(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")
Le projet de loi Coremans (5) - M. Woeste et la prochaine session parlementaire (18) - Un discours de recteur (24) - Le lock-out de Verviers (27)
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 7 octobre 1906)
Bruxelles, 5 octobre 1906
Vous l'avez déjà lu ici : les évêques belges ont trouvé le moyen d'éviter élégamment le projet de loi Coremans ; avec un sourire discret, ils l'ont étouffé ; reconnaissant qu'il ne contenait que vérité et promesse de bien, ils l'ont dissimulé ; avec une appréciation louangeuse des nécessités flamandes, ils ont trouvé une solution pour ces nécessités pleine de dignité conciliante, mais qui, échappant à tout contrôle, sera appliquée selon l'affection que celui qui l’appliquera portera aux principes avancés, grande ou petite soit-elle.
Vous savez ce que visait le projet de loi Coremans : rendre obligatoire dans l'enseignement secondaire libre, tout comme cela l'est déjà depuis 1883 dans l'enseignement moyen officiel, l'usage du néerlandais comme langue d'enseignement dans un certain nombre de matières, et l'indication dans les deux langues nationales des expressions techniques dans les matières où le français est maintenu comme langue d'enseignement.
Ce projet de loi, bien sûr corollaire de la loi de 1883, - une conséquence naturelle qui avait donc manqué pendant vingt-trois ans, - réparerait enfin une injustice et imposerait les mêmes obligations à ceux qui avaient les mêmes droits. Un élève qui a suivi les cours jusqu'à la rhétorique dans un collège épiscopal a en effet les mêmes droits d'inscription dans telle ou telle faculté que les étudiants qui ont suivi les cours jusqu'à la fin dans un athénée officiel, - même s'il est évident que, même avec le même programme, les méthodes d'enseignement, et, notamment, la langue d'enseignement, les mettent sur un pied d'inégalité. Les garçons qui sortent du collège, par exemple, ont tout à fait le droit de se présenter à la philologie germanique sans examen, bien que la formation linguistique qu'ils ont reçue les place réellement en dessous des étudiants des établissements officiels. Et l'inverse est également vrai : un élève d'athénée est beaucoup moins formé pour les études en langues classiques qu'un élève issu d'un collège jésuite.
Le législateur visait donc, dans une telle situation, à instaurer l'égalité et à la consolider par la loi. Son champ de liberté n'était bien sûr pas très étendu ici : l'esprit de l'enseignement lui échappait dans des établissements qui n'appartiennent pas à l'État. Mais la langue dans laquelle cet esprit était transmis pouvait être réglementée par la loi dans un pays où deux langues sont officielles. C'était également une égalisation sur le plan scientifique : l'enseignement des langues germaniques en néerlandais donnerait aux garçons des collèges les mêmes outils de comparaison et de traitement que les élèves d'athénées, pour qui l'apprentissage en néerlandais était depuis longtemps rendu obligatoire. Et aussi pour les travaux ultérieurs, une connaissance solide des termes techniques néerlandais, par exemple des sciences naturelles ou de la médecine, ouvrirait un chemin plus large à tout Belge désireux de se perfectionner dans de telles études : elle pourrait lui ouvrir les sciences néerlandaises et allemandes. Ainsi, ce serait une nouvelle égalisation entre ceux qui ont été privés de telles connaissance connaître et ceux qui, depuis longtemps, sont contraints de connaître les termes techniques néerlandais.
Le projet de loi Coremans était donc plus qu'une loi partisane, plus qu'une loi flamingante, plus qu'une loi de façade. Elle allait plus loin ; elle avait une signification sociale, que les cléricaux, et encore moins les évêques, ne pouvaient ignorer. La réglementation légale de l'enseignement épiscopal sur le modèle de l'enseignement officiel aurait certainement été bénéfique pour la science catholique. Ce n'était pas le flamingantisme, mais la Flandre et sa propre science, même du côté clérical, qui en auraient bénéficié : des armes égales - et une langue égale offre des armes égales - donnent des forces égales, et l'émulation conduit à un savoir plus élevé.
