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Chroniques politiques et parlementaires du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

VAN DE WOESTYNE Karel, Chroniques politiques et parlementaires (décembre 1906)

(Paru à Rotterdam, dans le quotidien "Nieuwe Rotterdamsche Courant")

Le deuxième acte [au sujet de la reprise du Congo] (1) - Le troisième jour [au sujet de la reprise du Congo] (2) - Une blague wallonne [au sujet de la proposition de loi Cooremans] (6) - Le quatrième jour [sur la reprise du Congo] (6) - Trêve [sur la reprise du Congo] (8) - Le cinquième jour [au sujet de la reprise du Congo] (8) - Le sixième jour [sur la reprise du Congo] (9) - Le septième jour [sur la reprise du Congo] (13) - Le huitième jour [sur la reprise du Congo] (15) - Belgique [sur la reprise du Congo] (16) - Le dernier acte [sur la reprise du Congo] (16) - Les pommes de la discorde (27)

Le deuxième acte [au sujet de la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 1 décembre 1906)

Bruxelles, 29 novembre 1906.

Avant même le début de la séance, bien avant même qu'un de ses collègues n'ait pris place ou même fait son entrée, avant même que la lumière électrique ne soit allumée, avant que la tribune du public ne commence à bourdonner, M. Furnémont était déjà à sa place. Aujourd'hui, c'est son jour, il va poursuivre ce qu'il avait à peine commencé hier : énoncer ce que veulent les socialistes concernant la reprise du Congo. Et ses yeux étincelants, derrière ses lunettes, fouillent dans ses papiers, vérifient ses notes, et déjà ses épaules frémissent de colère contenue ; déjà, il pèse, non, il précipite ses mots pour leur donner toute la gravité nécessaire.

Hélas, lorsqu'il obtient la parole à deux heures, la Chambre est presque vide. L'intérêt est en baisse depuis que M. Hijmans s'est tu hier. Tout ce qui pouvait être dit de manière raisonnable et pondérée contre la reprise inconditionnelle a été dit, ressenti par le public. Et c'est pourquoi la voix de M. Furnémont résonne quelque peu dans le vide. En vain, il déroule ses phrases les mieux soignées : la Chambre, avec quelques membres épars supplémentaires, gazouille d'abord comme un nid d'hirondelles au réveil, pour bientôt ressembler à un groupe de canards apprivoisés. Le manque d'attention est général. Le président semble visiblement raconter des histoires amusantes au ministre Liebaert. La plupart des membres s'empressent de répondre aux lettres qu'ils ont reçues. Le vieux M. Tack, doyen de la Chambre, se love avec plaisir dans ses presque quatre-vingt-dix ans sur le cuir de son siège.

Et l'attention dans la salle n'est pas non plus très grande. Les initiés, ceux qui savent que M. Aladine, chef de la gauche à la Douma, est présent, cherchent des yeux, jusque dans la tribune diplomatique, plutôt que d'écouter M. Furnémont qui devient enroué.

Celui-ci ferait bien de se rappeler qu'il y a eu un changement dans l'opinion belge concernant le Congo depuis hier ; il ferait bien de demander - tout cela après M. Hijmans - ce que signifient : domaine national et Fondation de la Couronne ; il ferait bien de traduire le fameux « ombre d'un laquais qui avec l'ombre d'une brosse nettoyait l'ombre d'un carosse » par « l'ombre d'un pays qui exercerait l'ombre d'une souveraineté sur l'ombre d'une colonie », applicable à la Belgique en cas de reprise inconditionnelle ; son enthousiasme se heurte à une Chambre froide qui ne cède pas. On sait d'ailleurs que M. Furnémont ne fait que répéter ce que M. Hijmans a dit avec plus de fermeté. Donc... Dommage que M. Vandervelde ne puisse pas intervenir...

L'attention se réveille brièvement lorsque le ministre Van den Heuvel, de la justice, prend la parole. Une figure rare, le ministre Van den Heuvel ; « un minimum de cheveux avec un maximum de hauteur de voix », le décrit un confrère ; un homme maigre, sec, maigre aussi malheureusement dans son argumentation, et sec dans sa démonstration. Ainsi, l'attention s'éloigne rapidement ; alors que M. Van den Heuvel lance des fleurs aux pieds du Roi, célèbre son acte, déplore que le scepticisme belge ait augmenté en même temps que le bien-être congolais, et trouve tout naturel que Léopold II, étant le maître après tout, ne lâche pas le Congo sans réserve. C'est aussi banal et plat que la Brabançonne, tout aussi rhétorique et pompeux : un bon exercice de style pour un élève pas trop bon. Mais cela devient pire lorsqu'il commence à discuter, non, à plaider en faveur des conditions posées par le Roi. Trois fois, M. Van den Heuvel se fait dire qu'il n'est pas sérieux. Cela va provoquer une rébellion s'il continue ainsi, à raconter de manière si désagréable des choses aussi inacceptables.

Et il se tait... pour laisser place à M. Woeste. Celui-ci veut « élargir le cadre », dit-il. Le manque d'attention devient alors, d'une part, de l'irritation, d'autre part, une indifférence plaisante qui se transforme en une agréable conversation entre voisins.

M. Woeste « élargit » effectivement. « Passons au déluge », murmure un de ses meilleurs amis... Et il déclare : non, le Roi n'a pas de méfiance envers le pays ; c'est M. Hijmans qui a de la méfiance envers le Roi. Car c'est ici une lutte jalouse entre une minorité rampante et une hauteur éclatante. Et à nouveau, on commence : hommage au souverain de l'État indépendant du Congo - un hommage que même les socialistes aiment rendre ! -, avec pour conséquence, pour la troisième ou quatrième fois, l'histoire douloureuse du Congo. Quand va-t-on se rendre compte que ces explications deviennent superflues ? Comme si nous n'avions pas déjà appris à l'école comment notre future colonie est née, a fleuri, et... s'est enlisée !

Et l'infatigable M. Woeste attaque maintenant les attaquants : Morel et toute l'Angleterre apprendront qu'ils sont des menteurs, et l'infatigable M. Woeste les désapprouve avec indignation.

Infatigable... mais fatigant M. Woeste ! Car quand il a commencé, il y avait encore 45 membres présents ; quand il s'est interrompu pour reprendre demain, il n'en restait que vingt-quatre en comptant bien...

Et c’est cela qu’on appelle un « débat historique »...


Le troisième jour [au sujet de la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 2 décembre 1906)

Bruxelles, 30 novembre 1906

La longue allocution prononcée hier par le ministre Van den Heuvel, sur les conditions posées par le roi Léopold en vue de la reprise, et que le ministre espiègle qualifie plutôt de recommandations que d'ordres - une concession de la part du gouvernement qui n'est pas passée inaperçue - n'est pas restée sans réaction. Si tout le monde a reconnu qu'elle abordait la question de manière beaucoup plus ferme que la communication gouvernementale molle et insipide du chef de cabinet De Smet de Naeyer - si faible, si insignifiante qu'elle ne méritait vraiment pas d'être mentionnée -, même les amis de M. Van den Heuvel ont dû admettre que sa défense des exigences royales reposait principalement sur des subtilités.

L'un de nos plus fins juristes, M. Van den Heuvel se complaît volontiers sur les plus hautes falaises de la jurisprudence, comme une funambule n'est à l'aise et dans son élément que lorsqu'elle se balance à cinq mètres au-dessus du sol sur un fil de fer lisse. Et cette fois encore, l'ingéniosité de M. Van den Heuvel a choisi les sentiers les plus escarpés du droit pour démontrer que le roi ne pouvait faire autrement que de poser les conditions qui constituent le codicille de la lettre du 3 juin 1906.

Cependant, ce qui peut être accepté comme élégant et raffiné dans un procès ordinaire par des confrères, peut être déplacé et peu convaincant lorsqu'il s'agit d'une affaire aussi sérieuse que l'annexion d'une colonie par un pays. Ici, ce ne sont pas des subtilités vides qui ne servent qu'à éblouir, ici c'est la logique grossière mais honnête qui doit convaincre l'homme ordinaire : oui, ces conditions sont posées dans votre intérêt et, une fois la reprise faite, elles ne causeront ni dommage ni souci. Et pour l'instant, l'argumentation de cette clarté brute mais saine n'a pas encore été atteinte.

Certes, tout le monde sera d'accord avec le ministre pour dire que le droit de propriété des autochtones et des œuvres philanthropiques et religieuses doit être respecté. Pourvu que ce droit soit clairement défini et contrôlé, personne ne songera à contester ce droit. M. Furnémont lui-même a reconnu la justice de cette demande.

Mais c'est différent pour la pierre d'achoppement de tout le débat : le domaine national et la fondation de la Couronne. C'est ici que M. Van den Heuvel a déployé, de la manière la plus désagréable - car lui-même ne semblait pas très convaincu -, ses sophismes les plus alambiqués, ses distinctions les plus fines, ses comparaisons les plus impossibles. Cela a probablement suscité de l'irritation chez les opposants. M. Hijmans - également juriste pourtant, qui aime par ailleurs mettre en avant sa finesse juridique - a interrompu à plusieurs reprises avec un « ce n'est pas sérieux », qui a déconcerté le ministre et même légèrement perturbé les amis du ministre.

Car pour l'instant, malgré les efforts déployés par M. Van den Heuvel avec sa petite voix et son cerveau juridique, la captieuseté de son argumentation n'a pas encore prouvé que, avec la gestion actuelle du domaine national et les avancées de la fondation de la Couronne, la Belgique serait maître chez elle au Congo, sans ambiguïté, sans manigances ni soupçons nécessaires.

Certes, le gouvernement parle de plus tard, plus tard. Une fois la reprise faite, on pourra toujours voir. Mais chez nous, cela s'appelle acheter un chat dans un sac. Et le gouvernement n'a pas encore prouvé que ce qui nous est offert à acheter, si ce n'est pas entièrement sain, est au moins quelque chose que nous pouvons examiner librement.

Entre-temps, le troisième jour a commencé. Monsieur Woeste, qui avait pris la parole longuement hier et avait dit des choses très amusantes, comme par exemple que la presse nous avait fourni un contrôle adéquat sur la gestion du roi au Congo - ce qui a même provoqué des sourires dans la tribune des journalistes - reprend la parole.

Monsieur Woeste vieillit, c'est certain. Il lutte avec une admirable ténacité contre les années ; cependant, il ne peut cacher les signes de déclin. Ainsi, il insiste avec acharnement ou cherche où il pourrait économiser la plupart de ses mots. Car il ne fait pas grand-chose de plus - devant une salle presque vide, malheureusement ! - que de réfuter... ce que personne ne croit plus : nier que les autochtones aient droit à leur territoire offert, le droit qu'aurait l'Angleterre d'exercer une autorité juridique en plus de l'État libre du Congo au Congo, les atrocités et les crimes que les juges de l'État libre auraient commis. Il admet que personne jusqu'à présent ne l'a contredit à ce sujet dans la chambre : pourtant, il continue, à ouvrir une porte grande ouverte, et à donner des preuves avec une voix solennelle mais acérée que personne ne demande... Personne n'écoute, d'ailleurs. La plupart des députés étudient les tribunes, où quelques dames sont présentes ; - jusqu'à ce que Monsieur Woeste donne également son avis sur le domaine de la Couronne et le domaine national : le premier, selon lui, n'est rien d'autre qu'un « apanage » bien mérité, rien d'autre qu'une liste civile, et le deuxième : une mesure préventive, destinée à empêcher le Congo d'être un fardeau trop lourd pour la Belgique.... Et Monsieur Woeste aussi souhaite que règne l'unanimité ; que chacun fasse de son mieux, nous y arriverons bien, car : « Le Congo est une perle, qui ne fait aucun doute » (sic)....

