(Deuxième édition (« soigneusement revue, continuée jusqu’à l’avènement du ministère de 1855 et précédée d’un essai historique sur le royaume des Pays-Bas et la révolution de septembre »), paru à Louvain en 1861, chez Vanlinhout et Peeters. Trois tomes)
(page 153) Après avoir imposé aux deux peuples une suspension d'armes illimitée, la Conférence de Londres menaça de la vengeance de l'Europe le gouvernement qui se permettrait de recourir aux armes. Ce fait ressort à l'évidence de toutes les communications diplomatiques qui précédèrent l'arrivée du roi des Belges. « Les cinq puissances, disait le protocole du 17 novembre 1830, ont jugé utile de rendre l'armistice indéfini ; elles le considèrent comme un engagement pris envers elles et à l'exécution duquel il leur appartient désormais de veiller » (Huyttens, t. IV, p. 204). Le 25 juillet 1831, les ambassadeurs d'Angleterre, d'Autriche, de France, de Prusse et de Russie ajoutaient, dans une dépêche adressée au ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas : « Garantes de la suspension d'armes qui a eu lieu dès le mois de novembre, les cinq cours sont tenues par des engagements solennels, qui subsistent dans toute leur force, de prévenir une reprise d’hostilités » (Recueil de pièces diplomatiques, publié à La Haye, t. ler, p. 263. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 75).
On sait que le roi des Pays-Bas ne tint pas compte de ces menaces. Sans dénoncer la suspension d'armes, il fit envahir le territoire de ses voisins.
Celui qui viole ses engagements supporte les conséquences de ses actes et répare le préjudice causé : telle est la loi de tous les peuples civilisés. Les cours alliées ne pouvaient, sans blesser la justice, sans méconnaître les notions les plus élémentaires de l'équité politique, écarter ce principe des protocoles de leurs mandataires. Confiante, (page 154) loyale, fidèle à ses engagements, la Belgique avait eu foi à la parole des représentants de l'Europe. Celle-ci devait réaliser les promesses faites en son nom.
Un autre système prévalut. parmi les diplomates de Londres. Revenant sur des concessions acquises à la Belgique, oubliant les garanties stipulées en faveur du prince Léopold, ils traitèrent la Hollande avec une faveur marquée et lui sacrifièrent les intérêts de sa rivale !
Le 2 août, les troupes hollandaises avaient franchi nos frontières ; le 5 du même mois, la Conférence se plaignit de la violation de la parole donnée. Dans une dépêche collective adressée au baron Verstolk, ministre des Affaires étrangères à La Haye, nous lisons : « Par la lettre que Votre Excellence nous a fait l'honneur de nous adresser le ler août, elle veut bien nous prévenir qu'il entre dans les intentions du roi, son auguste maître, d'appuyer par des mesures militaires les négociations que ses plénipotentiaires sont chargés d'ouvrir à Londres. Nous aurions pensé que ces mesures ne seraient adoptées que dans l'intérieur de la Hollande, si le bruit public ne nous apprenait qu'elles ont été étendues au delà de ses frontières, que les hostilités ont été reprises contre les Belges d'après les ordres du roi, et que l'armistice, qui avait été établi à Anvers, venait d'être dénoncé. N'ayant pu obtenir des plénipotentiaires hollandais aucune explication de ces faits, nous nous refusons encore à croire que le roi, au moment même où il nous faisait communiquer son intention de négocier un traité de paix définitif, ait pris la résolution de rallumer la guerre.... Votre Excellence connaît les motifs d'intérêt général qui ont porté les cinq puissances, dès le mois de novembre, à établir une suspension d'armes entre la Hollande et la Belgique. Elle connaît les engagements qui existent à ce sujet entre les cinq cours.... Ces motifs et ces engagements sont les mêmes aujourd'hui. Le repos de l'Europe s'y rattache. Nous espérons qu'il suffira de les rappeler ici, et que Votre Excellence ne manquera pas d'obtenir du roi les ordres nécessaires pour que les hostilités cessent sans aucun délai et pour que les troupes de S. M. rentrent dans les frontières de son territoire.... Ces demandes, fondées sur nos engagements et sur les besoins de l'Europe entière, seront sans doute favorablement accueillies par S. M. » (page 155) La dépêche se terminait par la demande d'une réponse prompte et satisfaisante (Moniteur Belge du 19 août 1831. La dépêche était signée Esterhazy, Wessemberg, Tal1eyrand, Palmerston, Bulow, Lieven, Matuszewic. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 80).
La Conférence se réunit de nouveau le lendemain, 6 août.
Le plénipotentiaire anglais ouvrit la séance en déclarant que le ministère britannique, en apprenant la reprise des hostilités, avait donné à une division de la flotte l'ordre de se rassembler aux Dunes, afin d'être à portée de concourir au rétablissement de l'armistice garanti par les cinq puissances ; il ajouta que, depuis l'expédition de cet ordre, le roi des Belges avait réclamé l'assistance des cinq puissances, et spécialement le secours naval de la Grande-Bretagne.
L'ambassadeur de France, prince de Talleyrand, fit une déclaration plus explicite. Il annonça que le roi Louis-Philippe, sur les instances du nouveau souverain de la Belgique, avait fait marcher un corps d'armée pour refouler les troupes hollandaises sur leur territoire ; mais en même temps il donna l'assurance formelle que son gouvernement, repoussant toute idée de conquête, ne voulait faire servir ses forces qu'à l'exécution des engagements pris par les cinq puissances au sujet du maintien de l'armistice entre la Hollande et la Belgique.
Pas un membre de la Conférence n'éleva la voix pour protester contre les mesures prises par l'Angleterre et la France. Tous, au contraire, s'empressèrent d'avouer que la marche de l'armée française avait lieu pour assurer l'exécution des engagements contractés par les cinq puissances. Ils se contentèrent d'exiger que les troupes françaises ne franchissent pas les anciennes frontières de la Hollande ; que leurs opérations se bornassent à la rive gauche de la Meuse ; que, dans aucune hypothèse, on ne procédât à l'investissement des places de Maestricht et de Venloo, trop rapprochées de la Prusse pour devenir le théâtre de la guerre sans inconvénients pour l'Allemagne ; enfin, que les troupes françaises se retirassent dans les limites de la France dès que l'armistice aurait été rétabli tel qu'il existait avant la reprise des hostilités. Le plénipotentiaire français accepta ces conditions. Quant à l'intervention éventuelle de la marine anglaise, il fut stipulé (page 156) que la flotte mouillée aux Dunes n'agirait que pour l'accomplissement des mêmes vues et d'après les mêmes principes (Recueil de pièces diplomatiques, t. l, p. 287. - Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 82).
On le sait déjà : ces décisions des plénipotentiaires, pas plus que leur dépêche du 5 août, n'eurent pour effet d'arrêter les mouvements de l'armée hollandaise. A toutes les instances, à tous les ordres, à toutes les menaces de la Conférence, M. Verstolk de Soelen répondait, sans sourciller, que les mouvements des troupes hollandaises, loin d'être dictés par des motifs d'ambition ou de vengeance, avaient pour seul but d'appuyer les négociations et de hâter la signature d'un traité définitif. M. Verstolk ajoutait : « La conclusion de ce traité, dont Sa Majesté espère le moment très-rapproché, va immédiatement mettre un terme aux opérations militaires. » C'était joindre la dérision à l'oubli des engagements contractés envers l'Europe. Il fallut qu'une armée française vînt arrêter le prince d'Orange à quatre lieues de Bruxelles (Note de bas de page : Recueil de pièces diplomatiques, t. l, p. 284. - En lisant les actes diplomatiques que nous avons transcrits, on aura remarqué la phrase où la Conférence déclare n'avoir appris la reprise des hostilités que par le bruit public. La sincérité de cette déclaration a été révoquée en doute. On s'est demandé comment la signification des préparatifs militaires de la Hollande avait échappé à l'attention de l'ambassadeur britannique accrédité à La Haye. On a imaginé je ne sais quelle combinaison machiavélique consistant à préparer une humiliation sanglante aux révolutionnaires de septembre, sauf à prier la France .d'accourir à leur aide aux portes de Bruxelles. Ces soupçons sont le produit de l'imagination populaire. Le langage de la Conférence était sincère. A Londres comme à Bruxelles, on connaissait les préparatifs de la Hollande ; mais on se refusait à croire à la rupture d'une suspension d'armes garantie par les grandes puissances et acceptée par Guillaume Ier. On ne s'attendait pas surtout à une reprise d'hostilités sans déclaration préalable. Depuis longtemps, il est vrai, Guillaume avait pris la résolution d'envahir la Belgique, ou premier moment favorable ; mais l'exécution de ce dessein fut brusquement résolue en juillet, par suite du dépit causé à La Haye par l'élection du prince Léopold. Nous avons puisé ces renseignements à bonne source).
Dès lors, pour tout homme impartial, le rôle de la Conférence était tracé. Ainsi que l'a dit un publiciste anglais, la violation seule de la suspension d'armes par le roi des Pays-Bas était suffisante pour annuler les articles antérieurement stipulés en sa faveur. Le monarque néerlandais ayant été réduit à l'obéissance par les armes de la France agissant au nom des cours alliées, les puissances avaient le droit de prendre, (page 157) au détriment de la Hollande, toutes les mesures qu'elles jugeraient propres à accomplir désormais le grand objet de leurs efforts communs, la paix de l'Europe (Note de bas de page : V. A justification of the Foreign Policy of Great-Britain towards Rolland, p.27. London, Ridgway, 1853. – La Hollande et la Conférence, par Gobau de Rospoul (M. Van de Weyer), p. 12.)
Pourquoi la Conférence n'a-t-elle pas suivi cette ligne de conduite ? Pourquoi, au lieu de punir la Hollande d'une infraction manifeste au droit des gens, a-t-elle aggravé les conditions imposées à la Belgique ? Il ne faut pas s'imaginer que les diplomates de Londres aient cédé à la pression de l'opinion publique. En Angleterre , en France et même dans une grande partie de l'Allemagne, la presse était à peu près unanime à blâmer l'agression brutale de la Hollande. Partout on signalait à la justice de l'Europe la violation d'un engagement solennel, contracté sous la garantie des grandes puissances.
A Paris, des protestations énergiques s'étaient fait entendre à la tribune des Chambres. « Nos armées, disait l'adresse en réponse au discours du trône, votée par la Chambre des Députés, nos armées marchent au secours de la Belgique, et la France applaudit avec transport à ce mouvement généreux » (Moniteur universel du 10 août 1831). Et l'adresse votée par la Cour des Pairs ajoutait : « La marche de notre armée a répondu à 1'urgence des circonstances. Votre Majesté ne pouvait pas différer de faire respecter des engagements pris de commun accord avec les grandes puissances. Toute la France applaudira avec nous à cette célérité et au courage des deux princes vos fils, qui, suivant les exemples de Votre Majesté, vont aussi consacrer leurs premières armes à !a défense de l'indépendance et de la liberté » (Note de bas de page : Le Roi Louis-Philippe répondit aux Pairs : «.J'étais sûr d'être approuvé par mon pays en prenant des mesures promptes et vigoureuses, pour soutenir l'indépendance et faire respecter la neutralité d'une nation amie que tant de liens attachent à la France, et que tant de souvenirs lui rendront toujours chère. » (Moniteur belge du 16 août 1831)).
A Londres, la rupture de l'armistice avait produit une impression analogue. Pendant que les sommités des torys, reculant devant l'évidence des faits, osaient à peine hasarder quelques explications timides et embarrassées, les organes des whigs dénonçaient le gouvernement de (page 158) La Haye à l'indignation du peuple anglais. « Pendant les douze mois qui viennent de s'écouler, disait le Times, la conduite de notre ancien allié donne plutôt l'idée du triste état d'un insensé que du caractère d'un prince qui, pendant quinze années, a reçu de nous tant de marques de confiance et d'estime » (Times du 5 août. Moniteur universel du 9 août). Dans la séance de la Chambre des Lords du 9 août, lord Brougham blâma la conduite de Guillaume 1er dans les termes les plus énergiques. Au milieu des applaudissements d'une partie de l'assemblée, il poussa l'ardeur de la critique au point d'accuser le monarque hollandais d'avoir cédé à l'impulsion d'un égoïsme monstrueux et sanguinaire (V. l'article du Morning Chronicle, reproduit par le Moniteur belge du 15 août 1831).
