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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (novembre 1906)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Le dénouement [du lock-out de Verviers] (4) - Syndicats (6) - Le sénateur Albert de Belgique (15) - Une manifestation [en faveur de l’enseignement obligatoire] (20) - Les évêques et les flamands catholiques [au sujet du projet Cooremans] (25) - Une déception [au sujet de la reprise du Congo] (29) - Le premier acte [au sujet de la reprise du Congo] (30)

Le dénouement [du lock-out de Verviers]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 novembre 1906)

Bruxelles, 1er novembre 1906

Après deux mois, après des manifestations de haine et une obstination également déplorable, après la famine et des pertes d'argent délibérées, après cette lutte de passions autour d'une question économique devenue une question politique aiguë, la nécessité a finalement agi, là où la colère avait forcé toute raison saine au silence : le lock-out de Verviers est suspendu ; à partir de lundi matin, les travailleurs reprendront le travail dans les filatures, aux mêmes conditions, pour le même salaire, selon les mêmes règles inchangées, suite aux décisions d'un comité composé de représentants des employeurs et des travailleurs, envoyés par la Fédération patronale de l'industrie textile et la Fédération textile ouvrière, un comité dont la bonne volonté, poussée par la reconnaissance de la nécessité, a malheureusement été à nouveau entravée par la politique ; mais il est finalement parvenu à la solution heureuse - heureuse pour les deux parties - que nous pouvons mentionner ici.

Le bilan du lock-out aura été nul : les travailleurs ne voient pas leurs revendications satisfaites ; les employeurs n'ont ni gagné en autorité ni en puissance ; une industrie prospère a été mise à l'arrêt pendant deux mois à cause de mauvaise volonté ; vingt mille travailleurs ont souffert de la faim ; d'énormes capitaux sont restés inutilisés ; et le résultat ? Un statu quo honnête, après deux mois de léthargie.

Pourtant, pas sans profit moral... Ah, je le sais bien : le proverbe selon lequel un malheur apporte toujours un avantage antidotique peut toujours être expliqué dans un sens moral ; toute épreuve apprend en effet la résignation salutaire, tout malheur commun offre l'occasion de l'abnégation ; et pour toute souffrance, il existe le réconfort optimiste que rien n'est inutile dans ce monde...

Le « profit moral » dont il est question ici a cependant une base plus pratique, vise à un effet plus pratique. Il est préférable à la satisfaction personnelle du travailleur qui déclarera : l'employeur a dû céder ; - et vice versa. Le profit moral réside ailleurs : dans le traité de paix, à savoir, qui, au nom des deux parties, met fin à la grève et au lock-out.

Ce traité, très important, vise à la stabilité ; il se termine ainsi : « Cet accord régira la relation entre les parties jusqu'au 31 décembre 1907. Il sera considéré comme renouvelé d'année en année, à moins qu'il ne soit résilié par l'une des parties avant la fin de septembre de l'année en cours. » Cependant, la fougue wallonne, l'agitation politique en particulier, pourront-elles se contenir suffisamment, et laisseront-elles tous les barrages de bonne volonté sans heurt ni brèche ? On peut juger d'après les termes mêmes de l'accord.

« Dans le régime industriel actuel", dit-il, chaque entreprise individuelle ou collective a besoin d'un chef responsable. Et cette responsabilité entraîne une autorité équivalente. En principe, l'employeur a toute liberté de diriger son exploitation selon les nécessités des objectifs, selon son propre jugement, puisqu'il est lui-même responsable de ces objectifs devant lui-même. Cependant, le travailleur qui contribue à ces objectifs a le droit d'intervenir là où il s'agit de déterminer la valeur de la force de travail qu'il apporte à l'entreprise, et de fixer les conditions dans lesquelles cette force de travail sera utilisée. Par conséquent, il appartient uniquement à l'employeur a) de réunir le capital et de fournir les équipements nécessaires à la production de la marchandise ; b) de rechercher les débouchés ; c) de régler le mode de production, c'est-à-dire le choix des matières premières, des moyens de fabrication, du personnel humain.

« Le droit de choix du personnel humain reconnu à l'employeur lui confère également le droit de choisir ou de licencier le personnel, et de déterminer son domaine d'activité. Le pouvoir pour l'employeur de régler l'effectif du personnel en fonction de la diminution ou de l'augmentation du travail et des besoins de son secteur industriel découle naturellement du droit qui lui est accordé de diriger son exploitation selon son propre point de vue.

« Cependant, la hauteur et le fondement des salaires ; la lourdeur, la rapidité et la durée du travail ; les conditions d'hygiène, les possibilités d'accident : tout ce qui concerne l'utilisation du personnel est réglementé par un contrat de travail mutuel.

« Une fois ces conditions fixées pour chaque classe de travailleurs, par leur majorité de voix, elles doivent être appliquées de manière générale, et rien, une fois le contrat conclu, ne peut les enfreindre pour sa durée établie. (Ce qui signifie que l'autorité patronale ne s'étend pas au-delà des dispositions du contrat mutuel.)

« Si l'une des parties déroge au contrat, l'autre obtient immédiatement toute liberté d'action.

« Tout comme il est libre de s'associer, le travailleur est libre de ne pas le faire. Mais aucune association, aucun de ses membres ne doit être blâmé s'ils tentent de convaincre les indifférents de la nécessité de l'association syndicale par des moyens de propagande communs ou personnels.

« Cependant, cette propagande ne doit pas être exercée dans les ateliers ; un endroit sera désigné (dans les ateliers) où l'appel à l'association syndicale pourra être affiché.

« Les deux parties reconnaissent le principe de la liberté du travail : personne ne doit l'empêcher chez le travailleur. »

Voici la position théorique - le bénéfice moral - qui découle du lock-out.

Voici maintenant les conséquences pratiques.

« Un accord de conciliation se termine comme suit :

« Aucune grève, générale ou partielle ; aucun lock-out, général ou partiel, ne sera déclaré sans que des délégués des fédérations (Fédération textile ouvrière et Fédération patronale de l'industrie textile) ne se soient réunis pour l'empêcher.

« Les Fédérations seront averties par l'une ou l'autre partie du conflit.

« Ces délégués, formant un comité mixte, siégeront en tant que chambre de médiation.

« Chaque fédération est tenue de désigner ses délégués dans les trois jours suivant la notification du conflit, toute fédération qui s'abstiendrait sera considérée comme violant le traité.

« Les délégués procéderont à une instruction contradictoire ensemble et élaboreront des moyens pouvant éviter les conséquences les plus extrêmes.

« Toute grève, tout lock-out qui n'aura pas été précédé d'une tentative de conciliation ne sera soutenu par aucune des fédérations. »

On le voit : la partie théorique du traité - dans ce cas, la plus importante car elle peut être considérée comme la solution du problème économique actuel - ne fait pas beaucoup plus que confirmer la situation actuelle, que la relation habituelle entre l'employeur et les travailleurs. J'avais raison de parler de statu quo : l'employeur reste maître dans son usine, et le travailleur conserve toute sa liberté morale. Si le travailleur est autorisé à discuter et à régler les conditions de travail avec l'employeur, ce dernier conserve néanmoins le droit de licencier le travailleur sans discussion ni opposition, s'il estime qu'il y en a trop. Et la partie argumentative du traité ne fixe pas beaucoup plus, bien que j'admette volontiers que sa conclusion pratique propose d'excellentes mesures de précaution.

