourrait avoir les conséquences les plus néfastes : l'hégémonie anglaise en Afrique confirmée par une nouvelle colonie franco-anglaise : le Congo, que la France a le droit de préemption, mais qu'elle partagerait amicalement avec l'Angleterre.... Cela serait désagréable pour l'Allemagne, semble-t-il.

« Et l'Angleterre semble également ne pas apprécier que le Congo reste sous un régime absolutiste. Les puissances qui ont signé l'Acte de Berlin attendent plus pour les populations indigènes d'un gouvernement populaire et ouvert en plein jour que ce qu'elles n'osent espérer de vous, Sire. Que pensez-vous de cette prétention ? N'est-ce pas suffocant ? Étouffez-vous, Sire ? »

Mais Sire ne s'étouffait pas, restant à sourire de manière ambiguë. Après un moment, le ministre de Trooz continua :

« Et dans le pays, ça ne va pas mieux. Woeste, notre ami Woeste, qui avait déjà pris les devants, n'a actuellement plus d'énergie qu'un mollusque que je ne nommerai pas. Il fricote presque avec l'ennemi. Lui, qui avait promis solennellement de soutenir la merveilleuse proposition que vous avez bien voulu nous soumettre, nous, humbles et reconnaissants ministres de Votre Majesté, il laisse notre projet de loi être piétiné, et il est sur le point de le transformer en tapis pour sa propre bamboche.... Et pire encore : dans le ministère lui-même, ce n'est pas la tranquillité. Quelqu'un voulait s'en aller. D'autres nous rendent ridicules. Je ne demande pas mieux que de rester aussi longtemps que possible, vous le savez, Sire ; cela ne sera donc pas ma faute, si une crise imminente... »

À ce moment, Léopold II sortit de son impassibilité royale :

« Une crise, une crise ! Mais êtes-vous fou, de Trooz ? Auriez-vous envie de me clouer de nouveau sur mon trône belge pendant trois semaines, sans même une escapade sur la Riviera, comme en avril ? »

... Sur ce, semble-t-il, la conversation a pris fin...


Nouveaux balais

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 novembre 1907)

Brussel, 13 novembre 1907

Nous avons donc une fois de plus contribué à ouvrir la session parlementaire pour 1907-08. Par un temps très agréable, nos députés et sénateurs se sont réunis à nouveau pour quelques mois, dans le but de se distraire ou de s'occuper agréablement, sous prétexte de servir l'État, ses institutions et ses nécessités... Et à la Chambre - je n'étais pas présent au Sénat, faute du don d'omniprésence - la séance d'ouverture a été plutôt faible, et je ne vous la décrirais certainement pas si un mot, ici et là, n'avait pas été prononcé de manière très officielle et revêtant une importance particulière pour le pays et son avenir.

Je ne m'étendrais donc pas sur le fait que le président Schollaert n'a été reconduit à la tête de l'assemblée que par une faible majorité. On semble oublier que M. Schollaert a souvent fait preuve de beaucoup de prudence, d'autorité et, dans la plupart des cas, d'une véritable impartialité en tant que président, pour se rappeler que son attitude lors du deuxième vote sur la loi minière et lors de son retrait suite au arrêté royal entraînant la démission du ministère, n'était peut-être pas entièrement justifiable, même si M. Schollaert plaidait dans les deux cas la méprise et la surprise. Quoi qu'il en soit, la gauche s'est largement abstenue lors de sa réélection en tant que président.

Pourtant, le président réélu a précisément concocté une sauce pour les adversaires les plus farouches de la politique gouvernementale - dont on lui reprochait, par son abstention de vote, d'être un partisan trop attaché -, une sauce dont ils se lèchent encore les doigts, même s'ils pensent devoir dissimuler leur satisfaction derrière le prétendu « bien balayer avec de nouveaux balais ». Oui, le discours d'ouverture, le discours officiel de M. Schollaert, ressemblant presque à un discours du trône, contient, prononcées avec force, des paroles qui ont certainement été bien accueillies tant par le camarade Vandervelde que par M. Beernaert, tant par Hymans que par Janson. Est-ce le prélude à la « grande nouvelle » que l'on nous promet depuis quelques jours, dont certains journaux font état et dont je parlerai plus tard ?... Mais permettez-moi de commencer dès le début.

Il y a quelques semaines déjà, on disait : « La reprise de l'État indépendant du Congo ne sera pas discutée lors de cette session. Cependant, le traité de reprise est globalement prêt, mais il y a encore quelques obstacles qui retardent sa présentation. »

J'ai cherché des informations, et voici ce que j'ai découvert : Nous pouvons considérer le traité comme prêt, mais il ne sera certainement pas discuté très rapidement, car... Entre-temps, Léopold II s’est rendu officiellement à Bruxelles. Il a conféré avec le ministre de Trooz. Il semble qu'il ait secrètement convoqué d'autres personnes. Il occupe même le Palais de Bruxelles, comme s'il y restait pour une longue période... Et la Chambre est ouverte, et le président réélu Schollaert, ami et collaborateur du ministère qui a présenté le projet de loi autocratique, médiateur entre le Roi et le ministère lorsqu'il s'est agi de former un nouveau gouvernement, laisse solennellement échapper les paroles prophétiques suivantes avec force de sa bouche.

« Bientôt, vous devrez, avec une totale indépendance, sans autre préoccupation que le bien-être de notre patrie, examiner la question sérieuse des conditions de reprise du Congo. Notre Roi a ouvert de nouveaux horizons au pays. Nous aborderons avec une énergie sans préjugés, avec la conscience de notre droit, avec le sentiment de notre honneur national, le problème le plus important auquel la législation belge ait jamais été soumise... Ensemble et d'un commun accord, conscients uniquement de notre qualité de Belges, nous rechercherons la solution la plus avantageuse pour le développement du bien-être moral et matériel des autochtones, ainsi que pour l'accroissement de notre prospérité nationale. »

Un tel discours inattendu ne manquait pas de susciter l'étonnement. Ne donnait-il pas satisfaction même aux critiques anglais concernant les mauvais traitements infligés aux Noirs ? Ne parlait-il pas de l'annexion comme d'un fait accompli, étant donné que, en ignorant la formalité de la reprise, des mesures d'aménagement étaient déjà évoquées ?

Certains disaient : « Nouveaux balais... » - Mais ce serait méconnaître grandement la prudence de monsieur Schollaert que de le croire capable d'une telle supercherie et de brouiller les pistes, au moment où nous allons être confrontés à une terrible question d’existence, au moment où le Roi lui-même séjourne dans le pays, et où l'assertion du président Schollaert ne sera certainement pas passée inaperçue... Imprudence ? Non. - Fourberie ? Mais les mots sont si expressifs, les expressions si choisies, si précises et si sans équivoque, que le premier trompé ici serait certainement le président Schollaert, s'il s'avérait qu'il avait voulu tromper le Parlement !

