(Deuxième édition (« soigneusement revue, continuée jusqu’à l’avènement du ministère de 1855 et précédée d’un essai historique sur le royaume des Pays-Bas et la révolution de septembre »), paru à Louvain en 1861, chez Vanlinhout et Peeters. Trois tomes)
(page 87) A l'exception de deux forts dépourvus d'importance et situés à l'extrême frontière du royaume, le sol belge est désormais affranchi de la domination étrangère. Le canon de la France s'est fait entendre en notre faveur, l'Allemagne et la Russie sont restées paisibles spec¬tatrices de la lutte, et les flottes des deux premières puissances maritimes de l'Europe enchaînent le commerce de la Hollande. Une armée française, cantonnée dans les départements du nord, n'attend qu'un signal pour accourir à notre aide, tandis qu'une seconde armée, réunie dans les départements de l'est, se montre prête à répondre aux provocations de la politique allemande.
Pendant que de nouvelles négociations diplomatiques s'ouvrent sous le patronage de l'Angleterre et de la France, arrêtons-nous un instant pour jeter un coup d'œil sur la situation intérieure. Demandons-nous quel était l'état industriel et financier du pays à la suite de la révolu¬tion de septembre.
Nous l'avons déjà dit : placées sous le sceptre de la maison d'Orange, unies par les liens d'une même vie politique et administrative, élevées par leur réunion au rang de puissance continentale et maritime, la Belgique et la Hollande offraient un ensemble d'autant plus re¬marquable que chaque peuple apportait à la communauté les forces productives qui manquaient à l'autre. Les Hollandais possédaient une marine nombreuse, des colonies pleines d'avenir, un pavillon connu sur toutes les plages, des relations commerciales établies depuis des siècles, et tout un peuple de matelots. Les Belges avaient des terres fertiles, une agriculture avancée, une multitude d'agents naturels (page 88) faciles à approprier, des richesses minérales inépuisables et de plus une aptitude remarquable pour tous les travaux des diverses branches de l'industrie manufacturière. ¬
Au lieu de laisser au temps, au travail et à l'intérêt privé le soin de fondre et de féconder tous ces éléments de prospérité, Guillaume Ier, croyant à la toute-puissance de l'action gouvernementale, avait voulu hâter le mouvement à l'aide de privilèges, de subsides et de faveurs officielles. Les mesures qu'il prit dans cette sphère doivent être ex¬posées en détail, parce que leur connaissance est indispensable pour se rendre un compte exact de la crise industrielle et commerciale qui suivit la révolution de septembre.
Comme les guerres de la République et de l'Empire avaient absorbé une grande partie du capital industriel et commercial, le roi des Pays-Bas crut devoir combler le déficit à l'aide des capitaux de l'État. Une loi du 12 juillet 1821 institua le Fonds de l'industrie, composé d'une somme de 2,751,322 fr. (1,300,000 fl.), annuellement prélevée sur le produit des droits d'entrée, de sortie, de transit et de tonnage. Cette somme était destinée à soutenir et à encourager, sous forme de primes ou d'avances, les manufactures, les usines, l'agriculture et la pêche (Note de bas de page : Art. 12 de la loi. - Les organes du gouvernement disaient que la distri¬bution de primes et d'avances à certaines branches d'industrie permettrait de maintenir le tarif des douanes à un taux modéré. C'était l'un des principaux motifs allégués en faveur de l'institution. - Dans la polémique commerciale de l'époque, le « Fonds de l'industrie » est iro¬niquement désigné sous la dénomination de « Million Merlin », par allusion aux merveilles réalisées par ce personnage des romans de chevalerie du moyen âge. Les abus inévitables auxquels il donna lieu portèrent un coup sensible à la force morale du gouvernement des Pays-Bas. On avait, il est vrai, multiplié les pré¬cautions ; chaque demande devenait l'objet d'une enquête minutieuse ; on con¬sultait les conseils de régence et les chambres de commerce mais le mal, inhérent à l'institution même, triomphait de la prudence des ministres. Nous aurons néanmoins l'occasion de constater quelques résultats utiles).
Après ce premier pas, Guillaume conçut le projet de hâter, par des stimulants analogues, le développement de l'esprit d'association et d'entreprise, qui manquait à peu près complètement aux habitants des provinces méridionales. La Société Générale et la Société de Com¬merce furent créées à cette fin. Dans les vues du monarque néerlan¬dais, elles devaient surtout avoir pour résultat de répandre le goût des opérations industrielles et des expéditions lointaines.