Mais toute loi entraîne un contrôle ; et... les évêques aiment être maîtres chez eux. La liberté d'enseignement, disent-ils, est l'une des quatre grandes dispositions constitutionnelles. Nous refusons, prétendent-ils, de suivre le programme de l'État, nous le faisons... à notre manière, certes, mais d'une manière qui, en tout cas, ne peut pas être mauvaise, puisqu'elle a donné à la patrie autant de grands hommes que l'enseignement officiel. Voyez par exemple la littérature : Maeterlinck, Verhaeren, Van Lerberghe ont été élevés dans nos établissements : ils doivent à l'élévation noble, à la gravité classique, à l'éviction de tout ce qui pourrait être vulgaire ou bas dans notre enseignement, si ce n'est pas leur génie, du moins la forme très noble de leur travail. Et en littérature flamande, nous pointerons Van Langendonck, sans parler de Gezelle, de Verriest, de Rodenbach. Nous pouvons dire que nous avons en grande partie formé l'aristocratie intellectuelle de la Belgique, une partie qui équivaut largement à ce que l'enseignement plus démocratique des athénées a formé. Notre enseignement n'est donc ni médiocre ni mauvais. Nous sommes, avec les adversaires officiels, au moins sur un pied d'égalité qui ne peut être nié. Pourquoi alors nous contraindre à obéir, à nous plier sous une loi qui dégoûte notre discipline reconnue, à imposer un joug noble à l'animal noble où il est si docile ?...
Il y a la question de la langue, bien sûr, et là - nous le reconnaissons - nous sommes, sinon inférieurs, du moins sur un autre plan que les écoles officielles. Mais si nous cédions maintenant ; si nous, évêques, imposions aux directeurs des établissements où nous exerçons notre autorité de suivre la loi de 1883 sur l'enseignement moyen,... sans contrainte, bien sûr, et entièrement de leur propre initiative : ne serions-nous pas d'une excellente indulgence, et les premiers parmi les partisans principiels de vos idéaux, ô Monsieur Coremans ? Et ne voyez-vous pas, et n'approuverez-vous pas, que nous avons ainsi, d'un seul coup, par la puissance de notre signature seule, trouvé la solution à une situation qui, en effet, n'était pas tout à fait conforme à la justice, - solution qui vous épargnera la peine de défendre un projet de loi devant une chambre agitée, dont le vote est incertain, et vous épargnera également, ô vieillard, la douleur du rejet ?...
Ainsi va le raisonnement des évêques belges, qui veulent rester maîtres chez eux. Ainsi est la manière dont, après avoir semé la discorde en vain dans la Chambre elle-même, et au moment où la loi Coremans devait être votée, ils cherchent à échapper à la loi : une longue lettre a été envoyée aux directeurs des écoles épiscopales, entièrement dans l'esprit de la loi Coremans, - bien que par endroits avec une pincée et une morsure pour d'autres revendications flamandes, notamment pour l'université flamande, - et auxquelles ils devront se soumettre. Et cette lettre, rendue publique dans la presse, était bien sûr une joie pour toute la presse francophile. Pour les cléricaux, c'était plus : un ordre supérieur d'être satisfait, une exigence de soumission. En d'autres termes : une mission plus élevée pour les représentants du peuple cléricaux, de ne pas suivre Coremans dans son projet de loi, et ainsi libérer l'évêché de toute contrainte.
Et malheureusement, il est à craindre que cette lettre trouve obéissance : même les cosignataires de la loi trouvent l'action des évêques grandiose et noble, et n'osent pas trop rouspéter...
Cependant, l'un d'entre eux, M. Van der Linden, un esprit tenace plein d'un enthousiasme froid et aigre, même s'il reconnaît également la tolérance exemplaire des évêchés, n'est pas tout à fait satisfait et ose résister. Et son argumentation est excellente, à tel point que même les évêques auront du mal à s'y opposer.
La bonne volonté est certes très belle, dit M. Van der Linden, et personne n'admire autant que moi la clairvoyance des hauts dignitaires ; mais... entre une loi et une recommandation épiscopale, il y a une différence. Vous voulez avec nous que l'égalité, l'uniformité règne dans le domaine de la langue dans tout l'enseignement moyen belge ? Mais alors, vous devez laisser la loi superviser tant le non-officiel que l'officiel. Il est évident que même dans l'enseignement officiel, la loi de 1883 est parfois légèrement négligée ; et là, il y a quand même un contrôle. Que sera-ce alors là où aucun contrôle n'est possible ? - car vos occupations, Messeigneurs, vous tiennent certainement loin de telles préoccupations...