L'attitude de la Conférence s'explique par les sentiments peu sympathiques de la majorité de ses membres envers un gouvernement issu des commotions populaires de 1830. La Russie combattait la révolution en Pologne. L'Autriche luttait contre la révolution en Italie. La Prusse trouvait la révolution à Neufchâtel et aux bords du Rhin. Les ambassadeurs de ces cours ne pouvaient approuver à Bruxelles les actes que leurs maîtres punissaient d'exil ou de mort à Varsovie, à Milan , à Aix-la-Chapelle et dans les vallées de la Suisse. Ils avaient, à la vérité, donné leur assentiment à des protocoles qui admettaient comme point de départ l'indépendance future de la Belgique ; mais cette condescendance, loin de fournir une preuve décisive de leurs sympathies personnelles, avait pour mobile unique la crainte de jeter l'Europe dans les souffrances et les hasards d'une guerre générale. Cette crainte seule les avait déterminés à sacrifier momentanément les prérogatives de la légitimité aux exigences de l'insurrection victorieuse.
Aux yeux des diplomates réunis à Londres, les intérêts particuliers de la Belgique et de la Hollande formaient un côté très-accessoire de la question. Le différend avait pris, dès son début, une couleur européenne. Une lecture même superficielle des actes de la Conférence suffit pour en acquérir la preuve manifeste. – « Le maintien de la paix générale constitue le premier intérêt, comme il forme le premier vœu des puissances réunies en conférence à Londres » (Protocole du 20 janvier 1831. Huyttens, t. IV, p. 240) - « Les questions qu'il s'agit de résoudre donnent lieu à des décisions dont les (page 159) principes, loin d'être nouveaux, sont ceux qui ont régi de tout temps les relations réciproques des États » (Protocole du 27 janvier 1831. Huyttens, t. IV, p. 251) - « Les puissances n'ont en vue que d'assigner à la Belgique dans le système européen une place inoffensive » (Même protocole. Huyttens, ibid., p. 254).- « Chaque nation a ses droits particuliers ; mais l'Europe a aussi son droit ; c'est l'ordre social qui le lui a donné. Les traités qui régissent l'Europe, la Belgique les trouve faits et en vigueur ; elle doit les respecter et ne peut pas les enfreindre. Les événements qui font naître en Europe un État nouveau ne lui donnent pas plus le droit d'altérer le système général dans lequel il entre, que les changements survenus dans la condition d'un État ancien ne l'autorisent à se croire délié de ses engagements antérieurs » (Protocole du 19 février 1831. Ibid., p. 267 et s). Telles étaient les maximes professées au Foreign-Office. Si les sympathies personnelles des ambassadeurs avaient seules servi d'impulsion aux actes de la Conférence, la dynastie de Nassau règnerait encore à Bruxelles. La Russie, la Prusse et l'Autriche défendaient ouvertement les intérêts du monarque hollandais ; l'Angleterre, la France elle-même, avaient longtemps borné leurs vœux à l'érection d'un trône belge où se fût assis le prince d'Orange. Il est certain que, plus d'un mois après le décret d'exclusion de la maison déchue, au moment où le Congrès allait procéder à l'élection du souverain, les cinq Puissances usèrent de toute leur influence auprès du roi Guillaume, pour obtenir son assentiment à des démarches qu'elles se proposaient de renouveler en faveur de son fils aîné. Si les cours alliées tournèrent brusquement leurs vues d'un autre côté, c'est que Guillaume, nourrissant toujours l'espoir d'une restauration complète, leur répondit avec aigreur : « J'aimerais mieux voir de Potter sur le trône des Belges » (Note de bas de page : La Hollande et la Conférence, par M. Van de Weyer, p. 19. Le cabinet prussien avait envoyé à son plénipotentiaire les instructions suivantes : «Employez tous vos efforts à replacer la Belgique sous le sceptre du roi Guillaume ; si vous ne pouvez y réussir, essayez d'ériger ce pays en royaume indépendant pour le prince d'Orange ; si vous échouez, consentez à ce que le prince de Cobourg devienne roi des Belges, puisque sa position envers nous peut offrir les garanties dont nous ayons besoin. » (Noch ein Wort ûber die Hollandisch-Belgische Frage, par M. de Stockmar, Hamburg, 1832). On aura remarqué que, même au mois d'août 1831, l'empereur Nicolas était prêt à sanctionner (page 160) les résultats de l'agression déloyale de la Hollande. Mais revenons aux faits accomplis.
Quelles que fussent les vues individuelles des membres de la Conférence, le protocole du 26 juin 1831 avait offert à la Belgique les conditions suivantes, connues sous les dénominations de Préliminaires de paix et de Dix-huit articles :
- La fixation des limites de la Hollande, telles qu'elles étaient en 1790 (Art. 1er).
- La remise à la Belgique de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815 (Art. 2).
- Le maintien du statu quo dans la province de Luxembourg, pendant la durée des négociations à ouvrir par le roi des Belges avec le roi de Hollande et la Confédération germanique, au sujet de la possession définitive du duché (Art. 3).
- Un arrangement équitable entre les deux peuples au sujet de la souveraineté indivise de Maestricht (Art. 4).
- Un arrangement analogue au sujet des enclaves que la Hollande et la Belgique possédaient, en 1790, sur leurs territoires respectifs (Art. 5).
- La neutralité perpétuelle de la Belgique, sous la garantie des cinq puissances (Art. 9).
- Le partage des dettes, de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité de celles qui pesaient sur son territoire avant la réunion, et à diviser, dans une juste proportion, les dettes contractées en commun (Art. 12).
- L'application des dispositions des articles 108 à 117 de J'acte général de Vienne (libre navigation des fleuves et rivières) aux eaux qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge (Art. 7) (Note de bas de page : D'autres stipulations étaient relatives à l'écoulement des eaux des Flandres, à la navigation du Rhin et des eaux intérieures de la Hol1ande, etc. Le texte complet des dix-huit articles se trouve à l'Appendice (L. K.)).
Ces conditions, offertes à la Belgique, avaient été de même présentées au prince Léopold, pour le déterminer à monter sur le trône des Belges ; en d'autres termes, il y avait une relation directe entre l'acceptation des dix-huit articles et l'avénement du prince. Aux yeux de la Conférence, comme aux yeux de la Belgique et de son futur souverain, l'un de ces faits était la conséquence de l'autre. Le (page 161) protocole du 21 mai, destiné à faciliter l'adhésion de la Belgique aux vues de la Conférence, dit positivement que les plénipotentiaires, en préparant la voie aux dix-huit articles, ont pour but « d'aplanir les difficultés qui entraveraient l'acceptation de la souveraineté de la Belgique par le prince Léopold de Saxe-Cobourg, dans le cas où, comme tout porte à le croire, cette souveraineté lui serait offerte » (Note de bas de page : Huyttens, t. IV, p. 280. C'est le premier acte de la Conférence où il est fait mention du prince Léopold).
Un mois plus tard, le prince disait, à son tour, à la députation du Congrès chargée de lui offrir la couronne : « J'accepte l'offre que vous me faites, bien entendu que ce sera au Congrès des représentants de la nation à adopter les mesures qui seules peuvent constituer le nouvel État, et par là lui assurer la reconnaissance des États européens. » Le même jour, il écrivit au Régent : « Aussitôt que le Congrès aura adopté les articles que la Conférence de Londres lui propose, je considèrerai les difficultés comme levées pour moi, et je pourrai me rendre immédiatement en Belgique » (Note de bas de page : Ibid., t. IV, p. 163 et 164). De la part de l'Europe, les dix-huit articles constituaient un engagement solennel envers le prince Léopold et envers la Belgique. C'est un point capital qui ne doit pas être perdu de vue dans l'examen des négociations ultérieures (Note de bas de page : On peut consulter à ce sujet le ch. XI de l' Essai sur la révolution belge, de M. Nothomb ; cette lecture dissipera tous les doutes. – M. White (Rév. belge, t. III, p. 18( ;) rapporte un épisode qui prouve que les plénipotentiaires russes eux-mêmes n'avaient pas autrement interprété les actes de la Conférence. Le 12 juillet, les représentants des cinq cours étaient réunis à MalboroughHouse, résidence du prince Léopold. Le prince leur dit : « La volonté des grandes puissances est-elle de me reconnaître immédiatement ? Leur volonté est-elle de me reconnaître, si je me rends en Belgique sans attendre l'adhésion du roi de Hollande ? » - « Oui, quand même, répondit le comte Matuszewic, et, s'il refuse, nous trouverons le moyen de le forcer à consentir. » - On dit qu'un autre diplomate russe, le prince de Lieven, n'était pas moins explicite.- Il est permis de douter de la sincérité de ce langage ; mais il prouve au moins que, dans les idées des membres de la Conférence, les dix-huit articles étaient un engagement solennel de l'Europe envers le prince Léopold.)
Le Congrès national accepta les dix-huit articles, par son décret du 9 juillet 1831. La Hollande, au contraire, les repoussa de ses forces.
La Conférence fit un nouvel effort (25 juillet). Nourrissant toujours (page 162) l'espoir que des négociations ultérieures, poursuivies sous les auspices des cinq cours, pourraient amener la conclusion d'un traité définitif, elle engagea les deux gouvernements à munir leurs représentants à Londres des pouvoirs nécessaires pour discuter et signer ce traité (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 76). Cette fois, ce fut la Belgique qui refusa. Le ministre des Affaires étrangères, M. de Meulenaere, répondit que les dix-huit articles, réciproquement adoptés, devaient, aux termes du protocole du 26 juin, être convertis en traité définitif. Il ajouta que la Conférence elle-même avait envisagé ces articles comme préliminaires de la paix, et que dès lors l'envoi d'un nouveau plénipotentiaire serait sans objet aussi longtemps que la Hollande n'aurait pas accédé, de son côté, à des conditions qui avaient été purement et simplement acceptées par le Congrès belge (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 5).
La Hollande, prête à envahir la Belgique, tint un autre langage. Dans une dépêche du 1er août, M. Verstolk de Soelen disait à la Conférence : « Sa Majesté (Guillaume Ier), qui n'a cessé de donner des preuves de son désir sincère de coopérer à un arrangement, et d'assurer ainsi, autant qu'il dépend d'Elle, le bienfait de la paix à l'Europe, étant toujours animée des mêmes sentiments, m'a chargé de munir ses plénipotentiaires des pouvoirs et instructions nécessaires pour discuter, arrêter et signer avec vos Excellences elles-mêmes un traité définitif » (Recueil de pièces diplomatiques, t. l, p. 265).
Au moment de l'invasion de notre territoire, la situation diplomatique était donc celle-ci : la Belgique, avant d'entamer des négociations nouvelles, exigeait de la part de sa rivale l'acceptation des dix-huit articles ; la Hollande, tout en protestant contre les dix-huit articles, offrait de débattre, sous les auspices de la Conférence, les conditions d'un traité définitif.
Après la désastreuse campagne d'août, la Belgique, subissant la loi des vaincus, se montra moins sévère. Renonçant à exiger du cabinet de La Haye l'acceptation préalable des dix-huit articles, elle consentit à reprendre les négociations par l'intermédiaire des cinq cours. Le 22 août, le roi remit ses pleins pouvoirs à M. Van de Weyer.
On a dit que cette concession fut une faute ; mais on oublie que le (page 163) protocole du 26 juin n'indiquait que les bases d'un traité, et que des questions de la plus haute importance restaient à résoudre. Le différend hollando-belge pouvait chaque jour amener une conflagration générale ; des intérêts immenses étaient en souffrance, et l'Europe, qui voulait la paix, ne se serait pas arrêtée devant une fin de non-recevoir alléguée par les Belges puisque notre sort allait être remis en question, le parti le plus sage était de ne pas se faire juger par contumace. D'ailleurs la Conférence elle-même s'était attachée à dissiper les craintes du cabinet de Bruxelles. Dans une note du 25 juillet, les plénipotentiaires des cinq cours s'étaient déclarés directement intéressés dans les négociations, comme ayant garanti à la Belgique sa neutralité, son indépendance et l'intégrité de son territoire (Papers relative to the affairs of Belgiun, A. p. 76).
Quoi qu'il en soit, des négociations nouvelles s'ouvrirent à Londres.