Il ne restait qu'une seule explication : renoncement, de la part du Roi, aux droits qui lui étaient les plus chers... Et en effet, il était rapporté que Léopold II cherchait à se débarrasser de toutes ses possessions congolaises ; il en avait soudain assez ; il punirait l'ingratitude de son pays par son indifférence, en retirant sa main du Congo, il retirait sa main de la Belgique.

Et il y avait plus : lui, le Roi, renoncerait au Domaine de la Couronne... C'était déjà trop incroyable pour être vrai. Il y avait plusieurs interprétations de la nouvelle. Vous en avez partagé une : le Roi conserverait le domaine de la Couronne, mais paierait un certain pourcentage à la Belgique sur le produit du caoutchouc. Une autre interprétation allait encore plus loin : le Roi abandonnerait en quelque sorte son intérêt dans le domaine de la Couronne, en confiant son exploitation à l'État ; l'État garderait 3,50 francs par kilogramme de caoutchouc ; le reste appartiendrait au Roi ; le traité ne serait signé que pour cinq ans, après quoi l'État aurait le droit de le résilier... C'était encore plus beau : ce n'était pas l'État, mais le Roi qui recevrait maintenant 3,50 francs par kilo de caoutchouc ; la plus grande partie, quant à elle, reviendrait à la Belgique ; Léopold II laisserait en outre entièrement la gestion du domaine de la Couronne à la discrétion de la Belgique, et renoncerait même à tous les droits souverains sur le Congo... Et enfin l'apothéose : il aurait été proposé au Roi de céder entièrement le domaine de la Couronne à la Belgique, moyennant une nouvelle liste civile de 3,5 % sur son rendement...

Que croire de tout cela ?... J'ai parlé hier à des politiciens très sérieux, qui m'ont répondu : « Qui sait ? Le moment, l'évolution des événements, l'opinion publique, tout semble défavorable aux exigences du Roi. Il ne fait aucun doute qu'une solution satisfaisante doit être trouvée. Est-ce que la forme quadruple de cette nouvelle est le présage d'un arrangement, tel qu'il peut également être prédit par les paroles masculines et résolues de monsieur Schollaert ?... Attendons jusqu'en janvier ; alors nous saurons certainement où cela nous mène. »

D'autre part, un « Congophobe » m'a dit : « Toutes ces nouvelles : des sornettes et des balivernes. Nous voulons être absolument maîtres dans notre colonie. Aucune demi-mesure n'est concevable ici ; des arrangements à l'amiable ne sont pas envisageables, sauf par nous. À droite comme à gauche, l'opposition est d'avis qu'il ne peut être question de reprise si tous les droits de la métropole ne sont pas préservés et respectés. C'est la ligne de conduite que nous ne choisissons pas de dévier. La question est suffisamment sérieuse pour être traitée sérieusement et strictement. Nous avons tout le temps, et nos adversaires devront bien admettre que notre cause est trop bonne pour que nous ne l'emportions pas. »

C'est ainsi que se présente la question du Congo au début d'une session qui décidera de notre avenir en tant que puissance coloniale. Les paroles présidentielles étaient pleines de promesses. Que prédisent ces promesses ? Les rumeurs sont si inattendues et si étranges, la manière dont elles sont accueillies si méfiante, le tout si incertain et si précipité, que cela ne me viendrait certainement pas à l'esprit de le prédire. Attendons donc - et en attendant, pour passer le temps agréablement, partageons ce qui se dit parmi les gens....


Délégués belges à la conférence de paix de La Haye

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 novembre 1907)

Bruxelles, 19 novembre 1907

On ne manquera pas de vous informer que, après une « fausse entrée » de la semaine dernière, c'est seulement aujourd'hui que la Chambre a finalement tenu sa « grande première ». Les députés, pas encore débarrassés de leurs habitudes de vacances, s'étaient accordé une semaine supplémentaire de congé dès le premier jour de la session. Ce n'était rien de plus qu'une mesure pour mesurer la hauteur du soleil, tâter le sol, respirer l'air pour se prémunir ou se rassurer contre les dangers de la politique. Tel Antée, les membres de la Chambre étaient venus voir si le terrain allait céder, s'ils allaient rebondir après la chute. L'expérience a dû être satisfaisante : cet après-midi sur le terrain politique élastique, Messieurs Vandervelde et Davignon, Woeste et Beernaert, ont dansé la première quadrille parlementaire.

Et ce fut une belle séance d'ouverture. Non pas que les quatre partenaires soient d'une force égale : le camarade Vandervelde est un danseur plus léger que le ministre très correct mais très froid Davignon, et chacun sait que Beernaert sait tourner avec beaucoup plus de grâce et d'élégance que Woeste, qui reste raide sinon contraint, solennel sinon glacial. Nous avons donc apprécié les courbettes et les révérences, et si la danse n'a pas rapporté grand-chose à certains danseurs - Woeste et Davignon, notamment, dont le temps en tant que premiers danseurs est définitivement révolu - et... un peu de vent et de poussière dans la salle, les spectateurs semblaient visiblement amusés ; et, comme je l'ai dit : cela a été un bel échauffement pour l'ouverture...

Vous saurez déjà qu'il s'agissait de l'attitude des délégués de la Belgique lors de la Conférence de La Haye pour la paix. L'un des délégués, M. Beernaert, avait laissé en plan ses collègues, l'ancien ministre Van den Heuvel et notre ambassadeur le baron Guillaume, lors de la question de la cour obligatoire ou de l'arbitrage. Ou plutôt, M. Beernaert avait refusé de donner sa voix et son approbation au gouvernement belge, qui exigeait que ses représentants rejettent l'arbitrage obligatoire aux côtés de l'Allemagne. M. Beernaert avait présenté sa démission, était retourné de La Haye à Bruxelles. Ce n'est que lorsque le gouvernement lui a permis de décliner toute responsabilité dans la question et de maintenir toute liberté de jugement lors du vote, qu'il est retourné à la Conférence et au soixante-quatrième banquet de la paix.

Il y avait donc apparemment eu des désaccords au sein de la délégation belge. Le gouvernement avait en outre imposé une opinion sur l'arbitrage obligatoire qui avait été combattue par l'un de ses délégués, le doyen, celui qui avait le plus d'expérience. Le très curieux Vandervelde voulait en savoir plus à ce sujet, et aujourd'hui il a attaqué le ministre embarrassé des Affaires étrangères, M. Davignon, qui ne pouvait certainement pas être ravi que les vacances se terminent si rapidement...

Et avant même que Schollaert n'ouvre la session, on a vu deux des champions entrer ensemble sur le champ de bataille : le camarade Vandervelde, de plus en plus dégarni, et Beernaert, qui s’agite beaucoup et a l'air contrarié. Vandervelde, secouant les épaules, et G. Helleputte, souriant et zélé, prennent la place de Beernaert. Mais même lui, peut-être allait-il implorer la grâce de Davignon, est rabroué... Maintenant c'est Woeste qui entre, maigre et petit à côté du général Hellebaut, à qui il demande probablement aide et assistance dans un cas d'urgence... Pieter Daens remet une pétition au ministre Renkin. Le ministre Delbeke entre en veston matinal : on peut commencer.