Monsieur Renkin prend la parole après Monsieur Woeste. Monsieur Renkin, l'un des progressistes parmi les catholiques, une tête forte et un caractère noble, un futur ministre sans aucun doute, et peut-être déjà un ministre de demain ; mieux placé d'ailleurs que quiconque pour fournir des explications décisives sur la situation au Congo - il est administrateur des chemins de fer congolais - ; un jeune homme avec une tête ronde et tenace, qui sait ce qu'il veut, espère-t-on, va enfin dire quelque chose de plus clair, de plus pratique, sur ce que veut la droite.

Malheureusement, il semble également avoir adopté la tactique des partisans de la reprise inconditionnelle : déplacer la question, « élargir la question », comme Monsieur Woeste l'a commencé, mais dans le sens où elle perd toute la précision, toute la clarté directe que l'on voulait impatiemment après le discours de Monsieur Hijmans. Lui aussi, après avoir déclaré que « la lettre du Roi pose la question coloniale dans toute son ampleur », estime nécessaire, non : trouve facile, de recommencer encore une fois l'histoire de l'État libre du Congo, de rendre hommage à l'énergie belge - une qualité qu'il trace depuis le 16e siècle jusqu'à nos jours ! -, de défendre des questions que personne ne conteste. Lui aussi estime nécessaire de réaffirmer que le Congo échappe à toute ingérence internationale ; lui aussi conteste que les atrocités congolaises soient si extraordinaires, que le système judiciaire congolais soit si misérable ; lui aussi essaie de mettre la question sur le terrain sentimental, et proclame que le Roi n'a travaillé que pour le bien de son peuple, pendant ces longues 22 années, et que la cause du Roi est la cause de son peuple : une attitude qui est jugée plutôt médiocre chez Monsieur Renkin... par ailleurs, il admet que tout ce qui est monstrueux doit disparaître, qu'il faut introduire des réformes, qu'il serait dangereux de laisser tout comme il est maintenant. Mais entre-temps, ne pourrions-nous pas être un peu conciliants et satisfaire le Roi ? La meilleure façon, selon Monsieur Renkin, de le rendre heureux... Car on a eu tort de dire, comme l'a fait Monsieur Woeste, que la Belgique se méfiait du Roi ; mais on a aussi eu tort de dire, comme l'a fait Monsieur Hijmans, que le Roi se méfiait de la Belgique..... Et Monsieur Renkin conclut : « Nous devons simplement accepter ces conditions royales... pour faire plaisir au Roi et ne pas détruire immédiatement ce qu'il a laborieusement construit pendant 22 longues années ».

Le succès de Monsieur Renkin n'est pas grand. Une partie de la Chambre semble être d'accord avec le socialiste Bertrand, qui lui crie : « Cela suffira pour vous faire nommer ministre ! »

Et à nouveau, l'ennui s'empare de la Chambre. Que de débats ennuyeux et inutiles. Rien de tranchant, rien de définitif depuis le discours de Hijmans. De l'enflure, pas de sérieux ; des mots, pas d'actions. Trois jours de débat sur le Congo maintenant, et... deux jours dans le vide.

Et cela ne s'arrange pas lorsque Monsieur De Groote commence. Monsieur De Groote a des gestes nobles et une belle diction, mais aucun talent. Et lui aussi commence ab ovo à traiter la question. Ses premiers mots sont : « Lors de la conférence de Berlin, en 1885... »

Le président quitte son siège. Les membres parlent de plus en plus fort entre eux... jusqu'à ce qu'ils finissent par quitter définitivement leur place. Il reste encore dix-sept membres à gauche, pas beaucoup plus à droite. Seul Monsieur Demblon, l'« enfant terrible » de la gauche, lance à pauvre Monsieur De Groote un regard ironique, et, de temps en temps, un mot sarcastique....

Que va-t-il advenir lorsque même les orateurs mineurs reconnus commencent à tirer leurs flèches ? Le débat va-t-il définitivement tomber à l'eau ? Va-t-il réellement « finir en queue de poisson » ? En tout cas, cela devient glacial, car ceux dont on attendait quelque chose se taisent... comme des poissons.

Que les « débats historiques » sont ennuyeux !


Une blague wallonne [au sujet de la proposition de loi Cooremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 6 décembre 1906)

Bruxelles, 4 décembre 1906

J'ai mis la main sur un document que je ne peux pas vous cacher, tant il est amusant. Il s'agit d'un ordre du jour, approuvé à l'unanimité moins trois voix par la « Ligue Wallonne » de la province bilingue du Brabant, que je vais vous traduire sans introduction pour vous montrer où le sectarisme obstiné peut mener.

Voici ce qu'il dit :

« Les Wallons de Bruxelles (entendu : les Bruxellois ou les Wallons résidant à Bruxelles ?) ... proclament la domination de la langue française en Belgique ;

« Font remarquer que la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi Coremans, est composée exclusivement de Flamands, délégués des arrondissements flamands ; contre quoi ils protestent, cette question concernant autant les Wallons que les Flamands ;

« Ils se réfèrent à l'article 23 de la Constitution pour rejeter expressément l'obligation d'apprendre le flamand, imposée aux jeunes Wallons par le fait qu'on exige la connaissance du flamand pour obtenir la plupart des postes et l'admission aux universités ;

« Les Wallons préfèrent faire apprendre à leurs enfants l'anglais ou l'allemand, grandes langues mondiales, là où le flamand n'autorise pas de contact avec l'étranger ;

« Les Wallons font également remarquer que la plupart des enfants qui suivent les cours en français apprennent déjà une deuxième langue, puisque leur langue maternelle, le wallon, est examinée par les amendements, ils proclament leur droit absolu de ne pas connaître la langue flamande pour exercer des fonctions dans l'enseignement, la magistrature et tout autre domaine des services publics en Wallonie ;

« Ils soulignent le danger que représentent les idées exprimées par M. Coremans et les membres de la section centrale, ainsi que par les membres du gouvernement qui ont amendé la proposition, pour l'unité nationale ;

« Ils rappellent comment M. Vanderkindere, l'un des chefs incontestés du mouvement flamand, déclarait dans une étude de 1870 que la seule organisation rationnelle des provinces wallonnes et flamandes du pays était la fédération ; et ils insistent sur le fait que ce sera une fédération, que les Wallons devront réfléchir et recourir à elle si les Flamands continuent dans leur mouvement antinational. »

Voilà le fait. Après les évêques apaisants, les Wallons menaçants. Après la reddition apparente, la menace acerbe. Après l'appât de la raison raisonnante, l'ultimatum catégorique. Les évêques ne veulent pas que le projet de loi Coremans soit voté ; les Wallons ne le veulent pas non plus. Les deux adversaires ont aiguisé les armes qui leur convenaient le mieux ; tous deux ont choisi la lance la plus efficace : elle s'est avérée être une brindille ; tous deux ont construit le majestueux ou anguleux palais de leur argumentation : le premier palais était une maison de cartes ; le second... non, il n'existe même pas, c'est une bonne blague, une plaisanterie...

Vermeylen et De Raet ont réfuté et expliqué dans la revue « Vlaanderen » la thèse des évêques et leur attitude ; le N.R.C. a partiellement publié leurs essais ; et moi-même, j'ai pu souligner ici comment même des catholiques influents ont décelé et désapprouvé la tentative des évêques et sa signification.

Sera-t-il nécessaire de s'attarder aussi longtemps sur le fait des Brabançons wallons ? Mais les Hollandais, qui honorent les Flamands en suivant leur mouvement, l'auront déjà réfuté. Et ce n'est pas difficile, d'ailleurs : les Wallons racontent des choses si drôles que l'on ne sait pas quoi admirer en premier, le sérieux avec lequel ils osent débiter les plus grosses absurdités, ou le courage qu'il faut pour laisser réimprimer dans le journal des objections déjà longuement réfutées.

Car tout le monde sait, n'est-ce pas, que la grande majorité des Belges sont des Flamands, dont la langue de communication est le néerlandais ;

- que la section centrale est nommée par tirage au sort, non par vote, et que certains de ses membres ne sont pas du tout flamands (comme M. Beernaert, par exemple, et M. Woeste, qui ne céderont pas sur ce qui n'est pas un droit absolu) ;

- que l'obligation de connaître les deux langues pour les fonctionnaires et les étudiants qui occuperont plus tard des fonctions publiques entraîne logiquement l'apprentissage des deux langues nationales dans les écoles wallonnes ;

- que le flamand, alias le néerlandais, permet parfaitement les contacts avec l'étranger, et qu'en plus il prépare de manière excellente à l'apprentissage de l'anglais et de l'allemand ;

- que le wallon n'est pas seulement une langue qui peut montrer une unité dans ses différents dialectes, mais qu'elle n'est pas enseignée à l'école, comme on le prétend ;

- que l'égalité devant la loi de tous les Belges, et le droit de tous les Belges à aspirer aux mêmes fonctions, impliquent naturellement la connaissance des deux langues nationales, ce qui est rendu nécessaire par la pratique ;

- que l'unité nationale n'est pas menacée par les Flamands, qui apprennent volontiers les deux langues nationales, mais bien par les Wallons, qui ne veulent connaître qu'une seule de ces langues (un argument qui n'est d'ailleurs rien d'autre qu'une sophistique facile) ;

- que feu Vanderkindere n'a jamais été un chef flamingant ;

- que sa conception de la fédération était certainement différente de celle que les Wallons nous menacent si patriotiquement ;

- et enfin : que le Mouvement flamand, loin d'être antinational, a toujours glorifié le sentiment national, et que dans le projet de loi Coremans, il ne vise rien d'autre que de renforcer l'unité nationale par une meilleure connaissance mutuelle...

Mais est-ce que toute cette réfutation ne me cause pas un effort inutile ? Les Wallons savent très bien que ce qu'ils disent ne correspond pas à la vérité. Les Flamands comprennent très bien où mène cette vérité arbitraire. Les étrangers, en l'occurrence les Néerlandais du Nord, savent très bien que la réalité est différente de ce que présente la Ligue Wallonne.

Pourtant, je me suis donné cette peine pour trois raisons, une pour les Wallons, une pour les Flamands, et une pour les Hollandais.

La première est que les Flamands ne se laissent pas duper ni effrayer par les sophismes et les menaces wallons.

La deuxième est que le projet de loi Coremans est combattu sous un nouvel angle : nouvelle obligation pour les Flamands de demander vigoureusement aux représentants flamands du peuple de voter sur le projet de loi, à nouveau avec raison et légitimité.

La troisième est que c'est de cette Ligue Wallonne que sont sortis les hommes de la Grande Entente Hollando-Belge. La conclusion est facile à tirer...


Le quatrième jour [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 6 décembre 1906)

Bruxelles, 4 décembre 1906

La question de la reprise de l'État indépendant du Congo avait accordé au pays, quelque peu sous l'emprise de la léthargie des derniers débats, trois jours de repos bien mérité, permettant aux députés encore inscrits de reprendre vigueur et d'affûter les flèches de leurs arguments ; outre le repos dominical imposé et garanti par la loi, nous avons eu droit à la dépose habituelle des armes du samedi et à la trêve tout aussi habituelle du lundi, très utile pour retrouver le rythme après les divertissements du dimanche.