D'ailleurs, le projet de loi ne vise pas seulement les établissements catholiques, où nous pouvons encore avoir confiance ; mais il y a aussi en Belgique d'autres établissements d'enseignement moyen : libéraux et socialistes. Vos mandements ne vont malheureusement pas jusque-là ; vous reconnaîtrez donc qu'une loi est nécessaire là-bas ; mais, comme tous les Belges sont égaux devant la loi...
Voilà donc le dilemme de M. Van der Linden : soit la loi de 1883 appliquée de manière non officielle dans les établissements catholiques et... la folie française se poursuivant dans les autres écoles libres ; soit : une nouvelle loi, pour tous les établissements libres, catholiques comme libéraux.
La raison saine l'emportera-t-elle chez ses collègues cléricaux ? Ou préféreront-ils se ranger du côté de la subtilité des évêques suaves, souriants et élégamment raisonnant ?
Nous craignons le dernier.
Mais cela apprendra alors à l'opposition où est son devoir...
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 18 octobre 1906)
Bruxelles, 16 octobre 1906
Notre ministre d'État, M. Charles Woeste, le chef - vous le savez - de ce qu'on pourrait appeler l'aile droite extrême, de cette fraction du parti clérical qui se méfie le plus de l'opposition et la regarde avec le plus de jalousie, a publié dans le dernier numéro de la « Revue Générale » un article exposant son opinion sur les élections du 27 mai dernier et en en tirant les conséquences parlementaires qui doivent servir de programme d'attaque et de défense pour son parti, le cléricalisme.
Vous connaissez M. Woeste : avec une personnalité si entière, si tranchante à tous égards, si percutante dans tous les sens, si imposante par sa conviction et sa force de combat consciencieuses, par sa ténacité et son leadership incontestable, il n'est pas surprenant qu'il ait su maintenir dans les moments les plus difficiles l'unité de l'armée cléricale, qui a été la force parlementaire pendant vingt-deux ans. En brisant ce qui résistait, en imposant la discipline à ceux qui cherchaient la liberté, ce n'est certainement pas de sa faute si la majorité de la droite est passée de 29 à 20, puis maintenant en mai, à 12 voix. C'est au contraire grâce à son sens de l'organisation et au respect craintif, suscité par son attitude glaciale mais résolue, chez ses camarades de parti, et aussi à l'extérieur, que les cléricaux n'ont pas succombé à une majorité d'opposition et n'ont pas eu à échanger une mort brutale contre une agonie lente et réticente, qui est cependant encore bien en cours.
Cependant, que cette agonie ne soit plus que... un dernier sursaut avant la mort : c'est ce que prouve l'article de M. Woeste dans la « Revue Générale » elle-même. Car cet article n'est pas un cri de victoire pour la majorité conservée ; pas de fanfaronnade sur le maintien et la garantie du pouvoir, pas même un soupir de soulagement pour avoir sauvé... ce qui pouvait encore l'être : c'est, entre les lignes et même sur elles, une préoccupation pour l'avenir, une inquiétude pour préserver le peu qui soutient encore le règne et le protège de la chute, une anxiété pour l'équilibre précaire, pour ces maigres douze voix qui, selon la bonne volonté, le désir de liberté, ou... la conscience de ceux qui en décident, trancheront sur la chute ou la survie du parti.
Car le parti est malade, est en ruine : M. Woeste lui-même avoue qu'il y a « des raisons de faiblesse, nées de la longue durée pendant laquelle les catholiques ont exercé le pouvoir » ; il sait que seule la discipline la plus stricte, l'unité la plus étroite, peuvent quelque peu contenir le travail de dissolution du progrès dans le corps clérical ; son autoritarisme ne voit dans la soumission totale de tous les membres du parti à ce qu'il juge nécessaire qu'une bouée de sauvetage. Et ainsi, son dernier écrit est un programme impérieux, qui se clôt sur une exigence d'obéissance totale. Cependant, il est indéniable, même pour les catholiques, que la nature conservatrice de ce programme, son caractère trop figé, fait obstacle à une telle obéissance, à ceux qui veulent rester indépendants dans leurs pensées et leurs actions. Ainsi, la tiédeur avec laquelle la dernière tentative - presque désespérée - de M. Woeste a été accueillie par ses amis est parfaitement explicable.