Et l'éloquence de Vandervelde coule comme la lumière de la lune sur un toit de chaume.

C'est bien beau, pense-t-il, la conférence de La Haye. Conférence de paix ? Ah, allez donc, appelez-la plutôt conférence de guerre ! Car que font les quatre commissions ? Elles s'occupent d'arbitrage, de guerre terrestre, de guerre maritime et de réglementation maritime ! Certes, quelques décisions de moindre importance ont été prises. Mais lorsque le Tsar a convoqué la première conférence et qu'il s'agissait de réduire les armements et d'instaurer une cour d'arbitrage obligatoire, n'était-ce pas pour constater que malgré les conférences de paix, les dépenses militaires mondiales passeraient de six à neuf milliards ?

Eh bien, on a exprimé de pieux souhaits, mais d'autre part, on a voté de nouveaux crédits pour les navires cuirassés ; et en ce qui concerne l'arbitrage : où est la Belgique, où Descamps-David, tout comme Beernaert, initialement à la tête du mouvement, voit Descamps, au fur et à mesure qu'il devient chevalier puis baron, terminer en tant que ministre, fléchir et se retourner. Il commence par proposer en 1899 une nouvelle formule qu'on devrait appeler tribunal facultatif-obligatoire. En 1906, sa proposition est écartée à Londres lors du congrès interparlementaire, alors que Beernaert se tient aux côtés de Campbell-Bannerman pour défendre l'arbitrage obligatoire, aussi inconditionnel que possible. L'adhésion générale laissait entrevoir le meilleur pour la conférence de paix. On a également vu immédiatement l'Angleterre proposer avec le Portugal l'arbitrage obligatoire pour toutes les questions juridiques ne touchant pas à l'honneur des nations. L'Allemagne fait des difficultés ; la Belgique, par la voix du baron Guillaume, participe, de sorte que ledit baron, pour sa germanophilie, est immédiatement baptisé Guillaume II. Stead, bien informé, donne la raison : la Belgique n'est rien de plus qu'une colonie du Congo... Beernaert, cependant, ne veut plus participer. Il vient à Bruxelles. Vous connaissez la suite ; nous avons vu ceci : les délégués d'un pays officiellement séparés sur une question fondamentale...

On vote ; cinq pays sont contre la proposition : la Grèce, descendant des héros belliqueux de l'Iliade, l'Autriche-Hongrie qui suit l'Allemagne en raison de la Triple Alliance, l'Allemagne elle-même qui ne veut pas voir sa politique d'expansion contrecarrée, la Suisse pour des raisons peu compréhensibles, enfin la Belgique, « parce que », dit Guillaume II, « l'arbitrage obligatoire n'est pas acceptable lorsqu'il s'agit des intérêts vitaux du pays. »... Malgré cela, la mesure est adoptée avec une écrasante majorité ; mais l'Allemagne proteste, exige l'unanimité des voix ; l'Italie trouve une petite « combinazione » dans laquelle la question est détournée et on parle du « cœur de l'humanité », et cette fois, la Belgique est satisfaite, et le doux Van den Heuvel chante son approbation...

Et quelle est la leçon de tout cela ? Nous voyons les véritables pays libéraux : l'Angleterre, la France, les États-Unis exiger l'arbitrage obligatoire. Et en face ? L'Allemagne militariste, quelques États sans importance, et la Belgique, où aucun parti libéral n'est plus trouvé pour critiquer le gouvernement, la Belgique, qui ne connaît plus que deux partis, un pour et un contre le Congo ; car tout tourne désormais autour de cela, même dans cette question concernant la conférence de paix...

Mais a-t-on oublié la signification morale d'un vote sur une question comme l'arbitrage obligatoire ? A-t-on réfléchi à ce que cela signifie de refuser l'arbitrage obligatoire à un petit pays, impuissant, de surcroît neutre ? Ou le gouvernement est-il soudain devenu si belliqueux, le gouvernement avec son armée de remplaçants et ses casernes dépeuplées ? Non ; mais le Roi des Belges et ses ministres ont subi l'influence du souverain de l'État indépendant du Congo, qui n'aimerait pas voir un arbitre fourrer son nez dans ses affaires congolaises, au cas où des troubles éclateraient, par exemple, avec l'Angleterre... Car quelle autre explication donner ? Que l'Allemagne refuse, c'est regrettable, mais aux yeux de son gouvernement, peut-être nécessaire. Mais la Belgique ? C'est tout simplement ridicule ! - Je demande des comptes sur cette absurdité...

Ainsi va Vandervelde, avec force et insistance, sûr d'une victoire facile d'avance....

Car ce ne serait certainement pas le ministre Davignon qui le convaincrait de son tort. Le ministre Davignon ne le tente même pas. Il garde un visage digne et commence : « Quand le Tsar Nicolas II, en… » On s'attend à ce qu'on lui crie : « Passons le déluge ». Mais même cet effort n'est pas fait. On laisse monsieur Davignon lire tranquillement son rapport : retracer finement l'histoire de la conférence de paix ; déclarer avec conviction que la Belgique y a participé ; boire une gorgée d'eau quand il le faut ; trouver que l'arbitrage obligatoire sur les questions juridiques est impossible car cela pourrait soulever des questions politiques ; trouver que les textes sur lesquels on devait voter étaient obscurs, trop obscurs ; rendre hommage au baron Guillaume ; rendre hommage à monsieur Beernaert ; se rendre hommage à lui-même ; assurer qu'il n'a rien, rien, rien fait d'autre que son devoir...

Et ensuite, dans l'indifférence générale, le ministre Davignon se rassied, heureux d'être débarrassé de ces trente-deux pages de texte de machine à écrire. Mais cette indifférence calme se transforme soudainement en frayeur quand on voit Woeste se lever et commencer : « Quand le Tsar Nicolas II, en... »

Car même monsieur Woeste juge nécessaire de recommencer l'historique de la question. Et voilà : monsieur Woeste est, pour une fois, d'accord avec son compagnon Vandervelde. Non, les conférences de la paix n'ont pas donné ce qu'on en attendait. Pourquoi ? Parce que je n'étais pas là, pense monsieur Woeste, et mon ami Beernaert l'était. Mais monsieur Woeste n'émet pas cette opinion personnelle ; il reste sur le point d'interrogation comme une danseuse sur la pointe des pieds, et n'examine que la position des délégués belges. Et, cela va de soi : Beernaert a tort, et les deux autres ont raison. Car voyez... Et ici, monsieur Woeste commet l'erreur la plus grossière qui soit : il défend l'idée que la Belgique aurait effectivement tort d'accepter l'arbitrage si un différend avec une autre puissance concernant le Congo devait éclater. Il donne ainsi raison à Vandervelde, lorsque celui-ci soupçonnait quelque chose de louche dans les affaires congolaises et disait que la Belgique était désormais à considérer comme une colonie congolaise. Et une fois de plus, monsieur Woeste prouve, dès qu'il sort du cadre étroit de la politique belge, qu'il ne peut rien faire d'autre que radoter et balbutier et mettre ses propres amis dans le pétrin...