Cependant, la signification du document réside dans le fait qu'il... a été écrit. La reconnaissance écrite, du côté des travailleurs, des droits de l'employeur, et du côté des employeurs, de ceux des travailleurs, élimine toutes les questions théoriques possibles, est la réponse à toutes les plaintes.

Dommage seulement que seule la raison soit satisfaite par une telle réponse, et que l'homme ordinaire, oui, en temps de conflit, même l'homme plus instruit, ne suive que des raisons de sentiment. Le résultat obtenu aurait pu l'être quelques semaines seulement après le début de la grève ou la déclaration du lock-out. Qu'est-ce qui l'a empêché ? Certainement pas le raisonnement sain exprimé dans le traité ! L'entêtement réciproque, la haine de classe, l'ingérence politique ont empêché que la faim et l'anxiété ne soient évitées, que des centaines d'enfants ne soient pas utilisés comme moyen de propagande socialiste, que la confiance réciproque ne remplace la rancœur et la méfiance.

Maintenant, la question est : le bénéfice moral que constitue ce traité écrit ne sera-t-il pas à nouveau rompu par l'entêtement et la partialité ? À présent, chacune des parties trouve la reconnaissance des droits de l'autre bénéfique. Cette reconnaissance ne deviendra-t-elle pas demain le signal de la résistance ou de la révolte ? Un bénéfice moral... Mais quelle morale, qui ne repose pas sur une raison établie, encore moins sur la raison, peut se vanter de constance ?


Syndicats

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 6 novembre 1906)

Bruxelles, 3 novembre 1906

Si ce n'est pas une conséquence directe, du moins un corollaire du lock-out de Verviers, une longue et vive discussion au sein du Conseil général du Parti ouvrier a opposé les partisans et les opposants de la neutralité des syndicats. Ce fut une belle lutte, une lutte acharnée, presque désespérée, des chefs socialistes pour faire des syndicats avant tout des organes politiques, des corps doctrinaux qui constitueraient un ensemble impressionnant, une masse influente face aux partis hostiles. Et contre ces chefs socialistes, - des politiciens qui n'ont rien à gagner dans une organisation syndicale plus pratique et purement opérationnelle, - des gens plus pondérés se sont levés, qui, par la voix du délégué des tailleurs de diamants d'Anvers, ont proposé que désormais chaque syndicat soit fondé sur une base indépendante et, sans autre obligation, reconnaisse le principe de la lutte des classes et vise à l'abolition du système salarial ; une position socialiste certes, mais qui privilégie l'intérêt immédiat du syndicat, bien qu'appuyée sur des bases collectivistes, par rapport aux intérêts plus larges et plus généraux de la partie agissante du commerce.

Ce fut une belle lutte ! On osa même contredire le camarade Vandervelde lui-même ; on osa même lui déclarer la guerre. Car là où celui-ci déclara que si l'on voulait organiser la classe ouvrière à l'image du syndicalisme anglais ou allemand, il aurait montré sa force et y aurait mis des bâtons dans les roues, il a trouvé le délégué d'Anvers sur son chemin pour lui dire que eux aussi, les partisans de l'association neutre, avaient du pouvoir, et qu'ils l’auraient montré au camarade Vandervelde. Ce n'est pas beaucoup moins qu'un défi. C'est en tout cas une mise en garde suspecte, une méfiance et un refus du socialisme économique face au socialisme politique ; et il est à craindre que l'ordre du jour poussé et finalement adopté par le camarade Laboulle n'apaise pas le fossé, ni n'apporte une satisfaction acquiesçante parmi les rangs des mécontents.

Car, après de longs efforts, après l'opposition des neutralistes et le rejet de leur ordre du jour que j'ai décrit ci-dessus, on a adopté ce qui suit :

« Le Conseil général est d'avis que les propagandistes du Parti ouvrier, qui sont appelés à s'occuper de l'organisation des syndicats, ont le devoir premier d'en faire des organisations socialistes ; que là où ils sont contraints, par les circonstances du fait accompli ou de la circonstance, de rejoindre un syndicat neutre, ils doivent s'efforcer, en toute occasion, non seulement d'y faire prévaloir les principes socialistes, mais aussi de faire usage de leur droit en tant que membre pour les amener à adhérer au Parti ouvrier. »

On voit bien qu'il n'y a pas de demi-mesures : chaque syndicat doit adopter une approche socialiste active et combative. Mais cet ordre du jour n'était pas encore suffisant : le camarade De Brouckère y a ajouté :

« Le Conseil général,

« Considérant qu'il n'existe pas de pouvoir syndical en dehors d'une organisation nationale et internationale forte, d'abord dans les syndicats industriels ou professionnels, puis dans certains syndicats englobant tous les travailleurs,

« Déclare :

« Que tous les membres du Parti ont le devoir de lier les syndicats, qu'ils pourraient fonder, dès leur création, à leurs syndicats nationaux et à la commission des syndicats ;

« Qu'en aucun cas et sous aucun prétexte, ils ne doivent soutenir les syndicats locaux qui s'opposeraient ou refuseraient de rejoindre leurs syndicats. »

Une application politique si stricte du « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous » ; une telle exigence selon laquelle le travailleur, même le socialiste, devrait renoncer à toute liberté personnelle, sacrifier tout intérêt personnel ou local à l'organisation du parti : voilà la volonté, arrogante et inflexible, du Conseil général.

Je vous ai déjà dit que cette volonté ne correspond pas tout à fait à celle d'un groupe important de travailleurs ; l'opposition a été vive pendant deux sessions ; le vote sur l'ordre du jour a été favorable, non seulement, je le suppose, en raison de la discipline socialiste bien connue, mais surtout parce qu'il a été promis que la question serait présentée sur un terrain plus vaste, à des esprits plus ouverts : lors du prochain congrès, où chacun aurait la liberté de parole et où l'obstruction serait moins à craindre ; il y a eu des murmures, - car on pensait, quelques puristes pensaient à tout le mal que l'ingérence politique avait causé une fois de plus à Verviers dans les problèmes économiques ; on pensait que la misère était une question personnelle pour laquelle la politique partisane avait jusqu'à présent offert très peu de soulagement ; on pensait que le militantisme souvent était une « course à l'abîme » personnelle. Et on pensait aussi à des faits précis, impossibles à éluder : que les Trade-unions avaient donné une dignité à l'ouvrier anglais que les travailleurs du continent, sous le socialisme politique, cherchaient en vain ; que les syndicats allemands, tout aussi indépendants des politiciens, avaient réussi, peut-être grâce à cela, à acquérir un pouvoir serein et conscient ; on pensait que la soumission politique ne donnerait pas le sentiment de valeur propre qui permet une discussion digne et équilibrée des droits et des devoirs, et les plus sincères osaient penser que les lois du travail belges n'étaient pas proposées par des socialistes politiques, ni votées exclusivement par des politiciens socialistes...

