(paru à Paris, en 1834, chez Librairie de Fournier. Traduit de l’anglais par Mademoiselle A. SORRY)
Waterloo. - Saint-Jean. - Belle-Alliance. - Monuments. - Route de Namur. - Namur. - Huy. – Pensionnat - Citadelle. - Liége. - Quentin-Durward. - Églises. - Chaudfontaine. - Politique belge.
(page 86) Près de vingt années se sont écoulées depuis que Waterloo fut le théâtre d'un événement qui influa sur la destinée de l'Europe entière ; et cependant tous mes sentiments patriotiques s'éveillèrent avec une telle vivacité à la pensée que j'allais voir ce coin de terre, qu'il me semblait que sa gloire datait d'hier. Ce sujet est épuisé, je le sais ; il est décidément passé de mode ; mais je risquerai néanmoins d'ajouter quelques mots à tout ce qui en a été dit. Une demi-lieue avant d'y arriver, des hommes vinrent de chaque côté de la voiture nous offrir de nous servir de guides, et des femmes portant des paniers remplis de reliques de la bataille s'empressaient de nous présenter des aigles, des balles, des boutons (page 87) d’uniformes. On aurait pu croire que le grand événement s’était passé un mois auparavant. On nous avait avertis de ne point nous arrêter au village de Waterloo, malgré la magie de son nom, parce que le champ de bataille en est trop loigné pour qu’il soit possible de s'y rendre de là à pied. Nous persuadâmes donc notre cocher, non sans peine, de nous mener jusqu'à Mont-Saint-Jean, petit hameau dépendant de la paroisse de Waterloo. Nous trouvâmes dans ce hameau, contrairement à l'assurance de notre conducteur, une petite auberge fort décente, située à porté de tous les objets que nous désirions voir, et nous acceptâmes immédiatement les services d’un guide qui nous fut recommandé par l’aubergiste. Nous ne pouvions tomber en de meilleures mains. Il était âgé de seize ans lors de l’affaire, et avait pris une part active aux scènes qui la suivirent. Pendant une grande partie de la journée, il fut employé à porter de l'eau aux blessés ; et vers le soir, il fournit aux besoins des plus fortunés, auxquels un repas substantiel, quoique grossier, suffit pour redevenir les plus satisfaits et les plus triomphants des mortels.
(page 88) Le temps était d'une chaleur intense, et la plaine que nous devions parcourir entièrement dénuée d'ombre ; mais ce brave garçon trouva moyen de nous faire paraître la route singulièrement courte. Je ne sais s'il avait assez de tact pour deviner quelles anecdotes pouvaient nous paraître le plus agréables ; mais il nous conta les traits les plus touchants de générosité, de courage, de sensibilité de nos Anglais. Toutefois, si notre bon ami le guide belge a l'intention de plaire également à tous les voyageurs de notre pays, il faut qu'il connaisse une page de notre politique du jour, dont il était évident qu'il ne se doutait pas.
« Votre duc de Wellington était là, disait-il ; je l'ai vu, moi, entouré de ses généraux. Mon Dieu! quel homme! J'étais tout près de lui, ici... justement ici,... et lui, il était là. Quel homme! Et comme tous ses officiers le regardaient! Il est adoré en Angleterre, n'est-ce pas? »
Je me sentis rougir en me rappelant les fenêtres de Apsley-House, et je n'aurais pas voulu dire à ce pauvre homme ce qu'il verrait s'il venait contempler la demeure du héros de Waterloo.
(page 89) « Oui, mon ami, oui, « fut ma réplique ; et si je n’ai pas dit la vérité, la honte doit tomber sur d’autres que sur moi. .
Dans le cours de notre exploration, nous vîmes le monument élevé sur la place où tombèrent les Hanovriens, et celui qu'on a érigé à la mémoire de sir Alexandre Gordon. Mais l'objet le plus frappant de la plaine de Waterloo est la pyramide colossale que le roi de Hollande a fait construire à l'endroit où son fils, le prince d'Orange, fut blessé : cette pyramide a deux cent cinquante pieds de haut, et deux cents hommes y ont constamment travaillé pendant trois ans. .
Quand on pense au nombre déplorable de ceux qui ont expiré sur ce même champ de bataille, et sur les restes desquels il ne s'élève pas le plus humble monument de, gazon, ce souvenir fastueux de la blessure d'un prince paraît d'un orgueil révoltant. Je ne pus m'empêcher de penser que si la bravoure vivante peut se voir ainsi honorée, il ne serait peut-être pas déplacé de demander au roi Léopold la permission d'ériger une statue au duc de Wellington sur le sol où il a gagné sa plus haute renommée. Dès que (page 90) l'idée de ce monument se fut offerte à mon esprit, je cherchai et choisis l'emplacement propre à le recevoir ; c'était la petite éminence de laquelle son génie dirigea les mouvements hardis et décisifs qui forcèrent le vainqueur du monde à douter enfin de sa fortune. Là une puissante statue de bronze se détacherait parfaitement bien sur le ciel, et je me la figurais classiquement drapée à la manière de Cemble, et dans une attitude qui rappellerait le souvenir de Coriolan.