(page 89) Comme les provinces méridionales étaient privées d'une banque d'escompte et de commerce, le siége de la Société Générale pour favo¬riser t'industrie nationale fut fixé à Bruxelles. La société s'établit au capital de 50 millions de florins (105,8211,106 fr.), composé de 20 millions de biens domaniaux cédés par le roi et de 60,000 actions de 500 florins à émettre. La plus grande latitude lui était laissée dans ses opérations ; car, indépendamment de l'émission de billets de banque et de l'escompte des effets de commerce, elle pouvait se charger du dépôt de sommes en compte courant et faire des avances sur fonds publics, sur créances, sur marchandises et même sur immeubles. Les biens domaniaux que le roi lui avait abandonnés, et qu'elle était autorisée à vendre, avaient une valeur bien supérieure au taux de l'évaluation, et cependant elle jouissait d'un terme de vingt-six années pour se libérer de cette avance.
De plus, pour vaincre toutes les hésitations des capitalistes, Guillaume fit du nouvel établissement le caissier général de l'État et se déclara personnellement responsable du paiement des intérêts des actions. Enfin, comme le public, malgré tous ces avantages, refusait son con¬cours, il prit lui-même 25,500 actions qui n'avaient pas trouvé de sous¬cripteurs (Note de bas de page : Sur 32,000 actions d'abord émises, il n'y eut demande que pour 6,500. - Les 20 millions en immeubles que le roi avait cédés à l'établissement devaient être remboursés de la manière suivante : au roi, de 1825 à 1849, une somme de 500,000 florins ; à la caisse d'amortissement, à partir de 1825, une somme de 50,000 florins, laquelle devait augmenter successivement d'année en année, jus¬qu'à ce qu'elle eût atteint le chiffre de 500,000 florins. Arrivé à ce taux, le ser¬vice devait être continué jusqu'à la dissolution de la société en 1849 (Briavoine, De l'industrie en Belgique, t. 1, p. 156). - V. à l'égard de l'établissement de la Société Générale, les arrêtés royaux du 28 août et du 13 décembre 1822, du 11 octobre 1823 et du 24 octobre 1824).
Tandis que la Société Générale avait pour mission de ranimer le crédit et de faciliter les échanges à l'intérieur, la Société de Commerce, qui lui servait en quelque sorte de complément, fut destinée à hâter le développement de toutes les branches du commerce maritime. Ses statuts lui prescrivaient de favoriser l'extension de la navigation, de la pêche, de l'industrie et de l'agriculture, en ouvrant de nouveaux débouchés et en régularisant les relations entre la mère-patrie et les colo¬nies des Indes-Orientales. L'article 11 des statuts portait que la société ne pouvait employer que des navires nationaux, et l'article 9 lui (page 90) impo¬sait l'obligation d'accorder la préférence aux produits des fabriques bel¬ges, à moins que celles-ci ne fussent hors d'état de fournir les marchan¬dises nécessaires. Elle ne pouvait naviguer que sur des navires affrétés.
Établie à La Haye, au capital de 37 millions de florins (fl. 78,506,878 44), la Société de Commerce fut dotée de larges privilèges ; car, d'une part, on lui accorda le monopole du transport de tous les objets que le gou¬vernement expédiait à ses colonies, tandis que, de l'autre, ses relations avec les établissements de l'Inde furent protégées contre la concurrence anglaise par des droits différentiels considérables. Ici encore le roi prit des actions jusqu'à concurrence de 4 millions de florins et se porta personnellement garant de l'intérêt à 4 1/2 p. c. de tous les fonds fournis par les autres actionnaires. Il s'engagea même à parfaire sa souscrip¬tion jusqu'à douze millions, si l'apathie du public nécessitait son inter¬vention ultérieure. Mais cette fois l'impulsion était donnée aux capita¬listes ; les demandes d'actions s'élevèrent à la somme, énorme à cette époque, de 69,565,250 fl.