Le 5 septembre, la Conférence engagea les plénipotentiaires belge et hollandais à lui communiquer leurs idées sur les moyens de résoudre dans un traité définitif les trois points suivants :
1° La démarcation des limites entre la Hollande et la Belgique ;
2° Les arrangements relatifs au grand-duché de Luxembourg ;
5° La nature de la transaction qui pourrait intervenir relativement au partage des dettes (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 24)
La démarcation des limites, la possession du Luxembourg et le partage de la dette étaient, en effet, les points culminants du litige.
Ces trois problèmes résolus, la navigation des fleuves et des rivières ne pouvait donner lieu à un désaccord prolongé.
Chacun des trois points signalés par la Conférence devint l'objet d'un débat animé entre celle-ci et les agents diplomatiques des deux peuples.
Dans le système présenté par le gouvernement belge, il est fréquemment question d'enclaves territoriales, de villages de Rédemption et de souveraineté indivise de Maestricht. Avant d'exposer les phases successives des négociations, il est indispensable d'indiquer la portée réelle de ces termes.
En 1790, le pays qui, sous le gouvernement des Pays-Bas, formait la province de Limbourg et le nord de la province de Liége, était en quelque sorte parsemé de communes hollandaises enclavées dans son territoire.
(page 164) En vertu de divers traités, les Hollandais possédaient, à la fin du dernier siècle, la ville de Venloo, le comté de Vroenhove, une partie du comté de Fauquemont et de la seigneurie de Rolduc, les villages dits espagnols sur la rive droite de la Meuse, une partie du comté de Daelhem, l'Ammanie de Montfort et la forteresse de Stevensweert avec ses dépendances. Ces communes étaient au nombre de quarante-quatre, y compris la ville de Venloo ; elles comptaient, en 1850, une .population globale de 48,659 âmes. Avant l'invasion française, les Hollandais les désignaient sous la dénomination de Pays de la généralité, parce que, conquises après l'Union d'Utrecht, par les efforts réunis de la nation hollandaise, elles étaient administrées dans l'intérêt de la généralité des Provinces-Unies (Note de bas de page : Voy. à l'Appendice le tableau de ces communes avec les explications nécessaires (L. L.). M.. Nothomb n'a pas présenté cette situation d'une manière rigoureusement exacte ; car il affirme que la Hollande possédait cinquante-trois communes enclavées dans le sol belge, dont treize situées sur la rive gauche et quarante sur la rive droite de la Meuse (V. Essai historique et politique sur la révolution belge, chap..XI). On devrait, à la rigueur, ajouter à notre liste le village de Lommel, détaché du Brabant septentrional par la loi du 18 novembre 1818, pour être incorporé à la province de Limbourg ; mais, par contre, le Brabant septentrional s'était enrichi du village limbourgeois de Luiks-Gestel, et le gouvernement de La Haye ne semblait pas disposé, en 1831 , à revenir sur cet échange).
A côté des Pays de la généralité, appartenant à la Hollande en toute souveraineté, se trouvaient sept villages sur lesquels les États Généraux n'exerçaient qu'un droit de protectorat. C'étaient les villages de Rédemption, ainsi nommés parce que, moyennant une rétribution annuelle irrévocablement fixée, ils s'étaient rédimés de toute autre imposition existante ou future. En 1790, ils rapportaient aux Provinces-Unies un revenu global de 2,652 florins de Brabant (francs 4,810,84). Ce tribut était à peu près le seul signe de leur dépendance de la Hollande. L'intervention de celle-ci dans leur administration intérieure se réduisait à un petit nombre d'ordonnances d'intérêt général à observer par les seigneurs et leurs officiers. Les délégués des États Généraux ne pouvaient s'immiscer ni dans le gouvernement local, ni dans la nomination des fonctionnaires. En réalité, ainsi que nous l'avons dit, ce n'était qu'un simple protectorat (Note de bas de page : V. le Recueil des règlements pour la seigneurie de Russon, imprimé à Maestricht en 1749 (92 pages in-4°). - Ordinairement on attribue à la Hollande huit villages de Rédemption. C'est une erreur. La huitième commune, celle de Hermalle, avait été cédée à l'Autriche par le traité de Fontainebleau. La Hollande ne la possédait donc plus en 1790 (V. la liste des villages de Rédemption à l'Appendice). Le comte de Neny (Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, p. 257) dit que les villages de Rédemption payaient également une contribution aux souverains du Brabant. La Hollande a aussi formé des prétentions sur les villages composant les Bancs de St. Servais. C'était un oubli de l'histoire et du droit. Ces communes étaient des terres immédiates de l'Empire germanique appartenant au chapitre de St.-Servais à Maestricht (V. le Mémoire de M. Cudell, cité ci-après)).
(page 165) En ajoutant à ces deux catégories de possessions la souveraineté indivise de Maestricht, on aura un tableau complet des enclaves hollandaises.
La possession de Maestricht avait été l'objet de longues discussions entre les Ducs de Brabant et les Princes-Évêques de Liége. Après une foule de traités successifs, tantôt violés par la force, tantôt modifiés par des concessions volontaires, les deux rivaux avaient fini par se reconnaître réciproquement une moitié indivise dans la souveraineté de la forteresse. Le gouverneur prêtait serment de fidélité aux deux souverains ; la défense de la ville était une charge commune ; les impôts devaient être établis par assentiment réciproque ; bref, l'indivision de la souveraineté était tellement complète qu'on avait pris la maxime suivante pour fondement du droit public de la cité : Trajectum neutri domino, sed paret utrique ((Note de bas de page : Dans les archives de la ville on trouve souvent les maximes suivantes : Un Seigneur., point Seigneur. ; deux Seigneurs, un Seigneur. Een Heer, geen Heer ; twee Heeren, een Heer).
Ce singulier gouvernement fonctionnait depuis quatre siècles lorsque, par la capitulation du 22 août 1632, les droits du Brabant (et rien de plus) furent transférés aux États Généraux. La Hollande n'obtint pas la souveraineté absolue de la place. La capitulation constatait et réservait expressément les droits des Princes-Évêques de Liége. Son article 6 portait que les États Généraux devaient se contenter du pouvoir qui appartenait au roi d'Espagne comme duc de Brabant, et que « à l'evesque de Liége demeureroit pro indiviso la juridiction commune, et son domaine entier, comme ainsi que d'ancienneté et jusqu'à présent. » L'article 7 ajoutait : « Lesdits Seigneurs Estats gouverneront, avec ledit Prince-Evesque de Liége, ensemble la ville et appendice (page 166) comme un Estat et province séparée des provinces autres de chacun desdits seigneurs, comme cy-devant les evesques et roys d'Espagne l'ont gouvernée, tant en matière de justice, ressort et police ». Des traités postérieurs confirmèrent ces dispositions.
La Hollande demeura fidèle à ses engagements. L'administration commune se perpétua jusqu'à la prise de Maestricht par Louis XIV, en 1673. Maintenue par ce prince à l'égard de l'évêque de Liége, elle reprit son cours après le départ des Français, en 1676, et subsistait encore en 1794, A l'entrée des soldats de la république française, les écussons réunis de l'évêque et des Etats ornaient tous les édifices publics (Note de bas de page : La souveraineté indivise de Maestricht et la question des enclaves ont donné lieu à plusieurs publications. L'écrit qui nous paraît le plus remarquable est la Notice historique et monumentale sur la ville de Maestrich, publiée par un anonyme dans l'annuaire du duché de Limbourg de 1846 (Jaerboek voor het hertogdom Limburg. Maestricht, 1846, in-18). On peut aussi consulter avec fruit les opuscules suivants : 1° De la souveraineté indivise des évêques de Liége et des Etats Généraux sur Maestricht, par Polain. Liége, 1831, in-8o ; 2° La Belgique et les vingt-quatre articles, par Dumortier. Bruxelles, 1838, in-8° ; 3° De la question territoriale entre la Hollande et la Belgique (par M. Cudell, juge de paix à Hasselt). Liége, 1838, in-8° ; 4° Notice sur Maestricht, 12 pp. in-8°. Paris, Gœtschy et Cie (sans date). Cet opuscule a été publié en 1831 ; 5° La ville de Maestricht, ses droits, etc., par Mancel, Bruxelles, 1838 ; 6° Dissertatio de origine et principatu urbis Trajecti ad Mosam. Auct. V. Hennequin. Lov. 1829. - On peut consulter encore : Belgii confederati respublica (Elz. 1630, in-32), p. 331).
Un autre point qui doit être préalablement éclairci, c'est la situation du Luxembourg au moment où cette province adhéra à la révolution de 1830.
Le Luxembourg formait, dès le dixième siècle, un Etat à part, gouverné par une dynastie indigène. En 1444, la descendance mâle de la famille régnante s'étant éteinte, Guillaume de Saxe et Elisabeth de Gorlitz cédèrent leurs droits au duc de Bourgogne Philippe-le-Bon, et celui-ci se fit reconnaître par les Etats du pays.
A partir de ce moment, le Luxembourg partagea le sort des provinces belges. Sous les maisons de Bourgogne, d'Espagne et d'Autriche, de même que sous la souveraineté particulière d'Albert et d'Isabelle, il appartenait à la Belgique au même titre que le comté de Flandre et le duché de Brabant. A part quelques différences secondaires résultant des privilèges locaux, les gouverneurs autrichiens, à la fin du dix-huitième siècle, exerçaient dans les communes du (page 167) Luxembourg la même juridiction qu'à Bruxelles. Les États de la province envoyaient leurs députés aux États Généraux, et les ordonnances d'administration générale y étaient obligatoires comme dans les autres parties du pays. Avec toutes nos provinces, le Luxembourg avait été compris dans le cercle de Bourgogne.
Avant la révolution de 1830, ces vérités historiques n'avaient jamais été révoquées en doute, ni par la Belgique, ni par la Hollande, ni par l'Europe. Le traité d'Utrecht du 11 avril 1713, qui céda les provinces belges à la maison d'Autriche, comprit le Luxembourg sous la dénomination générale de Pays-Bas. En 1790, les volontaires de l'armée belge commandée par Vander Merch réclamèrent officiellement le concours de leurs frères du Luxembourg. « Unis avec vous depuis des siècles par les mêmes destinées, disaient-ils, nous croirions avoir peu fait pour notre bonheur, si nous n'étendions pas jusqu'à vous l'ouvrage heureux de la liberté » (Adresse des volontaires de l'armée belgique aux habitants de la ville et province de Luxembourg. Bruges, 1790, p. 2). C'est comme province belge que, le 9 Vendémiaire an IV (1er octobre 1795), le Luxembourg fut incorporé à la république française. C'est encore comme province belge que le Luxembourg se vit compris dans les traités de Campo-Formio et de Lunéville (17 octobre 1797 et 9 février 1801).
Avant sa réunion à la France, le Luxembourg était donc incontestablement une province des Pays-Bas autrichiens. Tous les traités, tous les documents historiques et politiques, toutes les cartes attestent cette vérité. Aussi, de même que les actes diplomatiques antérieurs, le traité de Londres du 20 juin 1814, qui joignit nos provinces à la Hollande pour former avec elles le royaume des Pays-Bas, comprit le Luxembourg sous la dénomination générale de Belgique. Guillaume Ier agit de même dans sa proclamation du 16 mars 1815, par laquelle il s'attribua le titre de roi. «Nous déclarons par ces présentes, disait-il, que tous les pays appartenant à la Belgique et à la Hollande forment le royaume des Pays-Bas, pour être possédés par nous et par nos légitimes successeurs, d'après le droit de primogéniture, et nous prenons, pour nous-mêmes et les princes qui monteront après nous sur le trône, la dignité royale et le titre de roi, en ajoutant cependant à ce dernier celui de duc de Luxembourg, à cause des relations que cette province est destinée à avoir avec l'Allemagne (Pasinomie, 2e série, t. II, p. 1).
(page 168) Ces derniers mots font al1usion à un projet qui fut réalisé par les traités de 1815 et qui doit ici spécialement fixer l'attention.
En 1814, la famille d'Orange-Nassau possédait en Allemagne les petites principautés de Nassau-Dillenbourg, Siegen, Hadamar et Dietz, avec une population de 120,000 habitants, sur une surface de 45 milles carrés. Par les traités de Vienne du 31 mai et du 9 juin 1815, Guillaume céda ces principautés à la Prusse ; mais, voulant conserver le titre et les droits de prince allemand, il fit stipuler que le Luxembourg servirait de compensation à cette cession, et que le roi des Pays-Bas, sous le titre de Grand-Duc de Luxembourg, ferait partie de la Confédération germanique. Après avoir constaté l'acceptation de ces conditions, l'article 67 de l'acte général de Vienne ajoutait : « La faculté est réservée à S. M. le Roi des Pays-Bas de faire relativement à la succession dans le Grand-Duché (de Luxembourg) tel arrangement de famille entre les princes ses fils qu'elle jugera conforme aux intérêts de sa monarchie et à ses intentions paternelles. » Le Luxembourg devint ainsi un Grand-Duché de la Confédération germanique et son chef-lieu fut transformé en forteresse fédérale, De plus, Guillaume Ier obtint la faculté de transmettre la souveraineté de la province au puîné de ses fils, à l'exclusion de l'aîné, que la Loi Fondamentale appelait au trône des Pays-Bas.