Nous montâmes au sommet de la pyramide par des degrés assez grossièrement taillés pour rendre cette entreprise difficile ; mais nous fûmes récompensés par le coup d'œil du champ de bataille. De cette hauteur nous pouvions nous représenter la disposition des divers corps, beaucoup plus clairement qu'il n'était possible de le faire à toute autre place. Notre guide était un intelligent historien, et il nous indiquait avec des expressions très animées les points où le combat avait été le plus actif.
Le lion de bronze fondu à Liége, qui surmonte la pyramide, est un superbe monstre, long de vingt pieds ; et, suivant l'observation de notre (page 91) guide, il tourne vers la France des regards menaçants.
Quand nous eûmes descendu cette montagne factice, ce qui n’était rien moins difficile que d'y monter, nous parcourûmes la plaine en tous sens, et malgré l'ardeur brillante d'un soleil de midi, nous ne laissâmes pas un seul coin de terre, rappelant quelque souvenir, sans lui payer notre tribut d’attention et d'intérêt.
Tout ce qu’on a dit, tout ce qu’on a écrit sur ce sujet, toutes les années qui nous séparent de ce grand jour, rien ne pouvait affaiblir la vice impression que produisit sur notre esprit un sol dont la renommée nous était depuis si longtemps familière.
Qui pourrait entendre sans éprouver une noble émotion d’orgueil : A cette place, où vous êtes maintenant, se tenait votre Wellington ; ses officiers étaient là ; voici le point où Napoléon s’arrêta, c’est de là qu'il prononça son dernier commandement : sauve qui peut!
Les ruines du château de Hougoumont me paraissent le point le plus intéressant du champ de bataille. C’est peut-être là que le combat fut (page 92) le plus acharné ; et les murs en ruines,la chapelle moitié brûlée, moitié démantelée, qui s'élève au-dessus des débris, avec sa croix que l'on dit avoir été plusieurs fois atteinte par le feu sans être consumée ; les traces des charges, plus d'une fois repoussées et réitérées, tout contribuait à rappeler la scène sanglante avec une effrayante énergie. Dans le jardin de Hougoumont, une tombe solitaire marque la place où le corps du capitaine Blachnon est enterré. Il fut enseveli exactement où il tomba, « son manteau de soldat autour de lui, » et ce monument est le seul ainsi érigé.
Enfin, suffisamment épuisés par la chaleur et la fatigue pour nous rendre extrêmement agréable la vue de la petite auberge, nous atteignîmes la Belle-Alliance, sur la porte de laquelle une inscription rappelle que, dans ses humbles murailles Wellington et Blücher se reposèrent le soir, à jamais mémorable, du 18 juin 1815.
Assise dans le petit salon, aux murs simplement blanchis, entre lesquels les généraux victorieux passèrent les premières heures, tristes, bien que triomphantes, qui suivirent la bataille, je croyais les voir au milieu de leur état-major, (page 93) désirant et craignant d’appendre quels étaient ceux de leurs braves compagnons qui vivaient encore pour partager leur gloire. Ce fut là qu’ils entendirent nommer ceux qui avaient payé de leur vie l’inestimable avantage remporté par leur pays, et ce fut là que le premier, le plus précieux tribut de reconnaissance et de regret fut payé à leur mémoire.
Nous retournâmes à notre petite auberge vers trois heures, et saluâmes avec joie l’ombre de son modeste salon. Notre course avait été si longue et si pénible, que je fus obligé de prendre quelques heures de repos avant de m’aventurer à sortir. Mais le soir, des masses épaisses de nuages d’été voilèrent les rayons du soleil, et malgré la pesanteur de l’atmosphère, je voulus revoir encore le champ fameux. Mes compagnons avaient été plus loin, j’étais entièrement seule. Après avoir passé la matinée à écouter le récit des actes sublimes, il est vrai, mais sanglants, qui s’étaient accomplis en ce lieu, je tremblais presque de m’y trouver dans cette complète solitude. Sur un sol ainsi consacré, on pouvait, sans un grand effort d’imagination, le peupler d’images (page 94) terribles. Pour ajouter à l'effet de la scène, l'orage qui s'approchait jetait sur les objets une teinte si sombre, qu'un poète aurait cru voir l'air obscurci par les drapeaux flottants d'une armée de spectres. La journée se termina par le plus violent orage de tonnerre que nous ayons vu pendant toute la saison.
Le lendemain matin, ayant eu le bonheur de trouver des places dans une des diligences qui vont de Namur à Bruxelles, nous en profitâmes pour retourner au village de Waterloo. C'était un dimanche, et nous entendîmes la messe dans la petite église dont les murailles sont couvertes d'inscriptions à la mémoire des braves qui ont péri sur le champ voisin. Après la messe nous fîmes un tour dans le village, pour voir divers endroits célèbres par quelques rapports avec la bataille.