(Note de bas de page) Un arrêté royal du 29 mars 1824 avait fixé le capital primitif à 12 millions de florins ; mais il fut porté à 37 millions par l'arrêté royal du 19 avril de la même année. - Les considérants de l'arrêté du 29 mars indiquent parfaitement le but que le roi s'était proposé d'atteindre : « Considérant que, depuis notre avènement, toutes les branches du grand commerce n'ont pas acquis l'extension et la vigueur que promettaient le rétablissement de la paix et nos rela¬tions d'amitié avec tous les peuples ; que, par une suite nécessaire de cet état de choses, la construction et l'armement des vaisseaux, de même que les manufactures et les fabriques, n'ont pas atteint le degré de prospérité dont ils étaient susceptibles ; qu'on doit regarder comme une des causes principales de ces circonstances le peu de succès qu'ont eu la navigation et le commerce avec les possessions d'outre-mer, surtout aux Indes-Orientales ;... que, pour trouver le remède, on ne doit cependant pas recourir, comme ont fait quelques autres peuples, à des systèmes de prohibition, mais plutôt à puiser, tout en maintenant la liberté de navigation pour le pavillon des Pays-Bas et pour celui de toutes les nations amies, dans la réunion efficace et bien organisée de fonds suffisants et de travaux communs, qui puissent faire reprendre à tout une nouvelle vie... » L'article 9 imposait à la Société l'obligation de développer surtout les relations commerciales avec les colonies des Indes-Orientales, les contrées environnantes et la Chine. - V. encore les arrêtés royaux du 7 et du 18 mars 1824 et du 22 juin 1827 (Fin de la note.
En plaçant ces institutions en regard du système de douanes introduit par la loi du 26 août 1822, on obtient un aperçu complet de la politique industrielle et commerciale du règne de Guillaume 1er.
De 1814 à 1822, les divers tarifs successivement mis en vigueur (page 91) dénotaient l'absence d'un système bien déterminé. Accueillant tour à tour les prétentions des industriels du midi et des négociants du nord, cédant aujourd'hui aux exigences des Belges et demain aux murmures des Hollandais, le gouvernement élevait ou abaissait le taux des droits d'entrée, sans autre mobile que le désir d'étouffer des plaintes impor¬tunes, sans autre règle que les besoins momentanés de la politique intérieure. Mais cette attitude d'hésitation, de tâtonnement et de crainte cessa en 1822. Le tarif promulgué le 26 août de cette année était le produit d'un système largement conçu, et, contrairement à ce qu'on devait attendre des idées favorites du roi, ce tarif était modéré. Sans doute, envisagé au point de vue des principes rigoureux de l'économie politique, il était loin d'être à l'abri de toute critique ; mais, pris dans son ensemble et mis en regard de la législation douanière qui régissait alors les relations commerciales des autres peuples du continent, il méritait, sans contestation possible, le prix de la modération et de la tolérance. La loi du 26 août 1822 avait pris pour règle générale et pour base la perception d'un droit de 6 à 10 p. c. Quelques articles étaient seuls par exception frappés d'un droit exorbitant (Note de bas de page : Les fers en barres étaient frappés à l'entrée d'un droit de fl. 4 25 (fr. 8 99) par 100 kil. Un autre droit de fl. 10 35 (fr. 21 90) par 100 kilo était établi sur les chaudières. Les charbons de terre étaient grevés de 8 fl. (fr. 16 93) par 100 kil., c'est-à-dire de 150 p. c. de la valeur du combustible pris aux mines belges. Malgré ces déviations des bases générales du tarif, les propriétaires des usines firent entendre des réclamations énergiques ; et ce fut pour faire cesser en partie leurs plaintes que la loi du 11 avril 1827 éleva à 8 fl. (fr. 16 93) par 100 kil. le droit d'entrée établi sur les machines à vapeur, somme équivalant à peu près au prix de ces machines en Angleterre (V. pour le système douanier des Pays-Bas, les lois du 26 août 1822, du 20 août 1823, du 8 janvier 1824, du 10 janvier 1825, du 24 mars et du 24 novembre 1826, du 11 avril et du 21 décembre 1827, du 31 mars, du 11 décembre et du 24 décembre 1828 et du 1er juin 1830 ; les arrêtés royaux du 22 septembre et du 22 octobre 1823, du 13 mai, du 11 août et du 3 octobre 1824, du 8 avril et du 12 mai 1825, du 8 février et du 4 mai 1826, du 5 mai et du 25 septembre 1827, du 1er février, du 5 mars et du 16 juin 1828, du 6 juillet et du 1er octobre 1829 et du 10 avril 1830).
On aurait tort, sans doute, de se faire illusion sur l'efficacité et les conséquences finales des mesures que nous venons de passer en revue ; mais il est incontestable que, de 1820 à 1830, l'industrie et le com¬merce des provinces méridionales firent des progrès immenses.