De 1815 à 1830 se présente ainsi pour le Luxembourg une période nouvelle ; mais, par contre, les événements de ces quinze années attestent, d'une manière irréfragable, que le roi Guillaume, tout en souscrivant à l'article 67 du traité de Vienne, n'avait jamais eu l'intention de démembrer son royaume par l'érection du Luxembourg en État particulier. Son but unique consistait à s'attribuer éventuellement les avantages attachés au titre de membre de la Confédération germanique. Le roi n'avait pas d'autre dessein. Mille faits se groupent pour en fournir la preuve.
La Loi Fondamentale de 1815 plaça le Luxembourg parmi les provinces méridionales du royaume. Son article 2 portait : « Le Grand-Duché de Luxembourg, étant placé sous la même souveraineté que le royaume des Pays-Bas, sera régi par la même Loi Fondamentale, sauf ses relations avec la Confédération germanique. » Pendant les quinze années qui précédèrent la révolution, le Luxembourg eut les mêmes institutions, les mêmes lois et la même administration que les autres (page 169) provinces. A part le séjour d'une garnison allemande dans la forteresse, le Luxembourg ne fut jamais soumis à aucune des obligations militaires ou civiles dérivant du pacte fédéral. Aux États Généraux des Pays-Bas, quatre députés du Luxembourg siégeaient parmi les cinquante-cinq représentants assignés aux provinces méridionales. Les emplois publics étaient indistinctement conférés aux Hollandais, aux Belges et aux Luxembourgeois. Les belles forêts du Duché furent vendues au profit du trésor général du royaume. La fusion administrative, politique, militaire, religieuse, était complète : la communauté était parfaite. Et comment eût-il pu en être autrement ? Aux termes de l'article 29 de la Loi Fondamentale, le roi ne pouvait porter deux couronnes. Si le Luxembourg avait formé un État distinct, Guillaume eût violé la Constitution de son royaume en prenant le titre de grand-duc (Note de bas de page : Au lieu de prendre pour objet de l'échange la province de Luxembourg, les diplomates de Vienne auraient pu indiquer tout aussi bien les provinces de Liége, d'Anvers et de Brabant. Il y a plus, au lieu de se contenter d'une seule province, on aurait pu étendre la convention à la Belgique entière ; et ce dernier projet n'est pas une hypothèse gratuite. Schœll (Congres de Vienne, tom. l , p. 17) s'exprime de la manière suivante : «On a proposé de faire entrer dans la Confédération germanique la Belgique, et peut-être les Pays-Bas en général, et cette idée paraît excellente ; si on y donnait suite, ce pays devrait former un nouveau cercle de Bourgogne dont le prince souverain des Pays-Bas serait le chef. » - Et si ce projet s'était réalisé, suffirait-il pour interdire à jamais à la Belgique tout changement dans son régime intérieur ?).
Ces faits suffiraient pour fixer la position du Luxembourg à l'époque de la révolution de septembre ; mais il existe un acte législatif qui dissipe tous les doutes : Guillaume Ier avait lui-même déclaré les destinées du Luxembourg inséparables des destinées des autres provinces.
Aux termes d'un pacte de famille du 4 avril 1814, les quatre principautés nassauviennes devaient passer au prince Frédéric, au moment où son frère, le prince d'Orange, serait parvenu à la souveraineté des Provinces-Unies. Le Luxembourg ayant été, deux mois après, substitué à ces principautés patrimoniales, par suite de la cession de celles-ci à la Prusse, i] en résultait que le prince Frédéric était destiné à devenir possesseur du Grand-Duché, au moment où son frère aîné deviendrait roi des Pays-Bas. C'était même à ce pacte de famille que le traité de Vienne faisait allusion en autorisant le roi à changer arbitrairement, à l'égard du Luxembourg, les droits successifs de ses descendants.
Qu'arriva-t-il ? Guillaume Ier renonça solennellement à la faculté que (page 170) lui laissait l'article 67 de l'acte général de Vienne. Imitant cet exemple, le prince Frédéric renonça, lui aussi, à ses prétentions au Grand-Duché, moyennant un revenu net de 190,000 florins (frs 402,116,38) en biens domaniaux, Par suite de cette double renonciation, une loi du 25 mai 1816 annexa irrévocablement le Luxembourg aux Pays-Bas (Note de bas de page : Les termes de cette loi sont conçus de manière à dissiper tous les doutes (V. Pasinomie, 2e série, t. III, p. 89).
En fait et en droit le Luxembourg était donc, en 1830, une province belge. Le prince Frédéric, qui seul eût été fondé à réclamer, avait aliéné ses droits à titre onéreux. Vis-à-vis de la Hollande, toute controverse était dès lors impossible. Elle le comprit si bien que, peu de semaines après les événements de septembre, elle exclut des États Généraux les députés luxembourgeois, comme étant devenus étrangers à la Hollande (Note de bas de page : MM. d'Anethan, Maréchal et Pescatore, tous trois députés du Luxembourg aux États Généraux, s'étant rendus à La Haye pour la session ordinaire du mois d'octobre 1830, furent renvoyés comme devenus étrangers à la Hollande (V. La Belgique et les vingt-quatre articles, par M. Dumortier, 5e éd., p. 31, en note).
Quant à la Confédération germanique, il faut l'avouer, la question ne se présentait pas absolument dans les mêmes termes. Si, pendant quinze années, la Confédération avait gardé le silence sur les obligations fédérales imposées à la province, les traités de Vienne n'en restaient pas moins debout. Mais la Belgique s'était empressée d'aplanir à l'avance toutes les difficultés politiques et administratives, en se déclarant prête à respecter les relations du Luxembourg avec l'Allemagne. Le 18 novembre 1830, le Congrès national, à l'unanimité de ses membres, avait proclamé l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique. L'article 1er de la Constitution avait rangé le Luxembourg parmi les provinces belges, sauf ses relations avec la Confédération germanique. Les droits de la diète de Francfort se trouvaient donc parfaitement reconnus, et ces droits n'étaient, en aucune manière, incompatibles avec la souveraineté territoriale de la Belgique. Dans l'acte constitutif de la Confédération du 8 juin 1815, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse interviennent pour celles de leurs possessions qui ont anciennement appartenu à l'empire germanique. A-t-on jamais prétendu que ces possessions aient cessé d'appartenir à l'Autriche et à la Prusse, depuis leur accession à la confédération de 1815 ? Pourquoi (page 171) donc le Luxembourg ne pouvait pas, tout en restant belge, conserver ses rapports militaires avec l'Allemagne ? Les puissances allemandes n'ignoraient pas l'existence de la loi du 25 mai 1816. Elles avaient gardé le silence, lorsque Guillaume Ier avait incorporé le Grand-Duché au royaume des Pays-Bas. Pendant quinze années, elles avaient fermé les yeux sur la violation du pacte fédéral. Était-il équitable de punir les Luxembourgeois d'avoir pris ce silence significatif pour un assentiment de la Diète ? (Note de bas de page : La France, il est vrai, n'aurait pas consenti à l'entrée du souverain de la Belgique dans la Confédération germanique ; mais il y avait un moyen très simple de concilier tous les droits et toutes les exigences des cabinets de Paris el de Bruxelles. Pendant quinze années l'Allemagne n'avait réclamé d'autre prérogative que la faculté de mettre une garnison allemande dans la forteresse. Ne pouvait-elle pas s'en contenter pour l'avenir ? De celte manière le roi des Belges n'eût pas été nécessairement membre de la Confédération germanique. Quoi qu'il en soit, le principe de l'incorporation du Luxembourg était tellement passé dans le droit public que, dans le traité de limites conclu avec la Prusse en 1816, on attribue au royaume des Pays-Bas le village d'Oberbillig et deux petites îles dépendant des communes de Remichen et d'Echternach (V. Nothomb, Essai, p. 414, 3e éd.). « La Belgique, dit M. Nothomb, a pris les choses dans l'état où les avait mises le roi grand-duc ; elle n'a point opéré la réunion du Luxembourg à la Belgique ; elle l'a maintenue. »)
On a dit que Guillaume Ier et son fils, le prince Frédéric en se désistant de leurs prétentions, avaient agi en dehors de la prévision des événements de 1830 ; que c'était aux Pays-Bas, et non à la Belgique, qu'ils avaient voulu définitivement unir le Luxembourg. En droit strict cette considération pouvait être écartée. Quel que fût le mobile des contractants, le Luxembourg se trouvait définitivement incorporé aux provinces méridionales ; la Constitution de 1815 elle-même lui assignait cette place. Province belge, le Luxembourg avait participé au mouvement général de la Belgique, et à ce point de vue la question luxembourgeoise était la question belge tout entière. !l est vrai que ce raisonnement, inattaquable en droit, ne répondait pas, en fait, à toutes les exigences de l'équité, Mais, ici encore, la Belgique était allée au-devant de toutes les objections. Elle s'était déclarée prête à payer, soit à la Hollande, soit à la maison d'Orange, une indemnité supplémentaire ; tandis que le gouvernement de La Haye, oubliant dédaigneusement les faits accomplis, voulait conserver à la fois et le Luxembourg et l'indemnité que le prince Frédéric avait reçue en échange.
(Note de bas de page) On a fait plusieurs autres objections. La maison allemande de Nassau est divisée en deux branches : la cadette occupe le trône des Pays-Bas ; l'aîné règne en Allemagne. En 1783, un pacte de famille a établi entre les deux branches un droit réciproque de succession, d'après la loi salique. On s'est prévalu de cette convention pour revendiquer en faveur des princes allemands de Nassau un droit actuel d'intervention dans la question luxembourgeoise, et par suite déclarer nulle la renonciation du prince Frédéric. Ce raisonnement est plus spécieux que solide. La branche ainée n'avait pas protesté contre la loi du 2 mai 1816, et cette loi était, en 1830, un fait accompli. D'ailleurs, ces princes n'avaient qu'un droit éventuel, qu'une simple expectative, Toutes les relations politiques et sociales seraient bouleversées, si chacun était en droit de prendre les armes pour défendre l'héritage qui pourrait lui échoir, un jour. Comme Guillaume Ier et le prince Frédéric avaient renoncé à deniers comptants, il ne pouvait être question de payer une seconde indemnité aux princes de Nassau, - Ou a dit encore : « Si Guillaume perd le Luxembourg, il faut qu'il récupère les quatre principautés nassauviennes ; les puissances qui ont consenti à l'échange sont obligées de droit à garantir le roi des Pays-Bas de toute éviction. » La réponse est facile. Comme possesseur des principautés, Guillaume n'était garanti par personne contre les risques d'une révolution intérieure. Comme souverain du Luxembourg, il n'avait donc pas droit à une garantie qu'il ne possédait pas avant l'échange, Il ne faut pas transporter dans le droit des gens les règles du droit civil. - D'autres publicistes se sont prévalus de ce que les biens assignés au prince Frédéric sont situés dans le Brabant hollandais ; ils oublient que la Hollande, en réservant ces domaines à l'un de ses princes, fit vendre pour 94 millions de florins de domaines belges.
La question luxembourgeoise a donné lieu à plusieurs publications intéressantes. Outre la brochure déjà citée de M. Dumortier, on peut consulter avec fruit : 1° Le mémoire du comité diplomatique, communiqué au Congrès dans sa séance du 13 décembre 1830 (Huyttens, t. IV, p. 225) 2° Du Grand-Duché de luxembourg. Paris, Gœtschy, 1831, in-8°. 3° Des vingt-quatre articles et du Luxembourg, par M. F. Dubois. Arlon, 1839, in-8°. (Fin de la note).
(page 172) Après ces digressions il convient de reprendre le récit des négociations.