Ils ne sont donc apparemment pas satisfaits de lui, ses amis. De Trooz parcourt la salle, ses petites mains sur son ventre, le regardant de temps en temps avec des regards las et désapprobateurs. Verhaegen, rouge comme une dinde, tambourine nerveusement. Les autres, comme convenu, donnent un avant-goût du silence de la tombe lorsque monsieur Woeste a fini de déclamer...

Mais l'attention va renaître comme un dormeur sur qui on aurait versé un seau d'eau, lorsque monsieur Beernaert, mordant et sarcastique, mais avec une certaine compassion bienveillante dans la voix, commence à parler.

Comment ça, les conférences de la paix n'ont jamais rien accompli ? Mais même le parlement belge n'a jamais absorbé autant de travail ! Nous y avons siégé jusqu'à sept heures par jour, Messieurs... - Que l'armement n'ait pas diminué ? Mais l'Angleterre, la puissante Angleterre a fait des propositions en ce sens ; et n'est-ce pas symptomatique ? - Et l'arbitrage obligatoire ? Mais oubliez-vous l'ingérence du droit dans ce qui était jusqu'à présent laissé à la discrétion de chaque peuple ; et estimez-vous cela si mince ?... Certes, nous n'avons pas souhaité qu'une fenêtre soit ouverte, permettant à l'opinion publique de jeter un coup d'œil à l'intérieur. Et c'est ce qui rend monsieur Woeste furieux ; mais cela l'a aussi empêché de voir ce qui a été accompli de grand... - Monsieur Woeste a parlé très légèrement de l'arbitrage. Il pense que je veux soumettre tous les cas possibles à l'arbitrage obligatoire. Mais c'est une erreur ; personne n'ira aussi loin ; chacun reconnaît que lorsque l'honneur de la nation est en jeu, l'arbitrage obligatoire doit se taire. Il y a donc des cas d'ordre politique qui excluent cette obligation. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas exister, que la loi du progrès exige qu'elle existe, surtout là où elle peut exister. Elle existe d'ailleurs dans cent cas, comme, entre autres, depuis 1864 pour les postes. La Belgique trouvait cela très bien à l'époque. Maintenant, en 1907, on vote contre à La Haye...

Que le Congo ait quelque chose à voir avec ce changement d'attitude ? Je ne le crois pas, puisqu'il existe un traité entre l'Angleterre et le Congo qui inclut l'arbitrage.

Que la Belgique aurait été entraînée par l'Allemagne dans cette affaire ? Tout d'abord : la Belgique a exprimé son opinion avant que l'Allemagne ne le fasse. Et puis, quel intérêt la Belgique aurait-elle à rouler dans la farine l'Allemagne ? Il y a peu à espérer de l'aide allemande dans un conflit avec l'Angleterre concernant le Congo...

Je reviendrai sur cette question lorsque le projet de loi relatif à la Convention de La Haye sera discuté. Alors je défendrai l'opinion qui est la mienne, à savoir que les petits pays, comme le nôtre, ont surtout intérêt à ce que les principes de l'arbitrage obligatoire triomphent....

Sous les applaudissements nourris, monsieur Beernaert mit ainsi fin à un débat d'autant plus important pour ceux qui savaient que monsieur Vandervelde avait été entièrement documenté sur la question par monsieur Beernaert. La répartition des rôles en ressortait d'autant mieux dans toute sa subtilité ; le plaisir en était doublé ; la comédie prenait ainsi une signification plus fine...

Et, comme après chaque drame, une farce est habituelle, après ces longs discours, nous avons eu un épilogue plein d'esprit. Vandervelde ne voulait pas déposer de motion de blâme, car il était sûr de la voir rejetée par la majorité cléricale ; il proposait donc simplement de passer à l'ordre du jour. Woeste également, mais pour une raison opposée. De même pour Hymans, auquel Huysmans s'est rallié, car il n'avait pas encore de jugement mûr sur la question. Et donc, on allait se quitter en bons amis, quand Janson a déclaré avec tout ce sarcasme qu'il n'était pas satisfait. Il ne voulait pas passer sous silence « la honte infligée par la Belgique à la conduite du ministre »... On allait donc voter une motion de désapprobation. Mais Beernaert s'est retiré ; tous ceux qui pensaient comme lui dans son parti l'ont suivi, et lors du décompte final, il s'est avéré que sur 166 membres, seuls 64 étaient présents... Et tout s'est donc terminé par « et le loup mangea le petit chaperon rouge » des contes pour enfants....


Le Roi, le Congo et la session parlementaire

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 novembre 1907)

Bruxelles, 20 novembre 1907

Ne pensez pas que j'ai écrit ce titre pour vous montrer quelles belles allitérations on peut trouver en néerlandais [n.d.t. : Koning, Kongo en kamerzittijd] : ce sont les circonstances, qui appellent plus à la gravité qu'à la plaisanterie, qui réunissent ces trois mots, indissociables dans la politique belge du jour.

Je vous ai écrit que nous avons eu l'honneur et le plaisir de passer toute une semaine avec le roi Léopold à Bruxelles. Cet honneur et ce plaisir, accrus par le fait que notre Roi semblait prendre plaisir à se faire carrossier dans les rues de sa bonne ville de Bruxelles « à la Daumont », n'étaient pas sans espoir. Les journaux et certaines personnes bien informées n'ont pas manqué de donner forme à cet espoir. Les choses les plus incroyables nous ont été promises, et je n'ai pas manqué de vous en rendre compte. Que cet espoir ait été complètement vain et sans fondement, cela a été contredit par le fait que le roi Léopold avait eu de longues conversations avec le chef de cabinet de Trooz. J'ai été en mesure de vous révéler le secret de ces conversations. Tout le monde savait d'ailleurs que le but de la visite du Roi dans la capitale était de s'informer et de se rassurer sur ce qui se rapporte au Congo. La splendeur de son apparition, si inhabituelle, parmi nous était la meilleure preuve qu'il tenait à affirmer clairement qu'il était venu pour les affaires du pays. Cela allait plus loin : il a été officiellement communiqué que le Roi souffrait de ce que l'on appelle à Anvers le « pootje », à Gand « les bestioles », et à Bruges « les petits problèmes », et ce que l'on appelle en bon néerlandais « la goutte » ; et n'était-ce pas un signe merveilleux de son intention de servir le bien-être du pays, que, malgré une maladie qui l'obligeait impérativement à rester à Paris sous les yeux de son médecin personnel français, le Roi soit venu à Bruxelles pour discuter très sérieusement avec celui qui le remplaçait à la tête du gouvernement, avec le rondouillard, désabusé et audacieux de Trooz?... Ses sujets l'ont constaté et ils ont presque jubilé. Léopold II allait-il enfin murmurer avec Jan Frans Willems : « Mon pays n'est pas trop petit pour moi » ? La maladie l'avait-elle convaincu de la « vanité des vanités » du monde à tel point qu'il avait tourné le dos aux pompeux du Sud, venant apporter à son peuple la joyeuse nouvelle : « soyez heureux dans votre mariage avec le Congo; moi, le père de la mariée, je me contente de la perspective de votre bonheur, sans, comme un véritable beau-père congolais, demander autant de têtes de bétail, autant de mesures de riz et autant de poules vivantes en compensation pour ma fille » ? - Car ces grands enfants de Belges avaient vraiment osé le croire : Léopold II vient vraiment pour y mettre fin; la Chambre va rouvrir; le travail de la Commission des XVII touche à sa fin; le traité de reprise est prêt et nous est promis pour bientôt; le ministère a cédé : il est temps de voter...