Au moment de la révolution, Gand comptait, indépendamment d'une foule de fabriques de toute nature, quatre-vingt-quatre établissements (page 92) consacrés à la filature, au tissage et à l'impression du coton. Pro¬tégée par le tarif des douanes, encouragée surtout par les comman¬des de la Société de Commerce, l'industrie cotonnière trouvait, en Hollande et dans les colonies, un marché privilégié de plus de huit millions d'hommes ; aussi employait-elle, à Gand et dans les communes rurales du district, plus de 60,000 ouvriers des deux sexes. En 1812, le nombre de broches qu'elle faisait mouvoir était de 85,000 ; en 1830, elle en mit 280,000 en activité (Note de bas de page : Pétition du commerce de Gand, citée ci-après. - Briavoine, t. I, p. 175. - Van den Bogaerde de Ter-Brugge, Essai sur l'importance du commerce, de la navigation et de l'industrie dans les Pays-Bas, t. III, p. 275 et suiv. - Pendant les années 1828, 1829 et 1830, les expéditions de la Société de Com¬merce, en manufactures de coton, s'étaient élevées à 5,340,000 fl., tandis que, pendant la même période, le commerce particulier n'en avait exporté que pour 1,260,000 fl. (Depouhon, brochure citée ci-après, p. 96<). Aussi Guillaume Ier avait-il acquis à Gand une popularité immense parmi les fabricants et les capi¬talistes. A l'occasion du voyage qu'il fit en 1829 dans la capitale de la Flandre¬Orientale, la Société industrielle de Gand fit frapper une médaille, portant le buste du roi, et au revers l'inscription suivante : Rex opt. p. p. Gandavensium indus-triam adprobat, excitat, prœsidio tutalur. Urbis hospes. XXX. Maii MDCCCXXIX. Dans l'exergue on lisait : Societas industr. Gand. ex aer. priv. D.)
Dans la province de Liége, dans le Hainaut, dans une partie du Luxembourg, en un mot, partout où les travaux industriels trouvaient un terrain convenable, on apercevait les mêmes symptômes de réno¬vation, les mêmes scènes de travail et d'activité féconde.
Grâce à l'énorme droit d'entrée établi sur le charbon étranger, les propriétaires des mines, devenus les seuls fournisseurs du marché intérieur, avaient donné à leurs exploitations une étendue jusque-là sans exemple dans nos provinces ; le seul arrondissement de Liége employait plus de 14,000 ouvriers à l'extraction de ce combustible et en fournissait annuellement à la Hollande pour plus de cinq millions de florins (Note de bas de page : Adresse du commerce de Liége an Congrès national, citée ci-après. - Cette adresse porte le nombre des miniers mineurs à 14,000 ; mais ce chiffre est peut-être exagéré. Dans le Résumé des rapports sur la situation administrative des provinces et des communes pour 1840, le nombre des mineurs de la province de Liége, à la fin de 1830, est évalué à 5,000 (p. 270)). Il en était de même de l'industrie sidérurgique. Les usines augmentaient sans cesse en nombre et en importance ; chaque jour de nouvelles colonnes de vapeur annonçaient la transformation du travail dans les plaines du Hainaut et les vallons pittoresques de la province (page 93) de Liége. A Couvin et à Seraing, les premiers hauts fourneaux au coke se construisaient avec les avances du gouvernement. A Verviers et à Dison, les fabriques de drap, si longtemps frappées de langueur, avaient repris une vie nouvelle, en trouvant, dans la Hollande et les colonies, un marché qui faisait oublier celui qu'elles avaient jadis dans l'Empire français. Le district de Charleroi commençait à tirer parti des immenses ressources qu'il possédait dans ses houilles, ses verreries et ses fers. Partout le progrès, marchant à pas de géant, faisait jaillir des sources de richesses dont nos pères n'avaient pas soupçonné l'existence ; partout les hésitations de la routine disparaissaient devant les procédés les plus avancés de la science moderne, au point que, pendant les deux années qui précédèrent la révolu¬tion, le ministre de l'industrie et des colonies autorisa, pour les seules provinces de Liége et de Hainaut le placement de 218 machines à vapeur, indépendamment d'un nombre considérable de fabriques et d'usines de toute nature. A Bruxelles, les industries de modes et de luxe avaient acquis un développement inespéré, et l'aristocratie hol¬landaise prenait de plus en plus l'habitude d'y adresser ses commandes. Puissamment encouragé par l'État, l'enseignement industriel fit sa première apparition dans nos provinces. A Bruxelles, un conservatoire d'arts et métiers ; à Liége, à Louvain, à Namur et à Gand, des cours spéciaux de minéralogie et de géologie ; à Ostende et à Anvers, des écoles de navigation, mettaient à la portée de toutes les classes l'enseignement des sciences utiles à l'industrie et aux arts nautiques. Aussi n'était-ce pas seulement sous le rapport de la quantité que les produits belges acquéraient de jour en jour une importance nouvelle ; la qualité suivait la même voie ascendante. Les expositions de Gand, de Harlem et de Bruxelles (1820, 1821, 1830) firent une impression profonde sur les visiteurs accourus d'Angleterre et de France. Mais c'était surtout dans la province de Liége que les procédés perfection¬nés de l'industrie moderne avaient trouvé des capitalistes intelligents et des ouvriers habiles. Ces derniers, à qui la fabrication des armes et de la quincaillerie avait depuis longtemps livré tous les secrets de l'art d'ouvrer les métaux, étaient parvenus à imiter avec une rare perfection les appareils qui faisaient la richesse et la force de l'Angleterre. Une seule machine à vapeur, tirée de Scheffield pour les ateliers de Seraing, avait suffi pour les mettre sur la voie, et (page 94) bien¬tôt les produits de cette fabrication nouvelle allèrent rivaliser avec ceux de l'Angleterre sur les marchés les plus importants de l'étranger (Note de bas de page :M. Van den Bogaerde s'est livré à un examen détaillé des objets exposés à Gand et à Harlem (t. Ill, p. 165 et suiv.). Histoire des progrès de la fabrication du fer dans la province de Liége, par Franquoy, p. 391 du t. 1 (Nouvelle série) des Mémoires de la Société libre d'Émulation de Liége. - Sur l'ensemble de la 'situation on peut consulter le livre déjà cité de M. Briavoine, t. 1, p. 142 à 174).