Mais aujourd'hui, mardi, le chat est remonté sur le toit, et cette fois, le chat était le président lui-même, M. Schollaert, qui prit la parole, non pas pour exprimer son propre avis, mais pour lire un ordre du jour intéressant, signé aussi bien par des membres de la gauche que par des membres de la droite, aussi bien par le libéral M. Huysmans, qui allait devenir le héros du jour, que par le vice-président catholique Nerincx, et qui, dans les termes subtils employés, comme vous l'avez déjà trouvé résumé dans les télégrammes, visait indubitablement à influencer, voire à impressionner, la Chambre.

S'il a réussi dans cette entreprise, c'est douteux, car ni M. Verhaegen, qui a parlé dans le même sens, ni M. Huysmans, qui l'a défendu comme son propre enfant, n'ont pu convaincre les membres des bancs socialistes et libéraux, opposés à une reprise inconditionnelle, que les partisans agissaient selon les règles de la pure logique.

M. Verhaegen, catholique, est loin d'être insignifiant. À droite, peu sont aussi indépendants que lui. Il est têtu, et, étant d'une nature entière, il peut parfois défendre passionnément son point de vue. Mais tout le monde a ses mauvais jours, surtout quand la cause à défendre n'est pas précisément bonne. Et M. Verhaegen n'a vraiment pas été brillant. Ni le fait qu'il ait voulu réfuter que la cession de terres aux autochtones ne confère pas un droit de propriété à ces derniers, ni l'affirmation qu'il aurait aimé maintenir, selon laquelle les concessions des sociétés industrielles offrent une garantie suffisante pour le traitement correct des autochtones, n'ont trouvé en lui plus qu'un défenseur mou. Si bien que tout s'est réduit à l'espoir que, après la reprise, on trouverait bien moyen d'arranger les choses au mieux.

M. Huysmans, même dans ses bons jours, n'était pas au mieux. D'un vieux combattant aussi obstiné que lui, toujours prêt à défendre la cause avec un sens admirable de la joute parlementaire, le parti pro-Congo s'attendait certainement à ce qu'il relance le débat, jusqu'ici mou et languissant, à balayer les arguments de l'adversaire, à retourner l'opinion publique en sa faveur, et à mettre au pilori, convaincu et autoritaire libéral qu'il est, le jeune Hijmans, un autre libéral, mais plus jeune.

Cet espoir était prématuré. Les pro-Congo avaient trop attendu de cette vieille tête, familière des luttes, de Verhaeren. Car M. Huysmans n'a rien pu faire de plus que ses camarades de foi ; s'il avait plus de combativité et de résistance, s'il montrait plus de courage et était moins sournois et insidieux, lui aussi n'a rien trouvé de mieux que d'"élargir le cadre", de déplacer la question, de plaider ce qui était depuis longtemps acquis : que le Congo possède des droits en tant qu'État indépendant, hors de l'ingérence des États ; que l'État est indubitablement propriétaire des terres non exploitées - ce qui ne justifie en rien, jusqu'à présent, la cession à des tiers - ; que le Congo n'est pas tant un bain de sang où les pires atrocités se produisent qu'une colonie... comme la plupart des colonies. Il a également défendu les concessions, comme quelque chose qui, sans capital risqué, rapporte un joli pactole - ce qui ne signifie pas nécessairement qu'elles soient insurmontables et socialement utiles - ; il a également couronné le Roi de lauriers et l'a enveloppé de l'encens le plus épais. Mais quand il s'agissait de répondre, oui ou non, à la question de M. Neujean, de savoir s'il fallait annexer une colonie sans la connaître suffisamment ; quand le moment est venu où M. Hijmans l'a encore une fois obligé à exprimer sa volonté : « nous exigeons, avant même de penser à annexer, que le gouvernement nous fournisse, sous sa responsabilité, un inventaire de ce qui nous est offert », l'impuissance de M. Huysmans n'a trouvé que des injures, ou des arguments faibles comme celui selon lequel il est impoli de demander, par exemple, « qu'est-ce que vous me donnez ? », lorsque quelqu'un vous offre un cadeau, et que l'on examine le cadeau une fois qu'on l'a accepté avec gratitude...

Et lorsque le domaine royal a été évoqué, les choses ne se sont pas améliorées. Comme ses prédécesseurs, M. Huysmans a défendu l'idée que la Belgique, déjà si richement dotée à l'intérieur de ses frontières par le Roi, pouvait bien lui céder ce petit bout de Congo en tant que propriété privée, dont les revenus seraient de toute façon consacrés au soutien d'œuvres artistiques et littéraires ; et lorsque M. Janson a demandé si le bureau de presse, qui n'est soutenu par aucun budget, en faisait peut-être partie, faisant allusion à l'unanimité avec laquelle la plupart des journaux belges défendent la reprise. Indignation, bien sûr, chez tous les amis du Congo...

Et la conclusion de M. Huysmans, qui avait osé prendre le taureau par les cornes, a été... une défaite. Lui aussi, a-t-il dit, souhaitait être bien informé sur la situation du Congo, mais... cela viendrait plus tard, après l'acceptation de la reprise... Car ce qu'il voulait avant tout à présent, c'était satisfaire le Roi, et ne pas attendre après sa mort pour accepter également l'héritage du Congo dans les jours de tristesse et de deuil.

Et c'était là la flèche la plus puissante des partisans du Congo, sans aucun doute. Et... elle n'a été rien de plus qu'un feu d'artifice, un feu d'artifice disparu en un éclair !...

Quant au discours suivant de M. Buyl, libéral, il n'a pas fait grand-chose : la Chambre fatiguée a étiré ses jambes, baillé, a trouvé dans des conversations agréables une compensation pour une attention prolongée, de sorte que M. Buyl n'a pas eu beaucoup plus d'impact qu'un signal de détresse très lointain dans les tempêtes les plus furieuses, - toutes proportions gardées, bien sûr. Et ainsi, très peu a été accompli dans la contestation juridique des droits belges sur la reprise.


Trêve [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 décembre 1906)

Bruxelles, 6 décembre 1906

Quand les lutteurs sentent que les forces sont égales des deux côtés et que toute vigueur serait actuellement vaine, ils font une pause. Les lutteurs de la Chambre ont également dit : un moment de répit ; de sorte que la question du Congo a pu reposer hier, et que nous sommes promis à une pause pour aujourd'hui et demain également. Cependant, l'excitation, la ferveur réveillée de la Chambre depuis mardi dernier, la résistance des partisans du Congo et des opposants au Congo pourront-elles se taire d'elles-mêmes aussi longtemps ? Mes confrères de la tribune de presse l'espèrent ; eux aussi aimeraient dire : un instant de répit. Mais nos députés diligents seront-ils du même avis ? « Espérer, c'est craindre », comme le dit Oedipe...

En attendant, hier a été quelque peu différent, mais la férocité parlementaire - ne lisez pas, je vous prie, la dignité - est restée la même. « Changer de repas donne un nouvel appétit », disent ces gourmands de Flamands. L'appétit renouvelé des députés était cette fois-ci si grand qu'on aurait presque craint qu'ils se dévorent mutuellement. Quelque chose qui n'arrive pas dix fois par session - et pourtant, nous sommes en Belgique ! - : le président a dû sonner la grande cloche, lorsque le claquement de sa règle présidentielle s'est avéré insuffisant pour obtenir un silence relatif. Je parlais tout à l'heure de lutteurs : hier, nous n'étions pas loin d'en voir de vrais, non seulement avec des mots, mais, hélas, avec des actes dans les poings. Pour ceux qui pouvaient rester sceptiques, c'était amusant de voir de vieux parlementaires, des gens du bon vieux temps où l'on accusait quelqu'un avec noblesse et où l'on restait dignes même dans les attaques les plus virulentes, se disputer et se déchirer comme le plus jeune des socialistes. C'était, pour les tribunes populaires, une vraie fête ; et les dames élégantes occupant des places privilégiées semblaient trouver cela divertissant, car c'était si vulgaire...

Il était à nouveau question de la validité de l'élection de M. Debunne, le socialiste, proclamé député de Courtrai par l'arrondissement, dont la validité est contestée au motif que 19 voix, lors de cette élection, auraient été émises par des personnes non habilitées - des anciens condamnés. Une première commission, vous vous en souvenez, avait contesté la validité, et la majorité de la Chambre, malgré une forte résistance de la gauche, avait renvoyé la question à une nouvelle commission, qui, cette fois-ci, constituée principalement de membres libéraux et socialistes, a majoritairement confirmé la validité - ce à quoi les cléricaux ont présenté une nouvelle proposition, demandant la nomination d'une troisième commission pour décider en dernière instance sur la question. La finesse de la proposition résidait dans le mot « nomination », une violation du règlement qui veut que les membres d'une commission soient désignés par tirage au sort. Malgré cela, la proposition a été mise aux voix et, avec une majorité de deux voix - 75 contre 73, et deux bulletins blancs -, elle a été adoptée.

Ainsi, la droite, craignant une nouvelle voix de gauche - elle a déjà si peu à perdre ! - a une fois de plus prouvé qu'elle souhaitait prolonger l'affaire, la pérenniser ad aeternitatem, et, si possible, la repousser à plus tard, du moins tant qu'elle ne lui est pas favorable. Entre-temps, cette commission est à nouveau composée principalement de libéraux...

Ceux qui connaissent les coutumes parlementaires du pays comprennent ce que nos dramaturges de la Chambre ont su tirer d'un tel sujet brillant. Je ne prends pas la peine de vous le décrire, conscient de mon impuissance. C'était, dans sa vulgarité criante, grandiose ; et il y avait de magnifiques voix parmi eux ; et quel plaisir doivent éprouver ces gens, lorsqu'ils pensent un instant à la qualité de leurs poumons et à la puissance de leur cervelle, résistants à toutes les fatigues ! Mais le pire est survenu lorsque le ministre de la Justice a été interrogé sur les conséquences du fait que 19 électeurs, non habilités, avaient pourtant exprimé leur vote. Le ministre Van den Heuvel, d'ordinaire bien loquace - on pourrait dire bavard -, a cette fois-ci été pris au dépourvu : il ne savait pas si ces électeurs peu scrupuleux et trop zélés avaient déjà été poursuivis en justice, bien que l'élection ait eu lieu en mai et que la Chambre se soit déjà penchée sur la question depuis fin novembre. Une motion de blâme a été proposée contre le ministre par appel nominal ; cependant, la droite a quitté sa place, de sorte que la Chambre n'a pas statué, faute de quorum...

Ce débat animé a donné l'occasion à deux débutants de prononcer leur premier discours. Ils l'ont fait, probablement, « dans le ton » ; tous deux ont montré qu'ils étaient capables de rivaliser dans la lutte parlementaire avec le roulement des mots, l'éclat des yeux et les menaces de poing ; et leurs voix sont puissantes et mélodieuses, sans craindre la laryngite.

Le premier est le député libéral d'Anvers, Augusteyns. Votre correspondant pour Anvers vous a déjà dit que celui-ci, fervent flamingant, parlerait toujours néerlandais au Parlement. M. Augusteyns a hier clairement montré, si ce n'était de manière subtile, qu'il tenait à sa parole, à la suite du fait que la Chambre avait refusé d'écouter le mot flamand du vieux M. Daens, le frère ennuyeux du célèbre curé Daens. Malheureusement, le moment semblait mal choisi par M. Augusteyns. Même s'il parlait français comme Mounet-Sully, le vieux M. Daens aurait eu du mal à se faire entendre...