Et on allait encore plus loin : Il existe des syndicats antisocialistes qui ont accompli autant de travail, et un travail aussi valable, que les syndicats socialistes, et oui, - cela s'est produit à Gand, - en raison de leur modération, ont obtenu ce que la vantardise socialiste n'a pas pu obtenir. Les mineurs de la Ruhr ne sont-ils pas un nouvel exemple ? - Et serait-il, au fond, pas plus logique que les syndicats se concentrent exclusivement sur ce qui concerne leur métier, sans plus, sans s'immiscer dans les questions générales qui sont faites pour maintenir les Parlements en vie ? N'est-ce pas ici, plus que n'importe où ailleurs, que le « Cordonnier s’occupe de sa chaussure » est d'une première application ?...

Ce sont de telles réflexions qui ont suscité la lutte avant le vote sur l'ordre du jour du Conseil général du Parti ouvrier. Je crains bien que cet ordre du jour, ni aucun autre, ne parvienne à les étouffer dans les esprits.


Le sénateur Albert de Belgique

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 15 novembre 1906)

Brussel, 13 novembre 1906

Je reviens tout juste chez moi après une journée historique. La journée d'aujourd'hui restera inscrite dans les annales de la Belgique avec une marque blanche et la mention « historique » pour les générations futures, même si les simples mortels, qu'ils passent diligemment ou négligemment devant le Palais de la Nation, n'ont rien remarqué. Le 13 novembre 1906, le Prince Albert de Belgique a profité de la réouverture de la session parlementaire pour prêter serment constitutionnel en tant que sénateur devant le Sénat, dont il fait naturellement partie.

Une grande journée de gala, bien sûr ! Les rois et reines, qui, sur fond d'or, bordent les sièges des sénateurs le long du mur, semblent plus raides et majestueux que jamais alors qu'ils accueillent un descendant. Les tribunes - habituellement occupées par un peuple frigorifié venant se protéger des intempéries et du brouhaha de l'éloquence sénatoriale, utilisant le son comme une berceuse pour une sieste réconfortante l'après-midi - sont maintenant ornées de comtesses et de baronnes. Plus que jamais, les mollets des huissiers dans leurs bas de soie sont tendus, et la lourde chaîne dorée sur leur poitrine prend l'aspect d'un Ordre de la Toison d'Or. Et depuis la tribune de presse, on peut voir, plus lisses et brillants que jamais, les crânes des sénateurs, en nombre jamais vu auparavant - car seuls les socialistes sont absents - leurs barbes blanches se balançant sur la basse poitrine de leur costume d'habillé, leurs sourires les plus doux aux lèvres, même pliés vers leurs ennemis politiques ; seuls les regards sévères de quelques radicaux et les cravates colorées accompagnant les vestes provocantes de certains atténuent la sérénité d'un Sénat qui, comme aux plus beaux jours, sirote des limonades et serre des mains, particulièrement heureux de retrouver tous ses anciens et bons collègues...

Le début de la séance est lent. En attendant que le Prince fasse son entrée, le temps est comblé par l'élection des membres du bureau. Une occupation qui, compte tenu de ce qui est à venir, passe naturellement presque inaperçue ; où tous sont réélus d'ailleurs - le Sénat n'aime pas le changement - et cela ne semble surprendre personne. C'est donc au milieu d'une indifférence quasi totale que les mots de remerciement du président de Mérode sont prononcés, louant grandement le fait que les sénateurs ne sont en rien aussi belliqueux que leurs confrères de la Chambre, et que, en tant qu'anciens, ils savent toujours garder la juste mesure en toute chose. Ensuite - le président semble délibérément prolonger son discours, car il n'est que trois heures et demi et le prince n'arrivera pas avant quatre heures - il rend hommage au défunt comte Surmont de Volsberghe ; et après lui, le ministre de Favereau ; et après lui encore, le vice-président Dupont, et... nous ne sommes qu'à un quart d'heure de trois heures.

Pourtant, on a déjà tout dit... Alors on se contente de déambuler dans l'hémicycle, de tendre de nouvelles mains et de serrer de nouvelles poignées de main, de siroter de nouveaux verres de limonade... C'est ainsi qu'on passe, en attendant les événements, des après-midis historiques....

Mais un premier signal est donné : la Princesse Elisabeth, l'épouse sympathique du Prince héritier, fait son entrée avec le petit et charmant prince Léopold. Des applaudissements chaleureux l'accueillent, même du côté gauche.

Et maintenant, un nouveau signal : c'est le nouveau Sénateur lui-même, accompagné des vice-présidents et de quatre de ses nouveaux collègues. Très rouge, il dissimule son émotion très réelle sous son sourire habituel et sceptique. Il prend place sur un siège orné de la couronne royale, entre deux vieux messieurs dont les cheveux brillent d'un blanc neigeux.

Et le président entame son discours élégamment formulé. Il commence par rappeler comment son prédécesseur, le comte d'Ursel, il y a trois ans, lors de l'inauguration de la nouvelle salle de séance, avait eu le privilège d'assurer au Prince la reconnaissance et la confiance du Sénat, et comment le Prince Albert avait alors reconnu : « Connaissant sa grande et noble mission, animé d'un amour ardent pour sa patrie, le Sénat, d'un pas ferme, sage et convaincu, continuera de suivre le chemin qu'il a emprunté depuis sa création. La nation compte sur lui avec une confiance légitime, sachant qu'il saura toujours être à la hauteur de ses devoirs envers elle en toute occasion. » « C'était, poursuit le président, nous dire combien Votre Altesse Royale attache de prix à sa qualité de sénateur. L'heure est venue, Monseigneur, pour vous de vous joindre à notre travail et d'ajouter vos forces aux nôtres. Nous savons que vous avez préparé cette heure par des études assidues. D'abord, vous avez voulu visiter le pays et l'étranger, et en vous tournant vers les meilleures sources, vous avez acquis de multiples connaissances. ... Suivant l'exemple élevé de Celui qui, il y a cinquante ans maintenant, a planté ici les jalons d'un gouvernement extrêmement fécond, vous avez compris, Monseigneur, que la qualité de sénateur, accordée aux princes pouvant être appelés à gouverner, pourrait mieux les initier aux affaires publiques et renforcer l'unité entre eux et la nation dont la Haute Assemblée est issue. Le Sénat comprend tout l'honneur et toute la responsabilité de ce privilège. Il est reconnaissant pour l'honneur et accepte la responsabilité avec confiance. Et maintenant, Monseigneur, vous allez prêter le serment constitutionnel ; et une fois de plus, vous serez lié à la patrie, si fidèlement servie par Celui dont vous êtes le digne fils. Albert, Prince de Belgique, jurez-vous de respecter la Constitution ? »

La haute silhouette du Prince se dresse maintenant très droite, très mince. La main levée, d'une voix forte, même tremblante, il dit : « Je le jure ». Et maintenant, lui aussi, commence un discours, cette fois-ci pas sans ennui, pourrait-on dire, un petit discours aux mêmes termes presque que celui du président, avec beaucoup de remerciements et de témoignages de gratitude, mais avec la promesse d'un grand dévouement ; - mais avec une petite phrase, cette fois-ci, qui pourrait avoir une signification dans certaines circonstances. « Je continue, dit à peu près le Prince, ici la tradition de celui qui, en 1853, en tant que Duc de Brabant, comme moi, a prêté serment de sénateur, une tradition qui a porté de si beaux fruits. » Si l'on pense maintenant qu'il est fait allusion à l'activité du très jeune Léopold II au Sénat, où il a été le premier à défendre la politique coloniale et à plaider dès lors en faveur de l'importance des possessions coloniales pour la Belgique, on devinera facilement ce que peuvent cacher les mots du Prince Albert, surtout alors que l'affaire du Congo ne se déroule pas aussi bien que prévu, et on ne trouvera peut-être pas un hasard dans le fait que lui, le sympathique Prince héritier, a choisi précisément cette année-ci, et non plus tôt ni plus tard, pour entamer sa carrière de sénateur....