Dans une autre sphère, des résultats analogues se manifestaient pour la navigation fluviale et la navigation maritime. Grâce au développe¬ment des travaux industriels, coïncidant avec l'ouverture des canaux que l'État faisait creuser dans toutes les parties du pays, le nombre des bateaux destinés aux voies navigables de l'intérieur s'était à peu près décuplé depuis la formation du royaume des Pays-Bas (Note de bas de page : Sur la Meuse, les bateliers de Liége employèrent, en 1829, plus de six cents bateaux au seul transport du charbon). A Anvers, les arrivages devenaient d'année en année plus nombreux et plus considérables. En 1818, 585 navires étaient entrés dans les bas¬sins ; en 1828, ce nombre fut de 911, et il s'éleva à 971 en 1829. Les constructions maritimes y avaient pris des proportions colossales. Non seulement la Société de Commerce payait un fret très élevé (250 fl. par last), mais tout navire neuf était retenu pour deux voyages, après lesquels l'armateur, qui avait déjà reçu de l'État une prime de 18 florins par tonneau, se trouvait corn piétement remboursé de ses avances. Par sa position au centre de l'Europe, par l'accès facile qu'il présente aux navires venant de l'Océan et de la mer du Nord, par la facilité de ses communications avec les pays de grande consommation qui nous en¬vironnent, le port d'Anvers était devenu le siége d'un immense com¬merce intermédiaire avec l’Allemagne et la Suisse. Obéissant elles-mêmes au courant que prenaient les affaires, les maisons les plus importantes de Rotterdam et d'Amsterdam y avaient établi des succursales ; plu¬sieurs d'entre elles y avaient même transporté le siége principal de leur établissement (Note de bas de page : M. Van den Bogaerde a fait, à l'égard de la navigation des Pays-Bas, des recherches minutieuses, qui ont malheureusement le grand tort d'être dé¬pourvues de méthode, d'ordre et de clarté. (V. t. lII, chap. 2). V. aussi Bria¬voine, t. 1, p. 171).