Le deuxième débutant était M. Capelle, de Dinant. Celui-ci nous a donné un bel exemple d'éloquence provinciale. D'où tire cet homme les mots pour dire si peu ! Quelle bombance, quelle foire à la vanité ! Et que sera-ce quand M. Cappelle aura quelque chose de sérieux à dire !...

Voilà le compte rendu de cette séance modèle. Malheureusement, il n'en reste pas grand-chose : beaucoup de bruit pour rien, à moins de craindre visiblement la perte d'une voix du côté droit et l'intervention de M. Debunne, avec qui le socialisme flamand obtient une place au Parlement. On ne se souviendra guère plus que de ceci : que M. Vandervelde, très vieilli mais à nouveau en bonne santé, a repris sa place, félicité pour sa guérison par ses amis, et même par quelques adversaires ; et que le président a lu une nouvelle motion sur la question du Congo, cette fois-ci présentée par M. Hijmans et ses amis, parmi lesquels figurent des noms redoutables comme Neujean, Janson et Mechelynck, et qui enfin, sous une forme concrète, ferme et bien définie, expose la question. Cela, ainsi que la guérison de M. Vandervelde, promet de vifs débats. Le pays attend avec impatience. Espérons seulement qu'il ne verra pas sa curiosité satisfaite avant mardi.


Le cinquième jour [au sujet de la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 décembre 1906)

Bruxelles, 6 décembre 1906

La trêve n'a pas duré longtemps. L'espoir de calme, largement nourri ce matin, est déjà déçu cet après-midi. Mais qui pourrait s'en plaindre après une séance comme celle-ci, après l'admirable discours du ministre d'Éta Beernaert, après le plaidoyer vibrant et vivant de M. Janson, ces deux hommes d'État grisonnants qui nous ont montré comment une séance parlementaire peut devenir captivante lorsque les orateurs font davantage confiance à leur talent qu'à leur charisme vocal, préfèrent raisonner plutôt que de déclamer, et placent la logique au-dessus de l'éloquence vaine. Ce furent deux merveilleux morceaux d'éloquence mesurée, cette double illustration de la parole de Bismarck selon laquelle « l'essence de la monarchie constitutionnelle réside dans la collaboration de la volonté monarchique avec la conviction du peuple » ; et mieux que jamais aussi dans ces débats déjà trop longs, où la vaine logorrhée dépassait les limites de l'interpellation dans le but de l'engloutir, la question a enfin été définie et maintenue dans les justes limites, prouvant ainsi que, s'il existe réellement une certaine méfiance dans le pays à l'égard du roi Léopold, cela est dû au manque de collaboration, de consensus entre le souverain et le peuple, où le premier se place trop sur le terrain du pouvoir absolu.

En particulier, le discours de M. Beernaert était un chef-d'œuvre de finesse ciselée. Vous connaissez M. Beernaert : La Haye l'a vu lors de son Congrès de la Paix et à d'autres occasions de diplomatie mondiale, avec son visage d' « homme d'État » pessimiste, sa crête argentée et ses favoris selon la mode diplomatique ancienne, avec son regard vif mais déçu sous ses sourcils restés noirs, avec ses commissures des lèvres tombantes et ses joues flasques, avec son nez infini qu'il semble ne jamais pouvoir laisser en paix ; et avec son immense expérience politique et juridique, sa connaissance et son intelligence, sa parole fine et prudente mais déterminée et forte.

Sa réputation d'homme d'État est mieux établie en Belgique que celle de quiconque, et seul un baron Lambermont pouvait se vanter d'un tel prestige parmi nous. Cette réputation, il a su la maintenir brillamment aujourd'hui.

Avec Banning, avec Lambermont, un convaincu dès la première heure - chef du gouvernement en 1885, lors de la Conférence de Berlin - M. Beernaert, à qui le Roi a parlé avant tout autre de la prise de possession du Congo, est certainement le mieux placé dans notre pays pour juger de l'opportunité et de la manière dont la Belgique devrait procéder à cette prise de possession et pour donner des conseils. Il l'a fait avec une perspicacité, une clairvoyance convaincante, qui ont laissé ses adversaires avec moins de plumes, et ses partisans peuvent en tirer une belle leçon d'argumentation décisive, de présentation efficace. Si M. Hijmans a posé la question deux fois dans sa forme ferme et déterminée - dans son discours et dans son ordre du jour -, M. Beernaert a, avec encore plus de talent, et avec l'autorité que lui assure sa carrière, prouvé qu'en dehors de la manière de présenter de M. Hijmans, il n'y avait ni salut ni tranquillité pour le pays. Et il l'a fait avec une mesure et un équilibre qui ont également impressionné l'opposition.

La politique au Congo, a déclaré M. Beernaert, a tellement changé ces dernières années que même les premiers pionniers, les premiers partisans, ne peuvent plus l'approuver. Ce n'est pas qu'ils seraient contre une propriété nationale, mais tout est une question de modération, et surtout de compréhension mutuelle. La question se pose désormais entre l'État du Congo et la Belgique ; sa résolution dépend de la relation entre les deux pays ; il faut déterminer comment ils se situent l'un par rapport à l'autre le cas échéant. Cette relation est-elle, comme le prétend M. Huysmans, celle de celui qui donne à celui qui reçoit, celle de quelqu'un dont on pourrait éventuellement accepter le droit d'imposer des conditions à un cadeau qu'il fait, à quelqu'un qui doit accepter les conditions avec le cadeau ? Absolument pas, et cette pensée n'est même pas dans l'intention du Roi.

Dans sa lettre de 1889 à M. Beernaert lui-même, ne parle-t-il pas d'une « œuvre commune », d'un travail commun à lui et à la Belgique ? Lorsqu'il demanda à la Chambre l'autorisation de porter la couronne du Congo, n'existait-il pas, de facto, un lien entre l'ancien et le nouveau royaume ? Et ce que le Congo possède aujourd'hui en termes de signification morale et matérielle, est-ce uniquement grâce au Roi ? Non, mais surtout aux missionnaires et savants belges, aux soldats et fonctionnaires belges. Il peut y avoir encore beaucoup de mal, beaucoup de tort : rien n'aurait été accompli par le Roi seul, sans l'aide belge, et c'est même moins que les maux qui peuvent être réparés.

Lorsque le Roi a proposé l'annexion pour la première fois, il l'a fait sans conditions : la Belgique a hérité de tous ses droits, sans autre obligation que le passif. En 1895, le Congo nous a été offert sans charges ; un inventaire nous a été fourni, et - on a décidé d'attendre. Maintenant, on nous impose des conditions, et - on veut nous imposer le Congo. Et ces conditions sont tellement formulées que nous ne les comprenons pas clairement, que ce qui devrait être immédiatement clair nous échappe, que nous ne savons vraiment pas dans quelle mesure ces prétendues « demandes » profitent ou nuisent à la Belgique. Et que fait le gouvernement ? En 1895, lorsque aucune condition n'était posée, il a fourni un inventaire. Maintenant, nous sommes confrontés à des conditions, et le gouvernement refuse de nous fournir un inventaire. Pourquoi ?

Certainement, l'annexion est souhaitée. Elle est souhaitable pendant la vie et sous la direction du Roi. Mais avant qu'une loi coloniale soit adoptée, nous devons savoir ce que nous acceptons. Par conséquent : pleine lumière sur ce qu'on nous offre et demande. Le Roi ne peut avoir en tête que l'intérêt national : lui-même le déclare ; M. Huysmans, qui sacrifie l'intérêt national à la volonté du Roi, est donc « plus royaliste que le roi », et sa motion est non seulement inacceptable en forme - comme l'a argumenté le speaker - mais aussi sur le fond. Le Roi comprendra que l'essence de son pouvoir repose sur la conviction de son peuple. Actuellement, son peuple est indifférent en ce qui concerne le Congo : il ne sait pas. Il n'y a pas d'opinion publique sur les questions en suspens, car l'opinion publique ne sait pas ce qu'on lui demande d'approuver. Que le gouvernement éclaire : alors le Roi pourra compter sur le peuple.

Ainsi, dans une faible lueur, ce discours magnifique. Sans conteste, il a suscité des partisans, et les partisans de la reprise sans condition ont perdu des voix du côté droit.

Car après M. Beernaert, vient également M. Colfs confirmer qu'il ne veut pas « acheter des chats dans un sac », et M. Cousot n'est pas sans réserves,... cela devant une Chambre qui, après un long silence, s'est mise à parler, et à féliciter M. Beernaert, et les huissiers à commander de l'eau minérale.

Jusqu'à ce que M. Janson prenne la parole. Encore une fois, et soudain : silence. On attend beaucoup de cet ancien lion wallon qu'est Janson, tant ses amis que ses ennemis, - même si le lion a maintenant perdu quelques dents, même si les griffes autrefois redoutées sont maintenant quelque peu émoussées par les années. Mais le sang est toujours là, aussi chaud et aussi bouillant, et le talent, devenu plus calme et plus réfléchi avec les années, n'a rien perdu de sa fraîcheur et de sa force. Et on écoute ; et bientôt on entend qu'il ne gaspillera pas de mots inutiles, et qu'il frappera là où il faut, et avec un marteau dont chaque coup portera.

M. Janson reconnaît, après Hijmans, après Beernaert, les droits de l'État du Congo vis-à-vis des puissances ; il reconnaît que, s'il y a des abus, ceux-ci pourraient peut-être devenir une raison d'annexion, car, résultat peut-être du pouvoir illimité, sous un régime constitutionnel, et donc, avec plus de contrôle, ils pourront plus facilement disparaître. Serait-ce d'ailleurs un honneur pour la Belgique d'être la première à convoquer un congrès international contre de tels abus non seulement au Congo, mais dans toutes les colonies, y compris les colonies anglaises ?

Cependant, reconnaît l’orateur, tout cela, ce n'est pas une raison de louer inconditionnellement ce que l'on ne connaît qu'à moitié ou même pas du tout. Et ici, le vieux lion secoue sa crinière grise... ou ce qu'il en reste ; et c'est un grondement et un éclair contre la presse, contre cette presse vile qui, peut-être pour de l'or congolais - l'infâme et mystérieuse agence de presse -, cache la lumière sous le boisseau, égare les esprits, et remplace le respect pour les opinions divergentes par des injures et des insultes. Car, aussi basse que soit la presse étrangère, qui systématiquement dénigre tout ce qui se passe au Congo, aussi bas est-il d'obéir à celui qui vous ordonne de tout louer et d'encenser.

En ce qui concerne maintenant la politique coloniale, M. Janson n'y est pas opposé. N'est-elle pas indispensable en Belgique ; nos forces nationales peuvent-elles également trouver une issue ailleurs qu'en une colonie : les avantages que la Belgique peut tirer du Congo ne sont certainement pas à négliger. Mais alors nous devons d'abord savoir : Que prendrons-nous, et à quelles conditions ? Car quelle est cette question obscure à Bahr-el-Gazal ? Que veut-on là-bas sur le Nil ? Que signifient les explications qui nous sont données ? Nous devrions d'abord le savoir avant de nous aventurer. Et puis les charges : quelles sont-elles ? On ne nous le dit pas ; on ne veut pas nous le dire tant que nous n'avons pas adopté la loi coloniale, une loi utopique basée sur des données inconnues.

Et pourtant, nous vivons sous une monarchie constitutionnelle, démocratique, « républicaine » ; et on nous impose des conditions, et nous n'aurions pas le droit de les examiner, on refuse de nous fournir les données pour le faire en fait, - alors qu'elles sont déjà si difficiles à justifier en principe ? Car qu'est-ce qu'un domaine national qui a été concédé aux deux tiers, et où donc la surveillance a été réduite des deux tiers ? Qu'est-ce qu'un domaine de la couronne, une liste civile que le Roi s'attribue à lui-même sans en préciser le montant, et dont il serait dangereux, voire impossible, de perpétuer le droit de propriété, puisque la personnalité juridique prend fin avec la mort ?