Et pas étonnant : de tout ce qui a assuré aux partis de l'opposition un progrès remarquable, inattendu, en si peu de temps, M. Woeste ne veut rien savoir ; en effet, c'est précisément contre ce qui a valu à ses adversaires une reconnaissance enviable dans l'opinion publique que s'oppose avec acharnement le refus de Woeste. Ce que l'union de tous les partis d'opposition avait permis : leur unité dans la demande de suffrage universel pour les communes et les provinces, de représentation proportionnelle appliquée à toutes les formes d'élection, de service militaire obligatoire et de service civique, voilà ce qui non seulement apparaît dangereux pour M. Woeste, mais aussi totalement inacceptable : ce qui pourrait assurer au parti catholique le soutien de croyants qui ne souhaitent cependant pas rester immobiles au même endroit est fièrement rejeté, et aux députés progressistes, qui cherchaient le salut dans des compromis, et qui pensent encore que l'immobilisme est un recul - il y en a dans le parti catholique, malgré M. Woeste, qui osent penser ainsi - ; à de tels esprits plus libres est imposé le joug de l'uniformité, l'obligation d'être sages...
Toute la politique, telle qu'elle lui apparaît dans les circonstances actuelles, se résume pour M. Woeste en trois mots : Préserver, améliorer, empêcher. Et il les explique en ces termes :
« Préserver, c'est : sauvegarder les fondements de notre organisation sociale et politique, les protéger contre l'assaut auquel ils sont exposés, maintenir la bonne entente entre l'Église et l'État dans les affaires où ils sont impliqués, poursuivre le soutien aux grandes œuvres de bienfaisance publiques, favoriser le développement de la vie communale, consolider la force de défense de l'ordre. Améliorer, c'est : encourager l'initiative personnelle, développer l'éducation sur tous les fondements selon le souhait des pères de famille, atténuer progressivement la relation entre le capital et le travail, promouvoir de plus en plus l'hygiène publique, multiplier les applications de la liberté soutenue, faciliter pour la classe ouvrière les moyens de subsistance et d'amélioration, et remédier autant que possible aux griefs de la petite bourgeoisie, en un mot : améliorer les lois sociales de manière à ce que chacun, dans le respect rationnel de la hiérarchie des classes, trouve son sort supportable. Empêcher, c'est : lutter contre la propagande antisociale et antireligieuse, s'opposer à l'emprise de la laïcité sur l'enseignement neutre, contre la sécularisation aveugle de la société ; résister à la désorganisation de l'armée, combattre la haine et la discorde entre les citoyens par l'essor libre des forces morales, démontrer que le collectivisme est une utopie dangereuse, nuisible à ceux à qui il est imposé, dénoncer la destruction de la calomnie et du mensonge, en d'autres termes : ériger des remparts infranchissables contre le mal et l'erreur ! »
Bien sûr, un tel programme serait à première vue souscrit par tout bon catholique convaincu ; interprété dans un sens progressiste, tout le parti l'accepterait sans réserve ; dans les questions qu'il aborde, chacun serait satisfait de la solution recherchée par M. Woeste. Pourtant, chacun sait - et cela explique l'attitude respectueuse, mais loin d'être enthousiaste de la plupart des catholiques avant même la mise en œuvre - qu'il y a plus d'un point qui reste intact, qu'il n'aborde aucune des questions libres, des questions où la conscience du représentant du peuple obéit à des lois supérieures plutôt qu'aux exigences du parti ; et que sur ce terrain, M. Woeste est inflexible, inébranlable : « on ne doit pas oublier, dit-il, que si, concernant ces prétendues questions libres, les défaites du ministère se multipliaient, il lui serait impossible de conserver les rênes de l'État. » Ainsi, pour l'autorité, une soumission totale à la volonté des dirigeants, et l'extinction de toute liberté personnelle de jugement. « Le devoir impérieux de la majorité est, ajoute M. Woeste, de resserrer les rangs, d'apaiser les mécontentements et les frictions personnelles, et de se sacrifier pour le consensus général dans l'élaboration des lois. »
Et c'est là le point faible, le signe de sa crainte, de son angoisse, dans le programme de M. Woeste : il veut empêcher, au sein même du parti, parmi ses propres collègues, l'esprit critique, la combativité, le désir de progrès. Un fait qui, étonnamment pour le leader militant du parti, est d'autant plus symptomatique. Il ne veut pas de résistance : plurimae leges pessima respublica, répète-t-il après Tacite. Et à ceux qui suggèrent : « Nous devrions faire quelque chose dans le parti ! », il répond : « Oui, vous plier à la discipline nécessaire que je représente. »
Maintenant, la question se pose : va-t-on céder ? Des hommes plus jeunes et plus avisés consentiront-ils à laisser vivre le parti catholique ou seulement son passé, et, sentant comment la nécessité du progrès, du choix d'une nouvelle direction plus libre, se fait pressante, vont-ils s'en tenir au creux « conserver, améliorer, empêcher » de M. Woeste ?