A quel point cet état de prospérité croissante fut-il bouleversé par la révolution de septembre ? Quelles furent, pour l'industrie et le (page 95) com¬merce des Belges, les conséquences nécessaires de la rupture des liens politiques qui les unissaient aux Hollandais ? Ni les publications con-temporaines, ni les documents officiels, ni les archives des chambres de commerce ne permettent de répondre avec une exactitude rigoureuse. Le seul fait incontestable, c'est que la perturbation fut profonde et que, dans toutes les provinces, les représentants de l'industrie et du haut commerce manifestèrent un découragement en apparence sans remède (Note de bas de page : Notre plan primitif consistait à tracer un tableau exact et complet de l'in¬dustrie et du commerce de la Belgique aux trois époques suivantes : août 1830, décembre 1831 et décembre 1832. Malgré l'accueil bienveillant dont nous avons été honoré de la part des fonctionnaires publics et de toutes les personnes en état de fournir les éclaircissements nécessaires, nous avons été forcé de nous contenter de quelques aperçus généraux). Les négociants suspendirent leurs transactions, les usines et les manufactures se fermèrent, le travail des mines fut considérablement restreint, les capitaux disparurent de la circulation, toutes les valeurs subirent une dépréciation effrayante, la consommation se réduisit aux objets indispensables ; de plus, un grand nombre de navires belges abandonnèrent le port d'Anvers pour passer sous le pavillon de la Hollande. Les chantiers, jusque-là si pleins de mouvement, de bruit et de vie, furent bientôt complètement déserts, et les nombreuses industries qu'alimentent les constructions maritimes partagèrent la détresse des usines et des manufactures. A ne consulter que les apparences, toutes les sources du travail semblaient taries ; tous les éléments de pros¬périté paraissaient s'évanouir sous le souffle des passions révolution¬naires. Des milliers de prolétaires désœuvrés remplissaient les places publiques, prêts à se livrer à tous les excès et à concourir à tous les désordres. Le Congrès national fut à peine réuni que des adresses alarmantes lui parvinrent de tous les centres industriels du pays. Une' pétition du commerce de Liége, après avoir énuméré tous les avan¬tages matériels que la Belgique devait à sa réunion à la Hollande, se terminait par ces mots significatifs empruntés à Lord Brougham : « Je renonce à tous les avantages qu'il faudrait retirer des ruines de la prospérité publique ». (Note de bas de page : Pétition du commerce de Liége, adressée au Congrès national, sous la date du 6 décembre 1831. Cette pétition a été publiée en brochure, sans nom d'imprimeur (8 p. in-8°) ; elle a été textuellement reproduite par M. Van den Bogaerde de Ter Brugge, t. III, p. 282). » Une autre adresse, envoyée par les (page 96) fabri¬cants de Gand, disait nettement que l'élection du prince d'Orange était le seul moyen de préserver la Belgique d'une décadence irrémé-diable (Note de bas de page : Pétition du commerce de Gand, datée du 31 décembre 1831. Cette pétition portait la signature de tous les membres de la chambre de commerce, de plu¬sieurs conseillers communaux et d'un grand nombre de manufacturiers (V. Van den Bogaerde de Ter-Brugge, t. III, p. 286).
Ces appréhensions et ces plaintes étaient exagérées ; aussi furent-elles bientôt suivies de protestations énergiques et nombreuses.
Dès le mois de décembre 1830, les débats de la presse attestent l'existence de deux systèmes contradictoires. Pendant que les uns exal¬taient les bienfaits et déploraient la chute de l'administration néer¬landaise, les autres, poussant l'esprit de réaction jusqu'à l'injustice, s'écriaient que tout était factice, éphémère et mensonger dans les résultats obtenus sous le règne de Guillaume (Note de bas de page : V. dans le sens de cette thèse la brochure de M. Kaufman, déjà citée, t. l, p. 295. - Parmi les publications appartenant à l'opinion contraire, on peut ranger : La Belgique en septembre 1831. Coup d’œil sur son avenir politique et commercial. Liège, Collardin, 1831, in-8°. De l’état du commerce en Belgique et de la route en fer d'Anvers à la Prusse, par Depouhon. Bruxelles, De Mat, janvier 1833, in-8°).
Les uns et les autres se rendaient coupables d'exagération manifeste. Le Fonds de l'industrie était loin d'avoir réalisé toutes les merveilles annoncées par la presse ministérielle. Ainsi qu'il arrive toujours quand l'État s'empare de l'argent de tous pour encourager les spéculations de quelques-uns, des sommes immenses avaient été détournées de leur destination ou absorbées par des entreprises éphémères, sans résultat possible sur notre sol et sous notre latitude (Note de bas de page : C'est ainsi notamment que des sommes considérables avaient été consacrées à la propagation des vers à soie et à l'établissement de fabriques que ces vers devaient alimenter). D'un autre côté, la Société de Commerce, malgré l'abondance de ses ressources et l'im¬portance de ses privilèges, avait fait des pertes considérables et luttait péniblement contre la concurrence anglaise (Note de bas de page : Elle avait fait de grandes pertes dans les comptoirs établis sur les côtes des colonies espagnoles nouvellement émancipées. M. Van den Bogaerde (t. III, p. 89) indique les autres causes de cette situation embarrassée de la Société en 1829). Enfin, parmi les résul¬tats en apparence les plus brillants et les plus incontestables, plusieurs n'étaient au fond que des sacrifices imposés aux consommateurs et au (page 97) trésor public. En se plaçant à ce point de vue, on pouvait affirmer que la prospérité industrielle et commerciale était en partie factice.
