(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
L'Université flamande (23)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 23 septembre 1906)
Bruxelles, 21 septembre 1906
Je crains bien que la Chambre des représentants, dans la session à venir, n'échappe difficilement à la discussion de la proposition de loi, déposée le 10 novembre 1905 par le prêtre Daens, qui modifiait ainsi l'article premier de la loi de 1837 sur l'enseignement supérieur. « Les cours sont donnés en langue néerlandaise à l'université de Gand ; en langue française à l'université de Liège. Les professeurs actuellement nommés qui enseignent à l'université de Gand au début de l'année académique 1906-1907 peuvent, sur leur demande, être autorisés à continuer à utiliser le français pour leurs cours. »
Je crains donc que la Chambre n'échappe pas à la proposition de loi, - ce qui ne signifie pas que je crains trop le vote de la proposition elle-même ; car, les députés et le public devront à nouveau avaler les discours les plus antipatriotiques, les moins pédagogiques, que l'on puisse craindre de la part de personnes peu qualifiées, très partiales, et il ne fait aucun doute que nous aurons à nouveau le spectacle de représentants flamands du peuple déchaînés contre les droits les plus naturels de ce peuple et votant : il est certain cependant que la question de l'université flamande, ou plutôt de la flamandisation de l'université d'État de Gand - vous savez que les universités de Bruxelles et de Louvain sont des établissements libres -, après avoir été en suspens pendant des années (depuis le début des années 1890, et plus particulièrement depuis 1897), semble maintenant mûre pour une discussion parlementaire, ayant été inscrite au programme des socialistes à la suite d'un débat public, il y a deux ans, entre des étudiants gantois et quelques membres du Vooruit, et comptant sur le soutien de nombreux députés libéraux et cléricaux.
Cette question n'est d'ailleurs pas nouvelle au Parlement : déjà le 22 avril 1904, feu M. De Backer, demandait à la Chambre au ministre compétent une modification de l'arrêté royal de 1849 régissant notre enseignement universitaire, dans les mêmes termes que la proposition de loi de Daens. Le ministre répondit cependant que « une question aussi importante et controversée ne pouvait pas être résolue par arrêté royal » ; et M. De Backer mourut trop tôt pour pouvoir défendre à nouveau sa proposition sous forme de loi. Reprise par le prêtre Daens, elle sera sans aucun doute défendue cette année par l'un de ses cosignataires pour son propre compte, et... nous pouvons nous attendre à un échange d'idées aussi intéressant que spirituel.
Cependant, les députés ne pourront pas se plaindre d'un manque d'explication sur la question : la bibliographie relative à l'université flamande est non seulement très étendue, mais M. De Raet, le sociologue et économiste bien connu, l'a rassemblée, expliquée et enrichie de ses propres conceptions dans son premier ouvrage volumineux sur la force du peuple flamand, paru il y a quelque temps : un travail vivant et vibrant, où l'ingénieur savant se révèle un Flamand enthousiaste ; un travail qui peut également prouver aux Pays-Bas que la revendication de l'université flamande est non seulement légitime, mais aussi la condition nécessaire au développement intellectuel et économique du peuple flamand.
Quel moyen, par ailleurs, et quelle arme entre les mains d'un gouvernement, qu'une université, centre intellectuel, cerveau et cœur d'un peuple ! - Quand Charles IV a voulu germaniser la Bohême, il a fondé, en 1348, l'université de Prague. Quand l'Angleterre a vouluconsolider son pouvoir en Normandie, elle a fondé en 1436 l'université de Caen. L'Espagne assure son pouvoir sur les Pays-Bas par l'université de Douai (1572). Guillaume Ier des Pays-Bas ne trouve pas de meilleur moyen pour l'élévation de la Belgique que d'envoyer Schrant à Gand et Kinker à Liège. En Belgique même, après la scission de 1830, les universités de Bruxelles et de Louvain se sont élevées pour défendre avec des armes égales les pensées libérales et catholiques. Si la Prusse veut racheter la défaite de Iéna, elle fonde l'université de Berlin ; si Guillaume veut faire à nouveau sentir à Strasbourg son caractère allemand en 1871, il crée l'Universität Kaiser Wilhelm.