L'objet que l'on montrait avec le plus d'appareil, était une espèce de mausolée portant cette inscription :
« CI EST ENTERRÉE LA JAMBE
« DE L’ILLUSTRE ET VAILLANT COMTE UXBRIDGE,
« LIEUTENANT-GENERAL DE S. M. BRLTANNIQUE,
« COMMANDANT EN CHEF LA CAVALERIE
« ANGLAISE, BELGE ET HOLLANDAISE ;
« BLESSE LE 18 JUIN 1815,
« A LA MEMORABLE BATAILLE DE WATERLOO,
« ET QUI PAR SON HEROÏSME A CONCOURU AU TRIOMPHE
« DE LA CAUSE DU GENRE HUMAIN,
« GLORIEUSEMENT DÉCIDÉE PAR L'ÉCLATANTE
« VICTOIRE
« DUDIT JOUR.
De chaque côté de cette inscription, une tablette portait un autre inscription ; celle à droite est ainsi conçue :
« Cet endroit fut visité, le 1er octobre 1821, par Georges IV, roi de la Grande-Bretagne. »
Et sur celle de gauche on lit :
« Cette endroit fut visité le 20 septembre 1825, par SM le roi de Prusse, accompagné des trois princes ses fils. »
On ne peut s’empêcher de penser, ce me semble, que cette châsse n'était pas celle qui devait recevoir de préférence les noms des royaux pèlerins (page 96) Cependant c'est le seul monument qui montre des traces de leur visite à Waterloo. Il y a quelque chose qui approche du burlesque, à passer debout devant les tombeaux des héros pour s'arrêter au réceptacle d'un membre détaché. Si le brave et noble guerrier qui l'a perdu, n'avait laissé aucun autre souvenir de sa présence sur le champ de Waterloo, cette dévotion étrange paraîtrait moins déplacée. Ceux qui ont voulu signaler leur admiration par ce singulier mausolée, auraient mieux fait de s'en rapporter à la renommée que lord Anglesey s'est justement acquise, pour conserver la mémoire d'un événement qui lui donna une occasion de plus de faire briller son courage ; et comme la jambe elle-même n'était pas la partie de sa personne à laquelle ce seigneur dut les exploits qui le distinguèrent dans cette journée, les honneurs rendus à ce lambeau pouvaient sans doute être mieux appliqués.
Après avoir dîné à l'hôtel du roi d’Angleterre, nous montâmes dans le coupé de la diligence de Namur, que nous avions retenu d'avance. Nous passâmes par Quatre-Bras, où Blücher fut battu (page 97) le 17, la veille de la grande bataille ; et aussi par le village célèbre de Gennape. A environ deux lieues de Namur, nos yeux furent réjouis par le premier paysage pittoresque que nous ayons comtemplé depuis notre arrivée en Belgique
Une petite rivière brillante et sinueuse, un majestueux rocher calcairé, s'élevant sur ses rives, et un vieux château à la Radcliffe, apparaissant dans le fond au milieu des bois, fournirent un régal délicieux à trois voyageurs avides de sites romantiques, après avoir été réduits depuis un mois à la vue monotone des plaines de la Flandre et du Brabant. Toutes les fermes de ce canton sont construites de manière à servir de forts. La plupart présentent un carré de murs, solidement bâtis en pierre, dans lesquelles des meurtrières sont percées de distance en distance. Les portes étaient hautes, souvent crénelées, et pourvues d'un porche capable de résister à tout, excepté à l'artillerie.
L’aspect de Namur est superbe. La ville occupe le centre d’un bassin au confluent de la Sambre (page 98) et de la Meuse. A l'angle formé par la jonction des deux rivières, une colline escarpée termine une longue chaîne de montagnes ; et sur cette éminence est érigée la citadelle, dont les belles fortifications s'étendent sur toute la surface du mont.
En approchant de la ville on découvre, et la cathédrale de Saint-Aubin, et l'église de Saint-Loup ; mais les collines agrestes qu'on aperçoit de tous côtés ne permettent pas à aucun édifice, sauf l'imposante citadelle, de fixer les regards. Toutefois, même un examen plus attentif ne donne pas une idée bien avantageuse de l'architecture de ces deux monuments, et la ville n'est pas non plus très bien bâtie, ni ses rues très remarquables par la propreté ou la bonne odeur. Nous avions vu trop récemment de magnifiques églises, pour admirer celles de Namur. Saint-Loup est la plus digne d'attention, à cause de son toit singulier orné de belles sculptures en pIerre.
Namur avait cependant pour mon fils des attraits que mon ignorance m'empêchait malheureusement de sentir. A son avis, la collection (page 99) de M. Cauchy, pour lequel M. Vandermeulen lui avait donné une lettre des plus parfaites que l’on puisse voir en son genre : elle contient des specimen de tous les produits géologiques de la Belgique. J’appris avec plaisir que quelques coquilles fossiles de ce cabinet avaient été classées par un de nos compatriotes, mistress M….n. Connaissant, par expérience, la douce modestie avec laquelle cette aimable femme sait faire oublier ses talents supérieurs, lorsqu’elle cause avec des personnes de son sexe moins instruites qu’elles, les éloges donnés à son savoir me furent extrêmement agréables, et je regrettai sincèrement de n’être pas initiée à ces sujets intéressants.