Mais, si ce fait ne pouvait être contesté, il fallait se laisser étran¬gement aveugler par des préoccupations personnelles, pour voir la ruine de l'industrie et du commerce des Belges dans l'exclusion momentanée de leurs produits du marché de la Hollande et des colonies. Il fallait être dépourvu des premières notions de la science économique, pour supposer que le Fonds de l'industrie, la Société Générale, la Société de commerce et le tarif des douanes avaient seuls produit notre prospé¬rité industrielle et pouvaient seuls la maintenir. Il était absurde de n'attribuer qu'une existence éphémère à une foule de travaux indus¬triels, dont les uns étaient inhérents au sol et dont les autres pouvaient aisément soutenir la concurrence étrangère par la perfection de leurs procédés et le prix relativement peu élevé de la main-d'œuvre. Les manufactures de draps, la fabrication des armes de guerre et de luxe, celle du zinc, du plomb, du cuivre, des tôles et des clous, la tannerie, le corroyage, la fabrication du papier, les verreries, l'exploitation des mines, la préparation et la transformation du minerai, les distilleries alimentées par nos richesses agricoles : toutes ces sources d'un travail productif n'étaient pas à coup sûr des industries factices en .Belgique. Si les avances et les primes du Fonds de l'industrie avaient été autant de sacrifices imposés aux contribuables des dix-sept provinces, du moins les résultats n'avaient pas été entièrement stériles. L'aspect des établissements patronnés par l'État avait stimulé l'esprit d'association, si languissant, pour ne pas dire si nul, sous les régimes antérieurs ; les usines subsidiées par le trésor public nous avaient initiés aux pro¬cédés les plus avancés de l'industrie étrangère. Les vastes ateliers de Seraing, dont l'influence salutaire ne peut être révoquée en doute, devaient en grande partie leur existence aux avances du Fonds de l'in¬dustrie. En 1822, quel habitant de nos provinces eût réussi à former, sans l'intervention de l'État, des établissements tels que la Société Générale et la Société de Commerce ? On pouvait alléguer que certains résultats avaient été obtenus au prix d'énormes sacrifices pécuniaires, dépassant peut-être leur importance ; mais, en dressant le bilan des ressources nationales, ces résultats, quelle que fût leur source, devaient être portés en ligne de compte.
La vérité se trouvait entre les deux systèmes. Quand une industrie (page 98) utile a joui de faveurs plus ou moins considérables sur un marché de huit millions d'hommes, elle ne peut en être exclue, ni même y rencontrer tout à coup la concurrence étrangère, sans éprouver momentanément des souffrances réelles. Mais des pertes de ce genre peuvent se réparer. Il suffit de simplifier les procédés de fabrication, de perfectionner les produits, de les approprier aux besoins et aux goûts des autres peuples, et bientôt des débouchés nouveaux viennent amplement compenser ceux qu'on a perdus. Telle était la situation de la Belgique. Son avenir devait d'autant moins inspirer des craintes que la Hollande, intéressée à placer ses propres produits en Belgique, ne pouvait nous fermer éternellement ses frontières. L'intérêt finit toujours par triompher des animosités politiques, surtout chez les peu¬ples qui, comme les Hollandais, sont habitués à placer au-dessus des passions politiques le bilan annuel de leurs profits et de leurs pertes.
La transition, il est vrai, ne devait pas être exempte d'inconvénients graves. Aux crises qui accompagnent toujours les révolutions politiques étaient venues se joindre la perte momentanée de débouchés impor¬tants et la perturbation de toutes les habitudes commerciales contrac¬tées pendant une période de quinze années. Toutefois, ici encore les faits firent promptement justice des exagérations des adversaires de la révolution de septembre. Dans la province de Liége, plusieurs milliers d'ouvriers mineurs se transformèrent en ouvriers armuriers, avec une facilité qui atteste au plus haut degré l'énergie et l'intelli¬gence de la race wallonne. (Note de bas de page : Ce fait nous a été attesté par M. Capitaine, président de la chambre de commerce de Liége, l'un des industriels les plus éclairés du pays). A Gand et ailleurs, une foule de prolé¬taires cherchèrent un refuge dans les corps francs, et plus tard dans les rangs de l'armée régulière. Avec cet élan de générosité qui dis¬tingue le caractère national, les riches vinrent en aide aux souffrances des classes inférieures, en attendant que le travail rendît l'aumône inutile. Les villes les plus importantes contractèrent dans le même dessein des emprunts considérables (Note de bas de page : Verviers, 20,000 fl. (Arrêté du gouvernement provisoire du 17 octobre 1830) ; Gand, 150,000 fl. (Arrêté du 17 octobre et du 29 novembre 1830) ; Liége, 10,000 fl. (Arrêté du 26 octobre 1830) ; Malines, 30,000 fl. (Arrêté du 3t .janvier 1831) ; Ath, 7,000 fl. (Arrêté du 1er février 1831). Le gouvernement fit en outre des avances considérables à la ville de Bruxelles). Enfin, malgré l'invasion de 1831 et le séjour des Hollandais sur les bords de l'Escaut, le travail (page 99) industriel et les échanges commerciaux retrouvèrent assez rapidement une partie de leur activité. En 1831, les exportations s'élevèrent à frs. 96,555,274, et les importations à frs 98,013,079. En 1832, les pre¬mières atteignirent le chiffre de frs. 111,241,960, et les secondes celui de frs. 255,407,524. L'état de la navigation n'avait pas davantage réalisé les prédictions sinistres dont elle avait été l'objet. En 1831, 379 na-vires avaient visité le port d'Anvers, et 648 autres le port d'Ostende, En 1832, le mouvement avait été de 1267 navires pour Anvers et de 984 pour Ostende. En présence de ces résultats, on pouvait attendre l'avenir avec confiance (Note de bas de page : Pendant la même période, le commerce de transit avait donné les résultats suivants : en 1831, la valeur des marchandises s'éleva à 8,024,512 fr. ; en 1832. cette valeur fut de 13,826,694 (V. Tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant les années 1831, 1832, 1833 et 1834. Bruxelles, Vandooren, 1836, in-fol.))