Mais prédire n'est pas dans l'air du temps... Le Prince commence déjà à saluer et à s'incliner sous les applaudissements - auxquels une partie de la gauche s'abstient - de ses nouveaux collègues. Et avec beaucoup de respect, il est reconduit à l'extérieur ; après quoi le président déclare que le moment est trop solennel pour continuer à travailler, et permet aux messieurs membres de sortir et de se reposer de l'émotion jusqu'au 15 décembre.

Dans la Chambre des représentants, il n'y avait pas d'émotion, et... très peu de membres. La journée n'y était d'ailleurs pas plus historique que les soixante-quinze fois où elle est apparue chaque année, toujours à la même date. Et c'est pourquoi aucun congé supplémentaire n'a été accordé ici non plus ; car ces messieurs, en plus des budgets, ont cent quarante projets de loi à examiner, dont certains attendent depuis... 1855 !


Une manifestation [en faveur de l’enseignement obligatoire]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 20 novembre 1906)

Bruxelles, 18 novembre 1906

Il n'y a personne de plus sourd que celui qui ne veut pas entendre ; et rien n'est plus facile que de se barricader dans sa chambre, tous les volets clos, toute lumière éteinte, pour ensuite déclarer : ce n'est pas du tout le jour.

Et pourtant, la formidable manifestation de ce matin en faveur de l'Instruction obligatoire - « het verplichtend onderwijs » comme on l'appelle en Flandre - a dû donner une secousse de conscience à ceux parmi les volontairement sourds, les prétendus aveugles, qui veulent rester honnêtes envers eux-mêmes, face à cette expression significative et bien réfléchie de la volonté populaire ; car il serait bien triste de penser qu'aucun des députés qui ont encore des réserves sur l'obligation scolaire n'oserait reconnaître qu'une manifestation aussi imposante et grandiose que celle-ci, accompagnée de la conviction et de la demande d'une grande partie de la nation, doit être prise en compte.

Une telle conviction, une telle demande pèsent plus lourd que l'objection selon laquelle l'instruction obligatoire, comme toute obligation, porte atteinte à une liberté ; lorsque le peuple dit : « Je veux que l'instruction obligatoire soit imposée », il n'est pas raisonnable de lui répondre : « Excusez-moi, mais j'ai peur de porter atteinte à votre liberté ».

Et ce matin, le peuple a parlé : un cortège, comme je n'en ai jamais vu auparavant ; qui a duré près de deux heures du début à la fin ; dont le nombre de personnes était incalculable ; dont la tête s'est déjà dispersée bien avant que la dernière partie ne se mette en mouvement ; une mer de gens, mais sans agitation, sans perturbation gênante, à quelques petites exceptions près ; une ondulation de têtes au-dessus desquelles flottaient une forêt de drapeaux, et au-dessus encore un joyeux soleil d'après-midi - « le soleil des gueux », disait-on dans les rangs libéraux - un cortège digne et grandiose, où aucune frasque n'est venue altérer la décision digne, la volonté noble de briser, montrant que le peuple belge ne veut pas être en retard par rapport à ses voisins, et qu'il considère comme un privilège de se voir imposer le devoir d'aller à l'école, d'être éduqué.

Le spectacle ne sera pas facile à oublier, même pour les Bruxellois blasés, pour les citadins sceptiques et moqueurs ; il était trop sérieux, trop solennellement réel. On sentait que le concept de l'obligation scolaire était devenu quelque chose de plus qu'une simple demande politique ; il y avait ici une conviction devenue organique, qu'une injustice avait été commise jusqu'à présent, que ce qui était demandé était un droit légitime et indispensable, relevant de la propriété naturelle d'un homme libre ; il y avait l'opinion tenace selon laquelle, de nos jours, on n'a plus le droit d'être illettré, et qu'il incombe à l'État de veiller à ce que chacun ait au moins cette égalité d'armes dans la lutte pour la vie : la possibilité d'être instruit. Cette conviction était étayée par une phrase que le Roi, Léopold II, prononça en 1878 : « Le développement intellectuel d'une nation assure, de nos jours, sa prospérité matérielle. » Et cette phrase, peinte sur de grands morceaux de coton, servait de leitmotiv, d'expression de la pensée intérieure incarnée de cette foule, au-dessus des têtes, entre les fanfares et les corps de musique en ébullition, tout au long du cortège - du moins dans les rangs des libéraux.

Ce sont les libéraux, il me semble, qui étaient les plus nombreux. Certes, il y avait plus d'animation parmi les socialistes, qui exprimaient leur volonté, étaient plus agités, semblaient plus heureux sous leurs drapeaux rouges joyeux, et parfois, au son de leurs superbes fanfares - parmi lesquelles celle de Vooruit, de Gand, se distinguait comme la meilleure dans le cortège - entamaient des chants ; mais là où il y avait moins de « conscience », semblait-il, c'était parmi les libéraux, plus « bourgeois », moins enthousiastes, qui semblaient toutefois être imprégnés d'une plus grande discipline spirituelle, moins intéressés par la politique, me semblait-il, réunis moins par un impératif partisan que par le juste droit de chacun à revendiquer ; et, même s'il est vrai que certains étudiants universitaires ont jugé nécessaire de faire ici et là des plaisanteries telles que crier « À bas la calotte » et d'autres provocations, le fait que j'aie reconnu parmi les élèves accompagnant le cortège quelques catholiques convaincus - je ne parle pas de cléricaux - entre collègues libéraux plaide en faveur d'une impartialité sérieusement recherchée et d'une vraie ouverture d'esprit quand il s'agit de cette seule chose : obtenir l'obligation scolaire.

Il n'est pas possible de décrire ce cortège. Permettez-moi simplement de vous dire qu'il a été ouvert par l'ancien bourgmestre Buls, en tant que président de la Ligue de l'Enseignement ; que le recteur de l'Université de Bruxelles, accompagné de nombreux professeurs, précédait les étudiants de la capitale, de Gand et de Liège ; que chaque délégation des villes était conduite par sa représentation au Parlement ; que de nombreuses femmes ont participé à la manifestation ; que les enfants étaient encore plus nombreux que les femmes ; et qu'enfin, des centaines de pétitions ont été remises au bourgmestre De Mot, qui les a également reçues en tant que sénateur, et que le cortège, au milieu d'un cercle de parlementaires, devant l'hôtel de ville, sur la magnifique Grand-Place, a vu défiler son peuple comme un empereur.

Et... avec quel résultat ?

Je l'ai déjà dit : celui qui se renferme dans une pièce sombre ne ment pas lorsqu'il dit : à mon avis, le soleil ne brille guère aujourd'hui. De la même manière, on peut nier la volonté populaire : il suffit de rester chez soi et de faire comme si on ne savait absolument rien de la manifestation. Un deuxième point de vue consiste à faire de la question une question de philosophie du droit, et à parler de liberté lésée.