Après avoir passé un jour à Namur, nous nous embarquâmes sur un petit et sale paquebot, qui conduit de cette ville à Huy, par la Meuse. Nous tenions fortement à ne point manquer ce joli voyage, et nous trouvâmes qu’il méritait tous les éloges qu’on en fait ; mais cela nous fit regretter d’autant plus que la mauvaise tenue des bateaux gâte une excursion qui pourrait être complètement agréable.
(page 100) Tout voyageur, en ces quartiers, qui peut disposer d'un ou deux jours, ne peut mieux les employer qu'en visitant la ville de Huy. La Meuse est là dans toute sa beauté, et le petit tourbillon sous le pont, donne aux eaux de ce fleuve un mouvement si vif, qu'il est impossible de leur donner en ce lieu l'épithète de stagnantes.
Les collines qui s'élèvent sur les deux rives sont hardies et pittoresques, et sur l'une d'elles la citadelle d'Huy montre son front massif, tantôt couronnant le rocher, d'autres fois laissant des corniches rocailleuses s'intercaler dans les ouvrages de maçonnerie et contribuer à leur force. Au-dessous de la citadelle, la cathédrale déploie, dans la direction du nord-est, la noble étendue de ses ailes : cet édifice, un peu altéré par des réparations réitérées, est encore imposant et vénérable ; plus bas on découvre le beau pont en pierres grises, avec ses sept arches gracieuses ; enfin les yeux rencontrent de tous côtes, soit une tour, soit un couvent, soit quelque vieille et grotesque maison bourguignote, les uns et les autres colorés de ces harmonieuses teintes rouges et ardoisées qui distinguent (page 101) généralement les dessins de Prout. Une des causes de cet aspect si singulièrement pittoresque est que la petite ville de Huy, qui ne contient pas plus de cinq mille âmes, possède seize églises ou monastères. Les guides des voyageurs disent qu'aucune cité de la même dimension ne peut se vanter d’un nombre égal d’édifices de ce genre, et qu’un nombre d’ecclésiastiques proportionné y font leur résidence. Je demandais à un des habitants avec lequel j’avais fait connaissance, si cela était vrai. « Ma foi, oui, me répliqua-t-il, il n'y a rien à redire à cela, et le bon Dieu en prend soin ; car tout le monde manquerait de main, que les prêtres ne manqueraient de rien. »
Les deux rives de la Meuse sont très agréables à parcourir, et nous avions entendu conter tant d’histoires de convents, dans lesquels on conserve encore les restes vénérables de leur religieuses, autrefois si nombreuses, que nous nous décidâmes à passer un jour de plus à Huy, afin d'explorer les environs et d'entrer, s'il était possible, dans un de ses sanctuaires.
Après avoir monté une colline sur la rive occidentale du fleuve, nous découvrîmes un bâtiment (page 102) qui nous parut devoir être un couvent, au premier coup d'œil jeté sur sa gothique chapelle, ses hautes murailles, son air de profonde retraite. Nous en approchâmes avec empressement, et tirant une petite sonnette placée à la porte extérieure, nous vîmes arriver une femme vêtue de noir, qui vint demander ce que nous voulions. Elle n'avait pas tout-à-fait l'apparence d'une religieuse, mais ce pouvait être une sœur converse : son linge était d'un blanc éclatant, et ses cheveux entièrement cachés. Nous demandâmes la permission de voir la maison, et la nonne supposée nous répondit très poliment : « Entrez, s'il vous plaît, je vais voir si cela est possible. » Nous avançâmes de quelques pas, et nous nous trouvâmes dans un cloître vénérable dont le centre avait été converti en un joli parterre. Là nous attendîmes quelques minutes, en nous félicitant mutuellement du bonheur que nous avions eu de pénétrer dans un si saint asile.
La même femme en noir revint et nous invita à la suivre à travers de longs passages voûtés, aussi retentissants que pouvait le désirer notre goût romantique. Enfin, nous fûmes introduits (page 103) dans un salon ; mais, hélas ! il n'y avait point de grille, et nous y fûmes reçus par une dame que toute notre détermination à nous croire dans un couvent, ne put nous faire prendre pour une religieuse. Elle nous accueillit cependant avec beaucoup de civilité, nous dit que nous verrions assurément avec beaucoup de plaisir l’établissement, nous montra quelques échantillons de broderies et de dessins, qui n’étaient point sans mérite. Je me sentais un peu confuse de m’être ainsi introduite ; et après avoir payé un juste tribut d'éloges aux élégants travaux de pensionnaires, nous essayâmes de prendre congé. Mais la dame nous pria si instamment de lui permettre de nous montrer sa maison, qu’il était impossible de refuser ; et nous la suivîmes dans toutes les parties du bâtiment qui avait été en effet, quelques années auparavant, un vaste et beau couvent. Je m’arrêtai un moment, lorsqu’elle ouvrit la porte d’un long dortoir garni d'un double rang de petits lits blancs, pour admirer leur extrême propreté, et j’allais sortir de la galerie, honteuse de la peine inutile que je donnais à cette dame, mais elle me prit par le bras et me (page 104) fit rentrer dans cette pièce, en disant : « Permettez-moi, madame ; messieurs, entrez s'il vous plaît, il faut voir tout. » Je craignis un instant que, malgré toute sa politesse, elle ne songeât à punir, par quelque petit châtiment, notre impertinente curiosité. Mais je lui faisais une grande injustice : elle avait une intention bien différente ; car lorsque nous fûmes a l’extrémité de la longue galerie, elle ouvrit une porte battante, et dit d'un ton qui semblait réclamer en même temps l'admiration et le respect, « Voilà notre église! » Elle fit un signe de croix en prononçant ces mots, et se rangea de côté comme pour examiner l'effet que la scène produirait sur nous.