Par une note du 5 septembre, les plénipotentiaires hollandais communiquèrent à la Conférence les vues de leur gouvernement à l'égard de la question territoriale. Depuis la mer jusqu'aux limites du Limbourg, ils proposaient le maintien des frontières des Provinces-Unies en 1790 ; mais, arrivés au village de Valkenswaard, ils en faisaient partir, dans la direction du midi, une 1igne laissant Peel et Tongres à l'ouest, Achel, Hamont, Bree et Bilsen à l'est, et allant aboutir, au nord de Visé, à la limite de la province de Liége. Tout le territoire situé à l'est et au nord de cette ligne devait, à leur avis, appartenir à la Hol1ande ; de manière que celle-ci, tout en ne cédant pas un pouce de terrain dans la Flandre, s'attribuait les trois quarts du Limbourg avec une population de plus de 224,000 âmes. (page 173) Quant au Luxembourg, les plénipotentiaires le revendiquaient en entier, en admettant toutefois la possibilité d'une indemnité territoriale complète, mais en repoussant énergiquement toute indemnité pécuniaire (Recueil de pièces diplomatiques, publié à La Haye, t. II, p. 33 à 38. Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 107).
Ces prétentions étaient exorbitantes, surtout par rapport au Limbourg. En 1790, la Hollande possédait dans cette province la ville de Venloo, la moitié de la ville de Maestricht et quarante-trois communes rurales. Ces enclaves avaient en 1830 une population globale de 59,718 âmes. Or, sous prétexte d'obtenir la contigüité de ces possessions, la Hollande s'adjugeait la ville de Maestricht tout entière, les villes de Maeseyck, de Ruremonde, de Venloo et de Weert, plus cent quatre-vingt-neuf communes rurales ; c'est-à-dire cinq villes au lieu d'une et demie, cent quatre-vingt-neuf villages au lieu de quarante-trois, 224,455 âmes au lieu de 59,718. La population totale de la province étant de 328,286 âmes, les anciennes communes hollandaises y entraient pour deux onzièmes, tandis que le cabinet de La Haye en réclamait à peu près les trois quarts (Note de bas de page : Pour le chiffre de la population, nous avons consulté l’Annuaire de la Province de Limbourg, rédigé par la Société des amis des sciences, lettres et arts, établie à Maestricht (1829, in-8° ). Il se peut que la population fût un peu plus considérable en 1831 ; mais, comme les mêmes chiffres ont servi de base à l'examen des prétentions des deux parties, les proportions que j'indique n'en seraient pas moins exactes).
Qu'on le remarque bien : ces avantages n'étaient pas les seuls que la combinaison proposée devait procurer au gouvernement néerlandais ! Maître du cours de la Meuse, il fortifiait considérablement ses frontières du midi ; possesseur de la rive droite du fleuve, il interceptait les communications du Limbourg belge avec l'Allemagne ; propriétaire de Maestricht, il avait une forteresse du premier ordre à quatre lieues de Liége, à vingt lieues de Bruxelles. Aussi n'est-il pas possible de prendre au sérieux les réflexions dont ce projet se trouvait accompagné dans la note des diplomates hollandais. A les entendre, ce n'était « qu'une addition peu importante en elle-même, comprenant, en grande partie un terrain peu fertile, et ne pouvant être regardé par les cinq Puissances comme un accroissement réel. » La Hollande déclarait, à la vérité, céder en retour les villages de (page 174) Houpertingen, de Fologne, de Russon, de Paifve, de Falais, de Koninxheim, de Grand-Looz et de Zepperen ; mais les trois dernières communes, placées jadis sous le protectorat du prince de Liége, n'avaient jamais appartenu à la Hollande, et les cinq autres, qui n'avaient qu'une population totale de 2,897 âmes, étaient des villages de Rédemption sur lesquels les Provinces-Unies n'exerçaient qu'un droit de patronage, dont tous les bénéfices se résolvaient en une rente de quelques centaines de florins. Encore les plénipotentiaires se réservaient-ils de traiter ultérieurement de la possession de la principauté de Liége et des dix cantons détachés de la France en 1815, après la seconde invasion des alliés.
Ces propositions ne pouvaient être accueillies par le gouvernement belge. Le 23 septembre, son plénipotentiaire, M. Van de Weyer, présenta à la Conférence un contre-projet en dix-huit articles (Recueil de pièces diplomatiques, publié à La Haye, t. II, p. 51).
Quoique la nature et l'importance des enclaves hollandaises ne fussent pas exactement connues à cette époque, le diplomate belge en savait assez pour faire ressortir l'inadmissibilité des exigences néerlandaises à l'égard du Limbourg ; mais, à son tour, il forma des prétentions qui devaient être repoussées par la Conférence.
De même que les dix-huit articles, le protocole du 20 janvier 1831 , plus connu sous la dénomination de bases de séparation, avait attribué à la Hollande le territoire qu'elle possédait en 1790 ; aux termes du même protocole, la Belgique devait être composée de tous les territoires qui avaient été annexés à la Hollande pour former le royaume des Pays-Bas.
Or, en 1790, le sol du Brabant septentrional était pour ainsi dire parsemé d'enclaves allemandes. On y rencontrait le marquisat de Berg-op-Zoom, la principauté de Ravestein, la commanderie de Gemert, les seigneuries de Biervliet, de Boxmeer, d'Oploo, d'Oeffelt, d'Oirschot, d'Hilvarenbeek, etc. En outre, la Hollande ne possédait pas, en 1790, plusieurs communes des Quartiers de Thiel, d'Arnheim et de Zutphen, provenant de l'ancien duché de Clèves et incorporées à la province de Gueldre, à la suite des traités du 11 janvier 1800 et du 14 novembre 1802.
Le diplomate belge affirmait que l'incorporation de ces possessions allemandes avait procuré à la République de 1790 un accroissement de (page 175) population au moins équivalent au nombre des habitants de toutes les enclaves limbourgeoises.
En fait, cette affirmation était conforme à la vérité ; mais il n'en résultait pas que la Belgique eût le droit de s'adjuger des enclaves allemandes et de les offrir à sa rivale en échange des enclaves hollandaises. C'est ce qu'elle fit cependant ; car elle réclama une partie de la Flandre zélandaise, la ville de Venloo, la moitié indivise de Maestricht et tous les villages de la généralité, en compensation des « enclaves que la Belgique possède dans la Hollande et dont cette dernière se verrait dotée, avec une superficie de quatre-vingt-dix mille hectares, neuf mille maisons et plus de quarante-six mille habitants » (Recueil de pièces diplom., t. II, p. 61.- Papers relative to the affairs of Belgiun, A, p. 108-113). Il est vrai qu'on offrait à la Hollande la pointe du Limbourg, située au nord d'une ligne de démarcation, partant de la limite du Brabant septentrional à Meyel et allant aboutir au territoire prussien, au delà de Venloo.
La Belgique avait emprunté ce système à M. Nothomb. Les protocoles du 20 janvier et du 26 juin assignaient à a Hollande le statu quo de 1790. M. Nothomb en avait conclu que tout ce qui était en dehors de ce statu quo devait appartenir à la Belgique. L'interprétation était conforme au sens littéral du texte des protocoles : mais elle était manifestement contraire à l'intention de leurs rédacteurs. Si les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie avaient voulu, le 20 janvier 1831, dépouiller la Hollande des communes allemandes que, postérieurement à 1790, elle avait acquises à titre onéreux, ce n'eût pas été pour en faire don au gouvernement révolutionnaire de Bruxelles. Tous les actes émanés de la Conférence, et entre autres les dix-huit articles, s'occupent d'enclaves hollandaises et d'enclaves belges, et nullement d'enclaves allemandes étrangères à la Belgique. Mêler aux graves débats de la Conférence un raisonnement de plaideur aux abois, c'était commettre une faute ; c'était fournir aux diplomates de Londres l'occasion de se prévaloir des prétentions outrées des parties, pour trancher le nœud de la question avant d'avoir réuni les renseignements nécessaires. En 1790, il n'y avait dans le Brabant septentrional d'autres enclaves belges que le bourg de Meghen et les villages de Haren, de Macharen , de Teeffelen et de Bockhoven. Les quatre premières communes (page 176) composaient le comté de Meghen, fief de la cour féodale du Brabant à Bruxelles ; la cinquième, dont le nom n'a pas été cité par nos diplomates, appartenait au ci-devant comté de Looz .
En échange des enclaves hollandaises, le plénipotentiaire belge n'offrait donc en réalité d'autre compensation que cinq villages et la pointe du Limbourg au nord de Venloo ; mais il concédait aux cinq puissances représentées à la Conférence le droit de garnison dans Maestricht. Ces prétentions n'étaient pas plus admissibles que celles du cabinet de La Haye.
Si la Conférence avait accueilli le projet belge, la Hollande se serait trouvée, à la dissolution de la communauté, dans un état de possession territoriale moins favorable qu'au moment de la réunion. En retour de la partie insignifiante du Limbourg située au nord de Venloo, elle ne pouvait être dépouillée de la moitié de Maestricht, de la forteresse de Venloo et des villages de la généralité, outre Philippine, Sas-de-Gand, l'Écluse et leurs dépendances. La Belgique avait sans doute un immense intérêt à posséder une partie de la Flandre zélandaise ; mais la Conférence n'avait cessé de déclarer que la Hollande devait récupérer ses limites de 1790, et à cette époque la Flandre zélandaise appartenait aux Provinces-Unies. Le jour où la Belgique avait accepté l'intervention de la diplomatie européenne, elle avait implicitement, et malgré ses protestations, renoncé à la rive gauche de l'Escaut. Les réclamations ultérieures étaient tardives.
Les propositions de notre gouvernement relatives au Luxembourg étaient plus rationnelles. A l'Allemagne, il offrait de maintenir les traités et de laisser au chef-lieu de la province son caractère de forteresse fédérale. Au roi des Pays-Bas et à ses successeurs, dans l'ordre du pacte de famille de 1783, il offrait à titre d'indemnité une rente annuelle de cent quatre-vingt dix mille florins (frs. 402,116,38). Ainsi (page 177) que nous l'avons vu, c'était l'évaluation à laquelle le gouvernement néerlandais s'était lui-même arrêté en 1816, dans la prévision de la séparation éventuelle du Grand-Duché. Il importe d'ailleurs de remarquer que l'adjonction du Luxembourg eût augmenté la portion à supporter par la Belgique dans les anciennes dettes et dans les dettes communes.
Mais les dissentiments relatifs à la question territoriale n'étaient pas seuls à diviser les deux peuples. Le désaccord n'était pas moins tranché à l'égard de la question financière.
Dans les dix-huit articles, la Conférence avait proposé la base suivante : « Chacun des deux pays supportera les dettes qu'il avait contractées avant l'établissement du royaume des Pays-Bas ; les dettes contractées en commun, depuis l'établissement de ce royaume, seront divisées dans une juste proportion. » En principe, le gouvernement belge admettait ce système de la Conférence. Dans un projet annexé à sa note du 25 septembre, M. Van de Weyer offrait de prendre à notre charge, outre les anciennes dettes de nos provinces, la moitié des dettes légalement contractées depuis l'établissement du royaume des Pays-Bas jusqu'au ler octobre 1830 ; mais, en même temps, il demandait qu'il fût tenu compte des dépenses faites par le trésor des Pays-Bas dans l'intérêt exclusif de la Hollande, des sommes consacrées à l'amortissement d'une partie des dettes personnelles à celle-ci, des nombreuses aliénations de biens domaniaux faites en Belgique, ainsi que des objets existants, au moment de la révolution, dans les arsenaux, les chantiers de constructions, les fonderies de canons et les autres établissements militaires. II exigeait encore le partage de la flotte construite à frais communs, la liquidation des sommes trouvées dans les caisses publiques, le remboursement des sommes versées par les Belges dans la caisse des consignations, la restitution des cautionnements fournis par des comptables belges, une part des sommes votées par la France pour la liquidation de l'arriéré français et la dotation de la légion d'honneur, plus un compte exact des opérations du syndicat d'amortissement. Il terminait son message par une demande en réparation des dommages causés par le bombardement d'Anvers, la rupture des digues de l'Escaut et l'invasion du mois d'août (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 112 et 113).
(page 178) Quoique la plupart de ces demandes fussent fondées en raison et en équité, les plénipotentiaires hollandais leur opposaient une résistance insurmontable.