Et même M. Janson, après avoir déclaré solennellement que nous imposer le silence serait une preuve d'obéissance à un pouvoir absolu, impensable dans la Belgique constitutionnelle, demande que la lumière, toute la lumière, permette d'envisager l'adoption d'une loi coloniale pratique.

On a clos cette séance importante bien plus tard que d'habitude. Et diverses rumeurs circulent : il y aurait déjà treize dissidents du côté droit. Leur nombre équilibrera-t-il les dissidents du côté libéral ? Les opposants à l'annexion ne perdent pas encore tout espoir, même s'ils ne sont, à mon avis, pas tout à fait certains du résultat.

Le sixième jour [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 décembre 1906)

Bruxelles, 7 décembre 1906

Il est indéniable : il y a de la tension dans l'air. Les députés des différents partis parlent entre eux, animés et mystérieux. Le libéral Neujean a eu une longue conversation avec le ministre d’Etat Beernaert ; le socialiste Maroille entretient avec des gestes convaincants le ministre Van den Heuvel, qui hoche la tête avec irritation. Et lorsque M. Vandervelde entre dans la salle de séance, encore appuyé sur sa canne en raison de sa maladie, toute l'attention curieuse se porte sur cet homme au visage sombre et sympathique, empreint d'une énergie teintée d'une bonté pleine d'intelligence. Car aujourd'hui, M. Vandervelde, chef des socialistes belges, va enfin donner son avis sur la question pendante du Congo, reporté à cause de sa maladie.

Une attention curieuse, loin d'être mal placée. Car, en réservant toutes les questions de principe, le discours de Vandervelde, par sa clarté élégante, par son élévation de pensée, par la noblesse de ses motivations, est certainement, aux côtés de celui de Beernaert, le meilleur que la Chambre ait entendu en termes d'éloquence et de solidité argumentative sur cette question.

Vandervelde a toujours protesté et voté contre les emprunts et décrets congolais. Mais cela ne signifie pas qu'il veuille mésestimer l'importance et la grandeur de l'entreprise congolaise. Il l'a lui-même déclaré : la grandeur de la Belgique des 25 dernières années est prouvée par trois actes authentiques : le développement du parti socialiste, l'extension de la législation agricole et la fondation de l'État du Congo. Il reconnaît l'importance économique du Congo ; même s'il ne rapporte pas beaucoup à la Belgique aujourd'hui, il nous permet de prendre une expansion rare au-delà des frontières belges ; il nous permet de fonder, aux côtés d'une nation industrielle, une nation commerciale. Le Congo nous permet de participer à la puissance mondiale ; il élargit notre horizon, il peut servir à augmenter notre énergie.

Et pourtant, Vandervelde a cru devoir combattre l'État du Congo pour deux raisons, d'abord parce qu'il avait subi un revers malheureux dans nos affaires intérieures belges, et ensuite parce que l'exploitation intensive et la contrainte à la production sur un tel territoire ne pouvaient se faire sans oppression des autochtones...

Depuis l'accession au trône du Roi, beaucoup de choses ont changé en Belgique. En apparence, peut-être pas, mais dans les faits. Il y a quelques années encore, notre roi constitutionnel était le serviteur, encore moins le premier serviteur, du pays. Le peuple était assez puissant pour contraindre son roi, comme cela s'est passé en Angleterre, à signer sa propre condamnation à mort. Mais depuis, il y a eu un changement, sinon théoriquement, du moins en réalité. Une volonté extérieure nous domine ; la presse, même la représentation nationale elle-même, la subissent ; et l'année dernière encore, c'était cette volonté qui nous imposait les nouvelles fortifications d'Anvers, au détriment de la Belgique. Et maintenant c'est le Congo qui nous est imposé.

Oh, bien sûr, le Roi est un grand homme, le plus grand monarque des petits pays d'Europe, et par sa volonté et sa politique, l'égal, le maître des chefs des grandes trusts américaines. Son intelligence est remarquable ; on peut même dire qu'elle est assez grande pour le servir de cœur. Et ce n'est pas étonnant qu'il ait ainsi conquis une telle influence sur le pays, sur une partie de l'opinion publique, sur une partie de la presse, sur une partie des députés. Mais est-ce vraiment un avantage positif ? Ne favorise-t-il pas la passivité belge, la docilité belge ? Et le travail de la presse conquise n'est-il pas également nuisible, mortel pour la conscience nationale, pour la dignité nationale ? Et c'est déjà une raison qui impose de briser cette volonté dominante qui mène à l'absolutisme, maintenant que l'occasion nous en est donnée.

Une autre raison encore : les abus indéniables qui règnent dans l'État du Congo : également conséquence du despotisme. Certes, des réformes ont été entreprises ; mais savons-nous si elles ont été suffisantes et avec les conséquences souhaitées ? Avons-nous suffisamment de contrôle sur leur application ? M. Cattier, dans son ouvrage bien connu sur la question congolaise, non seulement le doute : il le nie. Que de tels abus existent dans les colonies pour tous les pays ? Mais là, le peuple a le droit de contrôle ; ici, le Roi est seul maître, sans le moindre contrôle ; et le pire : les conditions posées sont telles qu'il le resterait.

Que l'État ait droit aux terres non exploitées, lui, socialiste, partisan de la socialisation des terres, n'y résistera pas ; mais ce qui est mauvais, c'est que le domaine national ainsi constitué reste sous le contrôle d'un souverain absolu, et non du pays.

Car ce qui doit être combattu dans ce cas, c'est l'hypertrophie de la volonté royale. On a habitué le roi à se courber devant lui. Dans une monarchie constitutionnelle, c'est un mal qui mène à la perdition. La volonté populaire, que nous représentons, a le droit de s'exprimer ; son droit est à côté du droit du Roi. Et ce que le peuple veut, c'est savoir... Et après Hijmans, après Beernaert, M. Vandervelde demande un inventaire. Sans cela, l'annexion n'est pas possible, même dans l'intérêt des autochtones. Car le peuple - ici, le conférencier cite Kant - ne doit pas considérer le roi comme un moyen, mais comme une fin en soi. Le roi Léopold a jusqu'à présent utilisé ses sujets congolais comme un moyen. Apprenons-leur à le considérer comme une fin en soi.

Vandervelde a été très applaudi, et pas seulement par ses ennemis catholiques. Une nouvelle tendance va-t-elle vraiment se manifester à la Chambre ? Les plus pessimistes se demandent : qui sait ?...

Le reste de la séance a été une fois de plus dominé par la question de la validité de l'élection-Debunne, cette fois-ci concernant une question de forme, sous les cris les plus vulgaires et les insultes les plus basses.

Quel dommage, et quelle bassesse après le discours digne de camarade Vandervelde !


Le septième jour [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 13 décembre 1906)

Bruxelles, 11 décembre 1906

Le septième jour n'a pas été un jour de repos : dès ce matin, le « Petit Bleu », le journal bruxellois le plus en faveur du Congo, a apporté l'agitation sous la forme d'une longue lettre de son correspondant anglais, qui racontait comment le roi Léopold avait déclaré avec insistance et au bon moment au représentant de l'Association de presse des éditeurs de New York, ce que son travail au Congo État indépendant avait été : un plaidoyer en sa faveur, une auto-apologie presque, - mais que personne, de bonne foi, ne pourra contester l'authenticité, la vérité, voire la dignité même de cela ; où chacun reconnaîtra la hauteur de vue, les résultats obtenus, les difficultés surmontées, qui convaincront tout le monde que le roi Léopold n'a pas entrepris cette œuvre colossale du Congo aussi égoïstement qu'on a voulu le dire, - même si les résultats ont peut-être été meilleurs pour lui que son humilité ne le laisse entendre, et qu'il est un peu audacieux de déclarer que les atrocités au Congo n'existent pas.

Malheureusement, au même moment, un journal allemand nous apportait la nouvelle selon laquelle même la presse américaine, juste qualifiée de « sincère, franche et capable de jugement » lors de l'interview royale, aurait été achetée avec de l'or congolais. Des chiffres sont même cités, des noms sont expressément mentionnés, et aucune réserve n'est faite quant à l'accusation...

Heureusement, nous pouvons, ici en Belgique, nous tenir à l'écart des rumeurs de la presse étrangère. Pour nous, la signification du débat en cours ne réside pas dans de tels faits, que le Roi aurait défendu l'État libre, ou que les journaux américains seraient payés pour présenter cette défense ; le poids du moment réside même moins dans la valeur de la colonie dont la prise de contrôle est devenue inévitable, mais dans la manière dont cette prise de contrôle se fera, dans le degré de plus ou moins de liberté pour la Belgique lors de cette prise de contrôle, dans le pouvoir qui nous sera laissé de gouverner et d'exploiter cette nouvelle colonie plus ou moins à notre gré.

Et pour la joie de tous, c'est ainsi que la question a enfin été posée lors des débats à la Chambre. On a appris à se « limiter ». Les motions déposées ont forcé les orateurs à se tenir au texte de ces motions lors des discussions, et à dire adieu aux panégyriques trop faciles, aux écarts inutiles mais trompeurs, aux belles phrases qui ne faisaient que contourner les arguments contradictoires. Et aujourd'hui a été une journée de véritable activité ; pas de gestes dans le vide, mais chaque mot était une action.

Ainsi, la discussion devient enfin substantielle, nous abordons enfin le sujet sur son véritable terrain : allons-nous voter une loi coloniale avant d'avoir pleinement pris connaissance de ce qui nous est offert dans l'État libre du Congo, ou allons-nous d'abord exiger cet inventaire avant de discuter une loi coloniale ?

C'est sur ce terrain que sont restés les trois orateurs d'aujourd'hui. Même s'ils n'ont pas tous été également brillants, il convient de leur rendre hommage pour n'avoir pas tenté d'éviter le sujet par des chemins détournés. Les trois ont affronté l'abîme, l'un trouvant avec un doux sourire qu'il n'était pas si profond que ça, facile à sonder, et l'autre le trouvant horriblement profond et vertigineux : aucun n'a essayé de détourner l'attention en montrant à quel point le soleil brillait dans le ciel...

Le premier intervenant aujourd'hui était M. Carton de Wiart, le jeune secrétaire de la Chambre, dont le frère est le jeune secrétaire du Roi ; un homme plutôt dodu mais très intelligent, auteur de romans intéressants, ayant autrefois navigué du côté démocratique, mais qui trouve désormais plus facile de placer un talent très authentique sous la tutelle éprouvée de la droite la plus conservatrice. Pourtant, M. Carton de Wiart n'a pas été excellent aujourd'hui. Il a trop cherché les faiblesses des arguments de ses adversaires pour les réfuter avec emphase mais en réalité sans grande difficulté. Le fait que Furnémont ait quelque peu exagéré en parlant « de l'ombre d'un État, qui exerce l'ombre d'un gouvernement sur l'ombre d'une colonie », n'était pas vraiment nécessaire à l'argumentation de M. Carton. - Par ailleurs, lorsqu'il défendait ses propres idées, il n'était pas non plus exempt d'exagérations. Le fait que les conditions de 1906 n'auraient rien modifié aux droits qui nous ont été offerts en 1889 ; que le changement de perspective chez le Roi n'est dû qu'à des nécessités gouvernementales et à la valeur du territoire congolais ; que la prise de contrôle du Congo est une bonne chose pour la Belgique uniquement parce que la dette par habitant y est plus faible que dans n'importe quelle colonie de n'importe quel pays - ce qui pourrait cependant être dû au fait que le Congo est encore largement inexploité et qu'il coûtera encore beaucoup d'argent -, que le domaine national n'est que méfiance envers le déficit ; que la fondation de la couronne est uniquement issue de la pensée d'un fonds de réserve ; enfin, que la loi coloniale devait être votée avant l'examen de la valeur de l'État libre, sous prétexte que ladite loi ne concernait pas spécifiquement le Congo mais toute colonie potentielle : qui niera que de tels arguments penchent également quelque peu vers... l'exagération, vers l'énorme ?