Le coup d’œil était réellement frappant. La galerie dans laquelle nous étions donnait sur une belle chapelle d'une grande ancienneté. L'autel en face de nous était brillamment décoré et embelli, de même que plusieurs petites châsses, par une profusion de fleurs fraîchement cueillies. Le sol était presque entièrement pavé des pierres funéraires des défuntes sœurs, variées çà et la par quelques dalles, dont les ornements (page 105) apparents indiquaient le lieu de repos d'une abbesse. Je pensai que, si par hasard, quelqu'une des petites demoiselles qui couchaient dans le dortoir qui ouvrait sur ces monuments de mort, était sujette aux terreurs superstitieuses, elle se trouverait un peu agitée en pareil voisinage. Mais, à l’exception de cette objection, tout à fait gratuite, le pensionnat dans lequel nous nous étions introduits avec peu de cérémonie, me sembla parfaitement propre à sa destination, offrant de plus le très rare avantage de comprendre tous les frais d’éducation et de nourriture dans la modique somme de quatre cents francs ; et, comme le dit le prospectus : pas d'autre dépense sous quelque dénomination que ce puisse être.
Après ce pèlerinage, nous revînmes à la ville et obtînmes la permission de voir la citadelle. C’est une forteresse qui n’a jamais été prise ; mais elle est, à vrai dire, de date récente, et le roi de Hollande l’a fait bâtir, à ce qu’on nous a dit, sous la direction d’un ingénieur anglais. Tous les ouvrages publics de ce monarque sont grandement conçus et magnifiquement exécutés. Mille (page 106) ouvriers ont travaillé pendant huit ans à la citadelle de Huy. Je n'ai pas eu assez d'occasions de comparer des édifices de ce genre les uns avec les autres, pour parler du mérite de celui-ci ; mais je ne vis jamais un ouvrage de maçonnerie plus surprenant. Le roc vif s'est prêté aux dessins hardis de l'architecte ; et c'est par des excavations, autant que par des constructions, qu'on a donné à cette forteresse des moyens de défense, qui la rendent presque imprenable.
Sur l'un des porches massifs est gravée cette inscription :
« Etiam si fractus illibatur orbis,
« Impavidum ferient ruinae. »
La campagne de Huy à Liége, quoique belle à des yeux qui n'avaient pas encore oublié les plaines de Flandre, l'était cependant beaucoup moins que celle entre Huy et Namur. Je ne connais pas une ville dont l'entrée soit moins engageante que celle de Liége. Tous les objets sont plus ou moins enlaidis par la noire teinte du charbon. Mon fils éprouva cependant (page 107) beaucoup de joie, lorsqu’en regardant par les portières il aperçut ces indices des mines de houille ; et moi je ne sentis que la crainte d’être étouffée par la poussière de leurs produits.
Nous vîmes en passant quelques maisons assez belles, avec des jardins bien tenus ; mais les allées en étaient ptoprement saupoudrées de petits charbons. Notre postillon fit claquer son fouet en entrant dans la ville, et le craquement redoublé des charbons sous les roues répondit à ce brui ; enfin tout le plaisir que je m’étais fait à l’avance de voir un lieu si fameux dans l’histoire ne put m’empêcher de souhaiter ardemment, à mesure que j’avançais dans la vieille cité, d’en sortir le plus pormptement possible.
Cependant, le lendemain matin, mon imagination, probablement rafraîchie par le sommeil, me fit oublier les désagréments présents par les souvenirs des anciens temps. Je ne saurais dire quelle part de cette effet devrait être attribuée à l’intérêt excité par les générations qui nous ont précédé sur la scène du monde, et quelle part pouvait y réclamer certain individu nommé Quentin Durward ; il est du moins certain (page 108) qu'il y avait à peine un coin de la ville dans lequel des images liées à ce dernier ne vinssent s'offrir à mon esprit. Je découvris avec un extrême délice, non seulement la place où Gertrude Pavillon conduisit l'archer écossais à travers le jardin de son père, au bateau qui l'attendait sur la Meuse, mais je suis sûre, parfaitement sûre, d'avoir reconnu l'endroit précis où Quentin Durward quitta la ville pour retourner au château de Schouwaldt, et je ne serais pas éloignée de décrire le lieu où ce jeune guerrier se montra au-dessus de l'humanité, en laissant la conquête du sanglier des Ardennes à moitié accomplie, pour voler au secours de son ami Trudchen.