Les premières propositions du cabinet de La Haye, formulées dans une note du 5 septembre, consistaient à dire à la Belgique : « Chargez-vous de 16/31 parts de toutes les dettes du royaume des pays » Bas, tant de celles originairement contractées par la Hollande que de celles contractées en commun. En considération de ce partage, nous vous accorderons la jouissance de la navigation et du commerce aux colonies hollandaises, sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande » (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 58 et 59).
Ces propositions n'étaient pas sérieuses. Lors de la réunion des deux pays, la Hollande avait à sa charge 575,153,530 florins de dette active et 1,146,507,061 florins de dette différée (Compte officiel du 2 octobre 1815). Pendant les quinze années de la réunion, la Belgique avait annuellement fourni une somme de sept millions de florins pour le paiement des intérêts de l'ancienne dette hollandaise. Elle avait en outre contribué à l'amortissement de 2,830,000 florins de dette active et de 565,000 florins de dette différée. Ces sacrifices devaient suffire. Les obligations jadis contractées par sa rivale lui étaient désormais étrangères.
M. Van de Weyer répondit avec raison que les Belges ne pouvaient consentir à sacrifier annuellement plusieurs millions de florins en échange d'un droit de commerce et de navigation dont la Hollande seule réglerait l'exercice. En effet, les Hollandais étant exclusivement en possession de l'administration civile et militaire des colonies, il dépendait d'eux de rendre illusoires les droits accordés aux Belges, soit par des tracasseries administratives, soit en accordant à d'autres nations des avantages analogues (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 70).
Les plénipotentiaires hollandais comprenaient eux-mêmes que leur projet n'était pas de nature à recevoir un accueil favorable. Le 26 septembre, revenant sur leurs pas, ils firent à la Conférence la proposition. suivante : « Que les deux parties se retirent avec ce qu'elles ont apporté dans la communauté, et qu'elles supportent dans une juste proportion (par exemple celle de la population) les dettes faites en commun. »
A l'égard des dettes originairement contractées par chacun des deux pays, ce nouveau projet était inattaquable ; mais, pour les dettes contractées depuis l'établissement du royaume des Pays-Bas, il s'écartait des notions les plus élémentaires de la justice distributive. La population de la Belgique étant à peu près double de celle de la Hollande, le projet mettait en réalité les deux tiers de la dette des Pays-Bas à notre charge ; tandis que les colonies, les travaux publics et les besoins exclusifs de la Hollande avaient absorbé les sept huitièmes des emprunts levés en commun. D'ailleurs, ici encore on oubliait que, pendant quinze années, la Belgique avait supporté sa part du fardeau écrasant de l'ancienne dette hollandaise.
Ainsi, là où M. Van de Weyer proposait un partage par moitié, les plénipotentiaires néerlandais proposaient un partage en rapport avec le chiffre de la population. Mais cette dissidence n'était pas la seule. Le désaccord existant pour les bases mêmes de la répartition se retrouvait dans les détails. Les plénipotentiaires hollandais s'élevaient avec force contre l'insertion du mot « légalement » dans les propositions de M. Van de Weyer : « Vouloir entrer dans des spécialités, disaient-ils, disséquer, pour ainsi dire, une administration de quinze années, rechercher ce qui paraît légal ou non, et cela pour des faits accomplis à la suite de votes libres des députés de la nation, ce serait viser à un but impossible à atteindre ; ce serait heurter toutes les notions du gouvernement représentatif, et remettre en discussion tous les budgets et toutes les mesures administratives et financières qui ont formé, pendant quinze années, le régime économique du royaume »(Recueil de pièces diplomatiques, t. Il, p. 51).
Ils admettaient la nécessité d'une liquidation pour les sommes déposées à la caisse des consignations, pour les cautionnements fournis par les Belges, pour les charges imposées aux caisses de retraite, pour les sommes trouvées dans les caisses publiques au moment de la séparation ; mais, pour tous les autres chefs de demande, ils s'opposaient formellement à une transaction quelconque. Quant aux indemnités réclamées pour les inondations des polders, l'incendie d'Anvers et les pertes causées par l'invasion, ils répondaient que la Hollande « serait plutôt (page 180) fondée à demander des indemnités pour les inondations morales que la révolte en Belgique avait exercées sur la valeur des effets publics et des propriétés, diminuée de plus d'un tiers » (Recueil de pièces diplomatiques, t. II, p. 60. - Paper's relative to the affairs of Belgium, A, p. 115).
Il serait aussi fastidieux qu'inutile d'analyser plus longuement les notes, les mémoires, les projets et les articles présentés de part et d'autre à l'appui du système qu'on cherchait à faire prévaloir. Pour la délimitation du territoire, de même que pour le partage des dettes, les agents des deux gouvernements étaient chaque jour plus loin de s'entendre. « La Hollande disait : je veux reprendre mes anciennes limites et ne veux pas reprendre mes anciennes dettes en entier. La Belgique disait : je veux m'approprier une partie de l'ancien territoire hollandais, et ne veux rien supporter dans les anciennes dettes hollandaises. La Hollande voulait le partage des territoires sur le pied de 1790, le partage des dettes sur le pied de 1830 ; la Belgique, le partage des territoires sur le pied de 1830, et celui des dettes sur le pied de 1790. Dans le partage des dettes, la Hollande prétendait représenter les provinces septentrionales (du royaume des Pays-Bas) ; dans le partage des territoires, l'ancienne république. Dans le partage des dettes, la Belgique voulait représenter les Pays-Bas autrichiens ; dans le partage des territoires, les provinces méridionales... Il y avait de part et d'autre vice de logique » (Nothomb, Essai, p. 202, 3e éd). De plus, il régnait dans la correspondance des plénipotentiaires des deux peuples un ton d'aigreur et d'irritation qui ne permettait pas d'espérer un rapprochement.
Que devait faire la Conférence ? Par des prodiges d'adresse et un concours heureux de circonstances, la paix de l'Europe avait été maintenue ; mais le différend hollando-belge pouvait chaque jour amener un désaccord entre les puissances, et par suite une conflagration générale.
La Conférence le savait, et cette conviction lui imposait le devoir de prendre un parti définitif. Mais lequel ?
Fallait-il se contenter du rôle de médiateur et. permettre aux deux parties de débattre indéfiniment leurs prétentions contradictoires' ! C'eût été consentir à un ajournement illimité.
Fallait-il autoriser les gouvernements rivaux à s'en rapporter au (page 181) sort des armes ? Ce moyen eût directement amené le dissentiment des puissances et la guerre générale.
Fallait-il tenter un dernier effort auprès du roi des Pays-Bas, pour obtenir son assentiment aux préliminaires de paix (dix-huit articles) ? L'expérience n'avait que trop prouvé que toute tentative de ce genre était inutile ; et d'ailleurs cet assentiment même n'eût pas résolu les questions importantes que les dix-huit articles réservaient à une négociation séparée entre les deux peuples.
Il faut bien en convenir, la Conférence de Londres, sous peine de faillir à sa mission et à l'attente de l'Europe, devait elle-même résoudre les difficultés, en offrant aux deux parties un projet de traité complet. Ce fut le parti qu'elle prit dans sa séance du 26 septembre.
Dans le protocole de ce jour, les plénipotentiaires déclarèrent que, désespérant de voir les propositions des deux gouvernements se rapprocher sur un seul point, et ne voulant pas, au détriment des intérêts généraux, prolonger indéfiniment un état d'hostilité et de malheur, la Conférence avait reconnu la nécessité de puiser dans ses propres informations les éléments d'une série d'articles qui pussent servir de base à un traité définitif, satisfaire à l'équité et sauvegarder les intérêts de l'Europe. Le projet devait être arrêté dans une prochaine séance.
Le parti était sage ; mais, en assumant cette immense responsabilité, la Conférence s'imposait à elle-même l'obligation de s'entourer des lumières nécessaires et de se rappeler ses engagements antérieurs. Plus la sphère où siège le tribunal est élevée, plus ses décisions présentent d'importance, et plus il doit se mettre en mesure de rendre sa sentence en parfaite connaissance de cause. En choisissant, eu plein dix-neuvième siècle, le rôle d'une sorte de tribunal amphictyonique, la Conférence avait pour premier devoir de conformer ses arrêts à toutes les exigences de la justice distributive. Il s'agissait de l'honneur, des intérêts et de l'avenir de deux peuples libres, l'un et l'autre dignes de toutes les sympathies de l'Europe.
Les plénipotentiaires réunis à Londres dédaignèrent de se placer à cette hauteur.
Dans la question du territoire, ils oublièrent les engagements contractés envers le prince Léopold et le peuple belge par le protocole du 26 juin 1831 ; dans le partage des dettes, ils acceptèrent purement et simplement les renseignements erronés et incomplets fournis par les plénipotentiaires hollandais.
(page 182) Ce fut ainsi que, dans sa séance du 14 octobre 1831, la Conférence formula un projet de traité devenu célèbre sous le nom de Vingt-Quatre Articles.
Les conséquences de ce projet furent tellement importantes pour]a Belgique, elles exercèrent sur la constitution territoriale et financière du jeune royaume une influence tellement décisive, qu'il est indispensable d'entrer dans tous les détails des opérations et des calculs de la Conférence.
Les questions à résoudre se classaient en deux grandes catégories.
Les unes étaient relatives au partage des dettes, les autres concernaient le territoire.
Depuis le mois de décembre 1830, la Conférence avait plusieurs fois réclamé du plénipotentiaire belge des renseignements positifs sur les dettes du royaume des Pays-Bas ; elle n'avait jamais obtenu que des données vagues ou imparfaites. Voulant mettre un terme au débat, elle prit le parti de réclamer des agents du cabinet de La Haye les informations officielles que le représentant du gouvernement belge n'était pas en état de lui fournir (Note de bas de page : Depuis la publication de la première édition, les sept lignes qui précèdent et qui ne sont que le résumé des protocoles de la Conférence ont été vivement contestées par M. Lion, ancien secrétaire général du département des finances. (Voy. à l'Appendice, L. M, l'intéressante lettre que M. Lion a daigné nous adresser)).
Par une lettre du 30 septembre, la Conférence invita les plénipotentiaires hollandais à lui communiquer des renseignements officiels dont ils pussent garantir l'exactitude :
1° Sur le montant et l'intérêt des diverses dettes contractées, depuis la réunion de la Belgique à la Hollande, par le Royaume-Uni des Pays-Bas, en vertu de lois consenties par les États Généraux ;
2° Sur le montant des charges du service de la dette totale du Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après les derniers budgets consentis par les États Généraux (Note de bas de page : Annexe an protocole du 30 septembre 1831).
En réponse à cette invitation, MM. Falck et de Zuylen de Nyvelt adressèrent à la Conférence les deux tableaux suivants, dont ils garantissaient l'exactitude.
(page 183) N° 1. - TABLEAU DES DETTES CRÉÉES DEPUIS LA FORMATION DU ROYAUME DES PAYS-BAS JUSQU'EN 1830.
(A) Inscriptions au grand-livre à 2 1/2 pour cent.
Pour réclamations particulières liquidées à la charge du trésor. . . . . . fl. 14,136,836
(« Il y a lieu de croire que ces réclamations, connues sous le nom d' arrière des Pays-Bas (Nederlandsche Achterstand) provenaient à peu près par parties égales des provinces du nord et de celles du midi, mais cela peut être ultérieurement vérifié. » (Note des plénipotentiaires hollandais.))
En vertu de la loi du 31 décembre 1819…………………………….. fl. 23,083,000*
En vertu de la loi du 24 décembre 1820……………………………...fl. 7,788,000*
En vertu de la loi du 22 août 1822……………………………………fl. 56,902,000*
En vertu de la loi du 27 décembre 1822………………………………fl. 67.292,000*
En vertu de la loi du 3 mai 1825……………………………………….fl. 12,605,000*
(* : Déduction faite des sommes déjà amorties)
Sur quoi il faut déduire, pour l'annulation ordonnée par la loi du 24 décembre 1829 : fl. 14,000,000
Reste : fl. 181,806,836.
(B) Obligations du syndicat d'amortissement, à 4 1/2 pour cent.
En vertu de la loi du 27 décembre 1822 : ……………………………..fl. 110,000,000
(« N. B. Les rentes remboursables sur les domaines, créées par la même loi (Domein losrenten), étant susceptibles de liquidation en rapport avec cette hypothèque spéciale, sont ici portées pour mémoire. » (Note des mêmes.) )
(C) Obligations du syndicat d'amortissement, à 3 1/2 pour cent
En vertu de la loi du 27 mai 1830………………………………………fl. 30,000,000
N° 2. - TABLEAU DES CHARGES DE LA DETTE PUBLIQUE DU ROYAUME DES PAYS-BAS.