Si ces faits ne sont pas des mensonges - je les emprunte à Lod. de Raet et je lui laisse donc la responsabilité ! - et si leur répétition n'est pas la preuve de l'inefficacité de leur principe, comment le gouvernement catholique de Belgique peut-il encore hésiter à flamandiser l'université de Gand, indépendamment de toute notion de justice ? Au point culminant de son pouvoir, ne serait-il pas maintenant plus que jamais temps de s'assurer quelques années d'autorité ?
Qu’on ne parle surtout pas de l'indifférence du public : les étudiants eux-mêmes, les étudiants flamands, les juges les plus compétents et les plus directement concernés, sont unanimes dans leur demande. Et qu’on ne parle pas non plus d'inefficacité et de mauvais moment : depuis toujours, dans l'école primaire, la langue vernaculaire est la première matière d'apprentissage et le moyen d'enseignement ; depuis 1883, la loi sur l'enseignement secondaire est, sinon d'application exemplaire, du moins en vigueur, stipulant clairement que le néerlandais doit être la langue principale de l'enseignement de la plupart des matières en Flandre. Si un garçon flamand, après avoir suivi un enseignement en néerlandais à l'école primaire et au collège, - nous parlons d'écoles où la loi serait suivie dans toute sa signification et à la lettre : une rareté certes, mais... la forme légale étant la réalité - arrive à l'université, où, à l'exception des cours spécialisés en philologie germanique et de quelques cours de droit, tout se fait en français, alors il est naturel que ce garçon, s'il n'est pas abasourdi, soit au moins étonné par... l'irrationnel, ou du moins l’illogique d’un enseignement qui, dans deux de ses degrés, est en néerlandais, mais, soudainement, à son couronnement, se poursuit dans une langue étrangère.
Il n'est ni fanfaron de dire que « la langue est tout un peuple », ni présomptueux de demander que la langue du peuple soit respectée. Un gouvernement qui voulait être patriotique, logique et pédagogique ne devait pas hésiter à soutenir et à défendre, comme s'il s'agissait de sa propre cause, un projet de loi aussi naturel, réparant ainsi l'absurdité selon laquelle la flamandisation de l'éducation en Belgique a commencé par le bas, alors que la flamandisation par le haut, à partir de l'université, aurait imposé le néerlandais comme une nécessité dans l'enseignement moyen et supérieur.
De plus, le projet de loi n'est pas trop radical. Fondé sur le rapport que le professeur Mac Leod a présenté en 1897 au nom d'une commission d'enquête spéciale, il ne demande pas le remplacement immédiat des enseignants ne parlant pas le flamand. Tout se ferait progressivement. Seule la succession du professeur entraînerait l'introduction des cours de néerlandais. Personne n'aurait donc à se plaindre de nationalisme flamand déraisonnable, et ceux qui se préparent et se projettent dans l'enseignement ne considéreraient plus la connaissance du néerlandais comme superflue.
Cependant, le projet de loi Daens laisse quelque chose à l'appréciation du ministre compétent, je ne dis pas : à l’arbitraire : l'organisation de l'enseignement. Et ici réside également le point faible, le point obscur de la question. En effet, jusqu'en 1901, les plus progressistes du parti flamand étaient favorables à la flamandisation uniquement des quatre facultés - philosophie, droit, sciences et médecine -, à l'exclusion des écoles techniques, sous prétexte que ces écoles techniques attiraient un nombre infini d'étrangers, qui les peuplaient en majorité.
Cependant, pouvait-on rester sur cet argument après la découverte des mines de charbon dans le Limbourg, et le fait qu'un bassin houiller flamand nécessitait naturellement des ingénieurs flamands ne l'emportait-il pas sur une raison d'intérêt domestique moindre ? Et n'aurait-il pas été plus logique d'exiger en premier lieu la flamandisation des écoles techniques, comme De Raet l'a récemment proposé ?
C'est pourquoi il est dommage que le projet de loi ne spécifie pas explicitement ce qu'il faut flamandiser. Tel qu'il est maintenant, dans sa simplicité apparente, il regorge de pièges et d'obstacles...
Cependant, ne nous plaignons pas, Flamands. Ceux qui connaissent l'histoire de nos lois flamandes seront très reconnaissants aux signataires de ce projet de loi prévoyant. Et pour sa mise en œuvre... Mais attendons sagement le vote...