A propos de cela, je m'amusai fort en feuilletant, dans la boutique d'un libraire, une histoire moderne de la ville de Liége, d'y trouver le passage suivant :
« C'est ici le lieu de faire un tableau de l'état de la France au quinzième siècle, et de tracer le caractère de Louis XI. J'emprunterai à sir Walter Scott presque tous les détails que j'ai à donner là-dessus. »
(page 109) Le procédé de convertir l’histoire en roman est une délicieuse opération, dont nous avons tous profité ; mais l’utilité de celui par lequel le roman est reconstruit de nouveau en histoire, n’est pas encore bien reconnue.
L’église cathédrale, maintenant sous l’invocation de saint Paul, et jadis dédiée à saint Lambert, à quelques belles peintures sur verre, et son plafond est curieux par le style extraordinaire de ses ornements coloriés.
Des ornements dans le même goût ont été admis dans la cathédrale de Winchester, lorsqu’on a réparé une partie de ses plafonds, et je me rappelle qu’on les a critiqués pour l’incongruité de leur style ; mais leur ressemblance avec ceux de cette belle et ancienne église prouve suffisamment leur convenance et le savoir du docte antiquaire qui les a adoptés.
L’église de Saint-Martin déploie avantageusement sa structure sur le flanc d'une colline par laquelle on monte à la citadelle. L’intérieur, assez médiocre sous le rapport des ornements, est rempli d’une profusion d’orangers, des myrtes et de lauriers-roses.
(page 110) Une partie de sa décoration consiste en placards entourés de guirlandes de fleurs, peintes en couleur, et d'autres enjolivements, et relatant une multitude de miracles récents, chacun desquels est désigné par ce titre en grandes lettres :
MIRACLE APPROUVÉ.
Sur l'un de ces placards, j'ai lu :
« Marie Cornélis ayant l'œil piqué et traversé d'une épine recouvre la vue. »
Quand nous entrâmes dans cette église, cinq prêtres étaient occupés à célébrer une messe devant une statue portative de la Vierge, plus grotesquement chargée de clinquant qu'aucune des autres figures de ce genre que j'avais eu l'occasion de voir.
De là nous montâmes jusqu'au sommet du mont Walburgis, et nous approchâmes, autant qu'il nous était permis de le faire, de la citadelle. La rue pavée qui conduit à cette forteresse, le long du flanc de la colline, est le chemin le plus escarpé que j'aie jamais parcouru ; (page 111) mais la vue qu'on découvre de la cime dédommage de la fatigue d'y monter.
Le Palais de Justice, anciennement palais épiscopal, est vaste et beau ; l'Hôtel-de-Ville, sur la place du Marché, et les trois fontaines voisines, méritent aussi d’être vus ; mais l’air, chargé de sale poussière noire, fait une espèce de supplice d’une promenade à pied dans la ville, et ce fut avec un vif sentiment de plaisir que nous montâmes dans un char-à-banc pour aller passer quelques hures à Chaudfontaine, où nous espérions respirer une atmosphère pure et fraîche.
Je pense que ce lieu très remarquable est moins connu des voyageurs anglais qu'il ne mérite de l’être, car je l'ai vu rarement citer, excepté par les étrangers. Toutefois, la petite vallée dans laquelle les bains, qui ont donné son nom à la place, sont établis, vaut à elle seule infiniment plus que tant d'autres objets qui attirent chaque année des essaims de nos compatriotes. Les bains, qui, d'après les renseignements que nous avons eus, sont très fréquentés par les gens du pays, sont administrés par le gouvernement, et tout y est parfaitement (page 112) confortable, élégant et même splendide. Jamais un bain ne m'a semblé plus délicieux : la clarté exquise de l'eau, son agréable température naturelle (26 degrés de Réaumur), et les belles proportions de la chambre de marbre dans laquelle on descend pour se baigner, tout contribue à faire de Chaudfontaine la perfection des places de bains. Je n'essaierai point de décrire les coteaux boisés qui forment cette vallée enchanteresse, non plus que le brillant ruisseau dont les petites vagues perlées se frayent un passage au milieu d'elle ; je dirai seulement : Ne passez point dans son voisinage sans la voir. La distance de Liége à ce vallon est au plus de sept milles.
Il était réellement terrible de rentrer dans notre hôtel après cette excursion, et ce fut avec un extrême plaisir que nous dîmes adieu le lendemain matin à la ville charbonnée.
Aix-la-Chapelle était alors notre première station, et nous devions passer la frontière de Prusse à mi-chemin de cette ville.