Plus pragmatique était Monsieur Delbeke, cosignataire de la motion Huysmans, qui proposait de détailler point par point cet ordre du jour et de prouver qu'il contenait seul la vérité.

Malheureusement, l'habileté de Monsieur Delbeke n'était pas à la hauteur des fusils de chasse et des pièges à loups de sa propre proposition ; et ses subtilités sur le droit international, aussi intéressantes qu'elles puissent être en elles-mêmes, ne pouvaient guère rivaliser avec les objections de quelqu'un qui n'est pas juriste mais ingénieur, quelqu'un à l'esprit clair et mathématiquement précis ; pas un homme qui se laisse tromper par des paroles en l'air, mais, par son intelligence et son honnêteté brutale, a réussi à se mettre à dos une bonne partie de sa propre partie ; le très libre catholique Helleputte, qui, aux côtés du libéral Hijmans, a déposé une motion disant pratiquement la même chose, et qui est maintenant venu pour réfuter une fois pour toutes la motion Huysmans-Delbeke.

Et c'était très bien, solide et logique. Oui, dit-il, nous sommes d'accord sur les droits du Congo vis-à-vis des autres États et de la Belgique sur le Congo ; et si nous protestons, c'est que ces droits, constamment accordés, sont maintenant violés. Les partisans de la prise de contrôle ne prouvent-ils pas eux-mêmes que les conditions royales leur sont un obstacle, alors qu'ils essaient de les présenter comme de simples souhaits, une invitation, une proposition ? - Ce que nous demandons, c'est l'examen de ces preuves, et non pas un examen entre ministres, non pas un examen entre membres d'une commission, mais un examen ouvert, franc, à la Chambre, pour tout le pays. Et ensuite, mais seulement ensuite, il peut être question d'une loi coloniale. Car l'argument selon lequel une telle loi pourrait également s'appliquer à une autre colonie ne tient pas. Tout le monde sait que les colonies ne sont pas disponibles à la demande. Dans son projet de loi, le gouvernement reconnaît lui-même que le Congo est visé. Il est donc évident que l'on veut nous imposer une loi théorique, à appliquer à quelque chose que nous ne connaissons pas. Dans quel but ?

Quant à ces conditions elles-mêmes : comment concevoir un domaine national qui ne pourrait pas s'adapter et changer librement avec les circonstances ? Comment accepter le principe d'un domaine de la couronne fixe alors que ce domaine de la couronne serait toujours en développement ? Certes, l'altruisme du Roi est indiscutable ; cependant, lorsque l'on considère la taille de ce domaine de la couronne - un sixième du territoire du Congo, dix fois plus grand que la Belgique -, si l'on pense, par exemple, que le rendement d'un sixième de la Belgique, et même d'une partie sélectionnée, devrait servir à couvrir la liste civile : alors on a bien le droit de trouver cette demande quelque peu exagérée... On a comparé la fondation de la couronne à une fondation privée, la présentant ainsi comme une noble idée. Mais oublie-t-on qu'une fondation privée - comme la Fondation Carnegie par exemple - est : une partie, prélevée sur une propriété privée pour le bien commun ; tandis que la fondation de la couronne est, rien de plus, que : une partie, prélevée sur une propriété publique pour un bénéfice privé ? Et une telle définition, qui est la vraie, ne porte-t-elle pas en elle la mort de ce qui est défini ?...

Et c'est sur l'impression de ces remarques justes que Monsieur Helleputte s'est tu, et que la Chambre s'est dispersée, en attendant de voir ce que la partie adverse saura répondre.


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Le huitième jour [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 15 décembre 1906)

Bruxelles, 13 décembre 1906

La fin approche, et - heureusement. Chaque parti, pour ou contre la prise de contrôle du Congo, toutes les nuances de point de vue, toutes les interprétations de textes et d'intentions : nous les connaissons maintenant, nous en sommes imprégnés, et tout ce qui pourrait encore être dit pour ou contre serait une répétition, fatigante et inutile. Il y a de l'apathie dans la Chambre ; non pas qu'occasionnellement une petite agitation, un feu d'artifice, un geste de défi, un mot aigre de désapprobation ne soient suscités - aujourd'hui encore, nous avons eu de jolis exemples - ; mais un fait est certain : l'impatience grandit de tous côtés ; il y a de la lassitude, une lassitude sur-stimulée, pour ainsi dire, une irritation nerveuse fatiguée qui ne peut pas mener les débats à des résultats heureux, à la conciliation et à la satisfaction... Alors autant arrêter, ce qui d'ailleurs a assez duré, et qui de toute façon ne mènera à aucun accord général, puisque les deux parties restent aussi fermes et têtues l'une que l'autre, malgré les motions visant doucereusement à une concorde définitive ; les annexionnistes, qui acceptent les conditions du Roi, menacent bien de se venger ; l'opposition reste ferme et inflexible ; - et vice versa...

Quel sera le résultat ? J'ai parlé avec plusieurs politiciens ; mais tous sont trop imprégnés de leur opinion, trop convaincus de leur interprétation, trop sûrs d'avoir raison, pour pouvoir déclarer avec autant d'assurance que ce soit les partisans ou les opposants : « la victoire sera la nôtre. » Et en effet, dans une Chambre aussi divisée que celle-ci, où il n'y a ni droite ni gauche, mais seulement des individualités, chacune avec sa propre opinion, en dehors des partis, et où les forces opposées sont aussi autoritaires que puissantes - d'un côté tout le gouvernement, Woeste, Delbeke, Huysmans ; mais de l'autre Hijmans, Vandervelde, Beernaert, de Lantsheere, Helleputte - comment deviner qui remportera la victoire ! En comptant par ailleurs les voix probables pour et contre, on arrive au même résultat : une égalité à quelques voix près, de personnes dont le jugement restera caché jusqu'après le vote, et qui peut-être attendent le vote pour se faire une opinion - dans ce cas, il ne peut être question d'une consigne de vote ; ce qui doit quelque peu ennuyer la majorité gouvernementale ! - ; de sorte que nous n'arrivons pas non plus à un résultat par ce biais.

Nous serons donc contraints d'attendre jusqu'à vendredi après-midi. Car après de longs débats, il a été décidé : c'est alors que la discussion sera close, c'est alors que le sort de la Belgique et du Congo sera scellé, dans le sens où l'annexion ne sera pas rejetée - tout le monde est d'accord pour dire qu'elle doit avoir lieu - mais où les conditions de cette annexion, que ce soit avec une pleine connaissance de cause pour les Belges ou simplement avec confiance dans les revendications royales, seront acceptées. - Un moment solennel, que les débats d'aujourd'hui ne pouvaient pas préfigurer de manière symptomatique.

Car ni le discours continu du monsieur Helleputte, qui a exprimé sans détour son admiration pour le travail civilisateur au Congo, mais a néanmoins estimé que sans inventaire préalable, nous ne pouvons pas voter une loi qui nous permettrait de régler pratiquement l'avenir de ce travail civilisateur ; ni l'ancien ministre, ancien président de la Chambre, le respecté et admiré monsieur de Lantsheere pour son acuité juridique, qui interprète la « brume parlementaire » dans laquelle la Chambre se trouve concernant la signification juridique du domaine de la Couronne et du domaine national, pas en faveur du gouvernement - ce qui provoque une agitation mal à l'aise sur les bancs ministériels - et se demande pourquoi la fondation de la Couronne, dont on nous dit que les revenus seront utilisés à des fins publiques, ne pourrait pas être placée sous administration publique, pour finalement indiquer la situation comme suit : la prise de contrôle du Congo ne peut pas être décidée par une convention bilatérale, par un traité ; la convention de cession ne peut que confirmer notre droit de prise de contrôle, sans le déterminer ou le modifier ; ni le discours flamboyant, mais creux, de monsieur Daens, qui ne veut pas que les Noirs soient maltraités par les ministres - et il a bien raison ! - n'ont rien changé dans l'opinion de ceux qui sont en faveur de la prise de contrôle sans conditions préalables, car ils n'ont fait que répéter des arguments précédents, peut-être les aiguisant, mais en aucun cas les renouvelant.

Et le discours du chef du gouvernement, M. de Smet de Naeyer, au nom du gouvernement, n'aura malheureusement probablement rien changé non plus dans la conviction de ceux qui exigent un inventaire préalable, qui montrerait dans quelle mesure les conditions du Roi sont justes et acceptables.

Certes, le ministre s'est retrouvé dans une impasse. Sans même avoir pensé devoir défendre le gouvernement aujourd'hui, il est soudainement contraint par M. Hijmans à une déclaration finale. On demande la clôture ? D'accord, mais pas sans que le ministre ait répondu à ce qui lui est reproché, dit perfidement M. Hijmans. Et voilà le ministre contraint, malgré lui, de faire une déclaration imprévue, lui qui n'est pas très éloquent de nature, et à qui la rectitude de la langue ne permet pas, faute de pensées, de produire des mots.

Il est donc compréhensible, sinon justifiable, que le ministre ait été lamentablement ordinaire. Sa défense de la perspective gouvernementale était médiocre, se réduisant toujours à des attaques personnelles, des accusations hargneuses ou des menaces indignes. Vous ne voulez pas de la condition du domaine de la Couronne ? Très bien, le Roi disposera des revenus à des fins privées ; et alors, vous n'aurez plus rien, les petits malins ! Et le fait que le domaine national tourmente les Noirs avec du travail forcé ? Mais le travail est moralisateur, le travail élève, le travail est un devoir qui nous est imposé par la loi chrétienne ! Et avec de tels arguments, le ministre défend l'adhésion du gouvernement à la proposition de Huysmans : le vote d'une loi coloniale sans enquête préalable sur la signification du Congo indépendant...

Et après cette lamentable déclaration gouvernementale, un nouveau brouhaha commence. Allons-nous clore les débats ? Mais M. Hijmans voulait encore répondre au discours de M. de Smet de Naeyer, et M. Lorand, opposant acharné à toute annexion, voulait également exprimer son opinion sur la question. Tous deux acceptent cependant de se taire, à condition que l'on procède immédiatement au vote. Mais ici, les membres du gouvernement ont des objections : beaucoup d'entre eux ont déjà quitté la salle, et ainsi leur parti pourrait faire naufrage. Alors, continuation aujourd'hui même, demande le président, et quelle que soit l'heure, que les débats se terminent aujourd'hui ? On vote. Le doyen Tack, âgé de 89 ans, est le premier à se lever et à demander la poursuite. Il semble que M. Tack soit moins fatigué que la majorité de ses collègues : cette majorité refuse de siéger plus longtemps. « La clôture alors ? », demande à nouveau le président. Et celle-ci est également rejetée, la droite contre la gauche, à l'exception de M. Franck, un nouveau libéral venu d'Anvers, qui dit « non » ; M. Franck est en effet sur la liste de ceux qui sont encore inscrits comme orateurs sur une question en suspens, et il voit avec regret la chance lui échapper de prononcer son premier discours. M. Franck parle « franskillions » d'une manière très particulière pour un Anversois. Et enfin, une décision est prise : seuls MM. Hijmans et Lorand prendront la parole - M. Franck pâlit -, et cela vendredi ; après quoi le vote aura lieu immédiatement...