Un troisième point de vue, très subtil, est celui adopté par l'un de nos esprits les plus avisés, qui m'a dit : « J'ai toujours remarqué que parmi nos agriculteurs, ceux qui étaient les plus sensés étaient ceux qui étaient le moins instruits. L'éducation émousse leur sensibilité innée, dans le sens où elle leur donne des notions apprises, parfois fausses, en tout cas impersonnelles, sur des sujets qu'ils exploreraient autrement par leur propre curiosité, leur propre expérience, pour les approfondir, les assimiler à leur propre image et à leur propre capacité de réflexion. L'obligation scolaire étouffe l'initiative personnelle et la finesse sensorielle personnelles ; elle engourdit les esprits ; comme toute mesure démocratique, elle polit toutes les aspérités intellectuelles qui vous distinguent de vos semblables, elle lisse ; elle réduit le génie à une habileté banale ; elle vous interdit de posséder la première chose qui distingue l'homme de l'homme, et les hommes des animaux : elle interdit d'être "différent"." »

Face au premier point de vue, toute tentative est vaine : l'entêtement dans la bêtise n'a jamais été vaincu. Le deuxième point de vue est tout aussi peu touchable : celui qui raisonne sur la vie se met souvent en dehors de la vie, et finit par ne plus comprendre sa voix. Et le troisième point de vue - artistique - prouve seulement que... soit que la conception que l'on se fait de l'obligation scolaire est fausse, soit que l'obligation scolaire, mal comprise, entraîne des résultats erronés, - ce qui peut être corrigé par une meilleure compréhension de l'éducation...

Mais je sais bien que aucun de ces points de vue n'est le véritable point de vue des ennemis de l'obligation scolaire en Belgique. Ce qui peut être considéré comme la raison de leur refus obstiné est leur crainte de l'enseignement neutre. Ce qui les effraie, c'est que l'obligation scolaire semble aller à l'encontre de la neutralité religieuse. Leur peur légitime, compréhensible de leur point de vue, des « écoles sans Dieué, comme ils les ont eux-mêmes appelées, les amène à s'opposer à l'obligation scolaire elle-même ; cela les conduit à se présenter eux-mêmes comme étant étroits d'esprit ou trop pointilleux.

Mais est-ce honnête envers eux-mêmes ? Et n'y aurait-il pas moyen, en reconnaissant l'obligation scolaire, de garantir également la liberté de chaque conscience, sans contrainte ni pression d'aucune sorte ?


Les évêques et les flamands catholiques [au sujet du projet Cooremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 25 novembre 1906)

Bruxelles, 24 novembre 1906

Il y a environ un mois, je vous ai écrit au sujet de la lettre commune que les évêques belges avaient envoyée aux directeurs des établissements d'enseignement secondaire libres, placés sous leur autorité, prétendument pour réglementer l'usage du néerlandais comme langue véhiculaire dans ces écoles et informer les écoles officielles, mais en réalité pour contrecarrer l'adoption du projet de loi Coremans, sous prétexte que la bienveillance épiscopale avait rendu une telle loi superflue. Je craignais alors que la docilité, la soumission passive des Flamands catholiques et de leurs représentants à la Chambre ne les détourne effectivement du projet de loi et que la prudence rusée des évêques ne retourne en leur faveur la propagande menée par les Flamands en faveur du projet de loi : une prise de conscience, une reconnaissance de leurs propres droits, qui serait désormais de la reconnaissance pour leurs éminences révérendes, qui avaient su reconnaître ces droits avec tant de générosité, de leur propre initiative, sans la contrainte d'une loi.

Je craignais non pas que les Flamands catholiques soient aveuglés, et qu'ils ne voient pas dans la solution habile des évêques le moyen de renforcer l'autorité pastorale aux dépens de l'État ; mais je craignais qu'en approuvant une telle politique, ils n'acceptent que la seule autorité spirituelle devrait exercer un contrôle dans leurs écoles, de peur qu'un changement de gouvernement, un renversement de la politique des libéraux ou des socialistes ne mette leur volonté en opposition avec celle des évêques. Je craignais que le principe de la nécessité de l'enseignement en néerlandais en Flandre, une fois reconnu et mis en œuvre par les évêques de leur propre initiative, ne soit secrètement accueilli avec satisfaction par les Flamands, comme un moyen d'échapper à l'obligation, à la force d'une loi.

Je me suis trompé... à moitié.

La « Dietsche Warande en Belfort », la revue catholique la plus influente de Flandre, contient en effet un article d'un éminent éducateur, le chanoine J. Muyldermans, inspecteur de l'enseignement secondaire libre et, ce qui ne diminue pas son autorité chez les catholiques, membre de l'Académie royale flamande. Dans cet article, qui se veut apaisant et qui n'est pas sans une bonhomie conciliante, et dont la superficialité n'est pas dénuée de ruse, l'honorable inspecteur scolaire prend la défense d'un certain nombre... de moulins à vent, de nombreuses accusations qui n'ont rien à voir avec le projet de loi Coremans : comme le fait que l'enseignement secondaire libre serait en retard par rapport à l'enseignement officiel - « où est-ce que notre jeunesse ne produit pas de bons orateurs et écrivains ? » demande le chanoine Muyldermans - ; ou encore « quelques politiciens, lorsqu'ils se produisent devant le public, reprochent à l'enseignement catholique ce qu'ils devraient plutôt reprocher à une éducation francisée à la maison », et ainsi de suite.

Quant à la situation elle-même, à la question de savoir si une loi comme celle proposée par Coremans est souhaitable, il développe en trois points l'affirmation suivante : « On prétendait, à tort ou à raison, que le projet de loi de Coremans devait mettre fin à la situation arriérée de notre langue dans l'enseignement libre. Mais si l'on démontre maintenant que la réglementation épiscopale va plus loin que ledit projet de loi, qu'est-ce qu'il reste alors à prouver ? » Et toute l'attention bienveillante du chanoine Muyldermans est bien sûr de vouloir démontrer que "la réglementation épiscopale va effectivement plus loin », et que Coremans se retrouve dans une position peu enviable.

De la nécessaire sanction qu'une loi confère à une mesure, de la signification indélébile d'une loi qui consolide le bien contenu dans une mesure : pas un mot. Mais oui, très brièvement, à un moment d'inadvertance, cette pointe de l'oreille d'âne : « Certains veulent que cela - la réglementation, à savoir de l'enseignement secondaire - soit déterminé et validé par la loi... par l'État, qui peut être catholique aujourd'hui et socialiste ou libéral demain ».... Il convient de noter ici, cependant, que ce n'est pas la nature ou l'objet de l'enseignement qui est réglementé par le projet de loi présenté, mais plutôt la langue dans laquelle cet enseignement doit être dispensé, et qu'un changement dans le gouvernement politique aurait très peu d'impact sur une telle loi, car le principe du sentiment flamand n'est pas spécifiquement catholique, libéral ou socialiste...

Je ne me suis donc pas trompé en pensant que la lettre épiscopale trouverait un certain nombre de cœurs reconnaissants et de fidèles acquiescements parmi les Flamands catholiques. Il y en a maintenant aussi qui, en apparence, brandissent un drapeau de rébellion. Ne voyons-nous pas, à partir du deuxième exemple que je vais citer ici, qu'eux aussi ne demandent pas mieux que de retourner rapidement dans le rang et de suivre avec zèle l'ordre supérieur ?