Avant de quitter la Belgique, je dois dire quelques mots d'adieu sur ce pays. Peu d'Anglais connaissent, à ce qu'il me semble, les (page 113) richesses de tout genre que cette contrée offre à l’intérêt et aux délices des voyageurs, pourvu toutefois qu’ils ne soient pas décidés à se rendre en poste sur les rives du Rhin, et qu'ils aient le temps de s’arrêter et de regarder autour d'eux. Les amateurs de peinture savent que la Flandre possède plus d’un chef-d’œuvre de cet art ; les amateurs de vieux monuments n’ignorent pas que les Pays-Bas sont renommés pour leurs édifices gothiques. Cependant, bien peu de nos touristes font en Belgique un assez long séjour pour jouir pleinement de ce qui peut flatter le goût de l’artiste, éveiller l’enthousiasme de l'antiquaire en ce pays. En quel coin de l'Europe pourrait-on rencontrer une constellation d'anciennes cités, telles que Bruges, Gand, Anvers, Louvain, Bruxelles, Namur et Liége? chacune d’elles servant de commentaire à l'histoire des autres, et toutes rassemblées dans un si petit espace, qu’elles peuvent être visitées successivement, et revisitées cinq ou six fois dans le cours de quelques semaines, et à moins de frais peut-être qu’il ne faudrait pour passer le même temps à l’un des rendez-vous des baigneurs ou (page 114) de buveurs d'eau les plus à la mode en Angleterre.
Il n'est pas aisé de se former une juste idée des mœurs d'un pays pendant un séjour de quelques semaines, et en fréquentant les seules sociétés accessibles aux étrangers bien recommandés, parmi lesquelles on trouve la politesse, les bonnes manières, qui distinguent les gens bien élevés dans toutes les parties de l'Europe, mais fort peu de ces petites particularités qui constituent la physionomie nationale. Je pris donc quelque peine, et non sans succès, pour jeter un coup d' œil derrière la scène, et ce que j'ai pu observer ainsi m'a fait voir la plus grande conformité, sous le rapport des habitudes et du caractère, entre la race présente et les portraits que l'histoire a conservés de ses ancêtres.
On dirait que l'air et le sol étendent leur influence jusque sur les tailleurs, les bonnetiers et les cordonniers, qui reproduisent constamment les mêmes formes, emploient les mêmes couleurs, travaillent sur les mêmes matériaux depuis un temps immémorial. L'ouvrier lui-même, le robuste tisserand, bien vêtu, de (page 115) bonne mine, est encore ce qu'il était jadis ; et l’on reconnaît dans le paysan de Flandre, qui porte sur ses traits l'empreinte nationale plus fortement marquée qu'on ne la trouve chez aucun peuple, le modèle des personnages rendus avec tant de vérité dans les admirables tableaux de l'école flamande.
Ce que j’ai vu des mœurs du peuple flamand a suffi pour me prouver qu'il est laborieux, propre, gai et bon ; et si la bière et le tabac constituent une plus grande partie de son bonheur qu’il ne serait désirable, n'oublions pas qu'il vaut mieux fumer que mâcher une plante dégoûtante, et que l’orge peut être pris sous une forme plus pernicieuse que celle de la bière.
Il était moins facile d'observer les classes immédiatement au-dessus des artisans et des laboureurs ; mais en m'abstenant de nommer le lieu, je risquerai d'insérer ici la traduction d’une esquisse prise par une jeune Française, fort spirituelle, dans une ville du second ordre qu'elle avait habitée plusieurs années. Je ne puis répondre de la parfaite exactitude du tableau en général ; mais il est des traits qui sautent aux yeux, (page 116) et dont je puis certifier la ressemblance frappante.
Journal d’une Dame de province belge
Elle se lève ordinairement à sept heures, pourvu que les enfants, qui couchent tous dans sa chambre, lui aient permis de reposer aussi tard. Sa toilette n'est pas longue ; un jupon noir étant la seule addition qu'elle fait au bonnet et à la camisole de cotonnade brune qu'elle porte dans son lit. Dans cet équipage, un enfant sur les bras, et suivie d'une demi-douzaine d'autres, elle descend déjeuner : ce repas est pris dans la cuisine, et ne dure que quelques moments, au milieu des cris et des disputes de la marmaille pour les tartines de beurre et les tasses de café.
Ce tumulte apaisé, la dame commence la toilette de sa petite famille, opération qu'elle accomplit toujours avec beaucoup de soin et de propreté, et les enfants sont envoyés à l’école.
Une revue générale de la maison vient ensuite ; et malheur aux domestiques si quelque (page 117) bout de chandelle de la veille a brûlé trop longtemps, si un seul grain de poussière paraît sur les meubles, ou s'il se trouve une tasse ou une assiette cassée ; car des crimes semblables deviennent souvent le sujet des reproches les plus véhéments.
Enfin on entend sonner la messe, et un habit du matin, assez peu élégant, succède au premier costume ; une mante noire à capuchon recouvre le tout ; et la dame, un panier au bras, s'achemine vers l'église, et de là au marché et à d’autres affaires de ménage.
Cette période, la plus heureuse de sa journée, se prolonge jusqu'au dîner. Pendant ses courses diverses, elle rencontre des femmes de sa connaissance, et de petits commérages innocents se passent entre elles. C'est alors qu'elle apprend que madame une telle a donné beaucoup plus qu'il ne fallait pour un turbot, et qu'elle doit être, par conséquent, une très mauvaise ménagère ; tandis qu'au contraire madame telle autre est si minutieuse, si tracassière, qu'elle a marchandé plus d'une demi-heure des petits pois. Madame A... veut renvoyer sa bonne ; madame (page 118) B.... a un enfant malade ; et le curé a fait une visite de plus d'une heure à mademoiselle C.....