Un soupir de soulagement monte de toutes les poitrines. Puisse cela enfin être terminé !

Avec un sentiment de soulagement, nous descendons donc de la tribune de presse, tandis que les confrères se disent entre eux : »Avez-vous vu quel allié le M. Daens a trouvé en M. Augusteyns ? La semaine dernière, ce dernier est déjà intervenu en tant que défenseur. Cette fois-ci, dès que M. Daens a ouvert la bouche sur la défense des Noirs, il s'est immédiatement placé derrière lui, comme un gendarme ou comme un ange gardien ! »


Belgique [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 décembre 1906)

Le débat parlementaire sur l'État du Congo s'est terminé par une motion d'ordre que l'on pourrait qualifier de motion d'unité nationale. Sous la proposition de cette motion figuraient les noms de Neujean, Helleputte, Hijmans, Huijsmans, de Lantsheere et Aug. Delbeke, réunis fraternellement.

Le Premier ministre a fait une déclaration qui a été généralement bien accueillie, tant par la droite que par la gauche libérale. Après le discours du ministre, sur proposition de Neujean et Hijmans, une pause de quinze minutes a été observée pour permettre à la Chambre de rédiger une motion autour de laquelle elle pourrait se rassembler dans un esprit patriotique. La motion intègre partiellement la déclaration du ministre de Smet et la fixe de manière solide.

La Chambre a adopté la motion par 128 voix contre 2. Les socialistes se sont abstenus de voter.

Voici le texte de la motion :

La Chambre, se remémorant la motion adoptée lors de la réunion du 2 mars 1896 ;

Rendant hommage à la grandeur de l'œuvre du Congo et aux objectifs patriotiques de son fondateur ; Convaincue que les idéaux de civilisation qui ont prévalu lors de la fondation de l'État indépendant du Congo doivent rester primordiaux dans les efforts du pays ;

Considérant que la Belgique est appelée, par le testament royal du 2 août 1889, à assumer la pleine souveraineté de l'État du Congo ; qu'elle a également le droit de prendre en charge l'État du Congo, en vertu de la lettre royale du 5 août 1889 et de la lettre du 10 août 1901, en maintenant le principe contenu dans l'accord du 3 juillet 1890 ; et qu'il est dans l'intérêt du pays de se prononcer encore de son vivant sur la question de la reprise ;

Prenant acte des réponses du gouvernement, selon lesquelles les déclarations contenues dans la lettre du 3 juin ne comportent pas de conditions « mais des recommandations solennelles » ; « l'accord de cession aura pour seul but de réaliser le transfert et de prendre des mesures pour sa mise en œuvre ; le pouvoir législatif de la Belgique réglementera librement le système gouvernemental des colonies belges » ;

Considérant que la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi du 7 août 1901 sur le régime gouvernemental des colonies, doit s'efforcer d'adapter ce régime aux circonstances et aux besoins de l'État indépendant du Congo, et à cette fin, doit recueillir toutes les informations nécessaires à l'élaboration de la loi ;

Prenant acte de la déclaration du gouvernement « qu'il est prêt à coopérer en fournissant à la section centrale tous les types de documents nécessaires à l'élaboration de la loi coloniale » ;

Désirant, sans anticiper sur la réglementation, que la question de la reprise de l'État du Congo soit soumise à la Chambre dans les plus brefs délais, conformément à l'intention du gouvernement ;

Exprime le souhait que la section centrale accélère ses travaux, soumette son rapport dans un délai court ;

Et passe à l'ordre du jour.

Une motion des socialistes, qui a été présentée en premier, a été rejetée par 122 voix contre 30 et 7 abstentions.


Le dernier acte [sur la reprise du Congo]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 décembre 1906)

Bruxelles, 14 décembre 1906

Non, ce ne sera pas une tragédie, pas un jeu où les conflits et les affrontements se terminent par les événements les plus redoutables ; mais ce sera un « jeu de famille à fin heureuse », comme dirait Heyermans, quelque chose de solennellement convivial, comme la réconciliation de deux frères sous le regard du père souriant et pleurant ; l'embrassade générale de toute comédie bien intentionnée.

Oh, je ne prétends pas que nos représentants du peuple auraient joué une comédie pour le pays. Les débats ont été trop sérieux, et... ont duré assez longtemps, trop longtemps pour ne pas avoir été tenus avec toute la sincérité et la conscience pleine. Mais... si l'on avait commencé par la fin, si la bonne intention de chacun avait abouti à la concession finale ! Personne n'aurait perdu plus de plumes qu'aujourd'hui, mais - il aurait également fallu avaler son éloquence, ce que la vanité de chacun aurait peut-être moins appréciée, probablement.

Maintenant que la tension publique est terminée... sur une déception, certes - car on aurait souhaité une fin épique -, mais néanmoins sur un résultat très satisfaisant pour le pays, qui se plaindrait encore de débats trop longs, de répétitions pieuses et solennelles, encore et encore, des mêmes arguments pour et contre, de querelles inutiles et de chamailleries de conscience ? La solution est là ; et même si elle ne nous avance pas beaucoup dans l'affaire, elle nous montre que nous sommes maîtres de notre pays. Et c'est déjà beaucoup !

Ce fut un beau spectacle de dignité parlementaire, cet après-midi, particulièrement dans la seconde partie de la séance. La première partie fut occupée par un débat budgétaire, qui ne nous a rien offert de caractéristique, si ce n'est de remarquer que, si le député Buyl, vu d'en haut, ne ressemble pas mal à Van Deyssel, il est néanmoins inférieur à ce dernier en éloquence ; et que si M. Demblon, s'il veut être poli, se sent mal à l'aise.

Cette dignité ultime n'était pas non plus perceptible dans le discours véhément de M. Lorand, anti-Congolais. M. Lorand est un ennemi déclaré de la politique coloniale. Beaucoup de Belges partagent, dit-il, son opinion sur la reprise du Congo. Ceux qui ne la partagent pas n'ont pas d'opinion à ce sujet, sont indifférents. Beaucoup, qui, par nouveauté, étaient favorables au Congo, sont avec le temps venus à un sentiment opposé. Ils ont vu que la politique coloniale est un jeu, un jeu dangereux. Dangereux ? Voyez ce qui vient de se passer au Reichstag, et qui nous met en garde contre l'imitation d'autres pays. Le Roi a fait de la politique coloniale ; la sottise belge l'a suivie. Maintenant que nous voyons cependant ce que cette politique implique et vise, nous en avons assez.

Car la politique coloniale est inutile pour nous, la Belgique. Pratiquement, elle ne nous est d'aucune utilité. Bien sûr, nous souhaitons l'expansion de la Belgique ; mais notre énergie a-t-elle attendu le Congo pour se déployer ? Et est-ce uniquement grâce au Roi que cet éclatant déploiement a eu lieu ? Non, mais grâce à notre activité, et au fait que la Belgique, selon les mots de Reclus, est « un carrefour solide », un endroit où tous les grands axes du monde se croisent, un marché mondial donc où le commerce doit passer. De 1830 à 1880, notre commerce a été multiplié par vingt ; et depuis le commerce avec le Congo ? Même pas d'un huitième. Ce qui nous assure des privilèges, c'est que nous produisons de manière fiable et à bas prix ; et c'est là la raison de notre expansion commerciale.

Quels seraient maintenant les avantages politiques de la possession coloniale ? La politique congolaise a jusqu'à présent été une politique de conquête, et cela suffit ; une politique basée sur l'absolutisme, une politique où le seul pouvoir donne au peuple des droits arbitraires. Est-ce que la Belgique constitutionnelle peut regarder cela d'un œil bienveillant ; et n'est-il pas à craindre que par répercussion, ce despotisme ne se retourne aussi contre les Belges ? Et le côté moral de la question ? - Certes, des efforts ont été faits au Congo, et il est difficile de prévenir les abus. Mais ce qui peut être prévenu, c'est que des autorités responsables, ayant un intérêt à maintenir ces abus - comme le travail forcé par exemple - se voient confier l'éradication de ces abus. On dit bien : depuis la « commission d'enquête », entre autres, le travail forcé a été éradiqué. Cependant, cela ne peut pas être vrai, pour la simple raison que, comme avant, les résultats sont restés les mêmes en termes d'exportation de caoutchouc et d'ivoire. Nous sommes donc confrontés à cette belle situation : 20 millions de personnes, condamnées au travail forcé au nom de la civilisation !

Pour en venir à l'éventualité de la prise de contrôle : un premier obstacle réside dans l'incompatibilité nécessaire entre le système judiciaire en Belgique et au Congo ; cet obstacle est confirmé et perpétué par les conditions royales. C'est pourquoi nous devons faire toutes les réserves sur ces conditions. L'indépendance de la Belgique doit rester entière vis-à-vis de l'État libre, même lors du vote d'une loi coloniale. Car remarquez bien, ce que le gouvernement veut ce n'est pas une prise immédiate du Congo : le Roi lui-même déclare qu'il parlera au bon moment ; et que ce moment n'est pas encore venu ; mais ce que le gouvernement veut : par une loi coloniale, couvrir et approuver l'absolutisme, les abus au Congo. Et c'est pourquoi on nous refuse un inventaire.

Mais la Belgique ne se laissera pas berner, et, si une loi coloniale est adoptée, ce ne sera qu'avec toutes les réserves sur le fond de la question....

Le discours de M. Lorand a été véhément, parfois furieux, et malheureusement pas sans partialité. Ce n'était pas une observation froide, c'était une accusation catégorique, et surtout pas une tentative de réconciliation.

On aurait pu s'attendre à une querelle agréable, si l'heure n'était pas déjà si avancée, et... si le gouvernement n'était pas déjà d'accord avec ses opposants. On avait déjà chuchoté que le ministère s'était rallié à l'ordre du jour de Helleputte, qui correspond entièrement à l'ordre du jour de Hijmans, avec la disposition finale selon laquelle on passerait à l'examen d'une loi coloniale, « à condition que toutes les réserves sur l'affaire pendante soient prises en compte. »

Mais c'était mieux que cela ; écoutez plutôt.

Car lorsque M. Hijmans, solennel comme un bourreau ou comme un pontife maxime prêt à oraculer, s'est levé et, d'une voix lente et pompeuse, a posé trois questions au ministre, chef du cabinet :

1° Les expressions de volonté royale, dans la lettre du 3 juin 1906, doivent-elles être considérées comme des conditions auxquelles la prise de contrôle du Congo est soumise ?

2° Si elles doivent être considérées comme des souhaits : qui jugera de ces souhaits ? Sera-ce le législateur belge, qui, sous l'inspiration des idées du Roi, des besoins du Congo et de la souveraineté belge, décidera ?

3° Le gouvernement accepte-t-il de prendre les mesures nécessaires auprès de l'État libre pour obtenir les documents qui nous éclaireraient sur la situation générale du Congo, avant que la commission intermédiaire ne présente un projet de loi coloniale provisoire ?

