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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (juillet 1906)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Fête de jubilé [la fête du « Vooruit » à Gand] (27)

Fête de jubilé [la fête du « Vooruit » à Gand]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 juillet 1906)

Bruxelles, 25 juillet 1906.

Si l'on croit en l'affirmation selon laquelle la population de chaque ville a son propre caractère, un ensemble de traits, de vertus et de habitudes innées, de qualités qui appartiennent à la ville elle-même et qui se reflètent dans ses coutumes ainsi que dans ses bâtiments, alors on ne pourra pas reprocher au Gantois d'être un « suiveur », un homme soumis, facilement satisfait et malléable. Lorsque l'empereur Charles, lui-même un Gantois, critiquait ses concitoyens pour leur "têtes dures", il savait bien que même avant son époque, ces têtes ne se plieraient pas facilement, et que l'avenir ne les plierait guère.

Aujourd'hui encore, l'entêtement, le caractère pointilleux, aux côtés de la ténacité et de l'obstination, leur sont propres : un Gantois est méfiant ; sa capacité critique domine son enthousiasme ; mais une fois que la question examinée a été jugée bonne, elle peut compter sur sa force de volonté, sur la ténacité de sa volonté, sur sa "tête dure", pour surmonter tous les obstacles, même si elle devait se révéler être une erreur par la suite.

Ainsi, le peuple de Gand a acquis une grandeur, une noblesse rude et linéaire, une force imposante, calme et consciente, qui contraste avec la souplesse des Flamands occidentaux et la générosité bon enfant des Brabançons ; et celui qui, dans les ruines de l'abbaye de Saint-Bavon, à Gand, a vu la statue de pierre du "homme du Beffroi", qui ornait l'un des quatre coins du beffroi de la ville il y a des siècles : un guerrier gigantesque, le visage sévère et fermé sous le casque, le cou de taureau droit dans le col de mailles, la poitrine ouverte large dans la cotte de mailles, les jambes comme des arbres et les mains reposant avec force sur l'épée haute comme un homme : celui-là a vu l'âme gantoise, qui, par esprit de malice, n'acceptera rien légèrement, mais défendra ce qui a été accepté, contre toute puissance, intrépidement. Des exemples de l'Histoire ? Ils confirmeraient ce que j'avance ici, et seraient l'explication, ainsi que la justification, du dernier exemple que je peux vous citer : les Fêtes de jubilé de la société coopérative socialiste "Vooruit".

Celle-ci - preuve de l'entêtement et de l'obstination gantois - a choisi les jours de la célébration du 76e anniversaire de l'indépendance nationale partout ailleurs en Belgique pour sa fête. Et - preuve de la volonté et de la ténacité gantoises - elle l'a fait d'une manière qui, en raison de son grand spectacle ainsi que de l'importance de ce qui a été montré, a suscité l'étonnement et le respect, même chez les non-sympathisants.

Fondée, et à très petite échelle, en 1881, comme première preuve en Belgique que les idées socialistes gagnaient du terrain, "Vooruit" n'était au départ qu'une modeste boulangerie coopérative. Aujourd'hui, elle peut être considérée comme la plus grande boulangerie de Belgique. Et sous le même nom, elle a rassemblé des magasins de vêtements, des cordonneries, une imprimerie, un commerce de charbon, des pharmacies, des épiceries, une - récemment fondée - usine de tissage. Pionnière sur le chemin de la coopération, elle a laissé loin derrière elle les autres cercles coopératifs - antisocialistes, comme "Het Volk", "bourgeois" comme "Het Volksbelang" et "Elks Belang", ainsi que celui fondé par les fonctionnaires des chemins de fer, des postes et des télégraphes. Ses bénéfices servent à créer et à entretenir des caisses de maladie et de maternité, des caisses de retraite et des bibliothèques, tandis qu'une partie revient aux membres. Et elle avait encore assez d'argent pour acheter une grande salle de fête et de nombreux entrepôts, et pour construire, sur le Vrijdagmarkt, un véritable palais "Ons Huis", juste derrière la statue de Jacques Van Artevelde, le tribun du peuple - qui, soit dit en passant, a dû apprendre à connaître, au prix de sa vie, la faible indulgence et la perspicacité critique du caractère gantois.

La société "Vooruit", âgée de 25 ans, a donc fêté et jubilé et... c'était impressionnant. Un défilé de 20 000 personnes, dont trois cents Hollandais, s'est mis en route, solennel, conscient de sa puissance, dans les rues, où la poussière, sous leurs pieds, montait comme un encens glorifiant dans le soleil doré. La musique jubilait solennellement, les drapeaux flottaient d'un rouge éclatant contre le ciel bleu limpide. Et au milieu d'une foule silencieuse, les yeux écarquillés d'émerveillement, les grands et lourds chars à parade défilaient, huit lourds chars à parade, où étaient assis raides dans leurs habits blancs les "demoiselles". Et de nouveaux cartels, éclatant de couleurs dans l'air, étaient portés ; et de nouveaux drapeaux de sang vif ; et toujours de nouveaux éclats de clairon au loin ; - jusqu'à ce que finalement les fondateurs de "Vooruit" se présentent, le camarade Anseele à leur tête : le maître de la parole, bien connu, le dompteur d'émeutes, l'homme à la main de fer et au regard d'acier, le dirigeant autocratique de ces ouvriers qui l'adorent avec crainte et respect.

C'était, je le répète, impressionnant ; surtout lorsque Anseele - alors que tout le cortège s'était rassemblé sur la grande place carrée du Vrijdagmarkt - laissait résonner sa voix à travers cette foule, et, dans le dialecte rugueux, guttural et sonore de Gand, élevait sa propre gloire, sa propre glorification ; dans un cortège d'images vigoureuses et larges - aucune langue n'est aussi imagée que le dialecte gantois - il louait la lutte et la victoire. Et lorsque comme une vague, le murmure traversait la foule, sur le point d'éclater en un enthousiasme infini, un frisson parcourait le moins sensible des spectateurs...

Et l'étranger, qui avait assisté à ce spectacle, aurait pensé : que le socialisme doit être puissant en Belgique !

Mais nous, qui savons mieux, nous ne donnerons pas au socialisme tout ce qui appartient uniquement aux Gandois, Sauvons César... Nous savons que le socialisme n'est pas si puissant : sur les 1.581.649 électeurs belges inscrits sur les listes de 1905-1906, il ne peut compter que sur un tiers, sur seulement 450 000 membres, moins encore que la moitié des électeurs ouvriers, qui sont au nombre de 916 980. Mais à Gand, ville industrielle, où l'on est têtu et obstiné, il a suffi qu'une nouvelle idée, prêchant la résistance et exigeant la ténacité, émerge pour trouver des adeptes et des apôtres. L'essor de "Vooruit" est moins un triomphe socialiste qu'un phénomène de caractère gantois. "Vooruit" est puissant parce que le Gantois est récalcitrant à toute discipline autre que la sienne, veut être son propre patron et peut l'être.

C'est pourquoi "Vooruit" a célébré au milieu et à travers les fêtes nationales ; tandis qu'à Anvers les écoliers chantaient la Brabançonne, beaucoup de ceux de Gand chantaient la Marseillaise ; et tandis que la voix d'Anseele tonnait sur le Vrijdagmarkt, le roi Léopold, en véritable Bruxellois de l'ancienne école, assistait à un concours de boules festif ; et il refusait le verre de champagne qui lui était offert, mais buvait avec délice un verre frais de lambic national, après avoir trinqué avec monsieur le maire et avoir dit "santé".