Ce deuxième exemple est celui de Mademoiselle M.E. Belpaire. En tant que femme intelligente, consacrant sa fortune au bien-être de son peuple et prouvant ses convictions flamandes non seulement par des mots, elle a su rajeunir, rafraîchir et dynamiser la « Dietsche Warande en Belfort » qu'elle dirige. Elle a réussi à placer des éléments jeunes, dont la foi catholique était très libérale, face à des réactionnaires plus âgés dans la rédaction de son propre magazine, de sorte que ces jeunes ont remporté une victoire pas toujours facile, au moins sur le plan littéraire. Mademoiselle Belpaire est une figure ; elle a le caractère d'une leader, et il ne lui manque qu'une chose pour cela : si ce n'est pas la volonté, du moins la masculinité dans la pensée. Aussi intelligente soit-elle, Mademoiselle Belpaire reste une femme. Elle a plus d'enthousiasme et de sensibilité que de force de pensée logique ; elle a soif de vérité, mais pas toujours la force de pousser les préjugés qui bloquent le chemin de cette vérité. Encore une fois dans ce cas. Dans un article qu'elle intitule « Nakreet », elle ose demander : « Les lettres de Leurs Éminences les Évêques ont-elles répondu à l'espoir que nous avions nourri ? » Et elle « n'hésite pas à répondre : non ! »

Et maintenant, vous pensez : Mademoiselle Belpaire souhaitait non pas une simple réglementation de l'enseignement, comme celle que prônent les évêques, mais l'espoir qu'elle « nourrissait » était que les évêques apporteraient leur soutien au projet de loi Coremans ? Pas du tout : la déception de Mademoiselle Belpaire repose sur des principes. Après Vermeylen en Flandre, elle se devait à elle-même, dans la « Dietsche Warande », de déclarer que la langue d'un peuple est autre chose que ce que les évêques affirment, et qu'elle ne peut pas se contenter des considérations théoriques qui ont conduit Leurs Éminences à prendre des décisions pratiques dans leur lettre.

En ce qui concerne le projet de loi, confronté à l'acte épiscopal : « Maintenant que le calme revient, nous devons toutefois reconnaître que les mesures pratiques prises par les évêques nous inspirent plus confiance que l'ingérence de l'État. »....

Voilà ! Une nouvelle preuve que je ne me suis pas trompé....

Et pourtant : je me suis bien trompé. Du moins, je me suis trompé à moitié, dans le sens où trois cent cinquante-sept catholiques érudits ont été trouvés pour protester fermement et explicitement contre la lettre pastorale, dans la mesure où elle s'oppose au vote du projet de loi ; 357 croyants droits mais sensés et indépendants, dont on peut dire qu'ils représentent un noyau et dont le rang social - ce sont des professeurs, des médecins, des notaires, des juges - leur confère une autorité incontestable, ont exprimé leur opposition au camouflage d'une loi qui impose à tous les Belges des obligations égales, où tous bénéficient des mêmes droits ; 357 croyants clairvoyants - un nombre modeste, mais multiplié par la signification des signataires - qui, dans une circulaire adressée à Leurs Éminences les Évêques de Belgique, ont exprimé leur attachement profond aux évêques en matière religieuse, mais leur liberté de pensée en ce qui concerne le bien-être de la communauté.

Et c'est avec joie que j'ai lu cette circulaire. « Il nous est permis, dit-il, H.E.E.H., de vous exprimer respectueusement mais sincèrement les sentiments que la lecture de ce document remarquable et important a éveillés dans l'esprit des Flamands catholiques. Et ils remercient également les évêques pour la reconnaissance des revendications flamandes, pour les efforts qu'ils ont déployés pour remédier aux maux ; mais les mesures introduites par Vos Éminences ne produiront, selon notre humble opinion, des résultats solides que si elles sont complétées et ratifiées par des dispositions légales. » Car ils savent, eux, les Flamands catholiques qui ont reçu leur éducation dans des établissements libres, comment les règlements et les directives sont manipulés ! « Ces directives ne produisent pas de résultats tangibles. À notre humble avis, cela tient au fait qu'une trop grande liberté d'action a été accordée à ceux qui devaient les appliquer, et qu'il manquait la garantie d'une ratification légale. » Par ailleurs, une loi qui déterminerait les activités de tous les établissements d'enseignement, officiels et libres, est d'abord une tranquillité d'esprit pour les parents, et rend toute concurrence déloyale impossible.

« C'est avec regret, ont donc observé les Flamands catholiques, en lisant les instructions en question, que nous avons constaté que notre autorité ecclésiastique se fait une idée erronée de l'objectif qu'elle poursuit, lorsqu'elle insiste sur l'introduction par la législation du projet de loi Coremans. Non seulement leur objectif est « de faire apprécier davantage la langue flamande », ils veulent que le néerlandais - la langue des enfants flamands - soit adopté comme langue principale et unique dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur : le projet de loi Coremans n'est pour eux qu'une première étape sur cette voie. »

Jusqu'ici les 357 Flamands catholiques : puissent leur action décidée et digne redonner du courage à nos représentants du peuple, ceux qui soutiennent Coremans et son projet de loi, avec la conscience qu'ils parlent au nom d'une partie éclairée de leur peuple, de personnes qui savent, malgré ceux qui les envient, exiger ce qui est juste et ce qui leur revient, dans l'intérêt de tous.

D'ailleurs, on peut penser comme on le souhaite sur la nécessité de voir une situation quelconque validée ou modifiée par une loi ; on peut douter de la signification éthique, des conséquences matérielles d'une loi. Mais voici autre chose : ce qui est loi pour les uns - en l'occurrence : les établissements officiels d'enseignement moyen - n'est pas loi pour les autres - à savoir les établissements privés. De là découle une situation d'inégalité ; cela entraîne une différence de droits et de devoirs. Et aucune recommandation épiscopale ne peut remédier à cela : une nouvelle loi d'apaisement est ici nécessaire.


Une déception [au sujet de la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 29 novembre 1906)

Bruxelles, 27 novembre 1906

Aujourd'hui devait être la « grande première ». Jusqu'à présent, nous avions eu droit au « Vanitas Vanitatum » : des futilités parmi les futilités, traduites en termes peu flatteurs. On s'était querellé ; oui, juste quelques injures habituelles, sans réel impact ni signification. On avait essayé de se donner des coups de pied, mais sans que le public, sans que le pays en tire quoi que ce soit. La Chambre des Représentants était en session depuis un mois et demi : rien n'avait encore prouvé au peuple que le système parlementaire en Belgique était toujours en vigueur..

Mais aujourd'hui, ça devait changer ; aujourd'hui serait la « grande première ». On allait ouvrir avec une pièce qui n'était pas vraiment nouvelle, mais qui, comme le « Faust » de Gounod, plaisait toujours et savait attirer les gens : la question du Congo ; et cette fois avec une nouvelle distribution, de nouveaux décors, une mise en scène entièrement renouvelée.

Et dans la tribune diplomatique, le ministre plénipotentiaire de l'Angleterre arborait un visage impassible ; dans la tribune présidentielle, il y avait des personnes bien en chair et très officielles ; et les préteurs avaient poussé la courtoisie assez loin pour offrir des places privilégiées aux dames de la plus haute noblesse, d'où elles avaient entendu ces salauds de socialistes dépeindre le roi et maltraiter ces bons et braves ministres.