Mais vous avez bien deviné : soudain le Roi ressent les petits problèmes attaquer son talon gauche plus violemment que jamais; les bestioles mordent comme après une longue famine; le « pootje », rouge et enflé, menace d'éclater. Il doit retourner auprès de son médecin parisien, et... a visité hier au Grand Palais le « Salon de l'Automobile », assis lui-même dans son teuf-teuf, prouvant ainsi que ses préoccupations concernant la colonie du Congo s'étaient évanouies pour de bon.

Et en effet : le traité de reprise n'est pas déposé à la Chambre; encore une fois on entend dans les coulisses de la Chambre : « Ce ne sera pas pour cette année »; le ministre de Trooz hausse désespérément les épaules devant les députés interrogateurs, et son valet de chambre me fait savoir : « Léopold II a par erreur mis le traité dans sa poche, il doit être maintenant à Paris, qui sait entre quelles mains! »...

Personnellement, je n'ai pas confiance en les valets de chambre. « Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre », dit Voltaire; et moi-même, je ne peux croire que le premier ministre, après avoir cédé à la commission des XVII, ne soit pas autant convaincu de son honnêteté qu'il n'aurait pas défendu les droits et les exigences du pays devant le Roi; je suis convaincu qu'il a lutté pied à pied, soutenu par quelques-uns de ses collègues, contre les concessions faites par le Roi ou plutôt par ses amis auxquels il avait donné permission, concédant du terrain à l'opposition; je mettrais ma main au feu qu'il a dû dire : « Sire, j'ai promis, dans quelques jours, de présenter le traité de reprise avec tous les comptes nécessaires et les papiers; il a été, selon ma conscience, rédigé pour votre bien autant que pour celui du peuple, par les plénipotentiaires; je ne doute pas que vous serez disposé à le soutenir avec nous, puisqu'il ne fait rien d'autre que de faire de votre héritage à l'avance un véritable héritage royal. »

Voilà ce que j'imagine de monsieur de Trooz. Hier cependant, il se promenait dans la Chambre avec un visage, avec un visage... Je devrais ici citer Dante, concernant les âmes du purgatoire. Mais pardonnez-moi : je ne me souviens pas des mots pour le moment...


Le Flamand et la cour d'assises du Brabant

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 7 décembre 1907)

Bruxelles, 5 décembre 1907

Dans un essai publié l'année dernière dans la revue « Vlaanderen », dont le « Nieuwe Rottendamsche Courant » a reproduit des extraits, Aug. Vermeylen a décrit, d'après ses propres observations, comment un Flamand ne connaissant pas le français est traité devant la cour d'assises du Brabant. Jusqu'à hier, la loi imposait que les réquisitions et plaidoiries soient exclusivement en français; ainsi, ceux qui ne maîtrisaient pas le français - sur une population de 853 430 habitants dans l'arrondissement de Bruxelles, 340 635 ne connaissent que le flamand ou ne l'utilisaient que comme seconde langue, mal comprise, limitée à peu de mots pour peu de concepts, souvent déformée, ne servant qu'aux besoins quotidiens - et ils sont 294 901 dans ce cas, de sorte qu'il n'y a que 144 723 francophones exclusifs, un chiffre certainement contestable - ; ceux donc, qui en tant que Flamands, représentant sept huitièmes de la population, pensaient avoir le droit d'être jugés et condamnés dans leur propre langue, la seule qu'ils puissent réellement comprendre, restaient sur leur faim : la loi ordonnait qu'ils soient jugés en français, exclusivement en français, et que la langue de moins d'un huitième de la population, dont il n'est même pas sûr qu'ils la comprennent exclusivement, soit dominante et légitime.

Ici, on ressortait naturellement la vieille plaisanterie : peu importe la langue dans laquelle on finit derrière les barreaux ! Ce à quoi on pourrait répondre par une question : Qui sait si l'utilisation d'une autre langue ne l'aurait pas empêché de finir derrière les barreaux ? Se défendre, même pour un coupable, est essentiel; a fortiori, il faut donner à celui qui est peut-être innocent les moyens de se défendre. Et que le régime français sous lequel nous ployions nous privait de ces moyens, la pratique l'a trop souvent prouvé.

L'essai de Vermeylen en donnait un exemple typique. Un vieil homme difforme est accusé du meurtre de sa femme devant une cour d'assises française, devant un jury ne connaissant pas le flamand - ou ayant le droit de ne pas le connaître, ce qui revient au même. L'homme était-il coupable ? Peu importe : il avait le droit de se défendre, et cette défense était : « Ik heb het gedaan met een goed gedacht » - Le président, ne comprenant pas le flamand, fait traduire les mots ; et la traduction est : « J'ai fait le coup de propos délibéré », - donc avec préméditation.

Quiconque connaît un peu le flamand sait que cette traduction est absurde. « Met een goed gedacht » ne peut en aucun cas signifier « avec préméditation ». Et pourtant, que voyons-nous ? Le président, le ministère public, et, par conséquent, le jury ne comprenant pas le flamand, trouvent dans cette traduction, qui peut-être dit le contraire de ce que racontait ce pauvre homme mal articulé, une raison, un argument pour le condamner. Et le pauvre homme aura beau protester ; il pourra clamer son innocence : n'est-il pas écrit officiellement : « J'ai tué délibérément » ? et cette traduction erronée, faite par un traducteur assermenté - probablement un homme de bonne foi, mais qui peut se tromper malgré le serment prêté, surtout lorsqu'il s'agit de rendre dans des mots français, avec toute la formalité française, un dialecte très particulier, pauvre et limité - ne le livre-t-elle pas sans recours aux mains du geôlier ? Sans recours, puisque toute la procédure judiciaire, de haut en bas, dans l'arrondissement de Bruxelles, est calquée sur ce modèle.

Voilà une preuve que le Flamand est traité de manière injuste dans son propre pays, une preuve que la loi de 1889, qui stipule que tout accusé a le droit d'être jugé dans sa propre langue - un droit qui de fait, pour les Flamands, n'existe plus en Wallonie - que cette loi, même dans la partie flamande du pays, est une lettre morte pour un Flamand.