Alors M. de Smet de Naeyer, au nom du gouvernement, a répondu à ces trois questions :

1° les expressions de volonté du Roi ne sont pas des conditions, mais des recommandations solennelles - une formulation qui a été accueillie avec un certain hilarité du côté gauche ;

2° l'accord de transfert déterminera les conditions à cet égard ; ce sera le législateur belge qui déterminera le mode de gouvernement de la nouvelle colonie ;

3° le gouvernement est tout à fait disposé à coopérer avec la section intermédiaire pour obtenir les documents nécessaires.

Ensuite : des soupirs de soulagement, pas moins du côté des bancs ministériels, et des applaudissements de la part de M. Hijmans et de ses amis...

Maintenant, M. Neujean demande un quart d'heure pour rédiger une motion de réconciliation. Ce quart d'heure dure une heure et demie, et... personne ne s'en plaint, car la motion est magnifique tant sur la forme que sur le fond. Comme disposition finale, elle déclare que, compte tenu des déclarations du gouvernement concernant la liberté dans la fixation des conditions pour le transfert, et de la législation belge sur le mode de gouvernement de la colonie congolaise, la Chambre souhaite voir la section intermédiaire présenter rapidement son rapport sur la loi coloniale, en tenant compte des conditions au Congo, telles qu'elles ont été communiquées par le gouvernement et l'État libre.

Voilà enfin la solution. Pour M. Hijmans, c'est une victoire significative ; pour le gouvernement, si ce n'est pas une défaite, c'est du moins une soumission humiliante, montrant que la question qu'il défendait était indéfendable. La Chambre a donc fait preuve ici d'une rare indépendance vis-à-vis du Roi ; le fait que le gouvernement ait été contraint de partager cette indépendance n'est pas flatteur pour le Roi souverain, mais prouve une fois de plus que le droit l'emporte également sur les puissants. Approuvée par une quasi-totalité de la Chambre - 159 membres sur 166 - la motion de réconciliation a été adoptée par 128 voix contre 2 et 29 abstentions. Les 29 abstentions provenaient du côté socialiste ; elles reposaient sur le fait que l'ordre du jour ne mentionnait pas de condamnation des atrocités au Congo ; un prétexte peu significatif, compte tenu des termes de la motion elle-même.

Et ainsi s'est terminé ce long prologue de notre drame colonial. Un drame ? Nous ne le savons pas, - même si les actes avancés par la motion de réconciliation garantissent que nous ne travaillerons pas dans l'obscurité et que notre prudence reposera sur des bases solides. Et cela n'est pas négligeable.


Les pommes de la discorde

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 décembre 1906)

Bruxelles, 24 décembre 1906

J'avoue humblement ne pas connaître beaucoup de peuples ; mais parmi ceux que je connais, il n'y en a pas un aussi belliqueux que le peuple belge. Coqs de combat et bagarreurs, c'est la gloire des Flamands comme des Wallons, de mériter ces titres honorifiques, pleinement. Et si « l'âme belge », l'âme solitaire des frères ennemis, existe vraiment dans notre pays, alors sa première manifestation, son signe le plus distinct, réside dans cette propension au combat où les Belges de races et de langues différentes, sans se comprendre, se reconnaîtront et se comprendront mutuellement. Remarquez bien : il n'y a pas ici de sauvagerie abruzzaise ou de méfiance castillane. Flamands et Wallons sont bons vivants, sont « Lamme Goedzak » ; ils ont la générosité et la fraternité dans le cœur ; mais là où il y a fraternité, il y a boisson, et là où il y a boisson, il y a bagarre. Et même quand l'alcool n'est pas en jeu, la jovialité de la convivialité entraîne inévitablement une bagarre, que ce soit sérieusement ou juste pour le plaisir, comme une décharge d'un excès de vitalité et de sagesse de vie.

Parmi les Belges, je ne connais aucun peuple aussi vigoureux et aussi joyeux que nos députés, et parmi les députés, aucun n'est aussi jeune, aussi... belge que nos socialistes. Ces internationalistes sont, dans leurs expressions, plus patriotes que quiconque. Ce sont des agitateurs et des querelleurs, non par méchanceté, mais par une forme de convivialité qui est authentiquement belge. Le Belge taquine jusqu'à ce que les larmes jaillissent des yeux de son adversaire. Ensuite, il rit de bon cœur et... essaie de consoler.

Ce qui a modifié la physionomie psychique de la Chambre depuis l'arrivée des socialistes, c'est l'augmentation de cette politique nationale d'agacement inoffensif, fondamentalement bienveillante : un exemple que le reste de l'Europe a suivi sans en comprendre la malice et la grossièreté. Les élèves n'ont pas compris la signification de la rudesse du maître.

Dans d'autres pays, on se tire les cheveux ; ici, on se tire tout simplement le cheveu. Une insulte est ailleurs... une insulte ; ici, une injure est quelque chose qui reconnaît mutuellement les parties en présence. On s'énerve un instant, mais - on sait bien que ce n'était pas sérieux, et qu'il s'agit du phénomène national de l'hyperbole parlementaire. Chacun d'entre eux a un épithète homérique. Si ce n'est pas un surnom flatteur : il se console en pensant que c'est la reconnaissance de sa supériorité.

On aboie, à gauche, quand M. Hoyois prend la parole, et si c'est M. Woeste, alors on crie "Sauciese". Mais M. Hoyois oublie que cela lui reproche son envie colérique, pour se souvenir en même temps qu'on reconnaît qu'il est un redoutable mordant, et M. Woeste (qui un jour a traité ses électeurs de délicieuses saucisses) ne pense plus qu'on l'accuse de corruption, il pense qu'on rend hommage indirectement à son pouvoir et à son autorité sur la population qui l'envoie à la Chambre presque chaque année depuis un demi-siècle. Le mot "faussaire" est accepté ici comme un diplôme d'honneur pour le zèle partisan - récemment encore, il a été ainsi interrogé lors de l'incident Debunne, dont je vous ai parlé - ; et celui qui est appelé « voleur » voit en cela un hommage à son habileté... -

Dans le fonds, notre craie parlementaire n'est rien d'autre qu'une image, raffinée, civilisée, devenue "régence", - une image vue à travers les grandes lentilles de la longue-vue du théâtre ; une image en porcelaine de Sèvres ; une jolie petite image en satin de ce qui se passe dans la Belgique neutre, le seul endroit où les deux races et les deux langues sont fondues l'une dans l'autre - même si le flamand a naturellement ! le dessus -, dans le quartier des Marolles, qui a son centre dans la rue Haute de Bruxelles. Là aussi, on s'emporte pour un mot injurieux - de l'adorable "lavabo de travers" au méprisant "architecte" ou "pharmacien" - et fréquemment les couteaux scintillent dans les mains noueuses. Mais, une fois le combat terminé, même si le blessé est vaincu, il est toujours très fier d'avoir mérité l'insulte : n'est-ce pas une preuve de supériorité ?....

- Je vous demande pardon de vous avoir donné cette leçon d'éthique parlementaire belge. Mais j'ai pensé pouvoir profiter de la vacance parlementaire pour vous informer des mœurs dont je vous dresserai de nombreux tableaux dans un proche avenir.

Il y a du pain sur la planche : le projet de loi Coremans, qui se fait tant attendre ; la loi sur le régime d'exploitation des mines dans la Campine : un sujet qui a été abordé avant les vacances lors de quelques séances, mais sur lequel les querelles et les chamailleries ne commenceront vraiment qu'après cette longue pause avec de nouvelles énergies : deux pommes de discorde... pour étancher la soif, et qui pourraient bien devenir des pommes pourries, visant la tête des partisans comme des opposants. Pendant ce temps, nos députés se reposent sur leurs lauriers, cueillis lors des débats sur le Congo.

Le conseil communal de Bruxelles, lui, ne se repose pas ; il y a même une question qui lui enlève tout repos, qui lui a rendu le sommeil impossible ces derniers jours. Il s'agit de la question de notre exposition universelle en 1910.

Votre correspondant d'Anvers vous a récemment écrit comment la Belgique, autrefois champ de bataille de l'Europe, semble maintenant vouloir devenir un terrain d'exposition permanent. En effet : Bruxelles ouvrira sa foire internationale en 1910 (et non en 1908, comme annoncé) ; en 1913, ce sera le tour de Gand ; et Anvers ne tardera certainement pas. En une dizaine d'années, nous aurons eu le plaisir de profiter de quatre expositions universelles. Peut-on ignorer que nous devenons de plus en plus le pays choisi pour les manifestations de joie extérieure ?

Que l'organisation d'un tel jeu de marionnettes mondial n'est pas une petite affaire, Monsieur De Mot l'a appris à ses dépens ces jours-ci.

Monsieur De Mot, vous le savez, est notre bourgmestre. Il a toutes les qualités, et seulement un défaut : il ne connaît pas le néerlandais. Et c'est très dommage pour quelqu'un qui gouverne une majorité d'ignorants en français, ignorant le français dans la mesure où dans les écoles techniques bruxelloises - écoles de typographie, de peinture décorative, etc. - les cours officiellement en français doivent être donnés en flamand pour la simple raison que le professeur ne peut pas se faire comprendre suffisamment par les élèves dans cette langue. Le peuple de Bruxelles, jusqu'à la bourgeoisie aisée, est resté flamand. Monsieur De Mot ne connaît pas le flamand ; il a tort ; - mais à part cette erreur, il possède assez de scepticisme et de volonté pour être considéré comme un excellent bourgmestre d’une grande ville.

Monsieur De Mot a maintenant eu le tort, ou plutôt la malchance, de donner son approbation et son soutien à un projet de la société qui organisera l'exposition, sans en informer son conseil communal, de sa propre initiative et selon sa propre conviction, projet plaçant cette exposition dans le quartier de Solbosch, près du magnifique Bois de la Cambre, au bout de l'avenue Louise : le côté aristocratique de la capitale, où la richesse discrète de la ville s'est concentrée. La ville y a fait « une bonne affaire » : elle a annexé une partie de la commune d'Ixelles, et ce à des conditions très avantageuses. L'exposition à Solbosch serait non seulement magnifiquement située ; la ville de Bruxelles en retirerait un beau profit. Le bourgmestre a donc cru pouvoir se rallier à ce projet et en favoriser la réalisation.

Mais il s'est bien trompé ! Le conseil communal de Bruxelles, un petit parlement, où le camarade Furnémont joue la première trompette, n'est pas un endroit où l'on peut agir sans gants. Et ainsi, l'attitude de Monsieur De Mot est devenue une nouvelle pomme de discorde ; le conseil de Bruxelles, qui ne veut pas acheter des pommes pour des citrons, et a fortiori des pommes de discorde, lui en a voulu d'avoir agi ainsi à sa guise. Et une partie du conseil a imaginé un nouveau projet : l'exposition dans la basse ville, s'étendant vers le nouveau port de mer en construction. En plus d'être ainsi située dans un quartier moins approprié, sa création aurait dû attendre l'achèvement des travaux portuaires. Il est maintenant apparu que ces travaux portuaires ne pourraient pas être achevés à temps. Néanmoins, la lutte est restée acharnée ; et même une petite fête intime, où le bourgmestre De Mot a été honoré en tant que membre du conseil municipal depuis 25 ans, n'a pas réussi à faire accepter cette misérable pomme de discorde comme digestif général... Et ainsi, l'affaire, décidée en principe, reste encore un foyer de ressentiment et de querelle parmi les amis.

Parviendra-t-on à satisfaire tout le monde ? Oh, fondamentalement, tout le monde est satisfait, fondamentalement, on est d'accord. Mais vous voyez : parmi tous les peuples que je connais - j'avoue ne pas être très voyageur - le peuple belge est le plus querelleur, le plus... (Voir ci-dessus)