M. Woeste est très puissant. Déjà, dans les journaux catholiques, la question prudente est posée de savoir s'il ne serait pas préférable de laisser de côté toute pomme de discorde et de se concentrer uniquement sur l'examen des différents budgets. Et en effet : ce serait peut-être encore le seul domaine où une certaine unité de vision pourrait être obtenue et préservée...
Mais heureusement, l'opposition est toujours là. L'interrogation sur le Congo, l'interpellation sur le lock-out de Verviers, le projet de loi Coremans, l'attitude des évêques face à la question flamande n'échappent pas à la droite. Dès les premières sessions, nous pourrons mesurer le degré d'obéissance et voir dans quelle mesure la volonté de fer de M. Woeste a été affectée par la rouille.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 24 octobre 1906)
Bruxelles, 21 octobre 1906
Les recteurs entrants ou sortants des universités ont, ici comme ailleurs, l'habitude d'ouvrir l'année universitaire - au milieu des acclamations étouffées des étudiants enthousiastes se retrouvant, et de l'assoupissement aux visages sérieux des dignitaires parés d'or - par le biais de ce qu'on appelle un discours inaugural : un exposé ennuyeux et monotone d'une heure et demie, de préférence sur leur propre domaine d'expertise ou leur passion, sur « l'histoire du génitif saxon » ou « le système de drainage des anciens Égyptiens », tellement brûlant d'actualité, tellement riche en intérêt pour les non-initiés, qu'on pourrait penser aux mots de Bilderdijk : « le monde dort », si ce n'était pas que la voix étouffée des étudiants assurait vie et divertissement.
Et comme c'est une habitude inébranlable et digne de ne pas perturber ce qui se produit depuis les temps immémoriaux où les universités existent, c'est avec plaisir que je vous annonce - moi qui aime le changement, même s'il vient du mal - qu'un recteur a été trouvé en Belgique, qui a rompu avec cette habitude, du moins pour cette année, et a osé parler d'un sujet - qui n'était pas du mal ! - où les dignitaires ont conservé leur sérieux assoupi, leur esprit noble, leur visage impénétrable (les secrets d'État sont des secrets d'État), mais où les étudiants... ont gardé le silence, ont écouté, ont même applaudi à la fin pour certains.
Cela s'est passé il y a quelques jours à Gand, le recteur sortant était le professeur Thomas ; le sujet du discours était : « sur la nomination des professeurs dans les universités d'État belges. »
Les universités d'État en Belgique - celles de Gand et de Liège - sont des centres, des foyers du libéralisme, bien entendu au détriment du gouvernement clérical, qui constate que toute défense ne peut éteindre un esprit séculaire, et dont les moyens d'extinction agissent comme de l'huile sur le feu, encourageant la résistance. Oui, on peut dire qu'à l'université de Gand - que je connais particulièrement bien - l'esprit d'indépendance, de liberté non académique, augmente à mesure que le nombre de professeurs cléricaux, nommés par le gouvernement, augmente, et que le nombre d'étudiants catholiques bruyants augmente également; dans la mesure où le libéralisme étudiant gantois est plus incisif, plus profond, plus large que celui de l'université libre de Bruxelles, probablement uniquement parce que celle-ci a été fondée dans un esprit libéral et est basée sur des principes stricts qui excluent tout conflit interne, sur un pied libéral.