Demander à partir de là la flamandisation totale de la justice dans l'arrondissement de Bruxelles serait bien sûr un pas de géant. Il faut être assez accommodant pour préserver tous les droits de la défense : mieux vaut être défendu en français, et bien défendu, qu'en flamand, et mal. Un Flamand ne connaissant pas le français peut parfaitement choisir un avocat qui le comprend bien, mais qui ne plaiderait pas forcément en flamand. L'éducation de la jeunesse est encore telle ici, que la classe aisée préfère mépriser le flamand, même dans l'enseignement. Il faut donc, pour le moment du moins, laisser une certaine marge d'interprétation. Imposer que toute la procédure judiciaire dans l'arrondissement de Bruxelles soit exclusivement et inconditionnellement en flamand aurait donc été prématuré, à l'exception de la question de principe. Car le changement souhaité dans une affaire pendante devait être la reconnaissance de la validité d'un principe : avec les principales conséquences de ce principe : un président et un jury flamands ; l'assurance donc d'une direction compréhensive et d'un jugement compréhensif de l'affaire, garanti au principal intéressé : l'accusé.

Car c'est de cela qu'il s'agit. Tous ceux qui ont pu observer combien une affaire d'assises est parfois peu impartiale, et combien... un jury désemparé de classe moyenne, non versé en droit, doit faire face à des questions souvent complexes, comprendront qu'il n'est que juste de demander que les membres, que la cour comprennent ce qui leur est soumis, et que tous les obstacles, y compris ceux de la traduction assermentée, soient éliminés, sans même parler des droits de l'accusé.

M. Van der Linden, le tenace, bileux, jaloux et si honnête représentant flamand de Bruxelles, avait déposé il y a deux ans déjà un projet de loi en ce sens : une double liste de jurés, une flamande et une française, serait établie ; et : si l'accusé parle flamand, la poursuite pénale - tout en préservant, bien entendu, tous les droits de la défense - se ferait en flamand. Ce projet de loi a été adopté hier en première lecture avec l’approbation d’une grande majorité. C'est un vrai soulagement, pour tous ceux qui pensent librement, de savoir que les Flamands ont encore fait un pas en avant, non seulement dans le domaine de leur droit, mais aussi de la justice...

Dire que cela s'est fait sans difficulté serait faux. Il aurait été trop étonnant que les Wallons n'aient pas mis de bâtons dans les roues. Ainsi, les restrictions au projet de double liste de jurés ont été nombreuses. On a mis en doute la signification judiciaire du jury tel qu'il existe actuellement; - et ils avaient peut-être raison. Mais en conclure qu'un jury dont tous les membres seraient flamands serait de ce seul fait inférieur, c'est une conclusion que nous préférons laisser à ceux qui la tirent : il nous semble au contraire logique de penser qu'un tel jury comprendrait beaucoup mieux la mentalité flamande particulière d'un accusé et serait donc plus à même de juger avec justice et finesse.

D'autres arguments contre le projet ont été encore plus facilement réfutés, de sorte que M. Van der Linden a triomphé sans difficulté, - du moins pour ce qui est de l'adoption de son projet. Les pauvres Flamands de l'arrondissement de Bruxelles - et je n'en connais pas qui soient moins bien placés pour la stricte reconnaissance de leurs droits, se tenant entre une population wallonne et une administration régionale systématiquement anti-flamande ; et je ne parle même pas du peuple lui-même, qui doit servir une bourgeoisie francisée et lutter contre l'audace wallonne - les Flamands de Bruxelles et des environs de Bruxelles doivent encore une fois remercier M. Van der Linden : pour quiconque sait combien il est difficile d'obtenir ici ce qui ailleurs semble aller de soi, il est de notre devoir de rendre hommage à ces personnes qui, sans bruit, mais avec une persévérance tenace, poursuivent et accomplissent cette simple chose : la logique.


Le traité d'annexion [du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 15 décembre 1907)

Bruxelles, le 13 décembre 1907

Je ne voulais pas vous écrire au sujet du traité d'annexion entre la Belgique et l'État indépendant du Congo, qui a été déposé au bureau de la Chambre la semaine dernière, selon les mandataires du Roi des Belges et ceux du Souverain des Congolais sous les meilleures conditions, sans avoir personnellement entendu l'avis des personnes bien informées sur ce traité. J'ai consulté plusieurs personnes compétentes et écouté quelques discussions parlementaires. Le résultat de mes recherches n'est ni très encourageant pour les signataires du traité, ni réjouissant pour les Belges, qui devront de toute façon finir par prendre en charge cette colonie africaine.

Les journaux belges ont publié, sous une forme résumée, le traité d'annexion ainsi que la note explicative à leur intention. Ce document - je parle de la note pour la presse - est indéniablement tendancieux ; il suscite des soupçons inutiles ; il insiste trop sur certains points pour convaincre immédiatement ; par certains aspects délibérés, il peut étouffer un enthousiasme possible ; il aurait été préférable de laisser la note explicative seule s'exprimer, car elle ne cherchait pas à exercer une pression immédiate, sauf par la présentation habile de faits favorables. Cette note aurait facilement pu être omise, car elle suscite nécessairement des doutes même chez les personnes impartiales. L'impartialité exige donc de la mettre de côté et de nous tourner directement vers l'exposé des motifs et le traité d'annexion pour voir si et comment les débats parlementaires de l'année dernière et le travail de la commission des XVII ont influencé ce groupe de six mandataires. Ce traité et cet exposé - certains journaux l'appellent un prospectus - ne peuvent donc être traités qu'avec prudence : les documents sur lesquels repose les éléments probants n'ont été remis aux membres de la Chambre qu'hier ; et dans une affaire où l'examen personnel est légitime, il est d'une grande importance de tirer ses propres conclusions des arguments présentés et de pouvoir les comparer avec ceux du gouvernement. Cela nous a été difficile jusqu'à présent. J'ai donc préféré rester silencieux jusqu'à aujourd'hui.

Une question de principe se pose d'abord : dans quelle mesure la Belgique a-t-elle, en dehors du testament royal, un droit immédiat sur le Congo ? Car, n'est-ce pas, beaucoup de choses en dépendent ; tout cela détermine si des conditions restrictives doivent être acceptées ou non ; cela détermine le degré de refus et de gratitude ; cela fixe la véritable relation entre les deux parties. Si la Belgique possède des droits plus grands que ceux de l'offre royale, la Belgique a des raisons de se plaindre, et même davantage ; cela remet en question la grandeur, la générosité et la beauté de l'acte royal ; et cela détermine surtout jusqu'où le donateur a la liberté d'imposer des « conditions solennelles ». Et si les textes prouvent maintenant que la Belgique possède effectivement ces droits, il est alors crucial de tester les termes de la note explicative et du traité par rapport à ces droits et de voir dans quelle mesure l'autosatisfaction est méritée ou justifiée.

La Belgique possède ces droits en tout cas : la loi d'août 1890 permet à l'État indépendant du Congo d'emprunter vingt-cinq millions sans intérêt pendant dix ans, à condition que la Belgique ait le droit, six mois après l'échéance, de prendre possession de l'État libre avec ses biens, droits et avantages, et que l'État du Congo ne puisse conclure aucune nouvelle convention ou emprunt sans l'accord du gouvernement belge. Et en 1901, une nouvelle déclaration a été faite : tant que la Belgique n'aura pas réclamé les intérêts ou le capital des millions empruntés, elle aura un droit inconditionnel à l'annexion.