Maar... es wär' zu schön gewesen....

Pourtant, tout était bien préparé. Les journaux, touchants dans leur unanimité, avaient, à quelques exceptions près, réchauffé la politique royale et l'avaient même largement couverte. Dans les incidents les plus innocents, ils avaient, avec aigreur ou prophétisme, lu le pour et le contre. Les chevaux de bataille s'étaient emballés, et, dans de nombreux cas, la logique aussi. - Cas étrange : les parlementaires semblaient cette fois ne pas être d'accord avec leurs journaux ; mais ils faisaient tout de même preuve de beaucoup de sérieux, de beaucoup de « je sais tout » ; et il semblait bien que Léopold II allait s'asseoir sur des charbons ardents en ce 27 novembre 1906 - date historique !...

En... es hat nicht sollen sein....

Pourtant, hier soir déjà, lors d'une réunion organisée par l'Association libérale de Bruxelles, des politiciens influents nous avaient fait les plus belles prédictions. C'était comme un prologue à la journée d'aujourd'hui, une évaluation de sa propre force face à la force ennemie, une mesure du biceps des deux champions. Un jeune avocat bruxellois, qui cherche à devenir influent, M. Léon Hennebicq, bien connu pour son implication dans la question de la proposition « Union Belgique-Hollande », a été fermement recadré par des personnes sérieuses qui craignent un nationalisme excessif et souhaitent que la question de l'État du Congo soit discutée entre les deux parties concernées : le Roi et les Belges, rejetant toute ingérence étrangère, rejetant toute peur. Les choses se passaient bien à la « Wolvin », l'ancienne maison de guilde sur la Grand-Place, où avait lieu la réunion ; cela promettait un après-midi brûlant pour aujourd'hui ; car il était clair que l'opposition libérale essaierait, de manière impartiale mais intrépide, d'étudier et de discuter la question.

Mais....

Il faut savoir qu'une chambre parlementaire où les deux parties - droite et gauche - ont presque le même nombre de voix devient un enfer lorsqu'il s'agit de perdre ou de gagner une voix. Or, notre Chambre des représentants se bat depuis plus de quatorze jours pour... le cadavre de Patrocle, - non, pour l'élection de M. Debunne. M. Debunne n'est pas un personnage très remarquable. C'est un vendeur de journaux qui, après beaucoup de propagande, a remporté une majorité de douze voix en tant que représentant socialiste de Courtrai. Maintenant, il se trouve que quelque chose cloche dans l'élection. Des voix auraient été cachées ; deux prêtres auraient voté deux fois ; des personnes qui n'avaient pas le droit de vote - d'anciens condamnés - auraient été appelées aux urnes ; bref, quoi qu'il en soit, l'élection de M. Debunne plane comme l'épée de Damoclès sur la tête de l'assemblée - qui, des deux côtés, craint de perdre une voix...

Et aujourd'hui, au lieu de nous offrir enfin quelque chose de supérieur, quelque chose d'universel, quelque chose... d'exaltant, la Chambre a jugé bon de continuer à discuter, à se quereller et à presque se battre encore sur l'acceptation de ce monsieur Debunne. On s'est bien sûr traité de voleur et de voyou. On a éclaté de rire terriblement quand quelque chose de vrai, quand une insulte comme une bombe traversait la salle, et... l'affaire Debunne a été renvoyée à une nouvelle commission. Et de la « grande première », promise pour aujourd'hui, il n'y a eu que l'assurance du ministre des Affaires étrangères, M. de Favereau, que le gouvernement anglais n'avait rien communiqué au gouvernement belge concernant l'État du Congo...


Le premier acte [au sujet de la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 novembre 1906)

Bruxelles, 28 novembre 1906

Cette fois-ci, c'est véritablement commencé. Une atmosphère extraordinaire de sérieux et presque de solennité plane sur la Chambre des représentants, et témoigne suffisamment que le jeu est en cours ; que, sans hésitation et avec une décision digne, ce que les Belges pensent, ce que les Belges souhaitent en matière de reprise du Congo-Etat libre, va être dit. Une salle comme aux grands jours ; tous les diplomates étrangers sont présents ; dans la tribune de la presse, des représentants de tous les journaux étrangers possibles et impossibles, surtout anglais ; des dames dispersées partout, des dames qui subissent la gravité du moment et sentent bien que le divertissement sera d'une catégorie très spéciale...

À deux heures, la séance est ouverte. Le camarade Vandervelde, qui devait parler en premier, est malheureusement absent. On attendait de son mot mordant et spirituel, mais jamais léger ou imprudent, le tableau vivant, brillant et peut-être ironique de ce que les socialistes belges pensent de la question pendante. Ç'aurait été un jeu d'épées d'arguments étincelants et de coups surprenants... Mais M. Vandervelde est malade ; son indisposition, annoncée dès le début de la session, ne cède pas au désespoir de ses amis ; on craint que sa parole hautaine et... autoritaire ne résonne pas cette fois-ci, dans une question où l'étude préparatoire lui avait donné plus d'autorité que tout membre de son parti. Et ainsi, on a été contraint de donner la parole, comme premier orateur, à M. Hijmans.

M. Hijmans est, je crois, le plus jeune, et désormais le membre du côté libéral de gauche sur lequel on compte le plus de respect et d'espoir. Il est maigre, tranchant, distingué mais déterminé, très poli mais très froid dans ses manières. Son regard est perçant, son discours plutôt froid que enthousiaste. Il n'aime pas perdre son sang-froid, il veille à ce qu'on ne le lui enlève pas par des interruptions. Au fond - bien que l'apparence ne soit pas charmante, pas très sympathique, peut-être trop fine pour pouvoir compter sur l'affection chaleureuse de la foule - M. Hijmans est un vrai orateur politique, celui qui connaît mieux que quiconque la technique de l'art et sait remplacer l'ardeur naturelle par l'artifice ; un continuateur à la Chambre de la grande tradition oratoire d'autrefois, d'avant les socialistes agités, enfantins, vivifiant mais vivants.

Son discours d'aujourd'hui est un chef-d'œuvre de décision sereine. Pas de mots creux : des preuves, des arguments qui lui permettaient de garder la certitude calme de celui qui sait qu'il a raison de manière irréfutable. On savait d'avance qu'il avait quelque chose à dire, qu'il n'ouvrirait pas la bouche pour des sons vides. Ainsi, c'est avec la plus grande attention qu'il a commencé :

« La lettre du roi-souverain, et l'acte testamentaire qui y est joint, ont profondément surpris et ému l'opinion publique. La lettre du roi, écrite avec une telle force, semblait exiger un examen approfondi de la question du Congo et de la reprise de cette colonie. C'est pourquoi il est nécessaire que le gouvernement, gardien responsable des droits et des intérêts de la Belgique, donne des explications.