Je vous ai dit que le gouvernement clérical s'oppose à cette situation, et que son principal moyen est la nomination de professeurs cléricaux à chaque chaire vacante. Certes, avant chaque nomination, la faculté à laquelle le titulaire appartiendra est consultée. Mais cela n'est que formel : si le candidat de la faculté n'est pas un catholique éprouvé, un serviteur du gouvernement, alors sa candidature est rapidement oubliée dans les sables de l'oubli, et un protégé de Louvain émerge de tel ou tel bureau ministériel, possédant tous les diplômes nécessaires pour être considéré aussi savant que son concurrent, ou, s'il ne possède pas les diplômes, une voie est trouvée vers la chaire universitaire : ainsi, il y a quelques années, un officier de cavalerie a été nommé professeur de géographie, et plus récemment, un pharmacien raté a été nommé professeur de chimie...
Même lorsque la compétence scientifique des professeurs cléricaux serait indéniable ; même là où, en ignorant toute politique, chaque nouveau nommé pourrait être considéré comme une étoile de première grandeur, un diamant d'une pureté parfaite, cette situation est préjudiciable aux institutions universitaires d'État, car ce qui doit être considéré comme problématique, c'est, théoriquement parlant, non pas la nomination de tel ou tel individu politiquement affilié, mais la nomination de ces individus sans la connaissance préalable et l'avis de la faculté à laquelle ils sont appelés à appartenir.
C'était le thème du discours du professeur Thomas.
Le professeur Thomas n’est probablement pas inconnu aux Pays-Bas. Je crois qu'un savant néerlandais a publié une édition de sa chrestomathie latine pour le bénéfice de vos compatriotes. En France et en Allemagne, il est considéré comme le chef de file de la philologie classique de notre époque. Celui qui a eu le privilège de suivre ses cours connaît sa vivacité d'esprit et sa puissance de présentation : cet éternel jeune homme, dont il est impossible de déterminer l'âge extérieurement, sait aiguiser et affiner la sagesse catonienne avec l'esprit attique, de sorte qu'une leçon de grammaire de sa part devient comme une considération aérienne des plus profondes insights philosophiques, et sa profonde et solide érudition ne se manifeste jamais sans une expression d'une élégance littéraire exquise. Le professeur Thomas allie la perspicacité française à la rigueur allemande ; il est l'une des gloires de l'université de Gand, et l'un des esprits les plus sains et les plus éprouvés ; en même temps - cette nouvelle allocution inaugurale le prouve - un pionnier, un audacieux.
Le discours du professeur Thomas n'a pas encore été publié. Je le rapporte donc de mémoire. Voici comment je l'ai compris, peut-être avec une petite réflexion personnelle.
Ce qui peut être considéré, en dehors de toute préoccupation politique, comme une imprudence du ministère dans la nomination des professeurs d'université, c'est de placer des individus sans l'approbation de ceux avec lesquels ils seront appelés à être collègues.
Voici pourquoi. On peut attendre de l'étude dans une discipline particulière qu'elle produise comme résultat : une conviction, ou du moins les éléments d'une conviction, qui serviront de base critique, si nécessaire, à des études ultérieures. On peut attendre d'un jeune docteur en philosophie qu'il ait au moins compris un système philosophique au point de pouvoir l'utiliser pour évaluer les autres systèmes, ou de nouveaux systèmes. Les quatre ou cinq années passées à l'université ne suffisent pas à former un « érudit », un homme encyclopédique. Ils ne peuvent prétendre qu'à le préparer. Mais cette préparation doit être faite de telle sorte qu'elle offre le plus de chances de réussite pour des études ultérieures ; elle doit éviter toute dispersion, tout élément susceptible de susciter des hésitations chez l'étudiant, de craindre tout ce qui pourrait rendre la base de ce qu'on lui présente comme vérité incertaine. S'il s'agit de la vraie base ou non, il le découvrira plus tard par lui-même ; lui présenter dès le début cette base comme incertaine l'empêche de croire qu'elle aurait pu lui ouvrir un champ de compréhension plus profond. Car avant le scepticisme scientifique, il doit y avoir la foi en la science : celui qui n'a pas cru se noie dans le scepticisme, surtout dans le domaine scientifique.