Confirmation donc par les textes de droits inaliénables et inconditionnels ; preuve aussi de l'illégalité des exigences royales. La note explicative continue néanmoins à imposer, entre autres, la conservation du domaine de la couronne comme condition, avec une défense, certes, de cette conservation, douce comme le miel et... collante comme la glu, sur laquelle je reviendrai bientôt.

Ainsi, les droits des Belges sont ignorés. Non seulement la note veut les méconnaître : elle parle des « obligations » qu'un futur « pacte des pouvoirs publics avec l'œuvre que le Roi a entreprise seul en 1885 » entraîne. Cela devient encore plus beau dans l'esprit des rédacteurs de l'exposé des motifs : nous, la Belgique, n'avons aucun droit ; lorsque nous avons prêté notre bel argent sans intérêt, rien ne nous a été accordé en retour ; mais au moment où le Roi, à qui nous avons donné en 1885 la permission de porter également la couronne du Congo - sans que cela nous coûte rien, bien sûr - au moment où Léopold II daignerait nous choisir comme gestionnaire du Congo en tant que compagnon prêteur, qui assumerait seul la responsabilité, il allait de soi que nous devions supporter toutes les obligations, toutes les obligations ?

Ces deux faits caractérisent la note explicative : la Belgique doit être reconnaissante à un Roi qui veut bien transférer sur elle la responsabilité de ses charges et dettes congolaises.

Jusqu'ici, l'esprit qui anime l'exposé des motifs n'est pas impartial, on en conviendra. Le texte du traité d'annexion est-il formulé de manière plus favorable ?

La motion, soutenue le 14 décembre dernier par la grande majorité de la Chambre - une victoire, écrivais-je alors, pour ceux qui n'aiment pas acheter un chat dans un sac, et à laquelle le gouvernement a humblement acquiescé ; le travail de la commission des XVII, où tous les droits du pays ont été défendus avec une obstination digne, qui a toujours gagné du terrain face aux souhaits royaux ; le texte de la loi coloniale qui en a résulté, où la question du domaine de la couronne a été réservée pour de plus amples discussions à la Chambre, et qui était rédigé de manière à ce que des personnes impartiales puissent le juger logique et complet : tout cela nous laissait espérer un compromis de la part des rédacteurs du traité d'annexion. Il s'agissait ici de montrer de la bonne volonté. Il est donc surprenant de lire dans le traité l'incroyable article IV, qui stipule ce qui suit :

« La date à laquelle la Belgique commencera à exercer ses droits souverains sera fixée par arrêté royal. Les recettes et les dépenses de l'État indépendant du Congo seront, à partir du 7 janvier 1908, à la charge de la Belgique. »

Avec, en annexe, cet « arrangement provisoire » :

« A partir du 1er janvier 1908, aucune dépense ne sera effectuée par l'État indépendant du Congo sans notification au Ministre des Finances de Belgique. »

Si la date précipitée pour le transfert de la comptabilité peut sembler étrange - dans quatorze jours seulement tout cela devrait être réglé ! -, plus étrange encore est le texte de l'arrangement provisoire, et c'est ici surtout que nous percevons une attitude réticente et méfiante des rédacteurs du traité.

En effet, lorsque l'annexion du Congo a été proposée en 1895, il y avait également un article du traité qui régissait la comptabilité. Il était alors stipulé qu'aucune dépense ne serait effectuée ou autorisée par l'État indépendant du Congo sans l'autorisation du ministre belge des finances.

Aujourd'hui, il n'est plus question d'autorisation - une autorisation qui devrait pourtant exister, puisque c'est la Belgique qui paiera ! Aujourd'hui, le Congo se contente de notifier ses dépenses ultérieurement. La Belgique devra, dans quatorze jours seulement, assumer toutes les charges - sans même une surveillance possible dans ce délai de quatorze jours. Le Congo, en profitant de ce manque de surveillance, pourra faire ce qu'il veut : il n'aura pas besoin de demander d'autorisation ; il lui suffira de notifier plus tard les dépenses ou transactions commerciales effectuées ; car il n'est même plus question des engagements à prendre, ce qui permet de les traiter en dehors de toute surveillance ou approbation.

On voit quel esprit se cache sous le miel du traité : toujours la même politique autocratique, cette fois-ci sous une couche de sirop brillant.

Cette couche de sirop doit aussi nous faire avaler la pilule de la Fondation de la Couronne. Telle qu'elle est posée maintenant, comme il ressort des addenda distribués hier, elle mérite d'être examinée de plus près. Maintenant, il est dit : le Domaine de la Couronne, tel que défini en 1896 et 1901, subsiste. Il a une personnalité juridique ; il reste une fondation coloniale, existant sous la protection d'une législation distincte de celle du pays d'origine ; il n'échappe ni aux lois de police ni aux lois fiscales ; l'État nommera trois des six administrateurs du Domaine de la Couronne et exercera un contrôle sur ces administrateurs ; la fondation est permanente ; cependant, les biens immobiliers ne lui sont pas inaliénables, à condition que le fondateur approuve la vente.

Voilà pour la Fondation de la Couronne elle-même. Nous retiendrons seulement ceci : la Belgique a le droit, si le Roi y consent, de racheter le Domaine de la Couronne par parties. Si ce droit est un privilège, cela reste une question. Si les 29 millions de biens immobiliers en Belgique, qui appartiennent à la Fondation, et qui reviendraient à l'État lors de la reprise, sont une compensation pour les vastes étendues de terres que nous assurons en permanence au Roi, cela reste une deuxième question, car ils doivent être considérés comme le remboursement des avances faites par la Belgique au Domaine de la Couronne. Mais beaucoup plus important est le fait que le droit de rachat doit nécessairement devenir un fardeau pour la Belgique. Vous savez que la colonie doit subvenir à son propre budget. Or, nous lisons que les revenus, tant qu'ils resteront entre les mains du Roi, doivent entre autres servir à entretenir des œuvres philanthropiques, scientifiques et artistiques. Pendant ce temps, le budget congolais, dont nous sommes responsables, pourrait être en déficit. Ce qui nous oblige inévitablement à utiliser de l'argent belge pour racheter les biens immobiliers du Domaine de la Couronne, afin de combler le déficit éventuel. Voilà l'avantage que nous avons à reprendre le Congo, tel qu'il est actuellement proposé, avec la conservation du Domaine de la Couronne ; voilà pourquoi le Parlement y réfléchira sûrement à deux fois avant de voter pour le traité tel qu'il est rédigé.