Intérêts de la dette à 2 1/2 pour cent : ………………………………….fl. 19,272,275
(« Dans cette somme les intérêts des 167,806,836 fl. de dettes à 2 1/2 pour cent, contractés pendant la réunion, figurent pour une somme de rente de 4,195,145 fl. » (Note des mêmes) )
Syndicat d'amortissement à 4 1/2 pour cent…………………………….fl. 4,950,000
Obligations à :3 1/2 pour cent …………………………………………..fl. 1,050,000
Fonds d'amortissement…………………………………………………..fl. 2,500,000
Total : ……………………………………………………………………fl. 27.772,275
(page 184) Tout en reproduisant assez exactement les chiffres, ces tableaux étaient dressés de manière à faire commettre à la Conférence les erreurs les plus préjudiciables à la Belgique.
L'emprunt de 30 millions de florins, à 1/2 %, autorisé par la loi du 27 mai 1830, n'était que la conversion d'un emprunt de 35 millions, à 4 1/2 %, contracté pour les colonies des Indes-Orientales. Les véritables débitrices étaient ces colonies ; la mère-patrie n'avait rempli que le rôle de caution. Cette dette n'avait jamais figuré au budget général du royaume des Pays-Bas. Les colonies restant à la Hollande, la Belgique ne pouvait être grevée de la moitié de leurs dettes. Or, dans les tableaux fournis par M. Falck et de Zuylen, ces trente mimons de florins (63,492,060,00 fr.) étaient indiqués comme dette de la communauté (Note de bas de page : Voy. les lois du 23 mars 1826, du 22 mars 1827, du 27 décembre 1828 et du 27 mai 1830, et l'arrêté royal du 1er juin 1830. - Dumortier, Observations complémentaires sur le partage des dettes des Pays-Bas, p. 57 à 60. - Rapport fait à la Chambre des représentants et au Sénat, par le ministre des Affaires étrangères (Comte de Theux), le 1er et le 2 février 839, p. 111)
L'emprunt de 110 millions, à 4 1/2 %, contracté par le syndicat d'amortissement des Pays-Bas, en vertu de la loi du 27 décembre 1822, n'était qu'une opération financière ayant pour but de convertir l'ancienne dette hollandaise (dette différée) en emprunt du syndicat. Or, comme une dette ne change ni de nature ni d'origine quand elle subit une conversion, ces 110 millions représentaient évidemment une valeur équivalente de l'ancienne dette hollandaise : ce n'était pas, une dette contractée depuis la formation du royaume des Pays-Bas. Et cependant, dans les tableaux des plénipotentiaires hollandais, ces 110 millions (232,804,220 fr.) figuraient également comme dette de la communauté ! (Note de bas de page : Ici tout était inexact et erroné dans les prétentions de M. Falck et de Zuylen. Pas plus que l'emprunt pour les colonies, cette dette n'avait jamais figuré ni au budget de l'État, ni dans le tableau officiel de la dette du royaume. L'emprunt avait été contracté, non par l'Etat, mais par le syndicat d'amortissement. C'était le syndicat et non l'État qui en soldait les intérêts. Si la Hollande avait quelques prétentions à faire valoir de ce chef, elle pouvait les produire dam la liquidation du passif du syndicat. D'ailleurs, en 1830, on avait émis tout au plus 87 millions, et non pas 110 millions de florins. Voy. le Rapport du ministre des Affaires étrangères, cité ci-dessus, et Dumortier, Observations, etc., p. 49 à 27. M. Dumortier a victorieusement répondu à toutes les objections des défenseurs de la Hollande.)
(page 185) Ce n'est pas tout. Parmi les inscriptions au grand-livre, à 2 1/2 %, MM. Falck et de Zuylen plaçaient un emprunt de 67,292,000 florins (142,226,453 fr.), décrété par la loi du 27 décembre 1822. Cette somme de. 67,292,000 fl. était destinée au payement des pensions et autres dépenses extraordinaires du trésor ; mais la loi du 27 décembre 1822 avait exigé que l'émission de l'emprunt ne fût effectuée qu'au fur et à mesure des besoins. Or, 25 millions tout au plus avaient été émis au moment de la séparation des deux pays. A cette date, 42 millions non négociés se trouvaient dans la caisse du syndicat d'amortissement. Un emprunt n'étant consommé qu'au jour de son émission, ces 42 millions devaient évidemment être décomptés du capital. Et cependant les 67,292,000 fl. figuraient en totalité dans le tableau des capitaux et dans le tableau des rentes dressés par les négociateurs de La Haye (Note de bas de page : Rapport du ministre des Affaires étrangères, p. 102 et suiv. - Dumortier, Observations, p. 38 à 48. - De la politique du moment en Belgique, suivie de la question de la dette hollandaise, par J. Meeus, p. 56 et suiv. D'autres réflexions critiques se présentent à l'occasion du chiffre de 14,136,836 fl., indiqué du chef de réclamations particulières liquidées à charge du trésor. Ce chiffre représentait la dette connue sous le nom d'arriéré des Pays-Bas (Nederlandsche achterstallen). L'arriéré se composait, pour les neuf dixièmes au moins, de dettes contractées par la Hollande avant sa réunion à la Belgique. Il est vrai que, dans une note jointe à leur tableau, MM. Falck et de Zuylen admettaient une liquidation ultérieure (V. Rapport du ministre des Affaires étrangères, p, 100 et 101).
Le plénipotentiaire belge a-t-il eu connaissance des documents produits par ses adversaires ? S'est-il empressé de signaler à la Conférence toutes les erreurs commises par MM. Falck et de Zuylen ? A-t-il protesté contre l'admission de cette somme énorme de 438,522,733 francs, indûment placée au nombre des dettes contractées par le royaume des Pays-Bas ? A-t-il eu avec les membres de la Conférence des communications verbales, en dehors des explications consignées dans les documents diplomatiques ? Ce qui est malheureusement incontestable, c'est que la Conférence, en procédant à son arbitrage, admit que les dettes de la communauté présentaient les totaux suivants :
Dettes à 2 1/2…………………. fl. 167,806,836
Dettes à 3 1/2…………………..fl. 30,000,000
Dettes à 4 1/2…………………..fl. 110,000,000
(page 186) Les notions de la Conférence à l'égard des dettes originairement contractées par la Belgique n'étaient ni plus exactes ni plus complètes. L'ancienne dette constituée des provinces belges, en y comprenant la valeur de la dette différée, représentait 500,000 fl. (634,920,60 fr.) de rente. A cette dette, incombant incontestablement à la Belgique, la Conférence ajouta 450,000 fl. de rente (952,380,95 fr.), pour la dette liquidée à charge du trésor des Pays-Bas sous le nom de dette austro-belge. Mais celle-ci n'était pas d'origine belge ! C'était une dette personnelle de l'Autriche, contractée jadis dans nos provinces pour subvenir aux besoins des États autrichiens de l'empereur d'Allemagne, engagé dans une guerre coûteuse avec les Turcs. Elle n'avait été ni contractée par la Belgique ni hypothéquée sur son sol. La France, par les traités de Lunéville et de Campo-Formio, avait formellement écarté tout ce qui concernait la dette austro-belge. Si le roi des Pays-Bas, par une convention du 11 octobre 1815, avait pris cette dette à charge des finances de son royaume, ce n'a pu être qu'à titre de dette nouvelle provenant de l'application des traités, et nullement à titre de dette ancienne d'un des pays soumis à sa souveraineté. La dette austro-belge était tout au plus un fait de la communauté, et par suite la Belgique ne devait en supporter que la moitié, ou 225,000 fl. de rente. En ajoutant à cette dernière somme la rente de 500,000 fl., représentant la dette exclusivement belge, on arrivait à 5215,000 fi. de rente. Or, comme nous le verrons plus loin, la Conférence nous attribua une rente de 750,000 fl. (Rapport précité, p. 115 et suiv.)
Dans les calculs de la Conférence, on voit aussi figurer, à la charge exclusive de la Belgique, 2,000,000 fl. (4,252,804,23 fr.) de rente provenant du grand-livre de l'Empire français. C'était encore une erreur grave. Au moment de la révolution de 1830, aucune dette de ce genre ne pesait sur la Belgique. Aucun des budgets présentés aux États Généraux des Pays-Bas, aucun des tableaux officiels de la dette nationale n'en fait mention. En 1830, la dette belge inscrite au grand-livre de l'Empire français se trouvait, depuis plusieurs années, éteinte par des remboursements opérés au moyen de compensations diverses. En fait, cette dette n'existait plus que dans l'imagination des membres de la Conférence (Rapport précité, p. 116. - Dumortier, La Belgique et les vingt-quatre articles, p. 45. Le même, Observations complémentaires, p. 69 à 79).
(page 187) Tous ces faits si graves sont attestés par le protocole du 6 octobre 1831, que nous allons analyser.
Après avoir constaté que les plénipotentiaires des Pays-Bas garantissaient l'exactitude des tableaux qu'ils avaient fournis, et que par conséquent, si ces tableaux se trouvaient inexacts malgré cette garantie formelle, les cinq cours seraient par là même en droit de regarder comme non-avenus les résultats des calculs auxquels ces documents auraient servi de base, la Conférence rend compte des opérations du partage dans les termes suivants :
« ... La Conférence a jugé équitable que les dettes contractées pendant la réunion du royaume des Pays-Bas fussent partagées entre la Hollande et la Belgique dans la proportion de 15/30, ou par moitié égale pour chacune.
« La rente annuelle de la totalité des dettes susdites se montant en nombres ronds à 10,100,000 florins des Pays-Bas, il résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5,050,000 florins.
« De plus, la dette austro-belge ayant appartenu exclusivement à la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, il a été également jugé équitable que cette dette pèse exclusivement sur la Belgique à l'avenir. .
« L'intérêt à 2 1/2 pour cent de la partie dite active de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la partie dite différée, étant évalués en nombres ronds à 750,000 florins des Pays-Bas de rente annuelle, la Belgique aurait à supporter de ce second chef un autre passif de 750,000 florins de rentes.
« La Conférence, procédant toujours d'après les règles de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les principes et les vues qui la dirigent, qu'une autre dette, qui pesait originairement sur la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, savoir, la dette inscrite pour la Belgique au grand-livre de l'Empire français, et qui, d'après ses budgets, s'élevait par aperçu à 4 millions de francs ou 2 millions de florins des Pays-Bas de rente, fût mise encore maintenant à la charge du trésor belge. Le passif dont la Belgique se chargerait de ce troisième chef serait donc de 2 millions de florins des Pays-Bas de rente annuelle.
« Enfin, eu égard aux avantages de commerce et de navigation dont la Hollande est tenue de faire jouir les Belges, et aux sacrifices de (page 188) divers genres que la séparation a amenés pour elle, les plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté aux trois points indiqués ci-dessus une somme de 600,000 florins de rente, laquelle formerait, avec ces passifs, un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas.
« C'est donc d'une rente annuelle de 8,400,000 florins, que la Belgique doit rester définitivement chargée, par suite du partage des dettes publiques du Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après l'opinion unanime de la Conférence.
« D'autre part, les plénipotentiaires des cinq cours ont observé que, le syndicat d'amortissement institué dans le royaume des Pays-Bas ayant contracté des dettes dont les intérêts ont été portés pour moitié à charge de la Belgique, mais ayant aussi, d'après la nature même de son institution, des comptes à rendre, et un actif pouvant résulter de ces comptes, la Belgique devait participer à cet actif, dès qu'il serait établi moyennant une liquidation, dans la proportion dans laquelle elle avait participé à l'acquittement des contributions directes, indirectes et accises du royaume des Pays-Bas.
« Ce qui a achevé de déterminer la Conférence dans cette occasion, c'est que, fondant ses décisions sur l'équité et considérant le montant des charges du service de la dette totale du Royaume-Uni des Pays-Bas, elle trouve que ce montant s'élève en nombres ronds à 27,700,000 florins de rente, et que, par conséquent, la Belgique, pendant la réunion, a contribué à l'acquittement de cette rente dans la proportion de 16/31, c'est-à-dire pour 14 millions de florins ; que maintenant, avec le bénéfîce de la neutralité, elle n'aura à acquitter pour sa part que 8,400,000 florins de rente ; et que, d'un autre côté, par suite du mode de payement adopté par la Conférence, la Hollande elle-même obtient un dégrèvement considérable, qui peut servir à satisfaire aux diverses réclamations qu'elle a élevées » (Note de bas de page : Papers relative to the affairs of Belgium , A, p. 130. Le dernier aliéna de ce manifeste est encore le produit d'une erreur. Ce n'était pas à 27,000,000 fl. de rente, mais à 17,265,267 fl. que s'élevait le service de la dette des Pays-Bas).