C'est cette foi qui rend l'université de Louvain féconde ; c'est cette foi qui, dans le sens inverse, a fait de l'université de Bruxelles une force, et a permis la création d'un Institut Solvay - une institution pour les sciences sociales. Cette foi fait défaut aux deux universités d'État, car il leur manque l'unité d'esprit dans l'enseignement.
Nous ne parlons pas, vous comprenez bien, d'une unité d'esprit politique, sociale ou religieuse : elles n'empêchent pas les esprits scientifiques, en cas de divergence, de poursuivre un objectif scientifique commun. Mais ce que nous entendons par là, c'est cette forte unité qui, sinon tous les éléments, du moins les pierres angulaires, les boulons porteurs, le point de fermeture même de la voûte de la science à enseigner, relie à la confiance commune, ou du moins à un plan d'enseignement commun, tous ceux qui en sont chargés. C'est une unité de programme supérieur, l'adoption d'une ligne de conduite plus élevée et concertée dans la communication de la matière enseignée par tous ceux qui en sont responsables. Lorsqu'un nouvel arrivant vient briser cette unité ; préparé à un autre niveau de réflexion, peut-être aussi bien formé mais différemment de ceux qu'il doit aider à enseigner collectivement : ne voit-il pas que de tels perturbateurs de la paix, - non : perturbateurs de l'unité - nuisent à l'enseignement général, perturbent les jeunes esprits, suscitent le doute là où il n'y a pas encore de croyance, et l'hésitation là où seul devrait régner le dévouement ?
De tels perturbateurs sont les professeurs nommés par le gouvernement en dehors de la connaissance ou de l'autorité des facultés universitaires. Seules les facultés savent qui convient dans le cadre de leur action collective en tant que corps enseignant ; ni le ministre, ni ses subordonnés qui, dans certains cas, exercent un commandement supérieur, n'ont le droit de juger qui doit être désigné comme nouveau facteur dans l'unité qui doit caractériser une faculté scientifique. C'est pourquoi la nomination, si elle n'est pas laissée à la seule faculté, doit au moins lui être soumise, et soumise dans un but différent de celui de l'opposition immédiate.
L'objectif ultime de l'enseignement universitaire doit être - c'est une vérité de La Palisse -: d'atteindre le meilleur possible ; ce meilleur est de favoriser autant que possible l'unité qui brise toutes les hésitations nuisibles chez les étudiants ; nommer des professeurs qui entravent cette unité est, de la part d'un gouvernement, un moyen d'étranglement de ses propres institutions d'enseignement.
(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 octobre 1906)
Bruxelles, 25 octobre 1906.
Depuis quelques jours, la capitale, tout comme les autres grandes villes du pays, est le témoin d'un spectacle à la fois poignant et douloureux : des centaines d'enfants d'ouvriers, victimes du lock-out de Verviers, ont été envoyés par leurs parents poussés à l'extrême pauvreté chez des camarades du parti socialiste dans les villes flamandes pour y être pris en charge. Et maintenant, on voit ces enfants traverser nos rues jour après jour, exposant leur situation lamentable et pitoyable ; et cette solidarité entre les moins fortunés, entre les personnes pauvres qui aident le compagnon de travail touché par le malheur en aidant ses enfants, pourrait vraiment être touchante, une leçon noble, si cette fraternité ne semblait pas être uniquement un outil de propagande, si le soutien apporté à ces pauvres garçons et filles ne s'accompagnait pas de manifestations partisanes et de défilés socialistes. Et c'est la partie douloureuse, la moins noble de l'affaire, de voir ces enfants aidés être entraînés dans les rues, portant des foulards rouges autour du cou, derrière un drapeau rouge sang, chantant des chants de révolte derrière un drapeau de révolte, souillant ainsi l'acte respectable et humanitaire par son caractère sectaire, vaniteux et militarisé non dissimulé. Cette impression est douloureuse ; pour les détracteurs du parti, elle conduit à des conclusions peu flatteuses, dont la première - horrible - est que les mères verviétoises doivent être de très mauvaises mères pour prêter leurs enfants à un bas dessein politique de cette manière.