Car même si la situation internationale est excellente, même si la situation financière est très satisfaisante, même si le maintien des concessions accordées ne sera pas un obstacle à une bonne gestion ; même si le Roi, en tant que fondateur du Congo, a le droit de prendre pour son usage personnel, celui de sa famille, l'entretien des collections et des biens belges qu'il a constitués, les 1,095,000 francs de revenus congolais - un droit qu'il serait mesquin de lui refuser - : la grande préoccupation doit rester la responsabilité que nous assumons, et qui est tellement alourdie par le maintien du Domaine de la Couronne. Et c'est pourquoi il est impossible que la Belgique envisage l'annexion avec maintien de la Fondation de la Couronne sans avoir les garanties suivantes : une surveillance totalement publique ; le rachat des biens immobiliers autorisé par le Roi à un prix qui ne pèse pas trop sur la Belgique ; que les revenus de la Fondation de la Couronne soient publiquement utilisés pour des œuvres connues, afin que tout marchandage, comme celui avec le bureau de presse, soit impossible. - De telles conditions, réduites au minimum, doivent pouvoir être exigées par le pays s'il veut avoir confiance en l'avenir. Sans accord sur ces points, il ne peut être question d'annexion avec maintien du Domaine de la Couronne. Et telle sera sans doute l'opinion de la Chambre.

Car je vous ai dit que j'avais mené une petite enquête. Le résultat est défavorable à la politique royale. La proposition de loi soumettant le traité d'annexion à la Chambre, et qui n'est pas susceptible d'amendement, sera certainement rejetée.

Et alors ?

Oui, alors tout devra être recommencé pour la troisième fois, à moins que la rumeur répandue à la Chambre, selon laquelle on peut compter sur la flexibilité royale, ne contienne une part de vérité. Mais où serait alors la rigidité royale ? Dans la nécessité de céder à la Belgique, dit-on. Nécessité pour qui, pour quoi ?... Attendons de voir les délibérations.


La Chambre et l'annexion

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 décembre 1907)

Bruxelles, 19 décembre 1907

Ce que j'avais prédit il y a quelques jours s'est réalisé : toute l'aile gauche libérale, réunie hier, a rejeté à l'unanimité - une unanimité d'autant plus heureuse qu'elle était inattendue - le traité d'annexion entre la Belgique et le Congo. Le même sort attend naturellement les socialistes. Il ne faudra donc que quelques voix à droite - et elles seront sans aucun doute trouvées - et le Roi apprendra pour la troisième fois la volonté du pays, qui veut bien reprendre le Congo, mais ne souhaite pas être annexé par le Congo... Voici la motion adoptée par les libéraux. Elle répète, vous remarquerez, les arguments que j'ai avancés contre le traité.

« Considérant que la motion de conciliation de la Chambre, votée le 14 décembre 1906 par l'unanimité de l'aile gauche libérale et de la droite, acceptée par le gouvernement et discutée avec lui, établit :

« Que la Belgique possède le droit d'annexion sur le Congo, non seulement en raison de la lettre royale du 5 août 1889, mais aussi en raison de l'accord du 5 juillet 1890 et de la loi de 1901, qui en maintient le principe ;

« Que ce droit est inconditionnel ;

« Considérant que le gouvernement a déclaré explicitement que l'accord d'annexion n'a d'autre objectif que d'effectuer le transfert et de prescrire les moyens d'exécution ;

« Considérant que le traité subordonne l'annexion à des conditions qui limitent la souveraineté belge face à la colonie et méconnaît le droit de la Belgique à l'annexion du Congo, tel qu'il a été solennellement assuré à la Chambre ;

« L'aile gauche libérale estime, confirmant la motion du 14 décembre 1906, nécessaire, avant que la commission des XVII ne commence l'examen du traité, de réserver expressément le droit absolu de la Belgique, confirmé le 14 décembre 1906 par l'unanimité de la Chambre et du gouvernement. »

Cela nous montre clairement quelle sera l'attitude de tous les membres libéraux de la commission des XVII, même ceux qui défendaient encore les demandes royales, lors des discussions sur le traité et du vote. L'attitude des socialistes ne laisse pas non plus de doute. Ainsi, le résultat ne fait aucun doute.

Et le gouvernement ?

L'ensemble du gouvernement, y compris malheureusement le ministre Helleputte, a signé le projet de traité. On parle donc d'une question de Cabinet, ou d'une démission du Cabinet.

Poser la question de Cabinet serait bien la plus mesquine et arbitraire des actions que l'on pourrait imaginer de la part du ministère. Comment, parce que quelques portefeuilles ont été confiés aux Jeunes Catholiques dans le gouvernement, ces Jeunes Catholiques devraient-ils céder sur la question du Congo et courber l'échine ? Ce serait, de plus, transformer la question en une affaire de parti, en une action politique, et rien de plus. Le ministère de M. de Trooz serait-il si mesquin, par un loyalisme mal compris, pour faire d'une affaire où tout l'avenir de la Belgique est en jeu un acte de clique, la soumettre à la discipline de parti et au césarisme gouvernemental ?

Si le traité est rejeté par la Chambre, il est probable que le ministère démissionnera. Qui s'en plaindra ? À part les ministres eux-mêmes, personne. Même le parti catholique sait qu'il gagnerait en cas de changement de ministère, car le ministère resterait presque certainement catholique. Ce ne serait qu'une défaite pour M. Woeste. Mais ne voit-on pas de plus en plus comment, même dans son propre parti, M. Woeste est considéré comme une « quantité négligeable », ou du moins comme un vieillard très respecté, mais déjà un peu assoupi ? Quelle différence, par exemple, avec M. Beernaert, que tout le monde écoute encore ! Et quelle indication pour la composition d'un probable nouveau ministère, où l'arrogant et blasé de Trooz serait écarté !

Et maintenant, une nouvelle question : que fera la Chambre si le traité d'annexion est rejeté ? La réponse peut être double : le Sénat accepte ce que la Chambre rejette ; et alors nous pourrons assister à un joli jeu de balle, avec une convention voyageant d'un côté à l'autre. Ou bien : le Sénat vote comme la Chambre. Et alors il y a une subdivision dans la réponse : soit tout est recommencé l'année prochaine, ou dans deux ans, ou dans dix ans. Soit la Belgique, consciente de ses droits, rejette le traité, mais déclare, par-dessus la tête du Roi, annexer le Congo. Car c'est, n'est-ce pas ?, son droit inaliénable, proclamé et confirmé à cinq reprises.

Certains Congophiles insinueront peut-être : si la Chambre rejette le traité, le Roi reprendra ses droits et vendra le Congo à la France, qui a le premier droit d'achat. Mais cette déclaration repose sur une inexactitude, puisque la loi de 1901 accorde inconditionnellement le droit d'annexion à la Belgique. Si le Roi ignore ce droit, s'il passe outre la loi de 1901, alors il viole son serment constitutionnel, et est donc déchu comme souverain...

Que va-t-il se passer ? Que suivra-t-il au rejet assuré du traité ? ... Chi lo sa ? - Pour l'instant, retenons ce fait unique : le pays maintient de plus en plus ses droits. Quel plus bel éloge pourrait-on faire à une monarchie constitutionnelle ?