« Le gouvernement a devancé mon interrogation en fournissant à la Chambre des explications préliminaires superficielles. J'avais espéré que le gouvernement nous apporterait une interprétation de la lettre royale qui partirait de l'État Libre et mettrait fin à toute confusion. Au lieu de cela, le gouvernement affirme que la nouvelle volonté du Roi ne fait que préciser davantage sa vieille volonté : c'est répondre à la question en posant la question elle-même. La lettre du Roi place la question coloniale devant le pays. L'heure est peut-être proche où nous devrons nous prononcer sur la reprise du Congo. Il est nécessaire que, lorsque cette heure importante sonnera, la Belgique ne soit pas prise au dépourvu et ne se retrouve pas face à des difficultés de toutes sortes qui pourraient peser sur sa volonté et accroître sa responsabilité. De plus, je suis d'avis que parler est un devoir, car se taire reviendrait à consentir ou à se contenter ; se taire serait : mal servir le pays et le Roi.

« Je ne sortirai pas du cadre de mon interrogatoire. Je ne considère que les intérêts de mon pays. L'honneur national en souffrirait si nos déclarations ou nos décisions étaient dictées par des pressions extérieures. (Applaudissements).

« La Belgique est et souhaite rester le seul maître de ses actes et de son avenir. D'autre part, l'État du Congo est un État indépendant reconnu par les États européens. Et il est dans notre intérêt que cette souveraineté soit respectée par tous selon le droit, car elle pourrait un jour nous revenir et nous souhaitons la recevoir et la conserver intacte.

« Les circonstances nous obligent à être très prudents. Une campagne fait rage à l'étranger, où certains montrent certes une sensibilité sincère, mais où beaucoup cachent mal un désir ardent.

« Le patriotisme nous impose de refuser toute ingérence étrangère, mais ne nous oblige pas moins à veiller aux intérêts belges, à les discuter en hommes libres, à régler notre avenir colonial en toute indépendance.

« Je parlerai donc en tant que Belge, dont seul l'intérêt pour les intérêts belges importe.

« Je me sens très à l'aise pour le faire : vous le savez, je suis loyal envers le roi et très attaché à la dynastie royale. Je soutiens la politique coloniale qui élargit notre horizon, et j'ai souvent exprimé mon admiration pour l'entreprise grandiose du Roi en Afrique.

Je fais partie de cette génération qui est arrivée à l'âge adulte au moment où les grandes idées du Roi se sont clarifiées. À l'époque, elles effrayaient les meilleurs citoyens. Comme les temps ont changé !

« Nous avons une grande colonie en perspective. En attendant le moment où nous aurons à décider, il est nécessaire de préparer et de protéger les opportunités futures. Je ne parlerai pas en tant qu'homme politique partisan : de grandes batailles ont été menées ; nous les reprendrons au bon moment. Mais aujourd'hui, il y a autre chose à faire.»

Après ce préambule saisissant, l’orateur rappelle la lettre royale du 3 juin 1906 : elle confirmait le précédent testament royal d'août 1889, par lequel le Roi léguait le Congo-Léopoldville à la Belgique, soit comme héritage, soit comme don immédiat. La lettre du 3 juin dernier estime cependant que « certains points pourraient être précisés avec profit, que les lettres précédentes (de 1889 à M. Beernaert, de 1901 à M. Woeste) bien qu'elles fassent une déclaration formelle de ma décision, ne déterminent pas les moyens d'exécution qui pourraient rendre possible une éventuelle reprise »

Et ces « moyens d'exécution » sont les suivants : la reconnaissance par la Belgique de tous les engagements contractés par l'État libre du Congo envers des tiers ; le respect des actes par lesquels l'État libre du Congo a cédé des terres aux autochtones, a fait don à des œuvres humanitaires ou religieuses, aux domaines royaux, ou attribué à la propriété de l'État ; le maintien inchangé de ces institutions, sauf en échange d'une compensation équivalente. Le territoire sera par ailleurs inaliénable, tout comme le territoire de la Belgique l'est. - Ce sont là les nouvelles conditions, très clairement énoncées par le Roi en juin dernier, « avec une fierté qui était plutôt humaine que royale. » Elles devaient apporter un nouvel éclairage sur la reprise du Congo, car elles modifiaient largement la nature de ce qui était donné.

En effet : le testament royal de 1889 attribuait au profit de la Belgique, sans condition, le Congo-Léopoldville en tant que propriété absolue. La Belgique aurait donc été maîtresse de ses actions, libre d'agir à sa guise ; elle obtenait une colonie sur laquelle elle pouvait exercer son pouvoir à sa convenance. Mais que nous offre-t-on aujourd'hui ? Des obligations sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle ; un « État dans l'État » qui pourrait entraver notre action, et en tout cas constituer un obstacle ; des conditions dont nous ne pouvons même pas comprendre la signification ou la portée.

Car que savons-nous de la gestion du Congo ? Rien, ou presque rien. La souveraineté y est exercée par un conseil de trois administrateurs et par le gouverneur général. Mais on ne connaît même pas ces trois administrateurs ; leurs actions demeurent strictement secrètes ; leur gouvernement reste leur propriété inviolable.

Alors, que nous propose-t-on donc ? En 1889, nous le savions : « tous les biens, droits et avantages » possédés par l'État du Congo, donc aussi le droit d'y changer ce qui paraissait moins bon, de modifier ce qui était incorrect, de mettre en valeur ce qui suivait une mauvaise voie. Et maintenant ? Une série de choses que nous ne connaissons pas, dont la nature nous échappe, mais que nous devrons respecter et laisser intactes en cas de reprise éventuelle.

Un tel achat n'est-il pas très étrange ? Et le soupçon n'est-il pas ici un devoir primordial ?

En 1889, aucune obligation, seulement le passif. Maintenant : toutes sortes de conditions... Et le distingué orateur entreprend un examen très subtil, très minutieux des obstacles juridiques, pratiques et administratifs, dont il conclut : « La reprise de l'État du Congo plongerait la Belgique dans des difficultés. » Et il termine à peu près comme suit : « Il convient de rendre hommage à la volonté et à la générosité du Roi. Certes, il n'a d'autre but que d'enrichir la Belgique. Mais sa volonté n'est pas sans erreur : le Roi n'a pas confiance en la Belgique.

« Les libéraux sont très favorables à l'entreprise du Roi ; mais la reprise suscite leur crainte et leur méfiance.

« Donc : pas de blâme pour le Roi, mais pour le gouvernement qui veut nous contraindre à un acte dont il nous cache la signification et l'importance.

« Notre premier devoir est de savoir. Certes, l'État du Congo existe, mais comment ? On raconte beaucoup de choses : mais si nous ne connaissons pas la fiabilité de ce qui est dit, comment pouvons-nous en discuter ?

« Ce que nous demandons donc, avant tout, c'est de la lumière : des documents, présentés par le gouvernement sous sa responsabilité.

« Nous sommes en faveur de la reprise. Mais seulement après avoir pris connaissance des faits. »

Le discours de M. Hijmans a fait une forte impression. Il exprimait clairement la volonté d'une grande partie de la nation ; il aura mis le gouvernement dans une position inconfortable, le forçant à se prononcer avec fermeté. Ce premier acte a magnifiquement préparé le terrain ; c'était un exposé admirable.

Les mots ajoutés par M. Furnémont au nom des socialistes n'étaient donc rien d'autre qu'une répétition de ce que M. Hijmans avait dit. Lui aussi a mis en garde contre « la mégalomanie du Roi et l'organisation inconnue de l'État du Congo », une chambre qui était encore très marquée par l'impact du précédent.