On peut en dire autant de la situation financière du nouveau royaume. Dans cette sphère, comme ailleurs les craintes étaient exagérées et le terme de la crise pouvait être attendu avec une confiance largement justifiée.
Pour les dix premiers mois de 1831, l'équilibre entre les recettes et les dépenses n'avait été obtenu qu'à l'aide de deux emprunts forcés, l'un de dix et l'autre de douze millions de florins (frs. 46,560,846). Un troisième emprunt de quarante-huit millions de florins (frs 101,587,301) était devenu nécessaire en décembre, pour subvenir aux besoins extraordinaires de l'exercice 1832 (Note de bas de page : Le décret du 8 avril 1831, rapportant la loi du 5 mars précédent, avait autorisé le gouvernement à lever un emprunt forcé de douze millions de florins., Chaque propriétaire devait y contribuer jusqu'à concurrence d'une somme égale à la contribution foncière ; en outre, un contingent égal au principal de la con¬tribution personnelle de 1830 était assigné à chaque commune, pour être réparti parmi les deux tiers des contribuables les plus imposés. L'emprunt devait être remboursé au 1er janvier 1833, ou plus tôt si les circonstances le permettaient. - Un deuxième emprunt forcé de 10 millions de florins fut décrété par la loi du 21 octobre 1831. L'article 16 de la loi portait que les bons de cet emprunt seraient admis comme numéraire dans les caisses publiques, pour les contribu¬tions postérieures au 30 juin 1832. - Un autre système fut suivi pour l'emprunt de 48 millions de florins, décrété par la loi du 16 décembre 1831. Le gouverne¬ment fut autorisé à le conclure jusqu'à concurrence du capital nominal de la somme fixée, à charge de rendre compte aux Chambres de tous les détails de la négociation, aussitôt que les circonstances le permettraient. L'emprunt fut conclu avec la maison Rothschild, au taux de 79). En ajoutant ces dettes aux (page 100) 8,400,000 florins de rentes qui nous étaient imposés par le traité du 15 novembre, la situation était certes loin d'être brillante ; mais, con¬trairement aux affirmations d'une partie de la presse, elle n'avait rien de désespéré. L'organisation de tous les services publics, l'armement et l'équipement de l'armée, et surtout le maintien de cette armée sur le pied de guerre, avaient créé des besoins immenses, mais qui ne devaient pas se reproduire d'une manière permanente. Quelques an¬nées de paix, d'ordre intérieur et de travail suffisaient pour fermer toutes les plaies et réparer tous les désastres. Déjà au 30 novembre 1832, le trésor avait racheté 2,215,575 florins de l'emprunt de douze millions, tandis que, à la même date, la presque totalité de l'emprunt de dix millions était rentrée en paiement d'impôts. Parmi les dangers qui menaçaient le, crédit public, le plus grave peut-être résultait des exagérations que se permettaient les membres de l'opposition parlementaire. Les capitalistes, toujours si prompts à s'alarmer, devaient se former des idées étranges sur la situation du trésor, quand les représentants de la nation, niant aujourd'hui la loyauté et demain la capacité des ministres, ne parlaient que de l'exagération de nos dépenses, de l'insuffisance de nos ressources et de la ruine immi¬nente de nos finances (V. entre autres, la discussion du budget des voies et moyens en décembre 1832).