On le voit : la Conférence avait pris pour système de faire supporter à chaque pays ses dettes originaires, plus la moitié des dettes de la communauté. Or, d'après cette base de répartition, la Belgique ne devait être chargée que de 2,215,000 fl. de rentes, savoir :
(page 189) Ancienne dette des provinces méridionales………….. fl. 300,000
Moitié de la dette austro-belge…………………………………….fl. 225,000
Moitié des dettes réelles de la communauté (déduction faite des capitaux amortis et de la partie non émise de l'emprunt de 67,292,000 fl.)……………………………………………….fl. 1,690,000
Total : ………………………………………………………………fl. 2,215,000
En ajoutant même à cette somme les 600,000 florins de rente que la Conférence imposait à]a Belgique, en retour des avantages commerciaux accordés à nos compatriotes, on n'arrivait qu'au chiffre de 2,815,000 florins, tandis que la Conférence, induite en erreur par des renseignements incomplets et vicieux, nous imposait une rente de 8,400,000 florins, c'est-à-dire de 17,777,777 francs. Mais l'adjonction de ces 600,000 florins était encore une injustice. Faciliter les relations commerciales des deux peuples, ce n'était pas imposer un sacrifice à la Hollande. Nous ne sommes plus au temps où il était nécessaire de prouver que les relations de cette nature produisent inévitablement des avantages réciproques (Note de bas de page : Voy, les calculs de la commission belge instituée par le ministre des Finances, le 9 juin 1833, pour l'examen des questions financières en rapport avec le traité des vingt-quatre articles. La commission, était composée de MM. d'Huart, Fallon, Ch. De Brouckere, Dumortier et A. Du Jardin, - Le rapport de la commission se trouve annexé au rapport précité du ministre des Affaires étrangères).
Dans la solution du problème territorial, la Conférence ne fut ni plus heureuse ni plus juste. Elle nous enlevait la partie la plus belle et la plus fertile du Luxembourg, et l'autre ne nous était laissée qu'à titre d'échange contre une partie bien plus considérable et plus riche du Limbourg.
Si la Conférence ne voulait tenir compte ni de la loi du 25 mai 1816, ni des offres d'indemnité pécuniaire faites par la Belgique ; si, à ses yeux, la famille d'Orange-Nassau devait conserver une partie du Luxembourg en échange des quatre principautés cédées à la Prusse, il fallait du moins opérer l'échange sur le pied d'une égalité. Les petits Etats de Nassan-Dillenbourg, Hadamar, Siegen et Dietz avaient une population de 120,000 habitants ; tandis que les vingt-quatre articles transformaient en sujets hollandais 170,296 Luxembourgeois. C'était (page 190) déjà un excédant de plus de 50,000 âmes. Pourquoi donc ajouter à la meilleure partie du Luxembourg la meilleure partie du Limbourg ? Pourquoi mutiler l'une de nos provinces pour nous laisser quelques cantons d'une autre ? On dira peut-être que le Luxembourg tout entier avait été donné en échange des principautés de Nassau. Mais qu'on se rappelle que l'adjonction des provinces belges à la Hollande avait eu lieu par le traité de Londres du 20 juin 1814, et que si, l'année suivante, par l'article 57 du traité de Vienne, Guillaume fut créé grand-duc de Luxembourg, c'était moins comme prince de Nassau que comme souverain des provinces belges dont le Luxembourg faisait partie, Nous l'avons déjà dit : au lieu de prendre pour objet de l'échange la province de Luxembourg, les diplomates de Vienne pouvaient indiquer tout aussi bien le Hainaut, le Brabant, la Belgique entière. Quant aux droits du prince Frédéric, la Conférence n'avait pas à s'en occuper ; le prince y avait renoncé à deniers comptants, et les Belges offraient même de doubler la somme.
Dans le Limbourg, l'injustice des procédés de la Conférence n'était pas moins manifeste. Les enclaves hollandaises renfermaient tout au plus une population de 59,718 âmes ; c'étaient en général des communes peu importantes. Or, sous prétexte d'arriver à la contigüité du territoire et d'accorder au roi grand-duc une indemnité complémentaire, la Conférence joignait à la Hollande un pays magnifique, la forteresse de Maestricht et une population de 200,000 âmes ! La population totale de la province était de 528,286 âmes ; les possessions de la Hollande y entraient pour deux onzièmes, tandis que la Conférence lui adjugeait plus de la moitié ! On nous laissait, il est vrai, quelques villages de Rédemption ; mais la Hollande conservait dans le Brabant septentrional le comté de Meghen et la seigneurie de Bockhoven, dont l'importance était au. moins égale (Note de bas de page : Nous avons dit que les vingt-quatre articles attribuent à la Hollande la meilleure partie du. Luxembourg. Le protocole du 15 octobre donne à la Hollande un territoire de 261,784 hectares, avec une population de 170,296 âmes, y compris la ville de Luxembourg ; il accorde à a Belgique un territoire de 438,053 hectares avec une population de 164,878 âmes. Ces chiffres ne détruisent pas notre affirmation. La Belgique obtient, il est vrai, une population à peu près égale, avec un territoire presque double ; mais il importe de remarquer que la partie belge du Luxembourg comprend l'ancien duché de Bouillon, qui n'avait pas été attribué au roi Guillaume en compensation de ses propriétés nassauviennes, et qui n'avait pas été destiné en 1814 à entrer dans la Confédération germanique (art. 67 du Iraité de Vienne). Il y a donc de ce chef une population de 15,657 âmes à décompter du lot de la Belgique. Quant à la superficie territoriale, si la part attribuée à Belgique est plus étendue, celle donnée à la Hollande est infiniment plus fertile et plus riche. M. Dubois a recueilli à ce sujet des renseignements statistiques irrécusables (Les vingt-quatre articles et le Luxembourg, p. 50 et s.).
(page 191) Tels étaient les arrangements financiers et territoriaux que la Conférence formula en vingt-quatre articles, annexés à son protocole du 14 octobre 1831 (V. le texte complet des vingt-quatre articles à l’Appendice).
En comparant ces vingt-quatre articles au protocole du 26 juin (dix-huit articles), on s'aperçoit qu'un pas immense a été fait au détriment de la Belgique.
Les dix-huit articles admettaient, sous la médiation des cinq cours, une négociation séparée entre la Belgique et la Hollande. Ils proclamaient la libre navigation de l'Escaut. Ils se référaient aux règles de la justice et de l'équité pour le partage des dettes et l'échange des enclaves. Ils n'écartaient en aucune manière l'offre d'une indemnité pécuniaire pour la conservation du Luxembourg et de la ville de Maestricht.
Dans les vingt-quatre articles, tous les points en discussion sont tranchés au préjudice de la Belgique. Notre territoire est odieusement mutilé, et plus de 350,000 de nos concitoyens sont replacés sous la domination hollandaise. L'Escaut n'est déclaré libre qu'à charge de payer une redevance à la Hollande. La Belgique est chargée de la somme énorme de huit millions quatre cent mille florins des Pays-Bas de rentes. Ses réclamations relatives à la flotte et aux autres richesses acquises en commun sont rejetées. Toute indemnité lui est refusée pour les dégâts de la guerre et le bombardement d'Anvers. La Nouvelle-Guinée et les îles avoisinantes, acquises pendant la réunion, restent à la Hollande. On impose à la Belgique la moitié des dettes contractées pour les colonies néerlandaises, sans même lui garantir le libre accès de ces belles et riches possessions. On lui impose la moitié des charges de la communauté, et l'on abandonne tout l'actif de cette même communauté à la Hollande ! Le seul avantage positif que la Belgique conserve dans les vingt-quatre articles, c'est sa neutralité perpétuelle sous la garantie des puissances.
(page 192) En transmettant les vingt-quatre articles aux plénipotentiaires belges et hollandais, les membres de la Conférence y ajoutèrent deux notes qui méritent une attention spéciale ; l'une et l'autre sont datées du 15 octobre.
Dans la première, les représentants des cinq cours débutaient par l'énumération des motifs qui les avaient guidés. Ne pouvant abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution immédiate était devenue un besoin pour l'Europe ; forcés de résoudre ces questions sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale, ils n'avaient fait, disaient-ils, que respecter la loi suprême d'un intérêt européen du premier ordre. Ils ajoutaient qu'ils n'avaient fait que céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un arrangement définitif que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, avait cherché en vain dans les propositions chaque jour plus inconciliables des deux nations rivales. Aussi, en invitant notre plénipotentiaire à signer les vingt-quatre articles, annexés au protocole, lui firent-ils remarquer : 1° que les vingt-quatre articles auraient toute la force et la valeur d'une convention solennelle entre le roi des Belges et les cinq puissances ; 2° que les cinq puissances en garantissaient l'exécution ; 3° qu'une fois acceptés par les deux parties, ils seraient insérés mot pour mot dans un traité direct entre la Belgique et la Hollande ; 4° que ce traité, signé sous les auspices de la Conférence de Londres, serait placé sous la garantie formelle des cinq puissances ; 5° que les vingt-quatre articles formaient un ensemble et n'admettaient pas de séparation ; 6° que ces articles contenaient les décisions finales et irrévocables des cinq puissances, d'un commun accord, étaient résolues à amener elles-mêmes l'acceptation pleine et entière desdits articles par la Hollande, si celle-ci venait à les rejeter (Note de bas de page : Recueil de pièces diplomat. , t. II, p. 92 et suiv.)
La seconde note, tout en renouvelant implicitement ces déclarations, avait surtout en vue de prévenir le renouvellement des hostilités. Les membres de la Conférence y proclamaient que « les cinq cours avaient pris la ferme détermination de s'opposer par tous les moyens en leur pouvoir au renouvellement d'une lutte qui, devenue sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs et (page 193) menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des cinq cours était de prévenir » (Recueil de pièces diplom., t. II, p. 95). Que les plénipotentiaires des cinq puissances, désespérant d'obtenir des Belges et des Hollandais des propositions concordantes, aient cru devoir eux-mêmes arrêter les bases d'un traité définitif, on le comprend sans peine, et il y aurait de l'injustice à les en blâmer.
Mais, nous l'avons déjà dit, il ne s'ensuit pas qu'ils fussent en droit de fouler aux pieds les exigences de la justice et les engagements contractés envers le prince Léopold et envers la Belgique. Les notions les plus élémentaires de l'équité politique exigeaient que la Hollande ne pût tirer parti d'une guerre entreprise au mépris du droit des gens et malgré les menaces de la Conférence.
Il n'y a donc rien qui doive surprendre dans les cris d'indignation qui accueillirent les vingt-quatre articles en Belgique. Il suffit de passer ces articles en revue pour avoir la conviction que les intérêts belges avaient été largement sacrifiés.
La Hollande, il est vrai, n'avait pas obtenu les provinces belges à titre gratuit : elle s'était imposé plus d'un sacrifice. L'Angleterre avait retenu le cap de Bonne-Espérance, Démerari, Essequebo et Berbice. Mais ces cessions de territoire n'étaient pas le fait de la Belgique. Celle-ci ne devait pas, à l'aide de son or, de son sol et de ses enfants, indemniser la Hollande des richesses coloniales qu'elle avait abandonnées à l'Angleterre. D'ailleurs, ainsi que M. Nothomb l'a fait observer, l'Angleterre n'avait pas garanti la Hollande contre les révolutions intérieures. Si les habitants de Démerari, du Cap, de Berbice et d'Essequebo avaient conquis leur indépendance, la Grande-Bretagne n'eût certainement pas sommé la Hollande de l'indemniser de ses pertes. La révolution belge était le fruit naturel de l'administration imprudente et partiale de Guillaume Ier. Et cependant la Conférence elle-même avoue que les sacrifices de 1814. ont été pris en considération pour aggraver les charges imposées aux Belges ! (Note de bas de page : Memorandum du 7 octobre 1831 (Recueil de pièces diplomat., t. II, 89. V. ci-dessus, p. 187-188).
La Conférence avait étrangement oublié les termes de sa note du 25 juillet (V.. ci-dessus, p. 163).