Midi sonne, et le dîner rappelle tout le monde au logis. On ramène les enfants de l'école, le tapage et les querelles recommencent ; et les petits vauriens font de leur mieux pour rendre ce repas aussi fatigant que le déjeuner. Cependant le dîner est servi dans une belle pièce ornée de glaces, de tapis, etc. ; mais on n'y voit pas une seule de ces petites inventions qui constituent l’élégance et la commodité d'un appartement. Là tout est beau et décent, mais tout est massif et triste. On voit que les habitants de cette demeure connaissent les besoins de la vie animale, et bien peu de chose au-delà. Le repas est bon et abondant, la conversation nulle.
Le dîner fini, et le dessert distribué entre les enfants, la paix est une seconde fois rétablie par leur départ pour l'école.
La dame se met alors à sa fenêtre, avec son ouvrage, qu'elle continue sans interruption jusqu'à l'heure des vêpres, après lesquelles elle donne à souper aux enfants et les met au lit ; ensuite elle se déshabille, met ses papillotes, fait (page 119) sa prière, et en attendant le retour de son mari, elle s'amuse quelques instants dans la cuisine, à babiller avec les servantes. Un mari de bonne conduite ne rentre jamais plus tard que neuf heures ; dès qu'il paraît on sert un souper solide, et à dix heures toute la maison est plongée dans un profond repos.
Cette vie, a peu d'exceptions près, est celle de toutes les dames de ....
Si leur esprit n'acquiert pas un grand développement par cette façon de vivre, leur embonpoint et leur fraîcheur prouvent du moins qu'elle convient à merveille à leur santé. Que peuvent-elles désirer de plus? Un Flamand se marie pour avoir une ménagère qui ne le vole pas, son dîner ponctuellement servi, ses enfants proprement tenus, et ses bas raccommodés ; c'est là tout ce qu'il demande ; et s'il l'obtient, il est parfaitement content. Le mari et la femme sont heureux. Que faut-il de plus? Rien ; excepté de ne pas être obligé d'être témoin d'un bonheur aussi insipide.
Les campagnes de la Sambre et de la Meuse sont telles que peut les souhaiter l'amateur (page 120) le plus passionné de beaux paysages. Quelques vues des environs de Liége soutiendraient la comparaison avec toutes les scènes naturelles du même genre, et je ne crois pas avoir jamais vu de vallée préférable à celle de Chaudfontaine.
A ces attraits pittoresques, il faut ajouter l'admirable fertilité de la terre, dans les cantons de grande culture. Quand la Flandre ne pourrait offrir aucun autre intérêt, le spectacle de ses riches plaines serait encore suffisant pour attirer les voyageurs. C'est assurément un digne objet de curiosité, que de voir quelle quantité de grains peut être produite par un espace de terrain donné, et la Belgique résout cette question de la manière la plus satisfaisante.
L'Angleterre a de beaux champs de blé, ses prairies sont abondantes et riches ; mais en Flandre les produits ruraux viennent à profusion, et les épis, comme je l'ai déjà remarqué, forment une masse solide. Bref la Belgique est un beau petit royaume, et ce qu'il renferme lui donne un rang parmi les états du continent très supérieur à celui que justifierait son peu d'étendue,
(page 121) Si ses législateurs actuels se conformaient aussi parfaitement aux dispositions morales de ses habitants, que son climat et son sol conviennent aux trésors variés de ses champs, ce pays pourrait voir la paix lui sourire aussi longtemps que l'abondance ; mais le désir frénétique d'obtenir toujours de plus grands changements, qui possède la plupart des conducteurs des affaires publiques, ne promet rien moins qu'une permanente tranquillité.
Il existe en Belgique quelques esprits turbulents qui voudraient amener les innovations politiques, non seulement par le procédé ordinaire qui consiste à renverser les autorités constituées, mais encore en ressuscitant une puissance depuis longtemps endormie en ce pays, et que l'on peut regarder comme à jamais éteinte chez la plupart des autres peuples. Dans plus d'une ville flamande on déplore ouvertement la destruction ou plutôt la dispersion des Jésuites ; et si je suis bien informée, des efforts ont été tentés pour organiser de nouveaux ordres monastiques propres à augmenter l'influence du clergé. Souvent, dans la société, j'ai entendu affirmer que si le roi Guillaume eût (page 122) été catholique, ou seulement protestant moins fanatique (je cite les propres expressions), la Belgique ne se serait pas séparée de la Hollande. Au surplus, ceux qui professent la plus haute satisfaction du résultat de la révolution, ne parlent pas de manière à lui promettre une longue durée. Ça ira pour le moment, est une phrase que j’ai entendu répéter avec de légères variantes dans plus d'un cercle. Néanmoins, si le roi Léopold se faisait catholique, et si la France demeurait en repos, sans renouveler les trois glorieuses journées, ce moment pourrait être grandement prolongé.