Ainsi, la passion politique vient à nouveau ternir la noblesse d'un acte humanitaire et conduit à des conclusions indignes chez ceux qui pensent différemment, menaçant ainsi de contrecarrer ou du moins de rendre difficile et stérile le travail de réconciliation d'une commission d'enquête mixte, en activité depuis une semaine.
C'est là, dans la ville grise et triste de Verviers, - une ville morne et triste, - le vieux duel, la lutte acharnée entre deux conceptions : l'individualisme de l'employeur, qui estime pouvoir peser le salaire du travail selon sa propre appréciation, selon sa propre honnêteté, et la voix collective des travailleurs, qui veulent évaluer la valeur de leur propre travail selon leur propre évaluation, « avec leur propre sueur », comme ils diraient. Le mouvement syndical, agissant de manière proactive, veut voir ses droits maintenus même après la confirmation légale ; les employeurs opposent à ce droit de grève - fruit du pouvoir syndical - leur droit de lock-out ; aucun des deux ne veut céder, aucun des deux ne veut faire le moindre rapprochement : où cela va-t-il mener ? Les travailleurs se retrouvent sans pain ; les employeurs perdent jour après jour des sommes considérables ; l'industrie lainière, chez nous en danger, menace de se déplacer au profit de l'Allemagne.
Et que fait-on, après des semaines d'inaction, après des semaines d'angoisse pour les femmes et de ressentiment pour les hommes, que fait-on pour trouver une solution, pour se libérer de cette pression ? Vingt mille ouvriers affamés déambulent dans les rues ; des milliers de mères sont contraintes de confier leurs enfants à des étrangers dans des contrées lointaines ; toute une industrie, la vie d'une ville entièrement vouée au travail, menace de s'éteindre et de disparaître ; et pourtant, le remède existe qui donnerait du pain à l'ouvrier, du réconfort à la mère pour ses enfants, et à toute la région l'assurance d'un avenir ; - mais : des députés socialistes incitent le peuple à la révolte ; les enfants de ce peuple sont utilisés comme outil de propagande ; un noble sentiment est souillé, et dans son intention partisane, il s'oppose à toute réconciliation.
Au moment où tout esprit qui refuse de se limiter à la politique cherche une médiation pour parvenir à un accord ; au moment où un comité mixte tente d'y parvenir, nous voyons des leaders socialistes transformer toute cette misère en un moyen d'attiser encore plus d'animosité, de haine ; et le désir, ressenti par chacun au fond de son cœur, bien qu'inexprimé, d'unité est étouffé par les déclamations d'une politique trop idéaliste - je ne veux blesser personne -, trop impraticable.
Et ainsi, la lutte, la lutte paroxystique entre le capital et le travail, est entretenue par la haine de classe toujours attisée, brûle de façon irréconciliable, et force les enfants à l'exil et au jeu de parade socialiste.
Et pourtant, nous avons en Belgique un ministère du Travail. Nous sommes même, si je ne me trompe pas, le premier pays d'Europe à en avoir un. Alors comment se fait-il que notre ministre du Travail - les vacances sont terminées, n'est-ce pas ? - n'intervienne pas ?
La « Gazette des Tribunaux » le rappelle : Roosevelt intervient dans la guerre de l'anthracite ; un ministre français apaise les mineurs rebelles du département du Nord ; Rosebery fait de son mieux pour obtenir une réconciliation entre les mineurs et les propriétaires anglais ; le gouvernement prussien fait tout son possible pour mettre fin à la grève dans la région de la Roer. Et chez nous, dans un petit pays qui, aussi prospère soit-il, n'a rien à perdre de cette prospérité, l'entêtement des employeurs comme des travailleurs perpétue une situation qui peut avoir les pires conséquences ; un parti politique exploite, sur la base de motifs sentimentaux, la prolongation de la misère à son avantage propre ; et nous avons un ministère du Travail !
Vingt mille travailleurs attendent un signe pour reprendre le travail ; les employeurs, vivant dans des conditions plus que précaires et inquiétantes, attendent également ce signe avec impatience. La situation semble ne pas vouloir s'améliorer d'elle-même. Pourquoi le ministre du Travail ne donne-t-il pas ce simple signe, qui fait partie de ses devoirs et qui peut entraîner des résultats si heureux ?